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Posts Tagged ‘Maurice Pasquier (1926-2017)’

Le 7 novembre 2017, mon père Maurice Pasquier (1926-2017) s’éteignait, emporté par un cancer du pancréas, dans une unité de soins palliatifs de l’hôpital de Bligny en région parisienne.

Cinq ans se sont écoulés depuis ce jour! La sidération que provoque toujours la mort des siens, même lorsqu’on la sait inéluctable, s’est progressivement estompée. Le travail de deuil a fait son œuvre et la douleur de cette disparition est désormais assimilée et intégrée au cycle normal de la vie!

« Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie le visage et l’on oublie la voix »

Nous percevons aujourd’hui avec acuité, la quasi-justesse de cette chanson de Léo Ferré (1916-1993). Tout ou presque effectivement s’érode et en principe disparait dans la durée, A commencer par les sensations ressenties auprès de l’agonisant ou du disparu, les saveurs de l’existence et peut-être aussi les émotions qui vont avec.

A quatre-vingt-onze ans, mon père est ainsi parti, précédant ma mère Adrienne Turbelier (1923-2018) d’un trimestre. Depuis 1945 il ne s’étaient pas quittés. La mort qui les avait momentanément séparés, a mis moins de cent jours pour remettre leurs pendules synchrones et les réunir. A quatre-vingt-onze et quatre-vingt-quatorze ans respectivement, chacun en général parvient à se convaincre que ces âges sont honorables pour mourir!

On finirait même par admettre que la mort des siens, qui se présente comme une des frontières énigmatiques de notre propre vie, procède d’un enchainement salutaire des générations, presque libérateur pour ceux qui survivent. La réalité est radicalement autre. En effet, ceux qui s’en vont emportent avec eux des pans entiers de notre histoire intime. Ils sont notre mémoire, celle de notre Anjou, celle de l’enfance, celle d’une fratrie composée d’un frère et de trois sœurs. Celle des balades dans les forêts angevines à l’automne pour ramasser les marrons, celle des repas de Noël rue de Messine à Angers, celle enfin de la Deux Chevaux Citroën dans laquelle quatre enfants se serraient « comme des sardines » sur la banquette arrière. Celle des copains du syndicat de Maurice, celle de la Chèvre Blanche, la boutique où ma mère était vendeuse, celle des ménages qu’elle faisait pour « mettre du beurre dans les épinards », celle de la couturière qui confectionnait nos vêtements et tant d’autres souvenirs vieux de trop de décennies accumulées et que je partage avec mes sœurs.

Rien ne saurait s’effacer de ces épisodes fondateurs de notre jeunesse, dans laquelle notre père et notre mère étaient les principaux acteurs!

Malgré tout, comme le prétend Léo Ferré, le temps qui passe après la disparition d’un être cher, engendre un oubli nécessaire et réparateur. Mais il n’efface rien de notre affection pour ceux qui nous ont accompagnés dès nos premiers balbutiements et qui nous ont tout appris et constamment pardonné. Qui étaient présents lorsque nos premiers regards se sont posés avec ingénuité sur le monde et qui étaient toujours à nos côtés des décennies plus tard au seuil de notre propre « troisième âge » où nos rôles respectifs se sont parfois inversés.

Ainsi, il ne se passe guère de journée depuis cette date singulière de leur décès, celle où le temps s’est arrêté pour eux en abord d’une insondable infinitude, sans que nos pensées ne se télescopent avec celles que nous aimons leur prêter en narguant la grande faucheuse.

Certes, nous n’entendons plus le son de leurs voix, nous ne voyons plus les rides de leurs visages et même nous avons oublié les stigmates de leur souffrance dans les derniers instants, mais nous continuons à nous référer sans forcément en prendre conscience, aux valeurs ainsi qu’aux manières d’être et de penser qu’ils nous ont légués.

Notre privilège d’être encore vivants alors qu’il ne sont plus, se manifeste dans cet héritage que nous avons mission de fructifier. Ils sont à la fois notre patrimoine et nos racines; ils sont les principaux artisans et metteurs en scène de ce que nous sommes devenus. Et, à ce titre, nous leur devons la reconnaissance sans pour autant biffer ce qui parfois nous opposait. Mais surtout sans renier le message de liberté et de responsabilité qu’ils se sont évertués à nous transmettre, et sans s’excuser de l’amour que pudiquement nous nous portions réciproquement.

Nos controverses d’antan n’apparaissent plus désormais que comme des anecdotes plus ou moins dérisoires et, en tout cas, toujours datées. Nous devons donc, sans les ignorer, les regarder comme des voix d’un passé toujours présent, riche d’approches dialectiques et complémentaires de l’existence, forcément différentes du fait de leur temporalité mais riches de réflexions fécondes que nous avons vocation à prolonger.

De la sorte, sans qu’il soit besoin de recourir à une quelconque immanence ou transcendance, Papa et Maman demeurent parmi nous, en nous, devrais-je écrire! Ils demeurent notre boussole mais nous laissent, comme jadis, la liberté d’opter pour d’autres chemins que ceux qu’ils auraient peut-être empruntés.

Honorer leur mémoire ne relève donc plus d’un devoir ou d’une obligation de piété filiale, mais de la préservation d’un référentiel qu’il nous appartient d’enrichir de nos propres expériences pour nous hisser vers l’avenir.

Jardin du Mail à Angers

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Il parait si j’en crois le petit carnet que tu m’as laissé, que j’ai prononcé le mot  » Maman » aux alentours de mes dix mois, comme d’ailleurs mes trois sœurs cadettes! Mais depuis quatre ans, ce mot empreint de la mélancolie d’un présent désormais orphelin d’un passé révolu, ne relève plus de mon vocabulaire usuel, sauf à des fins littéraires.

Tu es partie quelque part ou nulle part dans un coin perdu du néant ou dans une contrée isolée d’un de ces multivers, ces lieux étranges de l’espace, imaginés par les plus savants de nos théoriciens contemporains en « matière » – si l’on ose dire – de cosmologie. C’est ainsi, que ces érudits d’équations inattendues posées, il y plus d’un siècle, ont désormais tendance à se substituer à nos antiques théologiens, et en plus, sans beaucoup faire mieux! L’avantage malgré tout, c’est qu’ils nous dispensent de leur morale à quatre sous à déposer dans des troncs et qu’ils ne nous promettent rien de paradisiaque ou de cauchemardesque. Au moins d’ici quelques milliards d’années!

Aujourd’hui 31 mars, c’est le jour anniversaire de ta naissance, mais Maman tu n’es plus là pour t’étonner ingénument des stigmates qui attestent du temps qui passe. C’est un constat auquel il faut se faire. Cette absence que d’aucuns appellent le deuil, s’accompagne pourtant d’un curieux paradoxe: tu demeures, malgré tout, à nos côtés, telle une référence ineffaçable ou une source intarissable d’inspiration.

De toi, ma mère – Adrienne Turbelier (1923-2018) épouse par amour de Maurice Pasquier (1926-2017) – je pourrais parler sans retenue à longueur de pages. Plus de soixante ans de complicité filiale, ça compte! Sur toi, je pourrais disserter et même rédiger des livres où finalement, je ne raconterais surtout que ma propre histoire avec toi. Je m’y suis d’ailleurs attelé mille fois, sans d’ailleurs prétendre accéder à ta vérité, hormis le fait que tu nous aimais!

En effet, l’authenticité d’un être n’a probablement qu’un rapport tenu avec la perception qu’on en a. N’en transparait que ce qu’il entend nous en révéler. Comme l’observe le jeune et magnifique philosophe Alexandre Jollien dans sa leçon de vie, cette quintessence de soi se trouve entièrement contenue, mais à jamais inaccessible, dans le tiret qui relie les deux dates encadrant une vie, celle de la naissance et celle de la mort.

Et d’ailleurs, ce dont on se rappelle consciemment aujourd’hui, ce sont tes anecdotes, celles que tu ressassais inlassablement pour nous distraire lors des repas de famille. A chaque fois on s’esclaffait en faisant semblant de les découvrir…Ces historiettes pour la plupart, localisées en terre angevine, nous manquent aujourd’hui, et personne d’entre nous ne saurait les reprendre à son compte en rivalisant avec toi …

Les carnets que tu nous as a laissés, ceux auxquels la jeune femme de la guerre confiait ses espoirs, de même que tes lettres de mère de famille durant les Trente glorieuses ou encore tes indignations de militante et les réflexions que tu livrais en une ou deux phrases dans le secret de tes agendas, nous en apprennent autant de toi que des décennies à tes côtés.

On n’ignorait rien de la singularité de ton caractère « bien trempé » volontiers mutin et révolté en faveur des causes auxquelles tu croyais, on savait la part de ta sensibilité qui s’exprimait au travers des tableaux que tu peignais sans complexe et avec passion, mais en réalité on te ne connaissait guère. Tu masquais tes émotions intimes sous une pudeur presque janséniste. Telle une adolescente découvrant la violence des sentiments et les affres des souffrances de l’âme, tu n’évoquais et n’évacuais tes chagrins que par le biais des petits mots que tu consignais ici ou là en forme d’aphorismes.

Quelques jours avant ton départ, j’ai cru entrevoir cette personne aimée, d’une sensibilité exacerbée et implorante, que je ne connaissais pas. Le masque s’est en partie estompé, lorsque tu m’as dit comme pour t’excuser du tracas que tu pensais nous infliger et pour nous demander timidement d’être là à l’approche de l’irrémédiable que tu pressentais :  » Je vous ai élevé, tout de même! »

Oui Maman tu nous as élevés et surtout tu nous as aimés. Inutile de chercher un autre épilogue à notre histoire commune.

Aujourd’hui, 31 mars 2022, tu aurais eu quatre vingt dix neuf ans. Tu étais née au 20 rue Desmazières à Angers. Angers celle ville que tu as quittée à contrecœur au début des années 70 du siècle dernier et qui est demeurée la ville de toutes tes nostalgies.

Quelques photos de toi aux différentes époques de ta vie suffisent à commémorer cet événement mémoriel intime dont nous sommes désormais les dépositaires.

Massy – Dernier repas en commun 10 octobre 2017

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Plus de soixante-dix ans d’existence, de vie ensemble et de souvenirs séparent les photographies ci-dessous, étrangement semblables. Comparables, aux stigmates près infligés par le temps qui passe!

Soixante-dix ans d’espace et de temps, depuis l’avant dernier quart du vingtième siècle en Anjou jusqu’au vingt-et-unième à Massy en Ile-de-France.

Lorsque Maurice et Adrienne réunirent leurs enfants, ce 10 octobre 2017 dans leur appartement massicois, c’était bien sûr pour déjeuner, mais également pour choisir le vin qui serait servi début décembre lors de la fête traditionnelle, qu’ils envisageaient d’organiser à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de leur mariage, le 8 décembre 1947 à Angers.

Ce rassemblement familial était devenu un rituel, mais dans des configurations variables selon les périodes. Pour cette année-là, déjà chargée d’émotions, ils souhaitaient, comme à l’accoutumée, inviter leurs enfants et leurs conjoints, mais y associer également leurs nombreux petits enfants et arrière-petits enfants.

Ce repas du 10 octobre revêtait donc un caractère préparatoire et œnologique. Du moins, c’est ainsi, qu’ils l’avaient imaginé, sans tristesse apparente, alors que chacun pressentait en son for intérieur qu’il s’agissait d’une fin de séquence dont on redoutait l’issue. A cet effet, deux grands crus de Bourgogne avaient été présélectionnés par Maurice, quelques jours auparavant, dont celui figurant sur la photo. C’est d’ailleurs sur lui que se portèrent unanimement les suffrages des convives. On ignorait qu’on ne le boirait plus!

Mais était-ce là le vrai motif de cette ultime repas pris en commun?

On peut en douter, car dans les jours qui suivirent, l’état de santé de Maurice, mon père, qui se savait condamné par un mal incurable diagnostiqué en aout, s’était fortement dégradé.

Le cancer dont il était affecté étant de même nature que celui qui avait emporté son père en 1956, il savait donc, mieux que personne, ce qui l’attendait. Stoïquement, il ressentait les assauts de la maladie sans maudire le ciel. Mais chacun décelait pourtant sur son visage émacié, ce que tous craignaient depuis un ou deux mois, à savoir la progression à marche forcée du cancer qui ne lui laissait plus guère de répit malgré les doses croissantes d’antalgiques. Chaque jour lui apportait de nouveaux et cruels désagréments intimes et d’intolérables souffrances.

Il avait probablement conscience ce 10 octobre 2017 que ce mal implacable ne lui laisserait pas le loisir d’atteindre la mois de décembre.

Il le savait sans l’exprimer car chez ce chrétien pratiquant qu’il n’avait jamais cessé de se proclamer, la souffrance faisait sens et confortait sans doute sa foi de charbonnier dans l’immense bonté de son hypothétique créateur. Peut-être voulait-il aussi nous épargner la compassion. Enfin, il espérait peut-être que ce Dieu qu’il avait servi au travers de ses engagements militants et apostoliques d’antan, lui ferait grâce de quelques semaines supplémentaires pour partir en respectant la bienséance des civilités familiales du laboureur de La Fontaine. Celles aussi des patriciens romains, disciples de Sénèque!

Il croyait suffisamment au miracle pour tenter de nous masquer en partie la réalité dramatique de son état, allant même jusqu’à m’inciter à réaliser en toute quiétude le séjour d’une semaine à Prague que nous avions programmé de longue date. Une fois là-bas, je lui téléphonais chaque jour, des rives de la Moldau pour m’enquérir de sa santé. Il m’assurait toujours que tout allait bien, m’interrogeant même sur la beauté de la ville de Kafka. J’ai su par la suite, qu’il me cachait sa détresse et sa souffrance et qu’il avait même donné consigne de ne pas m’en aviser.

A mon retour, dans la dernière quinzaine d’octobre, son état avait gravement empiré. Mon père, cet homme qui m’aimait et que j’aimais, avait déjà entamé son agonie, dressant en se confiant à moi sur son lit de douleur, le bilan de sa vie. Un bilan désabusé, sans concession mais tout en retenue, plus politique que vraiment intime, sauf lorsqu’il évoquait les souvenirs de ses amitiés syndicales et de ses combats ouvriers.

Dans la pénombre de sa chambre, il recensait avec une lucidité étonnante ses réussites comme ses échecs dans sa quête militante incessante de justice, depuis l’époque de la JOC dans les années sombres de la guerre jusqu’au tourisme social où il s’était investi, corps et âme dans la dernière partie de sa carrière. Il parlait également de ses espoirs déçus en politique…

Chemin faisant, il ressuscitait des camarades disparus, qu’il pensait retrouver bientôt. Pudique, il ne m’invita toutefois jamais dans le labyrinthe de son jardin secret sauf à m’assurer – comme s’il devait me le prouver au terme de sa vie – de son amour indéfectible, inconditionnel pour Adrienne, son épouse et ma mère. Dans ses derniers jours, c’était même son principal motif de satisfaction et de fierté, malgré les difficultés qu’ils durent probablement affronter comme tout couple, mais dont il ne me livra pas la teneur.

Sans illusion à mon adresse, il réaffirma sa foi chrétienne presque infantile, que bien entendu je respectais mais que je ne parvins pas à partager avec lui…Je lui devais la franchise car il n’aurait pas aimé une conversion de circonstance, reniée au lendemain de son décès.

Mon père savait en effet que j’avais, de longue date, fait mienne cette répartie du mathématicien et physicien Laplace (1749-1827) à Napoléon 1er qui s’étonnait de n’avoir trouvé nulle trace de Dieu dans son traité de cosmologie; « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse-là. ».

Avec le recul du temps, ce déjeuner du 10 octobre 2017 fut, alors qu’aucun des participants n’osa le formuler ainsi, un repas d’adieu…Un repas pour accepter que l’un des êtres parmi les plus chers, s’esquive progressivement et s’apprête à franchir les portes de l’au-delà. A se confronter à quelque chose d’indicible ou au néant, et plus vraisemblablement aux deux à la fois! .

Les attitudes quasiment identiques de Maurice et d’Adrienne sur les photographies à soixante dix ans d’intervalle, ne laissent place à aucune ambiguïté, quant à leur intention profonde. Leur message, l’ultime message qu’ils souhaitaient manifestement transmettre à la postérité, c’est la ferveur d’un amour réciproque demeuré intact depuis leur rencontre au cours de l’hiver 1945. Une affection qui avait résisté à l’épreuve du temps, et illustrée avant-hier comme trois quarts de siècle plus tard, par la position de leurs mains, par la tendre inclinaison de leurs corps, par leur complicité manifeste et leur sourire, énigmatique comme les sentiments qui durent.

Un beau témoignage en tout cas, exceptionnel, faute d’être un exemple à suivre ou à imiter dans un monde constamment « connecté » et versatile, où l’incertitude a largement supplanté les certitudes de jadis sur la pérennité heureuse des relations humaines…Ils y sont parvenus, sans user du fameux « Quoiqu’il en coûte » nouvelle expression valise de la sémantique! Un exploit.

Le 2 novembre 2017, le jour des morts, Maurice intégra une unité de soins palliatifs dans un hôpital ancien sanatorium de l’Hurepoix, où son père avait été hospitalisé à la fin de la première guerre mondiale. Il y décéda le 7 novembre 2017. Sa dépouille dont il avait fait don à la science, fut de celles qui furent profanées, par mercantilisme ou par négligence coupable dans les locaux de la faculté de médecine de Paris. Ses cendres reposeraient désormais au carré dédié du cimetière parisien de Thiais.

Notre mère Adrienne lui survécut moins de trois mois, victime quant à elle, de l’inconséquence et de l’incompétence d’un médiocre médecin coordonnateur d’une maison de retraite, parjure au serment d’Hippocrate, qui confondit les symptômes d’une affection pulmonaire naissante mais invasive avec les inconvénients classiques du grand âge! Aux dernières nouvelles, ce pitoyable diafoirus essonnien continue d’exercer, c’est-à-dire de sévir, avec l’approbation tacite et bienveillante de ses confrères. Honte à lui et à eux.

Le destin use parfois de subterfuges inattendus pour s’accomplir, car sans Maurice, il n’est pas certain qu’Adrienne aurait souhaité survivre longtemps. .

PS : Maurice Pasquier (1926-2017) – Adrienne Turbelier épouse Pasquier (1923-2018)

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Il était 21h30 ce vendredi 31 juillet 1914, lorsqu’un individu passant sa main armée au travers du rideau du café du Croissant, rue Montmartre à Paris, assassina Jean Jaurès (1859-1914) d’une ou de deux balles dans la tête! Un instant auparavant, les témoins virent un éclair, entendirent deux coups de feu et aperçurent un homme attablé, le dos à la fenêtre doucement s’affaisser sur l’épaule d’un de ses compagnons de table. Une femme hurla alors ;  » Jaurès est tué, ils ont tué Jaurès »

Petit Courrier – journal de l’Anjou du 1er aout 1914 – AD 49

Je ne mentionnerai pas ici le nom du tueur, pas plus que celui des douze jurés qui au printemps 1919 acquittèrent ce salopard, et qui, comble de cynisme et d’injustice, condamnèrent « les parties civiles » aux dépens, en l’occurrence, la veuve du tribun socialiste.

On apprit par la suite que parmi ces douze « bons Français » qui portaient leur patriotisme de façade en bandoulière en tirant à titre posthume sur un corbillard, onze avaient été des planqués pendant la guerre. Un seul avait reconnu le meurtrier coupable; probablement le seul ouvrier membre du jury, le seul aussi qui avait été un authentique poilu ayant connu l’enfer des tranchées!

Dans sa grande majorité, le peuple français s’indigna du meurtre de Jaurès, dernier rempart de la paix avant la boucherie qui s’annonçait. L’histoire est bien connue. Et la presse de l’époque ne s’y est pas trompée en affichant en ‘Une » la nouvelle de l’assassinat et l’imminence de la guerre!

Tous n’étaient pas socialistes parmi ceux qui manifestèrent leur peine et leur colère. Loin de là.

Quelques propos déshonorants et indignes furent néanmoins tenus par des personnalités ou des intellectuels de premier plan, généralement proches des nationalistes intégristes de l’Action Française, l’extrême-droite de l’époque, autrement-dit, par les détracteurs habituels du député de Carmaux!

Mais aussi parfois dans les rangs d’anciens amis très proches, tels que Charles Péguy (1873-1914) son « petit » frère en politique et en socialisme, celui qui, à ses côtés et avec Zola, s’engagea sans ambiguïté dans la défense du capitaine Dreyfus à la charnière du siècle.

S’agissant de Péguy, on ne parvient d’ailleurs toujours pas à comprendre, plus d’un siècle après, comment, bien qu’il se soit éloigné de Jaurès depuis quelques années, il ait pu publiquement jubiler à l’annonce de son assassinat. On continue de s’interroger incrédules sur les motifs qui ont conduit ce grand écrivain mystique à l’indiscutable talent, ce philosophe proche de Bergson, cet humaniste et enfin ce patriote courageux, à se fourvoyer à ce point en déclarant que la mort de Jaurès avait suscité chez lui, « une exultation sauvage ». Etre devenu le procureur implacable de la pensée jauressienne ne suffit pas à expliquer!

A t’il regretté ses propos? On ne le saura jamais car, un peu plus d’un mois plus tard, le lieutenant Péguy qui vouait peut-être encore une incompréhensible haine envers celui qu’il avait aimé jadis, périra lui-même courageusement sur le front, lors de la bataille de l’Ourcq à quelques encablures de Paris. Quelques heures avant la première bataille de la Marne. C’était le 5 septembre 1914. Foudroyé comme Jaurès d’une balle dans la tête, Péguy eut-il le temps de se réconcilier avec les mânes du fondateur de L’Humanité?

D’autres adversaires résolus de Jaurès adoptèrent, en revanche, une attitude plus digne: ce fut le cas de Maurice Barrès (1862-1923) pourtant aux antipodes politiques et philosophiques de Jean Jaurès (et très modestement des miennes) qui vint s’incliner devant la dépouille de Jean Jaurès et qui écrivit dans ses Cahiers  » Quelle solitude autour de celui dont je sais bien qu’il était (…) un noble homme, ma foi oui, un grand homme! Adieu, Jaurès, que j’aurais voulu pouvoir librement aimer »

D’une manière générale, la France entière pleura Jaurès. Plus de cent-cinquante mille personnes  » se rassemblèrent place Victor Hugo, un dimanche d’avril 1919, pour se rendre square Lamartine où fut dressée un buste de Jaurès ». Le peuple imposa finalement qu’il fût inhumé au Panthéon où il repose depuis le 23 novembre 1924.

Atteste d’ailleurs de cette immense et quasi-unanime tristesse nationale pour le héros disparu, cette anecdote du jour du drame, rapportée par Max Gallo (1932-2017) dans la biographie qu’il a consacré au « Grand Jaurès » en 1984.  » Dans les minutes qui ont suivi l’attentat, alors que Jaurès était encore étendu, mort, dans le Café du Croissant, un officier, le capitaine Gérard, qui se trouvait là en tenue de campagne décrocha sa Légion d’Honneur et la posa sur la poitrine du supplicié, tandis que la foule dans la rue Montmartre criait son désarroi et sa peine.

 » Chaque choix de Jaurès fut en effet du côté de la démocratie, de la liberté individuelle et collective, de ce qu’il appelait la République » (Max Gallo). Militant de la paix, il combattit toute sa vie contre les inégalités de naissance, contre toutes les formes de sectarisme et pour la liberté.

Pour ma part, j’aime à lire et relire son œuvre toujours inspirante et ses discours, non seulement pour leur portée philosophique et politique, toujours actuelle mais aussi pour sa manière d’écrire et de développer des idées. J’aime son style, y compris dans ses anachronismes.

Plus d’un siècle après sa disparition dans une époque où l ‘individualisme, les replis identitaires de toutes sortes, les communautarismes y compris religieux, les intolérances généralisées et les réflexions étriquées, ainsi que les nationalismes agressifs, tiennent le haut du pavé, la parole de Jaurès, passionné de justice, demeure d’une étrange modernité et de clairvoyance.

Son avant-dernier discours prononcé à Vaise le 26 juillet 1914 sur la situation internationale et sur les menaces de guerre est à cet égard un modèle du genre.

A titre plus personnel, je n’oublie pas que Jaurès fut l’exemple de vertu que ne cessait de citer mon père, de conserve avec Eugène Varlin (1839-1871) un communard massacré par les Versaillais. Et si je nourris aujourd’hui un regret, c’est celui de n’avoir pas pris le temps ou trouvé l’occasion de me rendre avec lui, rue Montmartre au Café du Croissant, pour rendre un hommage privé à Jaurès. Mon père en avait exprimé le souhait à maintes reprises dans son grand âge.

Pour lui, l’ancien syndicaliste angevin, l’ancien militant socialiste, l’ancien ouvrier ajusteur-outilleur, ce « pèlerinage » s’apparentait à un devoir, non de mémoire, mais de reconnaissance à l’égard de quelqu’un qu’il percevait comme un des phares indépassables de la libération de l’humanité et de ce qu’on appelait alors « la classe ouvrière ». Une démarche conclusive d’une vie de militantisme et de convictions, qu’il pensait accomplir.

Je partage ce point de vue, mais j’en ajouterai quelques autres…

Malheureusement la mort de mon père, Maurice Pasquier en 2017 nous a pris, tous les deux, de court. J’espère qu’il ne m’en a pas trop voulu!

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1959 – Riaillé

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Dans la « Page de la Femme » datée du 1er juin 1926 du quotidien « républicain » de l’Anjou – Le Petit Courrier – un article référencé sous la rubrique « mode » expliquait comment réaliser une « robe de bébé très facile à tailler et à coudre »… Comme on le verra, ce précieux conseil était certainement de circonstances. Mais il ne fut sans doute ni lu, ni entendu ni suivi par Marguerite, ma grand-mère paternelle, pourtant abonnée du journal et couturière de son état.

Peut-être s’en est-elle inspirée plus tard. Mais ce jour-là, elle avait mieux à faire que de la découpe ou du faufilage. Il y avait plus urgent. 

La jeune femme de vingt-neuf ans était une lectrice assidue du quotidien local, qui, outre les nouvelles qu’il lui fournissait de son quartier de la Madeleine et plus généralement d’Angers, lui donnait des informations de son village natal, le Lion d’Angers. Certes, il n’y avait guère plus de trente kilomètres entre son domicile angevin et les rives de l’Oudon où son père taquinait l’ablette ou le goujon, mais y aller constituait une aventure pour une mère de famille modeste ne disposant pas de moyen de locomotion autonome…En fait, une demi-journée de voyage: trois quarts d’heure de marche à pied de la rue de la Madeleine jusqu’à la gare Saint Serge puis deux heures de transport ferrovière en troisième classe dans le petit train d’Anjou, un omnibus poussif qui desservait toutes les stations jusqu’à Segré. 

Bref, Marguerite n’avait certainement pas lu le journal ce jour-là.  Une autre occupation s’imposait à elle, à laquelle il ne pouvait être question de s’affranchir! Elle l’attendait depuis neuf mois!    

Ce mardi 1er juin 1926 présentait pourtant toutes les caractéristiques d’une journée ordinaire. Rien d’extraordinaire n’était attendu dans l’immédiat! Une journée que rien ne distinguait des autres. A priori banale et routinière pour tout le monde. Pour tous, sauf – on le pressent – pour Marguerite, la future maman d’un petit « gâs » et pour Marcel son époux. Sauf pour Maurice bien sûr, le principal concerné et le héros du jour, ainsi qu’accessoirement pour nous dans la suite de nos histoires!

A Paris, le seul fait notable de cette journée fut le discours qualifié d’émouvant par les journalistes parlementaires du président du Conseil, Aristide Briand (1862-1932), devant la Chambre des Députés. Attaqué sur sa politique financière censée redresser un pays vainqueur de la Grande Guerre mais exangue, il parvint à faire taire son opposition radical-socialiste et par obtenir la confiance des députés après avoir mis en balance la responsabilité de son gouvernement! Pour peu de temps d’ailleurs, puisque ce dernier tombera dix-huit jours après… Un grand classique de la vie politique qui permet aux tribuns de se distinguer et aux soutiens majoritaires de se compter ou de se décompter.. 

Parmi les faits divers marquants du jour, parmi les événements atypiques qui font le sel de la presse et comblent nos instincts voyeuristes, le journal mentionnait pour ce 1er juin 1926, un vol de dix-huit tonnes de savon à (de) … Marseille! Faut le faire.

Et comme pour couronner le tout dans la noble tradition d’un thriller marseillais, tels qu’on les prise du côté du quai de la Joliette, le larçin avait été perpétré dans des « magasins de subsistances » de l’armée au bas fort Saint-Nicolas! On imagine que le planton de garde a dû écoper d’un savon. 

A Angers, la météo elle-même n’avait rien de remarquable! Une météo angevine classique, modérément océanique, juste un peu fraiche pour la saison entre 11 ° degré au lever du soleil et 15° au cours de l’après-midi! Sans pluie…

A un détail d’importance près, les météorologistes d’alors n’avaient rien à envier aux actuels climatologues de l’apocalypse ou encore aux épidémiologistes infectiologues qui investissent et colonisent nos modernes écrans. Ce détail, c’était la modestie, mieux même, l’humilité. Ils ne se prétendaient pas « savants » et se contentaient juste de rapporter fidèlement les indications de leurs baromètres à ruban, de leurs thermomètres à mercure et de leurs hygromètres, sans faire « les beaux » en extrapolant l’imprévisible et en invoquant du haut de leurs chaires fictives, la science à tout bout de champ.

Heureusement le Petit Courrier, journal de proximité était en revanche assez prolixe en nouvelles locales et régionales vérifiées par des correspondants et pigistes indigènes qu’on pouvait croiser dans la rue. Tout était dans le journal: de la vie des associations aux chiens écrasés, des avis de mariage aux réunions d’associations de petits jardiniers jusqu’aux incontournables annonces nécrologiques, sans oublier évidemment l’arrestation de maraudeurs indélicats avec les commentaires qui s’imposent. Un vivier pour le lecteur angevin qui y puisait les informations qu’il développait avec les copains d’atelier. Avant d’aller au boulot, il aimait feuilleter son journal déposé par un livreur dès potron-minet sur le paillasson,

Ainsi la presse des 1er et 2 juin 1926 consacrait plusieurs articles – et même quelques manchettes – à la tenue entre le 3 juin et le 13 juin 1926 de la troisième Foire Exposition de l’Anjou… Etait décliné dans le détail, le programme des nombreuses manifestations prévues, commerciales et festives, voire religieuses, depuis son inauguration le jeudi 3 juin par le ministre du commerce et de l’industrie en présence des autorités angevines, jusqu’à sa clotûre dix jours plus tard.

On apprenait, entre autres, que le 4 juin se tiendrait une grande foire Agricole et aux bestiaux au Cirque Théâtre d’Angers et qu’en soirée, des concerts seraient donnés au jardin du Mail par la musique de la Garde Républicaine.

Le dimanche 6 juin, les catholiques angevins majoritaires dans la population, étaient invités à participer à la fastueuse et multiséculaire procession du Grand Sacre, depuis le parvis de la Cathédrale Saint-Maurice au reposoir du « Saint Sacrement » sur la place du Tertre dans le quartier d’outre Maine de la Doutre, A cette occasion, une grande partie du clergé du diocèse, évêques, éminences de tous ordres et chanoines en tête, défilait en habits sacerdotaux d’apparat devant des masses de fidèles ou de spectateurs enthousiastes et présumés en dévotion…

Près de vingt ans après la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les autorités ecclésiastiques et les édiles municipaux pratiquaient une sorte d’oecuménisme de bon teint sous l’égide des bienfaiteurs du crû et avec la complicité des pépiniéristes angevins, trop heureux de fleurir les ostensoirs. Et ce au plus grand contentement des petits et des grands. C’était la fête! Dans l’après-midi de ce jour béni, l’hippodrome d’Eventard devait accueillir les courses de chevaux d’Angers.

Le 11 juin 1926, les carrières d’ardoise de Trélazé virent même passer des promeneurs étrangers cornaqués comme une classe de neige par le syndicat d’initiative de l’Anjou. On aimait valoriser l’ardoise et les ardoisiers d’Anjou et on le faisait savoir aux visiteurs de la Foire. Enfin le lendemain eut lieu le traditionnel grand concours d’animaux reproducteurs des espèces bovines, ovines et porcines. Un rituel incontournable!

Et pour terminer en beauté, le journal précisait dès le 1er juin, que le dernier jour de la Foire Exposition, en l’ole dimanche 13 juin 1926, la Société de Vénerie organiserait une exposition d’étalons…

Mon grand père paternel, Marcel Pasquier (1892-1956), ancien chasseur à cheval de l’armée d’Afrique entre 1910 et 1919 se serait certainement déplacé pour assister à ces présentations, s’il en avait eu le loisir! Mais, il avait la tête ailleurs…

Ce 1er juin 1926 revêtait pour lui un caractère particulier.

En effet, ce même jour, à quelques kilomètres des festivités en préparation et de la Foire Exposition, son épouse Marguerite Cailletreau (1897-1986) mettait au monde au rez-de chaussée d’un immeuble sans caractère du 65 de la rue de la Madeleine, Maurice Pasquier (1926-2017) leur deuxième fils et troisième enfant.

Ce jour-là, débutait l’existence de celui qui devint mon père, puis celui de mes trois soeurs, puis le grand-père et l’arrrière grand-père d’une myriade d’enfants. C’était, il y a exactement 95 ans. Désormais le temps n’a plus de sens pour Maurice disparu, il y a quatre ans, ni pour aucun des protagonistes et acteurs de ce 1er juin 1926. Date anniversaire qui fait désormais partie de notre histoire patrimoniale.

Pour lui et pour eux, tout est désormais fini dans l’infini.

Maurice en 2013, pensif devant sa maison natale.

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Tous ceux qui l’ont connu savent que les relations de mon père – Maurice Pasquier (1926-2017) – avec la photographie relevaient presque d’une pétition de principe philosophique mais aussi d’une démarche ou d’un sentiment quasiment fusionnel avec une forme d’art incarnant le progrès et la modernité. Depuis son apprentissage d’ajusteur-outilleur au début des années quarante du siècle dernier jusqu’à la fin de la première décennie de ce siècle, il n’y eut guère d’événements dans sa vie active, publique comme certainement intime, qu’il n’ait cherché à prolonger, à pérenniser ou à embellir au travers de clichés photographiques..

Depuis toujours, l’homme de foi qu’il était, assimilait la photographie à une sorte de vision romantique, presque religieuse de la vie. Un art qu’il percevait, au-delà de la technique, comme une transcription esthétique du monde, donc comme une nécessité vitale et une recherche d’harmonie conviviale… Il aimait faire don de ses photos.

Toutes les occasions étaient par conséquent bonnes, qu’elles soient professionnelles, syndicales, amicales et, au premier chef, familiales, pour prendre des photos. Les vacances constituaient à cet égard un moment privilégié. Il ne partait jamais en voyage ou n’assistait à une cérémonie, un anniversaire ou une fête, sans embarquer avec lui, une imposante sacoche où se trouvait, en plus de son appareil photo, tout un attirail d’objectifs couvrant la plupart des circonstances possibles de prise de vue, du téléobjectif aux lentilles dédiées à la photographie de nuit ou, à celles à l’inverse prévues pour les lumières intenses. Il n’eut de cesse, sa vie durant, que de capter et d’épier pour la saisir par le biais de l’image, la quintessence des choses et des êtres, du sourire d’un enfant à la beauté d’une fleur perlée de rosée matinale dans une jardinière de sa terrasse banlieusarde. Jusqu’aux paysages grandioses de montagne ou de l’océan en furie.  

Sa recherche de l’unité du monde s’effectuait par la photographie! Il aurait apprécié aussi la voie de la science s’il en avait eu le loisir! 

A sa disparition, le 7 novembre 2017, il laissa donc derrière lui, beaucoup d’albums photo et des milliers de clichés, sans compter les négatifs et autant de diapositives couvrant les soixante dix dernières années. Un patrimoine familial qui demeure d’ailleurs en grande partie à explorer. 

Cette passion ancienne pour la photographie l’avait même conduit dans les années cinquante à se faire embaucher dans l’atelier d’ajustage de l’usine Alsaphot (Alsetex) à Angers, un fabricant industriel d’appareils photo. A cette époque, lui qui possédait un appareil à soufflets de bonne qualité, prit plaisir, à ces moments perdus, à en réaliser un autre, une boite photographique de format 6×9, d’une conception largement inspirée de la « Box alpha », l’appareil populaire de début de gamme, fabriqué par son entreprise.  Il l’offrit finalement à notre mère.

Progressivement, dans le but de perfectionner ses prises, il s’équipait de tous les accessoires imaginables pour un amateur, tels les télémètres ou les cellules photoélectriques, et bien d’autres encore. Cependant, un jour d’été 1961, il profita d’une escapade en Forêt Noire pendant des vacances familiales dans les Vosges alsaciennes pour s’acheter avec la complicité joyeuse et contrebandière de notre mère, un appareil Contaflex Zeiss Ikon! Non déclaré aux douanes: c’était avant le Marché unique! 

Pour lui, admiratif de l’industrie allemande de l’optique, cet appareil Reflex avec cellule incorporée, représentait le nec plus ultra en la matière, et de surcroît abordable sans les taxes d’importation. Il présentait d’après lui la meilleure qualité d’objectifs en Europe …

Durant trente ans, ce Zeiss qui faisait sa fierté, le suivait partout, jusqu’au jour où il estima qu’il était technologiquement dépassé, et que le maniement d’un Canon lui ouvrirait d’autres voies photographiques insoupçonnées du fait des performances optiques et électroniques supplémentaires dont les japonais l’avaient doté. 

Cet appareil fut le sien pendant une quinzaine d’années. Ce fut également le dernier appareil reposant sur la technologie séculaire argentique qu’il utilisa. En effet à l’occasion de l’anniversaire de ses quatre-vingt ans en 2006, il lui fut offert un appareil numérique Nikon, comparable du point de vue optique à son Canon, mais plus en phase avec les évolutions numériques du moment et du futur.

Maurice avec un enthousiasme juvénile en dépit de son âge, l’adopta et parvint à apprivoiser cette nouvelle technologie numérique et informatique dont il ignorait tous les fondements quelques mois auparavant. Un âge, qui en aurait découragé plus d’un… 

Jusqu’à l’automne 2011, il continua donc de photographier à tire-larigot . Et dans le même temps, il numérisait méthodiquement pour la postérité, ses clichés les plus anciens ou, ceux qui lui apparaissaient les plus réussis ou les plus révélateurs d’époques ou d’épisodes qu’il avait vécus mais dont le souvenir s’estompait.   

Malheureusement, atteint d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge, diagnostiquée comme irrémédiable et incurable, il perdit progressivement l’essentiel de la vision.

Malgré tous les stratagèmes qu’il imaginait avec ténacité pour retarder l’échéance, sa vue lourdement dégradée, lui interdisait désormais de lire un texte, autrement que mot après mot et sans le concours d’un amplificateur d’image, de regarder la télévision au-delà de quelques centimètres d’un écran outrageusement désaxé par rapport à lui, de conduire sa voiture et enfin de prendre des photos ou d’écrire…

Ces deux derniers handicaps furent certainement les plus douloureux et moralement les plus insupportables! Il ne renonça pourtant jamais à l’écriture, 

Pour la photo en revanche, il ne s’obstina pas, probablement parce qu’il ne pouvait concevoir de produire de médiocres clichés.

Sa dernière prise de vue fut réalisée le 1er octobre 2011.

A la différence des photos antérieures, cet ultime cliché enregistré sur la carte mémoire de son appareil est loin d’être du même niveau technique que ce qu’il produisait auparavant. Il en était certainement conscient et c’est sûrement la raison principale qui l’incita à penser que ce serait le dernier.

En tout cas, le dernier qu’il se sentait encore en mesure d’entrevoir! A ce titre, c’est sûrement, aujourd’hui,un des plus émouvants et aussi des plus énigmatiques! Comme si par le truchement de cette composition d’objets ou de cette mise en scène, qui ne devait sans doute rien au hasard, il souhaitait, au soir crépusculaire de sa vie de photographe amateur, délivrer – peut-être à notre adresse – un message visuel final de ce qui, pour lui, fit sens au cours de son existence. 

Au premier plan de l’image, est présentée une médaille commémorative de la Déclaration des droits de l’homme, enchâssée dans un socle en bois qu’il avait lui-même travaillé. A côté, une petite colombe de la paix, soudée sur un capuchon de sonnette de vélo.

En arrière plan, une vierge Marie en bois, objet de toutes les dévotions de notre mère, sa référence et son amour absolus, qu’il évoque explicitement au travers d’un buffet et d’une armoire de poupée qui lui appartenaient depuis sa tendre enfance. (Objets offerts à Adrienne, ma mère, par Clémence Venault née Fradin, sa grand-mère maternelle à la fin des années 1920)

Enfin pour compléter la scène, il plaça un cadre à l’image invisible, trop éblouie par le soleil. On sait qu’il s’agit de leurs portraits! Et enfin une soupière et une boite à gâteaux en fer. Pourquoi une soupière dans le tableau? Pourquoi la boite?  

Il survécut six ans à ce cliché testamentaire, sans jamais y faire la moindre allusion, sans jamais exprimer de nostalgie à propos de cet art photographique perdu qu’il affectionnait et que la fatalité lui avait confisqué, sans jamais enfin évoquer le devenir de cette oeuvre photographique assez considérable qu’il avait patiemment constituée et scrupuleusement conservée pendant plus de trois-quart de siècle!  

Toutes les interprétations demeurent plausibles. Ce qui est certain, c’est que cette dernière photographie prise par mon père ne relève pas du pur hasard.

A nous d’en rechercher les clés et de découvrir la teneur du message. 

 

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Après huit années d’armée et de combats en Algérie, au Maroc et enfin à partir de l’automne 1916 sur le Front français, le chasseur d’Afrique Marcel Pasquier (1892-1956) avait au moins deux bons motifs d’être optimiste en cette fin d’année 1918. Le premier motif partagé par tous les soldats fut évidemment l’armistice si longtemps attendu, signé dans la clairière de Rethondes en forêt de Compiègne au petit matin du 11 novembre, qui mettait fin, le jour même à onze heures, aux affrontements meurtriers et aux tirs d’artillerie sur l’ensemble des lignes de front. Il libérait enfin les combattants des différentes armées en présence de cette angoisse permanente de la mort qui les tenaillaient depuis quatre ans.

La seconde raison qu’avait Marcel d’entrevoir l’avenir avec une certaine sérénité, était son mariage, le 21 octobre 1918 au Lion d’Angers, avec une jeune lionnaise, de cinq ans sa cadette, Marguerite Cailletreau (1897-1986), rencontrée au cours de l’été 1916, alors qu’il était en permission chez son oncle Baptiste Pasquier, habitant du bourg. Au soir de sa vie, Marguerite disait que ce fut un coup de foudre réciproque. Pudique, Marcel n’a, pour sa part, laissé aucun témoignage direct sur cet épisode, mais, dès l’automne 1916, il a « biffé » de son carnet intime, les adresses de ses autres amies de cœur.  « Biffé » mais pas « effacé »! On ne sait jamais…

Quoiqu’il en soit, l’hypothèque de la poursuite du massacre étant levée, il pouvait entrevoir l’avenir avec sérénité et se laisser aller à rêver d’une vie familiale paisible avec son épouse. Leur lune de miel avait été malheureusement écourtée, puisque moins d’une semaine après les noces, il dut rejoindre son régiment.

En conséquence, dès le 3 novembre 1918, Marcel se retrouvait en première ligne sur les rives de la Meuse dans la boucle de Saint-Mihiel au sud de Verdun aux côtés des troupes américaines…

Par la suite, jusqu’à l’armistice, il participa à toutes les offensives des armées alliées. D’ailleurs, durant ce dernier mois de guerre, l’armée allemande démoralisée et mal ravitaillée par des bases arrière désorganisées du fait de l’agitation révolutionnaire à Berlin, ne cessa donc de battre en retraite.

C’est dans ce contexte, à l’issue d’avancées victorieuses ininterrompues qu’au jour de l’armistice, son escadron, le quatrième escadron du sixième régiment de chasseurs d’Afrique avait atteint Saint-Pierre-sur-Vence dans le département des Ardennes. C’est là que Marcel entendra le clairon sonner la fin des hostilités. Il se trouvait alors à moins de cent kilomètres des lieux de son enfance, à Vervins en Thiérache où vivaient encore ses parents dans une zone occupée par l’ennemi depuis quatre ans….  

Après quelques jours à Saint-Pierre-sur-Vence, l’arme au pied, mais prêt à intervenir en cas de violation du cessez-le-feu, le sixième régiment de chasseurs d’Afrique, conformément aux clauses de l’armistice, remonta via la Belgique et le Luxembourg vers l’Allemagne tandis que les divisions allemandes devaient parallèlement se retirer – sous quinzaine – des régions picardes, lorraines et alsaciennes, sous leur botte depuis l’été 1914. Elle devait de surcroît évacuer toute la rive gauche du Rhin. 

Pour Marcel, la frontière allemande en Rhénanie Palatinat fut franchie le 10 décembre 1918, presque en même temps que les troupes américaines. En effet, les conditions d’armistice imposées à l’Allemagne comportaient l’occupation par les alliés des têtes de pont de Mayence, Coblence et Cologne sur la rive droite du Rhin et l’instauration d’une zone neutralisée de dix kilomètres sur cette même rive droite de la Hollande à la Suisse… 

Entre décembre 1918 et juin 1919, Marcel fut donc modestement un acteur de cet ultime épilogue de la Grande Guerre, au cours duquel, au fil des cantonnements successifs de son escadron, il descendit le Rhin jusque dans le Bade-Wurtemberg et en Forêt Noire… 

Cette occupation militaire n’avait rien, par principe, d’une escapade touristique sur les bords du légendaire Rhin romantique de la Lorelei, mais ce n’était pas non plus la guerre… Dans ses carnets, Marcel observe que les habitants de ces régions occupées dorénavant par les alliés, et qui avaient été relativement préservés par la guerre, sont « serviables » mais que naturellement, ils « n’aiment pas beaucoup les français ». 

Curieusement, bien qu’il ne s’en explique pas, il les trouve  » mal habillés quoique vêtus de costumes chers ». Il concède cependant à ces paysans rhénans qu’ils « travaillent beaucoup ». En fin de compte, le pays lui fait une « assez bonne impression ». 

La vallée du Rhin et ses coteaux semblent le fasciner, comme je le fus également moi-même, bien des décennies plus tard, chaque fois que j’eus le privilège de parcourir ces mêmes lieux qui inspirèrent Goethe et tant de poètes!

Guillaume Apollinaire (1880-1918)

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes

Sur un fifre lointain un air de régiment

Le Rhin romantique (photo JLP)

Ainsi, à la date du 8 mai 1919, alors que son régiment était basé à Eckarsweier,  non loin de Fribourg-en-Brisgau dans le Bade-Wurtemberg , il écrit : 

Je me suis mis en tête de faire une grande promenade. Je suis parti à midi et demi et suis allé jusqu’à Willstät à six kilomètres de Eckartsweier et, de là, à Kork, puis à Bodersweier, et de Bodersweier à Kehl (au bord du Rhin en face de Strasbourg) et enfin, je suis retourné à Eckartsweier… 

Ce jour-là, il est manifestement en grande forme. Une condition physique, somme toute normale, pour un jeune homme de vingt-sept ans, qui ne ressent de ses années de guerre qu’une légère douleur – au demeurant persistante – dans la « région trochantérienne » gauche – globalement la région de la fesse au haut du fémur – souvenir d’une blessure par balle de gros calibre en 1912 au Maroc. 

Lors cette balade, il aura tout de même parcouru, quelques vingt-cinq kilomètres en moins de deux heures et demi, dans les paysages superbes et vallonnés des confins de la Forêt Noire et par un temps qu’il qualifie lui-même de splendide.  Toutefois il ne précisa pas s’il s’était déplacé à cheval ou à pied! 

En résumé, ce 8 mai 1919, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes… De surcroît, malgré les obligations du soldat, dont il ne pouvait s’affranchir, il semblait disposer quasiment « à vau-l’eau » d’un temps personnel non contraint et bénéficier manifestement de loisirs.

En sa qualité d’infirmier depuis la mi-août 1918, il n’était en effet plus tenu comme le cavalier qu’il était auparavant, d’effectuer les corvées quotidiennes liées à l’entretien des montures et au nettoyage des écuries. Pendant les hostilités, si l’on en juge par ses écrits, la fonction d’infirmier n’avait rien d’une sinécure. constamment occupé à soigner les plaies, les aseptiser, effectuer des pansements ou encore apporter les premiers soins à des victimes de gaz asphyxiants ou « vésicants ».  Et souvent, accompagner des mourants démembrés par des obus et transpercés à la baïonnette!  Après les assauts et les bombardements, la tâche était risquée et éprouvante tant moralement que physiquement.

Mais, depuis le cessez-le-feu, le va-et-vient des brancards, transportant des hommes ensanglantés s’était interrompu et les infirmeries des unités de combat s’étaient progressivement vidées de leurs « gueules cassées » qui avaient toutes rejoint les hôpitaux militaires de l’arrière… Ne restaient désormais que les malades souffrant de pathologies « classiques » ou supposées telles comme cette « foutue » grippe – importée, disait-t’on, par le corps expéditionnaire américain. Cette grippe sévissait dans les rangs depuis avril 1918, sans gravité notable au début.

Mais, depuis l’automne 1918 jusqu’au printemps 1919, sa contagiosité et sa virulence s’étaient considérablement accrues.  On l’appelait la « grippe espagnole » bien qu’elle se fût déclarée aux Etats-Unis au printemps 1918. Une rumeur prétendait même que cette maladie avait été provoquée par des conserves alimentaires venues d’Espagne contaminées par des agents allemands. La réalité était autre. Elle est désormais connue et son origine, comme l’actuelle pandémie, serait à rechercher en Chine. 

Les symptômes étaient presque toujours les mêmes chez les jeunes soldats qui en étaient atteints, et qui, ayant échappé à la mort pendant la guerre, voyaient leur vie menacée par une grippe, une fois la paix revenue. Les premiers signes de la maladie se manifestaient d’abord sous la forme d’une forte fièvre parfois accompagnée d’une extrême fatigue et de céphalées épouvantables. S’ensuivaient généralement des troubles respiratoires plus ou moins importants, qu’on appelait de façon générique des « bronchites ». En quelques jours, ils pouvaient conduire un infortuné soldat au seuil de la mort, du fait notamment de surinfections bactériennes favorisées par un affaiblissement concomitant de leur système immunitaire et bien sûr, à l’époque, de l’absence d’antiobiotiques!

Toutefois, à la différence de la pandémie virale actuelle imputable à un coronavirus, dont les formes gravissimes semblent surtout concerner les personnes les plus âgées des populations, la grippe de 1918-1919 – d’ailleurs imputable à un virus différent (de type H1N1) s’attaquait surtout à de jeunes adultes entre vingt-cinq et trente ans.  

Heureusement la plupart des poilus en réchappait mais certains, malgré tout, en conservèrent des stigmates et furent affligés d’handicaps, y compris après leur guérison officielle… Ce fut probablement le cas de mon grand-père Marcel, qui dut en outre endurer, sa vie durant, des difficultés de mobilité, liées à sa blessure de 1912, se surajoutant aux conséquences d’un paludisme ancien contracté comme chasseur d’Afrique dans le Maghreb entre 1911 et 1916! 

En mai 1919, Marcel Pasquier se trouvait donc sans conteste, dans le cœur de cible de la « grippe espagnole », le risque étant amplifié par son affectation à l’infirmerie du régiment, et aux soins qu’il devait prodiguer aux malades sans que nécessairement toutes les précautions fussent prises. 

Néanmoins, sa santé ne souffrit d’aucune alerte notable jusqu’à la fin mai 1919.

Le 17 mai, son escadron changea de lieu de garnison pour rejoindre la caserne Saint-Nicolas à Strasbourg. Et à cette occasion, Marcel dit sa satisfaction d’avoir participé à la revue du colonel et au défilé qui s’ensuivit. Tout donne même à penser qu’il visita ensuite la capitale de l’Alsace redevenue française, qu’il la trouva « belle » ainsi qu’il le mentionne dans son précieux petit carnet de guerre… 

C’est sans doute vers le 25 ou 26 mai 1919 que son état de santé commença à se dégrader et qu’il suscita de l’inquiétude, notamment chez ses collègues, les autres soignants du régiment…

En tout état de cause, il fut admis le 27 mai 1919 à « l’hôpital 10 A à Neudorf -Strasbourg », en raison comme le précise le billet d’admission, hâtivement renseigné par un médecin auxiliaire – d’un « état grippal au cours du service ».

Ce diagnostic initial n’évoluera pas fondamentalement.

A son départ de l’hôpital de Strasbourg, le jeudi 12 juin 1919 – soit  deux semaines plus tard – le médecin traitant se contentera de préciser que Marcel Pasquier fut victime d’une « bronchite grippale » et préconisera un mois de convalescence, répartie en une permission de dix jours qu’il passera auprès de sa jeune épouse au Lion d’Angers, et en un séjour de vingt jours dans un établissement hospitalier spécialisé.

Dès le samedi 14 juin 1919, il rejoindra donc le Lion d’Angers.

Dix jours plus tard, il sera admis à l’hôpital militaire de Bligny en région parisienne (ancienne Seine-et-Oise et désormais en Essonne) qui, en tant qu’annexe et sanatorium de l’hôpital Dominique Larrey de Versailles accueillait depuis 1914, des sous-officiers et soldats atteints de tuberculose et de diverses affections pulmonaires…   

Marcel y résidera une quinzaine de jours, car selon son carnet, il est présent à Angers, au 14 juillet 1919. Il est en permission libérable et d’ailleurs le 19 juillet 1919, après plus de huit ans sous les drapeaux, il fut enfin démobilisé… 

La grippe espagnole lui aura épargné la vie sans que l’on sache précisément la gravité de son affection.

Mais elle lui aura laissé des séquelles. C’est la raison pour laquelle le médecin-chef du Centre de Réforme d’Angers, constatant en 1922, son « état général médiocre » proposa qu’on lui octroie une pension d’invalidité de 40% justifiée par  » une induration du sommet pulmonaire. Susmatité sus-épineuse et sous-claviculaire »

Autrement dit, il souffre d’une forme de fibrose pulmonaire, qui lui occasionnera par la suite des troubles fonctionnels respiratoires… 

Mais la période de l’entre-deux guerres est déjà à l’économie des finances publiques au détriment des petites gens.

Ainsi, bien que le diagnostic des médecins de l’administration ne fasse état d’aucune amélioration de son état de santé et même qu’à l’inverse, ils précisèrent que Marcel était affecté d’une sclérose pulmonaire du sommet droit , le chef de bureau « compétent » – un certain Lescamel – du ministère des Pensions, des Primes et des Allocations de guerre, crut bon dans sa grande sagesse, de considérer qu’il s’agissait d’un handicap mineur. En conséquence, il lui « rabota » par deux fois son taux d’invalidité pour le ramener en 1927 à 10%! Ce qui réduisait d’autant sa rente! 

Le zélé fonctionnaire dont on ne sait d’ailleurs s’il fut lui-même un ancien combattant ou simplement un rond-de-cuir planqué, s’était déjà signalé en 1923 en décidant d’autorité que la douleur – certes supportable – ressentie à la jambe par Marcel du fait de sa blessure par balle en 1912 n’ouvrait pas droit à pension.

Selon lui, un léger boitillement à vie n’était en rien une gêne! 

En guise d’épilogue, au moment où la France entière est menacée par une pandémie virale mortifère d’ampleur inédite et comparable par ses effets et par l’effroi qu’elle provoque à l’épidémie de grippe espagnole de 1918-1919 (qui fit -pense-t’on- vingt millions de morts dans le monde) il est bon de se rappeler que l’humanité au cours de son histoire vécut et surmonta de nombreuses tragédies analogues.

Aujourd’hui, nous sommes certainement mieux gréés techniquement et scientifiquement que jadis pour y parer, et parvenir à vaincre la maladie. Cela suppose d’abord d’être solidaires et disciplinés dans la mise en oeuvre des consignes de prévention et des mesures barrière pour freiner la contagion.

Faire preuve ensuite d’optimisme et se convaincre, coûte que coûte, qu’on peut toujours progresser pour domestiquer des phénomènes qui nous sont a priori très défavorables ! Cela suppose de croire un peu dans les progrès de la science pour déjouer les mécanismes mortifères de ces virus qui nous font la guerre.

Et enfin, on peut aussi miser sur la chance et croiser les doigts car l’expérience multiséculaire des épidémies dévastatrices d’origine bactérienne, bacillaire ou virale montre qu’elles disparaissent toujours des radars à un moment ou à un autre, au cours des changements de saisons ou au hasard d’une mutation génétique de l’agresseur. Et ce, sans qu’on sache précisément pourquoi. 

S’agissant du cas particulier de mon grand-père, ce n’est pas la grippe espagnole qui l’a tué, ni la guerre, ni la tuberculose à laquelle il a également échappé, mais une des maladies dégénératives des temps modernes, un cancer… Et même d’un parmi les plus redoutables et toujours incurables, le cancer du pancréas. C’était en 1956! 

Infirmières américaines à New York, en partance pour la France en 1918

PS : L’hôpital de Bligny dans l’Essonne, dans lequel Marcel Pasquier effectua sa convalescence en 1919, fut rendu à sa vocation d’hôpital civil après guerre. Devenu un Centre hospitalier privé, c’est celui – coïncidence troublante – au sein duquel son fils Maurice Pasquier vécut les ultimes jours de son existence et où il décéda le 6 novembre 2017 dès suites d’un cancer du pancréas… Étrangement, de la même maladie que celle qui emporta Marcel en 1956! .

 

 

 

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Nous ne savions presque rien de ses intentions pour « l’après » de ce jour où il nous quitterait.

Ce qu’on savait, c’est ce qu’on avait appris au cours de l’été 2017: on lui avait diagnostiqué un cancer incurable, auquel il s’attendait, disait-il! Dès lors, il se douta – et nous aussi – que le compte à rebours était désormais enclenché et que nécessairement le terme serait proche! Une affaire de semaines ou au mieux de quelques mois.

Chaque jour, on mesurait avec angoisse et une sorte de voyeurisme bienveillant et filial, l’évolution de ce mal dont avait été aussi victime son propre père, soixante ans auparavant. La maladie, sournoisement, alternait des phases de répit et donc d’espoir, de plus en plus brèves et d’autres de plus en plus fréquentes, où la souffrance et la fatigue, progressivement intolérables, demeuraient rétives à toute médication.

Tous, nous redoutions le jour où cette impitoyable échéance prendrait fin, cultivant, malgré tout, l’idée folle qu’il pourrait fêter en décembre avec toute la famille le soixante dixième anniversaire de son mariage avec notre mère.

Lui, parce qu’il était habité d’une foi de charbonnier, disait aborder sans crainte cette ultime étape de son existence, qu’il interprétait comme la promesse d’une renaissance éternelle dans les bras de son créateur. Nous, plus prosaïquement, nous n’y voyions qu’un basculement dans un incompréhensible néant sans doute infiniment plus complexe et inattendu que l’amour divin auquel il n’avait cesse de se référer!

L’heure n’était cependant plus aux controverses ou aux embrouilles métaphysiques; aussi, lorsque, sur son initiative, on évoquait sa mort prochaine, c’était plutôt sous forme de litote apaisante et complice, en nous efforçant de valoriser le bilan de sa vie, d’une vie qui, certes s’achevait mais qui, en dépit de ses dénégations, de ses regrets et peut-être de ses remords secrets avait été exemplaire et bien remplie.

On parlait donc de la mort avec légèreté, mais sans trop s’attarder comme s’il s’agissait d’un élément de décor, d’un prérequis contractuel ou d’une condition initiale et finale de l’existence, chacun gardant pour soi, son questionnement, ses certitudes ou ses incertitudes sur la transcendance: lui s’en tenait à la révélation divine, et nous à l’hypothèse parmi d’autres d’une chute sans fin dans un des insondables précipices, pleins de vide, de notre espace-temps!

Mais sur les modalités précises de la suite immédiate, sur les rites de passage dans l’autre monde, Maurice Pasquier (1926-2017), notre père, ne s’était confié à personne, sauf pour dire que c’est sa foi en Dieu qui avait orienté sa vie et qu’il souhaitait, par conséquent, que le jour venu soit organisée une célébration religieuse d’adieu, ou plutôt d’au-revoir. Il nous avait aussi informé de sa décision de faire don de son corps à la science et nous avait même sollicité pour l’assister dans les démarches administratives nécessaires.

C’était il y a deux ans. Ce qui devait être accompli le fut. Au mieux, selon nous, en espérant que, diacre et curé en piste, témoignages à l’appui, c’était conforme à ce qu’il aurait souhaité! Au moins dans la forme, sinon sur le fond!

Notre surprise fut donc grande, lorsque, tout récemment, en tentant de classer les nombreux manuscrits qu’il avait laissés, on découvrit des « directives » que l’on ne connaissait pas pour l’organisation de ses obsèques…

Il souhaitait en particulier que soit « joué Le Boléro de Ravel », en guise d’ » Introibo » dans l’église saint Fiacre de Massy! Il souhaitait également que soit lu, ce jour-là un ultime message qu’il avait rédigé à l’adresse de sa famille et de ses amis.

Par la force des choses, ces souhaits qu’il n’avait pas exprimés, n’ont pu être respectés à la lettre.

Ils ne les avaient pas formulés auprès de l’un de nous, et pour autant, il ne s’agissait pas d’une idée fugace, hâtivement inscrite sur le papier et ensuite abandonnée. Sur plusieurs versions ou réécritures, il reprenait la même trame pour cette cérémonie religieuse, et dans tous les cas, le Boléro de Ravel apparaissait en premier.

Ce choix d’une musique profane en préambule de la messe des morts pouvait d’ailleurs étonner de la part de quelqu’un de profondément croyant, militant chrétien assidu, et qui, en outre, ne passait pas pour un mélomane averti et compulsif. La suggestion d’un Requiem ne nous aurait en revanche pas étonnés! Non plus que nous aurions été surpris s’il nous avait demandé de ressusciter le répertoire du Père Duval (1918-1984), « la calotte chantante » de Georges Brassens et star des cercles angevins de l’Action catholique ouvrière dans les années soixante.

Combien de fois, l’ai-je en effet entendu chantonner le succès du jésuite à la guitare,  » Le ciel est rouge, il fera beau » les dimanches matin rue de Messine, concurremment avec le premier couplet du Chant des Partisans de Kessel et Druon!

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines …

Mais « Le Boléro de Ravel » ! C’est à peine si l’on se souvient que cette musique de ballet, envoûtante et lancinante, obsédante et répétitive, figurait parmi celles que notre père et notre mère écoutaient régulièrement à Angers sur leur électrophone Ducretet-Thomson.

Et pourtant, c’est cette musique qui sûrement évoquait un moment important de sa vie ou un émoi esthétique particulier et inoubliable, qu’il avait choisie comme préambule pour le rite de ses adieux…

Le « Ducretet-Thomson » de la rue de Messine

 

Nous l’ignorions lorsqu’il décéda le 7 novembre 2017.

Il avait formulé cette demande par écrit en espérant peut-être qu’on mettrait rapidement la main sur son manuscrit!

Ce ne fut pas le cas et ce n’est qu’en septembre 2019, que je pris connaissance, avec émotion, de cette requête, plusieurs fois réitérée dans les documents épars qu’il avait rangés en vrac dans une pochette.

Non seulement, il y faisait part de ses vœux pour ses obsèques, mais il y dressait aussi une sorte de bilan succinct de son existence, dans le même temps où il réaffirmait ses convictions de toujours et justifiait certains de ses choix.

Ces textes dont un seul est daté (du 2 juillet 2014) pourraient passer pour des brouillons si l’on prenait le parti de méconnaître les difficultés visuelles dont il souffrait depuis près d’une dizaine d’années. Ces bouts de texte, notamment les plus récents, font sens ensemble. A l’exception de celui de 2014, ils ont probablement été écrits dans les mois précédents son décès, d’une main qui n’était plus guidée par l’œil. En effet, quand il les rédigea, Maurice ne disposait manifestement plus que d’une vision périphérique, en raison d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge, en phase terminale.

Entravé dans la formation de ses lettres, de ses mots et de ses phrases, il ne discernait pas vraiment ce qu’il écrivait et était, par conséquent dans l’incapacité de retrouver spontanément où il en était si d’aventure, il levait la plume pour introduire une accentuation. Pour éviter de surcharger de gribouillis des pages déjà en partie rédigées, il aérait ses textes en recourant le plus possible à des pages vierges. Et in fine, ligne par ligne, il vérifiait la lisibilité de ce qu’il écrivait sur l’écran d’un lecteur grossissant couplé à une caméra!

L’ajusteur-outilleur, qu’il se targua d’être avec fierté jusqu’à son ultime souffle, vécut cette perte d’acuité visuelle comme une authentique mutilation. Jadis lecteur assidu, il ne pouvait plus lire à son rythme. Sa cécité partielle le priva en outre de la facilité et du plaisir d’écrire. Homme de meeting, peut porté sur la confidence intime, l’écriture était pourtant son mode d’expression favori.

Stoïquement il assuma.

En dépit de son infirmité, ses lignes, à l’écriture torturée, constituent un récit cohérent qui se situe à mi chemin entre un « testament moral » que Maurice voulait transmettre à sa descendance et une leçon de tolérance de la part de quelqu’un qui confesse s’être parfois trompé et qui se dit toujours en recherche de vérité! Il s’adressait aussi bien à ceux qui croient au ciel qu’à ceux qui n’y croient pas!

Malheureusement, rien de ce qu’il avait envisagé ne fut réalisé, le jour dit!

Hormis les prières ou les chants religieux qu’il recommandait spécifiquement pour la liturgie de la cérémonie mémorielle, certains de ces textes présentent un caractère intemporel…

Par fidélité filiale ou pour honorer une dette d’affection, dont nous ne sommes cependant que des débiteurs par héritage tardif, il m’est apparu nécessaire et même utile de les faire figurer ici, comme témoignages par lui-même, de ce qu’il fut et de ce qu’on lui inspirait.

 » A ma cérémonie religieuse, j’aimerais qu’à l’entrée on joue le Boléro de Ravel » 

Plus loin, il cite un autre chant, qui vérification faite, était celui des apprentis de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne pendant la seconde guerre mondiale.  

Peuple debout, il faut briser tes chaines et que l’argent ne fasse plus la loi. Il a engendré trop de haine. Peuple debout tu es fort, défends toi 

Enfin, sur une autre page, figure le message dont il aurait souhaité que je fasse la lecture au cours de la cérémonie à sa mémoire:

Pour la dernière fois, je m’adresse à vous, Famille et Amis.

Avec Adrienne, mon objectif a toujours été de maintenir l’unité de la famille.

Malgré nos divergences religieuses, politiques et de situation. vous avez toujours fait, avec Adrienne, notre fierté, notre joie, notre bonheur! Enfants, petits-enfants, arrière-petits enfants, vous avez tous participé à la réussite de notre vie. Gardez cette unité, gardez cette formidable vie de famille. Qu’il n’existe aucune rupture!

Vous en avez tous la responsabilité désormais.

« Aux amis! Beaucoup m’ont précédé dans l’éternité. Je vais les retrouver.

« Je vous remercie tous, car, tous, vous aussi, vous avez participé à notre bonheur et à nos engagements divers. Tous vous crurent en la personne humaine. Tous vous avez espéré dans un monde meilleur.

« Il faut briser nos chaines et que l’argent ne fasse plus la loi ». Voilà ce que nous chantions d’une même voix ensemble lorsque nous étions apprentis et jocistes.

« Merci à vous tous qui êtes présents.

« Et surtout, que personne n’oublie que la vie d’un homme, d’une femme vaut plus que tout l’or du monde… Que personne ne soit triste

Dans un autre document antérieur ou postérieur au précédent, Maurice précise:

« La cérémonie religieuse se fera au moment opportun, avant ou après la restitution de mes restes (qui d’ailleurs ne pourra pas avoir lieu, du fait du règlement sur le don des corps qui ne prévoit pas cette procédure).

« Cette cérémonie devra s’adresser autant à ceux qui ne croient pas qu’à ceux qui croient. L’important est de croire en la personne humaine, en sa dignité, et de se battre pour plus de justice. Si moi, je crois en l’éternité, tous nous croyons que les hommes et les femmes qui nous ont précédés, ont participé à la construction du monde dans lequel nous sommes, et qu’ils demeurent vivants dans les souvenirs.

« Avec Adrienne, nous nous sommes beaucoup attachés à ces valeurs et à l’unité de la famille dans sa diversité. Ma foi m’a toujours aidé (…) pour respecter ces valeurs de justice et d’amitié.

« (…) Que ceux qui seront présents ce jour-là, famille ou amis, n’hésitent pas à intervenir dans ce sens.

« Si cérémonie, il y a, qu’elle ne soit pas triste. Qu’elle se termine par une rencontre amicale avec famille et amis »

Après avoir lu et relu ces messages d’Outre Tombe, j’ai pensé que le moment était venu d’écouter vraiment le Boléro de Ravel! A tue-tête ou à plein pot jusqu’à atteindre, si c’est possible, les confins de l’Univers

L’écouter, le diffuser certes, mais l’entendre aussi d’une autre oreille qu’auparavant. Ce fut en effet la dernière musique sélectionnée par mon père, disc-jockey improvisé et inattendu de l’Au delà !

En attendant la suite, forcément crépusculaire et que j’espère éloignée, je sais, à l’exemple du regretté Pierre Dac qu’en dépit des vicissitudes de la condition humaine, je préfère sans barguigner, es qualité d’incorrigible mécréant, le vin d’ici à l’au-delà!

Papa ne m’en voudra pas! « Je t’aimais bien, tu sais » (Léo Ferré) …

Adrienne et Maurice – 10 octobre 2017 à Massy

 

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Entre le 24 juillet et le 2 août 1944, Marguerite Cailletreau (1897-1986) adressa six lettres d’Angers à son fils Maurice Pasquier (1926-2017), arrêté à la mi-juillet par la Feldgendarmerie d’Angers et réquisitionné pour abattre des arbres en forêt de Chinon…

« L’entreprise forestière Les Hucherolles » à Chinon, dans laquelle Maurice était retenu, présentait la caractéristique d’être à la fois un lieu d’internement de l’armée d’occupation, destiné aux fortes têtes ou aux indésirables comme les républicains espagnols réfugiés en France depuis 1939, et un des nombreux camps de travail forcé de la France occupée, appelés à fournir des matières premières à la Wehrmacht, notamment du bois pour ses gazogènes.

Maurice était là en représailles, comme déserteur du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.).

En effet, il avait déjà été « requis » une première fois, le 6 juin 1944 à Angers. Au petit matin, alors qu’il pointait à son poste de travail d’ajusteur à l’usine du Mail des établissements Bessonneau, sa hiérarchie flanquée d’un fonctionnaire de la main d’oeuvre, lui avait notifié ainsi qu’à plusieurs de ses camarades d’atelier, qu’il devait, toutes affaires cessantes, faire son paquetage pour partir dans un chantier d’abattage du bois en forêt de Baugé.

Inutile de préciser que cette injonction de se rendre fissa vers « le chantier 1607 du camp de Beauregard à Clefs d’Anjou dans le nord-est du Maine-et-Loire » contraria vivement Maurice, d’autant qu’elle n’était assortie d’aucun préavis. Et pour ajouter au désarroi des jeunes travailleurs qui craignaient le pire de cette affectation surprise, une rumeur insistante d’un débarquement allié en Normandie commençait à se répandre parmi les jeunes ouvriers. Lequel, attendu depuis des années laissait présager une Libération prochaine du joug nazi. Rater ce rendez-vous avec l’histoire et encore une fois par la faute des boches ne les enchantait vraiment pas!

A Clefs d’Anjou, Maurice n’était pourtant pas, à proprement parler, prisonnier. Il était juste contraint de travailler pour l’armée d’occupation. Bénéficiant donc par principe de permissions de sortie, il profita de la première qui lui fut octroyée pour « se faire la malle ».  Ainsi, onze jours après être parti de chez lui, il rejoignait la ville d’Angers, distante d’une cinquantaine de kilomètres, avec la ferme intention de plus jamais revoir le camp de Beauregard.

Il comptait évidemment sur ses copains du « patronage paroissial de la Madeleine » et sur ses camarades de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (J.O.C) pour lui trouver une planque, car il savait qu’il avait pris des risques. Il était enfin conscient qu’étant un des responsables locaux de la J.O.C, sa fuite faisait sens pour les nazis et qu’elle ne passerait pas inaperçue. Aux yeux des troupes d’occupation, il changea effectivement de statut: de simple « réquisitionné » il devenait un réfractaire ou un déserteur et potentiellement un « terroriste ».

Il fut donc activement recherché par la police allemande. Plus intensément sans doute qu’il ne le pressentait lui-même!

Et, finalement, elle lui remit la main dessus, à la mi juillet 1944 alors qu’il était de passage chez ses parents au 65 rue de la Madeleine à Angers. Les hommes de main qui vinrent l’arrêter étaient deux jeunes français, auxiliaires de la Gestapo angevine, dont un certain Jacques Vasseur (1920-2009), qui échappa à l’épuration en 1945 mais qui retrouvé près de vingt ans plus tard, fut condamné à mort en 1965 et gracié par le général de Gaulle…

Pour l’heure, les deux traîtres étaient parvenus à tromper la vigilance de Marguerite Cailletreau, la mère de Maurice, en se faisant passer pour des militants de la J.O.C…

Tabassé dans les locaux de la Kommandantur, il fut ensuite « transféré » en car, vers « l’entreprise forestière des Hucherolles à Chinon. Un car qui, d’ailleurs tomba en panne en cours de route et que les requis désormais détenus durent pousser pour qu’il redémarre sur la levée de la Loire!

Le régime disciplinaire de ce camp directement administré par l’armée d’occupation était censé être très sévère, proche d’un régime pénitentiaire dur. Mais, eu égard à la tournure que prenait la guerre et à l’avancée des troupes anglo-américaines, les gardiens du camp, qui n’étaient pas des S.S,  assurèrent prudemment leurs arrières en ne se comportant pas en tortionnaires sadiques.

Réservistes de l’armée allemande, ils n’appartenaient pas aux troupes d’élite fanatisées qui se battaient sur le front normand et n’étaient en réalité que des soldats aspirant à retourner chez eux au plus tôt sans trop d’ennuis.

La défaite du Reich devenait en effet de plus en plus probable. Surtout depuis le désastre de l’armée allemande à Stalingrad en février 1943 et désormais avec la réussite du débarquement allié.  Le Haut Commandement allemand avait beau multiplier les communiqués de victoire, d’ailleurs complaisamment relayés (en français) par la presse collaborationniste locale comme le Petit Courrier, les vieux soldats allemands du camp des Hucherolles, qui, pour beaucoup, avaient combattu en 14-18, n’étaient guère dupes sur les chances de succès de « leur » Reich et étaient donc peu enclins à manifester un zèle d’ardent geôlier, qui risquait de leur être reproché plus tard.

Les raids des bombardiers alliés qui survolaient presque chaque soir le camp, sans que la chasse allemande fût en mesure de riposter et la D.C.A. de les atteindre, confirmaient leurs craintes et confortaient leur attitude de prudence!

Le désarroi des matons de la Wehrmacht et leur démotivation constituèrent une chance pour Maurice et pour ses compagnons, qui finalement s’en tiraient plutôt bien, en dépit des multiples restrictions de liberté, d’un travail éreintant dès potron-minet et du manque crucial de nourriture roborative.

Sans que la vie puisse être qualifiée de supportable, les « détenus » jouissaient donc de certaines tolérances accordées par leurs opportunistes gardiens, comme celles de pratiquer leur culte avec des prêtres de Chinon, et de communiquer avec l’extérieur. Ils pouvaient en particulier correspondre avec leurs familles sans être systématiquement censurés et recevoir du courrier.

Il n’empêche qu’ils étaient quand même prisonniers et qu’ils devaient accomplir des travaux de forçats dans la forêt.

Dans un petit opuscule de mémoires « Les Feuilles Mortes se ramassent à la pelle », Maurice décrit brièvement les conditions de vie démoralisantes dans le camp pour un jeune homme de dix-huit ans et harassantes sous la chaleur intense de juillet 1944.

Heureusement, cette éprouvante aventure ne dura pas car il put s’évader de nouveau, mais cette fois, sans être rattrapé, le 9 août 1944, à la veille de la Libération d’Angers par les troupes américaines.

 » J’étais le seul français dans la »piaule » où l’on m’avait parqué, tous étaient sympas, c’étaient des communistes espagnols que la guerre civile avait chassés de leur pays et qui s’étaient faits arrêter en France par les Allemands ! J’étais bien seul, ils causaient entre eux dans leur langue. Nous n’avions pratiquement rien à manger. Nous partions à six heures en forêt, là encore, j’étais bûcheron, nous rentrions le soir vers dix-neuf heures trente, épuisés. Notre maigre menu était vite expédié.

Une chance, j’avais réussi à rentrer en relation avec un curé d’une paroisse proche, ainsi qu’avec quelques jeunes. Ils se débrouillaient pour nous apporter quelques victuailles. Avant la fin de la guerre, que l’on sentait proche, je me suis évadé avec deux autres copains français d’un bâtiment voisin. Nous avons fait soixante-dix kilomètres à pied, sans rien manger ou presque, couchant par force une nuit à la belle étoile, alors que les Allemands patrouillaient à notre recherche, traversant la Loire sur une barque de pêche, à la tombée de la nuit, le silence était impressionnant et pesant, troublé par un motard allemand qui logeait la levée. J’ai eu peur. Nous sommes arrivés à Angers, la veille de la Libération, cette première nuit de liberté je l’ai passée dans une cave, bercé par le bruit du canon…« 

C’est dans ce contexte que Marguerite Cailletreau écrivit régulièrement à son fils pour le soutenir et l’encourager! Et ce, à raison d’un courrier tous les deux jours, en moyenne. Six lettres au moins furent ainsi soigneusement rédigées à l’encre bleu-pétrole d’une écriture régulière, tantôt sur un « papier à lettres », tantôt sur de simples feuilles détachées d’un cahier d’écolier.

Maurice les conserva pieusement, sa vie durant, dans leurs enveloppes d’origine!

Les relire, soixante quinze ans plus tard, est profondément émouvant. Et à divers titres!

En premier lieu, parce que l’auteure de ces lignes est ma grand-mère paternelle dont j’ignorais qu’elle pût être aussi prolixe pour rédiger autant de lignes dans un laps de temps aussi court, et d’autre part parce que ces lettres surgissant d’un passé qu’on pensait définitivement enterré font écho à notre époque. Elles apparaissent toujours d’une criante actualité, en particulier lorsque la télévision, le soir, au Journal de 20 heures relate les atrocités qui endeuillent toujours la planète et que, s’attardant sur les multiples conflits en cours, elle montre des victimes civiles innocentes, des pères et des mères, criant leur détresse face aux souffrances infligées à leurs enfants…

Marguerite n’exprimait rien d’autre, il y a trois quart de siècle. Elle rappelle que quelles que soient les époques, la violence et la barbarie continuent de semer la même terreur, et la souffrance est identique pour ceux et celles qui les subissent dans leur chair et dans leur cœur!

Les lettres de Marguerite témoignent, avec pudeur et retenue, de l’amour inconditionnel d’une mère pour son enfant. Mais, au-delà, elles rendent compte aussi de l’obstination de celle qui a donné la vie, à miser sur cette dernière contre vents et marées, plutôt que sur la mort pourtant immanente et souvent imminente et aléatoire en ces périodes de guerre.

Avec ses mots, elle décrit sa vie quotidienne qu’elle souhaite faire partager à l’absent comme si de rien n’était! Comme pour banaliser un quotidien objectivement tragique. Elle écrit pour l’aider à vivre en le soustrayant, le temps d’une lecture, à la médiocrité de sa condition présente. Elle s’efforce, sans affectation excessive et sans grandiloquence, de rendre compte de l’ambiance dans la famille, des petits événements du quartier et dans la ville, sans taire les difficultés ni ses craintes ou ses peurs, notamment lorsque les lugubres sirènes de la défense passive avertissent de l’imminence d’un bombardement et qu’il faut vite rejoindre les abris…

Ces lettres révèlent une femme forte, qui, en tout état de cause, demeure debout même si parfois on perçoit beaucoup de lassitude et même la tentation du découragement ! Accablement furtif, car dans la phrase suivante, elle se ressaisit et apparaît de nouveau déterminée à affronter les épreuves qui accablent sa famille, en s’oubliant elle-même pour protéger les siens. Cette mission dont elle s’est dotée laisse peu de place à ses états d’âme personnels…

Il faut dire qu’on s’épanche peu dans la famille et que la guerre n’est pas un motif suffisant pour changer de paradigme affectif! Son job n’est d’ailleurs pas tant de compatir ou de pleurer, que d’agir, d’organiser et de ravitailler…Du moins c’est ainsi qu’elle semble le concevoir en première intention. D’abord assurer et rassurer pour ne pas succomber au désespoir, et armer moralement son fils!

Confiante dans l’avenir, on devine pourtant qu’elle est épuisée de devoir supporter une guerre qui s’éternise et de s’accommoder des privations dans une ville occupée depuis quatre ans par des troupes étrangères de plus en plus menaçantes…

Le style de Marguerite ne manifeste aucune prétention littéraire. Elle met en forme ses textes avec les outils syntaxiques dont elle dispose et les souvenirs lointains des enseignements dont elle a bénéficié dans la petite école primaire du Lion d’Angers près de quarante ans auparavant. La grammaire et le respect de l’orthographe ne participent pas de ses priorités.

Mais peu importe, car elle parvient à se faire comprendre et surtout à provoquer d’authentiques émotions qui ne doivent rien à des exercices convenus ou à des effets de manche ou de posture… Elle parle des siens en toute simplicité, et, sans détour, des responsabilités qu’elle estime devoir assumer à leur égard! En un mot, elle parle juste, car elle ne simule pas. En ce sens, il s’agit bien d’une forme de littérature populaire qui flirte avec l’universel. Elle reste digne en dépit des circonstances. Et c’est sans doute aussi pour ce motif que Maurice a souhaité transmettre ces écrits de sa mère aux générations futures…

Il est en revanche dommage qu’on ne possède pas en écho, les lettres qu’il lui adressait! Marguerite les a emportées avec elle!

La première lettre est datée du 24 juillet 1944.

Depuis l’arrestation de Maurice une dizaine de jours auparavant, Marguerite ne savait plus rien de lui. Ce matin du 24 juillet, après avoir reçu deux cartes, elle prend la plume. Soulagée mais inquiète, elle s’empresse de répondre, comme pour poursuivre un dialogue imaginaire interrompu lors de l’arrestation de son fils. Elle s’enquiert de sa santé et surtout de son alimentation. La nourriture en ces temps de disette est pour elle une préoccupation majeure, primordiale en zone occupée qui vit depuis quatre ans sous l’empire d’un rationnement permanent.

Ceux qui vivent en ville, sans potager et sans relation dans les campagnes environnantes vivent la faim au ventre, en dépit d’indigestions de rutabagas et de topinambours.

 » Heureusement que tu avais apporté à manger » se félicite t’elle, comme s’il pouvait encore disposer d’une réserve de biscuits secs, alors qu’il est parti depuis plus d’une semaine!

Elle constate avec satisfaction qu’il a pu trouver des copains de la J.O.C sur place, mais prudente, elle lui conseille de choisir avec soin ses amis. Elle sait qu’on peut parfois se tromper et les déconvenues sont douloureuses.

Sans doute parce qu’il lui a confié qu’il souffrait encore des coups portés lors de son arrestation et de son interrogatoire musclé dans les « bureaux » de la Kommandantur, elle le presse de se faire soigner.

Mais c’est surtout la guerre qui est omniprésente dans ses écrits: 

 » Dimanche (23 juillet 44) je suis allée au cimetière. J’y ai trouvé ton oncle, il est embêté »… 

Au delà de cette remarque apparemment anodine, c’est le drame vécu par son frère Auguste Cailletreau (1892-1975) qu’elle évoque. Père anéanti par le décès de son fils unique en 1937, il doit désormais supporter la présence chez lui de soldats allemands qui occupent les entrepôts à grains dont il assure en principe le gardiennage, rue Dupetit-Thouars. De surcroît, l’attitude de compromis bienveillant que semble afficher son épouse avec la soldatesque ennemie, trouble et chagrine l’ancien poilu d’Orient… A tort d’ailleurs, car il fut établi depuis que Nini fournissait, sans contrepartie autre que de satisfaire son patriotisme, des informations à des réseaux de résistance en Anjou.  

 » Puis ce fut l’alerte » poursuit Marguerite.

« Il y en eut d’ailleurs quatre dans la journée de dimanche. Des bombes sont tombées sur Avrillé. La pointe de l’église d’Ingrandes a été détruite. Chemillé, Chalonnes, toute la contrée ainsi que Segré ont été touchés et il y a des morts.

Cette nuit, nous avons été réveillés brusquement; une bombe est tombée – parait-il – sur Pruillé. Enfin, tu vois, Mon Maurice, c’est partout! « 

C’était effectivement partout!

Les occupants étaient sur les dents car tout le monde pressentait, Marguerite comme tous, que la Libération était proche… Des combats étaient prévisibles, dont on ne mesurait pas a priori l’intensité et les conséquences sur la population. A ce propos, elle demande à son fils s’il est « commandé » directement par les allemands!

Enfin, elle donne des nouvelles de Marcel, son mari cheminot et père de Maurice.

Depuis cette funeste nuit de la Pentecôte de fin mai 1944 où la gare Saint-Laud d’Angers et tout le quartier environnant furent détruits par les bombardiers de la R.A.F, occasionnant de nombreux morts, blessés et sinistrés, Marcel a été affecté à la gare Saint Serge…Incidemment elle signale qu’il est allé jusqu’à Champtocé pour chercher un peu de ravitaillement…Elle n’en dira pas plus! 

Puis après avoir rappelé qu’elle devait s’interrompre pour « terminer sa lessive », et après avoir exhorté son fils – «  Mon Maurice » – à se ménager au maximum, elle conclut en lui demandant d’écrire souvent…

Cette première lettre s’achève comme toutes les suivantes par un : « Bon baiser de nous tous ».

« Tes parents qui t’aiment et qui t’embrassent bien affectueusement. Pasquier »

Étrangement, s’agissant d’une mère à son fils, elle ne signera jamais autrement que sous son nom patronymique de femme mariée. Jamais le mot « maman » ne figurera au bas de ses lettres. Et pourtant, la fréquence de ses courriers ainsi que son empressement à le conforter, à se préoccuper de sa santé et de ses conditions de vie, prouvent que c’est bien une maman qui s’exprime. Elle ne feint ni ne force son affection. Elle aime son fils…

Mais elle ne franchit jamais les frontières de l’intimité! Car dans ce contexte incertain, c’est « la mère de famille » responsable qui tient les rênes et qui prend l’avantage sur la maman qui câline!

Dans son second courrier daté du 26 juillet 1944, Marguerite qui n’a probablement pas intégré l’idée que Maurice était, avant tout prisonnier des allemands, et non un travailleur sous contrat avec l’occupant, lui demande d’adresser son certificat de travail pour qu’elle puisse « toucher ses titres alimentaires »...

Puis reviennent les bombes et les alertes.   » Ah vivement la fin » s’exclame-t’elle!

Photo 1945 Maurice Pasquier – pont sur la Loire

La suite est consacrée aux nouvelles familiales et aux petites questions d’intendance:

« J’arrive de chez Trouvé (le cordonnier du quartier) pour ton soulier. Il est fermé et ils ne prennent plus de travail. Je vais donc encore attendre. J’envoie une carte pour la fête d’Annie ( sa petite-fille) et une pour Jacques (son petit-fils)… Je te joins quelques timbres. Écris-nous de temps en temps car ça nous paraîtra moins long!  A Angers, il n’y a rien de nouveau, nous allons bien. J’espère que cette lettre te trouvera de même.

Marcel Pilet (son gendre, cheminot) reprendra des services de nuit le 2 août à la gare Saint-Serge et ça le fait râler. Renée et lui te souhaitent le bonjour.

Les Petits Trains d’Anjou sont supprimés depuis hier, parait-il! Tu vois, il n’y a plus de communication nulle part!

Grand-père (Joseph Cailletreau) te dit le bonjour et ce matin, il a bien eu peur… « 

A cette époque, le grand-père très âgé, aveugle et dépendant a été accueilli chez sa fille.

Le lendemain 27 juillet 1944, recevant une lettre de Maurice, elle s’attable de nouveau pour écrire… Ses inquiétudes s’alimentent toujours des mêmes thèmes, la guerre, les alertes de nuit, le ravitaillement mais aussi la douleur de l’absence, celle de son fils aîné, père de famille, retenu en Allemagne dans le cadre du S.T.O, mais aussi celle de Maurice. La tournure de ses phrases devient parfois plus personnelle, plus intime, comme si elle craquait

 » … Je n’ai pas de nouvelle de Marcel (son fils aîné en Allemagne) depuis le 20 juin. Quelle vie. D’autres sont rentrés pour le 14 juillet! Je me fais de la bile. Jean (son fils cadet) scie du bois.

Je vois que tu n’es plus là car ça me manque. »   

Outre ses formules et sa signature désormais rituelles, elle termine son message par un sourire:

 » Bonjour de chez Renée ( sa fille). Gérard (son petit-fils âgé alors de deux ans) fait de gros sourires. »

Le 29 juillet 1944, elle adresse une nouvelle lettre, puis le 1er août 1944 et enfin le 2 août 1944!

Dans sa lettre du 2 août, elle écrit :

 » … Vivement la fin.

Tu dois savoir la nouvelle: les américains approchent. Alors que va-t’il se passer, Mon Maurice?

Fais bien attention à toi, je t’en prie. J’ai confiance. Espérons que bientôt ce cauchemar sera fini, sinon on risque de  tomber fou. Voilà trois alertes depuis deux heures et il est cinq heures….

………

….Allons, mon Maurice, j’espère que bientôt, nous serons tous réunis« 

Le 9 août 1944, Maurice s’évadait du camp de Chinon. Le 10 août, Angers était libérée…

A la fin de cette année-là, Maurice fit la connaissance de ma mère et cinq ans plus tard, il devint mon père. Il nous transmit sa haine du fascisme, mais pas des allemands…C’est lui qui imposa que ma première langue en classe de sixième fut l’allemand, de conserve avec le latin.

Mais il s’agit, là, d’une autre histoire, dans laquelle nécessairement Marguerite ne joua plus qu’un second rôle!

PS :

  • Des précisions sont apportées sur le chantier 1607 du camp de Beauregard à Clefs (49) sont apportées dans mon article mis en ligne dans ce blog le 28 février 2018.
  • Voir également la lettre du 16 juillet 1944 de Marcel Pasquier (1920-1999) requis du S.T.O en Allemagne, à son frère Maurice, mise en ligne sur ce blog dans la rubrique « Leur prose »
  • Voir enfin l’opuscule de mémoires de Maurice Pasquier (1926-2017) – « les feuilles mortes se ramassent à la pelle » – mis en ligne sur ce blog dans la rubrique « Leur prose ».
  • Le traître français, collaborateur de la Gestapo angevine, Jacques Vasseur, qui arrêta Maurice Pasquier en juillet 1944 au domicile de ses parents rue de la Madeleine à Angers, a commis de très nombreux crimes en Anjou pendant l’occupation nazie. Zélé supplétif de la police allemande, il fit incarcérer et torturer de nombreux résistants et résistantes. Parmi ses victimes héroïques, figure Noëlla Rouget, institutrice née le 25 décembre 1919 à Saumur qui s’est éteinte à Genève le 22 novembre 2020. Noëlle Rouget dont Vasseur fit fusiller le fiancé en 1943 et qu’il arrêta avant sa déportation dans le camp de la mort de Ravensbrück, pardonna à son bourreau. Catholique intransigeante, elle intercéda même auprès du Général de Gaulle en 1965 pour demander sa grâce après sa condamnation à mort à l’issue d’une cavale d’une quinzaine d’années. Elle eut gain de cause et correspondit par la suite avec Vasseur emprisonné jusqu’en 1983 pour obtenir de lui – d’ailleurs en vain – des regrets ou l’expression d’une certaine repentance… Noëlla Rouget était titulaire de nombreuses décorations dont la Légion d’Honneur et la Croix de Guerre.

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