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C’est à la fin du mois de septembre 1914 que Guillaume Apollinaire (1880-1918), alors âgé de trente quatre ans, fit la connaissance à Nice de Louise de Coligny-Chatillon (1881-1963) dite Lou .

A l’époque, le poète qui jouissait d’une certaine notoriété dans les milieux littéraires et artistiques parisiens, a quitté la capitale. Il rongeait son frein sur la Côte d’Azur, où il passa son enfance. En effet, sa demande d’engagement lors de la mobilisation générale d’août 1914, avait été refusée, parce qu’il ne possédait pas encore la nationalité française…

De cette rencontre opportune avec Louise – qu’il n’appellera jamais autrement que  » Lou » – naîtra une folle et brève passion amoureuse. Une passion d’ailleurs non vraiment partagée – ou si furtivement – par la jeune femme, récemment divorcée, qui n’entendait pas conduire sa vie autrement qu’avec la plus grande liberté d’être et selon son gré.

D’emblée, il y avait donc un malentendu sur la nature de leur relation qui, à bien des égards, évoque parfois, mais à rôles quasiment inversés, les « Liaisons dangereuses »  du fascinant roman de Pierre Choderlos de Laclos (1841-1803).

Guillaume et Lou se livrèrent alors – selon le professeur Michel Décaudin (1919-2004) l’exégète patenté d’Apollinaire – à une sorte de « jeu subtil dans lequel elle a l’art de se promettre et de se refuser ». Pour elle, il semble qu’il s’agissait plus d’un marivaudage galant que d’un réel investissement affectif alors que, pour lui, sentimental et romantique à l’excès, cet élan irrésistible mettait sa vie en balance. Cela le conduira en tout cas à écrire presque quotidiennement à « son cher petit Lou » durant tout l’automne 1914 et à lui dédier de nombreux poèmes!

Sa dernière lettre d’amoureux transi est datée du 2 janvier 1915, il y a cent cinq ans … Leur correspondance se poursuivra encore quelque temps, mais de manière administrative et comptable comme les lettres sans affect adressées d’Abyssinie par Arthur Rimbaud à sa famille dans les années 1880. Des lettres sans histoire!

Leur liaison – si tant est qu’elle débuta – prit officiellement fin en mars 1915 après une ultime rencontre, juste avant que Guillaume Apollinaire ne rejoigne le Front. Entre temps, il était en effet parvenu à signer un engagement pour la durée de la guerre et avait été incorporé le 6 décembre 1915 dans le 38ème Régiment d’Infanterie de Nîmes.

Lou et Guillaume se croiseront encore une fois – une seule – en 1916, place de l’Opéra à Paris. Une entrevue « froide » qui laissa sans doute un goût amer au deux protagonistes car les anciens amants avaient l’un et l’autre emprunté d’autres voies dans leur quête du bonheur et contracté d’autres engagements de cœur !

En outre en mars, il avait été blessé à la tempe par un éclat d’obus et il errait affublé d’un bandeau qui lui barrait une partie du visage…

Jamais ensuite ils ne se reverront. Pour cause, Apollinaire décèda à Paris le 9 novembre 1918, victime de la grippe espagnole. Au bilan, Lou lui aura inspiré plus de soixante dix poèmes et plus de deux cent-lettres.

En 1947, fidèle à sa mémoire, elle les fera publier. Une partie de cette correspondance est aujourd’hui éditée en format de poche.

En avant-gout de cette oeuvre, celle d’un poète devenu académique, presque trop d’ailleurs pour échapper au carcan un peu stérilisant du « Lagarde et Michard », je ne retiendrai ici que quelques vers  – Si je mourrais là-bas » – dédiés à Lou. Cette petite « Lou » qui fut non seulement son insaisissable et indomptable muse, mais aussi une intrépide aviatrice en un temps où les femmes n’étaient pas considérées comme majeures, et enfin une féministe avant même que le mot n’existe, qui revendiqua la liberté de ses amours sans s’y laisser emprisonner.

Choisir cette élégie, c’est donc une manière de rendre hommage à Lou, l’inspiratrice du poète.

Rédigé en janvier 1915 alors que leurs destins respectifs basculaient, et avant que son régiment ne monte dans les tranchées de première ligne, ce texte intrinsèquement magnifique a été transfiguré par la mise en musique de Jean Ferrat dans les années soixante:

Si je mourais là-bas…

Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier

Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants

Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté

Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
– Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur –
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

Ô mon unique amour et ma grande folie

Je n’ai pas connu cette Lou-là si tendrement aimée d’Apollinaire…et qui, sans nul doute, le méritait! Je n’ai pas connu cette femme admirable.

Mais j’en connais une autre, toute petite, mignonne, pétillante d’intelligence, rayonnante et téméraire aussi…

Je l’aime comme le grand-père que je suis. Le sien. Et je forme le vœu qu’à l’exemple de son aînée, elle soit d’abord la maîtresse de sa propre destinée, qu’elle soit sa propre égérie et que demain, elle nous surprenne comme elle nous ravit déjà aujourd’hui du haut de son année et demi de vie.

Et ce, pendant longtemps, longtemps, bien après que nous ne serons plus! Après que le poète aura disparu…et le grand-père – qui n’est pas poète – avec!

 

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Fin avril 1919.

Il y avait désormais plus d’un semestre que l’armistice avait été signé dans le wagon-salon du maréchal Foch dans la clairière de Rethondes en forêt de Compiègne et que le clairon eut sonné la fin des hostilités. Depuis, les combats sanglants et les massacres de masse des soldats de la Grande Guerre avaient cessé.

Mais la guerre n’était pas pour autant terminée en ce printemps 1919. Elle ne le sera qu’après la signature des traités de paix entre les belligérants, dont le premier entre l’Allemagne et les alliés, sera paraphé dans la galerie des Glaces du château de Versailles, le 28 juin 1919

En attendant, la plupart des poilus étaient encore sous les drapeaux et dans les jours qui ont suivi le cessez-le-feu, tandis que l’armée allemande se repliait, de nombreux régiments de l’armée française, traversant la Belgique et le Luxembourg s’étaient avancés jusqu’à la frontière allemande. Laquelle fut franchie, non sans émotion et fierté dès la fin de l’année 1918, conformément aux clauses de l’armistice, qui prévoyaient, à titre préventif, l’occupation de la Sarre et de la Rhénanie.

Nombre d’unités de l’armée française furent embarquées dans cette ultime aventure, sans doute moins périlleuse que les affrontements proprement dits, mais non sans risques car les populations autochtones n’accueillaient pas avec enthousiasme ces troupes « ennemies » qui, par leur présence, rendaient tangibles la défaite de l’Allemagne…

C’est ainsi que les régiments dans lesquels servaient mes deux grand-pères se déployèrent sur les deux rives du Rhin, en particulier dans la région de Coblence et en Forêt Noire. Ce fut également le cas du 135 ième régiment d’infanterie d’Angers, celui d’un de mes futurs grand-oncles, le sous-lieutenant Michel Joseph Gallard (1896-1962).

Au premier mai 1919, il était donc en Allemagne et c’est dans ce contexte que Germaine Eugénie Turbelier (1896-1990), sa fiancée et marraine de cœur, lui adressa « au loin, là-bas » une pensée porte-bonheur, agrémentée de la photographie de quelques brins de muguet disposés en bouquet!

Cette belle histoire d’une jeune femme amoureuse, confiant ses tendres espoirs à une boîte à lettres du quartier de la Madeleine à Angers, aurait pu, sans doute, se conclure ici!

Mais la qualité très  « relative » de cette carte et le flou de l’image m’intriguèrent et m’inspirèrent une ébouriffante fable. Comme pré-requis à mon récit, il m’apparaissait en effet recevable de postuler que cette précieuse et charmante correspondance avait dû surmonter mille obstacles avant d’atterrir dans ma messagerie électronique, cent ans après qu’elle fut émise!

Mais quels types d’obstacles au juste?

Se pourrait-il par exemple que le préposé à la poste d’Angers, qui, en avril 1919, releva la boîte à lettres, dans laquelle Germaine avait déposé son courrier, fut ému par la teneur du message? Se peut-il en outre qu’il fut un bricoleur génial, doté d’un savoir faire hors norme en matière de lancement de fusées et doué d’une connaissance encyclopédique de la science physique de son temps? Se peut-il enfin que ce brave homme souhaitant secrètement satisfaire les amoureux ait sciemment accéléré l’envoi de ce message dans des proportions inimaginables que seul un savant d’une audace sans pareille aurait pu concevoir en rêve? Et qu’il soit ainsi parvenu à conférer au courrier, une vitesse d’acheminement dans l’espace, proche de la vitesse de la lumière à quelques millièmes de mètres par seconde près!

Vertigineux.

On peut alors penser que dans ces étranges conditions, propres à donner le tournis aux esprits les plus rationnels, le message ait subi  » naturellement » quelques contraintes et déformations, affectant la qualité et le rendu de la photographie, ceux précisément que l’on observe aujourd’hui. Mais s’il en avait été ainsi, la déconvenue la plus déstabilisante et la plus déroutante voire dérangeante aurait affecté le transporteur lui-même ou son transitaire chargé de suivre les lettres et d’assurer la distribution.

En dépit d’un voyage qui n’aurait pas excédé – selon lui – quelques jours, conformément aux tolérances et aux standards prévus par le règlement des Postes, le malheureux facteur se serait trouvé dans la quasi-impossibilité, une fois revenu sur le plancher des vaches avec sa sacoche de cuir, de trouver l’adresse indiquée et donc de s’y rendre pour transmettre ledit courrier au jeune sous-officier, devenu inconnu d’un bataillon fantôme. Comme si ce lieu mentionné n’existait pas ou plus exactement n’existait plus depuis fort longtemps! Comme si rien ne subsistait d’un passé qu’il pensait si proche – hier, avant-hier ou la semaine dernière – et qui serait devenu si lointain.

Tout se serait passé comme si un siècle s’était écoulé sur cette terre depuis le départ de la lettre pour un voyage que le transporteur aurait évalué à quelques jours à une vitesse avoisinant celle d’un rayon de lumière. Comme si, du fait de cette célérité astronomique, le temps était devenu strecht, autrement dit élastique, glissant sur des mailles déformées d’un espace désormais indéterminé et énigmatique!

Désappointé par les conséquences si troublantes qu’impliquait cette fable, digne d’Alice au pays des Merveilles, je me suis finalement abstenu de la retenir comme une hypothèse crédible pour expliquer les imperfections du cliché !

Je n’imagine pas en effet, que dans l’exercice de son métier, un quidam en uniforme de la Poste – fût-il aussi imaginatif et cultivé que le facteur Cheval ou aussi fantasque que celui de Jacques Tati – ait pu en 1919 et à son corps défendant, se trouver confronté à la réalité paradoxale et relativiste du réglage déconcertant des horloges en mouvement, mise en lumière par Einstein, quatorze ans auparavant, et décrite fictivement par le savant Paul Langevin en 1911…

Je n’imagine pas que quelqu’un puisse se prêter de lui-même à cette expérience existentielle mais -convenons-en – très hasardeuse.

J’ose même avancer que si d’aucun l’avait conçu comme un scénario possible, il n’aurait pas eu les moyens de le réaliser. D’ailleurs, cette objection expérimentale demeure encore d’actualité à l’échelle humaine!

Je me résous donc à admettre que cette carte, adressée par Germaine à Michel Joseph fin avril 1919 a bien été réceptionnée sur les bords du Rhin le 1er mai de cette année-là, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux prodiges de la facétieuse Nature…

En septembre 1919, lorsque Michel Joseph Gallard fut démobilisé, il rapporta le message à la Baumette où il habitait, et le conserva comme l’irremplaçable témoignage de l’amour de sa bien-aimée…

Cent ans plus tard, c’est leur fille cadette – Rose l’Angevine pour ce blog – qui le redécouvrit en classant les archives de ses parents. Elle m’en fit copie sur un scanner en phase probable d’obsolescence, qui très prosaïquement explique peut-être la qualité approximative de la reproduction!

Ce qui est, en revanche, parfaitement avéré, sans qu’il soit nécessaire d’échafauder de rocambolesques mises en scène, c’est que la carte du 1er mai 1919 et ses petites clochettes ont effectivement rempli leur rôle de porte-bonheur, puisque Germaine Turbelier et Michel Gallard se marièrent à Angers le 11 février 1920…

La suite relève de leur intimité.

 

PS: Pour les curieux de science, on peut rappeler en quelques lignes – extraites de Wikipedia – l’expérience de pensée de Paul Langevin, couramment intitulée « le paradoxe des horloges ou paradoxe des jumeaux » :

« Des jumeaux sont nés sur terre. L’un fait un voyage aller-retour dans l’espace en fusée à une vitesse proche de celle de la lumière.

D’après le phénomène de dilatation des durées de la relativité restreinte, pour celui qui est resté sur terre la durée du voyage est plus grande que pour celui qui est parti dans l’espace.

Pour chaque jumeau, le temps s’écoule normalement à sa propre horloge, et aucune expérience locale ne permet au jumeau voyageur de déterminer qu’il est en mouvement pendant l’aller ou le retour. Mais quand ce dernier rejoint le jumeau terrestre, il s’aperçoit qu’il a mesuré au total moins de secondes et il rentre donc plus jeune que son jumeau resté sur terre ».

Aussi étrange que cela puisse paraître, l’expérience a été faite à maintes reprises dans des accélérateurs de particules et la dilatation ou le ralentissement des temps ont pu être observés.

 

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Rose l’Angevine, quasi-coauteure de ce blog; en tout cas, une de ses principales inspiratrices et correspondantes, et la plus fidèle de ses lectrices, doublée d’une généalogiste érudite de la famille, vient de m’adresser deux cartes de vœux échangées par ces parents en 1917.

  • Lui était sous officier en guerre sur le front français; il s’appelait Michel Joseph Gallard (1896-1962). 
  • Elle travaillait au Crédit Lyonnais à Angers et s’appelait  Germaine Eugénie Turbelier (1896-1990). 

Elle était une des premières angevines à exercer un métier de bureau dans une banque. C’était aussi une des sœurs de mon grand-père maternel.

Ils s’aimaient…

Pour clore cette année 2018, celle du centième anniversaire de l’armistice de la Grande Guerre, et aborder la suivante, quoi de plus approprié que de reproduire ici, ces deux émouvants témoignages de vie et de tendresse! Et d’espoir aussi, au-delà des vicissitudes d’une actualité souvent préoccupante, voire oppressante. Leurs serments demeureront toutefois du domaine de leur intimité…

Ces deux êtres misaient sur leur amour pour s’isoler du fracas assourdissant des armes et triompher de la mort omniprésente.  Ils eurent la chance d’y parvenir. Ils se marièrent et eurent trois enfants…

…dont une petite dernière, Marie-Thérèse, dite Rose!

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En hommage à tous les soldats de 14-18, avec lesquels, au travers de ce blog,  j’ai laborieusement, parfois douloureusement, cheminé sur tous les Fronts de la Grande Guerre, de la Marne aux Flandres, des plateaux de l’Argonne à Verdun, de la Lorraine à la Picardie, de la Somme aux Dardanelles… 

Dans quelques jours, on célébrera le centième anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918 qui mit fin aux affrontements de la Grande Guerre. Tout naturellement c’est le Président le République Française qui inaugurera les commémorations et qui mettra fin au cycle de cérémonies mémorielles engagées, il y a quatre ans, sur les lieux mêmes où périrent des millions de jeunes gens à l’aube de leur vie.

Emmanuel Macron est le premier des chefs d’Etats français depuis la première guerre mondiale, à n’avoir pratiquement pas connu ces légendaires « poilus » en uniforme bleu « horizon » qui revinrent du front, après des années d’horreur absolue, le cerveau imprégné de la boue des tranchées et du sang de leurs camarades morts!

Dans sa prime enfance, Emmanuel Macron a, au mieux, entrevu quelques vieillards survivants de ces mythiques classes d’âge qui partirent presque huit millions de tous les villages et villes de France entre 1914 et 1918, pour en découdre avec les soldats de l’empereur Guillaume II… « Les boches » comme ils disaient et comme je les ai entendu dire, avant qu’ils ne disparaissent à leur tour !

L’actuel Président de la République appartient à la génération des arrière petits-enfants de ces combattants français dont près d’un million et demi firent le sacrifice de leur vie et quatre millions trois cent mille furent blessés ou mutilés…  N’ayant pu vraiment côtoyer ces hommes dont le destin fut à jamais brisé, il porte nécessairement sur cette tragédie un autre regard que le nôtre, celui de la génération vieillissante des petits-enfants des héros. Il n’a pas pu entendre les témoignages directs des proches de ces soldats, de leurs femmes, de leurs enfants… et de tous les contemporains de ce conflit, survivants et survivantes, qui subirent, à un titre ou à un autre, les conséquences familiales, psychologiques et affectives de cette guerre délirante d’extermination massive des hommes sur les champs de bataille…

Son regard est donc forcément calqué sur celui de l’historien qui sait qu’ ayant endeuillé la plupart des familles de France, elle a, en outre, servi de prélude sanglant à toutes les autres horreurs du vingtième siècle…On n’a pas su éviter la guerre en juillet 1914 et on n’a pas su – non plus – gérer la victoire pour se prémunir d’un nouveau conflit aussi horrible, deux décennies plus tard!

Alors que la période du deuil des familles – celle du vrai deuil où l’on persiste à rechercher l’absent là où il ne peut plus être, celle où on continue de s’adresser à lui en rêve – est terminée depuis longtemps, il ne saurait être question de faire grief de son âge à notre Président, ni d’exiger de lui d’autre forme d’empathie que celle, officielle, que nécessite le rappel patriotique de cette catastrophe collective et désormais emblématique d’un siècle qui a connu le pire…Les veuves en voilettes de dentelle noire ou les « Gueules cassées » rescapés du massacre, poussés dans leurs chaises roulantes par leurs frères d’armes, eux-mêmes estropiés, n’assistent plus depuis des décennies aux levers de couleurs ou « aux sonneries aux morts ». Tous devenus fantômes, ils appartiennent désormais à la légende. Les larmes du souvenir authentique se sont doucement asséchées.

Pour autant, cet exercice présidentiel de mémoire républicaine n’a rien de dérisoire et demeure nécessaire, parce qu’il est du devoir d’une Nation, par respect pour ceux qu’elle a envoyés à l’abattage, de rappeler que l’armistice fut d’abord leur victoire, celle des armées françaises et alliées, sur un ennemi commun qui, depuis quatre ans, avait envahi et pillé des régions entières de notre pays… Oui, il faut rappeler – au nom du devoir d’histoire (non de mémoire) – qu’avant de devenir un prétexte œcuménique à l’amitié entre les belligérants de jadis, l’armistice sanctionne une défaite militaire d’un ennemi et donc une victoire française, qui n’a été acquise qu’au prix du sacrifice, du courage et de l’opiniâtreté de millions d’êtres humains. Peu importe, à cet instant, que ce succès des armes fut juste ou injuste, ou considéré comme tel avec notre sensibilité actuelle: c’est juste un fait que n’aurait pas démenti « le Père La Victoire »!

Mais au delà de cette reconnaissance factuelle, cette commémoration officielle s’impose parce que les stigmates des blessures et du sacrifice de ces soldats relèvent de l’héritage moral et civilisationnel qu’ils nous ont légué. Il se transmet de générations en générations sous la forme inattendue mais bien réelle d’une sorte de « certificat  » d’appartenance à une Nation républicaine, en l’occurrence la communauté française.

D’ailleurs, c’est probablement cette attestation symbolique d’authenticité identitaire par le sang versé, que recherchent et revendiquent les populations émigrées des anciennes colonies françaises, lorsqu’elles insistent sur le rôle des troupes de l’Armée d’Afrique dans cette guerre atroce, en particulier celui tenu par les célèbres « tirailleurs sénégalais »…

Cette mémoire militante se réfère à une écriture – réécriture – d’une histoire parfois trop sollicitée pour les besoins de la cause. Mais l’important n’est pas là! Cette requête puise sa légitimité dans le souci de rendre justice à ces combattants trop ignorés du bout du monde qu’on a contraint à prendre les armes pour la France. Elle exprime également une volonté réaffirmée de montrer que les soldats d’outre-mer, exposés aux mêmes dangers que leurs camarades métropolitains ( pas plus d’ailleurs) se sont comportés au combat avec le même courage. A ce titre, ils sont inconditionnellement français. Ils sont des nôtres!

Cet exemple parmi d’autres a le mérite de montrer que la Première guerre mondiale suscite encore débat – sinon controverse – au sein de la Nation française et qu’elle continue d’être invoquée comme recours historique pour surmonter certaines difficultés contemporaines d’intégration à la Nation française, de populations venues d’Afrique noire et du Maghreb, dont les aïeux « morts pour la patrie » reposent dans les nécropoles nationales aux côtés des soldats de métropole.

L’hommage officiel de la République est donc à la fois utile et indispensable, un siècle après que le clairon de l’armistice eut parcouru les premières lignes du Front pour annoncer le cessez-le feu à onze heures, ce 11 novembre 1918.

On n’en a donc pas tout-à-fait fini avec la première guerre mondiale. Et ce, d’autant moins que nombre de conflits meurtriers actuels ou de situations menaçantes de guerres régionales dans les Balkans, en Europe centrale, au Moyen Orient ou dans l’Afrique subsaharienne trouvent leurs origines lointaines dans les conclusions bâclées des traités de paix de 1920… Lesquels « inventèrent » une maladroite et humiliante répartition du monde entre les vainqueurs…Nombre de troubles et de désordres de nos sociétés post-coloniales ont pour source, la reconfiguration arbitraire des différents impérialismes d’après-guerre…La victoire était là mais la paix fut ratée!

La première génération d’après guerre, celle des enfants des poilus est aujourd’hui en cours d’extinction, et à quelques exception près, ne s’exprime plus guère. Serait-elle d’ailleurs encore audible aujourd’hui?

Pour les petits enfants dont je suis, la perception de cette guerre, à la fois lointaine et omniprésente dans notre inconscient collectif, oscille entre l’objectivité historique de ceux qui connaissent la suite, et une composante plus subjective, née de la fréquentation dans les années cinquante, soixante et soixante-dix du siècle dernier, d’anciens combattants de la Grande Guerre…

Leur présence comptait encore dans la vie sociale et familiale des gamins que nous étions alors…

Mon premier instituteur, Ernest Cragné était un ancien de 14-18. Et il ne ratait jamais une occasion de nous conter sans nous épargner les détails scabreux, les offensives ou les assauts « baïonnettes au poing », auxquels il avait été associé…

Dans le cinéma du patronage paroissial où nous nous rendions les jeudis après-midi, les « moniteurs » qui ne sachant comment nous occuper les jours d’automnes pluvieux ou d’hivers enneigés qui interdisaient le foot, piochaient dans leurs réserves de films de propagande réalisés par le service cinématographique de l’armée entre 1914 et 1918.

La magie opérait dès qu’on entendait le son un peu nasillard, caractéristique du moteur du vieux projecteur!

Défilaient alors sous nos yeux de gamins grelottant de froid plus que d’effroi, des rushes muets et saccadés de soldats rigolards emmitouflés dans leurs capotes, qui jouaient à la belote ou à la manille dans les tranchées, ou qui sculptaient et ciselaient des douilles d’obus en rêvant à leur bien-aimée censée les attendre au pays. Dans ces fictions trompeuses , filmées sur gélatine, la peur et l’angoisse de la mort de chaque soldat étaient délibérément masquées, car ces réalisations étaient destinées avant tout à soutenir le moral de l’arrière…

Faisant l’impasse sur la férocité et la sauvagerie des combats, ou sur la cruauté aveugle des pilonnages d’artillerie, ces images nous laissaient perplexes, car elle contredisaient les récits du « père Cragné  » qui s’évertuait à glorifier l’héroïsme de ses copains disparus sans trop lésiner sur la description cauchemardesque du décor!

De leur côté, les poilus » de la famille s’exprimaient peu sur cette guerre, au cours de laquelle ils avaient flirté avec l’enfer. Cette réserve leur avait été initialement imposée par la hiérarchie militaire pour ne pas trahir de secrets militaires sur les opérations en cours… Ainsi, leur courriers de guerre étaient (presque) muets sur le drame qu’ils vivaient. Au mieux, ils étaient allusifs. De même ils s’abstenaient de commentaires trop précis et circonstanciés lorsqu’on leur accordait de rares permissions.

Ce mutisme s’était transformé en une seconde nature après guerre!

La vérité, c’est qu’ils ne parvinrent probablement jamais à évacuer les secrètes fêlures que cette guerre leur avait infligées. Notre maître d’école faisait figure d’exception, car il estimait sans doute que les futurs citoyens patriotes que nous étions, devaient tout savoir des malheurs de la guerre. Et que cet objectif nécessitait d’user d’une pédagogie sans détour pour nous plonger dans cette histoire.

Si « nos «  soldats s’étaient résignés à se taire, c’est qu’ils pensaient que l’indicible ne pouvait être compris que de ceux qui avaient été confrontés avec eux à la monstruosité des affrontements! Que de ceux qui avaient éprouvé la même épouvante d’embrocher un autre soldat – fût-ce un adversaire! Que de ceux qui, comme eux, furent contraints de tuer pour survivre…

Certes, ils avaient été mobilisés pour anéantir un ennemi et ils l’ont fait sans faillir pour la plupart, mais sans s’en vanter.

Ce qu’ils découvrirent « en prime », c’est que l’ennemi avait un visage! Et qu’il leur ressemblait comme un frère!

Ils savaient donc qu’en les forçant à commettre l’irrémédiable, on leur avait fait perdre une part de leur humanité… Ni les décorations qu’ils reçurent ultérieurement, ni les honneurs qu’on leur prodigua, ni l’excuse du devoir accompli n’apparaissaient suffisantes pour les dédouaner, à leurs propres yeux, d’une sorte de résiliente culpabilité.

Cette guerre leur avait confisqué la jeunesse, l’ingénuité et la joie de vivre. Elle leur avait appris à cacher l’indicible pour ne pas traumatiser ceux qu’ils aimaient, mais, du coup, des années après la fin du massacre, ils demeurèrent hantés par les atrocités dont ils avaient été les témoins et les acteurs.

Seuls, face à un mal-être, dont rien ni personne n’étaient en mesure de les débarrasser, ils faisaient semblant de vivre comme tout le monde. Pour autant, l’image obsédante de la guerre les poursuivit jusqu’à leur mort. Jamais, ils ne parvinrent à oublier que « cette putain de guerre » leur avait enlevé des amis d’école, d’atelier ou de bureau et qu’ils avaient assisté impuissants à l’agonie de leurs potes hagards déchiquetés sous leurs yeux, tenant leurs tripes dans leurs mains et appelant le secours de leurs mères…Jamais ils n’oublièrent l’odeur des cadavres en décomposition ni les hurlement de désespoir de ceux tombés entre les lignes, impossibles à évacuer sous la mitraille.

Parfois c’est leur frère qui disparaissait, englouti dans un trou d’obus, percuté par un éclat ou fusillé à bout portant par une mitrailleuse ennemie… Outre la douleur de perdre à jamais leur plus proche de leurs compagnons d’enfance et parmi les plus chers, ils vécurent par la suite l’humiliation de n’être que des remplaçants, peu ou prou accusés d’avoir survécu -eux – à l’apocalypse… Ils furent alors condamnés à endurer le statut du succédané falot d’un héros trépassé, paré pour l’éternité de toutes les vertus et qui devint leur éternel et implacable rival posthume!

Aujourd’hui, on découvre parfois, des années après leur propre disparition, leurs carnets intimes où ils relatent abruptement leurs souffrances, leur expérience existentielle de la guerre et leur détestation de ce monde qui, du jour où ils furent mobilisés dans les armées de la République, les a définitivement exclus des vivants ordinaires!

Photo Le Miroir 1918

 

L’armistice du 11 novembre 1918 ne les a pas libérés…

Depuis octobre 1918, mes deux grands-pères se battaient en Lorraine, engagés dans la dernière grande offensive des alliés aux côtés des troupes américaines…Le 11 novembre, l’un était à Saint-Pierre-sur-Vence dans les Ardennes, l’autre en Meuthe-et-Moselle! Tous les deux au contact des premières lignes « boches »!

Les jours suivants, ils remontèrent avec leurs régiments respectifs, vers la Belgique, puis le Luxembourg et enfin l’Allemagne, en décembre 1918. L’un et l’autre participèrent en application des accords d’armistice à l’occupation du Palatinat et de la Rhénanie…

L’un et l’autre furent démobilisés dans le courant de l’année 1919….et rejoignirent l’Anjou!

La plupart des soldats angevins « bleus d’ardoise », survivants de la guerre retrouvèrent leur famille à cette époque…

Bleus d’ardoise !

Avant guerre, ils n’avaient guère voyagé au-delà du Val de Loire, de ses coteaux viticoles et du haut Anjou. Ils ne connaissaient pas le « bleu horizon » de l’océan mais le bleu des ardoises de Trélazé ou de Noyant-la-Gravoyère qui recouvraient les toits de leurs demeures.

C’est à tous ceux-là que s’adresseront mes pensées, le 11 novembre 2018…

livret militaire d’un de mes grands-oncles

 

PS : Les soldats évoqués dans ce blog

Les « morts pour la France:

  • Albert Venault (1893-1918) adjudant du 6ème Régiment du Génie 
  • Alexis Turbelier (1897-1918), caporal du 135ème RI  
  • Marcel Maurice Pasquier (1895-1915) soldat du 135 ème RI
  • Léon Elie Toulemon (1889-1914), soldat du 9 ème RI
  • Georges Duguet (1895-1914), soldat du 32 ème RI 
  • Léon Antoine Chauviré (1880-1914)  
  • Les frères Paul et Henri Barbin du Lion d’Angers, morts des suites de la guerre, 

Les « blessés ou mutilés »

  • Marcel Emile Pasquier (1892-1956) cavalier, chasseur d’Afrique,
  • Gustave Firmin Debenay (1889-1951) soldat du 125 ème RI  
  • Lucien Montazel (1898-1989) soldat, blessé de guerre, trépané  
  • Gustave Boussemart (1891-1938) soldat du 148 ème RI  
  • Michel Joseph Gallard (1896-1962), sous-lieutenant du 135 ème RI. 

Les autres

  • Auguste Cailletreau (1892-1975), soldat « poilu d’Orient »;
  • Joseph Cailletreau (1888-1973), soldat prisonnier de guerre; 
  • Ernest Cragné, instituteur, soldat 
  • Albert Théophile Debenay (1894-1975)
  • Baptiste Pasquier (1890-1937)
  • Paul louis Joseph Delhumeau (1888-1945), aumônier militaire

Fusillé pour l’exemple

  • Maurice Beaury (1892-1915) soldat angevin victime de la bêtise/cruauté de l’état major de son régiment

 

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Il y a tout juste cent ans, le 27 mars 1918 en fin d’après-midi, sous un ciel gris et pluvieux, dans lequel alternaient les averses et de timides éclaircies, l’adjudant Albert Venault, âgé de 25 ans, était grièvement blessé au ventre à proximité du village de Fignières à cinq kilomètres au nord de Montdidier…

Albert Venault (1893-1918)

Sous la mitraille ennemie, ininterrompue depuis midi, il dirigeait la retraite de sa section, ordonnée par l’état-major après l’épuisement des munitions. Tout indique que « méprisant le danger » (selon le journal de son unité), face aux incessantes attaques des fantassins allemands positionnés sur le moindre dénivelé de terrain, il a pris tous les risques, pour protéger le repli de ses hommes… Trop sans doute, car selon les citations à l’ordre de son régiment, il s’était, à de nombreuses reprises, distingué pour sa bravoure au combat. Il s’était constitué en dernier rempart face aux mitrailleuses.

Dès qu’il fut touché, un infirmier et des brancardiers se précipitèrent à son secours « sous un feu effroyable » mais, en dépit de trois tentatives successives, où ils parvinrent à le mettre à l’abri d’un talus, ils ne purent réaliser le pansement d’urgence qui aurait stoppé l’hémorragie…

Les premiers soins ne lui furent en fait prodigués qu’une heure plus tard après avoir regagné les lignes françaises dans un petit bois tout proche…

Dans la nuit, il fut transporté, agonisant, dans une ambulance, vers un hôpital de campagne à une quarantaine de kilomètres au Nord-Ouest de Fignières, dans le village de Namps-au-Val où il décédera dans la journée du 28 mars 1918…

Albert Venault était le frère aîné de ma grand-mère maternelle Adrienne Turbelier, née Venault (1894-1973). C’était son compagnon de jeux, son principal confident et son complice de toujours. Jamais elle ne se consolera de cette perte. Jamais elle ne l’oubliera, continuant de l’évoquer, la larme à l’œil, un demi-siècle plus tard. J’en fus témoin!

Albert fut une des multiples victimes de cette ultime et effroyable offensive allemande en Picardie du printemps 1918.

« L’opération Michel » – ainsi nommée par l’état- major allemand – débuta le 21 mars 1918. L’objectif de son stratège, le général Ludendorff, était de percer une brèche entre les troupes anglaises (canadiennes et australiennes) et l’armée française, et en s’y engouffrant, de s’ouvrir la voie vers Paris …

Et il y avait mit le paquet en mobilisant trois armées et une concentration impressionnante d’artillerie, chargée de pilonner sans relâche les lignes françaises et anglaises, et même Paris, préalablement à un déploiement monstrueux de troupes d’attaque sur le terrain!

La mort d’Albert intervint trois jours seulement après que les alliés prirent conscience, sous l’impulsion de Georges Clémenceau, du danger mortel de cette poussée allemande de la dernière chance. Et qu’ils décidèrent de mettre en place une unité de commandement, confiée au futur maréchal Foch, nommé généralissime.

Albert ne connaîtra pas la victoire qui commença à s’esquisser dans les semaines qui suivirent!

Lui, il était sous les drapeaux depuis janvier 1913, depuis son engagement pour trois ans à la mairie de Parthenay, dans les sapeurs du 6ième génie d’Angers…Il était terrassier de profession, il était patriote: ça lui convenait!

Depuis le début de la guerre en août 1914, il avait donc été sur tous les fronts de la Champagne à la Belgique, de Verdun au chemin des Dames, de l’Artois à l’Alsace, de la Somme à la frontière suisse …

Sous le feu ennemi, dans les pires conditions de danger, il avait, comme tous ses camarades du génie, construit, un peu partout sur la ligne de front, divers ouvrages de défense, participé au creusement des tranchées et érigé des ponts pour franchir des rivières…Maintes fois, il était revenu à l’ouvrage, maintes fois ce qu’il avait échafaudé avait été détruit par l’ennemi!

Quelques jours avant ce funeste 28 mars, son régiment était encore Lorraine, dont il avait gardé la carte, retrouvée dans sa capote après sa mort!

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Albert repose désormais dans le petit cimetière militaire britannique de Namps-au-Val dans la Somme, au milieu des soldats de sa Majesté avec quelques poilus français tombés au cours de cette offensive. Je lui rendis visite, il y a quelques années, au nom de sa sœur qui ne s’est jamais recueilli sur sa tombe.

A titre posthume, il reçut la croix de guerre avec palme et la médaille militaire.

 

C’était un de mes grands-oncles.

PS: Le 26 novembre 2011, je lui ai déjà consacré un billet sur ce blog: « Albert Venault, un frère admiré et trop tôt disparu ».

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Pour les gens de ma génération, c’est-à-dire celle des petits-enfants des soldats de 14-18, celle du baby-boom d’après la seconde guerre mondiale et celle, étudiante, qui, en mai 1968, se révolta contre l’ordre établi, les célébrations de l’armistice mettant fin au premier conflit mondial, sont ancrées tels des rituels laïques et patriotiques, remontant à l’enfance et l’adolescence. C’était dans les années cinquante et soixante du siècle dernier… Et, pour moi, s’y ajoute une composante de religiosité provinciale dans un quartier périphérique d’Angers, celui de la Madeleine!

En ces temps lointains de la quatrième république agonisante et de l’émergence de la cinquième dans les soubresauts de la guerre d’Algérie, nombreux étaient les « poilus de la Grande guerre » encore valides qui défilaient chaque année à l’occasion du « 11 novembre » derrière leurs porte-drapeaux, en arborant fièrement les insignes de leurs régiments et leurs  » accroche-cœurs » gagnés sur les champs de bataille à Verdun ou ailleurs. Parmi eux, il y avait beaucoup de « petits vieux » du quartier, et même mon premier instit’ Ernest Cragné (1887-1965) qui, dans les années trente, avait été aussi celui de mes oncles Albert (1925) et Georges Turbelier (1927-2009)…

Après la « sonnerie aux morts » par le trompettiste attitré de la fanfare du patronage, puis une « Marseillaise » éraillée mais de rigueur, et enfin une minute de recueillement devant le monument dans l’église, où figuraient les noms de leurs camarades de classe « morts pour la France », ils noyaient leur passé ou leur chagrin et parfois leur tacite culpabilité d’avoir survécu à la boucherie, à la buvette du cercle paroissial de « boules de fort ». Là, ils débouchaient en cadence des alignements de fillettes « d’antidérapant » rouge ou blanc, qu’ils descendaient à grandes lampées dans des verres tronconiques à l’angevine.

Et chacun y allait du récit de ses exploits, s’attardant sur les faits d’armes mémorables dont il aurait été l’acteur ou le témoin, au chemin des Dames à la côte 304, à Mort-Homme, en Picardie, dans les Flandres, sur la Marne ou dans les Dardanelles! Depuis quarante ans, leurs narrations étaient patinées par le temps, un peu idéalisées surement, mais si criantes de vérité, lorsqu’elle étaient racontées par ces vieilles trognes qui s’illuminaient, tels des phares gyroscopiques calés sur la victoire de 1918. Le jour du 11 novembre,c’était leur jour de gloire… Le seul de l’année où on les regardait comme des demi-dieux.  Leurs histoires, étaient plus vraies que vraies en somme, puisque, sans s’affranchir de la narration des faits, c’est de leur détresse dont il nous entretenait pudiquement derrière certaines fanfaronnades.

Depuis toujours, ils étaient au rendez-vous de cet anniversaire, qui symbolisait le jour où ils furent délivrés de l’angoisse de la mort immédiate, dans le même temps où ils durent faire le deuil des copains qu’ils laissaient derrière eux. Tous adhérents d’une amicale d’anciens combattants, tous solidaires et à jour de leurs cotisations, ils savaient ce que chacun allait dire! Peu importe d’ailleurs, car ce qui comptait avant tout, c’était d’être là à se serrer les coudes en comptant les rangs. Lesquels, déjà, s’éclaircissaient tristement.

A ce jeu, mon grand-oncle Auguste Cailtreau (1892-1975) – mon « grand-père » par substitution – ne participait pas ou guère. Quand il était exceptionnellement présent à une manifestation d’anciens dans le quartier Sainte Bernadette, il se contentait d’écouter modestement les exploits de ses amis. Ce n’est qu’en le poussant dans ses derniers retranchements, qu’il consentait du bout des lèvres à « avouer » qu’en tant que chauffeur du colonel, il avait conduit le clairon de l’armistice sur les premières lignes du front bulgare à l’aube du onze novembre 1918.

Il n’aurait toutefois pas raté, avec Nini son épouse, le traditionnel repas de l’amitié qu’organisait son amicale dans une auberge des bords de Loire.

Et nous, gamins, à peine incommodés par l’odeur acre de la vinasse et des fumées de tabac qui se déployaient en larges volutes dans l’atmosphère de la salle municipale ou paroissiale, nous assistions, alibis de l’avenir, à cette scénographie dont on savait d’avance le déroulement et l’issue…Dans un coin, les drapeaux, les étendards et les fanions étaient en berne, jusqu’à la prochaine sortie!

Un tantinet insolents, nous écoutions à peine ces pépés qui ressassaient chaque année les mêmes rengaines, dont on ne savait s’il s’agissait d’épisodes réellement vécus ou d’édifiantes fictions patriotiques rodées par des décennies de mémoire sélective. Ce qui est certain, c’est qu’il n’aurait pas fallu nous pousser outre mesure pour qu’on les raconte à leur place, sans omettre ni l’ambiance dans les tranchées avant et après l’attaque, ni la peur des soldats lorsque les « machines à découdre » de l’ennemi arrosaient les premières lignes, ni la répulsion que suscitait la puanteur des cadavres en décomposition oubliés dans les boyaux de première ligne… On riait quand même quand ils évoquaient « la trouillote » et surtout les « boites de singe » infectes, avec lesquelles ils étaient censés s’alimenter dans les rares moments d’oisiveté autorisée. Sans compter le rouge qui tache, la bouffarde, la gnôle, les bandes molletières crasseuses et les ceintures de flanelle!

Parfois leurs regards s’assombrissaient lorsqu’ils évoquaient en regardant du coin de l’œil, les quelques gueules cassées présentes, qui, contre toute attente, avaient déjoué les pronostics médicaux, et survivaient en dépit de tout. Loques humaines pensionnées de l’Etat, ces pauvres éclopés résistaient misérablement aux sévices du temps en masquant le trou béant de leurs mâchoires arrachées par des éclats d’obus, avec des prothèse en cuir. Le reste du temps, calfeutrés été comme hiver dans de minuscules guérites de la Loterie Nationale, ces pauvres mutilés tentaient de conjurer un sort qui leur avait été presque fatal dans les tranchées, en vendant des billets « gagnants » à des badauds sur les boulevards!

Parfois, certains vétérans versaient une larme qui laissait une trace blanchâtre sur leurs visages râpeux en se perdant dans les méandres de leurs rides! Alors on s’émouvait aussi à l’écoute pour la énième fois de l’insupportable attente que devaient endurer leurs potes moribonds, embrochés par une « Rosalie »boche ou une « tachette » teutonne… La « valise diplomatique » du chirurgien chargé de faire le ménage dans les chairs déchiquetées arrivait toujours trop tard, sauf à panser un mort, tandis qu’au loin l’artillerie ennemie lançait sa « musique » infernale sur les copains montant en première ligne en vue du prochain assaut…

J’appartiens à cette génération, la dernière à avoir approché ces hommes au courage contraint qui traînaient leur misère depuis si longtemps. Désabusés sur l’espèce humaine, ils s’efforçaient de faire diversion en se congratulant mutuellement… Peu communicatifs finalement sur leur détresse intime, ils préféraient ressasser les mêmes histoires de guerre, sans trop s’attarder sur leurs illusions perdues dès l’automne 1914…On leur avait volé la jeunesse et tout ce qui la caractérise, la joie, la confiance, l’ingénuité et l’amour. Les femmes. Bref le gout de vivre!

Ces hommes de chair et d’os, guerriers par devoir s’étaient mués en héros malgré eux, et ce faisant, étaient devenus des symboles sans l’avoir recherché. Mais ils demeuraient hantés par le souvenir de tous ceux, moins chanceux qu’eux qui avaient été assassinés à leurs côtés, victimes de la même imposture sur la justification de ce premier conflit meurtrier – quasi génocidaire – de l’ère moderne!

Pour moi, l’armistice de 1918 reste indissociable de ces hommes vieillissants, qui ne parvenaient pas à cicatriser les blessures physiques et morales qu’on leur avait infligés pour le bon plaisir de « va-t-en-guerre » des différents camps en présence!

En cette année du centenaire, c’est d’abord vers eux que vont mes pensées… Eux que je tutoyais autrefois et qui sont aujourd’hui des mythes à usage multiple et tous des soldats inconnus.

Ceci explique cela. Je conserve depuis quarante ans dans mon portefeuille, la carte de poilu d’Orient de mon grand-oncle! Une manière de relayer leur témoignage en me revendiquant de l’un d’entre eux! Une manière aussi de me positionner comme le légataire et l’héritier de ces troufions de 14-18, qui, par leur sacrifice, imposèrent une certaine idée de la Nation, fière de ses principes humanistes et de la civilisation qu’elle incarne. Une Nation qui rejette avec détermination toutes les formes d’obscurantisme notamment religieux, et qui sait se mobiliser quand c’est nécessaire pour défendre sans concession, les principes des Lumières. .

Les décennies ont fini par avoir raison du souffle des derniers témoins directs de cette guerre d’extinction massive, qui priva la France et l’Europe d’une part importante de leur jeunesse mâle. Le dernier survivant de cette guerre, Lazarre Ponticelli s’est éteint, il y a tout juste dix ans. Le temps est donc venu de procéder aux commémorations sans le support des témoignages directs de « poilus »…

Désormais, grand-parents, c’est à nous qu’il revient de contrecarrer l’amnésie tendancieuse, qui, depuis quelques cycles scolaires, a privé notre jeunesse de ce passé pourtant si proche et de lui transmettre ce pan de notre récit national! En ce sens, les manifestations patriotiques officielles du centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918 sont non seulement utiles mais nécessaires.

Non pour se complaire dans l’évocation morbide de cette longue parenthèse qui a ensanglanté notre sol et qui a endeuillé presque toutes les familles françaises entre 1914 et 1918, mais pour rappeler que la guerre n’est pas une fiction. Pour rappeler aussi que la paix n’est pas une donnée naturelle mais qu’elle se gagne laborieusement à partir d’équilibres précaires susceptibles à tout moment d’être remis en cause par la folie meurtrière de quelques-uns ou par des idéologies perverses et mortifères comme le nazisme ou, actuellement, l’islamisme!

Ces poilus d’antan auraient voulu que leur guerre fût la « der des der »: ce ne fut pas le cas.

Par nature, la guerre est sale. De ce point de vue, celle de 14-18 a ouvert le ban d’une série ininterrompue jusqu’à nos jours, de massacres et d’atrocités en tous genres…L’année du centenaire de l’armistice de 1918 offre l’opportunité de redire que la guerre ne saurait jamais se résumer à la manipulation de consoles électroniques pour détruire des figurines virtuelles sur un écran vidéo!

Au-delà de leur folklore et de rites surannés qui ne parleront sans doute plus aux jeunes générations, les cérémonies d’antan avaient le mérite de souder la Nation autour de leurs héros, dans un hommage collectif rendu à ceux qui l’avaient défendue au détriment de leurs vies… et de se solidariser avec les rescapés, mutilés, gazés, estropiés!

Il s’agit désormais d’entendre la parole de ceux qui nous crient d’outre tombe, leur horreur de la guerre… Aucun survivant de la Grande Guerre ne vécut paisiblement par la suite. Tous passèrent le restant de leur existence dans la hantise de ce cauchemar, en compagnie des fantômes de leurs frères, de leurs maris ou de leurs amis emportés dans la tourmente. Mon grand-père paternel privilégia le mutisme.

Ma grand-mère maternelle – Adrienne Venault (1894-1973) – ne se remit jamais de la mort de son frère Albert et de son « chéri », Alexis, tués tous les deux à quelques semaines d’intervalle au cours des ultimes offensives allemandes du printemps 1918 dans la Somme.

Ne pas les oublier, c’est faire nôtre leurs mises en garde, car la menace d’une conflagration généralisée demeure aussi prégnante que jadis. Sous des formes différentes par rapport au début du siècle dernier, mais avec une efficacité mortifère décuplée, grâce aux progrès de la technologie! Pas plus actuellement qu’hier, nous ne sommes donc prémunis contre une explosion d’horreurs et de barbaries, qui fut la signature tragique du siècle précédent…L’actualité nous montre que c’est même précisément le contraire. Mais nous sommes prévenus!

Comment s’interdire à l’avenir « d’enrichir » les monuments aux morts de nos villes et villages, d’interminables litanies de noms? Comment s’empêcher d’en ériger de nouveaux sur les avenues de nos villes pour honorer les victimes du terrorisme imbécile? Comment surtout, face à la montée des périls, vaincre en sauvegardant les valeurs de notre civilisation?

Un siècle s’est écoulé depuis l’arrêt des hostilités de la première Guerre Mondiale. Un laps de temps sans signification à l’échelle des espèces vivantes! Et c’est précisément ce qui fait craindre que les pulsions de mort demeurent inchangées…L’homme de 1914 ressemble comme un frère à celui de 2018. L’un et l’autre ressentent les mêmes souffrances dans les mêmes circonstances, avec la même intensité qu’il y deux mille ou trente mille ans!

A Mort-Homme près de Verdun en 1916 -Cote 304

A ce titre, le devoir d’histoire est incontournable. Et il est légitime que ces cérémonies du centenaire revêtent un certain faste, d’autant que cette inimaginable tragédie de 14-18 a conditionné l’ensemble du vingtième siècle et servi de marchepied à la barbarie nazie des années trente et quarante…

Personne ne trouvera donc à redire dans le fait que des manifestations en grandes pompes soient organisées un peu partout en France, même si d’aucuns – dont je suis – craignent, que, comme à l’accoutumée, les responsables politiques du moment ne confisquent ce moment de communion nationale et qu’ils n’en profitent pour transformer ces soldats « bleu horizon » – ces soldats de la République – en porte-flambeaux de leurs propres ambitions. Ils nous ont si souvent montré que ce « fameux devoir de mémoire »dont ils nous rebattent les oreilles avec une sorte de délectation suspecte n’est le plus souvent qu’un outil de communication à leur profit!

Déjà, on nous annonce que l’actuel locataire de l’Elysée, toujours prompt à donner des leçons au monde, a invité, aux célébrations du centenaire, quatre-vingt chefs d’Etats! Mais peut-on réellement en vouloir à ce jeune homme un tantinet mégalo et narcissique, de saisir l’aubaine pour faire de cet événement l’écrin de sa propre gloire? Peut-on lui reprocher de prendre à témoin de ses propres obsessions d’un nouvel ordre mondial, ces vingt millions de morts et autant de mutilés de la première guerre qualifiée de « mondiale »? Les sondages nous en diront plus, le moment venu! Au moins, faisons lui crédit de l’hommage aux « poilus » – fût-il détourné vers un autre objectif!

Peu importe au fond, les dérisoires postures ou impostures de circonstance des « grands » de ce monde, car les soldats de 14-18 ont déjà été abusés tant de fois qu’ils ne sont plus à cela près… L’important c’est qu’on les ramène sur le devant de la scène, avant, peut-être, de les enterrer définitivement.

Ils méritent bien qu’on se souvienne d’eux quelques instants sur les lieux même des tueries, même si c’est avec la grandiloquence convenue de VIP avides de se mettre en valeur, en récitant des discours faussement compassionnels et truffés d’arrière-pensées.

Il faut se faire une raison et admettre que l’hommage public de la Nation ne pourra guère s’incarner autrement, faute de mieux. Il faudra se satisfaire de ces pantalonnades télévisuelles, ponctuées d’avis aseptisés et de « leçons à tirer » dispensées par des palanquées d’experts militaires et d’historiens médiatiques, le tout, sur fond de « Marseillaise » et de défilés des troupes devant des élus endimanchés!

Dans les temps morts des cérémonies, entre deux interviews de personnalités, on nous expliquera savamment pourquoi le maréchal Foch a manœuvré comme il l’a fait en 1918 pour contrer les offensives d’Hindenburg et de Ludendorff dans la Somme ou en Alsace… On nous « révélera » pourquoi, la victoire n’a été acquise qu’à l’automne, et pas avant…Comme Pétain en son temps, certains regretteront que le cessez-le-feu entériné par l’armistice, ait empêché les alliés d’alors d’occuper par les armes le territoire allemand! De grands classiques…

Mais une fois le calme revenu, l’hommage redeviendra privé...

C’est dans le silence du souvenir et dans les allées des grandes nécropoles, que les familles viendront rechercher l’invisible présence de leur poilu disparu! C’est là que se jouera le second acte de ces commémorations du centenaire, le plus touchant et le plus sincère aussi!

Ce sera l’occasion de faire parler les pauvres objets qui leur appartenaient et qu’on a retrouvé sur leur dépouille au moment de leur mort au combat, comme la plaquette d’identification en alu qu’ils portaient au poignet!

Objets et carte, trouvés sur le corps de l’adjudant Albert Venault (1893-1918) – mon grand-oncle 

On consultera les photos de ces jeunes hommes rigolards en uniforme, qui n’aspiraient qu’à vivre alors qu’ils étaient condamnés par les prédécesseurs de nos dirigeants actuels… On relira leurs correspondances: inconscient ou censure obligent, l’omniprésence de la mort y était systématiquement évacuée au profit de rêves de lendemains improbables qui chantent… On redira les noms de ceux que l’on connait, pour qu’ils ne sombrent pas dans l’oubli de l’hommage universel et collectif..

On se souviendra qu’ils durent tous subir d’intolérables tortures physiques et morales avec pour seul horizon dans la boue des tranchées que l’éclair aveuglant des fusées des artilleries adverses sur des paysages dévastés…Tous s’emmerdaient …

Aussi, au-delà des commémorations de façade,  la meilleure manière de leur redonner vie cent ans après le drame, et « dans le même temps » de se vacciner contre les guerres, serait de consulter les admirables ouvrages de leurs frères d’armes, comme Roland d’Orgelès, Erich Maria Remarque, Henri Barbusse, Maurice Genevoix… Par leur talent, ceux-là surent rendre compte de la cruauté et de l’absurdité de cette guerre, décrire les instants de doute et d’épouvante lors des assauts à la baïonnette où la seule alternative des soldats était de mourir ou de tuer!

Et pourtant, la guerre n’en fit pas des sauvages!

C’est à René-Gustave Nobécourt (1897-1989), un journaliste, écrivain et historien de la Grande Guerre que j’emprunterai en guise de conclusion ou de préambule à cette année du centenaire, les quelques lignes qui suivent, relatives à la poussée victorieuse des troupes françaises en Thiérache à quelques jours de l’armistice:

 » Malgré ce ciel crasseux et dégoutant, et cette terre détrempée qui engluait les godillots, les bandes molletières et le pan des capotes ils pressentaient maintenant la victoire. Non pas encore, certes au bout de cette étape, mais s’y employant ainsi qu’une promesse. N’allaient-ils pas au devant d’elle à travers ce pays de prairies de vergers et de vastes futaies, cette Thiérache où les soldats en pantalon rouge avaient retraité dans les premiers jours de la guerre?  » ( L’année du onze novembre » édité chez Robert Laffont en 1968)…

C’était le 5 novembre 1918. Mon grand-père paternel, chasseur d’Afrique, Marcel Pasquier (1892-1956)  étaient de ces soldats, qui avançaient ce jour-là … dans le pays de sa naissance!

La fête peut commencer! 

 

 

 

 

 

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Chaque jour, plus de cent mille voyageurs pressés, le nez sur leur tablette ou l’écouteur de leur smartphone à l’oreille, fréquentent la gare de l’Est à Paris… Un bon nombre traverse le grand hall d’accueil des voyageurs des Grandes Lignes, et passe avant d’arriver sur les quais sous la peinture impressionnante accrochée sur la verrière qui ferme le passage vers la salle des Pas-Perdus, donnant accès aux trains…Combien y prêtent attention?

Cette immense composition de soixante mètres carrés représente le « Départ des Poilus » vers les fronts de l’Est en août 1914… Elle est l’œuvre du peintre américain francophile Albert Herter (1871-1950) qui en fit don à la France en 1926 en souvenir de son fils Everit, tué sur le front près de Château-Thierry au cours de l’année 1918…

Cette peinture est à la fois réaliste et symbolique…Sans se soucier de la chronologie, le père malheureux, se serait représenté au-dessus de sa signature, en homme prématurément vieilli tenant un bouquet de fleurs face à sa femme en robe blanche, tandis que son fils, au centre, les bras en croix fête prématurément une victoire qu’il ne goûtera jamais. Cette fresque fut inaugurée en 1926 par le maréchal Foch… Depuis cette date, elle connut plusieurs avatars, avant d’être finalement restaurée en 2006 et, en principe, définitivement réinstallée à son emplacement d’origine en 2008…

La gare et son incessant brouhaha constituent l’écrin idéal pour ce tableau qui bruisse encore des pleurs des femmes qui embrassent leurs chéris mobilisés, en partance pour la guerre, ainsi que du tumulte et des cris d’allégresse de soldats avinés, heureux d’en découdre enfin avec un ennemi héréditaire que la plupart ne connait pas. Ils ont ivres pourtant de sa déroute annoncée… « Nach Berlin! »

A moins que ces forfanteries de bleus en pantalon de couleur encore garance, ou que ces bravades de blancs-becs, dont on sut plus tard qu’ils furent sacrifiés en grand nombre, ne masquent une sorte de résignation vantarde de gamins apeurés qui savent, en leur for intérieur, qu’ils partent pour mourir! Il faut regarder et écouter ce tableau pour se faire une idée de l’ambiance de cette mobilisation du 2 août 1914, en prenant le temps d’entendre le bruit des échappements des locomotives à vapeur, des bielles en mouvement et des grincements des roues sur les rails. il faut respirer les fumées qui tourbillonnent au delà des odeurs d’eaux de toilettes défraîchies des passagers de notre siècle. Elles nous étouffent au gré des vents en se jouant des fermes de la charpente, avec plus d’authenticité qu’un arôme de « mûre sauvage » s’exhalant d’un parfum Yves Rocher.  Il faut humer ce tableau avant de prendre son train de banlieue. Et se dire qu’ils étaient là, il y a cent ans et qu’ils nous regardent aujourd’hui!

En ce centenaire de l’engagement militaire américain aux côtés des alliés au cours de la première guerre mondiale, qui fit basculer l’issue du conflit, cette peinture, qui n’évoque pas, stricto sensu, le corps expéditionnaire américain – qui compta jusqu’à un million de recrues en juin 1918 – témoigne néanmoins de l’indéfectible amitié franco-américaine que l’artiste glorifie, dans le même temps où il s’efforce d’exorciser sa tragédie personnelle.

Une très vieille affection pour le nouveau monde, consacrée sous La Fayette pendant la guerre d’indépendance et qui ne s’est jamais démentie depuis et qui s’est même renforcée lors des épisodes les plus tragiques de notre histoire, dont le dernier conflit mondial où les troupes américaines payèrent un très lourd tribut pour nous libérer du joug nazi …

Ce 24 mars 2017, ici même, c’est à cette fraternité et à cette communauté de destin entre les nations américaines et françaises que je songeais en regardant ce tableau. En dépit de ces dimensions hors normes, il a toute sa place dans cette gare, qui depuis le milieu du dix-neuvième a vu tant de départ vers l’Est… Pas toujours glorieux d’ailleurs lorsqu’elle fut le théâtre lamentable de l’embarquement de tant de victimes juives de la solution finale en partance vers les camps d’extermination… La gare de l’Est est aussi un théâtre d’ombres !

 

Comment ne pas penser à ceux des miens, poilus de 14-18, qui franchirent de nouveau ce hall en 1917 ou 1918, rescapés du massacre après des années de guerre, tiraillés par l’angoisse, rongés parfois par la peur et désespérés d’avoir vu disparaître tant de leurs copains et toutes leurs illusions? Je les vois, emmitouflés dans leurs capotes répugnantes de crasse, tirant en maugréant leurs havresacs et leurs armes?

Dans cette foule grouillante de jeunes hommes fatigués, issus de toutes les nations alliées, parmi ces soldats au traits creusés en uniformes élimés et à la barbe de plusieurs jours, comment ne pas entrevoir la silhouette de mon grand-père Marcel Pasquier (1892-1956), repartant vers le front à quelques semaines de son mariage en Anjou, pour rejoindre son régiment de chasseurs d’Afrique et reprendre un combat sans fin aux côtés désormais, des 1er, 4ième et 5ième corps d’armée US? Ce fut la dernière bataille d’envergure de la Grande Guerre, celle du Saillant de Saint Mihiel dans la région de Verdun, les 12 et 13 septembre 1918? Il y était.

Et maintenant! Alors que cette solidarité franco-américaine tangue sous les coups de boutoir imbéciles, les vulgarités de corps de garde et les grossièretés machistes d’un ancien animateur de téléréalité, milliardaire bavard et velléitaire, devenu le 45 ième président des Etats Unis, il est bon de rappeler – et même de se convaincre – qu’en dépit des nuages sombres d’une incompréhensible et périlleuse conjoncture internationale, l’Amérique demeure encore le meilleur garant de nos démocraties et de nos libertés…Et notre meilleure amie malgré ses défauts! Pourvu que ça dure !

Plus de cent seize mille soldats américains périrent en France entre 1917 et 1918.

 

Hall d’arrivée. Gare de l’Est

 

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La guerre est déclarée depuis 881 jours… On se bat avec acharnement et brutalité sur tous les fronts, en France sur la Somme et à Verdun. En mer du Nord, où les flottes britanniques et allemandes se livrent bataille sans relâche comme ce fut le cas en mai au large de la péninsule danoise du Jütland.

En Roumanie sur les rives de la Mer Noire, en Bulgarie, en Russie où l’armée russe encore tsariste de Broussilov a lancé une offensive en juin sur un front de cinq cent kilomètres pour desserrer l’étreinte germano-autrichienne.  Sur le front italien, où les alliés résistent comme ils peuvent à l’offensive austro-hongroise dans la région montagneuse du Trentin…

Bref, la guerre est vraiment mondiale – du moins à l’échelle d’un monde tel qu’on le concevait du début du 20ième siècle. Aucun succès décisif dans un camp ou dans un autre ne permet ce samedi 11 novembre 1916 d’espérer un dénouement proche…Juste quelques victoires tactiques, qui parfois permettent de grignoter quelques kilomètres – le plus souvent quelques mètres de tranchée en contrepartie du sacrifice d’innombrables vies de jeunes gens foudroyés dans la fleur de l’âge. Il n’y a guère que les officiers supérieurs pour s’en vanter. Les perspectives sont plutôt sombres et le moral est en berne chez les soldats!

En 1916, tous les hommes de ma famille en âge d’être mobilisés sont sur le front ou sur le point de le rejoindre. Et à l’arrière – en Anjou, chez moi – c’est l’inquiétude qui est de mise, bien qu’on  fasse mine de se réjouir de ne déplorer à cette date, aucun « mort pour la France », ni blessé grave parmi mes grands pères ou grands-oncles. Seul un cousin de mes grands parents paternels, garçon coiffeur au Lion d’Angers, Marcel Maurice Pasquier (1895-1915) fut tué dès le début de la guerre à Neuville-Saint-Vaast. Pour les autres, ça viendra plus tard! en 1918…dans la seconde bataille de la Somme!

D’où ils se trouvent, endroits tenus secrets sous peine d’être taxés de traîtres – quelque part sur le front – nos soldats écrivent à leurs proches. Leurs lettres sont le plus fréquemment anodines, pour ne pas s’attirer les foudres d’une censure militaire qui frappe dur les indisciplinés -parfois jusqu’au peloton – mais aussi pour ne pas inquiéter les parents. Ainsi, mon grand-oncle maternel Alexis Turbelier (1897-1918) entretient une correspondance suivie avec sa sœur Germaine, sa « complice ». Le 18 octobre 1916, il lui adresse un message, dans lequel il ne fait aucune allusion à la guerre et où sa principale préoccupation semble être la santé de son aînée d’un an! Pourtant, deux mois auparavant, il était dans l’enfer de la bataille de Verdun.

« J’ai reçu ta lettre du 15 courant qui me fait savoir que tu as été très mal ces jours derniers, tu n’as pas de veine. Enfin j’espère que maintenant tu dois aller mieux. Heureusement que tu n’as pas tourné de l’œil gauche avec l’hémorragie, c’est plutôt embêtant quand cela arrive. A midi je vais toucher mon paquet il est arrivé hier à midi. Je pense que tout est dedans. Allons au revoir, embrasse toute la famille pour moi ainsi que le petit Pierre. Je t’embrasse bien fort de loin en attendant ».

En décembre, il lui réécrira en se réjouissant de préparer un repas amélioré avec ses camarades de tranchée! C’est tout, et il sont pourtant essentiels, ces dérisoires petits signes de vie pour oublier les parapets maudits, les chevaux de frise et les rangées de barbelés!

Mais au quotidien, que se passait-il vraiment? Et de quelles informations les lecteurs angevins du Petit Courrier – le « quotidien républicain régional » disposaient-ils en ce ce 11 novembre 1916? …

A la Une, on annonçait la réélection à la présidence des Etats-Unis du démocrate Thomas Woodrow Wilson (1856-1924) à l’issue d’une incertitude de quelques jours dans le décompte des voix de certains Etats.

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Redoutable continuité des institutions américaines, que d’aucuns en Europe qualifient aujourd’hui « d’archaïques », mais qui, un siècle après, reproduisent les mêmes cycles historiques, qui ont permis aux Etats-Unis d’Amérique de devenir la première puissance mondiale, sans jamais renier la démocratie!  Chapeau! Quoiqu’on en dise, et quelles que soient les critiques justifiées qu’on puisse formuler sur certains de leurs choix et des hommes dont ils se dotent pour diriger!

Clin d’œil de l’histoire! Le Président Wilson – au charisme « presbytérien » – était initialement un pacifiste. Mais fortement impressionné par les hécatombes en Europe, il sera le principal artisan de l’intervention déterminante des Etats-Unis dans le conflit au milieu de l’année 1917, après avoir tenté en vain d’obtenir une paix négociée entre les belligérants…Son action sera décisive dans les négociations de la paix après-guerre.

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Sans qu’il y ait lieu d’établir le moindre parallèle hasardeux avec la situation actuelle, sa présidence marque le début des prétentions interventionnistes américaines sur l’ensemble du monde, à l’inverse de la politique de ses prédécesseurs plutôt caractérisée par une forme d’isolationnisme et donc de protectionnisme! La tendance désormais se retourne… Un siècle après, une sorte de dieu Pan, satyre et jouisseur s’approprie le fauteuil en forme de prie-Dieu austère du président Wilson dans le bureau ovale…

Pour l’heure, en ce 11 novembre 1916, sa réélection est vivement contestée par son adversaire, le républicain Hughes qui demande même un recomptage des bulletins de vote… Il arrive que l’histoire, un brin facétieuse balbutie, charriant malheureusement et sans discontinuer de nouvelles tragédies!

En dehors de cette information importante, qui n’a peut-être pas, sur le moment, attiré l’attention des angevins, le reste des articles ou des brèves abordés par le Quotidien régional en page de couverture, concerne – de manière d’ailleurs très édulcorée – les opérations de guerre. Et de surcroît, sous leur meilleur jour, à savoir les victoires – fussent-elles carrément anecdotiques – des « alliés » et de l’armée française. C’est bon pour le moral!

Mais en fait, comme avant guerre, le journal s’intéresse surtout à la vie locale, aux faits divers, aux chiens écrasés!

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Hormis quelques entrefilets relatifs aux orphelins de guerre, fils de poilus angevins, à la recherche des disparus et à certaines annonces nécrologiques ciblées, rendant hommage – sans doute aux frais de la famille – à un valeureux combattant mort au champ d’honneur, la vie au jour le jour, dans la capitale des Plantagenets  – en Anjou – paraît s’écouler presque normalement, comme s’il fallait absolument faire oublier aux habitants, qu’à quelques centaines de kilomètres de là, des millions d’hommes s’étripaient à mort avec toutes les possibilités qu’offraient à l’époque les technologies avancées appliquées aux armes!

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Ainsi, le cinéma des Variétés ou le Cirque-Théâtre continuaient comme si « de rien n’était » d’annoncer et d’assurer leurs spectacles… Les grands magasins persistaient à faire leur pub pour leurs produits et les commerçants de se chicaner avec les autorités sur les heures d’ouverture de leurs négoces…Comme avant, comme maintenant.

Finalement, tout porte à croire, qu’en dehors de ceux, endeuillés, qui avaient perdu, un père, un frère ou un mari, les angevins étaient plutôt confiants… et ils se précipitaient même pour souscrire aux emprunts de guerre… Patriote et économe, ma grand-mère maternelle y a perdu toutes ses pièces d’or, avant de voir mourir son frère et son « fiancé »!

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On sait maintenant, qu’il a fallu encore attendre deux ans – le 11 novembre 1918 , pour qu’enfin cesse la guerre, et pour voir revenir les vivants rescapés de la boucherie, éclopés et estropiés à la fois du cœur et de leurs membres … Ils retrouvèrent Angers, presque comme ils l’avaient laissée… Presque. Mais, c’est Angers qui ne les reconnut plus tout-à-fait avec leurs gueules cassées! Y’en a même qui sentaient mauvais…

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Il y a cinq ans, le 4 août 2011, je mettais en ligne un premier billet sur ce blog.

Je venais tout juste de renoncer au passe-droit de travailler. Prenant mes quartiers de vieillesse et délaissant une activité professionnelle qui, en dépit de quelques aléas discutables, m’avait globalement comblé, je faisais valoir mes droits à la retraite. Juste à temps certainement avant que ces fameux « droits » ne se transforment en « privilèges » éhontés aux yeux de cette nouvelle gauche technocrate et bourgeoise, issue des meilleures écoles et pourtant piteuse gestionnaire, qui se pavane depuis quelques années dans les salons dorés de la République.

Salon Pompadour à l'Elysée

         Salon Pompadour à l’Elysée

Dans ce premier message d’une parole (enfin) libérée du « sacro-saint » devoir de réserve, exigé des « petits » pour qu’il la boucle, j’annonçais mes intentions, précisant même, deux jours plus tard – le 6 août 2011 – que mon modèle était un « Livre de Raison » chiné au fin fond de mon Anjou natal. Sa lecture m’avait autrefois ravi et mon ambition, à son exemple, était de ranimer le souvenir de nos grands anciens – voire carrément de les ressusciter – et de contribuer ainsi à sauvegarder une sorte de patrimoine mémoriel qui se dissipe sous les coups de boutoir du temps, amplifiés par la dispersion des jeunes générations loin des berceaux originels de nos familles…

L’entreprise était risquée et sans doute trop ambitieuse, car concurrencée par une actualité prégnante et souvent tragique, qui forcément mobilise les esprits, convoque les émotions et favorise l’instinct grégaire. Dans ces conditions, il reste peu de place pour s’intéresser aux élucubrations oniriques et débridées d’un vieil impertinent ronchon, qui s’agrippe aux idées de sa jeunesse, tel un pleure-misère à son magot! Lequel fesse-mathieu, gardien inflexible d’idéaux d’antan, que plus personne ne semble convoiter, tente, malgré tout, de captiver quelques fidèles en redonnant vie, dans le secret de son cabinet, à des personnages oubliés, « panthéonisés » à sa guise et adoptés pour la circonstance au sein d’une parentèle élargie. Quitte, parfois, pour illustrer son discours, à s’arroger le droit de prêter à ses cobayes à peine exhumés, des intentions qui, dans leurs époques respectives, n’auraient probablement pas pu effleurer leur esprit!

On se défend comme on peut – et souvent de manière dérisoire – pour susciter l’intérêt lorsqu’on se retrouve en concurrence avec les jeux des cirques officiels et les pleurnicheries commémoratives, et que l’on bute sur des chercheurs de Pokémons, jusque sur le perron des mausolées érigés après la Grande Guerre pour rendre hommage aux milliers de soldats sacrifiés ici!

Bref, par les temps qui courent, la tâche n’était pas aisée d’intéresser quiconque – fût-il un lointain cousin – à l’épopée d’une famille à travers les siècles et, au-delà d’elle, de discerner les fondements de notre imaginaire collectif et de notre identité commune…Identité constitutive d’une Nation, dont la seule évocation apparaît aujourd’hui aux tenants du discours « politiquement correct » comme une injure faite aux populations « issues de la diversité »! Et pourtant, c’est tout le contraire ! L’accueil et l’ouverture au monde sont d’autant plus chaleureux et fraternels qu’on ne bafouille pas, honteux d’exister, lorsqu’on nous demande qui on est!

L’exercice mémoriel s’est encore compliqué lorsque, récemment, du fait de l’irresponsabilité de ceux qui prétendent nous guider, le présent et l’avenir sont devenus indéchiffrables et qu’en outre, l’horreur et la sauvagerie se sont invitées à notre table, presque quotidiennement au journal télévisé de vingt heures!

Difficile alors de privilégier la réflexion historique face à la dictature oppressante de l’urgence, à l’écoute de discours régressifs, lénifiants et simplistes, assénés à plus soif pour nous rendre dociles et, finalement, acteurs consentants de notre propre déclin… Exhortations indigestes et stériles d’une oligarchie désemparée,  qui, faute d’autre perspective que le rééquilibrage – serpent de mer – de la comptabilité publique, n’hésite pas à remettre en cause les principes de base d’un Ordre Public pourtant admis par une majorité des citoyens depuis près deux siècles ! Ainsi porta-t’on atteinte sans vergogne à notre art de vivre et même au plaisir de festoyer ensemble…De rire et de ricaner aussi hors des sentiers battus!

Sans parler des reniements, voire des trahisons en rase campagne, perpétrés par ceux qui ont su nous abuser pour conquérir nos suffrages! Sans évoquer non plus la longue liste de nos cruelles désillusions qui ouvrent désormais la voie aux idéologies totalitaires les plus perverses et mortifères et qui réduisent chaque jour un peu plus, nos marges de liberté de pensée et de conscience et – ce qui est plus condamnable encore – qui dénature jusque dans le détail, les concepts cardinaux et fondateurs de notre République…Un des exemples le plus frappant est l’inconvenante promotion des religions dont l’histoire pourrait être prochainement enseignée dans l’école publique, au nom d’une interprétation tendancieuse et détournée de la laïcité… Et l’étrange tolérance à l’intolérance prêchée avec indolence par ceux qui ont été mandatés pour garantir l’application effective de nos valeurs!

Dans ce sombre tableau, constater que, depuis l’inauguration de ce blog, le 4 août 2011, le monde a profondément changé, relève donc de la lapalissade… Et c’est tout simplement être lucide que d’estimer que, faute de vigilance et d’analyse pertinente des forces agissantes, cette mutation extrêmement rapide de notre société risque d’orienter notre avenir vers une forme de fanatisme planétaire qu’on pensait dépassé depuis au moins le Moyen Age! Obscurantisme d’essence religieuse, dont les effets délétères sont accentués par une maîtrise parfaite de moyens sophistiqués de manipulation par les assassins qui se réclament de l’islam originel, véritables fossoyeurs des Lumières et dépourvus de toute forme d’humanité…

Nécessairement, ces bouleversements – dont beaucoup sont inquiétants et dont le terrorisme barbare que nous subissons est l’expression visible et émergée – m’ont conduit, à mon corps défendant, à infléchir mon projet « éditorial » initial, en accordant peut-être moins de place à mon passé familial et en délaissant les cendres de mes ancêtres au profit de cette actualité oppressante et anxiogène. Le devoir d’alerte devient primordial quand la menace est au seuil de nos portes… Certains m’en ont fait reproche ! Beaucoup m’ont suivi dans ce rééquilibrage imposé par la conjoncture…Qu’ils se rassurent tous, je rêve comme eux du jour où des ondes plus calmes permettront de se replonger dans des recherches érudites du passé familial ! Mais pour l’heure, je ne saurais m’affranchir des malheurs qui nous frappent et m’abstenir d’en désigner ceux que je considère comme les responsables directs ou les complices involontaires ou inconséquents…

Voilà mon projet pour les temps qui viennent, sachant que je n’exclus pas, malgré tout, de puiser dans le passé et dans notre histoire des raisons d’espérer…Et elles sont nombreuses!

Pour conclure ce billet – dont l’intitulé doit laisser interrogatifs tous ceux qui n’ont pas abandonné – en cours de route – la lecture de ce billet estival et anniversaire – je souhaite précisément dénoncer une démission – voire une infamie – qui, à mes yeux symbolise, presque de manière caricaturale, la dérive idéologique de cette « gauche moderne » qui n’a même plus conscience d’avoir bradé son âme pour un plat de lentilles et qui, entêtée à éviter toute vaguelette inopportune, ignore, sans complexe et sans nostalgie, sa propre tradition contestataire…L’événement est passé presque inaperçu, opportunément occulté par l’assassinat islamiste des promeneurs du 14 juillet à Nice.

Il s’agit de l’interdiction de chanter « la Chanson de Craonne », édictée par le « sous-ministre des anciens combattants » – avec l’aval probable du ministre cumulard de la Défense et donc de l’ensemble du gouvernement,  lors d’une commémoration officielle de la Grande Guerre, le 1er juillet 2016 à Fricourt dans la Somme !

Venant d’un ministre revendiquant son appartenance à la droite revancharde d’avant-guerre, une telle censure n’aurait étonné personne, car cette chanson rebelle, écrite spontanément par des soldats anonymes, qui exprime le désarroi des poilus de 14-18, et leur refus d’être considérés comme de la « chair à canon » fait aussi le procès du capitalisme qui prospère dans le commerce des armes … On dit qu’elle fut composée à la suite du massacre délibéré de dizaines de milliers de soldats au chemin des Dames en avril 1917 pour complaire à un général Nivelle, méprisant et incompétent, qui voulait à tout prix conquérir quelques ares de terrain…

Le front en France en 14-18

              Le front en France en 14-18

Cette complainte a été très longtemps considérée comme subversive par les « va-t’en guerre » et par les nationalistes de tous poils !  Mais jusqu’à présent la gauche socialiste et communiste n’avait jamais désavoué la révolte de ces pauvres hères, survivants de la boucherie, qui appelaient à la grève des tranchées! Désormais, la preuve est apportée que nous avons changé « d’internationale ». Cette époque où tous les progressistes étaient solidaires de ceux qui souffrent des méfaits de la guerre, est désormais révolue!  Un responsable prétendument de gauche – de surcroît sous-ministre d’un gouvernement « socialiste », sous une présidence « socialiste » a déchiré le voile et fermé définitivement le ban – ou la parenthèse – oubliant que cette chanson fut celle du ralliement des militants de la paix pendant des décennies! Maintenant elle fait peur aux gérants en charge du pouvoir…

Cette mauvaise action qui piétine la mémoire des poilus est cependant « cohérente » avec celles d’un président de la République qui n’hésite pas à décorer de la Légion d’honneur un dignitaire saoudien responsable de la mort de militants des droits de l’homme,  et d’un ministre qui se vante de vendre des armes à travers le monde, y compris aux régimes dictatoriaux les moins recommandables. Mais,  »  business is business ». Chacun sait que le monde de la finance – nouvel ami de nos gouvernants – s’est, de tous temps, réjoui du négoce des armes et des guerres qui l’alimentent. Elles font le bonheur des actionnaires des industries d’armement! Anatole France (1844-1924) ne disait-il pas à bon droit : « On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour les industriels« … On pourrait ajouter « ou pour les émirats du Golfe »…

Dans ces conditions, les opposants – même disparus depuis des lustres – demeurent des traîtres: c’est le cas de ces malheureux poilus, auteurs du « Chant de Craonne » dont les paroles persistent près d’un siècle après leur rédaction à choquer la sensibilité de notre délicieux et délicat sous-ministre des anciens combattants…

Les socialistes molettistes de la « première gauche », celle qui prétend défendre les intérêts du pays, n’aiment plus guère les hymnes révolutionnaires, pas plus d’ailleurs que le mot « Révolution » qu’ils prennent pour une vulgarité…

Heureusement notre sous-ministre restera dans l’ombre et ne laissera aucune trace dans notre histoire, ni d’ailleurs dans celle de cette chanson patrimoniale, qui survivra à sa myopie et à son amnésie.

De très nombreux interprètes de talent ont, heureusement assuré la pérennité de la « chanson de Craonne » en la mettant à leur répertoire (Georges Brassens, Jacques Brel, Marc Ogeret, Maxime Le Forestier, Renaud, Léo Ferré, Max Blain, etc.) …

A titre de contrition (puisque la mode est à la religiosité nationale), je me sens obligé en réparation de l’ânerie ministérielle, d’en diffuser le texte…

Charge à ceux qui le liront d’en distinguer les couplets – à ne pas confondre avec des sourates – qui pourraient heurter la sensibilité des gentils énarques de cabinets ministériels et irriter les chastes oreilles de nos gouvernants …

 

Quand au bout d’huit jours, le r’pos terminé,
On va r’prendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile.
Mais c’est bien fini, on en a assez,
Personn’ ne veut plus marcher,
Et le cœur bien gros, comm’ dans un sanglot
On dit adieu aux civ’lots.
Même sans tambour, même sans trompette,
On s’en va là haut en baissant la tête.

Refrain
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C’est nous les sacrifiés !

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C’est malheureux d’voir sur les grands boul’vards
Tous ces gros qui font leur foire ;
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous c’est pas la mêm’ chose.
Au lieu de s’cacher, tous ces embusqués,
F’raient mieux d’monter aux tranchées
Pour défendr’ leurs biens, car nous n’avons rien,
Nous autr’s, les pauvr’s purotins.
Tous les camarades sont enterrés là,
Pour défendr’ les biens de ces messieurs-là.

 

Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,

Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la r’lève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain, dans la nuit et dans le silence,
On voit quelqu’un qui s’avance,
C’est un officier de chasseurs à pied,
Qui vient pour nous remplacer.
Doucement dans l’ombre, sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.

Ceux qu’ont l’pognon, ceux-là r’viendront,
Car c’est pour eux qu’on crève.
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s’ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l’plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !….

 

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Je ne sais plus au juste, qui, de mon père ou de mon instituteur de cours préparatoire, Ernest Auguste Léon Cragné (1887-1965) évoqua, le premier devant moi, l’histoire bouleversante de la « Tranchée des baïonnettes » près de Douaumont, dans laquelle, à la mi-juin 1916, un détachement d’une cinquantaine de soldats du 137ième régiment d’infanterie, aurait été enseveli sous la terre d’une tranchée. C’était, dit-on, juste avant un assaut, alors que les poilus, baïonnettes en l’air, s’apprêtaient à franchir le parapet. Une terrifiante explosion d’obus les aurait, à cet instant, étouffé sous plusieurs mètres de terre, de gravas et de barbelés, ne laissant apparaître ici ou là que quelques pointes de baïonnettes…

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Depuis 1920, date à laquelle fut révélée cette tragédie – une parmi d’autres de la sanglante bataille de Verdun – ses circonstances exactes demeurent floues, voire controversées! Mais ce qui est certain, c’est que la « Tranchée des Baïonnettes » – mythe ou réalité – incarne depuis près d’une centaine d’années l’horreur et l’atrocité des combats autour des forts de Verdun…Elle figure parmi les hauts lieux de mémoire à visiter à Douaumont !

Ce qui est sûr également c’est que le 137ième Régiment d’Infanterie (RI), basé avant guerre à Fontenay-le-Comte en Vendée, participa depuis son départ du Bas-Poitou, le 6 août 1914, à toutes les batailles de 14-18, y compris les plus dantesques, comme celles de Belgique, de la Marne, de Verdun ou de la Somme… Et ce, jusqu’à l’armistice de 1918. Ses pertes humaines furent énormes, probablement supérieures à ses effectifs initiaux! A n’en pas douter, c’est ce sinistre – mais glorieux – bilan au trébuchet de la terreur, qui incita l’état-major de l’armée française à le désigner parmi les unités les plus braves, pour participer au défilé de la Victoire sous l’Arc de Triomphe le 14 juillet 1919…

Comme ses homologues, le 293ième Régiment d’infanterie de la Roche-sur-Yon et les régiments associés de réservistes, le 137ième RI était presque exclusivement composé de Vendéens du bocage ou du marais, et c’est ce qui explique que mon instituteur de l’école (libre) Saint-Augustin d’Angers, Monsieur Cragné, originaire de Bourg-sous-la Roche, dans les faubourgs de la Roche-sur-Yon, y fut affecté dès sa mobilisation le 2 août 1914 comme sergent au 137ième RI. A la faveur d’une réorganisation des effectifs, sans doute motivée par les dommages humains considérables provoqués par les terribles combats de juin 1916 à Verdun, il fut affecté le 25 juin 1916 au régiment frère du 293ième Régiment d’infanterie en tant que sous-lieutenant en charge d’une section…

Il vécut donc « l’enfer de Verdun » en témoin direct et en tant qu’acteur au sein du 137ième RI, en particulier lors du drame de la « Tranchée des Baïonnettes » où périrent nombre de ses compagnons d’armes. Il est donc hautement vraisemblable que ce soit à lui que je doive le plus lointain souvenir de cet abominable événement.

Au cours de l’année scolaire 1955/1956, la seule où je fus son élève, mon vieil instit’ était alors âgé de soixante-huit ans et était certainement habité par le désir de transmettre aux générations montantes les enseignements de cette guerre atroce, qui avait décimé sa classe d’âge. En raison peut-être du poids des ans qui avait courbé sa silhouette ou du devoir de mémoire qu’il s’imposait, il  aimait en tout cas effet évoquer -ressasser – devant les petits gamins que nous étions alors, ses souvenirs de la « Grande Guerre ». Il était même intarissable à ce sujet, et c’est sûrement à lui que je dois d’être devenu – selon la belle expression de Caroline Fontaine et Laurent Valdiguié, dans un ouvrage récent « Mon grand-père était un poilu » – une sorte de « poilu par procuration », c’est-à-dire très prosaïquement un citoyen français, forgé par son histoire et fier de ceux qui ont contribué à la faire!

Ernest, instituteur dans les années 1920

Ernest Cragné, instituteur dans les années 1920

A une exception près – en l’occurrence, ma grand-mère maternelle, Adrienne Venault-Turbelier (1894-1973)  – Monsieur Cragné m’en a beaucoup plus appris que la plupart de mes proches – grands-pères et grands oncles – qui furent, eux aussi, témoins, victimes et soldats de cette boucherie qui a endeuillé chaque ville, village et hameau de France… De ces derniers en effet, je n’ai pu recueillir que de maigres témoignages, soit parce qu’ils furent tués au cours des combats, soit parce qu’ils disparurent avant que je ne puisse les questionner, soit, enfin, parce que ceux qui survécurent souhaitaient tourner la page au soir de leur vie, sans s’étendre trop sur cette période qui avait assombri leur jeunesse et englouti tant de leurs copains d’enfance!

Ernest Auguste Léon Cragné, lui, était assez disert… Et même, autant qu’il m’en souvienne, il nous bassinait un peu avec « sa guerre », lorsqu’il s’accoudait à son bureau, sanglé dans sa blouse grise à l’odeur de craie et que, les pieds bien calés sur son estrade, le dos au tableau noir, il nous racontait les exploits de son unité… Ce rituel était quasi-quotidien, juste avant la « récré » du soir, alors que nous sirotions les petites bouteilles de lait frais qu’en 1954, Pierre Mendès-France (1907-1982), alors président du Conseil, avait décidé de faire distribuer dans les écoles pour pallier les carences alimentaires d’après-guerre…

Mon père Maurice – né en 1926- aurait pu, tout aussi bien être le premier à nous raconter cette atroce histoire de la « Tranchée des Baïonnettes » ! Il l’avait découverte avec effroi au cours des années trente dans les bandes d’actualité du cinéma de guerre à la gloire des poilus sacrifiés sur les champs de bataille, et qui était revisionnées dans les salles obscures des patronages paroissiaux, dont celui qu’il fréquentait celui de « la paroisse de la Madeleine d’Angers »…

Monsieur Cragné n’était pas avare de détails sur la bataille de Verdun, et notamment sur celle de la « ferme de Thiaumont » entre le 9 et 14 juin 1916, où l’humanité atteignit les sommets de l’absurdité, de la sauvagerie et de la souffrance, comme si l’objectif des adversaires en présence n’était même plus de gagner quelques arpents de terrain sur l’ennemi, mais d’anéantir ici toute trace de vivant. J’oserais presque écrire: « toute trace du vivant » tant la destruction de toute âme qui vive dans un environnement devenu lunaire fut systématiquement recherchée de part et d’autre !

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Un déluge inouï de tirs d’artillerie, rendant méconnaissables les hommes et le paysage, précédait les attaques que de pauvres hères hagards aux uniformes crasseux et parfois en lambeaux, menaient comme ils pouvaient, motivés par la seule peur panique de crever, avant d’avoir embroché le boche qui lui faisait face ou de l’avoir fait grillé au lance-flamme au fin fond d’une tranchée dévastée.. La lecture du journal du 137ième RI est à cet égard édifiante, même si le rédacteur a probablement édulcoré les phases les plus révoltantes et les plus dégradantes pour l’esprit humain…

Chaque moment de la bataille n’était considéré comme acquis après des heures d’acharnement sadique qu’une fois les tranchées « nettoyées » de leurs cadavres et que les derniers assauts au corps à corps entre des morts-vivants eurent effectivement abouti au trépas, viscères à l’air des deux combattants, dans une ultime et funeste étreinte … Une embrassade barbare jusqu’à ce que mort s’ensuive!

Le Miroir 1916

              Le Miroir 1916

Pour le 137ième RI d’Ernest Cragné et de ses compagnons d’armes, en première ligne depuis le 9 juin 1916, le drame s’est joué en une semaine… Ca s’est passé à quelques kilomètres au nord-est de Verdun sur la rive droite de la Meuse, à proximité du fort de Douaumont et de la ferme de Thiaumont. La Tranchée des Baïonnettes, épicentre vraisemblable de ce sinistre affrontement  se trouve à environ un kilomètre du fort de Douaumont et de l’ouvrage défensif de Thiaumont, à quelques centaines de mètres au  nord de l’actuel ossuaire de Douaumont…

Lorsque le régiment – qui se trouve dans le secteur depuis la fin mai 1916 – reçoit le 9 juin l’ordre de « contre-attaquer sur la ferme de Thiaumont » et de tenter de relier divers ouvrages défensifs, abris et bastions de première ligne, un des officiers prévient que l’opération sera difficile, « sur un terrain bouleversé par l’artillerie ennemie, au demeurant très surveillé, où tout mouvement, aussitôt repéré, déclenche un bombardement »! Pourtant, le régiment s’est déployé comme prévu … et ils y sont quand même allés les « petits gâs » du 137ième!

Le résultat humain de cette tactique imbécile parle de lui-même, sans qu’il soit besoin d’en faire plus dans la description de l’abject!

Le Miroir 1916

          Le Miroir 1916

Entre le 9 juin et le 14 juin 1916, le régiment déplorera 105 tués dont 7 officiers, 409 blessés dont 8 officiers, et 1037 disparus dont 16 officiers. Au total, près de la moitié du régiment fut mis hors de combat en cinq jours! On comprend dans ces conditions que quarante ans plus tard, les survivants de cette apocalypse en demeurèrent hantés! Monsieur Cragné le fut certainement jusqu’à la fin de ses jours… On peut concevoir qu’ils vouèrent parfois une indéfectible admiration pour celui qui mit fin à cette tuerie qui s’éternisa durant presque un an en 1916, et d’une certaine façon, leur redonna le goût de vivre, et de vaincre. Et ce, quelles que soient les infamies auquel ce dernier se livra par la suite…

Le bruit a couru que Monsieur Cragné apporta ultérieurement son soutien implicite et inconditionnel au vainqueur de Verdun. C’était dans une autre période noire de notre histoire collective… Ce reproche fut peut-être justifié, encore qu’il ne fut nullement inquiété ultérieurement pour cette opinion …pour cette mauvaise option!

De mon premier instit’, il reste surtout aujourd’hui le souvenir d’un homme de courage et de conviction ainsi que d’un maître exemplaire, qui apprit l’orthographe, la grammaire et le calcul à des générations d’écoliers depuis les années vingt du siècle dernier jusqu’au milieu des années soixante. Soucieux avant tout de leur réussite au certif’!

Sa guerre de 14 se solda par l’attribution de la Croix de Guerre, sur le Front avec étoile de bronze argent vermeil et plusieurs citations à l’ordre des régiments dans lesquels il servit:

«  A cinq  reprises sur un terrain complètement balayé par le feu de l’infanterie et de l’artillerie ennemies, il parvint à panser et à ramener des blessés dans nos lignes…

S’étant déjà maintes fois signalé par son calme et sa bravoure, chef de section plein d’entrain et de courage, a maintenu sa section sous un violent bombardement et a contribué à repousser l’attaque dirigée contre une compagnie voisine…

A puissamment contribué au maintien d’une position fortement attaquée par l’ennemi. Il fut chargé d’une contre attaque sur un village où les allemands progressaient et s’est élevé avec un allant digne d’admiration, réussissant en partie dans sa mission, malgré de violents tirs de mitrailleuses et un bombardement intense d’obus de gros calibres »…

L’histoire est toujours complexe, comme les hommes qui la construisent! Il était à cet égard un modèle.

 

PS: Dans les années trente, Monsieur Cragné fut aussi l’instituteur de deux de mes oncles: Albert Turbelier né en 1925 et Georges Turbelier (1927-2009).

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