Celle à laquelle cet hommage est dédié ne se reconnaîtra pas. Elle ne s’en indignera ni ne s’en offusquera, car elle a disparu – d’après ce que j’en sais- il y a plus d’une trentaine d’année, emportée, m’a-t-on dit, à moins de quarante ans par un cancer des ganglions ou d’un lymphome hodgkinien…
Exhumant du tréfonds de mes archives, quelques éléments pour illustrer mon billet sur les Comptoirs modernes et sur la vie du petit monde qui gravitait autour de la rue Saint Léonard à Angers dans les années soixante, le hasard a voulu que je remette la main, au fond d’un dossier oublié, sur un petit texte d’un romantisme naïf et désuet, dédié à Chantale L. qui habitait chez ses parents en face de l’usine Soretex-Alsetex!
Une poésie certes maladroite mais dont je crois pouvoir affirmer qu’elle était exempte de calcul…
Bien que ce texte daté du 12 septembre 1968 fût probablement très antérieur à son décès, elle n’a jamais eu le loisir d’en prendre connaissance. Par pudeur, par timidité ou, plus prosaïquement, pour tourner une page qui fut parfois douloureuse, je ne lui ai jamais adressé. La vie a recouvert cet épisode d’une couche de poussière et d’oubli, puis la mort a fait son œuvre pour mettre un terme définitif à une histoire qui nous avait, l’un et l’autre, dépassés, et sans doute blessés, quelques mois auparavant.
Elle nous avait conduits à échafauder des projets d’un improbable avenir car nous étions trop jeunes, mais elle nous avait aussi éveillés aux arcanes amoureux ! Elle nous avait émerveillés et presqu’ensorcelés. C’était pour nous deux la toute première histoire!
Et dire qu’aujourd’hui, je ne visualise même plus les traits de son visage, que j’ai peine à évaluer sa taille et qu’aucune de ses expressions ne me revient en mémoire. J’ai oublié la douceur de ses chastes caresses – hormis précisément la chasteté . Je ne sais plus rien de son corps ni de son haleine. Je n’imagine même plus et j’ai perdu le goût de ses baisers. Seule me revient le souvenir sensible de son dernier parfum qui ne me convenait plus. Pire qui m’insupportait et qui devint un honteux prétexte! Il fallut un jour prendre l’initiative…
Rien qu’une aventure dont je sus par la suite qu’elle fut fondatrice. Et inoubliable car précisément j’en ai tout oublié, sauf le fait que cette passion d’une intensité adolescente fut dévorante, impulsive et qu’il fallut s’en écarter pour survivre !
Il n’en reste aujourd’hui que ce pauvre petit texte chiffonné ressuscité d’un placard ! Il comporte des maladresses et il recèle sûrement des injustices à l’égard de ses parents dont je présume aujourd’hui qu’ils étaient de braves gens, mais que je n’ai pas connus. Notre idylle resta notre jardin secret.
J’ai néanmoins décidé de le publier dans mon grenier virtuel. D’une part parce qu’’il est pour moi le seul témoignage tangible de son existence, avec une photographie floue en cours de décomposition. D’autre part, parce qu’il fut rédigé le jour-même où je l’entrevis pour la dernière fois, à la sortie du pavillon Paul Papin de l’hôpital d’Angers, il y a quarante-cinq ans. Et enfin parce qu’il recèle peut-être un message subliminal susceptible encore d’émouvoir!
Surtout, parce qu’à l’époque, elle avait tout juste vingt ans ! Et que par la suite elle n’eut guère le droit de vivre… Les traces de vie sont donc toujours précieuses, mêmes ténues:
« La froideur de l’hôpital, la chaleur de la ville qui l’entoure. C’était un soir de septembre, un jour sans révolte ; le temps d’une réconciliation. Le temps harassé de l’automne commençant ! Immense chantier humain, aride charnier latent sous le jour finissant. Glaciale et décharnée. Malade et fatiguée. Accaparée par tes parents, indécents devant ta jeunesse. Mourante sur ton passé, les yeux cerclés de souvenirs ! Telle, Chantale, m’apparus-tu, ce soir-là de septembre à la sortie de l’hôpital ! »
C’est sans regret et sans remords, que j’imagine la suite qui n’eut jamais lieu ! Et que ce petit couplet cherchait peut-être à envisager.
Mais forcément avec un peu de nostalgie!
PS: J’ai su récemment (2020) grâce au registre officiel des décès depuis 1970 que Chantale Leduc était née le 27 novembre 1948 et qu’elle est décédée le 15 mars 1983 à Angers
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