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Archive for the ‘Les poilus de 1914-1918’ Category

Depuis quelques temps, de « grands » stratèges, officiers supérieurs en réserve de l’armée française, désormais « demi-solde », ont tendance à arrondir leurs fins de mois en nous gratifiant, avec plus ou moins de pertinence, de leurs analyses géostratégiques sur les médias d’infos en continu. Ils remplacent ceux qui tenaient jusqu’alors le haut du pavé du fait des circonstances épidémiques et climatologiques, à savoir les experts – parfois autoproclamés – de l’épidémiologie ou encore les chantres écologistes du développement durable, de la biodiversité et de la transition énergétique, accessoirement prophètes du suicide annoncé de l’espèce humaine.

Ce qu’il y a de paradoxal dans les discours de ces flopées d’experts, c’est le recours d’une part, à de multiples euphémismes ou litotes pour dédramatiser une réalité souvent sombre et d’autre part – dans le même temps – à des prévisions inquiétantes sur « notre planète », à savoir le pire du pire, c’est-à-dire une « nouvelle extinction des espèces vivantes ». Le tout étant assorti d’accusations ciblées sur les excès coupables du libéralisme débridé et surtout de dénonciations de la rationalité occidentale responsable, selon eux, d’une modernité destructrice. Bref, nous sommes en permanence confrontés à des figures oxymoriques déroutantes, propres à accentuer nos tendances schizophréniques !

S’agissant précisément des retraités galonnés de la République, qui peuplent les plateaux télévisuels depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine, il n’est pas inintéressant d’observer que ces spécialistes qui ont troqué leurs rangers pour des charentaises et des cols ouverts ainsi que leurs fusils d’assaut pour des microphones, n’usent plus que très rarement du mot « guerre » pour caractériser la situation. Victimes ou acteurs consentants d’une sorte de déni de réalité, ils se comportent – peut-être à leur corps défendant – à la manière du tyran russe qui masqua l’agression d’un pays souverain en l’affublant initialement du nom « d’opération militaire de dénazification ».

Ainsi en lieu et place de la « guerre  » réservée plutôt aux affrontements sanglants du passé, nos savants experts militaires préfèrent employer, selon les circonstances, les termes « conflit de haute intensité » ou encore « opérations militaires extérieures de la France ». Ces dernières sont même identifiées par un petit nom qui ne signifie rien pour le commun des mortels mais qui présente l’avantage d’évoquer précisément la guerre d’un corps d’armée expéditionnaire sans la citer ni la localiser avec précision.

Ainsi les opérations en Lybie en 2011 s’appelaient Harmattan, au Mali en 2013 c’était Serval, Sangaris en République centrafricaine en 2013 et finalement Barkhane au Sahel en 2014 et ainsi de suite. Actuellement en 2022, le renforcement du dispositif militaire effectué pour le compte de l’OTAN par l’armée française en Roumanie est crédité du joli nom d’Aigle. Il s’agit sûrement d’un clin d’œil à la Grande Armée de Napoléon. Lequel à son retour victorieux de l’Ile d’Elbe au printemps 1815 prononça ces mots:  » L’aigle avec les couleurs nationales volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame ». Bon ou mauvais présage: c’est selon…

Quoiqu’il en soit, on hésite aujourd’hui à désigner un affrontement armé entre belligérants par le mot « guerre ». Probablement parce la notion même de belligérant est désormais réfutée, sauf par ceux qui en sont directement les victimes innocentes comme aujourd’hui les ukrainiens.

Une opération militaire de dénazification russe en Ukraine en 2022

La guerre est ainsi devenue virtuelle. Plus exactement elle s’apparente pour ceux qui ne sont pas sous les bombes, aux épisodes quotidiens d’une série télévisée. En tout cas, elle ressemble de plus en plus et de manière addictive aux jeux vidéo dont raffolent les préadolescents manipulant de manière compulsive les manettes des Playstation ou des consoles Switch.

Formellement, quelle différence y-a-t ‘il en effet entre la vraie guerre et un jeu vidéo, puisque dans la plupart des cas, il s’agit de tuer un maximum d’adversaires et que les résultats sont comptabilisés sur des écrans?

La réalité devenue fiction ne peut donc plus être définie autrement que par des concepts flous. La notion de « conflit de haute intensité » relève de cette ambiguïté. Laquelle constitue évidemment une entrave à la compréhension d’une situation conflictuelle par le citoyen et donc à sa résolution.

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément » disait en son temps Boileau …

Qu’est-ce donc au juste qu’un « conflit de haute intensité » en ce premier quart de siècle? Est-ce simplement un affrontement qui ferait appel à des armements de haute technologie numérique, cybernétique, aéroportée ou nucléaire?

Si les moyens modernes de l’artillerie, des transmissions ou de transport de troupes sont effectivement mobilisés ou inclus dans la notion de  » conflit de haute technologie », la définition est plus politique. Plus technocratique si l’on ose dire, car ce ne serait pas tant les techniques utilisées que le contexte qui permettrait de qualifier de conflit de haute intensité, des face-à-face guerriers vieux comme le monde mais de plus en plus violents.

Selon le Centre Français de Recherche sur le Renseignement, groupe de réflexion stratégique indépendant, on parle de « conflit de haute intensité », quand « cela implique des affrontements dans lesquels l’existence même des Etats belligérants peut être remise en cause. Ce sont donc des guerres qui mobilisent l’ensemble des moyens humains, matériels, financiers et industriels d’un Etat »!

A cette aune, les deux guerres mondiales du siècle dernier étaient manifestement des conflits de haute intensité. Elles l’étaient comme la prose de Monsieur Jourdain. Néanmoins, une telle définition, un tantinet alambiquée qui fleure bon l’énarchie, aurait-elle été suffisamment explicite en 14-18 pour exacerber le patriotisme de nos poilus jusqu’à mourir pour la France? On peut en tout cas s’interroger…

C’est cette interrogation qui me traversait l’esprit lorsque récemment, assistant à la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918 dans ma commune, un officiant citait la longue liste des soldats tués aux cours de la Première Guerre mondiale. Ils étaient presque tous paysans et pour accepter l’ultime sacrifice, il fallait qu’on leur indique clairement qui était l’ennemi et pourquoi on les envoyait dans une vraie guerre qui devint rapidement une boucherie!

Telles étaient les questions que je me posais, alors que des gerbes de fleurs étaient déposées au pied du monument aux morts du cimetière communal pour honorer la mémoire des millions d’hommes sacrifiés. Questionnement sans réponse satisfaisante alors que la guerre est de nouveau présente sur le sol européen, avec la même sauvagerie qu’il y a un siècle avec son lot de destructions, de charniers et de bombardements de populations civiles. De quel autre mot faut-il user alors que la nature de la guerre demeure cruelle et aveugle, destructrice?

La foule n’était pas massivement présente au rendez-vous de cette cérémonie citoyenne. A sa décharge, on en est à la quatrième génération après les combattants de 14-18 et la dernière, celle des enfants des écoles n’entrevoit plus les horreurs de la guerre qu’au travers d’une périphrase, d’hominidés se battant à mort sur des tablettes et ignore une histoire qui n’est plus officiellement enseignée et qui, faute d’être transmise, ne la concerne pas.

Il va donc falloir que nos stratèges tous issus de l’élite technocratique réfléchissent sérieusement aux mots qu’ils emploient pour enthousiasmer, s’il y a lieu, les futurs soldats de l’an II! L’usage abusif des périphrases et celui des litotes arrangeantes ou encore des métaphores approximatives et trompeuses devraient être bannis. A moins que l’intention soit, à l’exemple des dictatures, d’égarer et d’embrouiller le citoyen.

Une guerre c’est une guerre! Toujours tragique. Rien d’autre… Les dégâts sont de la même ampleur dans le Donbass ou sur le front de Verdun.

Destructions 14-18 : Guerre, Grande Guerre ou conflit de haute intensité?

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PS : Cet article est dédié aux soldats de 14-18 de ma famille ou de relations proches, qui ignoraient sûrement qu’on les avait mobilisés dans un « conflit de haute intensité ». Mais dans une guerre sans merci. J’en ai croisé certains.

Les « morts pour la France:

  • Albert Venault (1893-1918) adjudant du 6ème Régiment du Génie  grand oncle maternel
  • Alexis Turbelier (1897-1918), caporal du 135ème RI  – grand oncle maternel
  • Marcel Maurice Pasquier (1895-1915) soldat du 135 ème RIcousin de mon grand-père paternel
  • Léon Elie Toulemon (1889-1914), soldat du 9 ème RIdemi-frère de sang du grand-père de mon épouse
  • Georges Duguet (1895-1914), soldat du 32 ème RI un ami et voisin de mes grands-parents maternels
  • Léon Antoine Chauviré (1880-1914)  : un cousin éloigné sur la branche maternelle et voisin
  • Les frères Paul et Henri Barbin du Lion d’Angers, morts des suites de la guerre: employeurs d’un de mes arrière-grand-pères paternels , 

Les « blessés ou mutilés »

  • Marcel Emile Pasquier (1892-1956) cavalier, chasseur d’Afrique, mon grand-père paternel
  • Gustave Firmin Debenay (1889-1951) soldat du 125 ème RI  grand père de mon épouse
  • Lucien Montazel (1898-1989) soldat, blessé de guerre, trépané,  cousin du père de mon épouse
  • Gustave Boussemart (1891-1938) soldat du 148 ème RI  grand-oncle maternel
  • Michel Joseph Gallard (1896-1962), sous-lieutenant du 135 ème RI. grand-oncle maternel

Les autres mobilisés

  • Auguste Cailletreau (1892-1975), soldat « poilu d’Orient »;grand oncle paternel
  • Joseph Cailletreau (1888-1973), soldat prisonnier de guerre; grand oncle paternel
  • Ernest Cragné, instituteur, soldat mon premier instituteur
  • Albert Théophile Debenay (1894-1975) grand-oncle de mon épouse
  • Baptiste Pasquier (1890-1937) cousin de mon grand-père
  • Paul louis Joseph Delhumeau (1888-1945), aumônier militaire, cousin
  • Louis Turbelier (1899-1951), mon grand-père maternel

Fusillé pour l’exemple

  • Maurice Beaury (1892-1915) soldat angevin victime de la bêtise/cruauté de l’état major de son régiment

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Le 16 mai 1892, naissait au Lion d’Angers, Auguste Cailletreau, dit « Tonton Henri » (1892-1975). A de nombreuses reprises ici, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer sa mémoire. Celle d’un petit bonhomme qui ne payait pas de mine et n’aurait pas « fait de mal à une mouche » mais qui nourrissait une passion inconditionnelle pour ses chiens, les chevaux des haras de l’Isle Briand sur les rives de l’Oudon, et les chevaux-vapeurs des automobiles.

Son permis de conduire – 1920 –

Souvent, j’ai également parlé de ses malheurs, notamment de la disparition de son fils unique, mécanicien doué, décédé à 17 ans, emporté par une méningite cérébro-spinale brutale et cruelle.

Apprenti galochier au Lion d’Angers à douze ans, il est finalement devenu, par amour de la mécanique, chauffeur-mécanicien après « sa » Grande Guerre sur le front des Dardanelles, puis camionneur parcourant les routes de France en compagnie de son chien Denis! Et ce, bien au-delà de l’âge légal de la retraite! Lequel à son époque était fixé à soixante-cinq ans.

En ce jour anniversaire de sa venue au monde, cet ancien « Poilu d’Orient » fidèle à tous ceux qu’il aimait, attentif et hypersensible, discret, trop timide aussi, mais toujours disponible, aurait eu 130 ans! Inconcevable quand on se souvient qu’on l’a connu!

Sans réécrire ce que j’ai déjà écrit à son propos, je souhaite simplement profiter de l’occasion pour rappeler que cet homme – mon grand-oncle paternel – assura auprès de moi, une fonction essentielle, qui s’apparentait à celle de mes grands-pères disparus, l’un et l’autre, prématurément. Il m’a appris ‘la bricole » mais je fus un piètre disciple! Pour lui, homme d’avant l’explosion consumériste des Trente Glorieuses, un clou, même tordu, demeurait un clou et il le conservait.

Mentionner son âge désormais virtuel, car les morts ne vieillissent plus, c’est évidemment se souvenir de lui et signifier qu’il fut des nôtres sur cette planète. C’est en outre lui rendre une sorte d’hommage filial que la fatalité lui a cruellement confisqué. Enfin, c’est évoquer implicitement le mien – mon âge – en prenant soudainement et concrètement conscience de la marche du temps et des décennies qui, s’accumulant, ont progressivement mais sûrement, transformé le jeune homme qu’Auguste a connu et que j’étais encore quand il vivait, en un presque vieil homme!

Un monsieur en cours de vieillissement qui mesure quotidiennement les stigmates de l’entropie croissante sur sa propre chair. Qui regarde, impuissant les désordres s’installer et qui sait les renoncements auxquels, de gré ou de force, il doit consentir et qui vont de pair avec l’appréciation clairvoyante des années restantes beaucoup moins nombreuses que celles déjà écoulées.

Un ensemble de perspectives qui quoiqu’on en dise, n’est ni réjouissant ni affligeant, mais qui s’inscrit dans le cycle normal et ininterrompu de la vie et sa permanence. Lequel mise sur l’avenir en relativisant et même en soldant progressivement toute ambition qui s’écarterait de la seule obligation qui compte : celle de transmettre notre savoir ou notre ignorance, nos certitudes et nos doutes, aux générations suivantes, censées poursuivre la tache. Un schéma, de prime abord un peu absurde, digne du regretté Sisyphe, mais qui, au bout du bout, gomme toutes les inégalités, bien plus efficacement que les gesticulations puériles des prophètes narcissiques de l’insoumission braillarde ou les promesses fallacieuses des prédicateurs d’un au-delà radieux.

« Salut donc Tonton Henri ! J’ai appris de toi qu’il fallait prendre soin des moteurs à explosion et de ses animaux domestiques. Toi tu les bichonnais. Moi, j’aime surtout qu’ils me transportent sans trop broncher. Mais j’ajoute que l’énergie devenue rare, ne peut plus reposer, comme de ton temps, sur le recours quasi-exclusif au pétrole, au charbon et au gaz. D’autant qu’on les prétend dangereux pour l’avenir biologique de la planète.

Il faut donc aussi faire appel à l’énergie électrique pour une grande part, produite à partir de la fission nucléaire et peut-être un jour de la fusion. Je sais que le petit galochier du Lion que tu fus, confiant dans le progrès humain, n’aurait certainement pas désapprouvé ces évolutions dictées par la nécessité. Les pieds sur terre mais en harmonie avec les éléments, tu n’appréciais que modérément les bourrasques imprévisibles du vent, qui arrachaient ta légendaire casquette.

PS: Quelques articles de ce blog dédiés à Auguste Henri Cailletreau( 1892-1975) :

  • Un gâs du Lion -Auguste Cailletreau – 20/9/2011
  • Nini la Belloprataine -6/2/2012
  • Camionneur en ceinture de flanelle – 28/10/2012
  • Trois jeunes du Lion dans la tourmente de la guerre – 3/10/2011

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Evoquer aujourd’hui « l’identité française » c’est prendre le risque d’être immédiatement classé parmi les bavards effrontés qui osent encore braver le bien penser ambiant. C’est s’exposer à figurer en bonne place dans les rangs des réactionnaires de la pire espèce, des « racistes », des individus sourds à la modernité et aux exigences de la « diversité ». C’est enfin intégrer de plein pied, la catégorie honnie par les islamo-gauchistes et racialistes modernes, des ennemis déclarés d’une « créolisation » culturelle uniforme qui, selon eux, irait de soi comme un progrès fatal. Dans ce contexte, la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918, tombe à point nommé pour nous rappeler que le patriotisme et le sens du devoir national ne furent pas toujours perçus comme des abstractions ringardes assimilables à des manifestations agressives d’un nationalisme obtus et criminel, nostalgique de l’esclavagisme…

Les combattants de 14-18 étaient en effet des nôtres. On en est fier car ils ne se sont pas dérobés à leur devoir pour défendre une certaine conception de la vie en commun au sein d’une société dont pourtant ils savaient les imperfections, ainsi que pour préserver une culture millénaire, dont nous n’avons pas à rougir et dont on est en droit de se revendiquer comme d’un attribut incontournable de la civilisation. Ils se sont battus pour sauvegarder notre intégrité territoriale et morale ainsi que la souveraineté de la Nation française, mais aussi pour refuser l’aliénation à des puissances ou à des idéologies étrangères contraires à notre conception de l’humanisme. Plus fondamentalement encore, ils se sont sacrifiés pour faire vivre des « valeurs » et des libertés dont nous continuons de jouir mais qui sont aujourd’hui menacées.

Ils n’allèrent pas à l’affrontement guerrier de gaité de cœur, mais très rares furent ceux qui choisirent de fuir au-delà des mers pour chercher asile ailleurs et s’exonérer ainsi du devoir de défense de leur pays, le nôtre.

En ce sens, ils demeurent des exemples en une actualité qui trop souvent glorifie l’inversion de certains des principes qui servirent de socle à l’identité française.

Point n’est donc besoin d’aller chercher midi à quatorze heures pour appréhender la signification de l’identité française aujourd’hui considérée comme suspecte: elle se trouve dans le courage de ces soldats qui firent le deuil des plus belles années de leur jeunesse et trop fréquemment de leurs vies, pour défendre leur patrie.

Elle est dans le courage de leurs compagnes qui ensemencèrent les champs, firent tourner les usines à leur place pour assurer la survie du pays et approvisionner les différents fronts. Elle est dans l’abnégation dont attestèrent les citoyennes et citoyens de France, qui mirent en sommeil leurs ambitions personnelles et leurs intérêts individuels, au profit de la collectivité. Là est l’identité française qui n’est pas discriminatoire comme on le prétend actuellement, ni exclusive de telle ou telle catégorie de population, mais intégrante dès lors qu’on y met du sien sans arrière-pensée sécessioniste et qu’on cherche à construire dignement l’avenir dans le respect des lois, sans accuser en permanence certains aspects d’un passé qui comporte sans doute certaines zones d’ombre mais dont personne n’est actuellement redevable et encore moins responsable. Un passé qui fut aussi glorieux et porteur d’une message universel qui fait sens au regard de la civilisation gréco-latine dont nous sommes les héritiers.

Il y a donc urgence à restaurer la grandeur de l’identité française, pour être fidèle aux poilus de la Grande Guerre et à leur sacrifice, il y a plus d’un siècle.

Tous les soldats de la Grande Guerre doivent bien sûr être honorés en ce jour. Mais nécessairement, chacun réveille en lui, en priorité, les souvenirs des siens, ceux qui ont été emportés dans la tourmente, ceux qui ont été blessés, ceux qu’ils a croisés dans son enfance, et ceux qu’il a adoptés pour s’être intéressé de plus prêt à leur sort …

Mes « morts pour la France:

  • Albert Venault (1893-1918) adjudant du 6ème Régiment du Génie d’Angers, un de mes grands oncles,
  • Alexis Turbelier (1897-1918), caporal du 135ème RI d’Angers, un de mes grands oncles,  
  • Marcel Maurice Pasquier (1895-1915) soldat du 135 ème RI, un cousin de mon grand-père paternel
  • Léon Elie Toulemon (1889-1914), soldat du 9 ème RI, un cousin du côté de mon épouse
  • Georges Duguet (1895-1914), soldat du 32 ème RI, un musicien, voisin d’Angers
  • Léon Antoine Chauviré (1880-1914) , un voisin,
  • Les frères Paul et Henri Barbin du Lion d’Angers, morts des suites de la guerre, pharmaciens et fils de l’employeur occasionnel d’un de mes arrière grands pères

Les « blessés ou mutilés »

  • Marcel Emile Pasquier (1892-1956) cavalier, chasseur d’Afrique, mon grand père paternel – mobilisé de 1910 à 1919, titulaire de la croix de guerre et de la médaille militaire
  • Gustave Firmin Debenay (1889-1951) soldat du 125 ème RI, grand-père de mon épouse
  • Lucien Montazel (1898-1989) soldat, blessé de guerre, trépané, cousin de mon épouse  
  • Gustave Boussemart (1891-1938) soldat du 148 ème RI, grand-oncle   
  • Michel Joseph Gallard (1896-1962), sous-lieutenant du 135 ème RI d’Angers, mobilisé aux deux guerres et titulaire de la Légion d’Honneur, grand-oncle  

Les autres

  • Auguste Cailletreau (1892-1975), soldat « poilu d’Orient »; Grand oncle
  • Joseph Cailletreau (1888-1973), soldat prisonnier de guerre; Grand oncle
  • Ernest Cragné, instituteur, soldat, mon premier instituteur
  • Albert Théophile Debenay (1894-1975) grand oncle de mon épouse,
  • Baptiste Pasquier (1890-1937), Cousin germain de mon grand-père
  • Paul louis Joseph Delhumeau (1888-1945), aumônier militaire, cousin de ma grand-mère paternelle
  • Louis Turbelier ( 1899-1951), mobilisé en 1918, mon grand-père maternel ( frère cadet d’Alexis mort pour la France)

Fusillé pour l’exemple

  • Maurice Beaury (1892-1915) soldat angevin victime de la bêtise/cruauté de l’état major de son régiment

Marcel Pasquier (1892-1956) mon grand-père

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Dans la liste des arrêts administratifs imposés par le second confinement de l’année, figurent les salons de coiffure. Comme pour tous les négoces non considérés comme essentiels par nos inconstantes « autorités sanitaires », tous les figaros et barbiers de France ont donc été tenus de remiser leurs rasoirs, leurs ciseaux, leurs brosses et leurs peignes, de fermer leurs flacons de shampoings ainsi que leurs teintures « ailes de corbeau », et, sous peine d’amende, de baisser les rideaux de fer de leurs boutiques à compter du vendredi 30 octobre 2020. 

Et ce, jusqu’à ce que ce satané « virus qui rend fou » soit décrété vaincu ou en voie de l’être par les multiples diafoirus qui bavardent et s’étripent en confrontant leurs ignorances prétentieuses sur nos écrans! A supposer même que le maniement du coupe-choux – dorénavant strictement encadré par le plan Vigipirate – et celui des blaireaux en poils de sanglier soient de nouveau autorisés, il est évident que le plus important pour le petit commerce est de permettre aux clients échevelés de s’extraire de leur résidence surveillée, le temps – nécessairement inférieur à soixante minutes – d’une coupe au bol ou d’un indéfrisable de proximité. Quitte à ce que, dans la précipitation réglementaire et heureusement conjoncturelle, on tolère des accommodements sur l’emplacement précis de la raie ou qu’on fasse son deuil de la taille de la barbe, de la moustache et des sourcils ainsi que de l’ajustage des pattes, en deçà ou au-delà du masque chirurgical obligatoire.  

La chasse aux poils est fermée. Donc d’ici le jour béni de sa réouverture et de la liberté retrouvée, notamment celle de couper les cheveux en quatre, il faudra s’accommoder de la croissance sauvage de nos facétieux épis dorénavant non domestiqués et observer avec indulgence le développement anarchique de nos tignasses. Du moins pour ceux qui ne voient pas disparaitre dans le syphon crasseux de leurs lavabos, une proportion significative de la crinière qui faisait autrefois leur fierté!

Pour certains, déprimés confinés, il faudra peut-être en revenir aux antiques traditions conviviales de l’épouillage et du démêlage! Mais forcément dans le « huis clos de sa pauvre masure » en s’efforçant, malgré la rudesse des temps et la désespérance de s’occuper utilement sans s’arracher les cheveux.

Tout est bon pour attendre la levée d’écrou en pestant contre les restrictions édictées avec cynisme par les autorités publiques imprévoyantes et moralisatrices, qui masquent par leur discours, tantôt compassionnels, tantôt culpabilisant, leur propre inconséquence et leur versatilité! 

Et dans le même temps, les salons de coiffure casquent! 

Photo Internet

A ce stade de mon récit, j’imagine que ceux qui n’en ont pas abandonné la lecture, doivent s’interroger avec perplexité sur mon intérêt soudain pour cette profession que j’ai probablement trop négligée dans ma lointaine jeunesse, surtout influencée par le chanteur Antoine. Ceux qui parfois me croisent dans un hypermarché de banlieue sont sûrement les plus étonnés par ce regain de tendresse à l’égard d’une corporation découverte assez récemment alors que son service ne s’imposait plus vraiment à moi! Faute de plus en plus remarquable de combattants en nombre suffisant et encore vaillants . 

Ni les uns, ni les autres de mes contradicteurs raisonneurs n’auraient tort. Et pourtant il ne s’agit pas d’un caprice!    

De même que les anagrammes me ravissent ( dans le genre  » Les liaisons dangereuses » et  » Les ailes sanguines d’Eros), j’aime les coïncidences « renversantes »! 

Mon intérêt pour les salons de coiffure, comme incarnation des petits commerces de nos villes et villages, sinistrés par des décisions aussi injustes qu’incompréhensibles et inefficaces pour combattre l’épidémie coronovirale, procède en fait d’un constat, celui d’un isochronisme hasardeux qui laisse toute le monde indifférent, sauf moi pour lequel il fait sens! Un sens un peu tiré par les cheveux! 

Ainsi ai-je remarqué que la date de début de confinement, fixée au 30 octobre 2020 correspondait à la date anniversaire de la naissance d’un mes lointains cousins, Marcel Maurice Pasquier, le 30 octobre 1895 dans le bourg angevin du Lion d’Angers au domicile de ses parents tenanciers d’un bistrot-tabac. Il y a donc cent-vingt cinq ans! 

L’événement, j’en conviens, est d’importance relative. Elle aurait même été nulle si, dans le même temps, je ne m’étais rappelé que, dès la fin de sa scolarité obligatoire en 1908, Marcel Maurice s’était orienté vers la coiffure, comme apprenti puis comme ouvrier… Mais que dans les premiers mois de la guerre à l’automne 1914, lui qui n’était pas immédiatement mobilisable, s’engagea pour cinq ans dans les armées de la République.

L’hécatombe parmi nos troupes, lors des premières offensives, l’avait fortement impressionné, révolté et finalement solidarisé avec les soldats! 

Marcel Maurice au centre – 1914

Il fut tué sur le front belge à la fin mai 1915!  N’ayant pas eu le loisir de vivre, il disparut progressivement de la mémoire collective familiale, qui n’évoquait plus que très rarement dans ses soirées au coin du feu, ce patriote sacrifié, formé à l’école de la République de Jules Ferry.

Ceux qui l’ont croisé ont aujourd’hui tous disparus! Aussi m’a-t-il semblé que cette curieuse synchronie qui s’imposait à moi, me fournissait aussi une occasion d’évoquer le souvenir de cet enfant de France, épris de sa patrie. Il n’a pas fui. Il ne s’est pas dérobé aux exigences civiques que lui avaient inculquées ses instituteurs. Faisant face à ses responsabilités de citoyen, il n’a pas placé ses droits au-dessus de son devoir, et il n’a pas cherché à se réfugier ailleurs, loin des combats, en laissant aux autres la tache de prendre les armes contre un ennemi menaçant l’intégrité du territoire. 

Il ne fut d’ailleurs pas le seul, vingt autres jeunes hommes de ma famille ou proches d’elle, furent embarqués dans ce premier conflit mondial. Six y laissèrent la vie alors qu’aucun n’avait passé l’âge de trente ans.  

On aura compris que cette coïncidence des dates m’a servi de prétexte, en une période où la France, au-delà de l’épidémie qui la frappe, est confrontée à une période périlleuse de doutes, sans précédent dans son histoire récente, sur son identité, sur ses principes d’humanité violemment et même sauvagement contestés par une partie de ceux qu’elle accueille généreusement sur son sol, et sur sa mission civilisatrice dans le concert des Nations.  

A l’exemple des poilus de 14-18, elle ne surmontera ces difficultés que dans l’unité de tous français, d’où qu’ils viennent et quoiqu’ils croient, mais à la condition qu’elle ne se compromette en rien – et jamais – dans l’infamie et le renoncement à ses valeurs et aux principes fondateurs de la République, que sont la liberté dans toutes ses acceptions, l’égalité de droits et des chances, la fraternité et la laïcité, ciment et ferment de la cohésion nationale! 

J’aurais pu intituler ce billet  » Coiffeur mais d’abord patriote »! 

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PS: En octobre 2011, j’ai dédié à Marcel Maurice Pasquier (1895-1915) un chapitre d’un billet de ce blog, dont plusieurs extraits sont reproduits ci-dessous:  

Sur Marcel Maurice Pasquier, je dispose de peu de données, bien qu’il soit à la fois le cousin germain de mon grand-père Marcel Emile Pasquier et de mon grand-oncle Auguste Cailletreau, ainsi que de sa sœur Marguerite (1897-1986), ma grand-mère paternelle. Ce que je sais, se résume au fait qu’avant la guerre, il était ouvrier-coiffeur. C’était un beau jeune homme à la chevelure châtain clair et aux yeux bleus, plutôt plus grand que la moyenne des garçons de son époque: sa fiche dans le registre des matricules militaires indique qu’il mesurait 1m64.

Marcel Maurice qui, compte tenu de son âge, n’était pas mobilisable au début de la guerre, début août 1914, était probablement un ardent patriote. Ainsi, dès l’automne, il se déclara « engagé volontaire pour cinq ans » et fut incorporé à compter de novembre 1914, comme soldat de 2ième classe au 135ème régiment d’infanterie basé à Angers. Un régiment presque exclusivement composé d’angevins et de bretons. Il est mort, probablement dans une ambulance de campagne, des suites de ses blessures dans les tranchées de première ligne, le 29 mai 1915 à Acq dans le Pas-de-Calais. Il avait tout juste vingt ans!

Son décès fut notifié le 6 juillet 1915 à la mairie du Lion d’Angers où il était né le 30 octobre 1895, ainsi qu’à ses parents, Baptiste Pasquier et Angèle Houdin.

A partir de novembre 1914, Marcel Maurice a donc participé à tous les combats de son régiment. Lequel fut d’emblée parmi les plus éprouvés. (…)

De même, sur sa « guerre », on ne sait rien de précis l’impliquant personnellement : on ignore quel affrontement lui fut fatal. (…) 

(…) Marcel Maurice pressent sans doute qu’il ne survivra pas longtemps. Selon un témoignage transmis par une de ses nièces (…) Marcel qui avait obtenu une permission pour la fête de Noël 1914, serait reparti en disant à ses parents: » Je vous dis adieu, je ne reviendrai pas ».

Marcel Baptiste décède le 29 mai 1915 (…) Il est aujourd’hui inhumé au cimetière du Lion d’Angers dans une concession familiale acquise par ses parents dans les années 1920. En novembre 2008, elle fut d’ailleurs sur le point d’être déclarée abandonnée. Heureusement en 2010, la tombe existait toujours, préservant les restes de ce poilu « mort pour la France ».

Il eût été en effet injuste que le rapatriement au Lion d’Angers de la dépouille de ce poilu sur l’initiative de ses parents, ait remis en cause le principe selon lequel tout sacrifié pour la Nation bénéficie d’une sépulture prise en charge, ad aeternam, par l’Etat.

Le 22 juillet 1915, l’Etat avait accordé 110 francs de secours à son père en dédommagement de la mort de Marcel Maurice: pour solde de tout compte! » 


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Nota : L’anagramme cité dans le billet est issu d’un ouvrage très déroutant, publié chez Flammarion en novembre 2011 intitulé « Anagrammes renversantes » dont les auteurs sont respectivement Etienne Klein et Jacques Perry-Salkow. RV donc chez  » Les éditions Flammarion » dont les facétieux auteurs ont repéré l’anagramme:  » L’arôme des mots à l’infini ».

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Après huit années d’armée et de combats en Algérie, au Maroc et enfin à partir de l’automne 1916 sur le Front français, le chasseur d’Afrique Marcel Pasquier (1892-1956) avait au moins deux bons motifs d’être optimiste en cette fin d’année 1918. Le premier motif partagé par tous les soldats fut évidemment l’armistice si longtemps attendu, signé dans la clairière de Rethondes en forêt de Compiègne au petit matin du 11 novembre, qui mettait fin, le jour même à onze heures, aux affrontements meurtriers et aux tirs d’artillerie sur l’ensemble des lignes de front. Il libérait enfin les combattants des différentes armées en présence de cette angoisse permanente de la mort qui les tenaillaient depuis quatre ans.

La seconde raison qu’avait Marcel d’entrevoir l’avenir avec une certaine sérénité, était son mariage, le 21 octobre 1918 au Lion d’Angers, avec une jeune lionnaise, de cinq ans sa cadette, Marguerite Cailletreau (1897-1986), rencontrée au cours de l’été 1916, alors qu’il était en permission chez son oncle Baptiste Pasquier, habitant du bourg. Au soir de sa vie, Marguerite disait que ce fut un coup de foudre réciproque. Pudique, Marcel n’a, pour sa part, laissé aucun témoignage direct sur cet épisode, mais, dès l’automne 1916, il a « biffé » de son carnet intime, les adresses de ses autres amies de cœur.  « Biffé » mais pas « effacé »! On ne sait jamais…

Quoiqu’il en soit, l’hypothèque de la poursuite du massacre étant levée, il pouvait entrevoir l’avenir avec sérénité et se laisser aller à rêver d’une vie familiale paisible avec son épouse. Leur lune de miel avait été malheureusement écourtée, puisque moins d’une semaine après les noces, il dut rejoindre son régiment.

En conséquence, dès le 3 novembre 1918, Marcel se retrouvait en première ligne sur les rives de la Meuse dans la boucle de Saint-Mihiel au sud de Verdun aux côtés des troupes américaines…

Par la suite, jusqu’à l’armistice, il participa à toutes les offensives des armées alliées. D’ailleurs, durant ce dernier mois de guerre, l’armée allemande démoralisée et mal ravitaillée par des bases arrière désorganisées du fait de l’agitation révolutionnaire à Berlin, ne cessa donc de battre en retraite.

C’est dans ce contexte, à l’issue d’avancées victorieuses ininterrompues qu’au jour de l’armistice, son escadron, le quatrième escadron du sixième régiment de chasseurs d’Afrique avait atteint Saint-Pierre-sur-Vence dans le département des Ardennes. C’est là que Marcel entendra le clairon sonner la fin des hostilités. Il se trouvait alors à moins de cent kilomètres des lieux de son enfance, à Vervins en Thiérache où vivaient encore ses parents dans une zone occupée par l’ennemi depuis quatre ans….  

Après quelques jours à Saint-Pierre-sur-Vence, l’arme au pied, mais prêt à intervenir en cas de violation du cessez-le-feu, le sixième régiment de chasseurs d’Afrique, conformément aux clauses de l’armistice, remonta via la Belgique et le Luxembourg vers l’Allemagne tandis que les divisions allemandes devaient parallèlement se retirer – sous quinzaine – des régions picardes, lorraines et alsaciennes, sous leur botte depuis l’été 1914. Elle devait de surcroît évacuer toute la rive gauche du Rhin. 

Pour Marcel, la frontière allemande en Rhénanie Palatinat fut franchie le 10 décembre 1918, presque en même temps que les troupes américaines. En effet, les conditions d’armistice imposées à l’Allemagne comportaient l’occupation par les alliés des têtes de pont de Mayence, Coblence et Cologne sur la rive droite du Rhin et l’instauration d’une zone neutralisée de dix kilomètres sur cette même rive droite de la Hollande à la Suisse… 

Entre décembre 1918 et juin 1919, Marcel fut donc modestement un acteur de cet ultime épilogue de la Grande Guerre, au cours duquel, au fil des cantonnements successifs de son escadron, il descendit le Rhin jusque dans le Bade-Wurtemberg et en Forêt Noire… 

Cette occupation militaire n’avait rien, par principe, d’une escapade touristique sur les bords du légendaire Rhin romantique de la Lorelei, mais ce n’était pas non plus la guerre… Dans ses carnets, Marcel observe que les habitants de ces régions occupées dorénavant par les alliés, et qui avaient été relativement préservés par la guerre, sont « serviables » mais que naturellement, ils « n’aiment pas beaucoup les français ». 

Curieusement, bien qu’il ne s’en explique pas, il les trouve  » mal habillés quoique vêtus de costumes chers ». Il concède cependant à ces paysans rhénans qu’ils « travaillent beaucoup ». En fin de compte, le pays lui fait une « assez bonne impression ». 

La vallée du Rhin et ses coteaux semblent le fasciner, comme je le fus également moi-même, bien des décennies plus tard, chaque fois que j’eus le privilège de parcourir ces mêmes lieux qui inspirèrent Goethe et tant de poètes!

Guillaume Apollinaire (1880-1918)

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes

Sur un fifre lointain un air de régiment

Le Rhin romantique (photo JLP)

Ainsi, à la date du 8 mai 1919, alors que son régiment était basé à Eckarsweier,  non loin de Fribourg-en-Brisgau dans le Bade-Wurtemberg , il écrit : 

Je me suis mis en tête de faire une grande promenade. Je suis parti à midi et demi et suis allé jusqu’à Willstät à six kilomètres de Eckartsweier et, de là, à Kork, puis à Bodersweier, et de Bodersweier à Kehl (au bord du Rhin en face de Strasbourg) et enfin, je suis retourné à Eckartsweier… 

Ce jour-là, il est manifestement en grande forme. Une condition physique, somme toute normale, pour un jeune homme de vingt-sept ans, qui ne ressent de ses années de guerre qu’une légère douleur – au demeurant persistante – dans la « région trochantérienne » gauche – globalement la région de la fesse au haut du fémur – souvenir d’une blessure par balle de gros calibre en 1912 au Maroc. 

Lors cette balade, il aura tout de même parcouru, quelques vingt-cinq kilomètres en moins de deux heures et demi, dans les paysages superbes et vallonnés des confins de la Forêt Noire et par un temps qu’il qualifie lui-même de splendide.  Toutefois il ne précisa pas s’il s’était déplacé à cheval ou à pied! 

En résumé, ce 8 mai 1919, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes… De surcroît, malgré les obligations du soldat, dont il ne pouvait s’affranchir, il semblait disposer quasiment « à vau-l’eau » d’un temps personnel non contraint et bénéficier manifestement de loisirs.

En sa qualité d’infirmier depuis la mi-août 1918, il n’était en effet plus tenu comme le cavalier qu’il était auparavant, d’effectuer les corvées quotidiennes liées à l’entretien des montures et au nettoyage des écuries. Pendant les hostilités, si l’on en juge par ses écrits, la fonction d’infirmier n’avait rien d’une sinécure. constamment occupé à soigner les plaies, les aseptiser, effectuer des pansements ou encore apporter les premiers soins à des victimes de gaz asphyxiants ou « vésicants ».  Et souvent, accompagner des mourants démembrés par des obus et transpercés à la baïonnette!  Après les assauts et les bombardements, la tâche était risquée et éprouvante tant moralement que physiquement.

Mais, depuis le cessez-le-feu, le va-et-vient des brancards, transportant des hommes ensanglantés s’était interrompu et les infirmeries des unités de combat s’étaient progressivement vidées de leurs « gueules cassées » qui avaient toutes rejoint les hôpitaux militaires de l’arrière… Ne restaient désormais que les malades souffrant de pathologies « classiques » ou supposées telles comme cette « foutue » grippe – importée, disait-t’on, par le corps expéditionnaire américain. Cette grippe sévissait dans les rangs depuis avril 1918, sans gravité notable au début.

Mais, depuis l’automne 1918 jusqu’au printemps 1919, sa contagiosité et sa virulence s’étaient considérablement accrues.  On l’appelait la « grippe espagnole » bien qu’elle se fût déclarée aux Etats-Unis au printemps 1918. Une rumeur prétendait même que cette maladie avait été provoquée par des conserves alimentaires venues d’Espagne contaminées par des agents allemands. La réalité était autre. Elle est désormais connue et son origine, comme l’actuelle pandémie, serait à rechercher en Chine. 

Les symptômes étaient presque toujours les mêmes chez les jeunes soldats qui en étaient atteints, et qui, ayant échappé à la mort pendant la guerre, voyaient leur vie menacée par une grippe, une fois la paix revenue. Les premiers signes de la maladie se manifestaient d’abord sous la forme d’une forte fièvre parfois accompagnée d’une extrême fatigue et de céphalées épouvantables. S’ensuivaient généralement des troubles respiratoires plus ou moins importants, qu’on appelait de façon générique des « bronchites ». En quelques jours, ils pouvaient conduire un infortuné soldat au seuil de la mort, du fait notamment de surinfections bactériennes favorisées par un affaiblissement concomitant de leur système immunitaire et bien sûr, à l’époque, de l’absence d’antiobiotiques!

Toutefois, à la différence de la pandémie virale actuelle imputable à un coronavirus, dont les formes gravissimes semblent surtout concerner les personnes les plus âgées des populations, la grippe de 1918-1919 – d’ailleurs imputable à un virus différent (de type H1N1) s’attaquait surtout à de jeunes adultes entre vingt-cinq et trente ans.  

Heureusement la plupart des poilus en réchappait mais certains, malgré tout, en conservèrent des stigmates et furent affligés d’handicaps, y compris après leur guérison officielle… Ce fut probablement le cas de mon grand-père Marcel, qui dut en outre endurer, sa vie durant, des difficultés de mobilité, liées à sa blessure de 1912, se surajoutant aux conséquences d’un paludisme ancien contracté comme chasseur d’Afrique dans le Maghreb entre 1911 et 1916! 

En mai 1919, Marcel Pasquier se trouvait donc sans conteste, dans le cœur de cible de la « grippe espagnole », le risque étant amplifié par son affectation à l’infirmerie du régiment, et aux soins qu’il devait prodiguer aux malades sans que nécessairement toutes les précautions fussent prises. 

Néanmoins, sa santé ne souffrit d’aucune alerte notable jusqu’à la fin mai 1919.

Le 17 mai, son escadron changea de lieu de garnison pour rejoindre la caserne Saint-Nicolas à Strasbourg. Et à cette occasion, Marcel dit sa satisfaction d’avoir participé à la revue du colonel et au défilé qui s’ensuivit. Tout donne même à penser qu’il visita ensuite la capitale de l’Alsace redevenue française, qu’il la trouva « belle » ainsi qu’il le mentionne dans son précieux petit carnet de guerre… 

C’est sans doute vers le 25 ou 26 mai 1919 que son état de santé commença à se dégrader et qu’il suscita de l’inquiétude, notamment chez ses collègues, les autres soignants du régiment…

En tout état de cause, il fut admis le 27 mai 1919 à « l’hôpital 10 A à Neudorf -Strasbourg », en raison comme le précise le billet d’admission, hâtivement renseigné par un médecin auxiliaire – d’un « état grippal au cours du service ».

Ce diagnostic initial n’évoluera pas fondamentalement.

A son départ de l’hôpital de Strasbourg, le jeudi 12 juin 1919 – soit  deux semaines plus tard – le médecin traitant se contentera de préciser que Marcel Pasquier fut victime d’une « bronchite grippale » et préconisera un mois de convalescence, répartie en une permission de dix jours qu’il passera auprès de sa jeune épouse au Lion d’Angers, et en un séjour de vingt jours dans un établissement hospitalier spécialisé.

Dès le samedi 14 juin 1919, il rejoindra donc le Lion d’Angers.

Dix jours plus tard, il sera admis à l’hôpital militaire de Bligny en région parisienne (ancienne Seine-et-Oise et désormais en Essonne) qui, en tant qu’annexe et sanatorium de l’hôpital Dominique Larrey de Versailles accueillait depuis 1914, des sous-officiers et soldats atteints de tuberculose et de diverses affections pulmonaires…   

Marcel y résidera une quinzaine de jours, car selon son carnet, il est présent à Angers, au 14 juillet 1919. Il est en permission libérable et d’ailleurs le 19 juillet 1919, après plus de huit ans sous les drapeaux, il fut enfin démobilisé… 

La grippe espagnole lui aura épargné la vie sans que l’on sache précisément la gravité de son affection.

Mais elle lui aura laissé des séquelles. C’est la raison pour laquelle le médecin-chef du Centre de Réforme d’Angers, constatant en 1922, son « état général médiocre » proposa qu’on lui octroie une pension d’invalidité de 40% justifiée par  » une induration du sommet pulmonaire. Susmatité sus-épineuse et sous-claviculaire »

Autrement dit, il souffre d’une forme de fibrose pulmonaire, qui lui occasionnera par la suite des troubles fonctionnels respiratoires… 

Mais la période de l’entre-deux guerres est déjà à l’économie des finances publiques au détriment des petites gens.

Ainsi, bien que le diagnostic des médecins de l’administration ne fasse état d’aucune amélioration de son état de santé et même qu’à l’inverse, ils précisèrent que Marcel était affecté d’une sclérose pulmonaire du sommet droit , le chef de bureau « compétent » – un certain Lescamel – du ministère des Pensions, des Primes et des Allocations de guerre, crut bon dans sa grande sagesse, de considérer qu’il s’agissait d’un handicap mineur. En conséquence, il lui « rabota » par deux fois son taux d’invalidité pour le ramener en 1927 à 10%! Ce qui réduisait d’autant sa rente! 

Le zélé fonctionnaire dont on ne sait d’ailleurs s’il fut lui-même un ancien combattant ou simplement un rond-de-cuir planqué, s’était déjà signalé en 1923 en décidant d’autorité que la douleur – certes supportable – ressentie à la jambe par Marcel du fait de sa blessure par balle en 1912 n’ouvrait pas droit à pension.

Selon lui, un léger boitillement à vie n’était en rien une gêne! 

En guise d’épilogue, au moment où la France entière est menacée par une pandémie virale mortifère d’ampleur inédite et comparable par ses effets et par l’effroi qu’elle provoque à l’épidémie de grippe espagnole de 1918-1919 (qui fit -pense-t’on- vingt millions de morts dans le monde) il est bon de se rappeler que l’humanité au cours de son histoire vécut et surmonta de nombreuses tragédies analogues.

Aujourd’hui, nous sommes certainement mieux gréés techniquement et scientifiquement que jadis pour y parer, et parvenir à vaincre la maladie. Cela suppose d’abord d’être solidaires et disciplinés dans la mise en oeuvre des consignes de prévention et des mesures barrière pour freiner la contagion.

Faire preuve ensuite d’optimisme et se convaincre, coûte que coûte, qu’on peut toujours progresser pour domestiquer des phénomènes qui nous sont a priori très défavorables ! Cela suppose de croire un peu dans les progrès de la science pour déjouer les mécanismes mortifères de ces virus qui nous font la guerre.

Et enfin, on peut aussi miser sur la chance et croiser les doigts car l’expérience multiséculaire des épidémies dévastatrices d’origine bactérienne, bacillaire ou virale montre qu’elles disparaissent toujours des radars à un moment ou à un autre, au cours des changements de saisons ou au hasard d’une mutation génétique de l’agresseur. Et ce, sans qu’on sache précisément pourquoi. 

S’agissant du cas particulier de mon grand-père, ce n’est pas la grippe espagnole qui l’a tué, ni la guerre, ni la tuberculose à laquelle il a également échappé, mais une des maladies dégénératives des temps modernes, un cancer… Et même d’un parmi les plus redoutables et toujours incurables, le cancer du pancréas. C’était en 1956! 

Infirmières américaines à New York, en partance pour la France en 1918

PS : L’hôpital de Bligny dans l’Essonne, dans lequel Marcel Pasquier effectua sa convalescence en 1919, fut rendu à sa vocation d’hôpital civil après guerre. Devenu un Centre hospitalier privé, c’est celui – coïncidence troublante – au sein duquel son fils Maurice Pasquier vécut les ultimes jours de son existence et où il décéda le 6 novembre 2017 dès suites d’un cancer du pancréas… Étrangement, de la même maladie que celle qui emporta Marcel en 1956! .

 

 

 

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Lorsque, en raison simplement de son âge, on parvient à l’automne de sa vie – « le troisième âge » selon les spécialistes institutionnels de la litote ou de l’euphémisme – on sait d’instinct que l’ultime grand rendez-vous, l’inévitable rencontre avec la Camarde, sans armes ni bagages, n’est ni une utopie, ni l’expression allégorique d’une virtualité mais bien une certitude, à tout le moins, une perspective, avec laquelle il va falloir désormais composer. Un jour, « le plus tard possible » selon l’expression consacrée, il nous faudra l’affronter sans d’ailleurs la moindre chance de succès, car c’est la règle du jeu un peu pervers de la vie; celui auquel nous fûmes naguère conviés et dont nous nous crûmes longtemps les maîtres, alors que nous n’étions que des pions ballottés et déterminés par les circonstances.

Certains épisodes inconfortables, encore heureusement transitoires mais désormais plus fréquents, se chargent d’ailleurs de nous rappeler « à blanc » cette conjoncture qui d’ailleurs nous octroie périodiquement l’occasion d’apprendre à distinguer une banale extrasystole d’un angor annonciateur d’ennuis plus déroutants! Et ce, tout en « taillant une bavette » avec les personnels médicaux des centres hospitalo-universitaires publics de notre beau pays, désormais en grève permanente! Ils étaient réquisitionnés à Saint-Nazaire en août, ils le sont toujours à Boulogne-Billancourt en janvier de l’année suivante!

Auparavant éblouis par un monde entièrement voué au culte du jeunisme, nous nous rendons compte désormais que ce que nous percevions jusqu’à présent comme une lointaine abstraction, devient progressivement une réalité tangible. Nous mesurons en effet que le temps passe au fur et à mesure que notre environnement de jeunesse se transforme et s’effrite, que les rangs de nos entourages s’éclaircissent et que notre santé fragilisée exige qu’on la bichonne. Et que les sacro-saintes « valeurs » auxquelles nous nous référions sont devenues des objets de rigolade et d’incessante dérision!

La « relativité existentielle » de notre propre bail passe alors pour une évidence, alors qu’on s’amusait, il y a peu, à se croire indestructibles! Donc éternels…

En principe, nous savons tout cela depuis fort longtemps. Nous avons même disserté dessus, mais maintenant que nous sommes presque en première ligne, c’est une autre histoire. Désormais réduits, malgré nos propres dénégations et surtout celles, bienveillantes, de nos proches, à préserver nos maigres acquêts, nos projets de vie n’ont plus tout-à-fait la même saveur que les parfums des aventures d’avant! Ils se bornent à espérer que ce dernier hiver dont nous ignorons l’échéance, ne soit ni trop précoce ni trop long, et surtout, pas trop rude. Pas aussi cruel, en tout cas, que celui enduré par ceux que nous aimions et qui sont partis! Les plus lucides d’entre nous en viennent à former le vœu de « réussir leur mort » avec la même ardeur qu’ils ou elles ont mise auparavant à conduire une existence enthousiasmante. Ainsi s’exprimait une amie de mes parents (« d’un certain âge ») alors que nous cheminions de conserve au retour des obsèques de l’un d’entre eux.

Aucune tristesse, aucun regret, aucun remord n’ont néanmoins lieu d’être associés à notre inéluctable sortie de scène, ou à ses manifestations préalables, qu’on appelle, les stigmates de la vieillesse. C’est le lot commun. Peu plaisant, ce n’est pas injuste! En revanche, c’est le moment où, par la force des choses, sans d’ailleurs y prendre garde, nous sommes amenés à nous dépouiller à bas bruit de ce que nous considérions hier comme primordial et qui désormais nous semble de second ordre.

Ainsi en est-il de la plupart des idéologies auxquelles nous avons ingénument adhéré, ou des outils de prêt à penser de toutes natures, qu’on nous a inculqués au cours de notre apprentissage de la vie. Seule notre passion de la liberté demeure intacte alors que précisément ses différents degrés semblent se dérober sous nos pas! Au total, rien n’échappe à ces tris drastiques auxquels nous procédons dans le grenier devenu la casse de nos illusions perdues et de nos vaines espérances. Ces « tris » sélectifs sont d’ailleurs de mode: c’est le seul réel et étrange mot d’ordre compréhensible, ponctué du rituel et obligé « Salve Planetam », qui semble émerger des balbutiements puérils écolo-philosophiques de ce vingt-et-unième siècle naissant. En ce sens, nous sommes « branchés », bien qu’une grande partie de ces « idées reçues » dont nous nous défaisons sans grande nostalgie sinon de nous-mêmes, rejoigne en vrac la poubelle noire des déchets non recyclables!

Ces abandons parfois déchirants de nombre de nos chimères théorétiques d’antan sont probablement le prix à consentir pour aborder cette dernière étape avec la sensation de retrouver une sorte de pureté originelle comme si à l’approche des rives du Styx, les dérobades et les faux-semblants ne semblaient plus de mise. Mais ne s’agit-il pas, là encore, d’un mythe de reconquête d’une liberté d’être que des forces destructrices nous refusent ?

Quoiqu’il en soit, cet inventaire discriminatoire avant liquidation totale a au moins le mérite de nous conforter dans l’idée qu’on a réellement vécu. Le jour venu, il permettra peut-être, de tirer sa révérence sans trop de déception et sans autre question que celle de savoir pourquoi il nous a été donné de vivre, plutôt que l’inverse, eu égard à la multiplicité des options possibles d’organisation du « réel » et de la matière. Pourquoi sommes-nous devenus ce que nous sommes, plutôt que rien? Pourquoi, ayant été bien vivants, ne fûmes-nous pas quelqu’un d’autre!

Ce grand ménage ou si l’on préfère, ce vide-greniers intime, n’épargne rien ni personne. Certains personnages qui nous ont accompagnés, prennent du relief, d’autres à l’inverse qui nous ont bernés, ne résistent pas à l’épreuve du temps alors que nous les avons jadis adulés…Nos affinités électives, nos commerces d’affection, nos déclarations d’amour ou d’amitié, d’apparence si durables, ne sont-ils pas en réalité que les fruits d’un facétieux hasard et d’une nécessité qui nous échappe, fécondés par des rencontres opportunes – voire opportunistes – parmi des myriades d’autres éventualités?

Que restera-il à l’issue de ce lessivage en cours, une fois rejetés tous les catéchismes ou bréviaires, et abandonnées les convenances ?

Il restera sûrement ce qui, fondamentalement, a discrètement orienté notre vision du monde et influé sur nos modes de pensée, tels des invariants « culturels » de structure dont on ne saurait vraiment se défaire. Ceux à l’aune desquels on se reconnaît vivant au milieu des nôtres et qui constituent l’ossature de notre identité!

Quelques lieux relèvent de cette catégorie, en particulier ceux qui nous ont vu naître et qui servirent d’écrins à nos premières émotions ou sensations. Pour ma part, il s’agit d’Angers, du Val de Loire et de l’Anjou, où, pourtant, je n’aurai vécu au total qu’un peu moins d’un quart de mon existence! Mais il faut croire qu’il en est du temps de l’enfance comme d’un sommeil réparateur, celui d’avant minuit compte double!

Il restera des visages d’êtres aimés! Ceux de nos proches et très proches, de celle qui nous a supportés des décennies durant, de nos enfants et petits-enfants, lestés pour le meilleur ou pour le pire, de notre hérédité. Et une petite poignée d’amis qui, se jouant du temps qui passe ou de l’éloignement, sont demeurés fidèles. Il restera aussi probablement le souvenir empoussiéré des malentendus et des incompréhensions qui émaillent douloureusement toutes les relations humaines! Et que seule la mort peut définitivement effacer! D’indicibles et secrètes blessures aussi! Et des souvenirs de périodes heureuses où le monde consentait à nous appartenir!

Enfin, quelques personnages clés surnageront sûrement, hors du cercle étroit de nos proches, sans qu’on sache toujours pour quel motif! Ils auront été épargnés de l’usure du temps et des modes. Ils auront échappé aux multiples aggiornamentos dont notre époque raffole et dont nous fûmes parfois les complices.

Ils seront sortis indemnes des procès anachroniques que les imprécateurs et moralisateurs de toutes observances ne cessent d’instruire à l’encontre du passé et de ceux qui l’ont incarné, au motif qu’ils ne correspondent plus aux codes actuels d’une prétendue modernité.

La plupart de ces rescapés de la mémoire ne furent jamais mes maîtres à penser, ni même des référents ou des médiateurs pour surmonter la difficulté de vivre. Le seul point commun de ces fantômes toujours bien vivants dans mon esprit, est d’être demeuré, là, à mes côtés, tels des balises ouvrant des issues optionnelles à travers le brouillard et les incertitudes d’un présent perpétuellement renouvelé. Ils furent des moments de mon histoire et le ferment qui irriguèrent mon imaginaire! Je présume qu’ils seront certainement là, le jour où le néant m’absorbera…

Dans mon univers ainsi épuré, figure le sculpteur et statuaire angevin Pierre-Jean David d’Angers (1788-1856).

David d’Angers à Rome – 1811

David d’Angers n’est pas le seul occupant de ce panthéon personnel! Il y voisine avec d’autres personnalités remarquables qui pour un motif ou un autre, ont influé, sur ma vie, sans jamais s’y substituer et parfois à contre-emploi de leurs talents. De manière inattendue quelquefois!

On y trouve ainsi indifféremment, cohabitant en bonne intelligence et formant un prestigieux plateau:

Albert Einstein (1979-1955), l’homme de la relativité du temps et de l’espace et le père chagriné de la mécanique quantique,

Emilie de Breteuil (1706-1749), la grande dame de l’énergie cinétique, qui fit baptiser ses enfants dans l’actuelle salle des accords de Grenelle, tout en croyant démontrer que Dieu n’était pas nécessaire à la marche du monde, et Voltaire (1694-1778) son compagnon inconsolable en amour et en philosophie,

Jean Jaurès et Georges Clemenceau, mes références républicaines absolues et, selon moi, indissociables,

Marcel Proust (1871-1922) qui sut décrire si somptueusement le dandysme et inocule le plaisir d’écrire,

Arthur Rimbaud (1854-1891) qui m’a fait admirer l’incompréhensible,

Michel de Montaigne (1533-1592), l’ami du sarladais Etienne de la Boétie (1530-1563), que j’espère n’avoir pas trop déçu ni trahi,

Joachim du Bellay (1522-1560) l’infortuné et torturé poète du petit Liré et l’homme du lycée angevin de filles,

La surprenante et délicieuse Louise de Mecklembourg-Strelitz dite la « Reine Louise de Prusse »(1776-1810) pour sa beauté ravageuse, son destin tragique et sa résistance à Napoléon 1er, ainsi que pour son étonnante faculté, deux siècles après sa disparition à susciter d’irrépressibles passions dans son mausolée du château berlinois de Charlottenbourg,

Le « bon » roi René (1409-1480), évidemment, l’incontournable duc d’Anjou, protecteur des arts et roi des deux Sicile,

Le Jacques Brel de « Je suis un soir d’été », d' »Amsterdam » et de ses putains, Georges Brassens pour toute son oeuvre, Léo Ferré « Avec le Temps » et la chanteuse Barbara pour « Il pleut sur Nantes« , etc.

Sans oublier Marie Curie (1867-1934) dont j’ai percé jadis le secret du cercueil, non plus qu’Ilse Meitner (1878-1968), la géniale théoricienne juive de la physique nucléaire, pillée par les nazis et injustement boudée par le jury Nobel.

Pour ne citer que les plus célèbres!

Tous surent me parler sans s’imposer! Tous, à leur manière, éveillèrent ma sensibilité à l’art, à l’histoire, à la science ou à la politique! Oui mais! Si d’aventure, tous ceux-là, présents dans ma tête après le déballage d’automne, étaient, malgré tout, emportés dans le maelström silencieux de l’oubli! Que resterait-il alors pour distraire mes quelques neurones résiduels dans les derniers instants?

Le ton devient grave et le présage sans doute sombre! N’empêche qu’il préfigure une forme plausible de débâcle finale. On ne peut guère la souhaiter! Mais si tel était le cas, il m’est agréable d’imaginer qu’en dépit de la catastrophe annoncée, David d’Angers émergerait au milieu des débris, comme l’ultime main tendue pour me soutenir et m’accompagner jusqu’au bout du bout!

Mon rapport avec lui ne procède pas en effet des mêmes critères que les autres. Mon attachement à sa personne est consubstantiel à mon identité angevine sans qu’il soit besoin d’invoquer une quelconque adhésion intellectuelle ou esthétique, voire une indéfectible admiration pour son oeuvre – ses « esquisses, ses dessins et ses nombreux chefs d’oeuvre »- si souvent vue ou commentée dans ma jeunesse et qu’on peut toujours contempler dans les musées d’Angers, à l’instar de la galerie qui lui est dédiée depuis 1984 dans les ruines splendidement restaurées de l’ancienne abbaye Toussaint au cœur d’Angers.

On aura compris que ce n’est donc pas par le biais de son talent ou de sa notoriété que David d’Angers est entré dans ma vie, et qu’il sera là jusqu’à mon ultime souffle… Peu importe dans ce contexte que ce sculpteur surdoué ait obtenu à vingt trois ans en 1811 un grand prix de Rome.

Notre première rencontre symbolique est même antérieure à ma naissance. Elle date en fait du 26 septembre 1943, une des périodes les plus noires de l’occupation nazie en Anjou. Ce jour là, l’Inspecteur de l’Enseignement Technique du Maine-et-Loire remettait à de jeunes apprentis leur certificat d’aptitude professionnelle (CAP). Dans le même temps, où ces jeunes ouvriers se voyaient attribuer leurs diplômes toujours libellés – soit-dit au passage – au nom de la République française pourtant supprimée, les plus méritants recevait un souvenir  » éducatif » attestant de l’événement. Ainsi, c’est au cours de cette cérémonie que mon père devint officiellement titulaire d’un CAP d’ajusteur-mécanicien assorti d’une « mention bien » et qu’il se vit offrir, dans la foulée, une reproduction en plâtre d’un médaillon du portrait du poète et dramaturge allemand Goethe (1749-1832), réalisé en 1829 par David d’Angers après un voyage en Allemagne. Mon père conserva précieusement cette copie, sa vie durant. Elle se trouve aujourd’hui en bonne place dans mon bureau…

La question se pose d’ailleurs de savoir si l’Inspecteur d’Académie fit preuve, en ces temps tragiques, de naïveté ou d’audace, en osant délivrer des diplômes mentionnant explicitement la République déchue en présence d’un représentant d’un préfet pétainiste et en honorant un artiste qui, jadis, avait été élu député républicain du Maine-et-Loire et siégeait dans les rangs de la Montagne (Extrême Gauche) dans l’hémicycle de l’éphémère assemblée constituante de 1848!

Goethe par David d’Angers

Cette rencontre « prénatale » avec David d’Angers n’aurait été qu’un épiphénomène sans interférence avec ma propre destinée, si je n’avais effectué en outre mes « Humanités »  (comme on disait jadis), de la classe de sixième classique jusqu’à la Terminale mathématiques élémentaires, au sein du lycée David d’Angers, un établissement créé sous Napoléon mais modernisé par les Républiques successives. Un lycée dont les traditions et la discipline étaient encore fortement marquées avant 1968 par ses origines impériales. Ces années lycéennes, insouciantes et très souvent studieuses, se déroulèrent donc dans l’ombre tutélaire du grand statuaire. Il hantait les lieux en particulier la salle de dessin Abel Ruel.

Les soirs d’été en terrasse du Café de la Mairie, boulevard Foch, on le retrouvait frigorifié, qui nous regardait ou nous enviait du haut de son piédestal de pierre, juste en face de nous, place Lorraine.

Plus tard on se souvint d’un de ses plus fabuleux chefs d’oeuvre, le monument funéraire à la gloire du Général Charles Melchior Artus de Bonchamps (1760-1793) situé dans une chapelle de l’église de Saint-Florent-le-Vieil. Le général en chef de l’armée vendéenne, agonisant, y donne un ultime ordre: épargner la vie des cinq-mille prisonniers républicains détenus par ses troupes… Et parmi eux, le père de l’artiste! Cette scène dramatique dont le ciseau du sculpteur rend compte à la perfection, me touche d’autant plus qu’aux côtés du général, ce funeste jour d’octobre 1793, se tenait un des miens!

Telles sont les raisons, et sûrement bien d’autres à produire, qui justifient, à mes yeux, que David d’Angers ne relève pas, pour moi, de la même catégorie que les autres glorieuses célébrités, ces hommes ou ces femmes, qui m’ont pourtant bercé de leurs génies et dont, malgré tout, j’espère jouir jusqu’au qu’au seuil du tombeau.

Mais lui, David d’Angers sera probablement l’inspirateur ou le metteur en scène de mes dernières images. Il sera le dernier à s’évanouir et à fermer le ban, hors du champ de ma conscience provinciale. Car, il incarne la quintessence de mon histoire et de celle singulière de mes compatriotes angevins!

S’il n’en reste qu’un, ce sera donc David d’Angers!

Mais il se peut aussi qu’à l’instant du grand saut, définitivement orphelin de tout, je me doive dans un sursaut de dignité, d’échapper à l’hypocrite compassion et aux menées sadiques et criminelles d’un médecin coordonnateur d’EHPAD de la lointaine banlieue-sud de Paris… Alors, devenu amnésique de l’essentiel, je m’écrierai, parodiant le regretté Paul Léautaud (1872-1956) peu de temps avant de rendre l’âme:

« Maintenant, foutez-moi la paix! »

Il sera toujours temps dans les jours suivants d’écouter entre amis, de préférence dans un troquet, le « Requiem de Mozart ».

Curés s’abstenir! Ministre des cultes aussi. 

Tombeau de Bonchamps par David d’Angers – St Florent le Vieil.

 

 

 

 

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C’est à la fin du mois de septembre 1914 que Guillaume Apollinaire (1880-1918), alors âgé de trente quatre ans, fit la connaissance à Nice de Louise de Coligny-Chatillon (1881-1963) dite Lou .

A l’époque, le poète qui jouissait d’une certaine notoriété dans les milieux littéraires et artistiques parisiens, a quitté la capitale. Il rongeait son frein sur la Côte d’Azur, où il passa son enfance. En effet, sa demande d’engagement lors de la mobilisation générale d’août 1914, avait été refusée, parce qu’il ne possédait pas encore la nationalité française…

De cette rencontre opportune avec Louise – qu’il n’appellera jamais autrement que  » Lou » – naîtra une folle et brève passion amoureuse. Une passion d’ailleurs non vraiment partagée – ou si furtivement – par la jeune femme, récemment divorcée, qui n’entendait pas conduire sa vie autrement qu’avec la plus grande liberté d’être et selon son gré.

D’emblée, il y avait donc un malentendu sur la nature de leur relation qui, à bien des égards, évoque parfois, mais à rôles quasiment inversés, les « Liaisons dangereuses »  du fascinant roman de Pierre Choderlos de Laclos (1841-1803).

Guillaume et Lou se livrèrent alors – selon le professeur Michel Décaudin (1919-2004) l’exégète patenté d’Apollinaire – à une sorte de « jeu subtil dans lequel elle a l’art de se promettre et de se refuser ». Pour elle, il semble qu’il s’agissait plus d’un marivaudage galant que d’un réel investissement affectif alors que, pour lui, sentimental et romantique à l’excès, cet élan irrésistible mettait sa vie en balance. Cela le conduira en tout cas à écrire presque quotidiennement à « son cher petit Lou » durant tout l’automne 1914 et à lui dédier de nombreux poèmes!

Sa dernière lettre d’amoureux transi est datée du 2 janvier 1915, il y a cent cinq ans … Leur correspondance se poursuivra encore quelque temps, mais de manière administrative et comptable comme les lettres sans affect adressées d’Abyssinie par Arthur Rimbaud à sa famille dans les années 1880. Des lettres sans histoire!

Leur liaison – si tant est qu’elle débuta – prit officiellement fin en mars 1915 après une ultime rencontre, juste avant que Guillaume Apollinaire ne rejoigne le Front. Entre temps, il était en effet parvenu à signer un engagement pour la durée de la guerre et avait été incorporé le 6 décembre 1915 dans le 38ème Régiment d’Infanterie de Nîmes.

Lou et Guillaume se croiseront encore une fois – une seule – en 1916, place de l’Opéra à Paris. Une entrevue « froide » qui laissa sans doute un goût amer au deux protagonistes car les anciens amants avaient l’un et l’autre emprunté d’autres voies dans leur quête du bonheur et contracté d’autres engagements de cœur !

En outre en mars, il avait été blessé à la tempe par un éclat d’obus et il errait affublé d’un bandeau qui lui barrait une partie du visage…

Jamais ensuite ils ne se reverront. Pour cause, Apollinaire décèda à Paris le 9 novembre 1918, victime de la grippe espagnole. Au bilan, Lou lui aura inspiré plus de soixante dix poèmes et plus de deux cent-lettres.

En 1947, fidèle à sa mémoire, elle les fera publier. Une partie de cette correspondance est aujourd’hui éditée en format de poche.

En avant-gout de cette oeuvre, celle d’un poète devenu académique, presque trop d’ailleurs pour échapper au carcan un peu stérilisant du « Lagarde et Michard », je ne retiendrai ici que quelques vers  – Si je mourrais là-bas » – dédiés à Lou. Cette petite « Lou » qui fut non seulement son insaisissable et indomptable muse, mais aussi une intrépide aviatrice en un temps où les femmes n’étaient pas considérées comme majeures, et enfin une féministe avant même que le mot n’existe, qui revendiqua la liberté de ses amours sans s’y laisser emprisonner.

Choisir cette élégie, c’est donc une manière de rendre hommage à Lou, l’inspiratrice du poète.

Rédigé en janvier 1915 alors que leurs destins respectifs basculaient, et avant que son régiment ne monte dans les tranchées de première ligne, ce texte intrinsèquement magnifique a été transfiguré par la mise en musique de Jean Ferrat dans les années soixante:

Si je mourais là-bas…

Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier

Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants

Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté

Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
– Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur –
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

Ô mon unique amour et ma grande folie

Je n’ai pas connu cette Lou-là si tendrement aimée d’Apollinaire…et qui, sans nul doute, le méritait! Je n’ai pas connu cette femme admirable.

Mais j’en connais une autre, toute petite, mignonne, pétillante d’intelligence, rayonnante et téméraire aussi…

Je l’aime comme le grand-père que je suis. Le sien. Et je forme le vœu qu’à l’exemple de son aînée, elle soit d’abord la maîtresse de sa propre destinée, qu’elle soit sa propre égérie et que demain, elle nous surprenne comme elle nous ravit déjà aujourd’hui du haut de son année et demi de vie.

Et ce, pendant longtemps, longtemps, bien après que nous ne serons plus! Après que le poète aura disparu…et le grand-père – qui n’est pas poète – avec!

 

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Fin avril 1919.

Il y avait désormais plus d’un semestre que l’armistice avait été signé dans le wagon-salon du maréchal Foch dans la clairière de Rethondes en forêt de Compiègne et que le clairon eut sonné la fin des hostilités. Depuis, les combats sanglants et les massacres de masse des soldats de la Grande Guerre avaient cessé.

Mais la guerre n’était pas pour autant terminée en ce printemps 1919. Elle ne le sera qu’après la signature des traités de paix entre les belligérants, dont le premier entre l’Allemagne et les alliés, sera paraphé dans la galerie des Glaces du château de Versailles, le 28 juin 1919

En attendant, la plupart des poilus étaient encore sous les drapeaux et dans les jours qui ont suivi le cessez-le-feu, tandis que l’armée allemande se repliait, de nombreux régiments de l’armée française, traversant la Belgique et le Luxembourg s’étaient avancés jusqu’à la frontière allemande. Laquelle fut franchie, non sans émotion et fierté dès la fin de l’année 1918, conformément aux clauses de l’armistice, qui prévoyaient, à titre préventif, l’occupation de la Sarre et de la Rhénanie.

Nombre d’unités de l’armée française furent embarquées dans cette ultime aventure, sans doute moins périlleuse que les affrontements proprement dits, mais non sans risques car les populations autochtones n’accueillaient pas avec enthousiasme ces troupes « ennemies » qui, par leur présence, rendaient tangibles la défaite de l’Allemagne…

C’est ainsi que les régiments dans lesquels servaient mes deux grand-pères se déployèrent sur les deux rives du Rhin, en particulier dans la région de Coblence et en Forêt Noire. Ce fut également le cas du 135 ième régiment d’infanterie d’Angers, celui d’un de mes futurs grand-oncles, le sous-lieutenant Michel Joseph Gallard (1896-1962).

Au premier mai 1919, il était donc en Allemagne et c’est dans ce contexte que Germaine Eugénie Turbelier (1896-1990), sa fiancée et marraine de cœur, lui adressa « au loin, là-bas » une pensée porte-bonheur, agrémentée de la photographie de quelques brins de muguet disposés en bouquet!

Cette belle histoire d’une jeune femme amoureuse, confiant ses tendres espoirs à une boîte à lettres du quartier de la Madeleine à Angers, aurait pu, sans doute, se conclure ici!

Mais la qualité très  « relative » de cette carte et le flou de l’image m’intriguèrent et m’inspirèrent une ébouriffante fable. Comme pré-requis à mon récit, il m’apparaissait en effet recevable de postuler que cette précieuse et charmante correspondance avait dû surmonter mille obstacles avant d’atterrir dans ma messagerie électronique, cent ans après qu’elle fut émise!

Mais quels types d’obstacles au juste?

Se pourrait-il par exemple que le préposé à la poste d’Angers, qui, en avril 1919, releva la boîte à lettres, dans laquelle Germaine avait déposé son courrier, fut ému par la teneur du message? Se peut-il en outre qu’il fut un bricoleur génial, doté d’un savoir faire hors norme en matière de lancement de fusées et doué d’une connaissance encyclopédique de la science physique de son temps? Se peut-il enfin que ce brave homme souhaitant secrètement satisfaire les amoureux ait sciemment accéléré l’envoi de ce message dans des proportions inimaginables que seul un savant d’une audace sans pareille aurait pu concevoir en rêve? Et qu’il soit ainsi parvenu à conférer au courrier, une vitesse d’acheminement dans l’espace, proche de la vitesse de la lumière à quelques millièmes de mètres par seconde près!

Vertigineux.

On peut alors penser que dans ces étranges conditions, propres à donner le tournis aux esprits les plus rationnels, le message ait subi  » naturellement » quelques contraintes et déformations, affectant la qualité et le rendu de la photographie, ceux précisément que l’on observe aujourd’hui. Mais s’il en avait été ainsi, la déconvenue la plus déstabilisante et la plus déroutante voire dérangeante aurait affecté le transporteur lui-même ou son transitaire chargé de suivre les lettres et d’assurer la distribution.

En dépit d’un voyage qui n’aurait pas excédé – selon lui – quelques jours, conformément aux tolérances et aux standards prévus par le règlement des Postes, le malheureux facteur se serait trouvé dans la quasi-impossibilité, une fois revenu sur le plancher des vaches avec sa sacoche de cuir, de trouver l’adresse indiquée et donc de s’y rendre pour transmettre ledit courrier au jeune sous-officier, devenu inconnu d’un bataillon fantôme. Comme si ce lieu mentionné n’existait pas ou plus exactement n’existait plus depuis fort longtemps! Comme si rien ne subsistait d’un passé qu’il pensait si proche – hier, avant-hier ou la semaine dernière – et qui serait devenu si lointain.

Tout se serait passé comme si un siècle s’était écoulé sur cette terre depuis le départ de la lettre pour un voyage que le transporteur aurait évalué à quelques jours à une vitesse avoisinant celle d’un rayon de lumière. Comme si, du fait de cette célérité astronomique, le temps était devenu strecht, autrement dit élastique, glissant sur des mailles déformées d’un espace désormais indéterminé et énigmatique!

Désappointé par les conséquences si troublantes qu’impliquait cette fable, digne d’Alice au pays des Merveilles, je me suis finalement abstenu de la retenir comme une hypothèse crédible pour expliquer les imperfections du cliché !

Je n’imagine pas en effet, que dans l’exercice de son métier, un quidam en uniforme de la Poste – fût-il aussi imaginatif et cultivé que le facteur Cheval ou aussi fantasque que celui de Jacques Tati – ait pu en 1919 et à son corps défendant, se trouver confronté à la réalité paradoxale et relativiste du réglage déconcertant des horloges en mouvement, mise en lumière par Einstein, quatorze ans auparavant, et décrite fictivement par le savant Paul Langevin en 1911…

Je n’imagine pas que quelqu’un puisse se prêter de lui-même à cette expérience existentielle mais -convenons-en – très hasardeuse.

J’ose même avancer que si d’aucun l’avait conçu comme un scénario possible, il n’aurait pas eu les moyens de le réaliser. D’ailleurs, cette objection expérimentale demeure encore d’actualité à l’échelle humaine!

Je me résous donc à admettre que cette carte, adressée par Germaine à Michel Joseph fin avril 1919 a bien été réceptionnée sur les bords du Rhin le 1er mai de cette année-là, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux prodiges de la facétieuse Nature…

En septembre 1919, lorsque Michel Joseph Gallard fut démobilisé, il rapporta le message à la Baumette où il habitait, et le conserva comme l’irremplaçable témoignage de l’amour de sa bien-aimée…

Cent ans plus tard, c’est leur fille cadette – Rose l’Angevine pour ce blog – qui le redécouvrit en classant les archives de ses parents. Elle m’en fit copie sur un scanner en phase probable d’obsolescence, qui très prosaïquement explique peut-être la qualité approximative de la reproduction!

Ce qui est, en revanche, parfaitement avéré, sans qu’il soit nécessaire d’échafauder de rocambolesques mises en scène, c’est que la carte du 1er mai 1919 et ses petites clochettes ont effectivement rempli leur rôle de porte-bonheur, puisque Germaine Turbelier et Michel Gallard se marièrent à Angers le 11 février 1920…

La suite relève de leur intimité.

 

PS: Pour les curieux de science, on peut rappeler en quelques lignes – extraites de Wikipedia – l’expérience de pensée de Paul Langevin, couramment intitulée « le paradoxe des horloges ou paradoxe des jumeaux » :

« Des jumeaux sont nés sur terre. L’un fait un voyage aller-retour dans l’espace en fusée à une vitesse proche de celle de la lumière.

D’après le phénomène de dilatation des durées de la relativité restreinte, pour celui qui est resté sur terre la durée du voyage est plus grande que pour celui qui est parti dans l’espace.

Pour chaque jumeau, le temps s’écoule normalement à sa propre horloge, et aucune expérience locale ne permet au jumeau voyageur de déterminer qu’il est en mouvement pendant l’aller ou le retour. Mais quand ce dernier rejoint le jumeau terrestre, il s’aperçoit qu’il a mesuré au total moins de secondes et il rentre donc plus jeune que son jumeau resté sur terre ».

Aussi étrange que cela puisse paraître, l’expérience a été faite à maintes reprises dans des accélérateurs de particules et la dilatation ou le ralentissement des temps ont pu être observés.

 

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Rose l’Angevine, quasi-coauteure de ce blog; en tout cas, une de ses principales inspiratrices et correspondantes, et la plus fidèle de ses lectrices, doublée d’une généalogiste érudite de la famille, vient de m’adresser deux cartes de vœux échangées par ces parents en 1917.

  • Lui était sous officier en guerre sur le front français; il s’appelait Michel Joseph Gallard (1896-1962). 
  • Elle travaillait au Crédit Lyonnais à Angers et s’appelait  Germaine Eugénie Turbelier (1896-1990). 

Elle était une des premières angevines à exercer un métier de bureau dans une banque. C’était aussi une des sœurs de mon grand-père maternel.

Ils s’aimaient…

Pour clore cette année 2018, celle du centième anniversaire de l’armistice de la Grande Guerre, et aborder la suivante, quoi de plus approprié que de reproduire ici, ces deux émouvants témoignages de vie et de tendresse! Et d’espoir aussi, au-delà des vicissitudes d’une actualité souvent préoccupante, voire oppressante. Leurs serments demeureront toutefois du domaine de leur intimité…

Ces deux êtres misaient sur leur amour pour s’isoler du fracas assourdissant des armes et triompher de la mort omniprésente.  Ils eurent la chance d’y parvenir. Ils se marièrent et eurent trois enfants…

…dont une petite dernière, Marie-Thérèse, dite Rose!

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Cent ans après, qu’ajouter sur ce lundi mémorable de l’armistice, aux dizaines de milliers de pages consacrées depuis un siècle à ce qui fut l’épilogue du premier massacre de masse des temps modernes, celui suicidaire et absurde de la jeunesse européenne, et de proche en proche de celle du monde?

La relation des faits est aujourd’hui connue de tous, depuis la signature de l’armistice dans la clairière de Rethondes dans la forêt de Compiègne aux clairons sonnant la fin des combats sur les lignes de front, jusqu’à l’enthousiasme délirant de la foule parisienne acclamant Clemenceau et Foch et prenant d’assaut – le dernier assaut – la cour de Bourgogne au Palais Bourbon!

Inutile d’y revenir! Les parades protocolaires des chefs d’Etat sous les caméras des commentateurs parachèvent désormais la légende tandis que des historiens de circonstance et des experts militaires, accrédités y apportent les compléments qui s’imposent, c’est-à-dire les développements hasardeux requis pour combler nos modernes sensibilités…

L’heure n’est cependant pas (plus) à la polémique sur la sincérité de ces manifestations grandiloquentes auxquelles par la force du temps qui passe, aucun poilu n’est plus présent, sauf par procuration au travers de sa descendance, qui, si elle en a encore le loisir assistera, modestement aux cérémonies plus intimes des villages ou des villes.

Pour tous les autres, ceux gagnés par le grand âge qui conservent la photographie de leur père, grand-père, grand-oncle ou cousin en uniforme bleu-horizon d’un régiment d’infanterie, posée sur le buffet de leur salle à manger, sur le rebord de leur cheminée ou dans un tiroir de la commode standardisée de leur chambre d’EHPAD, le spectacle « mémoriel » sera télévisuel.

C’est sur le petit écran, leur principal compagnon de solitude, qu’ils et -majoritairement – elles regarderont les commémorations à l’Arc de Triomphe… Pour une fois, ils rateront la messe dominicale pour la bonne cause du souvenir des leurs …

Pour ma part, écolier des années cinquante et lycéen des années soixante, me reviennent à l’esprit, en ce jour historique, mes quelques – et trop rares – discussions avec les poilus survivants.

Mais surtout, me reste imprimé au tréfonds de la mémoire, en concurrence avec des tables de multiplication ou la première déclinaison latine, « rosa, rosa, rosam » (chantée ultérieurement par Jacques Brel),  la fameuse « tiare byzantine » que nous commentaient jadis nos profs d’histoire et de géographie.

Tiare byzantine du cours de géo

Elle montrait le déficit des naissances dans les années vingt et trente, après l’épouvantable saignée de 14-18, opérée sur la jeunesse mâle du pays, en âge de procréer!

René-Gustave Nobécourt (1897-1989), un historien, lui même ancien combattant de la Grande Guerre, qui avait repris des calculs attribués à Roland Dorgelès, avait publié dans les années soixante « qu’il eût fallu onze journées et onze nuits sans interruption pour que défilassent tous les morts de l’armée française ».

Pour symboliser ce jour sans prolonger mon discours, j’ai longtemps hésité à recourir à des illustrations d’époque, brocantées dans des numéros chinés du Miroir de 1918, sans toutefois me décider à choisir entre la liesse parisienne et les images officielles, faussement œcuméniques des acteurs, maréchaux, généraux, soldats ou hommes politiques du moment se congratulant en grand uniforme ou en « habits du dimanche ». Quelles que soient les époques, les « élites » passent une grande partie de leur temps à guincher ensemble au frais de ceux qu’elles envoient se faire tuer pour leur compte.

J’ai finalement opté, pour une oeuvre acrylique d’une artiste biterroise, récemment découverte, qui, par le biais de l’abstraction et de ses fondus colorés s’entremêlant en de multiples volutes, bleues, ocres et jaunes, exprime la renaissance d’une Nation vouée jusqu’alors au seul uniforme bleu horizon… La fusion suggérée des bulles métissées en mouvement, préfigure les multiples et insondables perspectives d’un avenir à construire sur des tas de ruines…Tout paraissait possible, de l’espoir le plus fou à la pire des tragédies! C’est ce que Clemenceau, le père « La Victoire » pressentait lorsqu’il redoutait que la paix fût plus malaisée à gagner que la guerre! Deux décennies plus tard on remettait effectivement le couvert des armes.

Si d’aventure, cette artiste lisait ce billet, qu’elle me pardonne pour cet emprunt non consenti, et pour l’intitulé que j’ai pris la liberté d’attribuer à son tableau qu’elle n’avait pas – me semble t-il – baptisé:

Si j’étais qu’elle, je l’appellerais volontiers: « Lumière automnale sur bleus d’horizons divers »

Acrylique de RB

 

 

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