Plusieurs de ses élèves de khâgne du Lycée Condorcet à Paris – dont Lily sur son blog – et d’autres du lycée David d’Angers à Angers, ont rendu hommage à Jean Pihin. Pas assez nombreux à mon goût, car il fut l’incarnation même du professeur de littérature, généreux et drôle, acteur de ses cours et respectueux des auteurs. Il avait l’amour du verbe comme des mots et il savait le communiquer. Pourtant, lui-même, qui possédait quelques dix mille ouvrages dans sa bibliothèque, n’écrivait rien… Peut-être, parce que les ayant lus, son insigne plaisir était de les commenter, conscient qu’il était, peut-être à tort, de ne pas savoir faire mieux, à tout le moins, aussi bien, que les écrivains qu’il admirait… C’était son choix ! Toutes proportions gardées, son rapport à la littérature semblait s’apparenter à celui de Glenn Gould à la musique, qui, à la fin de sa vie, s’abstenait de tout concert ou enregistrement, par exigence compulsive de la perfection. Ainsi était probablement Jean Pihin dont je n’ai rien connu d’autre, en matière d’oeuvre littéraire que des annotations rageuses d’une écriture tourmentée à l’encre rouge dans la marge des copies de mes dissertations … Des remarques parfois cruelles et ironiques, qui, par leur pertinence et leur justesse donnaient toujours à penser …
En revanche, je me souviendrai comme d’une expérience unique, le déménagement de sa bibliothèque du Boulevard Richard Lenoir où il demeurait dans les années soixante-dix pour un appartement haussmannien plus cossu, qui se situait en bas de la rue Pigalle à proximité de la Trinité. Accompagné de mon épouse, de deux ou trois de ses disciples khâgneux et de Patrick son ami, j’y participais en tant que chauffeur d’un Tub Citroën emprunté à l’entreprise de mon père…Charger et décharger les milliers de bouquins de Jean Pihin, braver les embouteillages de Paris faisaient partie, si j’ose dire, de notre contrat d’amitié ! Ce qui était plus inattendu, c’est qu’arrivé à destination, Jean Pihin se livrait, à chaque ouverture de carton, à une conférence aussi improvisée qu’enflammée et passionnante à propos de tel ou tel livre qu’il retrouvait et qu’il allait, à l’issue de son couplet et presque rituellement, placer dans les rayonnages de sa bibliothèque. Chaque ouvrage avait sa place, qui tenait compte de sa reliure, de son état de conservation, de la proximité intellectuelle que Jean Pihin entretenait avec son auteur, mais par-dessus tout, du statut qu’il occupait dans son cœur. Car, personnage de roman lui-même, il s’identifiait sans réserve à ceux de ses auteurs préférés. Autrement dit, chaque ouvrage devait être rangé conformément à la place qui lui était dévolue, mais il devait la mériter. Les commentaires de Jean Pihin constituaient l’ultime épreuve de cette liturgie! Parfois, l’un d’entre nous, le plus souvent un de ses élèves, se risquait à poser une question ou pire à émettre une réserve ou une objection. Il offrait alors à Jean Pihin l’occasion d’explorer une autre facette de l’auteur qu’il tenait dans ses mains. Et, il repartait de plus belle, intarissable et insatiable bavard … Et aussi enchanteur ! C’est ainsi que, ce soir-là, des êtres aussi disparates que la princesse de Clèves, le cardinal de Retz, Sainte-Beuve, le duc de Saint Simon, la religieuse de Diderot, les Frères Goncourt, Marcel Proust, Albert Camus, des poètes et dramaturges comme Raymond Queneau et bien d’autres, modernes ou anciens… et même Plutarque et Ovide, sont sortis du chapeau du magicien Pihin, retrouvant chair et passion dans la pénombre de cette bibliothèque au soleil couchant .. Et également Nathalie Sarraute qui vivait encore…Le déménagement s’est prolongé fort tard dans la nuit.
Scientifique de formation, je n’ai pas suivi ses cours en khâgne. Il fut simplement mon professeur de français et de latin en classe de seconde et de première au milieu des années soixante au lycée David d’Angers. Au cours de mes humanités, comme on disait encore. A cette époque, nous ignorions presque tout de lui, sachant seulement qu’en semaine il habitait à Saumur chez sa mère et qu’il se rendait à Paris le weekend. Nous savions aussi, car il nous l’avait confié que « Lagarde et Michard » n’était pas son seul horizon littéraire et qu’il avait une réelle admiration pour les écrivains du nouveau roman…Il citait – aussi – parmi ses amis Robert Pinget et Jean-Louis Bory… Son déménagement, rue Blanche, quinze ans plus tard m’en avait apporté la preuve.
Ce qui est sûr et irrémédiablement gravé dans ma mémoire, c’est que ses cours de littérature française ou de version latine valaient le spectacle ! C’était d’ailleurs un spectacle et un exercice de haute voltige pédagogique… Que me resterait-il de la Légende des Siècles si je n’avais pas encore à l’oreille et dans le regard, l’image et la voix, mélangées, d’un Jean Pihin tonitruant, mimant, postillonnant et reniflant, imprégné – comme possédé – par la lecture de « Booz endormi » :
« Pendant qu’il sommeillait, Ruth, une moabite,
« S’était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
« Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
« Quand viendrait du réveil la lumière subite
« Tout reposait dans Ur et dans Jéridameth ; … »
« J’ai rime à dai … » Sacré Victor Hugo par Pihin visité !
N’étant pas de ces meilleurs élèves, bien que n’étant pas non plus parmi les plus médiocres, je ne lui avais pas laissé un grand souvenir de mon passage au lycée… mais, de temps en temps, la vie laisse une seconde occasion de faire connaissance. Cette opportunité se présenta, un après-midi de 1976, non loin de la place du Châtelet… Nous nous reconnûmes mutuellement en nous croisant sur le trottoir.
Le contact étant rétabli autour d’un café, je me rendis compte que je n’étais plus l’élève et qu’il n’était plus le professeur agrégé. Seulement deux témoins d’un passé désormais lointain où nous n’étions d’ailleurs guère complices. Dans la brasserie des Halles, il n’y avait que deux angevins qui ne s’étaient plus vus depuis dix ans et qui parlent du pays et de beaucoup d’autre chose que l’éducateur ne pouvait confier autrefois au lycéen. Jean Pihin me dit habiter alors dans une garçonnière rue Meslay, qu’il s’apprêtait à quitter pour un appartement près de la Bastille… et enchaînant sur le registre de sa vie privée, il m’entretint sans ambages de ses amis, de son homosexualité joyeuse et libertine, de sa passion pour ses élèves, pour sa mère disparue …Tout ce qu’il ne savait dire dix ans plus tôt.
Nous nous quittâmes, bons amis, heureux de ces retrouvailles, nous promettant de nous revoir avec nos conjoints et conjointes respectives … Entre temps, il me téléphonait régulièrement et nos entretiens abordaient à peu près tous les sujets de la littérature ou de ses marges… Sauf la politique car Jean Pihin ne souhaitait pas s’engager dans cette voie, à laquelle il ne croyait pas. Il menait d’autres combats, tout aussi existentiels … Ces entretiens pouvaient durer plusieurs heures, où mon rôle consistait avant tout à écouter… Peu de temps après notre première rencontre, ma femme et moi, fûmes invités à diner Boulevard Richard Lenoir avec ses amis de tous âges, de toutes conditions, majoritairement des jeunes, et tous originaux, cultivés et drôles, parfois coquins mais dans le respect de chacun … Surtout ce qui frappait dans ces incroyables diners d’un autre siècle, c’étaient les repas préparés par Jean Pihin, lui-même.
Avec le souci du détail jusque dans la présentation des couverts, le raffinement et l’étiquette du grand siècle, l’assortiment des vins et le respect infaillible de la tradition dans la composition des menus… Jean Pihin, savait transporter ses convives à la table du Roi Soleil ou plutôt, à celle du Régent. Rue Blanche où l’espace permettait des reconstitutions plus grandioses, les repas se prolongeaient sous les lustres d’une salle à manger d’un prince. Et Jean Pihin était effectivement un prince, un prince de l’élégance, un prince de l’esprit, un prince du langage et enfin un prince de l’amitié…
C’était tout juste avant l’explosion de l’épidémie du SIDA ! En téléphonant à un ami, après une longue période de mutisme réciproque, j’ai appris très tardivement la triste suite… Malheureusement, le SIDA l’avait déjà mortellement frappé. Au début des années quatre-vingt-dix, il n’avait sans doute pas bénéficié des nouveaux traitements … On m’a dit qu’il avait passé les derniers mois de sa vie dans une maison qu’il avait acquise à Illiers Combray, là où Marcel Proust enfant venait passer ses congés chez tante Léonie. A la recherche de quoi… si ce n’est, lui aussi, du temps perdu ?
Je m’en veux de ne pas avoir su et donc de n’avoir pu, à la mesure de mes moyens, lui apporter un peu de réconfort … Mais il vit toujours…puisque j’ignore la date de sa mort.
Bonsoir,
La vie est curieuse : je fus une élève de Jean PIHIN en Khâgne à Condorcet (1978/1979). J’étais déléguée de classe; il était prof principal. Longtemps j’ai regretté de ne pas avoir su ou pu établir une relation plus forte, peut-être ayant été trop respecteuse ou ayant mis de la distance, là où il ne devait pas en avoir. Aujourd’hui ayant appris la mort en 2010, d’un des prof qui m’avait marqué, Michel MESLIN, j’ai tapé « Jean PIHIN » juste pour savoir et je suis tombé sur cet article. Merci de m’avoir ouvert une petite page de sa vie : les éclaireurs ne meurent jamais.
Pour la petite histoire, ma maison est à Charbonnières dans l’Eure et Loir et je passe régulièrement à Illiers Combray acheter de la Charcuterie depuis plus de 30 ans…
Laure
Merci pour ce commentaire, à propos de mon article sur Jean Pihin. Je ne l’avais pas relu depuis longtemps et vous m’en avez fourni l’occasion. Sur le fond, je ne modifierais rien à ce que j’avais écrit en 2011. Sur la forme, on pourrait faire mieux. En tout état de cause, je ne sais toujours pas la date du décès de mon ami Jean, ni le lieu de son inhumation. J’attendais – j’espérais – que j’aurais des précisions à la suite de mon billet. Rien jusqu’à aujourd’hui! Vous êtes la seule à avoir réagi. De passage à Illiers-Combray, il y a quelque temps, je n’ai pas su retrouver la maison qu’il avait achetée… mais vous avez raison, son souvenir reste.
Jean Luc
Je tombe sur cet article…. j’ai connu Monsieur Jean Pihin lorsqu’il venait rendre visite à son papa à la maison de retraite d’Illiiers, où j’étais moi même aide soignante. Il avait acheté une maison effectivement à Illiers Combray, elle faisait l’angle entre la rue de Chartres et la rue Clemenceau. Après son décès, son ami Patrick avait fait de cette maison « la maison retrouvée » où furent accueillis des jeunes sidéens qui avaient coupé les liens avec leurs parents et n’avaient plus de domicile. Puis, lui aussi, malade de Sida, Patrick, mit fin à ses jours… Ensuite cette « maison » a été fermée. Je suis moi même partie d’Illiers, cette demeure a du être vendue…
Merci Madame pour votre témoignage très émouvant.
Par hasard ce soir j’ai envie de retrouver la trace de Jean Pihin et je tombe sur ce site et les commentaires de mon amie perdue de vue Laure Chatelard… Nous n’étions certes « que » des optionnaires d’Histoire,le vulgus pecum mais Jean Pihin fut un de nos profs les plus marquants dans cette Khâgne de Condorcet en 1978/79.De ses commentaires sur les « Maximes,sentences et réflexions diverses » où il pouvait justifier tout et son contraire avec une mauvaise foi extraordinaire à son mépris extraordinaire pour le malheureux qui ne connaissait pas les dieux lares,rien ne nous fut épargné… D’autres figures grandioses nous ont accompagnés dans ce parcours initiatique,le terrible Pasdeloup et ses coupes géomorphologiques au Rotring,un prof d’histoire spécialisé dans l’histoire de la curie et terriblement soporifique dont le nom m’échappe.Nous nous échappions alors pour assister aux excellents cours de Mme Villard à Jules Ferry.Seuls les meilleurs ont survécu à cette année terrible…
Bah oui! Tout le monde n’apprécie pas tout chez tout le monde. Faut trier… Moi, finalement c’est l’ami découvert sur le tard, plus que le prof dont je me souviens avec le plus d’émotion. Merci pour vos propos.
Nous étions donc dans la même classe en 1978-1979 … je me rappelle encore de certains élèves, Mylène FRERE, Laurent DOMINATI, Laurent CHALUMEAU, Franck Eskenazi, et du prof de philo Monsieur FLEURET …
Je n’avais pas eu connaissance de sa mort.
Il fut mon professeur de français, latin et grec de la seconde à la terminale à David-d’Angers. Il m’a transformé et a imprégné tout le reste de ma vie.
En mon nom et en celui de tant d’autres de mes camarades, merci pour cet hommage… que sa modestie eût peut-être d’ailleurs refusé.
Vous voulez dire que rageusement, il m’aurait « collé » un 7/20 à l’encre rouge – pour le temps consacré – et souligné avec un « Oh » dans la marge, une innocente faute de grammaire. Merci pour votre commentaire
Jean Pihin fut mon professeur de français et de latin en 2de et 1re C à David d’Angers en 1965-67. Quand je l’ai connu, j’avais donc treize ans et demi. C’était il y a longtemps ! Mais mon souvenir concorde avec ceux des autres intervenants ! Les points en moins pour les fautes de syntaxe et d’orthographe (mais j’avais été bien formé par ses prédécesseurs), ses commentaires lumineux que je prenais quasiment en sténo (l’habitude m’est restée), son essai sur les clausules latines, ses références à Jean-Louis Bory… Je l’ai revu une fois, rue Meslay ; je lui avais laissé le souvenir d’un enfant sage, et il m’a semblé alors craindre (car il était délicat) que son exubérance ne correspondît pas à ce que j’avais retenu de lui. Cette visite fut donc sans lendemain, et ce fut par hasard que j’appris sa mort ; mais il reste cet amour de la culture, du mot juste, de la belle langue française et cette curiosité intellectuelle insatiable dont il m’a donné le goût pour toute la vie.
Merci, j’avais oublié les « clausules ». A vous lire tous, j’ai l’impression que notre ami, trop oublié, revit! En ces temps de doute sur la fonction pédagogique et sur le rôle de l’école et des « humanités », il faudrait peut-être qu’un jour un colloque lui soit consacré.
Bonjour.
J’ai connu un Delannoy au lycée David d’Angers, dans les années 60. Si vous êtes celui-ci, je serais ravi d’avoir de vos nouvelles.
Merci Monsieur pour vos deux commentaires. Malheureusement, je ne suis pas le « Delannoy » que vous avez connu lycéen. Mais effectivement je suis un ancien élève du Lycée David, qui aimant les Lettres a conduit paradoxalement une carrière scientifique… et qui, l’âge venu, revient à la littérature par la petite porte d’un blog!
Élève au Lycée David de 1959 a 1967, j’ai quitté Angers pour St Brieuc où j’ai passé le bac 68 après les événements du même nom. Je suis depuis 1978 administrateur de l’Assemblée nationale. Hélas je n’ai gardé contact qu’avec un seul camarade, Jean-Pierre Bouguier, avec qui j’ai partagé la même classe de 1961 à 1967 et que j’ai perdu de vue.
Les hasards de la toile: ce professeur que je n’ai pas oublié n’avait sans doute pas gardé bon souvenir de cette classe ( seconde, première, 60,61?) très potache, et j’ai eu le sentiment plus tard que nous étions passé à côté de l’essentiel. Il me semble qu’il nous arrivait de la guerre d’Algérie, sauf erreur, et débutait à David.
Je suis grand lecteur, certes le métier l’a voulu, mais…. Je suis allé à Illiers après avoir dévoré Proust tout un hiver ( temps libre maintenant .. ) quelle aurait été ma surprise lors d’une rencontre fortuite.
Peut-être avons-nous fréquenté les mêmes classes ,Jean Luc ? Bac en 63, puis la Catho un an, fac de Tours ensuite.
Merci pour l’info.
Jcs
j.c.contact@sfr.fr
Merci pour ce témoignage. Nous avons certes fréquenté les mêmes classes mais à des époques différentes. Mon bac math-élem date de 1967! Peu importe d’ailleurs puisque Jean Pihin demeure un de nos meilleurs souvenirs communs et notre référence en littérature …
Jean Pihin est décédé en 1994, il est enterré à Saumur, avec sa mère tant aimée. Je fais partie des quelques anciens khâgneux qui l’ont accompagné jusqu’au bout. Je lui dois beaucoup, et il reste vivant dans nos coeurs. Nathalie
Merci pour ce témoignage et cet hommage à Jean Pihin. Jean-Luc
Merci pour ce très bel hommage, c’est un grand plaisir que d’entendre « parler » de lui si joliment. Je découvre votre billet par « association d’idées », la parution de Philippe Jaccottet dans la pléiade ( dont Nathalie est une grande spécialiste) et que m’avait fait découvrir Jean Pihin ( avec Proust bien sûr qui devint dès lors l’un des grands amours de ma vie) m’ont fait rechercher une nouvelle fois « Jean Pihin » sur Google… Un grand merci pour lui et pour ceux qui l’aimaient. Je n’étais malheureusement pas en France au moment de sa mort, je l’ai apprise bien après. Mais comme vous l’écrivez il reste vivant, je pense à lui très souvent.
P.s. Je viens de retrouver la photo de la classe de khâgnes de Condorcet (année 1985/86)
Votre commentaire me comble. Non pour moi, mais pour lui…Merci
PS: Si vous le souhaitez, je suis prêt à mettre en ligne la photo de la classe de khâgnes de Condorcet de 1985-1986. Cette année-là j’étais déjà un presque vieux monsieur encore jeune qui participait parfois aux dîners fastueux au siècle du Régent … chez notre ami Jean! Chez notre maître aussi.
Avec plaisir ! Je vais vous l’envoyer dans les jours qui viennent.
[…] ce très joli témoignage à l’adresse : "6 bis rue de Messine", le VOICI : Jean Pihin, un professeur de littérature qui cuisinait comme un roi !. Merci à Jean-Luc Pasquier […]
Merci JLP
Moi aussi, j’ai eu Monsieur Pihin en khâgne au lycée Condorcet (année 1976-1977) et ce professeur m’a beaucoup marquée. J’apprends son décès et ses circonstances avec une grande tristesse.Cette année-là, nous étudiions: »La Modification » de Michel Butor et M.Pihin nous avait confié avoir le même âge que le narrateur (soit 44 ou 45 ans à peu près). Il serait donc aujourd’hui un bien vieux monsieur mais dans nos souvenirs, nos professeurs ne meurent jamais et même si je savais qu’il avait des soucis de santé (déjà en 75), je souhaitais inconsciemment en tapant son nom sur l’ordinateur qu’il ne fût pas mort. Comme vous, je me souviens de ses annotations nerveuses sur nos copies (j’en ai gardé certaines) et en 75, il a décidé d’annoter celles-ci avec sa machine à écrire (grande innovation). Un après-midi, alors que nous planchions sur un commentaire de texte, il est arrivé, cravate en bataille et petit sourire malicieux aux lèvres et s’est mis en devoir d’annoter les copies avec ladite machine qu’il apportait pour la première fois. Il tapait furieusement sur les touches et , devant nos regards muettement réprobateurs,il s’est arrêté net, mi-gêné,mi-déçu puis il a remis sa machine dans sa housse et nous ne l’avons plus jamais revue…Comme vous, je me souviens bien sûr de la qualité de ses cours et de son ton enflammé lorsqu’il commentait les textes mais je me souviens aussi de son côté profondément (mais discrètement) humain.Ayant redoublé ma khâgne,j’ai perdu mon père en janvier 77 et j’ai voulu abandonner mes études à Condorcet pour me consacrer à la préparation de la licence à Paris X.Il m’a dissuadée de tout laisser tomber, m’a acceptée à ses cours et corrigeait gracieusement mes copies. C’est grâce à lui que j’ai eu mon C.A.P.E.S de lettres modernes en 80, année où il y avait très peu de postes et beaucoup de postulants.En laissant un commentaire ici, nous sommes tous nous aussi à la recherche du temps perdu et un peu orphelins de ce professeur enthousiaste qui galvanisait les troupes et forçait le respect.Il me manque parfois et je vous remercie de l’avoir si bien fait revivre par vos souvenirs et vos commentaires.
Merci pour ce témoignage très émouvant.
Bonjour Marylène … J’espère que tu vas bien. Je ne sais plus où tu habites, mais je pense souvent à toi. Si tu le veux, reprenons contact. Pensées de cœur et d’amitié. F.
Très joli témoignage, dans lequel je reconnais bien aussi notre professeur !
Ah oui sa machine à écrire ! il l’utilisait toujours en 1985 pour commenter nos copies, mais curieusement il devait avoir un problème avec le ruban, les caractères étaient bicolores (noir bordé de rouge ou l’inverse !), il devait être un peu fâché avec la « technique » :)
Très émue de relire ces témoignages. J’étais dans la khâgne de Condorcet en 1986-88, en même temps que Nathalie, et ai eu la chance d’être reçue plusieurs fois pour des ‘colles’ mémorables rue Blanche et des journées champêtres à Illiers-Combray. Il était déjà malade quand je l’ai vu la dernière fois et je n’ai pu me rendre à son enterrement car j’étais à l’étranger, mais je pense souvent à lui, avec le regret que Patrick et lui n’aient pu profiter des traitements maintenant accessibles contre le sida. Bravo pour ce blog qui conserve son souvenir et me rappelle les caractères bicolores oubliés !
Merci Pauline
Quelle surprise ! Je cherchais des photos du Lycée David d’Angers. J’en remarque une toute petite, en noir et blanc, un portrait. Je vais voir de plus près et j’arrive sur votre blog, avec l’évocation de votre camarade disparu. Au cours de ma lecture, je vois mentionné le nom de M. Pihin. Ma lecture terminée, je poursuis mes recherches et aboutis à l’article sur ce professeur.
Je l’ai connu comme professeur de lettres en terminale A1, de 1967 à 1968. (En latin, c’était M. Thibault). Ce fut un choc. A notre demande, il nous donna des conseils de lecture, avec une liste impressionnante Puis, nous étudiâmes des textes de Samuel Becket, Jean Genet (un extrait des « Paravents » (!), que sais-je encore .. . Il nous lut l’intégralité de « La cantatrice chauve » et de « Coat-Coat » d’Audiberti, le début de « Tête d’or » de Claudel. Nous eûmes droit à Francis Ponge, Arrabal. (Becket, c’était « Comédie »). Et des évocation de Robert Pinget, Ariane Mnouchkine, et même du roman d’Elémir Bourges, « Les Oiseaux meurent et les fleurs tombent »). Livre que j’ai parcouru l’an dernier dans le cadre de mon travail au fonds ancien à la Médiathèque de Poitiers.
Nous savions qu’il habitait Saumur. Il nous avait parlé d’un pied à terre à Paris. Nous le soupçonnions d’avoir certains penchants. Deux fois, certains d’entre nous restèrent à la sortie du lycée, à, l’écouter parler de ses voyages en Grèce et en Sicile, et du scandale des « Paravents » deux ans plus tôt.
il changeait complètement de ses prédécesseurs. C’était plutôt un genre de prof. de prépa ou de fac. Je reconnais avoir été à la fois déconcerté, déstabilisé même, mais aussi très intéressé par cette personne, par les horizons qu’il ouvrait. Il a complètement ignoré mai 68. Ce n’était pas son problème.
Je ne l’ai plus revu. Ainsi, il a été victime du sida ! Quel personnage ! Il y avait, dans la classe, un petit groupe déjà intéressé par la littérature contemporaine. Moi, j’étais plus classique et il m’a fait évoluer.
Merci pour cette évocation. Je précise que j’ai fréquenté e lycée de 1961 à 1968, durant toute ma scolarité secondaire. J’y ai connu des moments heureux, mais la fin fut plus dure. Après le bac, j’ai fini par être employé à la médiathèque de Poitiers. J’ai pris ma retraite en novembre dernier.
La découverte de votre site m’a fait grand plaisir. Au revoir. Si d’anciens condisciples me lisent, qu’ils n’hésitent pas à me contacter.
Bonsoir. Je n’ai pas eu la chance d’être un des élèves de Jean Pihin, mais simplement un de ses amis de janvier 1987 à Mars 1994, date de sa disparition. J’ai eu l’occasion de croiser ces élèves, lors des « colles » au 11 bis rue Pigalle et non rue Blanche. Au 1er étage de cet appartement à la fois somptueux mais tellement en bazar ! C’est comme cela que nous aimions Jean et Patrick et Gustave le papa de Jean. Jean Pihin m’avait recruté pour être le cuisinier du restaurant « l’inconnu gourmand » qu’il avait acheté à Patrick. Patrick qui avait aussi le restaurant les mousquetaires de Bigorre rue de Rome. J’ai eu la chance de vivre de nombreux mois Rue Pigalle et de passer d’innombrables week-end à Illiers-combray , dans la première et seconde maison. Il avait acquis une très grande maison qui aujourd’hui a été transformée en centre d’accueil pour jeunes. Le lieu a été totalement refait, c’est un désastre. Je garde de Jean, ces longues soirées et quasi nuits à l’écouter, car il était difficile de faire autrement ! Il passait d’une conversation à la cuisine pour faire tourner les robots mixeurs, pour cuisiner avec boulimie. C’était un ami formidable. Il nous faisait tout partager. A partir de septembre 1993, sa santé a commencé à se dégrader à la suite d’une encéphalite et même s’il avait retrouvé un peu d’énergie, les mois qui ont suivi ont été difficiles. Nous passions de longues soirées à le veiller, le rassurer. Jean Pihin est parti un jour de Mars, nous l’avons accompagné à Saumur, avec Patrick, au volant de la légendaire 504. Patrick a décidé de le rejoindre au début de l’été 95 où 96, je ne sais plus. J’espère que mon témoignage contribuera un peu à perpétuer la mémoire de ce personnage incroyablement romanesque. A Jean Pihin.
Bonsoir, Merci beaucoup pour ce témoignage très émouvant qui nous fait revivre un peu Jean Pihin, notre maître!
Jean Pihin! cela me ramène à 1969, à David d’Angers, cours de latin, le samedi de 14 à 15 heures… Le pensum penseront certains; et bien non: le moment attendu toute la semaine: le cours de latin avec Pihin c’était génial. Nous étions quelques huluberlus égarés dans des séries approximatives- B, C peut être- qui par le jeu des options devions consacrer un peu de notre temps à la langue de Cicéron. Le samedi après-midi… Pihin avait sans doute compris le problème. je suis bien obligé de reconnaitre que le reste de mon parcours en littérature a commencé là. Il y a quelques rencontres déterminantes dans une vie, il fut de celle la. Je me souviens d’un samedi peu avant le 11 novembre où il évoqua pour nous Guillaume Apollinaire, le reste de ma vie en fut changé. Il sut me donner ce gout pour la littérature qui ne m’a jamais quitté, prof puis galeriste pendant 30 ans je n’ai jamais oublié ce moment incroyable où cet homme, les veines du front gonflées, nous lu » bergère, O tour Eiffel… » Quelques années plus tard je me présentais à Normale Sup, au programme: « Alcool », l’ombre de Pihin a plané tout le temps autour de moi.
Je souviens de son break 204 aménagé en bibliothéque, je me souviens qu’il nous racontait que, tellement épuisé par la préparation de l’agrég, il ne pouvait plus dormir. Souvent, confronté à ces états de grandes fatigues-concours, doctorats, commissariats d’expositions-j’ ai pensé à lui.
Aujourd’hui à 69 ans je dis : merci Monsieur Pihin vous avez été un guide avec Madame de Latour, ma prof de Philo en term et en hypokhâgne et Monsieur Jacques Bonnot, mon prof de Lettres en cette même année.
Merci pour ce commentaire d’un papier désormais ancien… Et pour votre témoignage. Au lycée David d’Angers, j’étais votre ancien de quelques encablures, mais vos souvenirs et vos appréciations sur Jean Pihin rejoignent et complètent les miennes. Il appartenait à la cohorte assez restreinte de ces professeurs qui impriment durablement leur empreinte intellectuelle, morale et esthétique sur toute la vie future de leurs élèves.
Bonjour, je m’appel Ruaud Guy, ma femme est une cousine de Jean.
Je vous remercie pour ce texte sur Jean qui est si réel.
Ma femme, ma fille et moi avons suivi Jean jusqu’à son décès.
Il est enterré au cimetière de Bagneux près de Saumur.
Jean était un grand ami et une personne dont j’admirais l’érudition. Merci pour votre petit mot.
Je découvre si tard et par hasard cet article et tous les commentaires consacrés à M.Pihin . Il fut mon professeur de lettres et de latin au lycée
David d’Angers en seconde, première C puis math sup de 1968 à 1972 .
C’est un des seuls enseignants dont je garde un souvenir fort et ému ;
Le seul prof de français qui m’ait fait aimé et découvrir ( le nouveau roman notamment ) la littérature . Je pense souvent à lui et suis peiné d’apprendre sa fin de vie difficile . Merci pour ces témoignages.