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Posts Tagged ‘Marrakech 1912’

Entraîné dans la tourmente d’une guerre coloniale dès l’âge de vingt ans, Marcel Emile Pasquier se retrouve embarqué alors qu’il n’a que vingt-cinq ans, dans le conflit le plus meurtrier des temps modernes, la guerre de 1914-1918. Sur cette période de sa vie, qui a couvert toute sa jeunesse jusqu’à sa démobilisation en 1919, il s’est peu exprimé. Comme beaucoup de « poilus », il a sans doute voulu tourner la page. Aussi n’a-t-il pas vraiment entretenu de relations suivies après-guerre avec ses compagnons d’arme. Personne ne se souvient l’avoir vu défiler avec les associations d’anciens combattants, qui, poussaient, en tête de leurs cortèges, les chaises roulantes de leurs « gueules cassées » et de leurs éclopés, à l’occasion de chaque « 11 novembre » en brandissant les fanions et les insignes de leurs régiments.

De ce point de vue, Marcel Emile s’est plutôt comporté comme un pacifiste, sans jamais l’avoir revendiqué explicitement. Non qu’il ait oublié ses camarades morts au combat ou qu’il ait considéré que l’engagement patriotique fût vain et inutile, mais tout simplement parce que, considérant que la guerre était une horreur, sa rituelle commémoration aux accents revanchards comme c’était souvent le cas entre les deux guerres, n’était pas son affaire. Il avait déjà donné ! A partir de 1919, il avait entamé une existence différente de père de famille et de cheminot. Sans renier le passé, il s’efforçait probablement de ne plus vivre avec. S’il a cherché au début des années 1920 à bénéficier d’une indemnisation pour des blessures contractées comme soldat, il n’a pas effectué d’autre démarche en rapport avec sa période sous les drapeaux. Il n’a d’ailleurs obtenu qu’une réparation financière modeste et temporaire en compensation du préjudice physique qu’il avait subi.

S’il n’avait pas écrit, on ne saurait donc pas grand-chose de ses campagnes en Algérie, au Maroc puis en France et en Allemagne entre 1911 et 1919, car il n’en parlait guère, même à ses propres enfants, qui savaient néanmoins qu’il avait servi dans les chasseurs d’Afrique et qu’il avait été en garnison au Maroc. Mais ce n’est qu’à son décès en 1956 qu’ils découvrirent ses décorations ainsi qu’un carnet de notes où figuraient ses recettes d’apprenti-pâtissier avant 1910 et une relation assez complète de ses campagnes dans le Maghreb, de sa guerre sur le front français et de sa participation à l’occupation de la Rhénanie et le duché de Bade après l’armistice de 1918. C’est cette trace écrite qui permet aujourd’hui, de se faire une idée assez précise de ce qu’il a dû vivre et éprouver pendant cette période mouvementée. Il est au demeurant assez émouvant d’observer qu’à propos d’épisodes historiques comme la prise de Marrakech en septembre 1912, son témoignage de jeune soldat recoupe assez bien celui de ses chefs comme le général Mangin (1866-1925) qui était alors colonel. En résumé, on peut dire que Marcel Emile était certes un homme plutôt discret sur son passé de soldat mais qu’il nous a finalement laissé de nombreuses informations.

La période d’instruction militaire en Algérie

Dès son arrivée à Blida au soir du 5 janvier 1911, Marcel Emile Pasquier, chasseur de seconde classe commence son instruction militaire. On lui remet d’abord son paquetage, c’est à dire des « effets d’instruction » et bien entendu, l’équipement nécessaire à la monte et à l’entretien d’un cheval, à savoir une selle et des étriers, des brosses diverses, une étrille et un sac destiné à l’avoine. Pour uniforme, il reçoit une capote, une veste de drap, une paire de brodequins et ce qu’il faut pour travailler, manœuvrer et parader à cette époque.

En plus, il se voit attribuer les éléments spécifiques de l’uniforme des cavaliers des escadrons de chasseurs, comme les jambières de cuir et surtout le célèbre shako ou chéchia. Dans un courrier qu’il m’avait adressé le 8 février 1988, son fils Marcel (1920-1999) que j’avais interrogé à ce sujet, me précisait qu’il avait porté dans son enfance, cette coiffure tronconique, la fameuse « czapka » des chasseurs d’Afrique. Celle attribuée à Marcel, à la différence de certaines qui étaient agrémentée d’un gland, ne comportait pas de pompon. Elle était rouge foncé avec trois bandes noires. Pour compléter l’équipement, Marcel fut doté d’un armement composé d’un fusil et d’un sabre maintenu par une dragonne. A la fin de son instruction en avril 1911, une partie de son équipement fut renouvelée, puis de nouveau en juin 1912 et en décembre 1913. En outre, dans le respect de la tradition de l’armée d’Afrique, il s‘est laissé pousser la barbe.

« Pacification » au Maroc: mars/septembre 1912

Jusqu’au 20 mars 1912, Marcel séjournera en Algérie. Ensuite, son escadron sera engagé au Maroc dans des opérations dites de « pacification ». Marcel découvre alors la guerre et se trouve associé à ce que l’on appelle l’ «affaire marocaine », qui annonce déjà la guerre de 1914.

Le Maroc est en effet, depuis la fin du 19ième siècle mais surtout depuis le début du 20ième, un enjeu politique et commercial des grandes puissances européennes. Ainsi, à la faveur de la modernisation du pays, les missions et les entreprises françaises rivalisent avec celles de la Grande Bretagne, de l’Espagne et de l’Allemagne. Et, progressivement, par le jeu des emprunts et des concessions, le Maroc tombe sous la coupe des Etats européens. En 1904, l’Entente Cordiale met fin aux contentieux franco-anglais et conforte une position privilégiée de la France au Maroc en échange de contreparties pour les britanniques. Parallèlement, en octobre 1904, les français et les espagnols délimitent leurs zones d’influence respectives. La rivalité persiste en revanche avec l’Allemagne qui tente à plusieurs reprises de contester ces équilibres, à l’occasion notamment de la conférence d’Algésiras en 1906 ou de l’ »Affaire d’Agadir » en 1911. Et c’est dans ce contexte que la France accentue sa présence militaire et politique en occupant Oudja en 1907, le Maroc oriental en 1908, ainsi que Casablanca, la Chouia et la ville de Fez en 1912.

Lorsque l’escadron de Marcel arrive au Maroc à la fin mars 1912, la France vient d’imposer au sultan Moulay Hafid, un traité de protectorat, le traité de Fez, et le général Lyautey est nommé résident général. En fait, dès l’annonce du traité, le 30 mars 1912, les tribus et les tabors – équivalents de bataillons d’infanterie – de l’armée chérifienne se sont révoltées, massacrant des français et des juifs marocains. Les troupes françaises fraîchement arrivées d’Algérie ou de France avaient donc pour mission de réprimer cette insurrection.

Marcel participe comme tous les chasseurs aux opérations militaires et se voit, en outre, confié une tâche spécifique d’intendance, au sein de son escadron, qui consiste à approvisionner la « popote des officiers » et à s’occuper de la cuisine. Concrètement cela signifie qu’il est chargé de l’organisation du bivouac des chefs lorsque son escadron est en campagne. Cette fonction de gestion du « mess des off’ et des sous-offs’ » lui rappelle un peu son métier. Il la prend très au sérieux si l’on en juge par la tenue méticuleuse d’une sorte de calepin comptable, sur lequel il note les dépenses, qui sont ensuite entérinées par son supérieur hiérarchique. Pour les sept ou huit officiers, clients réguliers de son  » commerce « , Marcel achète du pain, du vin, des pommes de terre, de la chicorée mais également des couverts, des allumettes, du savon, de l’encre, etc. Parmi ses clients, il cite le brigadier Charlot, le lieutenant Brémince, le maréchal des logis Aurillac.

C’est grâce à cette comptabilité, que l’on sait que le 5 avril 1912, il est à Ber Réchid. Cependant, jusqu’en août 1912, son escadron est peu engagé dans les opérations de « pacification » proprement dites faites de harcèlements mutuels et sanglants entre les différents protagonistes. Rien, en outre, ne transpire dans ses cahiers sur cette période pourtant féconde en événements déterminants, comme l’abdication du sultan Moulay Hafid au profit de son frère Moulay Youssef plus souple et plus favorable aux intérêts français, ou encore comme l’encerclement de Fez par les tribus du Rif et du Moyen Atlas, rassemblées dans une harka de vingt mille guerriers en mai et juin 1912. Aucune allusion n’est faite à la ratification, le 1er juillet 1912, par le parlement français, du traité de protectorat du Maroc en dépit d’une vive opposition des socialistes et de l’indignation de Jean Jaurès qui n’accepte ni les risques de tension internationale que cette affaire engendre, ni la répression menée au Maroc.

 » Le Maroc, disait Jaurès de manière prémonitoire, c’est l’abcès qui empoisonne le monde ».

De fait, à peine Moulay Youssef eut-il été proclamé sultan qu’une nouvelle crise éclate dans laquelle, cette fois l’escadron de Marcel se trouvera pleinement impliqué. Marcel décrira cet épisode au jour le jour dans son carnet. Un jeune prétendant au sultanat chérifien surgit en effet dans l’extrême sud du pays, un certain Ahmed Al Hiba – fils d’un chef religieux – qui se fait élire sultan à Tiznit et remonte rapidement vers le nord souvent acclamé par les populations. Lyautey, inquiet, envoie le commandant Verlet-Hanus à Marrakech pour tenter de rallier les trois grands chefs qui verrouillent les cols de l’Atlas, le Mtouggui, le Goundafi et le Glaoui, et charge le colonel Mangin, qui arrive d’Afrique Noire, de surveiller la progression d’Al Hiba. Si possible de l’entraver. Marcel va désormais servir sous les ordres de Mangin.

A partir du 14 août 1912, Marcel raconte ces combats, dans un style concis qui laisse d’ailleurs peu de place à l’expression de sentiments personnels. Cependant, en quelques occasions, l’émotion transparaît, reflétant la sidération naturelle d’un jeune soldat confronté pour la première fois à la guerre et à la mort en direct.

Le 16 août 1912, il participe à l’affaire de Souk el Arba des Mairt; les 22 et 23 août 1912 aux combats de Ouham; le 29 août 1912 à l’affaire » de Benguérir et enfin les 6 et 7 septembre 1912 au combat de Sidi Bou Othman et à la prise de Marrakech.

Toutes ces actions sont scrupuleusement décrites dans son carnet. Il nous y fait partager les conditions de vie difficiles et les incertitudes des soldats toujours informés au dernier moment des opérations. Opérations qui supposent toujours de longs et pénibles parcours d’approche dans la montagne de l’Atlas et qui sont ponctuées d’escarmouches meurtrières. La vie des soldats est à la fois monotone et harassante dans une ambiance d’insécurité permanente. La mort est constamment présente car Al Hiba et ses rebelles – disons « ses résistants » pour user du politiquement correct actuel – se livrent à des attaques de guérilla, au cours desquelles ils surgissent de derrière un massif rocheux, engagent une attaque brutale et violente, et s’évanouissent aussitôt dans la nature avec l’appui plus ou moins déclaré des populations des douars défavorables à la présence française. Marcel est alors le témoin de la répression qui s’ensuit où les troupes françaises brûlent et pillent des villages prétendument complices. Il assiste aux exécutions sommaires pratiquées en réponse aux atrocités de l’autre camp. Cent ans après, les troupes françaises engagées en Afghanistan doivent connaître des circonstances et des drames comparables, et les soldats doivent éprouver les mêmes conflits de conscience auxquels Marcel, comme tous les hommes de bonne foi, n’a sûrement pas échappé.

Ainsi, le 16 août 1912, alors qu’Al Hiba a réussi à franchir l’Atlas, Marcel raconte que sa colonne qui comprend six bataillons d’infanterie (un de coloniaux, deux de sénégalais, deux de tirailleurs algériens et un de zouaves), ainsi que trois escadrons (deux de spahis et un de chasseurs d’Afrique), trois batteries, deux goums marocains, cinq sections de mitrailleuses et deux cents partisans, est attaquée « avec vigueur » par des cavaliers marocains. Il raconte pudiquement la riposte au canon de 75. Il conclut en notant que ce jour-là, vingt-quatre soldats ont été blessés du côté français et que trois de ses camarades ont été tués. Le lendemain est non seulement consacré à renforcer les positions des troupes françaises, mais aussi à poursuivre les assaillants dans un grand douar où ils se sont réfugiés. Marcel indique qu’après une intense préparation d’artillerie, le douar est pris d’assaut par « les goums qui chargent à la baïonnette », juste avant l’arrivée du reste de la colonne qui termine le travail en pillant « sur ordre » et en mettant le feu « aux huttes ». A l’issue de ce combat, « sept prisonniers sont pris les armes à la main et sont fusillés par les goums marocains ».

Le 18 août 1912, Al Hiba, auréolé de son image de chef de la résistance anti-française, entre dans Marrakech, entouré de ses  » hommes bleus « . Certains caïds apeurés se rallient à sa personne dont le Mtouggui. Plusieurs français, dont le consul Maigret et le commandant Verlet-Hanus (1874-1914) sont alors faits prisonniers. Le 4 septembre 1912, après avoir hésité sur la conduite à tenir et vainement tenté de négocier avec Al Hiba, Lyautey donne l’ordre à Mangin de foncer sur Marrakech. Et ce, en dépit d’une interdiction du gouvernement français.

C’est donc en tant qu’acteur mais aussi comme observateur attentif de cette guerre, que Marcel nous livre son témoignage sur cette période qui précède l’entrée des troupes françaises dans Marrakech, le 7 septembre 1912. Ce qu’il nous décrit, c’est tout simplement une guerre de mouvement dans un environnement hostile, avec ses tragédies intimes comme les blessures de ceux qu’il connaît. Lui, qui est chargé du ravitaillement du mess ne manque pas en outre d’évoquer les tâches d’intendance qui lui incombent lorsque la troupe s’empare des troupeaux de bœufs ou de moutons des « douars rebelles ».  Enfin, il dénombre chaque jour les morts et les blessés français.  Marcel sait aussi saluer le courage de l’adversaire : ainsi, le 28 août 1912, lors d’un combat particulièrement meurtrier, il précise que « les marocains chargent sur l’artillerie (française) avec un courage phénoménal. Criblés d’obus et de balles, ils ramassent encore leurs morts ».

A deux heures du matin, le 5 septembre 1912, la colonne Mangin s’ébranle, quitte Souk El Arba où elle se trouvait en direction de Benguéguir et entame sa progression vers Marrakech à quelques dizaines de kilomètres. Forte de cinq-mille hommes, la colonne forme un convoi de deux-mille chameaux qui emportent quinze jours de vivres, cinq-cent-mille cartouches et quatre-mille-cinq-cent obus. En face d’elle, dix-mille cavaliers et fantassins marocains.

« Dans la matinée du 5 septembre – rapporte Marcel –  la colonne atteint, sans difficulté, les puits de Benguérir et après une grande halte de deux heures, repart pleine de courage pour l’autre étape, atteinte le soir à Njalet El Adhem. Les troupes ont parcouru dans la journée 37 kilomètres ».

La tension est à son comble. Marcel précise que les tentes ne sont pas montées car, en dépit de l’épuisement des hommes et des chevaux sur de mauvais chemins caillouteux, le départ est prévu dès l’aube pour une marche forcée, vers Sidi Bou Othmane à trente-cinq kilomètres au nord de Marrakech. Le colonel Mangin sait en effet, par des indiscrétions de prisonniers, que c’est là, qu’Al Hiba a dressé son campement et attend les français à la tête de sa harka pour livrer la bataille décisive de Marrakech, qui aura lieu effectivement le 6 septembre 1912. Marcel raconte :

« Le 6 septembre à sept heures, on fait une distribution d’eau à la troupe. A peine remise en route, l’avant-garde signale la harka rangée en ordre de bataille sur un front d’une lieue, les fantassins sont au centre et les cavaliers sur les ailes. La colonne Mangin s’est formée, quant à elle, en carré: la cavalerie et l’artillerie sont au centre. Les deux armées s’avancent en silence. A sept heures et demi, les avant-gardes ne sont plus séparées que de quinze cents mètres et on peut distinguer les étendards qui flottent sur les lignes marocaines »

La bataille commence .

Marcel poursuit :

« Les fantassins ennemis ont à peine ouvert le feu que l’artillerie française réplique par un tir précis et rapide dont les effets sont foudroyants. Les marocains dans un bel élan chargent l’artillerie française, mais l’infanterie intervient et les oblige à se couler en colonne sur les flans du carré, poursuivis par les obus qui les obligent après plusieurs charges à se retirer à l’arrière. Les marocains tirent alors avec leur canon mais sans aucun résultat car ils ne savent pas pointer. Le colonel Mangin ordonne alors la marche en avant. Les troupes se portent sur les puits de Sidi Bou Othmane et forment autour un carré d’un kilomètre de côté dont les quatre faces répondent au feu des marocains. De cette façon la colonne poursuit sa marche et continue sans arrêt cette fois. A neuf heures, on distingue les tentes ennemies. Le camp est encore dressé mais la poussière qui s’en dégage montre que les marocains se sauvent le plus vite possible. C’est à ce moment, que le colonel Mangin donne l’ordre au capitaine Picart de réunir tous les cavaliers, spahis et chasseurs d’Afrique, goums et partisans, et de lancer la charge sur le camp pour l’enlever à la pointe du sabre. Cinq cents cavaliers s’ébranlent dans la direction des tentes. Et après avoir galopé pendant cinq kilomètres, nous sabrons les défenseurs et les obligeons à fuir dans la montagne où nous les poursuivons. Un peloton de sénégalais à cheval et une batterie d’artillerie nous suivent au trot pour contrer un retour offensif des marocains, les arrêtent par leur tir et les empêchent de reprendre le camp. Le colonel Mangin fait camper la colonne sur le même emplacement que les marocains. Nous avons eu dans cette affaire cinq tués, vingt-trois blessés, 50 chevaux tués et blessés; nous avons capturé un marocain, deux canons, huit cents projectiles, des tentes et toutes sortes de choses. Partout, on ne voit que des cadavres tués par les sabres ou par les obus; les marocains accusent 2000 morts. »

Marcel est bien renseigné car dans cette défaite des forces d’Al Hiba, qui ouvre les portes de Marrakech à l’armée française, les statistiques officielles font état de deux mille guerriers tribaux tombés sur le champ de bataille. C’est le premier affrontement de grande ampleur auquel il participe et on peut comprendre que la peur ressentie lors de la charge au sabre et l’effroi qu’inspire le spectacle épouvantable de ces corps atrocement mutilés, étendus dans la chaleur moite de ce début d’automne marocain, ait contribué à vacciner le jeune soldat contre la guerre.

Mangin ne veut pas perdre de temps et, malgré la fatigue des troupes, donne l’ordre de poursuivre immédiatement la route vers Marrakech pour profiter de son avantage militaire, effrayer l’ennemi et parvenir aux portes de la ville en même temps que les débris de la harka d’Al Hiba en déroute. Il n’engage cependant à cette fin qu’une partie de ses troupes, composée de sa cavalerie et de l’infanterie montée ainsi que deux pièces d’artillerie, le tout placé sous l’autorité du commandant Simon. Marcel est de la fête !

Le détachement ainsi constitué part de Sidi Bou Othmane dès 15 heures le 6 septembre 1912 et atteint l’oued Tensift vers 20 heures à environ vingt kilomètres à l’ouest de Marrakech, où il installe son campement. Au total, il aura franchi dans la journée plus de cinquante-trois kilomètres sur de mauvais chemins, livré la bataille de Sidi Bou Othmane, sans compter quelques attaques supplémentaires dans les montagnes « Djebilet ». Il aura encore du surmonter des incidents matériels comme la rupture des roues des caissons de munitions. C’est donc totalement épuisés et traumatisés, que les soldats, dont Marcel, chercheront le sommeil au soir du 6 septembre 1912.

La prise et l’entrée dans Marrakech (7 septembre 1912)

Le combat reprend dès cinq heures le 7 septembre, sur l’initiative du commandant Simon qui fait intervenir l’artillerie dans la direction de Marrakech. Il est résolu à attaquer Al Hiba dans les jardins du sultan à l’entrée de la ville, qui résonne des bruits d’une fusillade que la petite colonne à laquelle appartient Marcel entend de l’oued Tensift. L’oued est franchi vers six heures ainsi que la palmeraie. Arrivé sous les murs de la ville, le commandant Simon envoie une députation précédée d’un drapeau tricolore pour convaincre Al Hiba de se rendre. En réponse, une lettre du commandant Verlet-Hanus, prisonnier d’Al Hiba, fait savoir que ce dernier a pris la fuite à cinq heures dès les premiers tirs de canon que les autres prisonniers sont tous vivants, abandonnés par leurs geôliers. Les jardins du sultan, tout juste évacués par Al Hiba, sont alors occupés par les français et le capitaine Cornet et quelques officiers partent au galop au palais d’El Hadj Thami Glaoui où ils retrouvèrent les prisonniers en assez bonne santé.

Le reste de la colonne Mangin, informée des développements en cours, parvint alors aux abords de la ville vers 13 heures et toutes les troupes rassemblées font une entrée triomphale en ville, acclamées par la population juive qui craignait d’être massacrée sans l’intervention française. La ville fut déclarée en état de siège.

Entrée de Mangin dans Marrakech

Marcel indique que les troupes furent cantonnées dans les jardins du sultan où elles demeurèrent jusqu’au 15 octobre 1912 dans une relative quiétude. Dans les jours qui suivirent, le résident général Lyautey arriva à Marrakech et Marcel fait partie du détachement qui l’accueille, trois kilomètres en amont de la ville. Ecoutons-le évoquer ce souvenir mémorable :

« Quand nous sommes arrivés, il (Lyautey) descendit de l’automitrailleuse, accompagné du général Franchet d’Espérey (1856-1942) et du général de Conti. Ils montèrent à cheval et nous retournâmes en ville accompagnés par les acclamations de toutes les troupes d’El Glaoui et d’M-Touggui. Le lendemain, il y eut une grande prise d’armes: nous sommes passés au galop devant le général et les grands Caïds. Ce fut très beau. Le général remit ensuite la croix de commandeur de la légion d’honneur au colonel Mangin et diverses décorations à d’autres et il passa dans les différents corps pour demander aux officiers s’ils étaient contents des hommes et resta encore quelques jours à Marrakech pour l’organisation du lieu. Il partit pour Casablanca le 7 octobre (1912)»

El Hadj Thami Glaoui qui a pris parti pour la France est nommé pacha de Marrakech par un dahir du sultan. Lyautey, pendant les quelques jours qu’il resta à Marrakech après sa prise, fut ébloui par le luxe et la grandeur des réceptions qui lui sont offertes; en complément des notes de Marcel, celles qui suivent, rédigées en la même circonstance mais par le général, font revivre un monde « de mille et une nuits » aujourd’hui disparu mais que de son rang, le chasseur à cheval a su entrevoir.

 » Depuis huit jours, écrit Lyautey, à côté des grosses besognes, des rapports, des télégrammes, des palabres politiques, ce sont les réceptions d’apparat, tant chez moi que chez ces grands caïds, seigneurs féodaux du 14ième siècle. Tous sont venus me voir, descendant de la montagne, venant de la côte, avec des suites de centaines de cavaliers. Tous ont leur résidence de ville à Marrakech et y rivalisent de somptuosité. Les Glaoui habitent de vrais palais, où les meubles d’Europe, l’argenterie de luxe, les tables servies à la française, s’étalent dans des décors babyloniens. Hier, j’ai rendu protocolairement leurs visites aux huit grands caïds, de trois heures à huit heures du soir, précédé de fanfares, suivi de mes officiers et de mes spahis. Chacun m’attendait avec le même cérémonial, de hautes façons, des raffinements de politesse. Nous rentrâmes en pleine nuit à travers des haies de lanternes, gavés de champagne, de café et de thé parfumé. Puis, les présents rituels: les chevaux de gala harnachés, les moukhalas (fusils) incrustés, les poignards ciselés »

Mogador, un court instant de répit (octobre 1912)

Après la prise de Marrakech et les négociations qui s’ensuivent, Lyautey charge Franchet d’Esperey secondé par le général Brulard et les colonels Mangin et Gueydon de consolider l’implantation française dans la région comprise entre Marrakech et Mogador et de pacifier la côte atlantique entre Mazagan et Mogador. Marcel participe activement à ces opération» jusqu’à ce qu’il soit blessé en novembre 1912. Voici sa narration :

«  Le 15 octobre 1912, nous partîmes vers Mogador pour achever notre prise de terrain du sud. La marche fut assez pénible mais sans trop de privations. Après sept jours de marche dans des montagnes abruptes où les voitures n’auraient pas pu passer, nous arrivons en vue de Mogador. Là, nous faisons halte pour attendre le reste de la colonne et faire une entrée triomphale dans la ville où nous sommes acclamés comme à Marrakech. La ville est d’ailleurs beaucoup plus belle, elle a des allures de ville d’Algérie. Nous campons sur le bord de la mer… »

C’est la période où par opportunisme beaucoup de chefs de tribus font leurs soumissions aux autorités françaises ! Marcel le constate et le mentionne. En tout cas, il conserve un excellent souvenir de cette courte période de repos relatif.

Mais il faut sans relâche poursuivre les rebelles (novembre 1912

« Nous sommes rentrés le 7 novembre 1912 à Sou Marrakech – se rappelle Marcel – mais on ne devait pas se reposer longtemps car le 14 novembre il était prévu que nous repartions aux confins du Tadla (c’est-à-dire dans la plaine du Maroc occidental). »

Le 14 novembre 1912, par un froid piquant, la colonne Mangin repart au petit matin vers une destination inconnue des soldats, en tout cas, du chasseur Marcel Pasquier. En fait à l’issue d’une étape monotone sous un temps gris, la colonne parvient à Dar Caid Amed vers 15 heures. Les soldats qui n’ont assimilé aucune nourriture chaude depuis leur départ, sont transis de froid et le givre commence à tomber. Ce n’est que vers dix-sept heures qu’ils réussissent à disposer d’un peu de soupe, le seul aliment en leur possession, faute d’avoir pu faire suivre les vivres qui n’arriveront que le surlendemain. Ambiance morose donc !

« Le 15 novembre – poursuit Marcel – nous devions partir à six heures du matin mais durant la nuit, la neige était tombée et le départ fut reculé à midi. Le matin, aucun homme n’aurait d’ailleurs pu lever le camp car tout le monde était gelé. Nous vaquons donc aux opérations habituelles quand vers neuf heures, nous apprenons que le camp ne sera pas levé aujourd’hui. Toutefois, il est prévu qu’à quatorze trente, une reconnaissance soit faite pour débusquer des rebelles marocains qui sont signalés dans les parages. Effectivement, à une distance d’à peine trois kilomètres de notre camp, nous sommes attaqués. L’artillerie repousse les assaillants et nous prenons leur position tout en les forçant à reculer dans la montagne où enfin vers 17 heures, on réussit à les disperser. A la suite de quoi, on sonne le ralliement pour retourner au camp mais voilà qu’il manque le bataillon sénégalais, trop engagé dans la montagne et qui se trouve dans l’impossibilité de nous rejoindre avant une heure ou deux.  Je suis alors chargé avec un camarade, commandés par un brigadier de spahi, d’aller les retrouver et de porter l’ordre du colonel Mangin à leur commandant Bellanger de rentrer au camp le plus tôt possible. Ce jour-là, nous sommes rentrés de nuit vers neuf heures du soir : trop tard, une fois de plus pour la soupe »

Comme la veille, l’ambiance est morose à la veillée et le ventre criant de surcroît famine !

Un jour, la blessure redoutée survient (17 novembre 1912)

Avec une grande lucidité, Marcel évoque les circonstances au cours desquelles il fut blessé :

« Le 16 novembre 1912, c’est jour de repos mais comme d’habitude en pleine la nuit, on reçoit l’ordre de partir le lendemain à 7 heures du matin. Alors, c’est le remue-ménage dans le campement. Chacun roule son manteau, fait son paquetage et comme prévu le convoi se met en branle avec une batterie de 75 en suivant la plaine. Toutefois la partie de la colonne à laquelle j’appartiens, est lancée à la poursuite des rebelles de la veille.  Le convoi principal devait arriver à l’étape à 11 heures (en fin de matinée) tandis que nous ne pensions pas parvenir au campement avant à 8 heures du soir (20 heures), confiants dans le fait que la soupe serait prête car les cuisiniers étaient dans le convoi principal.  Selon les ordres, tous les douars furent brûlés le long de notre route, les  marocains ne répondant que par escarmouches sans d’ailleurs esquisser de véritables offensives, heureusement pour nous d’ailleurs car les chemins étaient presque impraticables.

A 12 heures 30, on fait une grande halte pour manger. Disons plutôt, pour faire manger les chevaux qu’on n’oublie jamais, car, pour nous, comme d’habitude, il n’y avait rien de prévu. Vers 1 heure ¼, (13h15) la pause est terminée et la colonne reprend sa marche quand subitement un spahi informe notre capitaine (nous étions deux pelotons d’avant garde) que le colonel ordonne d’aller brûler un douar situé sur le flan de la montagne à trois kilomètres, qui tire sur la colonne. C’est mon peloton qui est désigné et nous voilà partis au galop. Naturellement les marocains ne nous attendent pas et se sauvent avant que le peloton n’arrive. On met pied à terre et nous voilà partis en tirailleurs pour prendre le douar dans lequel nous rentrons. Moi je suis mis en « vedette » dans la cour qui était entourée d’un bois. Les autres mettent le feu. Pendant que je surveille, un coup de feu part en provenance du bois et me blesse au bas de la cuisse. La blessure est légère »

Légère plaie en séton dans la région trochantérienne gauche qui ne lui occasionnera qu’une incapacité temporaire », cette blessure ne  l’empêchera  pas  d’être présent le 27 novembre 1912 au combat de Djimna Entifa. Le 31 octobre 1913, Marcel reçoit la  » médaille nationale commémorative des opérations effectuées au Maroc  » instituée par la loi du 27 février 1912.

Le monde vacille et s’embrase (juillet 1914-octobre 1916)

Le 28 juin 1914, à Sarajevo, l’archiduc d’Autriche, François Ferdinand est assassiné. Les grandes puissances mobilisent. Et le 27 juillet, un ordre brutal est donné à Lyautey d’évacuer l’intérieur du Maroc, de ne tenir que quelques ports ainsi que la ligne de chemin de fer Kénitra-Meknés-Fez-Oujda et de rapatrier sur le front français la quasi-totalité des bataillons de chasseurs, de zouaves, d’infanterie coloniale et des batteries montées.

Le 28 juillet 1914, le premier régiment de chasseurs d’Afrique, quatrième escadron, quatrième peloton, part de Marrakech pour Casablanca d’où il s’embarque pour la France le 13 août 1914. Mais Marcel Pasquier qui boite encore des suites de sa blessure du mois de novembre ne suit pas son escadron. Il voit s’éloigner nombre de ses camarades de la première heure: le maréchal des logis Massaloup, Charles Perrin, chasseur à pied à la deuxième compagnie de mitrailleurs, Philippe Beyer, Albert Défais, chasseur à cheval comme lui. Lucien Millet son sous-lieutenant, Louis Nicol etc. Avec certains il correspondra quelque temps, mais il n’en reverra probablement pas beaucoup. Il est alors affecté à l’escadron de réserve formé à Casablanca sous l’autorité du commandant Delamotte. Cet escadron confié par la suite au commandant de Tréville sera basé à Rabat jusqu’au 11 octobre 1916, date à laquelle Marcel s’embarque pour poursuivre la guerre en France « avec un cheval pour le médecin général Lafille ».

Le 15 juillet 1916, trois mois avant de quitter définitivement le Maroc, Marcel est nommé par un dahir du gouvernement chérifien, chevalier de l’Ouïssam Alaouite « en considération de ses mérites » Il est désormais habilité à porter sur son casque des croissants en laiton.

Poilu comme tout le monde (octobre 1916 – année 1917)

Débarqué en France après cinq ans d’absence, Marcel retrouve un pays en guerre qui n’a plus grand chose de commun avec celui qu’il avait laissé; il rejoint d’abord Dormans où il est affecté au quatrième corps d’armée puis il est dirigé sur Savigny pour s’occuper du train des équipages de l’armée; le 1 février 1917 il passe en première section de mitrailleurs au sixième chasseur d’Afrique sous la direction du lieutenant Stéphani. Marcel ne charge plus à cheval mais, ce qui n’est guère plus réjouissant, se retrouve dans les tranchées.

En France, il peut toutefois bénéficier de permissions et c’est à l’occasion de l’une d’elles, fin décembre 1917 début 1918 au Lion d’Angers chez son oncle Baptiste, qu’il connaitra sa future épouse Marguerite Cailletreau. Il repart au front le 13 janvier 1918. Marcel sacrifiera son imposante barbe de chasseur. Il reviendra en permission au Lion d’Angers le 15 mai 1918 jusqu’au 3 juin; Marcel et Marguerite en profiteront pour se faire photographier ensemble et échanger des promesses de mariage. En attendant, ils s’adressent de fréquentes lettres: une tous les trois jours en moyenne.

L’espoir d’un lendemain (janvier-octobre 1918)

Mais la guerre se poursuit. Et l’année 1918 qui fut celle des ultimes grandes offensives, fut aussi une des plus meurtrières après la bataille de la Marne en 1914 et celle de Verdun en 1917. En mars 1918 les allemands attaquent en Picardie, en mai dans l’Aisne et sur la Marne et en juillet en Champagne; ces dernières tentatives pour percer le front furent extrêmement coûteuses en vies humaines mais à chaque fois les Alliés surent repousser les assauts et riposter victorieusement.

Jusqu’à l’armistice, Marcel partage ces événements avec la 2ième armée du groupe d’armées dirigé par le général de Castelnau, cantonnée au sud-est de Verdun à proximité de la Meuse. A partir du 2 août 1918 jusqu’au 19 juillet 1919, date de sa démobilisation, il sera infirmier au 4ième escadron du 6ième régiment de chasseur. Quatrième peloton dirigé par le capitaine Delaistre et le commandant de Vertheul. Ce changement d’affectation est très probablement dû au mauvais état général de Marcel qui n’est pas suffisamment malade pour être envoyé à l’arrière ou réformé mais qui tout de même, présente des symptômes imposant un moindre engagement physique. Marcel souffre en effet depuis quelques temps d’une affection pulmonaire devenue, semble-t-il, chronique. Cette maladie est qualifiée de « bronchite » ou d’ « état grippal » par le médecin auxiliaire Ballars le 27 mai 1919 sur son livret militaire. Elle provoque une  » induration du sommet pulmonaire droit submatite sus-épineuse et sous claviculaire avec craquements secs « . En 1922, le Centre de réforme d’Angers lui accordera à ce titre une pension d’un montant de base de 960 francs assortie d’un taux d’invalidité temporaire de 40 % qui sera ramené à 20% en 1924 par la commission de réforme de Tours puis définitivement consolidé à 10% et 240 francs par le ministère des pensions le 16 février 1927

Durant les années 1916 à 1918, Marcel continue, comme par le passé, de prendre des notes sur ce qu’il observe, mais celles-ci sont d’une concision confinant parfois à la sécheresse comme si l’horreur quotidienne devenait indescriptible, indicible et que seule une mention des lieux traversés suffisait à sauvegarder la mémoire de ces instants. Il est remarquable de constater que la rédaction de Marcel qui fournit parfois une indication météorologique, parfois un bref commentaire sur l’intensité des combats, sur le nombre de morts, de blessés ou de prisonniers, est devenue distante comme si l’esprit était ailleurs loin de ce quotidien insoutenable. C’est dans ce contexte et très probablement avec ce sentiment que Marcel participe à l’un des derniers grands affrontements de la guerre : la prise de la boucle de St Mihiel, qui depuis septembre 1914 formait une sorte de hernie dans les lignes françaises à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Verdun.

La 1ière armée américaine secondée par une division coloniale française à laquelle Marcel appartenait, avait reçu de l’état-major de Foch la mission de reprendre ce terrain qui constituait une menace sur l’arrière des troupes de Verdun. L’attaque de la boucle de StMihiel débute, après une préparation intense d’artillerie, le 11 septembre 1918: les français avancent au centre du dispositif et les américains sur les ailes. Le 13 septembre 1918, la région de St Mihiel est totalement reprise à la grande joie des populations occupées depuis quatre ans. Le jour même de cette victoire, Marcel et ses compagnons ont pu apercevoir le général Pétain, le général Pershing et le Président Poincaré passant en revue les armées victorieuses. Le 14 octobre Marcel part en permission pour le Lion d’Angers, où il se marie le 21 octobre 1918.

La fin des combats (novembre 1918 – juillet 1919)

Il repartira au front le 1er novembre 1918 et rejoindra St Mihiel le 3 novembre 1918. C’est ici, sur les bords de la Meuse, que Marcel Pasquier entendra sonner le clairon de l’armistice le 11 novembre 1918. Après le 11 novembre 1918, sa division est désignée parmi les trois divisions de cavalerie française qui pénétreront en Allemagne pour vérifier l’exécution des accords d’armistice et tenir les têtes de pont de Mayence, de Coblentz et de Cologne.

Marcel, pour sa part, se retrouvera en Forêt Noire et dans le duché de Bade. Ses notes d’Allemagne sont les dernières qui nous soient parvenues. Mais son activité épistolaire ne se ralentit pas: il écrit presque quotidiennement à sa femme, à sa sœur Marthe, à son père, à ses cousines du Lion, à ses amis….Entre le mois de janvier et le mois de mai 1919, il adressera près de cent courriers. Nous ne disposons d’aucun ! Des allemands et du duché de Bade, il se limite à ces appréciations aussi définitives que laconiques : « Pays bizarre que le duché de Bade près de Hanovre: anciennes coutumes et anciens costumes. Type de l’ancien temps. Religion protestante. L’homme est grand et fort, la femme grosse, ronde et rouge ». Assez synthétique mais on est loin du lyrisme enjoué du Guide du Routard !

A sa démobilisation, Marcel reçoit au dépôt 10 francs pour ses frais de route vers le Lion d’Angers où il se rend dès le 20 juillet 1919; le 8 novembre 1919 il habite à Angers (rue des Deux Haies) comme en témoigne son livret militaire, puis St Pierre des Corps où nait son premier fils Marcel le 6 Août 1920. A l’issue de la guerre. Marcel Pasquier aura accompli 8 ans, 6 mois, et 19 jours d’armée et lorsqu’il est démobilisé il est cavalier de première classe. Retourné à la vie civile, Marcel outre quelques souvenirs – un casque à pointe allemand, un parabellum autrichien probablement un certain désabusement sur la condition humaine, pourra se prévaloir de quelques décorations, la médaille commémorative du Maroc,la médaille coloniale avec l’agrafe « Maroc », la médaille de chevalier de l’Ouissam Alaouite, la croix de guerre 1914-1918 et enfin,  à partir du 21 septembre 1934, la médaille de la victoire… Et un « certificat de bonne conduite » délivré à Rabat le 10 mai 1921! Il ne les portera pas et ne s’en revendiquera pas. Le casque et le parabellum furent jetés dans un puits à l’aube de la seconde guerre mondiale, où ils se trouvent peut-être encore.

Octobre 2011

Passant derrière l’église Saint François Xavier à Paris de retour du centre Valentin Haüy Boulevard des Invalides, nous constatons, mon père Maurice (fils de Marcel) et moi-même, que la campagne marocaine de 1912 est mentionnée sur le socle de la statue du général Mangin. Sous le ciel gris parisien, ce fut l’occasion d’évoquer cette lointaine aventure du chasseur d’Afrique, Marcel  Pasquier, comme dans un songe nostalgique, la vision brouillée par un nuage de feuilles mortes emportées du square voisin par une bourrasque automnale… C’est vieux, tout ça! Et pourtant…

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