Entre le 24 juillet et le 2 août 1944, Marguerite Cailletreau (1897-1986) adressa six lettres d’Angers à son fils Maurice Pasquier (1926-2017), arrêté à la mi-juillet par la Feldgendarmerie d’Angers et réquisitionné pour abattre des arbres en forêt de Chinon…
« L’entreprise forestière Les Hucherolles » à Chinon, dans laquelle Maurice était retenu, présentait la caractéristique d’être à la fois un lieu d’internement de l’armée d’occupation, destiné aux fortes têtes ou aux indésirables comme les républicains espagnols réfugiés en France depuis 1939, et un des nombreux camps de travail forcé de la France occupée, appelés à fournir des matières premières à la Wehrmacht, notamment du bois pour ses gazogènes.
Maurice était là en représailles, comme déserteur du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.).
En effet, il avait déjà été « requis » une première fois, le 6 juin 1944 à Angers. Au petit matin, alors qu’il pointait à son poste de travail d’ajusteur à l’usine du Mail des établissements Bessonneau, sa hiérarchie flanquée d’un fonctionnaire de la main d’oeuvre, lui avait notifié ainsi qu’à plusieurs de ses camarades d’atelier, qu’il devait, toutes affaires cessantes, faire son paquetage pour partir dans un chantier d’abattage du bois en forêt de Baugé.
Inutile de préciser que cette injonction de se rendre fissa vers « le chantier 1607 du camp de Beauregard à Clefs d’Anjou dans le nord-est du Maine-et-Loire » contraria vivement Maurice, d’autant qu’elle n’était assortie d’aucun préavis. Et pour ajouter au désarroi des jeunes travailleurs qui craignaient le pire de cette affectation surprise, une rumeur insistante d’un débarquement allié en Normandie commençait à se répandre parmi les jeunes ouvriers. Lequel, attendu depuis des années laissait présager une Libération prochaine du joug nazi. Rater ce rendez-vous avec l’histoire et encore une fois par la faute des boches ne les enchantait vraiment pas!
A Clefs d’Anjou, Maurice n’était pourtant pas, à proprement parler, prisonnier. Il était juste contraint de travailler pour l’armée d’occupation. Bénéficiant donc par principe de permissions de sortie, il profita de la première qui lui fut octroyée pour « se faire la malle ». Ainsi, onze jours après être parti de chez lui, il rejoignait la ville d’Angers, distante d’une cinquantaine de kilomètres, avec la ferme intention de plus jamais revoir le camp de Beauregard.
Il comptait évidemment sur ses copains du « patronage paroissial de la Madeleine » et sur ses camarades de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (J.O.C) pour lui trouver une planque, car il savait qu’il avait pris des risques. Il était enfin conscient qu’étant un des responsables locaux de la J.O.C, sa fuite faisait sens pour les nazis et qu’elle ne passerait pas inaperçue. Aux yeux des troupes d’occupation, il changea effectivement de statut: de simple « réquisitionné » il devenait un réfractaire ou un déserteur et potentiellement un « terroriste ».
Il fut donc activement recherché par la police allemande. Plus intensément sans doute qu’il ne le pressentait lui-même!
Et, finalement, elle lui remit la main dessus, à la mi juillet 1944 alors qu’il était de passage chez ses parents au 65 rue de la Madeleine à Angers. Les hommes de main qui vinrent l’arrêter étaient deux jeunes français, auxiliaires de la Gestapo angevine, dont un certain Jacques Vasseur (1920-2009), qui échappa à l’épuration en 1945 mais qui retrouvé près de vingt ans plus tard, fut condamné à mort en 1965 et gracié par le général de Gaulle…
Pour l’heure, les deux traîtres étaient parvenus à tromper la vigilance de Marguerite Cailletreau, la mère de Maurice, en se faisant passer pour des militants de la J.O.C…
Tabassé dans les locaux de la Kommandantur, il fut ensuite « transféré » en car, vers « l’entreprise forestière des Hucherolles à Chinon. Un car qui, d’ailleurs tomba en panne en cours de route et que les requis désormais détenus durent pousser pour qu’il redémarre sur la levée de la Loire!
Le régime disciplinaire de ce camp directement administré par l’armée d’occupation était censé être très sévère, proche d’un régime pénitentiaire dur. Mais, eu égard à la tournure que prenait la guerre et à l’avancée des troupes anglo-américaines, les gardiens du camp, qui n’étaient pas des S.S, assurèrent prudemment leurs arrières en ne se comportant pas en tortionnaires sadiques.
Réservistes de l’armée allemande, ils n’appartenaient pas aux troupes d’élite fanatisées qui se battaient sur le front normand et n’étaient en réalité que des soldats aspirant à retourner chez eux au plus tôt sans trop d’ennuis.
La défaite du Reich devenait en effet de plus en plus probable. Surtout depuis le désastre de l’armée allemande à Stalingrad en février 1943 et désormais avec la réussite du débarquement allié. Le Haut Commandement allemand avait beau multiplier les communiqués de victoire, d’ailleurs complaisamment relayés (en français) par la presse collaborationniste locale comme le Petit Courrier, les vieux soldats allemands du camp des Hucherolles, qui, pour beaucoup, avaient combattu en 14-18, n’étaient guère dupes sur les chances de succès de « leur » Reich et étaient donc peu enclins à manifester un zèle d’ardent geôlier, qui risquait de leur être reproché plus tard.
Les raids des bombardiers alliés qui survolaient presque chaque soir le camp, sans que la chasse allemande fût en mesure de riposter et la D.C.A. de les atteindre, confirmaient leurs craintes et confortaient leur attitude de prudence!
Le désarroi des matons de la Wehrmacht et leur démotivation constituèrent une chance pour Maurice et pour ses compagnons, qui finalement s’en tiraient plutôt bien, en dépit des multiples restrictions de liberté, d’un travail éreintant dès potron-minet et du manque crucial de nourriture roborative.
Sans que la vie puisse être qualifiée de supportable, les « détenus » jouissaient donc de certaines tolérances accordées par leurs opportunistes gardiens, comme celles de pratiquer leur culte avec des prêtres de Chinon, et de communiquer avec l’extérieur. Ils pouvaient en particulier correspondre avec leurs familles sans être systématiquement censurés et recevoir du courrier.
Il n’empêche qu’ils étaient quand même prisonniers et qu’ils devaient accomplir des travaux de forçats dans la forêt.
Dans un petit opuscule de mémoires « Les Feuilles Mortes se ramassent à la pelle », Maurice décrit brièvement les conditions de vie démoralisantes dans le camp pour un jeune homme de dix-huit ans et harassantes sous la chaleur intense de juillet 1944.
Heureusement, cette éprouvante aventure ne dura pas car il put s’évader de nouveau, mais cette fois, sans être rattrapé, le 9 août 1944, à la veille de la Libération d’Angers par les troupes américaines.
» J’étais le seul français dans la »piaule » où l’on m’avait parqué, tous étaient sympas, c’étaient des communistes espagnols que la guerre civile avait chassés de leur pays et qui s’étaient faits arrêter en France par les Allemands ! J’étais bien seul, ils causaient entre eux dans leur langue. Nous n’avions pratiquement rien à manger. Nous partions à six heures en forêt, là encore, j’étais bûcheron, nous rentrions le soir vers dix-neuf heures trente, épuisés. Notre maigre menu était vite expédié.
Une chance, j’avais réussi à rentrer en relation avec un curé d’une paroisse proche, ainsi qu’avec quelques jeunes. Ils se débrouillaient pour nous apporter quelques victuailles. Avant la fin de la guerre, que l’on sentait proche, je me suis évadé avec deux autres copains français d’un bâtiment voisin. Nous avons fait soixante-dix kilomètres à pied, sans rien manger ou presque, couchant par force une nuit à la belle étoile, alors que les Allemands patrouillaient à notre recherche, traversant la Loire sur une barque de pêche, à la tombée de la nuit, le silence était impressionnant et pesant, troublé par un motard allemand qui logeait la levée. J’ai eu peur. Nous sommes arrivés à Angers, la veille de la Libération, cette première nuit de liberté je l’ai passée dans une cave, bercé par le bruit du canon…«
C’est dans ce contexte que Marguerite Cailletreau écrivit régulièrement à son fils pour le soutenir et l’encourager! Et ce, à raison d’un courrier tous les deux jours, en moyenne. Six lettres au moins furent ainsi soigneusement rédigées à l’encre bleu-pétrole d’une écriture régulière, tantôt sur un « papier à lettres », tantôt sur de simples feuilles détachées d’un cahier d’écolier.
Maurice les conserva pieusement, sa vie durant, dans leurs enveloppes d’origine!
Les relire, soixante quinze ans plus tard, est profondément émouvant. Et à divers titres!
En premier lieu, parce que l’auteure de ces lignes est ma grand-mère paternelle dont j’ignorais qu’elle pût être aussi prolixe pour rédiger autant de lignes dans un laps de temps aussi court, et d’autre part parce que ces lettres surgissant d’un passé qu’on pensait définitivement enterré font écho à notre époque. Elles apparaissent toujours d’une criante actualité, en particulier lorsque la télévision, le soir, au Journal de 20 heures relate les atrocités qui endeuillent toujours la planète et que, s’attardant sur les multiples conflits en cours, elle montre des victimes civiles innocentes, des pères et des mères, criant leur détresse face aux souffrances infligées à leurs enfants…
Marguerite n’exprimait rien d’autre, il y a trois quart de siècle. Elle rappelle que quelles que soient les époques, la violence et la barbarie continuent de semer la même terreur, et la souffrance est identique pour ceux et celles qui les subissent dans leur chair et dans leur cœur!
Les lettres de Marguerite témoignent, avec pudeur et retenue, de l’amour inconditionnel d’une mère pour son enfant. Mais, au-delà, elles rendent compte aussi de l’obstination de celle qui a donné la vie, à miser sur cette dernière contre vents et marées, plutôt que sur la mort pourtant immanente et souvent imminente et aléatoire en ces périodes de guerre.
Avec ses mots, elle décrit sa vie quotidienne qu’elle souhaite faire partager à l’absent comme si de rien n’était! Comme pour banaliser un quotidien objectivement tragique. Elle écrit pour l’aider à vivre en le soustrayant, le temps d’une lecture, à la médiocrité de sa condition présente. Elle s’efforce, sans affectation excessive et sans grandiloquence, de rendre compte de l’ambiance dans la famille, des petits événements du quartier et dans la ville, sans taire les difficultés ni ses craintes ou ses peurs, notamment lorsque les lugubres sirènes de la défense passive avertissent de l’imminence d’un bombardement et qu’il faut vite rejoindre les abris…
Ces lettres révèlent une femme forte, qui, en tout état de cause, demeure debout même si parfois on perçoit beaucoup de lassitude et même la tentation du découragement ! Accablement furtif, car dans la phrase suivante, elle se ressaisit et apparaît de nouveau déterminée à affronter les épreuves qui accablent sa famille, en s’oubliant elle-même pour protéger les siens. Cette mission dont elle s’est dotée laisse peu de place à ses états d’âme personnels…
Il faut dire qu’on s’épanche peu dans la famille et que la guerre n’est pas un motif suffisant pour changer de paradigme affectif! Son job n’est d’ailleurs pas tant de compatir ou de pleurer, que d’agir, d’organiser et de ravitailler…Du moins c’est ainsi qu’elle semble le concevoir en première intention. D’abord assurer et rassurer pour ne pas succomber au désespoir, et armer moralement son fils!
Confiante dans l’avenir, on devine pourtant qu’elle est épuisée de devoir supporter une guerre qui s’éternise et de s’accommoder des privations dans une ville occupée depuis quatre ans par des troupes étrangères de plus en plus menaçantes…
Le style de Marguerite ne manifeste aucune prétention littéraire. Elle met en forme ses textes avec les outils syntaxiques dont elle dispose et les souvenirs lointains des enseignements dont elle a bénéficié dans la petite école primaire du Lion d’Angers près de quarante ans auparavant. La grammaire et le respect de l’orthographe ne participent pas de ses priorités.
Mais peu importe, car elle parvient à se faire comprendre et surtout à provoquer d’authentiques émotions qui ne doivent rien à des exercices convenus ou à des effets de manche ou de posture… Elle parle des siens en toute simplicité, et, sans détour, des responsabilités qu’elle estime devoir assumer à leur égard! En un mot, elle parle juste, car elle ne simule pas. En ce sens, il s’agit bien d’une forme de littérature populaire qui flirte avec l’universel. Elle reste digne en dépit des circonstances. Et c’est sans doute aussi pour ce motif que Maurice a souhaité transmettre ces écrits de sa mère aux générations futures…
Il est en revanche dommage qu’on ne possède pas en écho, les lettres qu’il lui adressait! Marguerite les a emportées avec elle!
La première lettre est datée du 24 juillet 1944.
Depuis l’arrestation de Maurice une dizaine de jours auparavant, Marguerite ne savait plus rien de lui. Ce matin du 24 juillet, après avoir reçu deux cartes, elle prend la plume. Soulagée mais inquiète, elle s’empresse de répondre, comme pour poursuivre un dialogue imaginaire interrompu lors de l’arrestation de son fils. Elle s’enquiert de sa santé et surtout de son alimentation. La nourriture en ces temps de disette est pour elle une préoccupation majeure, primordiale en zone occupée qui vit depuis quatre ans sous l’empire d’un rationnement permanent.
Ceux qui vivent en ville, sans potager et sans relation dans les campagnes environnantes vivent la faim au ventre, en dépit d’indigestions de rutabagas et de topinambours.
» Heureusement que tu avais apporté à manger » se félicite t’elle, comme s’il pouvait encore disposer d’une réserve de biscuits secs, alors qu’il est parti depuis plus d’une semaine!
Elle constate avec satisfaction qu’il a pu trouver des copains de la J.O.C sur place, mais prudente, elle lui conseille de choisir avec soin ses amis. Elle sait qu’on peut parfois se tromper et les déconvenues sont douloureuses.
Sans doute parce qu’il lui a confié qu’il souffrait encore des coups portés lors de son arrestation et de son interrogatoire musclé dans les « bureaux » de la Kommandantur, elle le presse de se faire soigner.

Mais c’est surtout la guerre qui est omniprésente dans ses écrits:
» Dimanche (23 juillet 44) je suis allée au cimetière. J’y ai trouvé ton oncle, il est embêté »…
Au delà de cette remarque apparemment anodine, c’est le drame vécu par son frère Auguste Cailletreau (1892-1975) qu’elle évoque. Père anéanti par le décès de son fils unique en 1937, il doit désormais supporter la présence chez lui de soldats allemands qui occupent les entrepôts à grains dont il assure en principe le gardiennage, rue Dupetit-Thouars. De surcroît, l’attitude de compromis bienveillant que semble afficher son épouse avec la soldatesque ennemie, trouble et chagrine l’ancien poilu d’Orient… A tort d’ailleurs, car il fut établi depuis que Nini fournissait, sans contrepartie autre que de satisfaire son patriotisme, des informations à des réseaux de résistance en Anjou.
» Puis ce fut l’alerte » poursuit Marguerite.
« Il y en eut d’ailleurs quatre dans la journée de dimanche. Des bombes sont tombées sur Avrillé. La pointe de l’église d’Ingrandes a été détruite. Chemillé, Chalonnes, toute la contrée ainsi que Segré ont été touchés et il y a des morts.
Cette nuit, nous avons été réveillés brusquement; une bombe est tombée – parait-il – sur Pruillé. Enfin, tu vois, Mon Maurice, c’est partout! «
C’était effectivement partout!
Les occupants étaient sur les dents car tout le monde pressentait, Marguerite comme tous, que la Libération était proche… Des combats étaient prévisibles, dont on ne mesurait pas a priori l’intensité et les conséquences sur la population. A ce propos, elle demande à son fils s’il est « commandé » directement par les allemands!
Enfin, elle donne des nouvelles de Marcel, son mari cheminot et père de Maurice.
Depuis cette funeste nuit de la Pentecôte de fin mai 1944 où la gare Saint-Laud d’Angers et tout le quartier environnant furent détruits par les bombardiers de la R.A.F, occasionnant de nombreux morts, blessés et sinistrés, Marcel a été affecté à la gare Saint Serge…Incidemment elle signale qu’il est allé jusqu’à Champtocé pour chercher un peu de ravitaillement…Elle n’en dira pas plus!
Puis après avoir rappelé qu’elle devait s’interrompre pour « terminer sa lessive », et après avoir exhorté son fils – « Mon Maurice » – à se ménager au maximum, elle conclut en lui demandant d’écrire souvent…
Cette première lettre s’achève comme toutes les suivantes par un : « Bon baiser de nous tous ».
« Tes parents qui t’aiment et qui t’embrassent bien affectueusement. Pasquier »
Étrangement, s’agissant d’une mère à son fils, elle ne signera jamais autrement que sous son nom patronymique de femme mariée. Jamais le mot « maman » ne figurera au bas de ses lettres. Et pourtant, la fréquence de ses courriers ainsi que son empressement à le conforter, à se préoccuper de sa santé et de ses conditions de vie, prouvent que c’est bien une maman qui s’exprime. Elle ne feint ni ne force son affection. Elle aime son fils…
Mais elle ne franchit jamais les frontières de l’intimité! Car dans ce contexte incertain, c’est « la mère de famille » responsable qui tient les rênes et qui prend l’avantage sur la maman qui câline!
Dans son second courrier daté du 26 juillet 1944, Marguerite qui n’a probablement pas intégré l’idée que Maurice était, avant tout prisonnier des allemands, et non un travailleur sous contrat avec l’occupant, lui demande d’adresser son certificat de travail pour qu’elle puisse « toucher ses titres alimentaires »...
Puis reviennent les bombes et les alertes. » Ah vivement la fin » s’exclame-t’elle!

Photo 1945 Maurice Pasquier – pont sur la Loire
La suite est consacrée aux nouvelles familiales et aux petites questions d’intendance:
« J’arrive de chez Trouvé (le cordonnier du quartier) pour ton soulier. Il est fermé et ils ne prennent plus de travail. Je vais donc encore attendre. J’envoie une carte pour la fête d’Annie ( sa petite-fille) et une pour Jacques (son petit-fils)… Je te joins quelques timbres. Écris-nous de temps en temps car ça nous paraîtra moins long! A Angers, il n’y a rien de nouveau, nous allons bien. J’espère que cette lettre te trouvera de même.
Marcel Pilet (son gendre, cheminot) reprendra des services de nuit le 2 août à la gare Saint-Serge et ça le fait râler. Renée et lui te souhaitent le bonjour.
Les Petits Trains d’Anjou sont supprimés depuis hier, parait-il! Tu vois, il n’y a plus de communication nulle part!
Grand-père (Joseph Cailletreau) te dit le bonjour et ce matin, il a bien eu peur… «
A cette époque, le grand-père très âgé, aveugle et dépendant a été accueilli chez sa fille.
Le lendemain 27 juillet 1944, recevant une lettre de Maurice, elle s’attable de nouveau pour écrire… Ses inquiétudes s’alimentent toujours des mêmes thèmes, la guerre, les alertes de nuit, le ravitaillement mais aussi la douleur de l’absence, celle de son fils aîné, père de famille, retenu en Allemagne dans le cadre du S.T.O, mais aussi celle de Maurice. La tournure de ses phrases devient parfois plus personnelle, plus intime, comme si elle craquait
» … Je n’ai pas de nouvelle de Marcel (son fils aîné en Allemagne) depuis le 20 juin. Quelle vie. D’autres sont rentrés pour le 14 juillet! Je me fais de la bile. Jean (son fils cadet) scie du bois.
Je vois que tu n’es plus là car ça me manque. »

Outre ses formules et sa signature désormais rituelles, elle termine son message par un sourire:
» Bonjour de chez Renée ( sa fille). Gérard (son petit-fils âgé alors de deux ans) fait de gros sourires. »
Le 29 juillet 1944, elle adresse une nouvelle lettre, puis le 1er août 1944 et enfin le 2 août 1944!

Dans sa lettre du 2 août, elle écrit :
» … Vivement la fin.
Tu dois savoir la nouvelle: les américains approchent. Alors que va-t’il se passer, Mon Maurice?
Fais bien attention à toi, je t’en prie. J’ai confiance. Espérons que bientôt ce cauchemar sera fini, sinon on risque de tomber fou. Voilà trois alertes depuis deux heures et il est cinq heures….
………
….Allons, mon Maurice, j’espère que bientôt, nous serons tous réunis«
Le 9 août 1944, Maurice s’évadait du camp de Chinon. Le 10 août, Angers était libérée…
A la fin de cette année-là, Maurice fit la connaissance de ma mère et cinq ans plus tard, il devint mon père. Il nous transmit sa haine du fascisme, mais pas des allemands…C’est lui qui imposa que ma première langue en classe de sixième fut l’allemand, de conserve avec le latin.
Mais il s’agit, là, d’une autre histoire, dans laquelle nécessairement Marguerite ne joua plus qu’un second rôle!
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PS :
- Des précisions sont apportées sur le chantier 1607 du camp de Beauregard à Clefs (49) sont apportées dans mon article mis en ligne dans ce blog le 28 février 2018.
- Voir également la lettre du 16 juillet 1944 de Marcel Pasquier (1920-1999) requis du S.T.O en Allemagne, à son frère Maurice, mise en ligne sur ce blog dans la rubrique « Leur prose »
- Voir enfin l’opuscule de mémoires de Maurice Pasquier (1926-2017) – « les feuilles mortes se ramassent à la pelle » – mis en ligne sur ce blog dans la rubrique « Leur prose ».
- Le traître français, collaborateur de la Gestapo angevine, Jacques Vasseur, qui arrêta Maurice Pasquier en juillet 1944 au domicile de ses parents rue de la Madeleine à Angers, a commis de très nombreux crimes en Anjou pendant l’occupation nazie. Zélé supplétif de la police allemande, il fit incarcérer et torturer de nombreux résistants et résistantes. Parmi ses victimes héroïques, figure Noëlla Rouget, institutrice née le 25 décembre 1919 à Saumur qui s’est éteinte à Genève le 22 novembre 2020. Noëlle Rouget dont Vasseur fit fusiller le fiancé en 1943 et qu’il arrêta avant sa déportation dans le camp de la mort de Ravensbrück, pardonna à son bourreau. Catholique intransigeante, elle intercéda même auprès du Général de Gaulle en 1965 pour demander sa grâce après sa condamnation à mort à l’issue d’une cavale d’une quinzaine d’années. Elle eut gain de cause et correspondit par la suite avec Vasseur emprisonné jusqu’en 1983 pour obtenir de lui – d’ailleurs en vain – des regrets ou l’expression d’une certaine repentance… Noëlla Rouget était titulaire de nombreuses décorations dont la Légion d’Honneur et la Croix de Guerre.
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