Feeds:
Articles
Commentaires

Le samedi 31 mars 1923, veille de Pâques, naissait à Angers, notre mère Adrienne Turbelier (épouse Pasquier). Il y a tout juste cent ans. Elle décéda à 94 ans passés en région parisienne.

Ce jour-là, le Petit Courrier, le quotidien républicain de l’Anjou, annonçait, parmi les nouvelles locales que le Vélodrome d’Angers rue de Montesquieu serait réouvert le lendemain pour la course cycliste « La Roue d’or ». Il signalait également qu’au Grand Théâtre de la Place du Ralliement, la location des places pour la pièce à grand spectacle, Michel Strogoff de Jules Verne (1828-1905) et du dramaturge Adolphe d’Ennecy (1811-1999) était ouverte.

Enfin, parmi les autres « brèves » et les petites annonces intéressant la population angevine, le journal publiait une liste d’emplois réservés aux anciens combattants de l’Anjou, notamment de facteurs auxiliaires des Postes, de gardiens de bureau des commissariats de police, de préposés aux douanes ainsi que d’hommes d’équipe aux chemins de fer et de « sémaphoristes » ..; Cinq après l’armistice de la 1918, les stigmates de la Grande Guerre avec ses blessés, ses mutilés et ses morts persistaient à coloniser les esprits. Au coin des rues, des « Gueules cassées » coincés dans leur minuscules échoppes vendaient des billets de la Loterie Nationale!

Ce 31 mars 1923, le bulletin météorologique de l’Anjou, qui se limitait à l’époque à reproduire ce que chacun possédant un thermomètre pouvait observer, notait une légère variation de température au cours de la journée, de 10° C° à 8 heures à 10° C° en soirée en passant par 14° à midi, la pression atmosphérique demeurant stable à 760 millimètres de mercure. Autrement dit, la météo plutôt clémente en ce début de printemps était dans la norme de celle attendue sous influence océanique en Anjou et dans le Val de Loire. Les cerisiers se couvraient de fleurs!

En revanche, des nuages d’une autre nature, plus menaçant, suscitaient quelque inquiétude en cette année d’après une guerre qui avait endeuillé presque toutes les familles françaises, dont celles d’Adrienne. En Allemagne, le chômage et la misère gagnaient chaque jour plus de terrain, favorisant la montée du nazisme et en Italie, le fascisme incarné par Mussolini était aux marches du pouvoir. En outre, la tension était maximale entre la France et la République de Weimar, depuis que le président Poincaré avait décidé en janvier 1923, d’envahir militairement le Bassin Minier de la Ruhr pour contraindre l’Allemagne à s’acquitter des dommages de guerre.

De nombreux incidents émaillèrent cette occupation comme en témoignait le Petit Courrier du 31 mars 1923 qui décrit une grave échauffourée survenue à Essen, la grande ville industrielle de la région, entre des ouvriers des usines Krupp et l’armée française qui venait réquisitionner des machines. Les affrontements parfois violents firent plusieurs victimes allemandes, que la propagande du parti nazi instrumentalisa immédiatement.

Enfin, au nombre des autres tristes nouvelles du jour, la presse locale et nationale consacrait quelques articles au décès, le 26 mars 1923 de l’actrice et tragédienne Sarah Bernhardt (1844-1923), et publiait de nombreux témoignages et hommages de ses amis et admirateurs, en particulier de la romancière Colette (1873-1954), de l’auteur dramatique Tristan Bernard (1866-1947) ou encore de l’écrivain et poète Henri de Régnier (1864-1936).

En somme, ce 31 mars 1923, fut une journée presque ordinaire d’après-guerre, dans un contexte national et international fragile.

Dans le quartier de la Madeleine, à Angers, Alexis Joseph Turbelier (1864-1942), l’organiste attitré de la basilique du Sacré-Cœur, l’église paroissiale, a probablement rendu visite à son ami, le chanoine Félix Fruchaud (1856-1954), curé de la paroisse pour faire le point des chants et des psaumes qui accompagneront les différentes célébrations pascales.

Il compte bien, au passage, s’attarder au clavier de l’orgue pour improviser à sa guise, une rengaine de sa composition. Ensuite, il ira, pipe au bec, taper la manille au cercle paroissial. Beau programme pour un samedi Saint, où la troupe de théâtre dont Alexis est une tête d’affiche en qualité de comédien comique amateur, fait relâche.

Pendant ce temps, au premier étage d’un modeste appartement de deux pièces, sans réel confort d’un petit immeuble du 20 rue Desmazières, à deux cents mètres environ de la place de la Madeleine, Adrienne Venault (1894-1973), l’épouse Louis Turbelier (1899-1951) – fils d’Alexis-Joseph – ressent les premières contractions annonciatrices de l’accouchement de l’enfant qu’elle porte.

A vingt neuf ans, c’est son premier enfant, moins de deux ans après son mariage à Angers le 29 octobre 1921. La guerre avait cruellement contrarié son désir d’une maternité plus précoce.

C’est ainsi qu’à vingt heures, ce 31 mars 1923, une petite fille voit le jour, que ses parents prénommèrent Adrienne, Marie Louise Joséphine. Plus tard, elle aimait d’ailleurs souligner en souriant que ses second et troisième prénoms étaient ceux des épouses de Napoléon 1er. En réalité, il ne s’agissait que de pur hasard car aucun de ses parents ne se revendiquait du bonapartisme. Les deux prénoms étaient en fait ceux de sœurs de la jeune mère de vingt neuf ans.

Adrienne dans les bras de sa maman – 1924

Outre la sage-femme, une autre personne assistait à l’accouchement: Clémence Fradin épouse Venault (1961-1931), mère de la parturiente et grand-mère maternelle de la petite Adrienne, qui depuis son veuvage en 1911 vivait avec sa fille. En outre, deux ombres chères à la jeune mère hantaient également les lieux, deux Poilus « morts pour la France » au printemps 1918 lors de l’offensive Allemande dans la Somme; d’une part Albert Venault (1893-1918) le frère et compagnon de jeu de la nouvelle mère et d’autre part, Alexis Victor Turbelier (1897-1918) fils qui fut le premier « fiancé » d’Adrienne et frère ainé de Louis, le mari et nouveau père.

Cette naissance fut sans doute un moment de grand bonheur mais elle n’effaca pas le traumatisme que suscita la disparition au front des deux soldats, dont les portraits étaient accrochés aux murs de la chambre. Néanmoins, elle démontra qu’en dépit des drames, la vie reprend toujours le dessus.

La petite fille puis plus tard la femme y compris lorsqu’elle aura le grand âge, réfutera l’idée que la mort pourrait l’emporter!

Compte tenu des fêtes de Pâques, la naissance d’Adrienne ne sera déclarée à la mairie d’Angers que le mardi 3 avril 1923 en fin de matinée par Louis Turbelier son père – ferblantier – accompagné de deux témoins, Alexis Turbelier le grand-père et de Michel Gallard (1896-1962), employé de banque et oncle par alliance de la petite fille.

Autant qu’on le sache, la petite enfance et l’enfance, puis l’adolescence de la jeune Adrienne furent celles ordinaire d’une petite provinciale heureuse de vivre. Romantique comme en atteste certains des carnets intimes qu’elle a laissés. Une jeune fille dans un quartier périphérique d’Angers, la Madeleine, non loin des Ardoisières de Trélazé. Un quartier très influencé par l’Eglise catholique, ici dominante et omniprésente, dirigée par un chanoine bâtisseur énergique, le curé Fruchaud qui régna sur la paroisse pendant plusieurs décennies, comme un préfet napoléonien. Un nostalgique des Guerres de Vendée de 1793 et, par conséquent, très opposé à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, instaurée par la loi de 1905 et surtout à l’inventaire des biens du clergé, auquel d’ailleurs il s’opposa fermement.

En fait,  » à la Madeleine » (comme on disait), c’est le clergé qui donnait le ton de la vie collective. Non seulement, il présidait, conformément à sa mission, les offices religieux et les nombreuses fêtes votives mais il était le plus souvent le maître d’œuvre des festivités populaires qu’il encadrait au travers notamment d’un patronage paroissial où se rassemblait la jeunesse, d’un cercle de boules de fort, doté d’une buvette à vins d’Anjou, et enfin d’un théâtre amateur dont le grand-père d’Adrienne, Alexis Joseph, l’organiste était un sociétaire attitré et un acteur comique incontournable dans tout le Grand Ouest. Il y a moins de cinquante ans encore – dans les années 1970-1980, les vieux du quartier se souvenait de lui, alors qu’il était décédé depuis 1942.

En 1925 un second enfant naît au sein du couple Turbelier, un premier frère pour Adrienne, Albert Turbelier (1925-2023) puis un autre cadet en 1927, Georges Turbelier (1927-2009). L’affection au sein de cette fratrie ne se démentira jamais!

Quelques photographies témoignent de cette époque d’avant-guerre, plutôt heureuse pour Adrienne et ses frères mais plus rude pour se parents en raison de la crise économique des années trente. Louis Turbelier fut contraint d’abandonner son métier de ferblantier en raison du chômage qui sévissait et intégra la police municipale.

Tout naturellement, la petite Adrienne suivit sa scolarité jusqu’à l’obtention de son certificat d’études primaires en juillet 1935 dans une école confessionnelle tenue par les religieuses à cornette de la Retraite, une des nombreuses communautés religieuses du quartier.

Dans le même temps, elle reçut une instruction religieuse qui se solda par ce qu’on appelait à l’époque, le certificat d’études primaires chrétiennes et par la communion solennelle. Cette dernière était d’ailleurs l’occasion pour réunir la famille après la messe et d’organiser une traditionnelle fête, assortie d’un plantureux repas arrosé aux vins locaux des côteaux du Layon.

Y étaient présents, les grands parents, tous les oncles et les tantes, ainsi que les cousins et les cousines.

Mais, en 1935, il n’était pas question qu’une jeune fille, quels que soient sa vivacité d’esprit et son souhait, poursuive des études au-delà de la scolarité primaire obligatoire. C’est la raison pour laquelle elle entra en apprentissage chez un tailleur du quartier de la rue de la Madeleine, afin de devenir couturière. Un métier très souvent dévolu aux jeunes fille à l’époque, concurremment avec celui de cuisinière dans des maisons bourgeoises comme l’avait été sa mère jadis.

Non seulement elle s’accommoda sans difficulté de ce choix un peu orienté par d’autres, mais, sous la bienveillante direction de son maitre de stage, un patron tailleur dont l’atelier se situait non loin de chez elle, elle y prit goût. Elle aima ce métier qu’elle pratiqua ultérieurement, à des titres divers et privés, jusqu’à un âge avancé. En témoigne ses cahiers de couture qu’elle remplissait avec le plus grand soin.

Ayant obtenu le certificat d’aptitude professionnelle de couturière (CAP), assorti de la « mention Bien » en juin 1939, son souhait aurait même été d’approfondir sa pratique en se spécialisant comme tailleur de costumes pour hommes et d’ensembles pour femme. Elle espérait même pouvoir poursuivre durablement, là où s’était déroulé son apprentissage. Malheureusement, la guerre fut déclarée en septembre 1939 et son patron réquisitionné dut fermer sa boutique.

C’est dans ces conditions – alors qu’elle était alors âgée de dix-sept ans – qu’elle trouva un emploi de vendeuse retoucheuse « chez Joudon » un grand magasin de confection place du Ralliement en plein centre-ville d’Angers. Elle y travailla pendant l’Occupation d’Angers par les Allemands entre 1940 et 1944. Ce fut, à tous égards, un épisode marquant de la vie d’Adrienne.

En effet, en dépit de la présence oppressante de l’ennemi – peut-être même à cause d’elle – des tracasseries et des privations que l’armée occupante imposait, elle y noua des amitiés solides et pérennes avec des jeunes gens de son âge ( Voir dans ce blog, un article du 28 mars 2013 titré: « De fil en aiguille ! Vendeuse en mercerie et retoucheuse chez Joudon (1940-1948)… »

C’est chez Joudon également qu’elle apprit la solidarité ouvrière et qu’elle s’engagea dans la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Ainsi, alors qu’elle était issue d’une famille plutôt conservatrice, c’est de cette période que date ses convictions à « Gauche ». Convictions qu’elle revendiqua, sa vie durant, solidement campée sur des principes de justice sociale et sur une confiance jamais démentie dans le progrès humain et dans la recherche scientifique et médicale. A telle enseigne que le Parti Socialiste de la section locale de Massy où elle résidait depuis 1970 et dont elle était toujours adhérente, était représenté à ses obsèques en 2018.

Elle fut parfois déçue mais jamais elle ne renia les utopies de sa jeunesse. Pas plus d’ailleurs que ses rêves, son romantisme parfois naïf et son goût pour la création artistique, dont la peinture qu’elle pratiqua jusqu’à un âge avancé.

La guerre et l’implacable occupation allemande furent des épreuves pour tous les angevins, mais pour les jeunes adultes tout juste sortis de l’adolescence, ce fut encore frustrant. La jeunesse d’alors, qui comme toute jeunesse n’aspirait qu’à se découvrir et découvrir l’amour ne pouvait donner libre cours à sa légitime soif de rencontres et de fêtes. Elle ne pouvait voyager comme elle l’entendait ni même se nourrir convenablement. Bravant les différentes injonctions de circulation et les couvre-feux, elle n’avait d’autre moyen que la marche à pied pour se balader hors les murs de la ville. Elle en usa sans retenue, comme d’un acte de résistance passive à la bureaucratie nazie qui tenait la ville en coupe réglée. .

Qu’à cela ne tienne donc, elle marchait, bras dessus, bras dessous. Le dimanche, Adrienne et ses amis de chez Joudon battaient les campagnes environnantes et les bois aux alentours d’Angers, ainsi qu’en témoignent les photographies d’époque. Ses frères étaient de la partie et c’est même probablement dans ces circonstances que Georges Turbelier fit la connaissance de Lucette, la sœur d’une collègue d’Adrienne et qui devint la compagne de sa vie

.

En décembre 1944, lors d’une manifestation de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) en faveur des nécessiteux, elle rencontra Maurice Pasquier. Ils s’aimèrent dans l’instant, ne se quittèrent plus de cœur et se marièrent à Angers le 8 décembre 1947.

Chaque année dès lors, jusqu’au terme de leur existence commune que seule la mort pouvait suspendre, ils fêtèrent cette date, autour d’un repas auquel les enfants étaient conviés. Quatre enfants sont nés de cette union que l’on qualifierait aujourd’hui de fusionnelle. Outre moi-même, mes trois sœurs, Marie Brigitte, Louisette et Françoise.

Adrienne devenue « mère au foyer » devint le pilier de la famille, toujours présente, recueillant les confidences des uns, écoutant les difficultés des autres et faisant toujours face aux aléas ainsi qu’aux petits et grands chagrins du quotidien. Silencieuse sur ses propres états d’âme, elle aimait cepandant raconter et même ressasser les mêmes anecdotes drôles, où elle se mettait en scène à son avantage. .

Ainsi se déroulèrent les années soixante, où femme des Trente Glorieuses elle connut sans doute le bonheur, comblée en famille mais revendiquant pleinement un statut d’égalité avec les hommes.

Elle surmonta enfin de cruelles épreuves, dont la perte d’une de ses enfants. Elle tut sa souffrance qui appartenait à son intimité et qu’elle n’entendait partager avec quiconque, car la mort lui faisait horreur, refusant jusqu’à la fin de visionner les scènes de violence à la télévision. Jusqu’à la fin également, elle demeura l’artiste peintre, qu’elle aurait désiré être.

A la charnière des années 1970, ce fut un déchirement pour elle de devoir quitter Angers, sa ville de cœur, pour la région parisienne, où Maurice avait trouvé du travail. Elle s’y résigna malgré tout et s’investit comme elle put dans le milieu associatif à Massy mais son cœur demeura sur les bords de la Maine et de la Loire.

En décembre 2017, après le décès de Maurice, alors qu’elle avait à 94 ans et perdu une grande partie de son autonomie, elle décida de rejoindre une maison de retraite médicalisée à Massy (EHPAD Louise de Vilmorin).

Elle y décéda deux mois plus tard, de tristesse sans doute, mais aussi parce que le médecin coordonnateur de cet établissement, traitre au serment d’Hippocrate, trouva argument de son grand âge pour s’abstenir de prendre en charge médicalement, une affection pulmonaire initialement bénigne. Laquelle s’aggravant avec une rapidité effrayante, finit par l’emporter en l’asphyxiant.

Elle mourut le 6 février 2018 dans une clinique d’Athis-Mons où elle avait été transportée en urgence depuis Massy. Ainsi peut-on dire qu’elle partit d’un lieu où elle ne vécut que les dernières heures de sa vie et qu’elle ne connaissait pas!

Depuis ce jour, j’ai définitivement cessé de dire « Maman « . Elle a rejoint les étoiles et y a retrouvé Maurice!

L’ultime photo ensemble dans leur appart. de Massy, le 10 octobre 2017

—-

 » Monsieur le Président de la République,

Objet : Réflexions sur le projet de loi d’accélération des procédures liées aux nouvelles installations nucléaires. Regroupement ASN-IRSN

J’ai bien conscience que ce courrier a peu de chance de vous parvenir en mains propres. Néanmoins je prends la liberté de vous écrire pour vous faire part de mon avis sur le projet de loi cité en objet, même si, étant retraité depuis une dizaine d’années, je ne dispose pas de toutes les données nécessaires pour asseoir complètement mon propos.

Je m’en tiendrai donc à la finalité du projet, telle que je la perçois sans trop m’attarder sur sa lettre. Mon propos n’est pas de suggérer des amendements de forme.

Physicien de formation, j’ai exercé les fonctions de directeur scientifique de l’Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI) de 1995 à 2002, puis, à partir de 2002 au sein de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, diverses attributions auprès du Directeur Général.

Pour autant, cette succession de missions ne me confère aucune légitimité pour « dire l’intérêt général » dans le domaine de la prévention des risques nucléaires et radiologiques. Elle atteste juste d’une expérience. Je m’exprime donc ici à titre personnel en m’efforçant de ne pas sombrer dans un jeu de postures, qui n’aurait l’heur que d’assombrir mon propos.  

Tout d’abord, j’approuve votre projet de relance de la filière électronucléaire par la mise en service de six réacteurs EPR d’ici une quinzaine d’années et par le prolongement de l’activité des actuels réacteurs à eau pressurisée, dès lors que les garanties de sûreté des installations et de radioprotection des populations et des travailleurs, sont apportées et contrôlées.

Votre décision est la bienvenue pour les motifs que vous avez-vous-mêmes avancés, à savoir, réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, se libérer des énergies fossiles et contribuer à rétablir l’indépendance énergétique de notre pays dans un contexte géopolitique incertain. L’actualité montre que votre décision était sage lorsqu’on apprend  que notre parc nucléaire en partie dégradé, présente des défauts dus notamment à la corrosion sous contrainte de certaines parties sensibles de réacteurs. Ainsi, notre pays qui exportait autrefois de l’électricité en est désormais importateur.

Trop d’erreurs stratégiques majeures, commises depuis près de quarante ans par nos gouvernants successifs, rendent compte de cette situation. Pourtant après le premier choc pétrolier de 1973, la France s’était dotée d’un ambitieux programme de construction de centrales nucléaires productrices d’électricité, propres à satisfaire ses besoins en énergie électrique à hauteur d’environ 75% à 80% !  

A l’époque, le président de la République et le gouvernement avaient fait le choix techniquement judicieux d’abandonner la filière nucléaire « graphite-gaz » développée par le CEA après la guerre, et de construire des réacteurs nucléaires de puissance, refroidis à l’eau sous pression. Leur nombre et leur puissance étaient variables selon les caractéristiques des sites sélectionnés, pour permettre des prélèvements d’eau et des rejets d’effluents. C’est ainsi qu’entre 1977 et 1997, la France s’est dotée de cinquante-huit réacteurs, respectivement de 900, 1300 et 1450 MWe, répartis sur dix-neuf sites sur la base d’une licence américaine Westinghouse.

Ces « installations nucléaires de base » firent pendant longtemps la fierté de la France, d’autant qu’aucun accident ou incident vraiment significatifs ne mit jamais en péril, la sécurité globale du pays, ni d’ailleurs celle des travailleurs intervenant dans ces centrales et encore moins la santé des populations alentour. Et ce, en dépit des contestations antinucléaires naissantes.

Les quelques dysfonctionnements ou incidents déplorés ne dérogeaient pas, en nombre ou en gravité, aux événements que connait toute entreprise industrielle soumise à des risques. La radioactivité détectable dans l’environnement en France, qu’évaluaient en permanence les organismes de surveillance était pour l’essentiel imputable à la radioactivité naturelle des roches contenant de l’uranium et à la radioactivité artificielle due aux retombées des essais nucléaires militaires pratiqués dans l’hémisphère nord au cours de années soixante.

Ponctuellement, d’anciens sites datant du début du siècle dernier, impliqués dans le raffinage et le conditionnement du radium présentaient des pollutions radifères persistantes mais sans rapport avec l’exploitation des centrales nucléaires.

Il n’est donc pas exagéré de prétendre que le nucléaire industriel producteur faisait alors consensus, y compris en tenant compte des questions non complètement résolues comme celle des déchets de fission ou d’activation, liés à la réaction nucléaire. Néanmoins, les risques induits par les rayonnements ionisants et la radioactivité n’étaient nullement ignorés ou sous-estimés. Mais à cette époque, on considérait que les agents physiques et chimiques nocifs n’étaient dangereux qu’à hauteur des doses reçues lors des expositions. Par conséquent à très faible exposition, le risque encouru, déterministe ou stochastique, était considéré comme « acceptable », dès lors qu’il était optimisé en deçà des limites réglementaires et n’entrainait pas de dommage excédant celui que chacun tolère dans sa vie quotidienne. Ces valeurs limites étant fixées sur la base de ces considérations.

Ce paradigme du risque « acceptable » a prévalu pendant plus d’un siècle. Il prévaut encore, de fait, pour la plupart des produits et agents dangereux dont les rayonnements, mais plutôt que de définir les « seuils de l’acceptable » on préfère parler de limites de « l’inacceptable ». Moyennant quoi, l’industrie nucléaire civile apparaissait comme un secteur beaucoup moins dangereux pour la santé et polluant pour l’environnement que les industries traditionnelles dépendant des ressources fossiles.

La catastrophe nucléaire de Tchernobyl des 25 et 26 avril 1986 a profondément modifié cette perception, en accréditant l’idée que les stigmates sanitaires et environnementaux d’un accident nucléaire civil pouvaient se manifester indéfiniment et concerner la totalité des territoires d’un continent. L’apocalypse nucléaire qu’on pensait réservée aux bombes « atomiques » comme à Hiroshima ou Nagasaki en 1945 semblait pouvoir se produire à partir de centrales civiles productrices d’électricité.

De là, sont nés les débuts militants d’une contestation organisée et parfois radicale de l’industrie nucléaire ! Laquelle, au nom des menaces redoutées, a fini par instiller l’idée que le nucléaire était par nature mortifère pour toutes les espèces vivantes, quelles que soient les circonstances et les modalités de son exploitation. Et qu’il ne pouvait y avoir de parade efficace pour se prémunir des effets délétères de la radioactivité, à court, à moyen et surtout à très long terme.

Dans ces conditions, une partie de l’opinion publique, alertée de manière incessante sur les « méfaits » de la radioactivité, s’est rangée à l’idée que la seule solution raisonnable était de « sortir du nucléaire » sans d’ailleurs prendre conscience que « la radioactivité naturelle » était présente depuis toujours et qu’elle avait même joué un rôle dans le développement de notre biosphère.

Ce point de vue abolitionniste influa sur tous les gouvernements. Sans remettre en cause le programme de 1974, aucun n’osa concevoir des projets ambitieux sur l’avenir de ce secteur industriel, de peur de mécontenter un électorat inquiet et sensible aux arguments dramaturgiques des mouvements antinucléaires. Aucun financement ne fut dès lors alloué, pour des recherches de nouvelles filières nucléaires plus sécures, reposant sur le principe de la fission.

A l’inverse, le 19 juin 1997, Lionel Jospin, Premier ministre annonça que l’installation « Superphénix » (Creys-Malville) serait abandonnée, à la fin de l’année 1998.

Cette décision d’arrêt du premier prototype d’un réacteur de la filière des réacteurs à neutrons rapides refroidi au sodium, était techniquement infondée. Elle réduisait à néant un investissement de recherches nucléaires et technologiques de plusieurs centaines de millions d’euros (actuels) conduites sur une dizaine d’années par de nombreuses équipes de chercheurs et d’ingénieurs. Sa motivation n’était manifestement que politique. Elle visait à consolider la majorité parlementaire de la gauche plurielle et à honorer ainsi une promesse faite aux écologistes antinucléaires. Sa destruction programmée faisait suite à de multiples manifestations et était donc une condition de la participation des écologistes au gouvernement de cohabitation, après les élections législatives du printemps 1997.

Ce fut évidemment une erreur stratégique grave car Superphénix aurait développé à terme une puissance comparable à celle d’une tranche nucléaire classique en présentant l’avantage de « brûler » un combustible mixte issu du retraitement sur support d’uranium appauvri et de recycler du combustible usé contenant du plutonium (239). Lequel transuranien était considéré jusqu’alors comme un déchet de fission des réacteurs classiques. Sa mise au point avait été délicate en raison notamment des propriétés incendiaires de son fluide caloporteur, le sodium liquide, mais en 1997 le procédé était au point et le prototype, prêt à fonctionner. Il préfigurait une nouvelle filière française présentant l’avantage de pouvoir convertir en électricité des combustibles usés issus du retraitement !

Cet abandon ne fut pas la seule erreur stratégique pénalisante mais c’est probablement celle qui ouvrit la voie aux fermetures ultérieures d’autres centrales, réalisées ou programmées, comme celle incompréhensible de Fessenheim en juin 2020 en application d’une décision de votre prédécesseur, ou encore comme la réduction à hauteur d’environ 20% de la part de l’électronucléaire dans le mix énergétique. Ces fourvoiements stratégiques sont en grande partie à l’origine des difficultés actuelles du parc nucléaire.  

Une autre bévue fut perpétrée en 2006, concernant l’organisation institutionnelle de la sûreté et de la radioprotection : l’adoption sous le gouvernement de Dominique de Villepin de la loi du 13 juin 2006 « relative à la transparence et à la sécurité nucléaire », qui consacra une sorte de démission du pouvoir exécutif en matière nucléaire, en créant une administration parallèle et « indépendante », l’Autorité de Sureté Nucléaire.

Cette dernière qui s’intitule elle-même « le gendarme du nucléaire » est décisionnaire sur de nombreux points ayant trait au fonctionnement et au contrôle au nom de l’Etat, des installations nucléaires et plus généralement de tous les secteurs mettant en œuvre des rayonnements. Non responsable par conception devant la représentation nationale, elle n’est pas soumise à la tutelle gouvernementale et est dirigée par des commissaires non destituables. Disposant d’inspecteurs, elle a en outre développé dès sa création, probablement pour faire taire une éventuelle critique de laxisme, un ensemble pléthorique de règles et de normes spécifiques non hiérarchisées et de concepts dérogatoires au droit commun comme la notion « d’écart » à ses injonctions ou le placement en « vigilance renforcée » d’une installation rétive à ses mises en demeure.

C’est dans ce contexte, qu’a été reçue la décision prise par votre gouvernement de réorganiser la Sureté Nucléaire. Elle fut annoncée le 8 février 2023, à la suite de la réunion d’un Conseil de la Politique Nucléaire tenu sous votre présidence à l’Elysée, cinq jours auparavant. L’objectif affiché était de donner le coup d’envoi de la relance de la filière du nucléaire, et, à cette fin, de fluidifier les processus d’examen technique et de prise de décision de l’Autorité de Sûreté Nucléaire !  Mais la principale mesure qui émerge, ne fut pas de revenir au droit commun en mettant fin à cette fiction administrative qu’est l’ASN et de redonner, comme jadis, la barre au pouvoir exécutif régulièrement investi et responsable.  

Non, contre toute attente et sans consultation préalable de la communauté scientifique, sans entendre les experts de l’évaluation des risques nucléaires, et bien sûr sans solliciter l’avis des salariés concernés, la décision prise consista à programmer la suppression de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) qui depuis une vingtaine d’années avait apporté avec brio, la preuve de sa compétence scientifique et technique dans la prévention du risque nucléaire et radiologique et dans son évaluation des risques. L’ensemble des collaborateurs de l’IRSN et tous les observateurs externes l’ont prise comme la sanction injuste d’un travail irréprochable.  

Reconnu tant au niveau national qu’international pour sa compétence, comme un partenaire majeur de la sécurité nucléaire, l’IRSN est ainsi condamné sans même qu’ait été regardé le bilan de son travail depuis vingt ans. Il a été condamné non pour les reproches qu’on pourrait développer à son encontre ou pour des erreurs qu’il aurait pu commettre au détriment de l’intérêt général du pays ou de la sécurité collective. Il est juste appelé à disparaitre en raison tout simplement de son esprit critique fondé sur une conception exigeante et parfaitement orthodoxe, de la science et de la technique. Une conception de la recherche et de l’expertise qui place la recherche de la vérité et l’objectivité dans l’appréciation d’une situation à risque au centre de ses préoccupations en ne tenant compte que de l’état des connaissances à un moment donné et sans se laisser détourner par d’autres considérations qui n’auraient aucun rapport avec le doute méthodologique enseigné par Descartes. Ce doute qui constitue par essence, la clef de voute du métier de chercheur scientifique et d’expert.

Cette exigence qui dicta la ligne de conduite des personnels de l’IRSN, n’a jamais été prise en défaut, ni par les défenseurs du nucléaire civil, ni par ses détracteurs.

L’IRSN a par conséquent le sentiment qu’il est ainsi stigmatisé de s’être trop bien acquitté des missions qui lui avaient été confiées, au motif que sa rigueur scientifique et d’expertise technique aurait entravé les décisions de l’ASN ! Force est néanmoins de reconnaitre, que cette décision de dilution/disparition de l’IRSN au sein d’une Autorité Administrative Indépendante a sa logique : faire taire une voix potentiellement dissonante mais scientifiquement et techniquement argumentée. Elle aurait de fait pour effet d’accélérer les procédures. En contrepartie, outre les inconvénients de tous ordres qu’elle génère, statutaires, juridiques et même commerciaux, elle se heurterait à la difficulté de faire fonctionner une institution gonflée mais bancale et le risque majeur serait de réduire les garanties de fiabilité de l’expertise. D’autant plus qu’en prime, une telle réforme ne manquerait pas de démotiver nombre de chercheurs de l’Institut, d’experts et plus globalement l’ensemble de ses personnels. Le résultat serait aussi d’exclure progressivement l’IRSN des radars de la communauté scientifique en tant qu’organisme crédible.

Finalement le seul prétexte du gouvernement à cette étrange réforme serait de «fluidifier les procédures d’examen de création de nouvelles installations nucléaires ou de prolongement des anciennes »! Non documenté, l’argument est faible pour annoncer la disparition d’un institut qui, en vingt ans, a fait ses preuves.  Aucun des autres arguments invoqués n’est en effet recevable. Pour l’essentiel, ils sont même en contradiction flagrante avec le principe de séparation déontologique du métier de chercheur et d’analyste du risque avec celui de décideur administratif.

Le comble réside dans le fait que c’est précisément à l’ASN qu’il est confié cette mission de fluidification ou de simplification procédurale, alors qu’elle figure parmi les principaux promoteurs des difficultés procédurières actuelles de la filière nucléaire. En réalité, le projet remet en cause des principes déontologiques adoptés par la communauté scientifique depuis au moins Gaston Bachelard ou Claude Bernard. Dans ces conditions, l’intérêt général mis en avant devient de second ordre. Option qu’il m’est impossible d’imaginer de la part des hautes autorités de l’Etat.

Comment, alors, ne pas être totalement solidaire des salariés de l’IRSN mobilisés contre la disparition de leur institut qui n’a jamais dérapé dans l’accomplissement de ses missions et qui contribue activement, par la confrontation des idées, à l’évolution des connaissances et de la sécurité ? Au cours de ma carrière professionnelle à leurs côtés, j’ai pu mesurer leur savoir-faire, leurs compétences et leur honnêteté intellectuelle, indissociables de leur démarche scientifique.

A l’issue de cette trop longue lettre, vous aurez compris, Monsieur le Président que si je partage votre ambition de restaurer rapidement notre filière nucléaire, je n’y consens pas à n’importe quel prix. Et surtout, pas au détriment de notre sécurité collective et en sacrifiant sur l’autel de la conjoncture, un organisme scientifique et technique, qui, sans faillir, n’a fait que son devoir.

Vous livrant ces réflexions qui n’engagent que moi, je vous d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération et de mon profond respect.

Jean-Luc Pasquier »

Lorsque, ce 8 mars 2023, Claudie et Jean-Philippe entonnèrent dans le chœur de l’église Notre-Dame des Victoires à Angers, « la Prière » de Brassens et de Francis Jammes, à quelques mètres du cercueil de leur mère, les ombres des deux poètes planaient sur l’assistance. Mais au-delà de l’émotion et du sentiment troublant de retrouver ici une musique qui a bercé notre enfance et notre adolescence dans les années soixante, c’est Lucette Turbelier dont on célébrait les obsèques, qui manifestait une dernière fois, sa présence parmi nous.

Alors, nos souvenirs se bousculèrent concurremment avec la nostalgie d’une époque dont on prenait conscience qu’elle s’achevait. Sans trop savoir pourquoi, on redécouvrait avec certitude, à travers les différents couplets de la mélodie adressée à Marie, la Lucette qu’on avait connue. On imaginait qu’elle avait jadis chanté ce magnifique salut à la Vierge de concert avec « l’amour de sa vie », son mari – mon oncle – Georges Turbelier (1927-2009), qu’elle fréquenta dès le début de la seconde guerre mondiale. Elle était alors encore adolescente..

Plus de soixante ans de vie et d’affection mutuelle et de chansons communes, ça compte! Et c’est la raison pour laquelle sa disparition en 2009 la désempara.

Ce sont ces pensées qui nous agitaient en écoutant ses enfants, chanter le « Je vous salue Marie » du mécréant Brassens!

Tant de souvenirs nous étreignaient: ceux d’une jeune mère de trois enfants – notre tante – toujours accueillante et joyeuse chez laquelle nous aimions nous rendre, à Angers dans un premier temps, puis à Orvault et enfin à Saint-Herblain en périphérie de Nantes. Ceux aussi des repas familiaux et des fêtes de Noël ensemble, des rires. Ceux aussi des vacances en VVF à Albé en 1961 et sur la Côte d’Azur… Et tant d’autres circonstances où nos familles appréciaient de se retrouver.

Par ce triste et pluvieux après-midi d’un hiver qui ressemblait, ce jour-là, à un automne, Lucette Turbelier née Harné a finalement rejoint dans une tombe du Cimetière de l’Est d’Angers, sa ville natale, trois des êtres qui lui furent chers, son père décédé en 1936 alors qu’elle n’était âgée que de dix ans; sa mère qui dut assurer seule l’éducation de ses trois filles et enfin Georges Turbelier son confident et mari bien-aimé.

Lucette s’était paisiblement éteinte quelques jours auparavant, entourée de ses enfants, dans une Maison de Retraite de Saint-Lô dans la Manche. Elle était âgée de quatre-vingt-seize ans et c’était la dernière représentante vivante de mes oncles et tantes dans ma branche maternelle. Georges était en effet l’un des deux frères cadets de ma mère Adrienne Pasquier née Turbelier (1923-2018).

En hommage à sa maman dont il dressa le portrait, son fils Jean-Philippe évoqua, tout en délicatesse, quelques épisodes de la vie de sa mère et rappela qu’elle dut surmonter plusieurs épreuves douloureuses. Douleurs , que d’ailleurs elle ne laissa que très rarement paraitre, en dehors du cercle de ses plus proches.

En fait, elle ne fit jamais tout à fait le deuil de son père Henri Harné (1898-1936) décédé prématurément. Jusqu’au stade ultime de son existence, elle conserva précieusement les écrits qu’il adressait à la petite fille qu’elle était encore.

Ces feuilles jaunies par le temps et gardées précieusement, la renvoyaient probablement à ce chagrin d’enfance qu’elle ne sut ni voulu étancher. Elles lui rappelaient une indicible fêlure, qui constituait peut-être aussi une sorte de jardin secret dans lequel elle se réfugiait les jours de déprime. Seule à seule dans le souvenir de son père!

Ce père qui était chimiste et qu’elle ne cessa d’admirer, l’emmenait toute jeune dans son laboratoire où elle pouvait manipuler les instruments de mesure. C’est de cette période lointaine et par amour filial que daterait son intérêt trop méconnu pour la science et sa confiance dans le progrès. Un intérêt que les circonstances de la guerre et du veuvage de sa mère ne lui ont pas permis de satisfaire complètement – en tout cas, comme elle l’aurait souhaité – en poursuivant des études dans cette voie. A l’exemple de son père. Dans une famille désormais monoparentale, la mère dut en effet trouver un emploi pour nourrir sa famille chez un médecin de la rue Chevreul à Angers. Et les trois filles – dont Lucette – durent travailler dès la fin de leur scolarité obligatoire.

Outre la disparition de son père en 1936 et de son époux en 2009, un autre traumatisme quasiment insurmontable assombrit la fin de sa vie: le décès de son second fils et dernier enfant, François Turbelier (1958-2011).  » C’est moi qui aurait du mourir » répétait-elle. « Ce n’était pas son tour ».

Avec Georges en 2000 à Massy chez Adrienne et Maurice Pasquier

Avec Lucette qui s’en va, c’est toute une génération qui aujourd’hui disparait. Celle des parents du « baby boom » d’après la seconde guerre mondiale. Celle de ces jeunes adolescents pris de court lorsque le conflit se déclara et qui leur vola une partie de leurs rêves. Celle qui a connu la défaite de l’armée française en 1940, puis l’occupation allemande à Angers jusqu’au mois d’août 1994 et les privations qui s’ensuivirent avec le couvre feu, les tickets de rationnement, et les bombardements.

Lucette résidait à l’époque rue Chevreul, dans le centre-ville d’Angers à quelques dizaines de mètres de la place du Ralliement – la place de la Concorde angevine – non loin du siège de la Kommandantur et du quartier général des troupes d’occupation allemande, qu’elle croisait régulièrement dans la rue.

Lucette appartint donc à cette classe d’âge qui a connu la liesse populaire du 10 aout 1944, le jour de la Libération d’Angers par les troupes américaines du Général Patton. Cette nuit du 10 août 1944  » une nuit où le sommeil aurait été une insulte au destin » comme le titrait une édition spéciale dédiée par le Courrier de l’Ouest à la Libération de l’Anjou, fut celle de la délivrance et resta gravée dans la mémoire de ces jeunes angevins devenus prématurément adultes sous le joug, pendant quatre ans, de la soldatesque allemande qui imposait impitoyablement sa dure loi d’airain. Une armée d’occupation pesante et sa police – la Gestapo – à laquelle collaborèrent d’ailleurs un certain nombre de traitres français.

Lucette et Georges son futur époux relevaient de cette tranche d’âge, avec Albert Turbelier le frère aîné (1925-2023) et bien sûr mes parents Adrienne Turbelier et Maurice Pasquier (1926-2017). Les uns comme les autres s’efforcèrent malgré tout de vivre leur jeunesse et de s’acquitter comme ils le pouvaient, des devoirs que leur imposait la tragique de la situation, notamment lors des bombardements où ils participèrent au secours des blessés et à l’évacuation des morts du quartier de la gare Saint-Laud.

En dépit des difficultés et des multiples tracasseries auxquelles ils étaient astreints, ils demeuraient de jeunes hommes et de jeunes femmes et j’ai souvent entendu Lucette évoquer cette époque comme la période de leur vie où s’ébauchèrent des relations affectives ou amicales qui perdurèrent jusqu’à leur disparition.

Comme pour conjurer les horreurs de cette guerre qui les privaient des distractions habituelles, les jeunes notamment les employés du magasin de confection Joudon – place du Ralliement – où travaillaient ma mère Adrienne comme vendeuse retoucheuse et la sœur ainée de Lucette, Jacqueline Harné (1924-1998) –  » aimaient se retrouver le dimanche avec leurs connaissances respectives pour de longues balades à pied dans la campagne angevine ou sur les bords de Loire, jusqu’au sanctuaire de Béhuard sur la Loire!

Le prétexte de ces sorties étaient parfois religieux et même expiatoire – conformément aux standards pétainistes et culpabilisants de l’époque – mais, dans la réalité, ce qui les motivait surtout c’était le plaisir d’être ensemble et d’oublier la guerre. Des relations intimes pouvaient naître de ces joyeuses promenades dominicales: c’est probablement dans ces circonstances qu’Albert et Georges, les frères cadets furent associés à la bande et que Georges rencontra Lucette. Jacqueline, elle-même devint la femme d’un collègue du rayon mercerie, Constant.  

Malgré les affres de la guerre et la peur, la jeunesse est éternelle. A toutes les époques, elle parie sur la victoire de la vie : ce fut naturellement le cas dans les années quarante en Anjou !

Bois de Molières à Beaucouzé (49) en février 1943 – Le Marillais juillet 1943. Angers 1945: ils sont tous là – même Maurice

Après guerre, ils se sont tous mariés et les fratries de ma génération se sont constituées. Chacun mena sa vie et sa carrière, au gré des opportunités et de ses espoirs. Lucette l’ancienne militante de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne mit au monde trois enfants, Claudie en 1950, Jean-Philippe en 1953 et François en 1958.

Par la suite, il n’y eut guère d’événements rassembleur de la famille jusqu’au début des années 2000, sans que les uns ou les autres n’évoquent à un moment donné cette période de la guerre. Bien que douloureuse, cette période fut aussi celle de l’espoir et de la détermination à survivre. Parfois leurs souvenirs divergeaient sur des points de détail ou des dates, mais sans que l’affection mutuelle qu’ils se portaient ne soit remise en cause. Les amitiés et les amours de jeunesse ne s’oublient pas. Dans le cas de mes oncles et tantes et de mes parents, elles se cultivèrent jusqu’au terme de leurs existences.

Solidaires et soudés pendant la guerre et ils demeurèrent complices. Ils firent avec ceux de leur âge, la prospérité de la France au cours de ce qui fut appelé par la suite: « les Trente Glorieuses ». Lucette y prit sa part et c’est celle dont nous nous souviendrons.

Son histoire aujourd’hui s’achève. Elle n’est plus physiquement des nôtres. Forte d’une nombreuse descendance elle fut une mamie aimante que ses petits-enfants remercièrent en jetant des sucettes sur sa sépulture encore ouverte. Elle a fait son boulot! Bien, discrètement et honnêtement. Elle a aimé, elle a travaillé, elle a pleuré mais elle a aussi consolé, réconforté, tenu bon, fait sourire aussi !

Bref, c’est une femme de bien à laquelle nous songieons en ce jour de deuil! Qu’elle repose désormais en paix avec les siens.

Georges et Lucette à un mariage à Angers en 1963.

PS1 : Pour la période 1940, voir: – https://6bisruedemessine.wordpress.com/2013/03/28/de-fil-en-aiguille-vendeuse-en-mercerie-et-retoucheuse-chez-joudon-1940-1947/

PS2: Lucette vécut une grande partie de son enfance après le décès de son père, rue Chevreul. Or, Michel-Eugène Chevreul, qui était né en 1786 à Angers et mort en 1889 à Paris, était un grand chimiste français et comme peut-être elle aurait aimé être. Comme son père: un clin d’œil du destin!


Le moral est en baisse. La guerre menace et fait rage au sein de l’Europe. Les tyrannies prospèrent à travers le monde. Sur tous les continents, l’insécurité sévit. Aucune région, aucune contrée ne semblent épargnées.

En France, la drogue est distribuée jusqu’aux portes des écoles et pervertit la jeunesse. Les incivilités se multiplient. La violence impose sa loi, en l’occurrence celle du plus fort, celle du plus brutal dans un environnement où la vulgarité commerciale est généralisée, où l’inflation désormais croissante sinon galopante menace l’ordre social, et où la pauvreté augmente avec constance sur un bruit de fond d’inégalités accrues. Dans le même temps, les services publics les plus élémentaires, comme l’école ou la santé publique, « le patrimoine de ceux qui n’en ont pas » ne remplissent plus la mission que la Nation leur avait confiée au cours des décennies et des siècles précédents. La science elle-même perd pied face aux gourous de tous poils rendus crédibles par les réseaux sociaux.

Et la classe politique oublieuse des clauses et règles de la démocratie et tiraillée par les extrémismes de différentes obédiences, se chamaille sans réelle vision d’avenir, dans son médiocre pré carré en transformant le Parlement en un bruyant poulailler de braillards désorientés qui se contentent de tabler sur l’opportunisme des uns, sur la lassitude des autres ou sur la résignation de tous.

Face à ces événements qui sont, peu ou prou, présentés comme des fatalités épidémiques ou gangréneuses d’une société qui se fracture, une partie de la population, en particulier la plus jeune, parquée dans les banlieues urbaines en voie de décomposition sociale, est manipulée par d’habiles tartuffes enturbannés. Elle se réfugie alors massivement dans une forme d’irrationalité amalgamant religion et criminalité, qui dévaste les standards de la civilisation des Lumières, qui jusqu’à présent étaient la référence de notre contrat social depuis deux siècles.

Dans ce contexte un peu sombre, faut-il désespérer? Faut-il désespérer de Billancourt comme on disait jadis à la sortie des usines Renault disparues? Se trouve t-il encore des circonstances où les aléas de la vie offrent des occasions inattendues de se réjouir et de croire en une humanité dépourvue des expédients délétères qui l’embourbent dans la routine d’un quotidien devenu indéchiffrable? Il ne suffit plus en effet de défiler derrière des calicots préfabriqués des officines syndicales spécialisées et de ressasser notre fidélité aux utopies de notre jeunesse, pour attester de notre propre cohérence.

Mais quand frauduleusement la santé soudainement se dérobe, l’expérience de l’hôpital permet – a contrario de tous nos projets – de prendre un certain recul, de relativiser et peut être de s’accorder une seconde chance d’entrevoir le bout du tunnel au travers du bric-à-brac entartré, idéologique et étouffant qui l’encombre et dont nous nous accommodions jusqu’à maintenant, tant bien que mal! Paradoxalement, c’est en effet en ces lieux déconcertants que souffle la part d’humanité qui parfois nous faut défaut. Celle qui chemine en nous et se renforce lorsqu’on est confronté à de vraies épreuves. Celles que tous les bréviaires ou catéchismes font mine d’ignorer!

Cette part d’humanité aux accents trop souvent oubliés est celle d’un antique héritage, qui restaure la confiance comme un rai de lumière se glissant sous une porte. C’est celle qui émane, comme un air frais venu du fond des âges, des cavernes de nos lointains aïeux, où la condition de la survie de l’espèce exigeait qu’en premier lieu, on se reconnaisse mutuellement comme des hommes et des femmes à part entière, avant peut-être de s’étriper.

Cette singulière expérience, je l’ai vécue récemment et sans prétention, à l’hôpital Bichat- Claude Bernard au cœur de Paris. Sans prétention, car elle n’a nulle vocation à devenir une leçon de vie!

La réputation de ce grand hôpital de l’Assistance Publique, situé au nord de la capitale en limite de Saint-Ouen et à proximité immédiate du boulevard périphérique n’est certes plus à faire. Ses atouts sont nombreux et diversifiés. En tant que structure universitaire rattachée à l’Université Paris Cité, il accueille des milliers de malades chaque année mais il héberge aussi des unités de recherche INSERM. A ce titre, il joue un rôle important dans la formation des futurs médecins et dans l’évolution des connaissances médicales. Plusieurs de ses équipes figurent parmi les plus performantes du monde.

Mais, un hôpital n’est pas seulement un centre de recherches. Ni a fortiori un lieu de loisir ou un parc d’attraction, même si tout n’y est pas aussi glauque qu’on l’imagine. Tout ne se résume pas en une compétition inégale entre la vie et la mort. Si vérité, il y a, elle se trouve dans la nuance.

Par son architecture massive dans la partie dédiée à Bichat et pavillonnaire dans sa partie Claude Bernard, l’hôpital affiche sans ambiguïté son identité. Sa vocation est de soigner et si possible de guérir. Et elle se devine dès le franchissement du tourniquet du hall d’accueil au rez-de-chaussée de l’imposant bâtiment de quatorze étages où sont basés les laboratoires médicaux, les multiples plateaux techniques dédiés aux examens diagnostiques et thérapeutiques, et où sont disposées à chaque étage, de part et d’autre de couloirs encombrés de caddies d’infirmerie ou de nettoyage, les chambres et les lits d’hospitalisation. Une ruche à toute heure du jour et de la nuit! Ou presque.

En effet, le hall grouille en permanence de monde, de visiteurs en quête de leur malade, de patients déambulant devant les ascenseurs et de « blouses blanches infirmières » qui se dirigent vers la cafétaria pour effectuer une pause. Un peu à l’écart sur des bancs, face au guichet d’accueil tenu par des hôtesses souriantes mais impassibles, des chauffeurs de taxi conventionné par la Sécu attendent le client en se disputant quand une course en lointaine banlieue, promet d’être juteuse!

Parvenu aux étages supérieurs après plusieurs arrêts inopinés des cabines en raison de surcharges répétitives des ascenseurs, on aperçoit en contrebas de l’immeuble et au travers de larges baies vitrées verrouillées pour dissuader les suicides, la circulation incessante des voitures et des camions sur le boulevard périphérique.

Au petit matin, le trafic semble plus dense vers le sud sur la chaussée extérieure, alors que dans l’après-midi et le soir, la circulation s’intensifie dans l’autre sens.

Ce ballet automobile ininterrompu et silencieux du fait de l’isolation acoustique des vitrages, constitue en fait une distraction pour les « patients » du service qui sortent de leurs chambres pour l’observer. C’est ici, dans cet espace clos qui domine la ville, que les malades qui peuvent se déplacer, viennent commenter le trafic, faute de le faire à propos d’une actualité qu’ils ne suivent que distraitement sur les TV payantes. Ils s’y rendent comme on va au spectacle de boulevard, pour oublier quelque minutes, les contraintes, les tracas et les suggestions thérapeutiques ou diagnostiques, que leur impose leur pathologie.

Badauds désœuvrés dans ce bout de couloir aménagé en minuscule forum dédié au bavardage, ils savent qu’ils sont tous pensionnaires du même service et que par conséquent, ils souffrent tous des mêmes maux et supportent tant bien que mal des symptômes comparables. Certains portent des vêtements de nuit. D’autres plus coquets se présentent en habits de ville. Ce salon de discussion probablement improvisé et entériné par la force des habitudes et des cheminements, est désormais leur domaine. Garni, sans ostentation, de sièges défraichis peu ou prou dépareillés disposés autour de guéridons, il devient progressivement la destination incontournable de tous ceux qui manifestent leur intention de rompre l’isolement dans lequel leur maladie les enferme, et ainsi d’évacuer ensemble leurs craintes et leurs angoisses. Ils viennent là pour voler un peu de temps d’insouciance.

Certains en pyjamas ou en peignoirs poussent, devant eux, un pied à roulettes, solidaire d’une potence sur laquelle est suspendue une poche de perfusion. Des patients plus affectés que d’autres mais non moins empressés à « souffler » un peu hors du lit médicalisé, notamment les insuffisants pulmonaires hospitalisés dans le service de pneumologie du huitième étage, véhiculent derrière eux un petit chariot, sur lequel ils transportent péniblement leur réserve d’oxygène en bouteille.

En ces instants précis – qui s’apparentent au calme et à la sérénité de l’œil d’un cyclone avant la tornade – cette collectivité de circonstance, qui n’est ni de travail, ni de loisir, ni discriminante de telle ou telle communauté, se réunit au gré du hasard mais aussi d’une urgente et tacite nécessité, de s’abstraire d’un quotidien moralement éprouvant. Ce petit monde devient, par enchantement, amnésique de sa propre affection. Chacun s’oublie et oublie ce qui présentement s’oppose à sa santé, à sa sortie, en privilégiant la parole avec ses compagnons du moment – fusse un discours futile et dérisoire – sur leur légitime révolte d’avoir été injustement stigmatisé par le mauvais sort et par la maladie. La trêve de la mémoire des épreuves du jour ou de la nuit agit alors comme une thérapie ou comme un antalgique, tel un facteur favorable à une éventuelle guérison ou rémission.

En tout cas, personne de ceux qui attendent de conserve en regardant circuler les voitures ne prête vraiment attention à ces matériels de survie ou de soins qui suivent ou précèdent leurs compagnons de misère. Tous appartiennent désormais à la même famille des blessés de la vie. Les plus valides, compassionnels à l’égard des plus handicapés s’efforcent de dérouter les chariots qui entravent le passage. L’espace regorge en effet d’appareils paramédicaux divers, entreposés là, faute de place ailleurs.

Ingénument chacun se limite à observer avec un peu de malice que l’hôpital est toujours trop exigu pour répondre à la détresse humaine.

Peu importe au demeurant, car ici le temps ne s’égrène pas au rythme des horloges. La lenteur devient vertu et l’impatience un handicap.

Seul compte en fait le plaisir de croiser un interlocuteur attentif qui parle la même « langue » et d’échanger avec lui sur la pluie et le beau temps.

La maladie elle-même est invitée à la discrétion et à patienter, le temps au moins de nouer des amitiés spontanées, éphémères mais solides! Elle le doit bien à chacun. Et d’ailleurs, tous se prêtent volontiers à cette posture rassurante, y compris les personnels de service et les soignants de tous grades. Professionnels compréhensifs, ils s’effacent de ces rencontres de voisinage où la médecine devient contingente. Où la douleur est congédiée pour respirer sans y songer.

Tous savent néanmoins sans qu’il soit besoin de le rappeler que la mort rôde dans les lieux où l’on soigne, car le combat n’est jamais tout à fait régulier avec l’indicible. On frémit parfois sans qu’il soit nécessaire d’épiloguer que des infortunés qu’on a croisés brancardés et inconscients dans les ascenseurs, sont peut-être déjà « pris en charge » par une des officines de pompes funèbres qui se font concurrence tout près d’ici, avenue de la Porte de Saint-Ouen.

On n’ignore pas enfin que la vie et la mort sont étroitement imbriqués. Pour autant, on passe outre en ces moments privilégiés où les regards se croisent sur le palier, le nez collé aux vitres surplombant le périphérique. Chacun se convainc que la peur de mourir n’évite pas le danger et qu’en tout état de cause, ce n’est pas un motif pour s’abstenir de vivre. Et même, de vivre comme des humains ordinaires, avides de projets bien que calés dans de vieux fauteuils d’un salon d’hôpital.

Même le brouillard des petits matins blafards peut, en ces lieux, être une source d’émerveillement, alors même qu’il floute le paysage, masquant les façades de la proche banlieue et dans le lointain, les pylônes porteurs de la toiture du Stade de France. Tout intéresse dès qu’on n’a rien d’autre à faire et qu’on se déclare disponible. C’est sûrement avec ce regard neuf d’un spectacle qui nous aurait désolés jadis, que l’hôpital nous libère de la rigueur de notre condition présente de malade pour retrouver durant quelques minutes, celle d’un être humain, spectateur momentanément figé d’un monde en mouvement perpétuel.

Mais le plus étonnant et certainement le plus émouvant ne réside pas seulement dans la contemplation extatique d’une nature parfois défigurée par la main de l’homme. Le plus remarquable se trouve au sein même de ce salon du bout du couloir. Un univers étrange et furtif qui s’est progressivement constitué et dans lequel chacun se rend pour échanger avec ses semblables. Personne n’ignore pas que la pathologie respiratoire ou cardiaque dont il est affligé, le ronge, mais bercé de nouvelles certitudes sur la nature humaine, il consent spontanément à se livrer nu au regard des autres. Il abandonne sans regret le statut social qui faisait hier sa fierté et qui attestait de sa différence. Il se dépouille de l’illusion d’une prétendue supériorité en pénétrant dans le cercle. Quelqu’un qui souffre dans sa chair ressemble comme un frère à un autre.

Et c’est précisément là que se produit le miracle. Le partage de la misère physique et morale place sur le même plan, l’officier de marine en retraite, le cadre supérieur de l’industrie, l’ouvrière affectée d’une fibrose pulmonaire pour avoir nettoyé des sanitaires avec de la silice, ou encore la mère de famille magrébine qui crache ses poumons sans trop savoir pourquoi!

Il n’y a finalement que des malades qui viennent causer de tout, sauf de la maladie. Ou si peu! Juste un peu quand il devient impossible d’échapper à l’évocation de leur destin commun et que les symptômes, la nostalgie d’un passé heureux ou simplement la douleur prennent le dessus. Hormis les moments où la souffrance surgit au milieu du cénacle, rompant brutalement le charme collectif d’une humanité qui se découvre avec bienveillance, l’unicité de la condition humaine s’impose à tous les présents.

Cette prise de conscience partagée et gratuite réconforte. Personne, au fond, ne l’ignorait, mais tous l’avaient oubliée de longue date, dans le brouhaha des multiples formes d’égoïsmes et d’inégalités auxquels on souscrivait auparavant en se les imaginant nécessaires pour survivre individuellement.

Par un étrange retour des choses, l’hôpital, nous rend plus attentif et tolérant, plus altruiste, et plus compréhensif de la souffrance des autres. Car la leur ou la nôtre sont de même nature. Et face aux enjeux essentiels de la vie et de la mort, les différences entre nous, sont infimes.

Les personnels soignants ne sont pas à la traine de ce souffle d’humanité. Ils en sont même pleinement partie prenante et les instigateurs.

Professionnels dans l’exercice de la médecine, ils font face à la vocation primordiale de l’hôpital, à savoir les soins! L’expérience montre qu’ils ont toujours été assurés, avec talent et compréhension par l’ensemble des personnels, du bas de l’échelle hiérarchique jusqu’au chefs de service. toujours attentifs au sort ou aux vagues à l’âme des malades en proie parfois au doute, mais jamais intrusifs.

Le malade demeure un humain à part entière. Il n’est pas que le patient anonyme de la chambre 12 souffrant d’une fibrose ou d’un emphysème. Et à cet égard, l’hôpital Bichat est exemplaire, nouant avec le malade, non une intimité surfaite, mais des relations de confiance et de respect réciproques, propres à faciliter la guérison.

Les exemples ne manquent pas, où un médecin par ailleurs surchargé, n’hésite pas à abandonner le stéthoscope pour entendre la détresse d’un malade, pour lui remonter le moral, voire « les bretelles » et pour combattre ainsi sa lassitude de survivre, diminué.

On comprend mieux, dans ce contexte, les applaudissements adressés aux personnels soignants chaque soir pendant la phase aigue de la COVID. A l’époque, on souscrivait sans réserve et même sans discussion à ces initiatives retransmises à la télévision. Mais on approuvait un peu comme on s’acquitte d’un solde de tout compte à l’égard d’un créancier. Sans s’y investir avec les tripes. L’analyse rationnelle – indispensable pour agir – ne laissait cependant que peu de place à l’émotion. Les deux doivent pourtant cohabiter. La solidarité active et formelle avec des travailleurs accablés de tâches est une exigence, mais une exigence insuffisante si elle ne s’accompagne d’un sentiment de reconnaissance validée par un frisson du cœur.

En les évaluant presque exclusivement à la hauteur de leur compétence et du respect de leurs obligations statutaires, les acteurs politiques commirent une faute. Surtout lorsqu’ils les réduisirent maladroitement au statut de « premiers de cordée » ou de combattants de première ou seconde ligne. Si bien sûr, on leur doit des contreparties d’ordre social, ils souhaitent plus globalement, qu’on les aime pour l’attention qu’ils portent à leurs patients, pour leur disponibilité et pour leur générosité.

Personne n’a en effet suspecté qu’à côté de leur engagement professionnel, leur vocation était d’abord humanitaire! C’est ce qui donne aussi un souffle d’humanité et de bienveillance à l’hôpital. C’est ce qui permet de vivre quand la santé fait défaut!

Et finalement! Comme ça va? Bien Merci... Surtout dans la tête en attendant la suite….

Sans cultiver une sorte d’angélisme béat hors de propos dans un contexte général plutôt sombre, un peu d’optimisme et de douceur dans les relations humaines, ça compte aussi pour le moral …

Le dévouement altruiste qui n’est pas la charité, ça existe aussi: je l’ai rencontré.

Vue du salon des pas perdus du service de pneumologie de l’hôpital Bichat

A contrario de toutes les autres disciplines scientifiques, la climatologie moderne est passée du statut de théorie à celui de bréviaire où le doute n’est plus toléré et tout questionnement méthodique banni, sous peine d’encourir l’accusation suprême et infamante de « complotiste ». Pire! De climatosceptique!

Ainsi, le réchauffement de la Terre est désormais un dogme et tout événement météorologique, de quelque nature que ce soit et où qu’il se produise, doit être interprété à l’aune de cette théologie, comme une confirmation. Il n’y a guère que la tectonique des plaques à l’origine des séismes et le volcanisme qui échappent « encore » à cette « révélation unificatrice du Grand Tout de la Nature ».

De la sorte, s’il est admis que la théorie de la gravitation universelle d’Einstein puisse être remise en cause après la déroute épistémologique de celle de Newton, et qu’en outre, rien ne saurait demeurer figé dans le marbre d’intangibles connaissances universelles, le réchauffement climatique et surtout son imputation androgène ne sont en rien discutables.

Il en découle que le froid que l’on observe, ici et maintenant, n’est jamais qu’une preuve supplémentaire d’un réchauffement global. Seuls les ignorants y voient un soupçon de paradoxe. D’ailleurs, les commentateurs météo ne se privent pas de souligner, chaque fois qu’ils le peuvent, qu’une séquence climatique où on se les caille fait exception par rapport au reste du monde où le réchauffement grignote sans relâche, en multipliant les épisodes caniculaires beaucoup plus représentatifs de l’état climatique de notre planète. Et si cette mise en garde ne suffit pas, il est toujours possible de faire appel à la sécheresse qui transforme nos rivières en des oueds asséchés de contrées semi-désertiques et de brandir la menace d’une pénurie endémique d’eau au cours de l’été prochain, qui contraindrait les préfets à réglementer l’arrosage de nos potagers bio et l’usage des chasses d’eau dans les HLM ainsi qu’à surveiller les piscines privées avec des drones.

Les « vrais » hivers de nos enfances n’existeraient donc plus autrement que comme les supports virtuels de notre nostalgie d’un passé définitivement révolu.

Dans ce contexte, l’hiver de cette année 2023 qui apparait plus rigoureux que d’habitude sous nos latitudes, ne serait qu’une parenthèse froide et locale dans un environnement climatique global en danger imminent de surchauffe! Haro donc sur tous les frileux qui s’obstinent à faire confiance aux thermomètres pendus à leur fenêtre, car ce qui importe, ce ne serait pas tant ce qui nous fait frissonner mais ce que prévoient les modèles météorologiques et les algorithmes à ambition planétaire. Et que confirment d’ailleurs les cartes satellitaires aux allures de poumons fibrosés, que seuls les spécialistes savent décrypter et faire parler!

L’hiver « ressenti », surtout s’il nous apparait glacial au travers de nos moufles, ne serait en fait qu’une illusion trompeuse de nos sens, voire un épiphénomène isolé et non représentatif d’une tendance globale à l’échauffement! Tendance désormais élevée au rang de révélation évangélique par les éminents experts de la papauté climatique réunis au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Leur infaillibilité n’est plus une hypothèse mais un fait avéré.

Pour cet aréopage de savants prophètes et putatifs sauveurs de la Terre, de l’humanité et même du « vivant » dans son ensemble, cette montée globale des températures irait de pair avec celle des eaux océaniques dont elle serait la cause. Elle serait d’ores et déjà inéluctable et dévastatrice. Sauf peut-être à battre collectivement et individuellement notre couple et à obéir sans broncher aux multiples injonctions liberticides dictées par notre inconduite passée, la descente aux enfers serait irréversible.

A l’appui de ce sombre pronostic, des cohortes de philanthropes académiques flanquées de jeunes ados hallucinées et probablement manipulées, exhibent des milliers d’études « scientifiques » qui enchainent les prévisions cataclysmiques, tantôt sur la fonte des neiges éternelles et des calottes glacières, tantôt sur la montée des eaux, tantôt encore sur la disparition de nombreuses espèces vivantes, prélude à une nouvelle et « sixième » extinction et même sur la multiplication des embrasements criminels des forêts. Seuls les virus et les bactéries tireraient leur épingle du jeu de ce bouleversement planétaire!

Après plus de quatre milliards d’années d’existence, la terre subirait donc un dérèglement quasi inéluctable et exceptionnel de ses subtils équilibres naturels, du fait des excès criminels d’une seule des espèces vivantes y ayant élu domicile, à savoir l’humanité. C’est tout juste si note insouciance condamnable d’émetteurs forcenés de gaz à effet de serre ne modifierait pas l’orbite de la Terre autour du soleil et n’inclinerait pas défavorablement son axe sur le plan de l’écliptique.

Bref, dorénavant on ne plaisante plus! Il faut se soumettre pour ne pas disparaitre! Tel est l’enjeu qu’on nous propose sous le vocable générique de transition écologique, voire énergétique et de recours systématique à la sobriété et à la tempérance. Bref, il nous faut renoncer, de gré ou de force, à ce qui caractérisait jadis une grande partie de notre qualité de vie et avec elle, notre joie de vivre. Une nouvelle fois, on nous chasse du Jardin d’Eden pour avoir croqué trop goulument une pomme génétiquement modifiée élevée aux pesticides.

Nous sommes donc fermement invités à accorder exclusivement notre confiance aux intelligences artificielles qui désormais prennent le relai de nos cerveaux embrumés pour prédire l’évolution de masses d’air, des températures et des précipitations. Et renoncer à nos propres sensations ou même aux mesures de nos antiques baromètres ou thermomètres.

Nos antiques instruments de mesure, à partir desquels nous basions depuis des siècles la métrologie du quotidien – celle de proximité – par l’observation de notre propre jardin ou du clocher de notre village, doivent non seulement être remisés et désormais regardés comme suspects, mais même carrément bannis ainsi que les dictons qui allaient de pair, du type  » Noël au tison, Pâques au balcon » ou encore « S’il pleut à la Saint-Médard, il pleut quarante jours plus tard, à moins que Saint-Barnabé ne lui coupe l’herbe sous le pied »!

A quoi bon en effet persister à honorer ces niaiseries à connotation identitaire, alors que l’heure est au métissage des cultures et à la délocalisation des sensations et des impressions, dans le temps comme dans l’espace? A quoi bon, alors que le passé, le présent et le futur, comme la réalité et le virtuel se confondent et s’amalgament dans l’univers numérique, conférant à ce qui se passe aux antipodes autant d’importance qu’aux événements survenant au seuil de notre maison? .

Face à ce dérèglement complet de nos sensations climatiques, il ne reste plus guère que nos souvenirs d’enfance pour représenter une réalité hivernale qui ne se limite pas au cartes météo de nos téléviseurs avant le Journal de Vingt Heures! Ces pauvres souvenirs d’une époque où l’on s’apitoyait du sort des animaux errants par les nuits glaciales et que pour se chauffer, il fallait bourrer la cuisinière de la cuisine, de boulets de charbon entreposés en tas au fond du jardin.

Ainsi ce n’est pas sans une certaine mélancolie de ce monde disparu – vérité prosaïque de jadis – qu’on se remémore cet hiver 1962-1963 – il y a soixante ans – où en Anjou comme un peu partout en France, un froid quasi polaire survint, dès le début janvier. La Maine à Angers puis la Loire dans sa traversée de l’Anjou charrièrent des blocs de glace puis se figèrent. Les vieux, la génération de nos grands-parents, celle des poilus de 14-18 disaient n’avoir jamais vécu auparavant d’hiver aussi rigoureux, même dans les tranchées.

Le froid était arrivé dès la mi-novembre 1962 et s’était prolongé jusqu’au début mars 1963. Sur les côtes atlantiques proches de l’estuaire de la Loire, on notait des températures inférieures à -10 °C.

De surcroît, après une première vague, le froid s’était amplifié en janvier atteignant une intensité hors norme avec des températures ambiantes de vingt degrés en dessous de zéro.

Le dimanche, on partait en famille sur les bords de Maine ou de la Loire Angevine pour se régaler de ce spectacle polaire. Et on traversait le fleuve à « pieds secs » très en amont de Saint-Mathurin jusqu’aux Ponts-de-Cé et au-delà!

Sur le pont franchissant la Loire à Saint-Mathurin

La Maine à Angers

Du haut de leur chaire, les « experts » dirent par la suite que cet hiver fut probablement le plus froid jamais connu auparavant. On le savait d’instinct, comme les animaux sauvages qui moururent en grand nombre faute de nourriture sur les terres gelées.

On respirait alors à pleins poumons l’air glacial venu d’Europe centrale, sans prendre conscience alors de notre bonheur de vivre! Mais les temps ont changé. On ne reconnait plus l’hiver qui n’est plus l’hiver mais est devenu le prélude virtuel à la canicule.

D’Europe Centrale, ce sont désormais les bruits de la guerre qui nous glacent le sang et non le froid! Quant à nos poumons, ils s’époumonent! Et notre inspiration s’épuise.

Quelle chance nous avons eue de connaitre l’hiver dépouillé d’algorithme!

___

Clin d’œil

Il y a quatre-vingt seize ans tout juste, le jeudi 6 janvier 1927, naissait au 20 rue Desmazières à Angers, un de mes deux oncles maternels, Georges Turbelier (1927-2009), cadet d’une fratrie de trois enfants. Deux prénoms supplémentaires lui furent attribués – comme il était d’usage en ce temps là – d’une part Alexis en hommage à son grand-père paternel et probablement aussi, au frère de son père, « mort pour la France » en 1918 sur le front de la Somme et d’autre part, Louis le prénom de son père.

Les souvenirs abondent de cet homme bienveillant, chaleureux et joyeux, qu’on ne pouvait pas ne pas aimer. Un seul parmi mille me vient à l’esprit à l’instant où je rédige ces quelques lignes: une longue lettre qu’il m’adressa pour me féliciter lorsque j’obtins mon baccalauréat en 1967… Outre mes parents, il fut l’un des rares des générations qui me précédaient à marquer l’événement. Un événement qui n’était alors pas aussi banal ou banalisé qu’aujourd’hui dans les couches populaires.

Disons qu’à la différence des temps actuels, le bac était jadis perçu comme un facteur d’ascension sociale. Il n’était pas attribué pour solde de tout compte comme une simple attestation de fin de cycle secondaire avant de pointer au chômage après avoir mendié sans succès une inscription souhaitée à l’université!

Georges ne fut cependant pas le seul à « marquer le coup », car deux des sœurs célibataires de mon défunt grand-père maternel, deux talentueuses couturières à façon qui vivaient dans une sorte d’entresol du quartier de la Madeleine à Angers m’offrirent un paquet de Gauloises et un apéro sur le plateau de leurs machines à coudre!

J’ai fumé les cigarettes. Digéré depuis longtemps l’apéro. Mais je conserve, comme un bien précieux, la lettre, les vœux et les encouragements formés à mon endroit par  » Tonton Jojo »!

Il est présent sur la photographie de famille ci-dessous – homme avec moustache – prise au début des années 60 au 6 bis rue de Messine à Angers, avec sa mère née Adrienne Venault (1894-1973), son frère ainé, Albert né en 1925 et sa sœur Adrienne (1923-2018) ainsi que leurs conjoints et tous les enfants.

La moitié des présents n’est plus des nôtres, à ce jour

Georges est décédé le 24 octobre 2009 à Saint-Herblain en Loire-Atlantique.

Vœux 2023

Au premier janvier, la tradition veut que l’on formule des vœux pour l’année nouvelle. Lesquels sont parfois assortis de bonnes résolutions qu’on oublie généralement dès le lendemain, sauf lorsqu’il s’agit de « bonnes intentions » assimilables à des pétitions de principes, répétées inlassablement chaque année et systématiquement reportées aux calendes grecques. C’est le cas en particulier des mesures à prendre pour « sauver une planète » qui d’ailleurs n’en demande pas tant! Mais c’est aussi le cas, à titre individuel, des fumeurs qui, pressentant que leur souffle leur échappe, annoncent leur décision d’arrêter de « cloper ».

Il est également d’usage que les responsables politiques, s’adressent solennellement à leurs concitoyens en s’efforçant de les convaincre non seulement de la justesse de leur gouvernance, mais aussi pour les informer que, grâce à leur dévouement à la chose publique, l’avenir est assuré. Non sans surprise, on apprend à cette occasion que la situation générale du pays, préoccupante hier, serait sur la voie du redressement et qu’en tout état de cause, telles de bonnes fées, nos élus veillent au grain pour garantir la sécurité et la paix!

Les vœux du Président de la République française diffusés rituellement sur tous les médias en France Métropolitaine et en Outremer à vingt heures précises le soir du réveillon, n’échappent pas à cette figure imposée. A quelques détails près, compte tenu du contexte géopolitique et des difficultés du moment, ils ne dérogent, d’une année sur l’autre, ni sur le fond, ni sur la forme aux exercices habituels.

Cette année, à l’exemple de tous ses prédécesseurs et dans la continuité de ses propres interventions, l’actuel locataire de l’Elysée, se montra plutôt satisfait de lui-même ainsi que de l’action de son gouvernement. Comme à l’accoutumée, il chercha à apparaitre comme le père de la Nation, plus protecteur et plus déterminé que jamais à préserver l’unité de ses ouailles et à maintenir l’ordre public républicain… Plus que jamais, il a estimé que son engagement sans faille à la cause nationale relayée par l’Europe, a permis de surmonter, bien mieux que partout ailleurs, les périls et les crises épidémiques, énergétiques, climatiques, qui menacent la cohésion nationale. Quel bol on a ce 31 décembre!

Comme à l’accoutumée aussi, les parlementaires de son camp politique ont applaudi sa prestation en soulignant au passage l’extrême lucidité et clairvoyance du chef de l’Etat, tandis que ses oppositions unanimes ont trouvé que ce discours était très insuffisant, qu’il n’offrait aucune perspective crédible et donc, qu’il n’était pas à la mesure des enjeux auxquels le pays était confronté. Les plus virulents allant même jusqu’à l’accuser de duplicité!

Donc acte. Une fois de plus on mesure qu’il n’est pas simple de contenter tout le monde et son frère, d’autant – comme le disait le regretté Pierre Dac (1893-1975) que « les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir ».

Pour ma part, c’est le décor qui m’a surtout intéressé, considérant – sans doute à tort – que ce dernier en dit sûrement autant sur les intentions élyséennes que les propos antalgiques tenus, dont je ne doute pas qu’ils soient pétris de bienveillance à l’égard des citoyens.

Comme l’aurait dit jadis ma grand-mère, l’homme ne semble pas avoir la tête d’un mauvais « gâs »!

En revanche, à la différence par exemple d’un François Mitterrand qui aimait s’entourer des ors de la République et donner à ses prises de parole officielles une apparence monarchique – et ce, probablement pour ancrer son propos dans l’histoire millénaire et capétienne de la France – Emmanuel Macron, plus « techno » que le vieux routier de la quatrième République a préféré adopter un profil d’énarque, chef de bureau au ministère des finances. Outre les drapeaux de rigueur quelles que soient les époques, l’actuel président intervient devant des rayonnages blancs -style IKEA amélioré mais sobre – garnis de bouquins ordinaires, dont certains dans des collections de poche.

Le message est clair: il s’agit certainement de montrer que l’hôte de l’Elysée est sur son lieu de travail et que c’est un espace fonctionnel dépourvu de fioritures inutiles. Affairé au service de la République, comme tout à chacun en charge de responsabilités éminentes, il « bosse » encore à quelques heures du réveillon, alors que d’autres, au même moment, extraient les huitres de leurs bourriches.

Je suis bien sûr conscient qu’écrivant cela, on me reprochera d’user d’une sorte d’humour caustique ou de persiflage plutôt malvenus en ces circonstances. Et qu’on me demandera ce que seraient mes vœux « urbi et orbi » si j’étais président de la République. Je répondrais d’abord que, n’étant pas en situation, mais simplement citoyen et contribuable, il m’est difficile d’imaginer ce qu’il faudrait dire si j’étais en fonction sur un emploi que je n’ai pas sollicité.

Néanmoins, m’adressant à l’ensemble de la Nation, je veillerais à ne pas oublier qu’une partie seulement du corps électoral m’a élu, par défaut, pour éviter le pire.

Je devrais me souvenir alors qu’une minorité a adhéré à mon programme électoral. Que celui-ci n’a donc pas été formellement adopté par la Nation, mais simplement entériné de manière quasi procédurale dans le sillage d’une élection présidentielle où l’enjeu principal était d’éviter l’accès des extrêmes au pouvoir. Je m’efforcerais en outre d’intégrer l’idée que ma réélection n’a pas débouché sur une majorité parlementaire cohérente en ma faveur.

Enfin s’agissant de vœux destinés par hypothèse à dessiner un avenir possible et surtout souhaitable, au-delà de toute considération politicienne conjoncturelle ou de gestion administrative et comptable, je chercherais à leur donner un peu de souffle et de perspective. Et c’est d’ailleurs dans cet esprit que le seul vœu que je formulerais à titre d’orientation prioritaire, serait la restauration, partout dans le monde, des Droits de l’Homme. A cet effet, je m’engagerais explicitement à promouvoir, par mes propos et par mes actes, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948. Et ce, lors de toutes les conférences internationales auxquelles je participerais es qualité.

La France pionnière en la matière depuis la Révolution Française (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789) ainsi que par son rôle d’initiatrice importante, après guerre, de la Déclaration universelle de l’ONU a, en effet, le devoir moral de rappeler sans relâche au monde l’ensemble des droits fondamentaux dont doivent jouir à égalité les femmes et les hommes.

Parmi lesquels, l’égalité des sexes, si malmenée dans certains Etats confessionnels, la liberté d’opinion, celle aussi d’une presse indépendante des pouvoirs en place, le respect de la démocratie, la liberté de croire ou de ne pas croire, le droit à l’éducation et celui de bénéficier d’une protection sociale et sanitaire digne et ouverte à tous, etc.

Le Président de la République française serait parfaitement légitime, à l’occasion de ses vœux à la Nation, pour rappeler l’urgence de mettre en application l’ensemble de ces droits fondamentaux en soulignant que le principal facteur de troubles, de désordres de tous ordres, notamment des guerres qui endeuillent le monde, est précisément imputable à leur transgression systématique.

Nombre d’Etats membres de l’ONU doivent à cet égard être dénoncés sans concession, qui bafouent cyniquement les droits humains ou les instrumentalisent en les détournant abusivement de leur objet. Parmi ces Etats voyous, on compte de nos jours, la Russie de Poutine agresseur de l’Ukraine en violation du droit international, la Chine dictatoriale de Xi Jinping, qui se livre au génocide de certaines minorités ethniques ou religieuses, et des théocraties comme l’Iran, l’Arabie Saoudite ou pire encore l’Afghanistan où les talibans, authentiques fous furieux et criminels au pouvoir, dénient pratiquement tout droit aux femmes en s’appuyant sur la passivité internationale..

Puisse 2023, inverser ces tendances mortifères et indignes de la famille humaine! C’est en tout cas, une des missions historiques du « patron » que de tenter d’y contribuer.

Bonne année 2023

Que cette année à haut risque, soit, malgré et en dépit de tout, douce, paisible et légère à tous, aux grands comme aux petits, aux pauvres comme aux riches. Et qu’elle soit ponctuée de multiples petits ou grands bonheurs à consommer sans modération même en période de sobriété imposée.

 » Qu’y a-t-il au nord du pôle Nord » La question peut en effet se poser surtout en cette période de fêtes de fin d’année. Ne dit-on pas que la résidence du Père Noël se situe précisément au pôle Nord? Cette question n’est donc pas a priori absurde mais elle suppose quand même de revoir la définition du pôle Nord, situé à l’intersection de l’axe de rotation de la Terre avec la surface de l’hémisphère nord. Tous les méridiens y convergent. Par conception, ce lieu est par conséquent le plus septentrional de la Terre et ne peut en principe avoir un concurrent plus au nord. Sauf évidemment si l’on élargit la sphère terrestre de référence à l’espace galactique en déportant par exemple le zéro degré de latitude nord au niveau de l’étoile polaire qui deviendrait alors un nouveau pôle « Nord ».

Cette mutation pourrait s’imaginer dans la mesure où l’étoile polaire se trouve à peu près sur l’axe de rotation de la terre et qu’elle appartient à la constellation de la Petite Ourse. Ca tomberait presque bien au moment où le Père Noël dépose des milliers d’ours en peluche dans les chaussons des petits enfants !

L’inconvénient de cette option, c’est que la latitude qui, associée à la longitude, est une coordonnée géographique permettant de se repérer sur terre. Elle perdrait beaucoup de son intérêt et même de sa raison d’être si on l’étendait à l’espace céleste. Par ailleurs, la question initiale qui était de savoir ce qu’il y a au nord du pôle nord demeurerait aussi prégnante. Sauf évidemment à « inventer » deux pôles Nord, l’un terrestre et l’autre céleste!

Dans ces conditions l’étoile polaire se retrouverait effectivement au nord du pôle nord terrestre. En revanche, pour le père Noël censé ne distribuer de jouets que sur le plancher des vaches, il ne serait jamais au nord du pôle nord, sauf à l’instant furtif du décollage de son traineau! A peine aurait-il pris son envol qu’il serait déjà au sud! Rotondité de la terre oblige!

Il résulte de ce qui précède qu’il vaut mieux admettre qu’ en l’état actuel de notre représentation géographique du monde, la question du nord du pôle nord est sans objet!

Dans ces conditions, cette question qui flirte avec le non-sens ou l’absurde, mérite t’elle d’être posée? La réponse est positive. Et ce, en vertu du principe qui postule « qu’un train peut toujours en cacher un autre », autrement dit, qu’une interrogation même contre-intuitive ou décalée peut être cohérente dans un autre référentiel de pensée.

Nombreuses en effet sont ces interrogations qui ne trouvent pas de réponse immédiate ou semblent dépourvues de sens. Soit parce que leur formulation défie la logique formelle du moment, soit parce qu’elles ouvrent la voie aux délires les plus fantasmagoriques et aux aventures intellectuelles, voire idéologiques ou métaphysiques les plus hasardeuses. Pour autant, aussi incongrues et insolubles soient elles, elles recèlent presque toujours une part de vérité cachée propre à favoriser l’évolution des connaissances.

Certaines concernent des notions qui nous sont familières, comme, par exemple, le « temps qui passe » !

Chaque jour, on en mesure les effets, y compris ceux destructeurs qui nous accablent. Au cours des âges, on n’a d’ailleurs cessé de multiplier les observations astronomiques qui, attestant du passage régulier des planètes dans le ciel nocturne, portent témoignage de l’écoulement du temps. On a aussi inventé des instruments de plus en plus performants pour piéger le temps, depuis les clepsydres ou sabliers d’antan jusqu’aux modernes horloges atomiques ou autres montres connectées. Et ainsi on s’est donné l’illusion d’en être maitre, jusqu’au jour où, face à son miroir, on a pris conscience comme Jacques Brel qu’on était devenu « un soir d’été » sans jamais l’avoir domestiqué. Le résultat, c’est qu’en dépit de tous ces déploiements technologiques et d’intelligence, on ignore toujours presque tout de la quintessence du temps.

Légions sont pourtant ceux, scientifiques, philosophes, poètes ou écrivains qui, au cours des siècles, se sont attelés à la résolution de cette énigme sur la nature du temps. En vain! A sa manière, Marcel Proust (1871-1922) dont on vient de commémorer le centenaire de la disparition, y a consacré l’essentiel de son œuvre dans sa « Recherche du temps perdu ». Sans succès sur l’essentiel, il a néanmoins produit un des plus beaux joyaux de la littérature française.

Le penseur et théologien chrétien Augustin d’Hippone (354-430) – Saint Augustin pour les dévots – a donné, lui aussi, une éblouissante définition du temps qui conserve toute sa force plus d’un millénaire et demi plus tard. Sa thèse était que le temps est un concept éphémère et immatériel qui ne s’incarne qu’au présent et qui n’existe que dans la conscience de l’homme. De la sorte, il reformulait brillamment une préoccupation qui concerne tout être humain mais sans évidemment aboutir à l’essence même du temps. Ainsi dans le Livre XI de ses Confessions, il écrit:

 » Qu’est-ce donc que le temps ?

Si personne ne me le demande, je le sais. Si on me le demande et que je veux l’expliquer, je ne sais plus. Pourtant, je suis sûr de savoir que si rien ne passait, il n’y aurait pas de temps passé, et que si rien n’advenait, il n’y aurait pas de temps futur et que si rien n’était, il n’y aurait pas de temps présent. Mais ces deux temps, passé et futur, comment sont-ils puisque le passé n’est plus et que le futur n’est pas encore ?

Et le présent, s’il était toujours présent, s’il ne passait pas dans le passé, il ne serait plus un temps mais l’éternité. Si donc le présent, pour être du temps, ne devient tel qu’en passant au passé, comment dire qu’il est, puisqu’il est de n’être plus? Nous ne pouvons dire vraiment que le temps est parce qu’il tend à ne pas être...

Enfin, si le futur et le passé sont, je veux savoir où ils sont. Si je ne le puis, je sais du moins que, où qu’ils soient, ils n’y sont pas en tant que choses futures ou passées, mais sont choses présentes. »

Albert Einstein (1879-1955) s’est, lui aussi, intéressé à l’histoire du temps, mais à la différence de tous ses prédécesseurs, il l’a abordé en l’intégrant dans une relation complexe avec l’espace! Et par là, il remit en cause ce qui semblait auparavant relever d’une évidence, à savoir le caractère absolu et autonome du temps, qu’Isaac Newton (1642-1727) avait posé d’emblée dans sa théorie de la gravitation universelle. Il fallait oser car contredire ce que chacun croit observer quotidiennement depuis toujours, est une gageure! D’autant plus que dans la foulée, le jeune savant qu’il était à l’époque, refusait l’existence de la simultanéité de deux événements distants.

Ces révolutions conceptuelles constituèrent d’ailleurs le sujet central de « la relativité restreinte » puis de « la relativité générale » rendues publiques en 1905 et en 1915. Ces deux théories, monuments inégalés de la physique fondamentale du siècle dernier, ont totalement bouleversé les notions d’espace et de temps, en reformulant la théorie de la gravitation universelle d’Isaac Newton, qui pourtant expliquait, à deux ou trois détails près, le cycle des planètes du système solaire.

Mais pour Einstein, qui en 1902 était employé du bureau des brevets de Berne en Suisse, aucune question n’était tabou, dès lors qu’elle était susceptible d’apporter une pièce supplémentaire au puzzle de compréhension d’un monde manifestement imaginé par la Nature pour défier notre intelligence. Aucune interrogation n’était tabou, y compris lorsqu’elle égratignait les plus grands scientifiques d’antan et conduisait de facto à bousculer des édifices théoriques ayant de longue date, montré leur efficience. Pour lui en outre, aucune théorie n’était dépositaire d’une vérité absolue et intangible.

Ainsi, selon la relativité générale d’Einstein, l’attraction entre des objets massifs, imputée par Newton à une étrange force de gravitation, ne serait due qu’à une déformation par ces masses, de l’espace et du temps devenus indissociables. Un peu à la manière dont une boule de pétanque posée sur un drap tendu creuse cet espace bidimensionnel et attire les petites billes présentes à la surface du tissu! Il s’agissait là d’une approche totalement inédite du fait de sa nature géométrique qui infirmait et rendait caduque celle de Newton. Avec insolence, Einstein s’engouffrait dans le vide ontologique et probablement « délibéré » laissé par Newton qui, en panne d’explication deux siècles auparavant, reconnaissait ignorer la nature de cette « force » à l’origine du mouvement des planètes.

Cependant si les théories de la relativité d’Einstein ont montré leur justesse et leur capacité prédictive dans de multiples occasions, elles n’ont pas pour autant élucidé le mystère du temps, auquel il convient désormais d’ajouter celui de l’espace. Et elles n’expliquent pas non plus notre perception sélective du temps et de l’espace, qui permet dans un cas, celui de l’espace tridimensionnel, d’effectuer des allers et des retours, et l’interdit dans l’autre, temporel, où l’on doit s’accommoder (à notre grand dam) d’un parcours dans un seul et même sens, qu’on appelle le vieillissement!

Parmi les autres énigmes non résolues figure celle de l’infinitude de l’univers, de son commencement et de ce qui le précédait. Si la théorie du Big Bang décrit à peu près bien la genèse des galaxies, des étoiles et la formation des atomes, depuis les premiers milliardièmes de seconde après l’hypothétique instant « zéro » jusqu’à maintenant, près de quatorze milliards d’années plus tard, cet instant « zéro » lui-même n’est en fait qu’une singularité mathématique inexplicable, résultant des équations d’Einstein extrapolées à l’origine. Le mystère subsiste également de la formidable force d’expansion – inflation en termes savants – qui s’ensuivit, et de son accélération « actuelle » attribuée à une « énergie et à une matière noires » prédominantes dans l’Univers, mais dont la nature demeure inconnue.

Aussi importantes soient elles, ces énigmes sont loin d’être les seuls problèmes en suspens, que la science s’efforce de résoudre pour satisfaire son ambition de débusquer les lois de la Nature et décrire « le réel ». Beaucoup d’autres sont irrésolues. Certaines d’entre elles faisant même parfois douter de la « réalité du réel » ou de « la nature intrinsèque » du monde.

A cet égard, la physique quantique, celle de l’infiniment petit qui fut conceptualisée et interprétée au cours du premier quart du siècle dernier, est également une théorie déroutante. Elle avance, entre autres l’idée déconcertante que toute matière est « duale », et qu’en fonction des circonstances et des observateurs, elle peut s’incarner soit dans une onde, c’est-à-dire dans une vibration immatérielle, soit dans un corpuscule matériel. Disons pour simplifier que tout pourrait être à la fois quelque chose ou rien!

L’étrangeté de cette affirmation relative au caractère intrinsèque de la matière est amplifiée par une autre propriété tout aussi paradoxale, « l’intrication quantique ». Selon cette dernière, deux particules ayant initialement la même histoire, en raison par exemple de leur apparition au sein d’un même atome », sont indissolublement liées par la suite, quelle que soit la distance qui les sépare. Cette caractéristique déstabilisante a été vérifiée expérimentalement par un physicien français Alain Aspect dans les années quatre-vingt du siècle dernier. Et pour ce motif, il s’est vu décerner le prix Nobel de Physique en 2022.

L’univers du vivant n’a pas échappé aux révolutions conceptuelles prenant à contre-pied les idées couramment admises. C’est le cas de la théorie de l’évolution des espèces énoncée par Charles Darwin (1809-1882) qui contredit le discours biblique de la genèse. La controverse qui s’ensuivit se poursuit d’ailleurs aujourd’hui dans les cercles obscurantistes de toutes obédiences religieuses qui se cramponnent à la lettre de textes prétendument sacrés.

Louis Pasteur (1822-1895) dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle dut s’affronter – avec talent et persévérance – à l’idée reçue de son époque selon laquelle les microorganismes apparaissaient par génération spontanée…Par son travail, il contribua aux progrès significatifs accomplis après lui en matière de biologie moléculaire et même indirectement à la découverte de l’ADN au début des années cinquante qui renouvela la génétique.

On pourrait multiplier les exemples de théories fécondes reflétant une réelle évolution des connaissances et une meilleure compréhension du monde, qui durent surmonter en leur temps les fausses évidences revendiquées parfois avec violence par leurs contemporains. Mais la tâche est immense du chemin qui reste à parcourir. C’est d’ailleurs l’honneur de la science de considérer que ses acquis ne sont que des étapes de la connaissance. Et ce, en dépit de progrès indiscutables à l’origine d’avancées technologiques ou médicales, dont nous bénéficions.

Au titre des questions fondamentales encore à explorer, liées à la logique du vivant, figure notamment la recherche d’une plus grande cohérence entre la biologie et la physique contemporaine, en particulier avec celle de la matière dans ses retranchements ultimes.

Au-delà des discours écologistes militants et simplistes voire catastrophistes, qu’il convient de nos jours d’adopter sans discuter pour exister socialement, professionnellement et politiquement, figure l’influence effective de la modification multiséculaire des écosystèmes sur les espèces vivantes, quelle que soit au demeurant leur situation dans l’enchainement des espèces. S’il est probable que la prolifération épidémique actuelle, non exceptionnelle au regard de l’histoire de la terre, soit due à de nouvelles souches bactériennes, virales ou bacillaires en partie attribuables aux bouleversements de tous ordres de notre environnement, aux changements climatiques ainsi qu’à nos modes vie et à notre démographie, on peut néanmoins s’interroger sur les injonctions anthropocentristes et contradictoires qu’on nous assène en permanence, aux termes desquelles, par exemple, la préservation de la biodiversité, présentée comme la priorité des priorités, ne concernerait que les espèces vivantes qui nous sont les plus proches ou décrétées favorables et non celles microscopiques qualifiées de parasitaires ou nuisibles.

Quelles que soient les disciplines, la science n’est donc pas dépourvue de sujets d’intérêts à explorer. Et il ne s’agit pas seulement de préciser certains détails pour compléter des édifices théoriques en grande partie finalisés.

S’il fallait conclure en fin de cette année 2022 plutôt morose qui a vu converger des crises, sanitaires, climatiques, guerrières et surtout politiques et morales préfigurant peut-être notre déclin, ce serait d’espérer qu’à l’avenir, la confiance dans le progrès et la science, actuellement fortement ébranlée, soit impérativement restaurée. Mais dans un progrès qui n’est envisageable que s’il se nourrit des espaces d’incertitude parsemant le champ des savoirs. Et à la condition surtout que le doute méthodique, principal moteur de toute pensée et création libres, parvienne à échapper à l’accusation suprême de « scepticisme subversif » et ne sombre dans une sorte d’hypocrisie mercantile, intolérante et agressive.

Malheureusement, c’est dans ces « terra incognita » terreaux privilégié des angoisses humaines que se sont engouffrés tous les charlatanismes religieux et tyrannies qui gangrènent aujourd’hui la planète. Les uns comme les autres remâchent sans cesse des « vérités révélées » , vieilles antiennes perpétuellement recyclées, qui n’ont d’autre finalité, depuis la nuit des temps, que d’oppresser leurs semblables en abusant cyniquement de leur crédulité et de leur ingénuité!

Niant la complexité, ces escrocs de la pensée ont inventé des dieux fourre-tout, comme Jésus, Yahvé, Jéhovah ou Allah pour culpabiliser toute tentative de compréhension rationnelle de la nature qui exclurait leurs dogmes. En abolissant toute forme d’esprit critique et en criminalisant le doute, ces bandits parfois génocidaires ont inventé l’esclavage et la servitude.

De longue date, ils ont progressivement imposé leurs doctrines ainsi que des comportements identitaires voire vestimentaires ou alimentaires absurdes, et des rites aussi ridicules que liberticides et cruels, relayés aujourd’hui par des idéologies perverses et anachroniques incarnées par des dictatures théocratiques et/ou criminelles. On peut citer à cet égard la République Islamique iranienne qui n’hésite pas, au nom d’Allah, à tuer sa propre jeunesse, ou encore l’Afghanistan où sévissent des talibans, fanatisés, qui ont sadiquement transformé leurs femmes au visage confisqué en cibles favorites de leurs kalachnikovs confondues pour la circonstance à leur pénis!

On peut aussi mentionner dans cette internationale de l’horreur en pleine et douloureuse croissance, le criminel russe Poutine qui massacre le peuple ukrainien par nostalgie de l’Union Soviétique et de ses méthodes inhumaines de répression sauvage.

Pour 2023, s’il fallait former un vœu universel de bonheur, un appel désespéré face aux obscurantistes de tous poils, me vient à l’esprit cette chanson d’Anne Sylvestre (1934-2020). Comme un chant de révolte contre la bêtise assassine.

« J’aime les gens qui doutent
Les gens qui trop écoutent
Leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent
Et qui se contredisent
Et sans se dénoncer

J’aime les gens qui tremblent
Que parfois ils ne semblent
Capables de juger
J’aime les gens qui passent
Moitié dans leurs godasses
Et moitié à côté

J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons »

« ….. »

C’est à la fin du mois de novembre 1835 qu’Alfred de Musset (1810-1857) écrit « La nuit de décembre ». C’est probablement le plus original de ses quatre poèmes « nocturnes » ( Nuit de mai, d’aout et d’octobre), le plus lisible aussi pour le regard d’un « moderne » lecteur qui n’adhère que modérément aux envolées lyriques parfois outrancières du romantisme théâtral de certaines des autres productions littéraires de l’auteur.

Quand il rédige  » La nuit de décembre » Musset est alors âgé de vingt-cinq ans et il vient de rompre avec Georges Sand qui fut sa compagne durant quelques mois entre la fin de l’année 1833 et 1834. Une rupture douloureuse bien qu’ils se soient mutuellement trompés. Mais à la différence des trois autres poèmes de « ses saisons de cœur » qui expriment la souffrance affective, réelle ou simulée du poète éconduit – souffrance d’ailleurs passée à la moulinette des standards d’un lyrisme d’époque désormais daté – le propos du poète n’est pas tant de se complaire de sa propre douleur et de ses pleurs que de procéder avec un réalisme saisissant à une sorte de revue de détail des différents épisodes de sa jeune vie.

Rien ne permet d’ailleurs d’imaginer à la lecture des nombreuses strophes de sizains aux rimes riches finement ciselées que l’homme n’en est encore qu’à l’aube d’un parcours de vie qui s’est jusqu’alors incarné dans le dandysme. Il pourrait tout aussi bien avoir l’âge canonique de quelqu’un qui a beaucoup vécu et qui s’efforce, à l’approche de l’échéance fatale, de dresser la chronique passionnelle d’une vie et de ses déboires.

Ce très long poème que je traine avec moi depuis mes premiers Lagarde et Michard, est troublant à de multiples titres. D’une part parce qu’il fait écho, presque deux siècles après avoir été rédigé, à l’expérience de chacun et qu’il exprime un mal-être que tout le monde connait toujours à un moment ou à un autre de son existence. Il étonne d’autre part, par la forme que l’auteur a privilégiée, celle d’un dialogue entre lui-même et un fantôme qui l’accompagne en toutes circonstances, misérable comme lui, malheureux comme lui, généralement vêtu de noir et « qui lui ressemble comme un frère »!

Il s’agit en fait de son double imaginaire, un autre lui-même solitaire. Celui aux multiples visages, qui, à y réfléchir plus avant, escorte et même chaperonne chacun d’entre nous! C’est ce qui nous rend cette poésie si proche et nous émeut!

En ces temps incertains et collectivement suicidaires, où, faute de perspective réjouissante, tout nous pousse au pessimisme, il semble en outre que cette élégie de Musset, empreinte de mélancolie à l’approche d’un hiver qui n’est ici que symbolique, soit de brulante actualité. Le poète tourmenté nous offre l’occasion de nous interroger sur le sens de notre propre condition, sur la solitude mais aussi sur notre capacité à rebondir et à rompre avec l’impérium de l’individualisme agressif, hors de toute injonction métaphysique.

Désormais, plutôt que de commenter, le mieux est de lire d’en larges extraits ! Car que faire d’autre que de se laisser bercer par la quête perpétuelle de soi-même qu’incarnent les errances poétiques de Musset et de s’en imprégner au fil des multiples renoncements et douloureuses séparations auxquelles le poète comme chacun d’entre nous doit finalement s’accommoder pour survivre, à défaut d’y consentir?

« LE POÈTE.

Du temps que j’étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s’asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.


Son visage était triste et beau ;
À la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur sa main,
Et resta jusqu’au lendemain,
Pensif, avec un doux sourire.

Comme j’allais avoir quinze ans,
Je marchais un jour, à pas lents,
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d’un arbre vint s’asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.


Je lui demandai mon chemin ;
Il tenait un luth d’une main,

De l’autre un bouquet d’églantine.
Il me fit un salut d’ami,
Et se détournant à demi,
Me montra du doigt la colline.

À l’âge où l’on croit à l’Amour,
J’étais seul dans ma chambre un jour,
Pleurant ma première misère.
Au coin de mon feu vint s’asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.


Il était morne et soucieux ;
D’une main il montrait les cieux,
Et de l’autre il tenait un glaive.
De ma peine il semblait souffrir,
Mais il ne poussa qu’un soupir,
Et s’évanouit comme un rêve.

À l’âge où l’on est libertin,
Pour boire un toast en un festin,
Un jour je soulevais mon verre.
En face de moi vint s’asseoir
Un convive vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.


Il secouait sous son manteau
Un haillon de pourpre en lambeau,
Sur sa tête un myrte stérile.
Son bras maigre cherchait le mien,
Et mon verre, en touchant le sien,
Se brisa dans ma
main débile.

Un an après, il était nuit ;
J’étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s’asseoir

Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.


Ses yeux étaient noyés de pleurs ;
Comme les anges de douleurs
Il était couronné d’épine ;
Son luth à terre était gisant,
Sa pourpre de couleur de sang,
Et son glaive dans sa poitrine.

Je m’en suis si bien souvenu
Que je l’ai toujours reconnu
À tous les instants de ma vie.
C’est une étrange vision,
Et cependant, ange ou démon,
J’ai vu partout cette ombre amie.

Lorsque plus tard, las de souffrir,
Pour en vivre ou pour en finir,
J’ai voulu m’exiler de France ;
Lorsqu’impatient de marcher,
J’ai voulu partir, et chercher
Les vestiges d’une espérance ;

………..

Partout où le long des chemins,
J’ai posé mon front dans mes mains,
Et sangloté comme une femme ;
Partout où j’ai, comme un mouton
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuer mon âme ;

Partout où j’ai voulu dormir,
Partout où j’ai voulu mourir,
Partout où j’ai touché la terre,
Sur ma route est venu s’asseoir
Un malheureux vêtu de noir
Qui me ressemblait comme un frère.

Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
Je vois toujours sur mon chemin ?
Je ne puis croire, à ta mélancolie,
Que tu sois mon mauvais Destin !
Ton doux sourire a trop de patience,
Tes larmes ont trop de pitié.
En te voyant, j’aime la Providence.
Ta douleur même est sœur de ma souffrance ;
Elle ressemble à l’Amitié.

Qui donc es-tu ? — Tu n’es pas mon bon ange ;
Jamais tu ne viens m’avertir.
Tu vois mes maux (c’est une chose étrange !)
Et tu me regardes souffrir.
Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,
Et je ne saurais t’appeler.
Qui donc es-tu, si c’est Dieu qui t’envoie ?
Tu me souris sans partager ma joie,
Tu me plains sans me consoler !

Ce soir encor je t’ai vu m’apparaître.
……
J’enveloppais dans un morceau de bure
Ces ruines des jours heureux.
Je me disais qu’ici-bas ce qui dure
C’est une mèche de cheveux.
Comme un plongeur dans une mer profonde,
Je me perdais dans tant d’oubli.
De tous côtés j’y retournais la sonde,

Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde,
Mon pauvre amour enseveli.
….
Mais tout à coup j’ai vu dans la nuit sombre
Une forme glisser sans bruit.
Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre ;
Elle vient s’asseoir sur mon lit.

Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
Sombre portrait vêtu de noir ?
Que me veux-tu, triste oiseau de passage ?
Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image
Que j’aperçois dans ce miroir ?


Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,
Pélerin que rien n’a lassé ?
Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse
Assis dans l’ombre où j’ai passé.
Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
Hôte assidu de mes douleurs ?
Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre ?
Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,
Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ?

LA VISION.

Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l’ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j’aime, je ne sais pas
De quel côté s’en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes.

Je ne suis ni dieu ni démon,
Et tu m’as nommé par mon nom
Quand tu m’as appelé ton frère ;
Où tu vas, j’y serai toujours,
Jusques au dernier de tes jours,
Où j’irai m’asseoir sur ta pierre.

Le ciel m’a confié ton cœur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude.
Je te suivrai sur le chemin ;
Mais je ne puis toucher ta main,
Ami, je suis la Solitud
e.

PS

1- Le tableau de l’homme solitaire sur un banc, qui illustre le poème, est une œuvre du peintre américain Edward Hopper (1882-1967) considéré comme le peintre de la solitude.

2- Il y a près d’une vingtaine d’années, j’ai eu l’occasion de lire quelques passages de ce poème, à une députée de ma circonscription devenue ensuite ministre avant de s’évanouir vers d’autres horizons. Elle avait souhaité me rencontrer et m’avait surpris dans la salle d’attente de sa permanence de Longpont-sur-Orge, lisant « La nuit de décembre ». Finalement on n’avait pas vraiment abordé le sujet qui justifiait ma présence et qui avait motivé sa demande.

Depuis quelques temps, de « grands » stratèges, officiers supérieurs en réserve de l’armée française, désormais « demi-solde », ont tendance à arrondir leurs fins de mois en nous gratifiant, avec plus ou moins de pertinence, de leurs analyses géostratégiques sur les médias d’infos en continu. Ils remplacent ceux qui tenaient jusqu’alors le haut du pavé du fait des circonstances épidémiques et climatologiques, à savoir les experts – parfois autoproclamés – de l’épidémiologie ou encore les chantres écologistes du développement durable, de la biodiversité et de la transition énergétique, accessoirement prophètes du suicide annoncé de l’espèce humaine.

Ce qu’il y a de paradoxal dans les discours de ces flopées d’experts, c’est le recours d’une part, à de multiples euphémismes ou litotes pour dédramatiser une réalité souvent sombre et d’autre part – dans le même temps – à des prévisions inquiétantes sur « notre planète », à savoir le pire du pire, c’est-à-dire une « nouvelle extinction des espèces vivantes ». Le tout étant assorti d’accusations ciblées sur les excès coupables du libéralisme débridé et surtout de dénonciations de la rationalité occidentale responsable, selon eux, d’une modernité destructrice. Bref, nous sommes en permanence confrontés à des figures oxymoriques déroutantes, propres à accentuer nos tendances schizophréniques !

S’agissant précisément des retraités galonnés de la République, qui peuplent les plateaux télévisuels depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine, il n’est pas inintéressant d’observer que ces spécialistes qui ont troqué leurs rangers pour des charentaises et des cols ouverts ainsi que leurs fusils d’assaut pour des microphones, n’usent plus que très rarement du mot « guerre » pour caractériser la situation. Victimes ou acteurs consentants d’une sorte de déni de réalité, ils se comportent – peut-être à leur corps défendant – à la manière du tyran russe qui masqua l’agression d’un pays souverain en l’affublant initialement du nom « d’opération militaire de dénazification ».

Ainsi en lieu et place de la « guerre  » réservée plutôt aux affrontements sanglants du passé, nos savants experts militaires préfèrent employer, selon les circonstances, les termes « conflit de haute intensité » ou encore « opérations militaires extérieures de la France ». Ces dernières sont même identifiées par un petit nom qui ne signifie rien pour le commun des mortels mais qui présente l’avantage d’évoquer précisément la guerre d’un corps d’armée expéditionnaire sans la citer ni la localiser avec précision.

Ainsi les opérations en Lybie en 2011 s’appelaient Harmattan, au Mali en 2013 c’était Serval, Sangaris en République centrafricaine en 2013 et finalement Barkhane au Sahel en 2014 et ainsi de suite. Actuellement en 2022, le renforcement du dispositif militaire effectué pour le compte de l’OTAN par l’armée française en Roumanie est crédité du joli nom d’Aigle. Il s’agit sûrement d’un clin d’œil à la Grande Armée de Napoléon. Lequel à son retour victorieux de l’Ile d’Elbe au printemps 1815 prononça ces mots:  » L’aigle avec les couleurs nationales volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame ». Bon ou mauvais présage: c’est selon…

Quoiqu’il en soit, on hésite aujourd’hui à désigner un affrontement armé entre belligérants par le mot « guerre ». Probablement parce la notion même de belligérant est désormais réfutée, sauf par ceux qui en sont directement les victimes innocentes comme aujourd’hui les ukrainiens.

Une opération militaire de dénazification russe en Ukraine en 2022

La guerre est ainsi devenue virtuelle. Plus exactement elle s’apparente pour ceux qui ne sont pas sous les bombes, aux épisodes quotidiens d’une série télévisée. En tout cas, elle ressemble de plus en plus et de manière addictive aux jeux vidéo dont raffolent les préadolescents manipulant de manière compulsive les manettes des Playstation ou des consoles Switch.

Formellement, quelle différence y-a-t ‘il en effet entre la vraie guerre et un jeu vidéo, puisque dans la plupart des cas, il s’agit de tuer un maximum d’adversaires et que les résultats sont comptabilisés sur des écrans?

La réalité devenue fiction ne peut donc plus être définie autrement que par des concepts flous. La notion de « conflit de haute intensité » relève de cette ambiguïté. Laquelle constitue évidemment une entrave à la compréhension d’une situation conflictuelle par le citoyen et donc à sa résolution.

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément » disait en son temps Boileau …

Qu’est-ce donc au juste qu’un « conflit de haute intensité » en ce premier quart de siècle? Est-ce simplement un affrontement qui ferait appel à des armements de haute technologie numérique, cybernétique, aéroportée ou nucléaire?

Si les moyens modernes de l’artillerie, des transmissions ou de transport de troupes sont effectivement mobilisés ou inclus dans la notion de  » conflit de haute technologie », la définition est plus politique. Plus technocratique si l’on ose dire, car ce ne serait pas tant les techniques utilisées que le contexte qui permettrait de qualifier de conflit de haute intensité, des face-à-face guerriers vieux comme le monde mais de plus en plus violents.

Selon le Centre Français de Recherche sur le Renseignement, groupe de réflexion stratégique indépendant, on parle de « conflit de haute intensité », quand « cela implique des affrontements dans lesquels l’existence même des Etats belligérants peut être remise en cause. Ce sont donc des guerres qui mobilisent l’ensemble des moyens humains, matériels, financiers et industriels d’un Etat »!

A cette aune, les deux guerres mondiales du siècle dernier étaient manifestement des conflits de haute intensité. Elles l’étaient comme la prose de Monsieur Jourdain. Néanmoins, une telle définition, un tantinet alambiquée qui fleure bon l’énarchie, aurait-elle été suffisamment explicite en 14-18 pour exacerber le patriotisme de nos poilus jusqu’à mourir pour la France? On peut en tout cas s’interroger…

C’est cette interrogation qui me traversait l’esprit lorsque récemment, assistant à la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918 dans ma commune, un officiant citait la longue liste des soldats tués aux cours de la Première Guerre mondiale. Ils étaient presque tous paysans et pour accepter l’ultime sacrifice, il fallait qu’on leur indique clairement qui était l’ennemi et pourquoi on les envoyait dans une vraie guerre qui devint rapidement une boucherie!

Telles étaient les questions que je me posais, alors que des gerbes de fleurs étaient déposées au pied du monument aux morts du cimetière communal pour honorer la mémoire des millions d’hommes sacrifiés. Questionnement sans réponse satisfaisante alors que la guerre est de nouveau présente sur le sol européen, avec la même sauvagerie qu’il y a un siècle avec son lot de destructions, de charniers et de bombardements de populations civiles. De quel autre mot faut-il user alors que la nature de la guerre demeure cruelle et aveugle, destructrice?

La foule n’était pas massivement présente au rendez-vous de cette cérémonie citoyenne. A sa décharge, on en est à la quatrième génération après les combattants de 14-18 et la dernière, celle des enfants des écoles n’entrevoit plus les horreurs de la guerre qu’au travers d’une périphrase, d’hominidés se battant à mort sur des tablettes et ignore une histoire qui n’est plus officiellement enseignée et qui, faute d’être transmise, ne la concerne pas.

Il va donc falloir que nos stratèges tous issus de l’élite technocratique réfléchissent sérieusement aux mots qu’ils emploient pour enthousiasmer, s’il y a lieu, les futurs soldats de l’an II! L’usage abusif des périphrases et celui des litotes arrangeantes ou encore des métaphores approximatives et trompeuses devraient être bannis. A moins que l’intention soit, à l’exemple des dictatures, d’égarer et d’embrouiller le citoyen.

Une guerre c’est une guerre! Toujours tragique. Rien d’autre… Les dégâts sont de la même ampleur dans le Donbass ou sur le front de Verdun.

Destructions 14-18 : Guerre, Grande Guerre ou conflit de haute intensité?

_________

PS : Cet article est dédié aux soldats de 14-18 de ma famille ou de relations proches, qui ignoraient sûrement qu’on les avait mobilisés dans un « conflit de haute intensité ». Mais dans une guerre sans merci. J’en ai croisé certains.

Les « morts pour la France:

  • Albert Venault (1893-1918) adjudant du 6ème Régiment du Génie  grand oncle maternel
  • Alexis Turbelier (1897-1918), caporal du 135ème RI  – grand oncle maternel
  • Marcel Maurice Pasquier (1895-1915) soldat du 135 ème RIcousin de mon grand-père paternel
  • Léon Elie Toulemon (1889-1914), soldat du 9 ème RIdemi-frère de sang du grand-père de mon épouse
  • Georges Duguet (1895-1914), soldat du 32 ème RI un ami et voisin de mes grands-parents maternels
  • Léon Antoine Chauviré (1880-1914)  : un cousin éloigné sur la branche maternelle et voisin
  • Les frères Paul et Henri Barbin du Lion d’Angers, morts des suites de la guerre: employeurs d’un de mes arrière-grand-pères paternels , 

Les « blessés ou mutilés »

  • Marcel Emile Pasquier (1892-1956) cavalier, chasseur d’Afrique, mon grand-père paternel
  • Gustave Firmin Debenay (1889-1951) soldat du 125 ème RI  grand père de mon épouse
  • Lucien Montazel (1898-1989) soldat, blessé de guerre, trépané,  cousin du père de mon épouse
  • Gustave Boussemart (1891-1938) soldat du 148 ème RI  grand-oncle maternel
  • Michel Joseph Gallard (1896-1962), sous-lieutenant du 135 ème RI. grand-oncle maternel

Les autres mobilisés

  • Auguste Cailletreau (1892-1975), soldat « poilu d’Orient »;grand oncle paternel
  • Joseph Cailletreau (1888-1973), soldat prisonnier de guerre; grand oncle paternel
  • Ernest Cragné, instituteur, soldat mon premier instituteur
  • Albert Théophile Debenay (1894-1975) grand-oncle de mon épouse
  • Baptiste Pasquier (1890-1937) cousin de mon grand-père
  • Paul louis Joseph Delhumeau (1888-1945), aumônier militaire, cousin
  • Louis Turbelier (1899-1951), mon grand-père maternel

Fusillé pour l’exemple

  • Maurice Beaury (1892-1915) soldat angevin victime de la bêtise/cruauté de l’état major de son régiment