Feeds:
Articles
Commentaires

Archive for the ‘Souvenirs familiaux’ Category

Le samedi 31 mars 1923, veille de Pâques, naissait à Angers, notre mère Adrienne Turbelier (épouse Pasquier). Il y a tout juste cent ans. Elle décéda à 94 ans passés en région parisienne.

Ce jour-là, le Petit Courrier, le quotidien républicain de l’Anjou, annonçait, parmi les nouvelles locales que le Vélodrome d’Angers rue de Montesquieu serait réouvert le lendemain pour la course cycliste « La Roue d’or ». Il signalait également qu’au Grand Théâtre de la Place du Ralliement, la location des places pour la pièce à grand spectacle, Michel Strogoff de Jules Verne (1828-1905) et du dramaturge Adolphe d’Ennecy (1811-1999) était ouverte.

Enfin, parmi les autres « brèves » et les petites annonces intéressant la population angevine, le journal publiait une liste d’emplois réservés aux anciens combattants de l’Anjou, notamment de facteurs auxiliaires des Postes, de gardiens de bureau des commissariats de police, de préposés aux douanes ainsi que d’hommes d’équipe aux chemins de fer et de « sémaphoristes » ..; Cinq après l’armistice de la 1918, les stigmates de la Grande Guerre avec ses blessés, ses mutilés et ses morts persistaient à coloniser les esprits. Au coin des rues, des « Gueules cassées » coincés dans leur minuscules échoppes vendaient des billets de la Loterie Nationale!

Ce 31 mars 1923, le bulletin météorologique de l’Anjou, qui se limitait à l’époque à reproduire ce que chacun possédant un thermomètre pouvait observer, notait une légère variation de température au cours de la journée, de 10° C° à 8 heures à 10° C° en soirée en passant par 14° à midi, la pression atmosphérique demeurant stable à 760 millimètres de mercure. Autrement dit, la météo plutôt clémente en ce début de printemps était dans la norme de celle attendue sous influence océanique en Anjou et dans le Val de Loire. Les cerisiers se couvraient de fleurs!

En revanche, des nuages d’une autre nature, plus menaçant, suscitaient quelque inquiétude en cette année d’après une guerre qui avait endeuillé presque toutes les familles françaises, dont celles d’Adrienne. En Allemagne, le chômage et la misère gagnaient chaque jour plus de terrain, favorisant la montée du nazisme et en Italie, le fascisme incarné par Mussolini était aux marches du pouvoir. En outre, la tension était maximale entre la France et la République de Weimar, depuis que le président Poincaré avait décidé en janvier 1923, d’envahir militairement le Bassin Minier de la Ruhr pour contraindre l’Allemagne à s’acquitter des dommages de guerre.

De nombreux incidents émaillèrent cette occupation comme en témoignait le Petit Courrier du 31 mars 1923 qui décrit une grave échauffourée survenue à Essen, la grande ville industrielle de la région, entre des ouvriers des usines Krupp et l’armée française qui venait réquisitionner des machines. Les affrontements parfois violents firent plusieurs victimes allemandes, que la propagande du parti nazi instrumentalisa immédiatement.

Enfin, au nombre des autres tristes nouvelles du jour, la presse locale et nationale consacrait quelques articles au décès, le 26 mars 1923 de l’actrice et tragédienne Sarah Bernhardt (1844-1923), et publiait de nombreux témoignages et hommages de ses amis et admirateurs, en particulier de la romancière Colette (1873-1954), de l’auteur dramatique Tristan Bernard (1866-1947) ou encore de l’écrivain et poète Henri de Régnier (1864-1936).

En somme, ce 31 mars 1923, fut une journée presque ordinaire d’après-guerre, dans un contexte national et international fragile.

Dans le quartier de la Madeleine, à Angers, Alexis Joseph Turbelier (1864-1942), l’organiste attitré de la basilique du Sacré-Cœur, l’église paroissiale, a probablement rendu visite à son ami, le chanoine Félix Fruchaud (1856-1954), curé de la paroisse pour faire le point des chants et des psaumes qui accompagneront les différentes célébrations pascales.

Il compte bien, au passage, s’attarder au clavier de l’orgue pour improviser à sa guise, une rengaine de sa composition. Ensuite, il ira, pipe au bec, taper la manille au cercle paroissial. Beau programme pour un samedi Saint, où la troupe de théâtre dont Alexis est une tête d’affiche en qualité de comédien comique amateur, fait relâche.

Pendant ce temps, au premier étage d’un modeste appartement de deux pièces, sans réel confort d’un petit immeuble du 20 rue Desmazières, à deux cents mètres environ de la place de la Madeleine, Adrienne Venault (1894-1973), l’épouse Louis Turbelier (1899-1951) – fils d’Alexis-Joseph – ressent les premières contractions annonciatrices de l’accouchement de l’enfant qu’elle porte.

A vingt neuf ans, c’est son premier enfant, moins de deux ans après son mariage à Angers le 29 octobre 1921. La guerre avait cruellement contrarié son désir d’une maternité plus précoce.

C’est ainsi qu’à vingt heures, ce 31 mars 1923, une petite fille voit le jour, que ses parents prénommèrent Adrienne, Marie Louise Joséphine. Plus tard, elle aimait d’ailleurs souligner en souriant que ses second et troisième prénoms étaient ceux des épouses de Napoléon 1er. En réalité, il ne s’agissait que de pur hasard car aucun de ses parents ne se revendiquait du bonapartisme. Les deux prénoms étaient en fait ceux de sœurs de la jeune mère de vingt neuf ans.

Adrienne dans les bras de sa maman – 1924

Outre la sage-femme, une autre personne assistait à l’accouchement: Clémence Fradin épouse Venault (1961-1931), mère de la parturiente et grand-mère maternelle de la petite Adrienne, qui depuis son veuvage en 1911 vivait avec sa fille. En outre, deux ombres chères à la jeune mère hantaient également les lieux, deux Poilus « morts pour la France » au printemps 1918 lors de l’offensive Allemande dans la Somme; d’une part Albert Venault (1893-1918) le frère et compagnon de jeu de la nouvelle mère et d’autre part, Alexis Victor Turbelier (1897-1918) fils qui fut le premier « fiancé » d’Adrienne et frère ainé de Louis, le mari et nouveau père.

Cette naissance fut sans doute un moment de grand bonheur mais elle n’effaca pas le traumatisme que suscita la disparition au front des deux soldats, dont les portraits étaient accrochés aux murs de la chambre. Néanmoins, elle démontra qu’en dépit des drames, la vie reprend toujours le dessus.

La petite fille puis plus tard la femme y compris lorsqu’elle aura le grand âge, réfutera l’idée que la mort pourrait l’emporter!

Compte tenu des fêtes de Pâques, la naissance d’Adrienne ne sera déclarée à la mairie d’Angers que le mardi 3 avril 1923 en fin de matinée par Louis Turbelier son père – ferblantier – accompagné de deux témoins, Alexis Turbelier le grand-père et de Michel Gallard (1896-1962), employé de banque et oncle par alliance de la petite fille.

Autant qu’on le sache, la petite enfance et l’enfance, puis l’adolescence de la jeune Adrienne furent celles ordinaire d’une petite provinciale heureuse de vivre. Romantique comme en atteste certains des carnets intimes qu’elle a laissés. Une jeune fille dans un quartier périphérique d’Angers, la Madeleine, non loin des Ardoisières de Trélazé. Un quartier très influencé par l’Eglise catholique, ici dominante et omniprésente, dirigée par un chanoine bâtisseur énergique, le curé Fruchaud qui régna sur la paroisse pendant plusieurs décennies, comme un préfet napoléonien. Un nostalgique des Guerres de Vendée de 1793 et, par conséquent, très opposé à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, instaurée par la loi de 1905 et surtout à l’inventaire des biens du clergé, auquel d’ailleurs il s’opposa fermement.

En fait,  » à la Madeleine » (comme on disait), c’est le clergé qui donnait le ton de la vie collective. Non seulement, il présidait, conformément à sa mission, les offices religieux et les nombreuses fêtes votives mais il était le plus souvent le maître d’œuvre des festivités populaires qu’il encadrait au travers notamment d’un patronage paroissial où se rassemblait la jeunesse, d’un cercle de boules de fort, doté d’une buvette à vins d’Anjou, et enfin d’un théâtre amateur dont le grand-père d’Adrienne, Alexis Joseph, l’organiste était un sociétaire attitré et un acteur comique incontournable dans tout le Grand Ouest. Il y a moins de cinquante ans encore – dans les années 1970-1980, les vieux du quartier se souvenait de lui, alors qu’il était décédé depuis 1942.

En 1925 un second enfant naît au sein du couple Turbelier, un premier frère pour Adrienne, Albert Turbelier (1925-2023) puis un autre cadet en 1927, Georges Turbelier (1927-2009). L’affection au sein de cette fratrie ne se démentira jamais!

Quelques photographies témoignent de cette époque d’avant-guerre, plutôt heureuse pour Adrienne et ses frères mais plus rude pour se parents en raison de la crise économique des années trente. Louis Turbelier fut contraint d’abandonner son métier de ferblantier en raison du chômage qui sévissait et intégra la police municipale.

Tout naturellement, la petite Adrienne suivit sa scolarité jusqu’à l’obtention de son certificat d’études primaires en juillet 1935 dans une école confessionnelle tenue par les religieuses à cornette de la Retraite, une des nombreuses communautés religieuses du quartier.

Dans le même temps, elle reçut une instruction religieuse qui se solda par ce qu’on appelait à l’époque, le certificat d’études primaires chrétiennes et par la communion solennelle. Cette dernière était d’ailleurs l’occasion pour réunir la famille après la messe et d’organiser une traditionnelle fête, assortie d’un plantureux repas arrosé aux vins locaux des côteaux du Layon.

Y étaient présents, les grands parents, tous les oncles et les tantes, ainsi que les cousins et les cousines.

Mais, en 1935, il n’était pas question qu’une jeune fille, quels que soient sa vivacité d’esprit et son souhait, poursuive des études au-delà de la scolarité primaire obligatoire. C’est la raison pour laquelle elle entra en apprentissage chez un tailleur du quartier de la rue de la Madeleine, afin de devenir couturière. Un métier très souvent dévolu aux jeunes fille à l’époque, concurremment avec celui de cuisinière dans des maisons bourgeoises comme l’avait été sa mère jadis.

Non seulement elle s’accommoda sans difficulté de ce choix un peu orienté par d’autres, mais, sous la bienveillante direction de son maitre de stage, un patron tailleur dont l’atelier se situait non loin de chez elle, elle y prit goût. Elle aima ce métier qu’elle pratiqua ultérieurement, à des titres divers et privés, jusqu’à un âge avancé. En témoigne ses cahiers de couture qu’elle remplissait avec le plus grand soin.

Ayant obtenu le certificat d’aptitude professionnelle de couturière (CAP), assorti de la « mention Bien » en juin 1939, son souhait aurait même été d’approfondir sa pratique en se spécialisant comme tailleur de costumes pour hommes et d’ensembles pour femme. Elle espérait même pouvoir poursuivre durablement, là où s’était déroulé son apprentissage. Malheureusement, la guerre fut déclarée en septembre 1939 et son patron réquisitionné dut fermer sa boutique.

C’est dans ces conditions – alors qu’elle était alors âgée de dix-sept ans – qu’elle trouva un emploi de vendeuse retoucheuse « chez Joudon » un grand magasin de confection place du Ralliement en plein centre-ville d’Angers. Elle y travailla pendant l’Occupation d’Angers par les Allemands entre 1940 et 1944. Ce fut, à tous égards, un épisode marquant de la vie d’Adrienne.

En effet, en dépit de la présence oppressante de l’ennemi – peut-être même à cause d’elle – des tracasseries et des privations que l’armée occupante imposait, elle y noua des amitiés solides et pérennes avec des jeunes gens de son âge ( Voir dans ce blog, un article du 28 mars 2013 titré: « De fil en aiguille ! Vendeuse en mercerie et retoucheuse chez Joudon (1940-1948)… »

C’est chez Joudon également qu’elle apprit la solidarité ouvrière et qu’elle s’engagea dans la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Ainsi, alors qu’elle était issue d’une famille plutôt conservatrice, c’est de cette période que date ses convictions à « Gauche ». Convictions qu’elle revendiqua, sa vie durant, solidement campée sur des principes de justice sociale et sur une confiance jamais démentie dans le progrès humain et dans la recherche scientifique et médicale. A telle enseigne que le Parti Socialiste de la section locale de Massy où elle résidait depuis 1970 et dont elle était toujours adhérente, était représenté à ses obsèques en 2018.

Elle fut parfois déçue mais jamais elle ne renia les utopies de sa jeunesse. Pas plus d’ailleurs que ses rêves, son romantisme parfois naïf et son goût pour la création artistique, dont la peinture qu’elle pratiqua jusqu’à un âge avancé.

La guerre et l’implacable occupation allemande furent des épreuves pour tous les angevins, mais pour les jeunes adultes tout juste sortis de l’adolescence, ce fut encore frustrant. La jeunesse d’alors, qui comme toute jeunesse n’aspirait qu’à se découvrir et découvrir l’amour ne pouvait donner libre cours à sa légitime soif de rencontres et de fêtes. Elle ne pouvait voyager comme elle l’entendait ni même se nourrir convenablement. Bravant les différentes injonctions de circulation et les couvre-feux, elle n’avait d’autre moyen que la marche à pied pour se balader hors les murs de la ville. Elle en usa sans retenue, comme d’un acte de résistance passive à la bureaucratie nazie qui tenait la ville en coupe réglée. .

Qu’à cela ne tienne donc, elle marchait, bras dessus, bras dessous. Le dimanche, Adrienne et ses amis de chez Joudon battaient les campagnes environnantes et les bois aux alentours d’Angers, ainsi qu’en témoignent les photographies d’époque. Ses frères étaient de la partie et c’est même probablement dans ces circonstances que Georges Turbelier fit la connaissance de Lucette, la sœur d’une collègue d’Adrienne et qui devint la compagne de sa vie

.

En décembre 1944, lors d’une manifestation de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) en faveur des nécessiteux, elle rencontra Maurice Pasquier. Ils s’aimèrent dans l’instant, ne se quittèrent plus de cœur et se marièrent à Angers le 8 décembre 1947.

Chaque année dès lors, jusqu’au terme de leur existence commune que seule la mort pouvait suspendre, ils fêtèrent cette date, autour d’un repas auquel les enfants étaient conviés. Quatre enfants sont nés de cette union que l’on qualifierait aujourd’hui de fusionnelle. Outre moi-même, mes trois sœurs, Marie Brigitte, Louisette et Françoise.

Adrienne devenue « mère au foyer » devint le pilier de la famille, toujours présente, recueillant les confidences des uns, écoutant les difficultés des autres et faisant toujours face aux aléas ainsi qu’aux petits et grands chagrins du quotidien. Silencieuse sur ses propres états d’âme, elle aimait cepandant raconter et même ressasser les mêmes anecdotes drôles, où elle se mettait en scène à son avantage. .

Ainsi se déroulèrent les années soixante, où femme des Trente Glorieuses elle connut sans doute le bonheur, comblée en famille mais revendiquant pleinement un statut d’égalité avec les hommes.

Elle surmonta enfin de cruelles épreuves, dont la perte d’une de ses enfants. Elle tut sa souffrance qui appartenait à son intimité et qu’elle n’entendait partager avec quiconque, car la mort lui faisait horreur, refusant jusqu’à la fin de visionner les scènes de violence à la télévision. Jusqu’à la fin également, elle demeura l’artiste peintre, qu’elle aurait désiré être.

A la charnière des années 1970, ce fut un déchirement pour elle de devoir quitter Angers, sa ville de cœur, pour la région parisienne, où Maurice avait trouvé du travail. Elle s’y résigna malgré tout et s’investit comme elle put dans le milieu associatif à Massy mais son cœur demeura sur les bords de la Maine et de la Loire.

En décembre 2017, après le décès de Maurice, alors qu’elle avait à 94 ans et perdu une grande partie de son autonomie, elle décida de rejoindre une maison de retraite médicalisée à Massy (EHPAD Louise de Vilmorin).

Elle y décéda deux mois plus tard, de tristesse sans doute, mais aussi parce que le médecin coordonnateur de cet établissement, traitre au serment d’Hippocrate, trouva argument de son grand âge pour s’abstenir de prendre en charge médicalement, une affection pulmonaire initialement bénigne. Laquelle s’aggravant avec une rapidité effrayante, finit par l’emporter en l’asphyxiant.

Elle mourut le 6 février 2018 dans une clinique d’Athis-Mons où elle avait été transportée en urgence depuis Massy. Ainsi peut-on dire qu’elle partit d’un lieu où elle ne vécut que les dernières heures de sa vie et qu’elle ne connaissait pas!

Depuis ce jour, j’ai définitivement cessé de dire « Maman « . Elle a rejoint les étoiles et y a retrouvé Maurice!

L’ultime photo ensemble dans leur appart. de Massy, le 10 octobre 2017

—-

Read Full Post »

Lorsque, ce 8 mars 2023, Claudie et Jean-Philippe entonnèrent dans le chœur de l’église Notre-Dame des Victoires à Angers, « la Prière » de Brassens et de Francis Jammes, à quelques mètres du cercueil de leur mère, les ombres des deux poètes planaient sur l’assistance. Mais au-delà de l’émotion et du sentiment troublant de retrouver ici une musique qui a bercé notre enfance et notre adolescence dans les années soixante, c’est Lucette Turbelier dont on célébrait les obsèques, qui manifestait une dernière fois, sa présence parmi nous.

Alors, nos souvenirs se bousculèrent concurremment avec la nostalgie d’une époque dont on prenait conscience qu’elle s’achevait. Sans trop savoir pourquoi, on redécouvrait avec certitude, à travers les différents couplets de la mélodie adressée à Marie, la Lucette qu’on avait connue. On imaginait qu’elle avait jadis chanté ce magnifique salut à la Vierge de concert avec « l’amour de sa vie », son mari – mon oncle – Georges Turbelier (1927-2009), qu’elle fréquenta dès le début de la seconde guerre mondiale. Elle était alors encore adolescente..

Plus de soixante ans de vie et d’affection mutuelle et de chansons communes, ça compte! Et c’est la raison pour laquelle sa disparition en 2009 la désempara.

Ce sont ces pensées qui nous agitaient en écoutant ses enfants, chanter le « Je vous salue Marie » du mécréant Brassens!

Tant de souvenirs nous étreignaient: ceux d’une jeune mère de trois enfants – notre tante – toujours accueillante et joyeuse chez laquelle nous aimions nous rendre, à Angers dans un premier temps, puis à Orvault et enfin à Saint-Herblain en périphérie de Nantes. Ceux aussi des repas familiaux et des fêtes de Noël ensemble, des rires. Ceux aussi des vacances en VVF à Albé en 1961 et sur la Côte d’Azur… Et tant d’autres circonstances où nos familles appréciaient de se retrouver.

Par ce triste et pluvieux après-midi d’un hiver qui ressemblait, ce jour-là, à un automne, Lucette Turbelier née Harné a finalement rejoint dans une tombe du Cimetière de l’Est d’Angers, sa ville natale, trois des êtres qui lui furent chers, son père décédé en 1936 alors qu’elle n’était âgée que de dix ans; sa mère qui dut assurer seule l’éducation de ses trois filles et enfin Georges Turbelier son confident et mari bien-aimé.

Lucette s’était paisiblement éteinte quelques jours auparavant, entourée de ses enfants, dans une Maison de Retraite de Saint-Lô dans la Manche. Elle était âgée de quatre-vingt-seize ans et c’était la dernière représentante vivante de mes oncles et tantes dans ma branche maternelle. Georges était en effet l’un des deux frères cadets de ma mère Adrienne Pasquier née Turbelier (1923-2018).

En hommage à sa maman dont il dressa le portrait, son fils Jean-Philippe évoqua, tout en délicatesse, quelques épisodes de la vie de sa mère et rappela qu’elle dut surmonter plusieurs épreuves douloureuses. Douleurs , que d’ailleurs elle ne laissa que très rarement paraitre, en dehors du cercle de ses plus proches.

En fait, elle ne fit jamais tout à fait le deuil de son père Henri Harné (1898-1936) décédé prématurément. Jusqu’au stade ultime de son existence, elle conserva précieusement les écrits qu’il adressait à la petite fille qu’elle était encore.

Ces feuilles jaunies par le temps et gardées précieusement, la renvoyaient probablement à ce chagrin d’enfance qu’elle ne sut ni voulu étancher. Elles lui rappelaient une indicible fêlure, qui constituait peut-être aussi une sorte de jardin secret dans lequel elle se réfugiait les jours de déprime. Seule à seule dans le souvenir de son père!

Ce père qui était chimiste et qu’elle ne cessa d’admirer, l’emmenait toute jeune dans son laboratoire où elle pouvait manipuler les instruments de mesure. C’est de cette période lointaine et par amour filial que daterait son intérêt trop méconnu pour la science et sa confiance dans le progrès. Un intérêt que les circonstances de la guerre et du veuvage de sa mère ne lui ont pas permis de satisfaire complètement – en tout cas, comme elle l’aurait souhaité – en poursuivant des études dans cette voie. A l’exemple de son père. Dans une famille désormais monoparentale, la mère dut en effet trouver un emploi pour nourrir sa famille chez un médecin de la rue Chevreul à Angers. Et les trois filles – dont Lucette – durent travailler dès la fin de leur scolarité obligatoire.

Outre la disparition de son père en 1936 et de son époux en 2009, un autre traumatisme quasiment insurmontable assombrit la fin de sa vie: le décès de son second fils et dernier enfant, François Turbelier (1958-2011).  » C’est moi qui aurait du mourir » répétait-elle. « Ce n’était pas son tour ».

Avec Georges en 2000 à Massy chez Adrienne et Maurice Pasquier

Avec Lucette qui s’en va, c’est toute une génération qui aujourd’hui disparait. Celle des parents du « baby boom » d’après la seconde guerre mondiale. Celle de ces jeunes adolescents pris de court lorsque le conflit se déclara et qui leur vola une partie de leurs rêves. Celle qui a connu la défaite de l’armée française en 1940, puis l’occupation allemande à Angers jusqu’au mois d’août 1994 et les privations qui s’ensuivirent avec le couvre feu, les tickets de rationnement, et les bombardements.

Lucette résidait à l’époque rue Chevreul, dans le centre-ville d’Angers à quelques dizaines de mètres de la place du Ralliement – la place de la Concorde angevine – non loin du siège de la Kommandantur et du quartier général des troupes d’occupation allemande, qu’elle croisait régulièrement dans la rue.

Lucette appartint donc à cette classe d’âge qui a connu la liesse populaire du 10 aout 1944, le jour de la Libération d’Angers par les troupes américaines du Général Patton. Cette nuit du 10 août 1944  » une nuit où le sommeil aurait été une insulte au destin » comme le titrait une édition spéciale dédiée par le Courrier de l’Ouest à la Libération de l’Anjou, fut celle de la délivrance et resta gravée dans la mémoire de ces jeunes angevins devenus prématurément adultes sous le joug, pendant quatre ans, de la soldatesque allemande qui imposait impitoyablement sa dure loi d’airain. Une armée d’occupation pesante et sa police – la Gestapo – à laquelle collaborèrent d’ailleurs un certain nombre de traitres français.

Lucette et Georges son futur époux relevaient de cette tranche d’âge, avec Albert Turbelier le frère aîné (1925-2023) et bien sûr mes parents Adrienne Turbelier et Maurice Pasquier (1926-2017). Les uns comme les autres s’efforcèrent malgré tout de vivre leur jeunesse et de s’acquitter comme ils le pouvaient, des devoirs que leur imposait la tragique de la situation, notamment lors des bombardements où ils participèrent au secours des blessés et à l’évacuation des morts du quartier de la gare Saint-Laud.

En dépit des difficultés et des multiples tracasseries auxquelles ils étaient astreints, ils demeuraient de jeunes hommes et de jeunes femmes et j’ai souvent entendu Lucette évoquer cette époque comme la période de leur vie où s’ébauchèrent des relations affectives ou amicales qui perdurèrent jusqu’à leur disparition.

Comme pour conjurer les horreurs de cette guerre qui les privaient des distractions habituelles, les jeunes notamment les employés du magasin de confection Joudon – place du Ralliement – où travaillaient ma mère Adrienne comme vendeuse retoucheuse et la sœur ainée de Lucette, Jacqueline Harné (1924-1998) –  » aimaient se retrouver le dimanche avec leurs connaissances respectives pour de longues balades à pied dans la campagne angevine ou sur les bords de Loire, jusqu’au sanctuaire de Béhuard sur la Loire!

Le prétexte de ces sorties étaient parfois religieux et même expiatoire – conformément aux standards pétainistes et culpabilisants de l’époque – mais, dans la réalité, ce qui les motivait surtout c’était le plaisir d’être ensemble et d’oublier la guerre. Des relations intimes pouvaient naître de ces joyeuses promenades dominicales: c’est probablement dans ces circonstances qu’Albert et Georges, les frères cadets furent associés à la bande et que Georges rencontra Lucette. Jacqueline, elle-même devint la femme d’un collègue du rayon mercerie, Constant.  

Malgré les affres de la guerre et la peur, la jeunesse est éternelle. A toutes les époques, elle parie sur la victoire de la vie : ce fut naturellement le cas dans les années quarante en Anjou !

Bois de Molières à Beaucouzé (49) en février 1943 – Le Marillais juillet 1943. Angers 1945: ils sont tous là – même Maurice

Après guerre, ils se sont tous mariés et les fratries de ma génération se sont constituées. Chacun mena sa vie et sa carrière, au gré des opportunités et de ses espoirs. Lucette l’ancienne militante de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne mit au monde trois enfants, Claudie en 1950, Jean-Philippe en 1953 et François en 1958.

Par la suite, il n’y eut guère d’événements rassembleur de la famille jusqu’au début des années 2000, sans que les uns ou les autres n’évoquent à un moment donné cette période de la guerre. Bien que douloureuse, cette période fut aussi celle de l’espoir et de la détermination à survivre. Parfois leurs souvenirs divergeaient sur des points de détail ou des dates, mais sans que l’affection mutuelle qu’ils se portaient ne soit remise en cause. Les amitiés et les amours de jeunesse ne s’oublient pas. Dans le cas de mes oncles et tantes et de mes parents, elles se cultivèrent jusqu’au terme de leurs existences.

Solidaires et soudés pendant la guerre et ils demeurèrent complices. Ils firent avec ceux de leur âge, la prospérité de la France au cours de ce qui fut appelé par la suite: « les Trente Glorieuses ». Lucette y prit sa part et c’est celle dont nous nous souviendrons.

Son histoire aujourd’hui s’achève. Elle n’est plus physiquement des nôtres. Forte d’une nombreuse descendance elle fut une mamie aimante que ses petits-enfants remercièrent en jetant des sucettes sur sa sépulture encore ouverte. Elle a fait son boulot! Bien, discrètement et honnêtement. Elle a aimé, elle a travaillé, elle a pleuré mais elle a aussi consolé, réconforté, tenu bon, fait sourire aussi !

Bref, c’est une femme de bien à laquelle nous songieons en ce jour de deuil! Qu’elle repose désormais en paix avec les siens.

Georges et Lucette à un mariage à Angers en 1963.

PS1 : Pour la période 1940, voir: – https://6bisruedemessine.wordpress.com/2013/03/28/de-fil-en-aiguille-vendeuse-en-mercerie-et-retoucheuse-chez-joudon-1940-1947/

PS2: Lucette vécut une grande partie de son enfance après le décès de son père, rue Chevreul. Or, Michel-Eugène Chevreul, qui était né en 1786 à Angers et mort en 1889 à Paris, était un grand chimiste français et comme peut-être elle aurait aimé être. Comme son père: un clin d’œil du destin!


Read Full Post »

A contrario de toutes les autres disciplines scientifiques, la climatologie moderne est passée du statut de théorie à celui de bréviaire où le doute n’est plus toléré et tout questionnement méthodique banni, sous peine d’encourir l’accusation suprême et infamante de « complotiste ». Pire! De climatosceptique!

Ainsi, le réchauffement de la Terre est désormais un dogme et tout événement météorologique, de quelque nature que ce soit et où qu’il se produise, doit être interprété à l’aune de cette théologie, comme une confirmation. Il n’y a guère que la tectonique des plaques à l’origine des séismes et le volcanisme qui échappent « encore » à cette « révélation unificatrice du Grand Tout de la Nature ».

De la sorte, s’il est admis que la théorie de la gravitation universelle d’Einstein puisse être remise en cause après la déroute épistémologique de celle de Newton, et qu’en outre, rien ne saurait demeurer figé dans le marbre d’intangibles connaissances universelles, le réchauffement climatique et surtout son imputation androgène ne sont en rien discutables.

Il en découle que le froid que l’on observe, ici et maintenant, n’est jamais qu’une preuve supplémentaire d’un réchauffement global. Seuls les ignorants y voient un soupçon de paradoxe. D’ailleurs, les commentateurs météo ne se privent pas de souligner, chaque fois qu’ils le peuvent, qu’une séquence climatique où on se les caille fait exception par rapport au reste du monde où le réchauffement grignote sans relâche, en multipliant les épisodes caniculaires beaucoup plus représentatifs de l’état climatique de notre planète. Et si cette mise en garde ne suffit pas, il est toujours possible de faire appel à la sécheresse qui transforme nos rivières en des oueds asséchés de contrées semi-désertiques et de brandir la menace d’une pénurie endémique d’eau au cours de l’été prochain, qui contraindrait les préfets à réglementer l’arrosage de nos potagers bio et l’usage des chasses d’eau dans les HLM ainsi qu’à surveiller les piscines privées avec des drones.

Les « vrais » hivers de nos enfances n’existeraient donc plus autrement que comme les supports virtuels de notre nostalgie d’un passé définitivement révolu.

Dans ce contexte, l’hiver de cette année 2023 qui apparait plus rigoureux que d’habitude sous nos latitudes, ne serait qu’une parenthèse froide et locale dans un environnement climatique global en danger imminent de surchauffe! Haro donc sur tous les frileux qui s’obstinent à faire confiance aux thermomètres pendus à leur fenêtre, car ce qui importe, ce ne serait pas tant ce qui nous fait frissonner mais ce que prévoient les modèles météorologiques et les algorithmes à ambition planétaire. Et que confirment d’ailleurs les cartes satellitaires aux allures de poumons fibrosés, que seuls les spécialistes savent décrypter et faire parler!

L’hiver « ressenti », surtout s’il nous apparait glacial au travers de nos moufles, ne serait en fait qu’une illusion trompeuse de nos sens, voire un épiphénomène isolé et non représentatif d’une tendance globale à l’échauffement! Tendance désormais élevée au rang de révélation évangélique par les éminents experts de la papauté climatique réunis au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Leur infaillibilité n’est plus une hypothèse mais un fait avéré.

Pour cet aréopage de savants prophètes et putatifs sauveurs de la Terre, de l’humanité et même du « vivant » dans son ensemble, cette montée globale des températures irait de pair avec celle des eaux océaniques dont elle serait la cause. Elle serait d’ores et déjà inéluctable et dévastatrice. Sauf peut-être à battre collectivement et individuellement notre couple et à obéir sans broncher aux multiples injonctions liberticides dictées par notre inconduite passée, la descente aux enfers serait irréversible.

A l’appui de ce sombre pronostic, des cohortes de philanthropes académiques flanquées de jeunes ados hallucinées et probablement manipulées, exhibent des milliers d’études « scientifiques » qui enchainent les prévisions cataclysmiques, tantôt sur la fonte des neiges éternelles et des calottes glacières, tantôt sur la montée des eaux, tantôt encore sur la disparition de nombreuses espèces vivantes, prélude à une nouvelle et « sixième » extinction et même sur la multiplication des embrasements criminels des forêts. Seuls les virus et les bactéries tireraient leur épingle du jeu de ce bouleversement planétaire!

Après plus de quatre milliards d’années d’existence, la terre subirait donc un dérèglement quasi inéluctable et exceptionnel de ses subtils équilibres naturels, du fait des excès criminels d’une seule des espèces vivantes y ayant élu domicile, à savoir l’humanité. C’est tout juste si note insouciance condamnable d’émetteurs forcenés de gaz à effet de serre ne modifierait pas l’orbite de la Terre autour du soleil et n’inclinerait pas défavorablement son axe sur le plan de l’écliptique.

Bref, dorénavant on ne plaisante plus! Il faut se soumettre pour ne pas disparaitre! Tel est l’enjeu qu’on nous propose sous le vocable générique de transition écologique, voire énergétique et de recours systématique à la sobriété et à la tempérance. Bref, il nous faut renoncer, de gré ou de force, à ce qui caractérisait jadis une grande partie de notre qualité de vie et avec elle, notre joie de vivre. Une nouvelle fois, on nous chasse du Jardin d’Eden pour avoir croqué trop goulument une pomme génétiquement modifiée élevée aux pesticides.

Nous sommes donc fermement invités à accorder exclusivement notre confiance aux intelligences artificielles qui désormais prennent le relai de nos cerveaux embrumés pour prédire l’évolution de masses d’air, des températures et des précipitations. Et renoncer à nos propres sensations ou même aux mesures de nos antiques baromètres ou thermomètres.

Nos antiques instruments de mesure, à partir desquels nous basions depuis des siècles la métrologie du quotidien – celle de proximité – par l’observation de notre propre jardin ou du clocher de notre village, doivent non seulement être remisés et désormais regardés comme suspects, mais même carrément bannis ainsi que les dictons qui allaient de pair, du type  » Noël au tison, Pâques au balcon » ou encore « S’il pleut à la Saint-Médard, il pleut quarante jours plus tard, à moins que Saint-Barnabé ne lui coupe l’herbe sous le pied »!

A quoi bon en effet persister à honorer ces niaiseries à connotation identitaire, alors que l’heure est au métissage des cultures et à la délocalisation des sensations et des impressions, dans le temps comme dans l’espace? A quoi bon, alors que le passé, le présent et le futur, comme la réalité et le virtuel se confondent et s’amalgament dans l’univers numérique, conférant à ce qui se passe aux antipodes autant d’importance qu’aux événements survenant au seuil de notre maison? .

Face à ce dérèglement complet de nos sensations climatiques, il ne reste plus guère que nos souvenirs d’enfance pour représenter une réalité hivernale qui ne se limite pas au cartes météo de nos téléviseurs avant le Journal de Vingt Heures! Ces pauvres souvenirs d’une époque où l’on s’apitoyait du sort des animaux errants par les nuits glaciales et que pour se chauffer, il fallait bourrer la cuisinière de la cuisine, de boulets de charbon entreposés en tas au fond du jardin.

Ainsi ce n’est pas sans une certaine mélancolie de ce monde disparu – vérité prosaïque de jadis – qu’on se remémore cet hiver 1962-1963 – il y a soixante ans – où en Anjou comme un peu partout en France, un froid quasi polaire survint, dès le début janvier. La Maine à Angers puis la Loire dans sa traversée de l’Anjou charrièrent des blocs de glace puis se figèrent. Les vieux, la génération de nos grands-parents, celle des poilus de 14-18 disaient n’avoir jamais vécu auparavant d’hiver aussi rigoureux, même dans les tranchées.

Le froid était arrivé dès la mi-novembre 1962 et s’était prolongé jusqu’au début mars 1963. Sur les côtes atlantiques proches de l’estuaire de la Loire, on notait des températures inférieures à -10 °C.

De surcroît, après une première vague, le froid s’était amplifié en janvier atteignant une intensité hors norme avec des températures ambiantes de vingt degrés en dessous de zéro.

Le dimanche, on partait en famille sur les bords de Maine ou de la Loire Angevine pour se régaler de ce spectacle polaire. Et on traversait le fleuve à « pieds secs » très en amont de Saint-Mathurin jusqu’aux Ponts-de-Cé et au-delà!

Sur le pont franchissant la Loire à Saint-Mathurin

La Maine à Angers

Du haut de leur chaire, les « experts » dirent par la suite que cet hiver fut probablement le plus froid jamais connu auparavant. On le savait d’instinct, comme les animaux sauvages qui moururent en grand nombre faute de nourriture sur les terres gelées.

On respirait alors à pleins poumons l’air glacial venu d’Europe centrale, sans prendre conscience alors de notre bonheur de vivre! Mais les temps ont changé. On ne reconnait plus l’hiver qui n’est plus l’hiver mais est devenu le prélude virtuel à la canicule.

D’Europe Centrale, ce sont désormais les bruits de la guerre qui nous glacent le sang et non le froid! Quant à nos poumons, ils s’époumonent! Et notre inspiration s’épuise.

Quelle chance nous avons eue de connaitre l’hiver dépouillé d’algorithme!

___

Read Full Post »

Il y a quatre-vingt seize ans tout juste, le jeudi 6 janvier 1927, naissait au 20 rue Desmazières à Angers, un de mes deux oncles maternels, Georges Turbelier (1927-2009), cadet d’une fratrie de trois enfants. Deux prénoms supplémentaires lui furent attribués – comme il était d’usage en ce temps là – d’une part Alexis en hommage à son grand-père paternel et probablement aussi, au frère de son père, « mort pour la France » en 1918 sur le front de la Somme et d’autre part, Louis le prénom de son père.

Les souvenirs abondent de cet homme bienveillant, chaleureux et joyeux, qu’on ne pouvait pas ne pas aimer. Un seul parmi mille me vient à l’esprit à l’instant où je rédige ces quelques lignes: une longue lettre qu’il m’adressa pour me féliciter lorsque j’obtins mon baccalauréat en 1967… Outre mes parents, il fut l’un des rares des générations qui me précédaient à marquer l’événement. Un événement qui n’était alors pas aussi banal ou banalisé qu’aujourd’hui dans les couches populaires.

Disons qu’à la différence des temps actuels, le bac était jadis perçu comme un facteur d’ascension sociale. Il n’était pas attribué pour solde de tout compte comme une simple attestation de fin de cycle secondaire avant de pointer au chômage après avoir mendié sans succès une inscription souhaitée à l’université!

Georges ne fut cependant pas le seul à « marquer le coup », car deux des sœurs célibataires de mon défunt grand-père maternel, deux talentueuses couturières à façon qui vivaient dans une sorte d’entresol du quartier de la Madeleine à Angers m’offrirent un paquet de Gauloises et un apéro sur le plateau de leurs machines à coudre!

J’ai fumé les cigarettes. Digéré depuis longtemps l’apéro. Mais je conserve, comme un bien précieux, la lettre, les vœux et les encouragements formés à mon endroit par  » Tonton Jojo »!

Il est présent sur la photographie de famille ci-dessous – homme avec moustache – prise au début des années 60 au 6 bis rue de Messine à Angers, avec sa mère née Adrienne Venault (1894-1973), son frère ainé, Albert né en 1925 et sa sœur Adrienne (1923-2018) ainsi que leurs conjoints et tous les enfants.

La moitié des présents n’est plus des nôtres, à ce jour

Georges est décédé le 24 octobre 2009 à Saint-Herblain en Loire-Atlantique.

Read Full Post »

Le 7 novembre 2017, mon père Maurice Pasquier (1926-2017) s’éteignait, emporté par un cancer du pancréas, dans une unité de soins palliatifs de l’hôpital de Bligny en région parisienne.

Cinq ans se sont écoulés depuis ce jour! La sidération que provoque toujours la mort des siens, même lorsqu’on la sait inéluctable, s’est progressivement estompée. Le travail de deuil a fait son œuvre et la douleur de cette disparition est désormais assimilée et intégrée au cycle normal de la vie!

« Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie le visage et l’on oublie la voix »

Nous percevons aujourd’hui avec acuité, la quasi-justesse de cette chanson de Léo Ferré (1916-1993). Tout ou presque effectivement s’érode et en principe disparait dans la durée, A commencer par les sensations ressenties auprès de l’agonisant ou du disparu, les saveurs de l’existence et peut-être aussi les émotions qui vont avec.

A quatre-vingt-onze ans, mon père est ainsi parti, précédant ma mère Adrienne Turbelier (1923-2018) d’un trimestre. Depuis 1945 il ne s’étaient pas quittés. La mort qui les avait momentanément séparés, a mis moins de cent jours pour remettre leurs pendules synchrones et les réunir. A quatre-vingt-onze et quatre-vingt-quatorze ans respectivement, chacun en général parvient à se convaincre que ces âges sont honorables pour mourir!

On finirait même par admettre que la mort des siens, qui se présente comme une des frontières énigmatiques de notre propre vie, procède d’un enchainement salutaire des générations, presque libérateur pour ceux qui survivent. La réalité est radicalement autre. En effet, ceux qui s’en vont emportent avec eux des pans entiers de notre histoire intime. Ils sont notre mémoire, celle de notre Anjou, celle de l’enfance, celle d’une fratrie composée d’un frère et de trois sœurs. Celle des balades dans les forêts angevines à l’automne pour ramasser les marrons, celle des repas de Noël rue de Messine à Angers, celle enfin de la Deux Chevaux Citroën dans laquelle quatre enfants se serraient « comme des sardines » sur la banquette arrière. Celle des copains du syndicat de Maurice, celle de la Chèvre Blanche, la boutique où ma mère était vendeuse, celle des ménages qu’elle faisait pour « mettre du beurre dans les épinards », celle de la couturière qui confectionnait nos vêtements et tant d’autres souvenirs vieux de trop de décennies accumulées et que je partage avec mes sœurs.

Rien ne saurait s’effacer de ces épisodes fondateurs de notre jeunesse, dans laquelle notre père et notre mère étaient les principaux acteurs!

Malgré tout, comme le prétend Léo Ferré, le temps qui passe après la disparition d’un être cher, engendre un oubli nécessaire et réparateur. Mais il n’efface rien de notre affection pour ceux qui nous ont accompagnés dès nos premiers balbutiements et qui nous ont tout appris et constamment pardonné. Qui étaient présents lorsque nos premiers regards se sont posés avec ingénuité sur le monde et qui étaient toujours à nos côtés des décennies plus tard au seuil de notre propre « troisième âge » où nos rôles respectifs se sont parfois inversés.

Ainsi, il ne se passe guère de journée depuis cette date singulière de leur décès, celle où le temps s’est arrêté pour eux en abord d’une insondable infinitude, sans que nos pensées ne se télescopent avec celles que nous aimons leur prêter en narguant la grande faucheuse.

Certes, nous n’entendons plus le son de leurs voix, nous ne voyons plus les rides de leurs visages et même nous avons oublié les stigmates de leur souffrance dans les derniers instants, mais nous continuons à nous référer sans forcément en prendre conscience, aux valeurs ainsi qu’aux manières d’être et de penser qu’ils nous ont légués.

Notre privilège d’être encore vivants alors qu’il ne sont plus, se manifeste dans cet héritage que nous avons mission de fructifier. Ils sont à la fois notre patrimoine et nos racines; ils sont les principaux artisans et metteurs en scène de ce que nous sommes devenus. Et, à ce titre, nous leur devons la reconnaissance sans pour autant biffer ce qui parfois nous opposait. Mais surtout sans renier le message de liberté et de responsabilité qu’ils se sont évertués à nous transmettre, et sans s’excuser de l’amour que pudiquement nous nous portions réciproquement.

Nos controverses d’antan n’apparaissent plus désormais que comme des anecdotes plus ou moins dérisoires et, en tout cas, toujours datées. Nous devons donc, sans les ignorer, les regarder comme des voix d’un passé toujours présent, riche d’approches dialectiques et complémentaires de l’existence, forcément différentes du fait de leur temporalité mais riches de réflexions fécondes que nous avons vocation à prolonger.

De la sorte, sans qu’il soit besoin de recourir à une quelconque immanence ou transcendance, Papa et Maman demeurent parmi nous, en nous, devrais-je écrire! Ils demeurent notre boussole mais nous laissent, comme jadis, la liberté d’opter pour d’autres chemins que ceux qu’ils auraient peut-être empruntés.

Honorer leur mémoire ne relève donc plus d’un devoir ou d’une obligation de piété filiale, mais de la préservation d’un référentiel qu’il nous appartient d’enrichir de nos propres expériences pour nous hisser vers l’avenir.

Jardin du Mail à Angers

Read Full Post »

A l’approche de la Toussaint, la tradition voulait jadis qu’on fleurisse les tombes de nos proches disparus, ceux qu’on avait aimés et qui ne sont plus. Ce rituel demeure en partie de nos jours, du moins par la pensée et presque exclusivement dans la tête des anciennes générations aujourd’hui de plus en plus clairsemées, c’est-à-dire de celles nées juste avant-guerre ou juste après lors du baby-boom inaugurant les Trente Glorieuses.

Les générations précédentes décimées ne sont presque plus partie prenante et les nouvelles qualifient plus volontiers cette période de l’année de « vacances d’automne », sans référence particulière au souvenir des trépassés.

L’éloignement des familles de leurs provinces d’origine est en grande partie la cause de cette désaffection. Mais pas seulement, l’atomisation géographique est également responsable ainsi qu’une sorte d’amnésie collective doublée d’un certain désintérêt des générations montantes pour tout ce qui concerne l’Histoire. A leur décharge, elle est généralement mal enseignée à l’école, voire ignorée dans le flux envahissant des mondes virtuels et constant par écrans interposés.

En tout état de cause, le culte des ancêtres n’a plus guère la côte. Il n’est plus de mise. Et ce paradoxalement, alors que les allées des centres commerciaux des grandes métropoles et de leurs banlieues fourmillent de jeunes gens et de jeunes femmes, qui promeuvent ostensiblement des idéologies moyenâgeuses et déambulent en s’affublant d’accoutrements religieux archaïques et incommodes.

La « fête » de la Toussaint n’est donc plus regardée par la majorité de nos concitoyens comme celle du souvenir de nos aïeux ou comme une occasion de s’accorder un temps de recul, de pause et de réflexion en leur compagnie pour évaluer les bouleversements du monde. Cette coutume se perd et sa perpétuation ne motive plus guère que les fleuristes ou les jardineries.

Lorsqu’on se situe plutôt – à l’exemple du rédacteur de ces lignes – dans le dernier quart de son existence, l’abandon de ces rites religieux ou païens – qu’on n’appellera surtout pas identitaires pour s’éviter les foudres des forcenés du multiculturalisme – chagrine et on est en droit, à divers titres, de cultiver une certaine nostalgie d’un passé révolu.

Lorsque par ailleurs, on appartient de fait, à cette frange de la population qui regarde les cimetières comme des lieux de future résidence, visités comme des appartements témoins, la Toussaint fournit une bonne occasion de s’enquérir du voisinage pour l’éternité. En tout cas, celui de la famille, des amis ou des collègues de travail, bref de tous ceux qui, à un moment ou à un autre de notre existence nous ont tenu la main, nous ont guidés ou parfois chaperonnés.

Tous ceux qui reposent en ces lieux de silence, désormais éloignés du mouvement vibrionnant de l’oppressante actualité, ne sont pas tous nos amis, mais tous semblent « cohabiter » dans une apparente sérénité. La Camarde ne fait pas dans la dentelle en matière d’égalité. Tous passent, un jour ou l’autre, par sa faux et il n’est pas indifférent de se le rappeler.

Du temps de ma jeunesse au siècle dernier, la plante privilégiée pour incarner la Toussaint ou le « Jour des Morts » qui lui succède, c’était le chrysanthème à grosse tête mordorée, symbolisant l’automne dans ces lieux du souvenir.

Accompagnant ma grand-mère maternelle qui ne fleurissait qu’une seule tombe du cimetière de l’Est à Angers, celle de son mari et de sa mère, la sienne aujourd’hui depuis 1973, je me souviens qu’elle ne déposait qu’un seul pot et c’était, conformément aux us de l’époque, un pot de chrysanthèmes.

Dans la jardinière en avant de la pierre tombale, elle plantait en outre de petites « pensées sauvages violettes et bleutées au cœur jaune ».

Venus à pied du quartier périphérique de la Madeleine, via le chemin des Noyers jusqu’à la ligne de chemin de fer surplombant la nécropole, elle achetait son pot de chrysanthèmes à l’un des nombreux pépiniéristes ou horticulteurs angevins, qui les jours de Toussaint disposaient leurs étals à l’entrée du cimetière.

Après avoir placé les fleurs, s’être recueilli quelques instants et récité – surtout elle – la petite prière de rigueur, nous flânions dans les allées arborées, nous attardant ici ou là, sur les nombreuses sépultures de la famille ainsi que sur certains tombeaux remarquables comme celui de la famille Lafourcade qui l’avait employée comme cuisinière après la première guerre mondiale. ou encore la chapelle emblématique de la famille Cointreau et beaucoup d’autres. Sans compter une halte obligée devant la colonne commémorative de l’effondrement du Pont de la Basse-Chaine qui provoqua la mort le 16 avril 1850, plus de deux cents soldats qui marchaient au pas.

Au cours de ce cheminement spatio-temporel, elle n’était pas avare de commentaires sur les vivants et sur les morts, comme si tous appartenaient toujours à la même communauté et qu’un dialogue contradictoire pouvait s’ébaucher entre eux et nous.

Aujourd’hui « le temps des chrysanthèmes » tel qu’il se déroulait alors, n’est plus vraiment d’actualité. Il devenu celui d’Halloween d’origine anglo-saxonne, une fête au cours de laquelle les enfants se déguisent en fantômes, en sorciers ou en vampires en quête de bonbons récoltés en faisant du porte-à-porte dans les quartiers résidentiels.

La Toussaint n’est donc plus qu’un support à réveiller la mélancolie dans l’esprit des troisième et quatrième âges.

Même les chrysanthèmes ont été transformés, à force d’hybridations répétées. Désormais plus attrayants, plus colorés, plus chatoyants, plus petits et en un mot, plus « divers », ils demeurent, malgré tout, des fleurs. Mais des fleurs qui peinent à faire oublier les chrysanthèmes d’antan. Elles réussissent surtout à rendre invisible la Toussaint sur le calendrier.

En ce sens, ces fleurs qui effacent le passé par suite de transformations et de travestissements multiples sont un peu à l’image d’une certaine modernité, qui fait progressivement disparaitre, tout en les invoquant en permanence, des valeurs et des principes que nous ont enseignés nos maitres et qui jusqu’à ces dernières années, ont servi de matériau structurant et de référence à nos sociétés et à leur cohésion.

Ainsi en est-il de tant de mots détournés de leur sens comme la laïcité, la propriété, la sécurité et l’ordre publics et même le concept de République associé aux notions de droits et de devoirs. Sans oublier les belles notions de respect, de tolérance et de citoyenneté citées à tout bout de champ et à contresens pour justifier des actes qui précisément n’en relèvent pas.

Ces dérives mortifères qui ouvrent la porte au désengagement citoyen, à l’individualisme, à la violence obscurantiste, à la loi de la jungle ainsi qu’à la sauvagerie ou à la barbarie, remettent en cause les fondements même de toute civilisation, et en particulier de la nôtre héritée de l’esprit des Lumières et de la Raison.

Décidément, il est temps d’appeler un chat un chat et d’affirmer sans honte de passer pour un vieillards acariâtre, que les ersatz multicolores des chrysanthèmes qu’on cherche à nous vendre avec les masques de sorcières, ne sont pas des chrysanthèmes.

C’est une exigence de clarté et probablement une condition de notre survie collective.

Read Full Post »

Le mardi 29 août 1922, le bulletin météorologique publié dans le Petit Courrier, le quotidien républicain de l’Anjou annonçait un temps chaud et nuageux, ponctué d’éclaircies et de quelques ondées, avec une température oscillant entre 16° C au petit matin, 26° à midi et 21° à vingt-et-une heures. En un mot, c’était l’été. Un été, légèrement plus chaud que les années précédentes mais globalement assez classique en régime océanique.

Ce jour-là que rien ne distinguait des autres jours depuis la fin de la guerre, le journal des angevins, qui se revendiquait à la fois d’un ancrage local alimenté par les faits divers de la région, et d’une ligne éditoriale à vocation généraliste et nationale, évoquait en « une », des grèves sur les chantiers navals du Havre. Le journaliste y déplorait qu’elles se soient soldées par des affrontements meurtriers avec les forces de gendarmerie.

La première page revenait par ailleurs sur une nouvelle de la veille : le naufrage d’un cuirassé de la Royale au large de Quiberon à quelques encablures du phare de la Teignouse. Les premiers éléments de l’enquête venaient en effet de montrer que cet infortuné navire de la marine nationale, baptisé « France » s’était éventré sur des récifs à la suite d’une mauvaise indication d’une sonde bathymétrique. On comptait plusieurs disparus., probablement prisonniers de la coque sous quelques dizaines de mètres de fond. .

En première page également, figuraient, parmi les événements importants, des incendies de forêt dans le Var.

Sous forme de « brèves » le lecteur était par ailleurs informé d’opérations militaires conduites au Maroc dans le Moyen Atlas contre des tribus autochtones qualifiées d »insoumises ». Il est peu probable que cette dernière info à propos de combats lointains, ait ému beaucoup d’angevins, sauf sans doute mon grand-père Marcel Pasquier (1892-1956) qui avait servi comme cavalier de première classe dans les chasseurs d’Afrique entre 1910 et 1919. Mais ce jour-là, il avait aussi d’autres motifs d’intérêt au sein même de sa propre famille!

Enfin l’édition du 29 août 1922, comme celle des jours précédents, rappelait les difficiles et lancinantes négociations avec l’Allemagne pour fixer le montant des dommages de guerre et les conditions de réparations, pourtant prévues dans le traité de paix signé avec l’Allemagne en 1919 à Versailles.

D’ailleurs, alors que quatre ans s’étaient écoulés depuis l’armistice du 11 novembre 1918, presque chaque numéro de la presse locale ou nationale, consacrait quelques lignes aux hommages aux soldats, aux commémorations des batailles de la Grande Guerre ainsi qu’aux activités mémorielles des associations d’anciens combattants. Les décorations octroyées à titre posthume aux poilus morts en héros sur le front étaient systématiquement mentionnées. Chaque rapatriement de leurs dépouilles en terre natale à la demande des familles faisait également l’objet d’un court article. A titre d’exemple, le 27 août 1922, le journal informait du retour des cendres d’un soldat tué à Verdun en 1916 et originaire de Beaucouzé (49). Les restes d’un cousin germain de ma grand-mère et de mon grand-père paternels, tué en 1915 à Neuville Saint-Vaast avaient été ramenés au Lion d’Angers dans des conditions similaires, peu de temps auparavant.

En tout état de cause, ce qui frappe à la lecture du Petit Courrier, c’est l’omniprésence rédactionnelle du conflit mondial récent. Manifestement le traumatisme de la Guerre de 14-18 était loin d’être cicatrisé et a fortiori assumé. Chaque numéro s’attardant, d’une manière ou d’une autre, sur la souffrance encore vive de la population qui continuait de pleurer ses « martyrs » dont les noms étaient désormais inscrits sur les monuments aux morts, érigés en leur mémoire dans chaque village. La saignée infligée par la guerre avait été d’autant plus rude que la classe d’âge sacrifiée en grand nombre était précisément constituée de jeunes adultes. Ceux-là même qui auraient dû être, dans ces années d’après-guerre, les forces vives de la Nation, dans les champs comme dans les usines, et d’abord dans les familles.

Heureusement, le journal dont une grande partie de la population prenait connaissance dès l’aube grâce à une distribution de portes à portes, comportait d’autres informations que celles, peu réjouissantes, liées aux conséquences douloureuses de la tragédie passée.

Parmi ces actualités réconfortantes, il y avait d’une part les naissances dont la liste était publiée chaque jour pour celles de la veille et, bien sûr, les manifestations festives, ludiques, voire économiques comme les comices agricoles qui attestaient, chacune à leur manière, de la capacité de résilience collective du pays malgré le deuil qui l’affligeait.

Parmi les « bonnes nouvelles » il y avait les fêtes votives et villageoises, comme le feu d’artifice du Lion d’Angers du 27 août 1922 et la retraite aux flambeaux qui s’ensuivit portée par « une assistance nombreuse et enthousiaste ».

Dans l’édition du 28 août 1922 et les suivantes, un article était également dédié aux courses du Lion d’Angers, bourg d’origine de la plupart de mes aïeux paternels, à l’hippodrome de Durval sur la route de Vern d’Anjou qui avait été rénové pour la circonstance et où furent accueillis des parieurs en grand nombre mais surtout des foules d’amoureux de la race chevaline. Etaient présents lors de l’inauguration tous les notables aristocratiques et les élus de la région, dont le quotidien publia scrupuleusement une liste exhaustive. On se serait cru aux temps heureux de la Belle Epoque, où les toilettes de la comtesse de Tredern et de la duchesses de Brissac rivalisaient avec celles de la baronne de Candé.

Petit Courrier daté du 29 août 1922

S’agissant de l’état civil « heureux », le Petit Courrier publiait le mardi 29 août 1922 la liste des naissances de la veille à Angers. Et parmi celles-ci, était mentionnée celle de Renée Pasquier, le lundi 28 août 1922 au domicile de ses parents. En fait, le couple Pasquier louait depuis quelques semaines seulement un petit appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble du 65 de le rue de la Madeleine. Au regard des standards actuels, il serait même considéré comme  » très » modeste car il ne comportait (à ce moment-là) que deux vraies pièces, à savoir une cuisine assez vaste mais sombre, dotée de l’eau courante, ainsi qu’une grande chambre avec fenêtre sur cour, communiquant avec un « bow window » vitré assimilable « avec un peu d’imagination  » à un jardin d’hiver ou à un cabinet de toilettes fictif. Les « commodités » étaient extérieures et collectives, et un jardinet fermé au fond par un puits était mis à la disposition des locataires, charge à eux d’en faire un potager.

C’est en ce lieu que Renée Pasquier qui nous a quittés le 23 octobre 2016, passa son enfance et sa jeunesse en compagnie de ses trois frères et de leurs parents.

Nul ne sait d’ailleurs quand elle décéda, si à 94 ans elle avait gardé le goût de vivre et si cette mort qui l’arrachait à l’affection des siens ne correspondait pas à un souhait qu’elle avait parfois exprimé devant moi à plusieurs reprises, de rejoindre Marcel Pilet (1919-1996) son amour et le père de ses sept enfants. L’âge venu, l’absence de son époux lui pesait et elle s’indignait de ne plus jouir de la liberté de se déplacer comme elle l’entendait. Cette liberté d’être et de se mouvoir qu’elle élevait devant moi au rang de vertu cardinale, qu’incarnaient à ses yeux « Le temps de cerises » de Jean-Baptiste Clément, et son vélo qu’elle enfourchait avec vivacité pour parcourir jadis « la rue Saint-Léonard jusqu’à la Madeleine ».

Mariage de Renée et Marcel – Angers le <6 juin 1943 – les deux familles

Elle avait épousé Marcel Pilet, un gars du quartier de la Madeleine, le 6 juin 1943 à Angers, un beau gaillard de trois ans son ainé, une personnalité chaleureuse, attachante et vif d’esprit, un cheminot aussi doublé d’un talent de jardinier hors pair. Et ils ne se quittèrent plus jusqu’à son décès à l’automne 1996, terrassé par une crise cardiaque en voulant arracher un « putain » de noisetier sauvage qui parasitait le mur de sa maison. Sans rire, Marcel m’a appris deux choses fondamentales dont j’use encore septuagénaire: nouer une cravate et me convaincre que le sécateur était l’outil principal de quiconque souhaite cultiver un jardin!

Depuis la disparition de Marcel, Renée avait, en tout cas, perdu une partie d’elle même et de sa joie de vivre . Mais, ne communiquant que rarement ses peines, ses regrets intimes ou ses secrètes fêlures, elle s’accrocha sans maudire, manifestant au contraire un certain optimisme qu’elle puisait probablement dans l’amour inconditionnel de tous les enfants qu’elle avait mis au monde. De la sorte, sa gaité, sa confiance dans l’avenir et son volontarisme rendaient sa compagnie agréable. Recherchée même par ceux qui l’entouraient. Ses voisins de la rue Charles Péguy!

En tout cas, elle ne confiait pas ses tracas au neveu que j’étais et qui ne la rencontrait qu’épisodiquement lors de mes rares passages à Angers. Elle se contentait de m’accueillir les bras ouverts, le sourire aux lèvres. Et si, malgré tout, elle faisait part de sa lassitude, c’était sur un ton badin ou implicitement au détour d’une remarque générale sur la dureté de la vie. Le plus souvent pour évoquer les difficultés notamment de santé, de tel ou tel des siens, et au premier chef, de ses enfants.

Ce dont je peux attester sans forcer le trait, c’est que ce n’était pas par devoir qu’on se rendait chez elle, dans le quartier de Saint-Léonard, mais par plaisir d’échanger avec elle et d’entendre des nouvelles de la famille. Elle était, à cet égard, l’incontournable référence, la mieux informée et même fréquemment l’ultime recours, en particulier pour les rameaux les plus éloignés dans notre arbre généalogique commun, comme ceux du Lion d’Angers des années trente ou quarante du siècle dernier.

Sœur ainée de mon père Maurice Pasquier (1926-2017) elle lui portait une affection profonde et protectrice. Et ce, depuis toujours. Lui-même lui téléphonait régulièrement de Massy où il résidait depuis de nombreuses décennies, et ses derniers voyages à Angers, malgré les handicaps de la vieillesse lui étaient en grande partie consacrés. Cette affection réciproque, fondée sur une complicité jamais démentie et une grande connivence depuis l’enfance, se prolongea jusque dans les dernières étapes de leur vie.

Le 28 aout 2022 elle aurait eu cent ans.

Elle était le deuxième enfant et la seule fille d’une fratrie qui en comprendra quatre. Sa mère Marguerite Cailletreau (1897-1986), native du Lion d’Angers était couturière et son père Marcel Pasquier (1892-1956), cheminot à la gare Saint-Laud d’Angers. Bien que né à Vervins dans l’Aisne, ce dernier était lui-même issu d’une famille implantée de très longue date sur les rives de l’Oudon, au Lion d’Angers et dans ses environs. Engagé dans un régiment de chasseur d’Afrique en 1910, il avait été affecté sur le front français durant la Grande Guerre, et c’est à l’occasion d’une permission en décembre 1917 au Lion d’Angers chez un de ses oncles, qu’il rencontra Marguerite.

Tout indique que ce fut le coup de foudre puisqu’ils se marièrent au Lion d’Angers le 21 octobre 1918 moins de trois semaines avant l’armistice. Après avoir participé aux derniers combats en Alsace et en Lorraine, et à l’occupation de la Rhénanie et du duché de Bade, Marcel fut démobilisé au cours de l’été 1919 non sans avoir contracté entre temps la redoutable « grippe espagnole » qui lui valut plusieurs semaines d’hospitalisation à Strasbourg et en région parisienne.

De cette union naquit en août 1920 à Saint-Pierre-Corps, un premier fils, Marcel Pasquier (1920-1999)…

Tel était l’environnement affectif de Renée lorsqu’elle vit le jour, il y a cent ans.

Renée à 19 ans en 1941

Son existence par la suite ne fut pas toujours un long fleuve tranquille et son moral fut à plusieurs reprises mis à l’épreuve, car elle fut confrontée au malheur, notamment en 1955 lorsqu’elle perdit un enfant quelques jours après l’accouchement. Elle sut surmonter ces épreuves avec courage et fut pour tous, en exemple.

C’est la raison pour laquelle, il m’apparait juste de lui rendre hommage et d’évoquer sa mémoire au moment où la fuite du temps lui fait virtuellement franchir le cap des cent ans. Échéance que la providence qui est rarement « sainte », lui a refusé.

Il y a évidemment bien plus légitime et plus qualifié que moi pour marquer ce passage virtuel qui ne peut plus se matérialiser. J’espère qu’aucun de ses cinq enfants encore de ce monde – enfants dont elle ne cessait de se déclarer fière – ne me feront pas grief, de cette libre évocation mais très subjective de leur maman.

Je sais que ça ne se fait pas de « sabrer » le champagne dans les cimetières en parlant des défunts sans qu’ils puissent répliquer. Ou de parier sur une occurrence fictive qui ne se concrétisera pas. J’ai le sentiment que je le devais à ma chère marraine.

Bon anniversaire, malgré tout, « Tante Renée » confidente proustienne de notre « recherche du temps perdu »! Témoin d’une époque si lointaine et pourtant si proche. Si comparable par les balbutiements de l’Histoire qu’elle charrie sans relâche.

Dans sa cuisine dans les années 2000

Read Full Post »

C’était le 7 juillet 2010, il y a douze ans. Louisette nous quittait, en nous laissant tous orphelins. Qui, d’une maman, qui, d’une épouse, qui, d’une fille et qui d’une sœur. Tous les autres perdaient une amie accueillante, généreuse, imaginative et empressée. Une confidente aussi.

Juillet aout 1953 au Lion d’Angers – Louisette au centre

Un dessin sur la stèle de sa tombe au cimetière de Massy évoque une nuée d’étoiles s’élançant vers le cosmos… Pourquoi pas? Pourquoi ne pas s’imaginer que parmi les quelques deux cents milliards de soleils de notre Voie Lactée, quelques unes d’entre elles, font passer son message d’humanité jusqu’au tréfonds de l’univers.

En tout cas, nous, ce message qui ne peut échoir dans le néant, nous ne l’oublions pas, et, le moment venu, il sera du voyage, avec nous.

 » Les filles » – mes sœurs. Louisette en haut à gauche

Read Full Post »

Ce billet aurait pu et dû être titré: « la Honte en Anjou « … Car les rafles des juifs qui se déroulèrent, il y a tout juste quatre-vingt ans, à Angers – ma ville natale – constituent bien un des épisodes les plus déshonorants de l’histoire du Val de Loire angevin. Sinon le plus abject et ignominieux de toute la période contemporaine. Et pourtant, il fut longtemps banalisé au rang des drames classiques de la guerre.

Ce n’est heureusement plus le cas. Car les crimes génocidaires ne relèvent plus du droit commun des crimes « ordinaires ». Et de fait, la participation active sous les ordres de l’occupant nazi, du Préfet pétainiste de Maine-et-Loire, du commissaire central de la police locale, du commandant de la gendarmerie départementale et enfin de la plupart des gardiens de la paix de la police municipale à l’arrestation massive des juifs de l’Anjou et des Pays de Loire au cours de l’année 1942 relève indiscutablement d’une entreprise criminelle hors norme.

Une « opération » génocidaire assumée conçue par la folie antisémite d’Hitler et qui visait à éradiquer totalement les juifs d’Europe.

Il est possible – au moins s’agissant de la première rafle importante du 15 juillet 1942, que les différents protagonistes français, hauts gradés et exécutants subalternes, se soient laissés berner par l’illusion arrangeante que les personnes arrêtées – juridiquement coupables d’exister – seraient ensuite transférées dans des camps de travail à l’Est pour soutenir l’économie allemande. Un fantasme évidemment, en forme d’excuse inexcusable, car d’aucuns ne pouvaient ignorer ni la cruauté, le racisme et l’antisémitisme viscéral des nazis, ni la duplicité du régime de Pétain qui avait promulgué dès octobre 1940 des lois racistes excluant de facto les juifs de la communauté nationale.

Sans trop d’états d’âme, une grande majorité de ces consciencieux rond-de-cuir censés incarner l’autorité d’un état français fantoche, avait d’ailleurs fait appliquer les lois ignobles de Vichy et fait sanctionner les contrevenants juifs, c’est-à-dire de braves gens qui, pour tout crime, avaient omis de se déclarer « israélites » ou qui avaient pénétré indûment dans des lieux qui leur étaient désormais interdits.

En octobre 1942, lors de la seconde vague d’arrestations en Anjou, les fonctionnaires locaux du régime de collaboration en Anjou, préfet régional en tête, ne pouvaient plus miser sur leur innocence ou sur leur candeur quant aux intentions criminelles de leurs donneurs d’ordre. Ils savaient ou pressentaient l’horreur qui attendait ces malheureux à la sortie des trains et des wagons réquisitionnés et insalubres dans lesquels ils les avaient poussés à la hâte. Le lieu d’embarquement, le quai dit « du Maroc » proche de la gare Saint-Laud d’Angers, grouillait de monde, incrédule et apeuré. Mais les responsables savaient, grâce notamment aux informations que diffusaient clandestinement les mouvements de Résistance en particulier communistes que l’avenir de ces pauvres gens était très sombre. Pour ne pas dire plus!

Les autorités françaises ne pouvaient donc ignorer la tragédie qui se jouait ici et le sort réservé à ces innocents qu’on dépouillait sous leurs yeux. Elles n’eurent aucune excuse sauf celle de leur lâcheté. Elles ne furent – quoiqu’elles déclarèrent ultérieurement pour atténuer leur responsabilité – que de pitoyables complices d’un crime contre l’humanité, en d’autres termes, des supplétifs du nazisme et de l’ennemi.

C’est d’autant plus évident qu’il est désormais établi que la collaboration effective et même volontariste avec les SS et la Feldkommandantur, de la haute administration française fut indispensable à la réalisation de ces infâmies. Chez ces fidèles « serviteurs de l’Etat » elle atteste monstrueusement d’une perte totale d’humanité et même de sens civique, alors que deux ans auparavant ils vivaient encore en République et jouissaient, hors des heures de bureau, d’une réputation de bons maris – ou presque – de bons pères de famille et de bons chrétiens.

Comme les rafles du Vel d’Hiv à Paris – mais dans des proportions bien moindres – les arrestations angevines concernèrent tous les juifs résidant en Anjou, qu’ils soient réfugiés ayant fui les persécutions antisémites du Troisième Reich en Allemagne, qu’ils aient quitté les pays de l’Est envahis en 1939 et 1940, ou qu’ils soient habitants de longue date la capitale des ducs d’Anjou.

Comme partout ailleurs, ces rafles constituèrent en Anjou, province pourtant réputée pour sa douceur de vivre, la première phase de la « solution finale de la question juive », promulguée par Hitler et Himmler. La seconde – finalité ultime de cette barbarie – étant l’assassinat programmé des juifs d’Europe dans des camps d’extermination comme celui d’Auschwitz-Birkenau en Pologne.

L’ouvrage de l’historien Alain Jacobzone, « L’éradication tranquille » édité dans la collection Faits et Gestes aux éditions Ivan Davy en avril 2002 est à cet égard sans ambiguïté et parfaitement démonstratif. A lire et relire à l’occasion de ce triste anniversaire, car il dresse un tableau glaçant et documenté de cette collaboration servile de l’administration française locale avec les bourreaux.

Sans la contribution de la police municipale angevine et de la gendarmerie nationale locale, les nazis n’auraient pas pu, en effet, mener à bien ces sinistres opérations. Le chef des SS angevins admettait sans ambages que  » les SS ont actuellement trop d’occupations pour procéder eux-mêmes aux arrestations »!

On ne dira donc jamais assez la répulsion rétrospective qu’inspire globalement l’action de la police municipale d’Angers et de la gendarmerie française d’alors. A quelques exceptions près de gardiens de la paix ayant manifesté une bienveillance protectrice à l’égard de victimes, les deux institutions policières locales jouèrent un rôle déterminant dans la concrétisation de ce crime de masse.

Ce constat et ce sentiment ne remettent pas en cause l’audace de certains fonctionnaires, proches des milieux résistants ou catholiques, qui, bravant leur hiérarchie, tentèrent de prévenir quelques juifs et parvinrent à leur faciliter la fuite après les avoir convaincus de quitter leur domicile.

Chacun a entendu parler, parfois au sein de sa propre famille, de personnes courageuses et discrètes qui, du fait de leur fonction, purent fournir des faux papiers à des fuyards. Certains autres enfin éprouvèrent une réelle compassion à l’égard de ceux qu’on expulsait de leurs foyers sans autre motif que leur judéité.

Dans son ouvrage, Alain Jacobzone fait en outre état, archives à l’appui, de l’hésitation de quelques responsables politiques à collaborer avec l’occupant. Quoiqu’il en soit le crime fut commis!

La principale rafle de grande envergure eut lieu le 15 juillet 1942, vingt-quatre heures avant le déclenchement de la tristement célèbre rafle du Vel d’Hiv à Paris, et la seconde le 20 octobre 1942.

Globalement, elles furent exécutées avec zèle par les policiers et les gendarmes.

Au-delà des souhaits et des demandes explicites, exprimés par les occupants nazis qui ne visaient dans un premier temps que les étrangers, la police et la gendarmerie, accompagnées de soldats allemands, arrêtèrent sans distinction les juifs de nationalité française et tous ceux qui s’étaient réfugiés en France en provenance des pays d’Europe centrale. De surcroit, elles ne tinrent pas compte du critère d’âge, raflant indifféremment, enfants et vieillards, et même ceux qui étaient handicapés.

Consignes en français du Service SD (Sicherheitsdienst) – Service de maintien de l’ordre des SS

Une fois arrêtées, toutes les personnes furent internées dans des conditions inhumaines au Grand Séminaire de la Rue Barra à Angers, où elles furent délestées de leurs bijoux ainsi que des maigres biens qu’elles avaient apportés en toute hâte dans les minutes précédant l’expulsion de leur domicile et sa mise sous scellés.

Deux jours plus tard, traversant la ville dans des bus affrétés par la police angevine, elles furent entassées sans ménagement, sans nourriture et sans installation d’hygiène dans des wagons qui les conduisirent directement vers les camps d’extermination, en particulier celui d’Auschwitz-Birkenau.

Ainsi, le convoi n°8 quitta Angers le 20 juillet 1942...Au total, sur les cinq-cents « israélites » recensés par les services de police angevins à la demande des allemands, moins d’une trentaine aurait échappé au massacre à Auschwitz, tantôt gazés dès leur arrivée, tantôt exécutés, tantôt affamés.

Horrible statistique!

Tout juste, quatre vingt ans après la réunion du 30 juin 1942 à Paris, à laquelle furent conviés les commandants SS de province afin d’organiser les grandes rafles de juillet et inciter Vichy à mettre à disposition ses quelques 100000 policiers, que reste t-il dans notre mémoire collective de cet épisode lamentable de notre histoire? Et quelles leçons en a t-on tiré pour prévenir à l’avenir les crimes contre l’humanité et châtier les coupables de génocides.

Aujourd’hui le droit pénal international s’est enrichi. Il permet en principe de réprimer ce type de dérives mortifères. Mais quel que soit l’arsenal de mesures juridiques adoptées depuis la dernière guerre mondiale, et l’existence d’un tribunal pénal international châtier les coupables, les exactions racistes ou les crimes de guerre n’ont jamais cessé comme en témoigne la montée actuelle en France de l’antisémitisme sous la pression d’un islamisme salafiste de plus en plus envahissant. Comme en témoigne également la guerre d’agression en Ukraine décidée avec cynisme par le dictateur russe Poutine. Et tant d’autres crimes ou génocides à travers le monde au cours du dernier demi-siècle!

Les rafles de juillet 1942 sombrent dans l’oubli, la totalité des acteurs a aujourd’hui disparu, seuls demeurent quelques rares témoins qui se souviennent de ces événements qu’ils ont entrevus pendant leur tendre enfance. Hormis ceux qui connurent directement des victimes de ces épouvantables tueries et qui peuvent encore évoquer quelques souvenirs, seuls certains proches de témoins, alors tétanisés par la peur et impuissants face à l’impensable, l’inconcevable et l’indicible peuvent en parler en leur donnant chair.

Et justement, c’est là que se situe notre « devoir de mémoire » ! Rappeler que l’impensable peut être pensé. Que l’improbable peut arriver. Que l’horreur est une menace permanente. L’actualité nous le prouve quotidiennement. Le devoir de mémoire, c’est donc, avant tout, un devoir de vigilance!

Plaque commémorative de gare d’Angers

Read Full Post »

Le 16 mai 1892, naissait au Lion d’Angers, Auguste Cailletreau, dit « Tonton Henri » (1892-1975). A de nombreuses reprises ici, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer sa mémoire. Celle d’un petit bonhomme qui ne payait pas de mine et n’aurait pas « fait de mal à une mouche » mais qui nourrissait une passion inconditionnelle pour ses chiens, les chevaux des haras de l’Isle Briand sur les rives de l’Oudon, et les chevaux-vapeurs des automobiles.

Son permis de conduire – 1920 –

Souvent, j’ai également parlé de ses malheurs, notamment de la disparition de son fils unique, mécanicien doué, décédé à 17 ans, emporté par une méningite cérébro-spinale brutale et cruelle.

Apprenti galochier au Lion d’Angers à douze ans, il est finalement devenu, par amour de la mécanique, chauffeur-mécanicien après « sa » Grande Guerre sur le front des Dardanelles, puis camionneur parcourant les routes de France en compagnie de son chien Denis! Et ce, bien au-delà de l’âge légal de la retraite! Lequel à son époque était fixé à soixante-cinq ans.

En ce jour anniversaire de sa venue au monde, cet ancien « Poilu d’Orient » fidèle à tous ceux qu’il aimait, attentif et hypersensible, discret, trop timide aussi, mais toujours disponible, aurait eu 130 ans! Inconcevable quand on se souvient qu’on l’a connu!

Sans réécrire ce que j’ai déjà écrit à son propos, je souhaite simplement profiter de l’occasion pour rappeler que cet homme – mon grand-oncle paternel – assura auprès de moi, une fonction essentielle, qui s’apparentait à celle de mes grands-pères disparus, l’un et l’autre, prématurément. Il m’a appris ‘la bricole » mais je fus un piètre disciple! Pour lui, homme d’avant l’explosion consumériste des Trente Glorieuses, un clou, même tordu, demeurait un clou et il le conservait.

Mentionner son âge désormais virtuel, car les morts ne vieillissent plus, c’est évidemment se souvenir de lui et signifier qu’il fut des nôtres sur cette planète. C’est en outre lui rendre une sorte d’hommage filial que la fatalité lui a cruellement confisqué. Enfin, c’est évoquer implicitement le mien – mon âge – en prenant soudainement et concrètement conscience de la marche du temps et des décennies qui, s’accumulant, ont progressivement mais sûrement, transformé le jeune homme qu’Auguste a connu et que j’étais encore quand il vivait, en un presque vieil homme!

Un monsieur en cours de vieillissement qui mesure quotidiennement les stigmates de l’entropie croissante sur sa propre chair. Qui regarde, impuissant les désordres s’installer et qui sait les renoncements auxquels, de gré ou de force, il doit consentir et qui vont de pair avec l’appréciation clairvoyante des années restantes beaucoup moins nombreuses que celles déjà écoulées.

Un ensemble de perspectives qui quoiqu’on en dise, n’est ni réjouissant ni affligeant, mais qui s’inscrit dans le cycle normal et ininterrompu de la vie et sa permanence. Lequel mise sur l’avenir en relativisant et même en soldant progressivement toute ambition qui s’écarterait de la seule obligation qui compte : celle de transmettre notre savoir ou notre ignorance, nos certitudes et nos doutes, aux générations suivantes, censées poursuivre la tache. Un schéma, de prime abord un peu absurde, digne du regretté Sisyphe, mais qui, au bout du bout, gomme toutes les inégalités, bien plus efficacement que les gesticulations puériles des prophètes narcissiques de l’insoumission braillarde ou les promesses fallacieuses des prédicateurs d’un au-delà radieux.

« Salut donc Tonton Henri ! J’ai appris de toi qu’il fallait prendre soin des moteurs à explosion et de ses animaux domestiques. Toi tu les bichonnais. Moi, j’aime surtout qu’ils me transportent sans trop broncher. Mais j’ajoute que l’énergie devenue rare, ne peut plus reposer, comme de ton temps, sur le recours quasi-exclusif au pétrole, au charbon et au gaz. D’autant qu’on les prétend dangereux pour l’avenir biologique de la planète.

Il faut donc aussi faire appel à l’énergie électrique pour une grande part, produite à partir de la fission nucléaire et peut-être un jour de la fusion. Je sais que le petit galochier du Lion que tu fus, confiant dans le progrès humain, n’aurait certainement pas désapprouvé ces évolutions dictées par la nécessité. Les pieds sur terre mais en harmonie avec les éléments, tu n’appréciais que modérément les bourrasques imprévisibles du vent, qui arrachaient ta légendaire casquette.

PS: Quelques articles de ce blog dédiés à Auguste Henri Cailletreau( 1892-1975) :

  • Un gâs du Lion -Auguste Cailletreau – 20/9/2011
  • Nini la Belloprataine -6/2/2012
  • Camionneur en ceinture de flanelle – 28/10/2012
  • Trois jeunes du Lion dans la tourmente de la guerre – 3/10/2011

Read Full Post »

Older Posts »