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Le quart d’heure généalogique

Les logiciels de généalogie n’oublient rien, stockent sans broncher les données que nous collectons besogneusement sur nos ancêtres, leurs fratries et leurs cousinages. Ils les classent et les hiérarchisent en fonction des multiples filiations, croisements et métissages mis en évidence, tout en accordant autant d’importance aux grands personnages de notre histoire qu’aux modestes paysans ou ouvriers sans fortune.

C’est ainsi, qu’une alerte généalogique m’a rappelé ce jour que le mardi 28 mai 1844 – il y a exactement cent soixante dix neuf ans – naissait rue de l’Ile Cognet, dans le centre ancien de Châtellerault (Vienne) un petit Antoine Frédéric Durau, fils d’un coutelier chatelleraudais et d’une mère couturière d’origine angevine.

Antoine Frédéric ne deviendra pas une célébrité dont on raconterait les exploits en commentant la bonne fortune à la veillée. Pas plus empereur, que grand seigneur ou président de la République. il ne sera ni un savant ni un grand écrivain. Ni même un grand bourgeois enrichi sous le second empire.

Ce fut simplement, un être vivant de notre espèce, plutôt impécunieux, comme la quasi-totalité des quelques deux mille cinq noms recensés dans « ma généalogie », relevant de près ou de loin de ma parentèle. Comme toutes ces personnes modestes, il fut un témoin, parmi tant d’autres, de notre histoire, résigné ou révolté mais gommé, de facto, de la mémoire collective par la postérité.

Acteur oublié d’un monde en pleine mutation, il en fut sans doute une victime au cœur d’un siècle où la révolution industrielle et le développement technologique, fondement des plus grands espoirs pour l’humanité, reposaient en partie sur l’exploitation à outrance de la condition ouvrière. Peu de ces « damnés de la Terre » ont défrayé la chronique. Il fut sûrement de ceux-là!

Aucun ni aucune d’entre eux, jusqu’à ce jour, répertoriés dans mon fichier informatique, n’appartinrent aux classes privilégiées de la société ou aux élites dirigeantes. Aucun ou presque n’eut vraiment accès à l’instruction et à la culture. Antoine Frédéric ne sut jamais signer son nom! Tous traversèrent la vie en frôlant la grande histoire du monde, sans s’apercevoir qu’ils en étaient les acteurs.

C’est pourquoi, s’agissant de ce nouveau né châtelleraudais, descendant de plusieurs générations de couteliers, le plus important n’est pas tant de disserter sur ce qu’il ne devint jamais, de s’interroger vainement pour savoir si des fées bienveillantes se sont penchées sur son berceau, que de s’intéresser à ce qu’il fut en réalité au cours de son existence, jusqu’à sa disparition à 67 ans en 1911, épuisé après des années de labeur comme ouvrier et à l’issue d’un veuvage de plus d’une quinzaine d’années.

Quelles aventures, quels bonheurs, quels malheurs ou secrètes fêlures, cache ce « fameux tiret » intercalé entre les deux dates – 1844 et 1911, celle de sa naissance et celle de son décès? Que recèle ce tiret censé incarner le passage d’une vie et qui, aujourd’hui, l’identifie de manière énigmatique pour l’éternité?

A quel titre enfin, son état civil est-il stocké dans la mémoire de mon système informatique, alors qu’on ne dispose de lui d’aucun portrait ni écrit attestant matériellement de notre proximité?

En fait, la réponse est évidente: Antoine Frédéric Durau est l’un de mes huit arrière arrière grand père de ma « branche » maternelle.

Dit autrement, c’est le grand-père de mon grand-père maternel, Louis Turbelier (1899-1951).

Etat civil de Châtellerault – 1844 – AD de la Vienne
Vieille maison rue Cognet à Châtellerault

Pour le reste, il faut imaginer, inventer des traces qui n’existent plus, car la mémoire familiale n’a conservé de lui que deux ou trois anecdotes dont l’authenticité prête d’ailleurs à caution.

Ce qui est certain c’est qu’à sa naissance, son père Jacques Durau était déjà presque un vieil homme dans une époque où l’espérance de vie à la naissance n’excédait pas la cinquantaine. Jacques était en effet âgé de cinquante huit ans.

Sa mère, en revanche, Virginie Denou, deuxième épouse de Jacques, n’avait que trente deux ans!

Cette importante différence d’âge entre ses deux parents permet de comprendre que le jeune garçon, orphelin de père dès l’âge de deux ans, fut exclusivement élevé par sa mère. C’est d’ailleurs probablement à la suite de ce premier drame familial ou de cette délivrance d’un mari sur le déclin, que cette dernière quitta définitivement Châtellerault et rejoignit sa famille à Angers, ville dont elle était originaire et où demeura dès lors son jeune fils…

Ce faisceau de circonstances expliquent sans doute aussi qu’Antoine Frédéric, dont on ignore s’il maintint un lien avec sa famille poitevine, ne reprit pas le flambeau familial de la coutellerie châtelleraudaise. Mais il ne reniera pas la tradition paternelle des métiers de la métallurgie, puisqu’il devint lui-même ouvrier parapluier dans une entreprise d’Angers, la Maison Sarret-Terrasse avenue Besnardière, qui fabriquait des fourchettes de parapluies et des ombrelles,

Ouvrier parapluier! Etrange mais compréhensible qualification, ignorée de nos modernes dictionnaires des métiers et des fantomatiques conventions collectives d’industries délocalisées en Chine.

A l’inverse de son propre père qui avait épousé en secondes noces, une femme d’un quart de siècle, sa cadette, Antoine Frédéric épousa Françoise-Félicité Turbelier de douze ans son ainée; elle était en effet née en 1832 à Nort-sur-Erdre (44). Le mariage eut lieu à Angers en 1865.

Françoise lui donna deux filles, Augustine Durau – mon arrière grand-mère – en 1867 et Louise en 1869. Elle mourut en 1895 à 63 ans à Angers. Le couple habitait alors rue Souche de Vigne, qui reliait l’ancienne rue de la Juiverie et la rue Saint-Léonard dans le quartier périphérique et populaire de la Madeleine.

Parvenu à la retraite, au début du 20ième, Antoine Frédéric, pratiquement sans ressources vécut misérablement, bien qu’il ne fut pas abandonné par ses filles. L’âge de la retraite équivalait en ce temps-là à celui de l’épuisement physique et la pension était quasi inexistante, laissée au bon vouloir de la charité patronale!

Aussi, pour alléger la charge qu’il représentait pour sa famille, il dut pour survivre pratiquer divers petits métiers saisonniers. A l’automne par exemple, il « grâlait les marrons » et les vendait au coin de la rue Desmazières et de la place de la Madeleine, tandis qu’au printemps, il ramassait des pissenlits au bord des chemins et en faisait également commerce. A l’occasion, il pouvait prêter main forte aux nombreux petits maraichers du quartier!

Passant l’essentiel de son temps dans la rue, il y trépassa au lendemain de Noël 1911. Un peu comme il avait vécu, discrètement comme un pauvre!

Il repose depuis dans le cimetière de l’Est à Angers!

En ce jour anniversaire de sa naissance, le rappel de son existence dont on ignore peut-être l’essentiel, est une façon timide et dérisoire mais néanmoins sincère d’exprimer notre reconnaissance et notre empathie à un inconnu qui nous a transmis quelques gènes. Et de dire aussi, que, malgré tout, son passage sur notre belle planète bleue n’aura pas été vain.

Se souvenir pour conclure qu’à bien des égards nous lui ressemblons!

179 piges, ça s’arrose!

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Ce dimanche 19 septembre 2021, en orbite à quatre cent kilomètres d’altitude, Thomas Pesquet a photographié Angers depuis son hublot panoramique de la station spatiale internationale. Vue de loin, ma « bonne vieille » ville natale, ci-devant capitale des ducs d’Anjou, ressemble vaguement à celle dans laquelle j’ai effectué, il y a six décennies, mes « humanités ». En fait, l’image s’apparente à celle de la plupart des autres villes vues d’en haut !

Pourtant, la Maine est bien là, identifiable avec son lac en aval de la ville. Le château du roi René, forteresse médiévale se devine en y regardant de près! C’est-à-dire de loin mais très attentivement avec les yeux de Chimène. L’autoroute qui traverse la ville est aussi discernable ainsi que la voie autoroutière sur la berge de la rive gauche de la rivière.

En revanche, les quartiers du centre ou ceux périphériques, comme la Madeleine, Saint-Léonard, Les Justices, ceux de mes souvenirs d’enfance, de mes premières bosses et égratignures, ceux de mes parties de foot dans les terrains vagues du coin ou des jeux sur les buttes des anciennes carrières d’ardoise, sont noyés dans la masse grise et dense d’une urbanisation devenue envahissante. Il en est de même des lieux de mes premières amours adolescentes. même les cimetières ont disparu de notre vue, alors qu’ils sont certainement encore là. L’éternité dure et j’y possède un droit d’accueil…

Du coup, on peut en conclure sans exagérer et sans remettre en cause la performance technique de notre astronaute national qu’avec un éloignement spatial suffisant, celui prévu à chaque seconde par les ordinateurs de bord de la station orbitale, tout peut se confondre, s’interpénétrer ou presque disparaitre dans un inextricable réseau de connexions aux allures neuronales ou ribosomiques.

Avec notre mémoire intime – qui dans la durée, opère parfois de curieuses impasses ou de tendancieuses omissions – le parallèle est d’ailleurs saisissant! Tout semble se passer en effet comme si l’espace et le temps témoignaient d’une même réalité et étaient par conséquent responsables des mêmes escamotages et des mêmes disparitions. L’un émergeant de l’autre et inversement.

La photo prise du satellite par Thomas Pesquet, qui à sa manière, incarne la complexité de ce qui est, ou de ce qu’on s’imagine être le réel, n’est peut-être finalement qu’un instantané représentatif de l’état actuel de notre mémoire. D’une mémoire des endroits qui nous furent familiers jadis, mais dont nous ne conservons plus aujourd’hui que les traits les plus grossiers, tels les indices topographiques – à défaut toponymiques – d’une géographie fractale qui n’entre plus, aux détails disparus près, dans le champ visuel de notre regard et de notre esprit!

Cette impression étrange de fausse proximité avec  » ma « ville que rien ou presque désormais ne distingue plus vraiment des autres espaces urbains du monde lorsqu’ils sont observés du ciel avec la mélancolie féérique de souvenirs anciens, rejoint la non moins insolite sensation de sidération, mâtinée de nostalgie, éprouvée cette année, un dimanche midi ensoleillé d’août sur le boulevard Foch d’Angers. Et ce, alors que, de passage dans la ville, nous recherchions une brasserie – un troquet en d’autres termes – pour nous servir une souris d’agneau aux mogettes, un carré de porc aux reinettes ou même une fricassée de poulet à l’angevine, en lieu et place d’un obligatoire et incontournable burger frites et ketchup.

Notre déception fut grande de n’aboutir dans notre quête initialement gastronomique, plus prosaïquement alimentaire mais finalement identitaire, qu’à nous réfugier, faute de mieux, dans une station d’autoroute aux portes de la ville. C’est dans cet endroit délocalisé et sans mémoire qu’en fuyant dépités un lieu autrefois matriciel, nous prîmes conscience qu’Angers et son histoire récente ne nous appartenaient plus depuis longtemps!

Partout ailleurs, dans l’univers aseptisé et normalisé des grands axes de circulation routière, nous aurions trouvé le même ersatz de tradition faussement culinaire! Ainsi va la modernité, de pair sans doute avec notre vieillissement!

Ainsi nous le rappelle innocemment ce cliché venu de l’espace, ce 19 septembre 2021.

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La loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat qui a introduit la laïcité dans le thésaurus des principes républicains, n’est en théorie plus contestée par personne…En France, plus personne ou presque ne discute ouvertement l’axiome selon lequel la religion n’a pas sa place en politique et la politique n’a rien à faire en religion. L’une relevant du domaine privé et l’autre de la sphère publique. Autrement dit, chacun peut penser ce qu’il veut de l’existence ou non d’un dieu créateur, il peut même s’en revendiquer ou s’en moquer, mais à la condition qu’il n’impose pas sa croyance, ses convictions ou ses rites liturgiques à ceux qui ne les partagent pas…

La loi de 1905 n’est donc pas une loi antireligieuse visant à promouvoir l’athéisme ou l’anticléricalisme, mais une loi a-religieuse! Elle n’incite pas à la haine des religions mais à l’acquiescement mutuel ou à la cohabitation pacifique des différentes formes de démarches métaphysiques ou transcendantales, dès lors que les règles et les valeurs de la République s’appliquent partout dans l’hexagone et Outre-mer et qu’elles soient acceptées par tous sans privilège, sans complaisance et sans restriction.

Somme toute, c’est finalement assez simple à comprendre et c’est probablement la raison pour laquelle, avec le recul du temps, cette loi qui figure parmi les textes fondateurs les plus importants de notre pacte républicain, est perçue comme une législation d’apaisement et de tolérance religieuse… Et de fait, en dépit de quelques poussées fiévreuses chez les nostalgiques des Guerres de Vendée, des spleenétiques du catholicisme gallican ou de la « petite église non concordataire », elle joue depuis un siècle, ce rôle de référence indiscutable voulu par le législateur d’encadrement des rapports entre les diverses expressions confessionnelles et la République. Et ce, jusqu’à la fin du vingtième siècle… Jusqu’à ce que les ondes générées dans le sillage de notre passé colonial ne viennent significativement modifier – voire troubler – la géographie religieuse de notre pays, et avec elle, les incarnations culturelles qui vont de pair.

Porte latérale rafistolée de l’église de la Madeleine (Angers) – Ph. JLP 2020

Cette loi de 1905, devenue mythique recueille encore une sorte d’adhésion unanime de la part d’une majorité de ceux qui se réclament des confessions chrétiennes, notamment des catholiques, qui, pourtant, à l’époque de son adoption, se considéraient comme ses principales cibles et ses victimes désignées… Devenus des militants de la paix civile, ils la défendent – et à bon droit – en croyant y retrouver l’expression sécularisée de la locution évangélique de Saint Matthieu, sur la nécessité de « rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu »…

C’est d’ailleurs cet aspect conciliant qu’en tremblant dans leur froc, s’efforcent de mettre en avant les responsables politiques actuels, désormais confrontés à la montée en puissance agressive sur l’espace public, en particulier dans les zones périphériques des grandes métropoles urbaines, d’un islam nouvellement et massivement implanté dans une France post-coloniale et désormais métissée… Après l’ère du déni s’ouvre celle de la compromission tandis que les franges les plus extrémistes des adeptes du Prophète, très souvent sécessionnistes, prospèrent sur la misère des cités de banlieue, en s’appuyant sur des trafics en tous genres, sur le mépris des principes humanistes les plus élémentaires notamment l’égalité des sexes, et sur l’affirmation de pratiques identitaires communautaires antinomiques, à bien des égards, de l’ordre public républicain.

Contestant violemment les principes de la République, les prosélytes les plus acharnés de ces causes nauséabondes, parfois téléguidés par des intérêts idéologiques étrangers, cherchent à imposer – au besoin par la violence terroriste – une interprétation radicale, rigoriste et liberticide de leur croyance.

Ces dérives inquiétantes, qui visent explicitement à abolir la légalité républicaine au profit des lois religieuses, sont sans doute encore minoritaires, mais d’ores et déjà elles sont criminelles. Et elles pourraient à terme porter atteinte à la cohésion nationale.

En aucun cas, en revanche, elles ne disqualifient la loi de 1905 sur la laïcité. Au contraire, elles en confortent la pertinence, même si les promoteurs de ces nouvelles idéologies mortifères font tout pour en dévoyer le sens et l’instrumentaliser à leur funeste profit.

L’urgence n’est plus aujourd’hui d’ouvrir des débats sémantiques pour qualifier ce phénomène, ni d’invoquer le danger de « stigmatisation » pour justifier notre attentisme. L’urgence est de dénoncer ces détournements d’une loi conçue avant tout comme une loi de libération et d’en imposer l’application partout sur le territoire de la République, quitte, si nécessaire à user sans faiblesse des moyens légitimes dont use une société démocratique pour se défendre contre des menées factieuses qui visent à la détruire.

D’aucuns semblent craindre qu’une revendication sans complexe – avec fermeté – du principe de la laïcité « à la française » ne heurte la sensibilité de populations nouvellement accueillies dans notre pays, ne bouscule trop leur culture originelle et ne constitue un handicap à leur accès sans restriction à la citoyenneté. Et de surcroît une citoyenneté à la carte, de conception minimaliste et dégradée qui n’intègre pas comme prérequis obligatoire, l’acceptation de nos usages ainsi que le respect de nos règles de civilité et de civisme.

Pourtant, l’objectif ne devrait pas être d’éviter d’être contrariant, mais d’être efficace dans la lutte contre cette nouvelle forme fascisante et sournoise de gangrène sociétale, dans le respect de la loi et des droits individuels garantis par notre droit.

Et de ce point de vue, notre passé constitue un exemple!

La mise en oeuvre en 1906 de la loi de séparation des églises et de l’Etat ne s’est pas faite sans heurt, notamment lorsqu’il s’est agi d’inventorier les biens de l’Eglise dont la propriété et la gestion étaient désormais confiées à l’Etat ou aux collectivités locales. La République s’est même parfois montrée brutale à l’égard du clergé et des fidèles d’alors qui refusaient de transférer à l’Etat des lieux de culte ou un patrimoine immobilier, financés depuis toujours sur leurs propres deniers…

C’est le cas par exemple de l’église paroissiale du quartier de la Madeleine à Angers – celle de mon enfance – érigée à la fin du dix-neuvième siècle à partir de dons des paroissiens et de riches mécènes locaux pour remercier « le Sacré-Cœur d’avoir épargné la Ville de l’occupation prussienne en 1870 »!

Ainsi, c’est par la force que l’administration préfectorale put procéder à l’inventaire des biens de l’église, le jeudi 1er mars 1906 et que le préfet de Maine-et-Loire dut réquisitionner à cet effet un régiment du génie et ses sapeurs.  Lesquels ne permirent aux huissiers de réaliser leurs constats qu’après qu’ils eurent enfoncé une porte latérale de l’édifice dans lequel le curé, des notables paroissiaux et nombre de fidèles s’étaient barricadés pour protester.

Force est revenue à la loi malgré l’opposition des « gilets jaunes cléricaux » d’antan qui s’estimaient spoliés.

Parmi eux, se trouvait un de mes arrière-grands-pères, Alexis Turbelier (1864-1942) organiste attitré de la « basilique Sainte Madeleine du Sacré Cœur d’Angers »! Mon cœur est avec lui, mais ma raison est républicaine!

Dans un de ses ouvrages « Sons de Cloche » publié en 1976, René Rabault (1910-1993) homme de théâtre, décorateur et écrivain angevin a décrit, minute par minute, cet assaut surréaliste d’une des chapelles latérales de la basilique, par laquelle les assaillants sont parvenus à investir les lieux!

Plusieurs heures furent nécessaires pour venir à bout des assiégés qui chantaient des chants grégoriens et récitaient le Rosaire :

 » ... Les sapeurs sont alignés au long de la grille de la rue Pascal, sur une dizaine de mètres à partir de son ancrage en bout de transept? Elle est saisie énergiquement, méthodiquement d’avant en arrière, descellée, arrachée, enjambée. Un maréchal des logis de gendarmerie empoigne une hache, entraîne des soldats et autres volontaires pareillement armés.

Pour les assaillants, il est clair que la porte est contrebutée, mais que par contre, l’amoncellement de chaises et de bancs qui doit la doubler paralyse toute contre-attaque de l’intérieur. Ils l’entaillent de bas en haut selon une double déchirure qui détachera un large panneau. Les coups tombent sur le rythme mécanique des massues enfonçant les pieux d’un cirque….

… La double déchirure de la porte s’achève. Les madriers en arc-boutant au lieu de la consolider la poussent. Elle craque, les assaillants s’écartent. Quelques coups encore, prudemment portés et elle tombe sur la face avec fracas. Dans le chœur jaillit le chant du « Parce Domine… »

La longue suite de la procédure d’inventaire se déroula sans violence, après que le curé Félix Fruchaud eut symboliquement rendu les armes et élevé officiellement une protestation face au représentant du Préfet!

Dans l’instant, les paroissiens « stigmatisés » en nourrirent beaucoup d’aigreur et de rancœur, désespérés qu’on « viole » ainsi sous leurs yeux leur église, au mépris, selon eux, d’un droit canon inapplicable en la circonstance!

Mais, cette fois-là, le bras armé de la République n’a pas tremblé ni failli à sa mission de maintien de l’ordre public. Oui et tant mieux, force revint à la loi après que les haches eurent réduit la porte « en charpie »!

Bien sûr, sur le moment, cet épisode fut douloureusement vécu par les paroissiens et diversement apprécié. Bien sûr, ceux qui furent arrêtés ce jour-là pour rébellion et retenus quelques heures, se sentirent certainement stigmatisés! Bien sûr le traumatisme fut sensible dans la population locale, acquise à l’Eglise catholique et romaine depuis les guerres de Vendée…

N’empêche que progressivement la paix civile se réinstalla dans le quartier, que la vie reprit son cours et que la République finit par être admise. Même la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne fut plus perçue comme une infamie! Ou un ferment de division.

Quelques années plus tard, la plupart des insurgés de 1906, défendirent leur pays sans rechigner dans les rangs de l’armée de la République française.

Plusieurs périrent au cours du premier conflit mondial. Certains furent décorés des ordres de la République. Le nom des absents ou celui de leurs enfants – dont mon grand-oncle Alexis Turbelier (1897-1918), le fils de l’organiste assiégé – sont inscrits aujourd’hui sur le monument « aux morts pour la France » dressé dans la chapelle de la Vierge de l’église…

Bien sûr enfin, le souvenir de 1906 et de ses inventaires demeure. La porte fracturée ne fut jamais remplacée.

Tout juste rafistolée, elle persiste à témoigner – comme j’ai pu l’observer récemment à l’occasion d’obsèques familiales – des difficultés endurées par les camps opposés d’alors. Mais les cicatrices ne font plus souffrir quiconque Ni l’église, ni la République ne trouvent à redire de cet équilibre sanctionné – et sanctifié – par le temps!

En dépit des oppositions parfois vigoureuses et des options politiques ou religieuses divergentes des uns et des autres, toutes les résistances, tous les tiraillements ont été finalement surmontés pour former un seul peuple autour des mêmes valeurs et principes, ceux de la République! Chacun restant libre de ses dévotions.

Pourquoi l’inflexible détermination manifestée par la République en 1905 et 1906, ne pourrait-elle pas de nouveau être déployée, vis-à-vis des forces obscurantistes qui insidieusement remettent en cause non seulement la laïcité mais l’ensemble des clauses de notre pacte républicain?

La faiblesse des pouvoirs publics, par clientélisme ou opportunisme électoral ou par peur d’affronter la réalité d’une menace mortelle qu’on préfère ignorer, est non seulement une faute politique grave, mais une faute morale imprescriptible à l’égard de populations désorientées prises en otage par des prophètes hallucinés faisant la promotion de dogmes moyenâgeux. C’est aussi une insulte au progrès et à l’intelligence et un facteur mortifère de nos civilisations!

Pour certains, la loi de 1905 fut sans doute une épreuve, mais une épreuve salvatrice!

Elle reste de pleine actualité, à condition de savoir la lire!

Parvis de l’église de la Madeleine au début du vingtième siècle

 

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Ce samedi 15 octobre 1938, les bruits de bottes de l’Allemagne nazie se faisaient de plus en plus menaçants. Les accords de Munich piteusement signés sous la pression d’Hitler – secondé par Mussolini, – quinze jours auparavant, le 30 septembre par la Grande Bretagne et la France, n’avaient évidemment rien résolu. Les deux grandes démocraties européennes représentées par le Premier ministre anglais, Arthur Neville Chamberlain (1869-1940) et le président du Conseil français, Edouard Daladier (1884-1970), ont rivalisé à la fois de fausse naïveté et de lâcheté.

Au nom d’une promesse fallacieuse de sauvegarde de la paix en Europe, la France et l’Angleterre ont ainsi abandonné la Tchécoslovaquie – les Sudètes dans un premier temps – à la sauvagerie nazie et aux appétits criminels et prédateurs d’Hitler, le führer démoniaque de l’Allemagne…

C’était il y a quatre-vingt un ans!

Winston Churchill (1874-1965), le vieux lion (successeur de Chamberlain) qui devint le héros de la résistance de la Grande Bretagne et de l’empire britannique, aurait dit à propos de cet épisode peu glorieux:

« Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. »

On connait la suite tragique de cet démission et ses funestes conséquences pour l’Europe et pour le monde…

Pourtant, il n’est malheureusement pas certain que toutes les leçons de cette pathétique farce diplomatique aient été comprises. Il semble même qu’elles été oubliées, lorsqu’on mesure l’impuissance aujourd’hui des démocraties, à faire entendre la voix de l’humanité, de la civilisation et de la morale face aux crimes de l’islamisme.

Les leçons du passé semblent vaines lorsque nos Etats, respectueux du droit, se limitent à de modestes réprimandes ou à des sanctions économiques qu’ils n’appliqueront qu’à reculons, à l’encontre d’un dictateur inflexible comme le président turc Erdogan. Lequel faisant fi du droit international, agresse et envahit le nord de la Syrie, son pays voisin, en vue d’y perpétrer un génocide presque revendiqué de la communauté kurde, que viscéralement il ne se cache pas d’exécrer!

Malgré tout, ce samedi 15 octobre 1938, ne fut pas qu’une journée annonciatrice de périls mortels.

Ce fut aussi une journée ordinaire qui, pour beaucoup, prit même le contre-pied du malheur en misant sur le bonheur et sur l’avenir. Ce fut le cas, en particulier, dans les familles, qui accueillirent, ce jour-là, un nouveau-né!

C’est précisément à cette date-là que dans ma bonne ville d’Angers, est née Marie-Thérèse Gallard, dernière d’une fratrie comportant déjà deux garçons, et plus connue par les lecteurs de ce blog, sous le pseudonyme de « Rose l’Angevine »!

Aujourd’hui, c’est son anniversaire et nous lui souhaitons le plus heureux et joyeux possible, entourée de l’affection de ses proches et avec ses amies.

Cousine germaine de ma mère, Rose est, depuis des décennies, une passionnée de généalogie, et à ce titre, elle est à l’origine de la plupart de mes billets sur l’histoire de notre famille…

Mais son horizon ne se limite pas à ses recherches sur nos aïeux communs. Il est et demeure beaucoup plus large, car elle cultive aussi avec soin ses relations avec nos lointains cousins d’Outre Atlantique, installés depuis des générations au Québec, qu’elle visita à plusieurs reprises…Et, elle est enfin une experte reconnue et talentueuse du patchwork!

Ce samedi 15 octobre 1938, quand elle ouvrit un œil curieux et interrogatif sur notre monde étrange et qu’elle prit pour la première fois son souffle, la météo angevine était – selon le Petit-Courrier, le quotidien local – semblable ( à peu près) à celle que l’on observe quatre-vingt et un ans plus tard…Ni chaud, ni froid, ni pluvieux, ni ensoleillé: automnal, avec le délire hystérique du « réchauffement climatique » en moins.

Hormis l’actualité internationale angoissante et les tensions en Europe et en Asie (déjà), rien de notable n’était à signaler à Angers… La ville vivait encore dans le calme d’avant la tempête, vaquant paisiblement à ses occupations habituelles, belle endormie provinciale à l’ombre de sa cathédrale, des tours de son château médiéval et de son tribunal, seulement distraite par les petits faits divers, les annonces légales, les nouvelles de l’état civil du chef-lieu et des cantons environnants, ainsi que des drames domestiques de chiens écrasés…

Sans omettre, les assemblées générales des amicales de jardiniers.

Le Petit Courrier de l’Anjou du 15 octobre 1938 -AD 49 – capture d’écran  

Un bonheur d’insouciance et d’inconscience du danger…

Rien de notable donc, si ce n’est, peut-être, parmi les événements sortant de l’ordinaire, un salon de la TSF qui ouvrit ses portes, ce jour-là. Salle Chemellier tout près de la mairie d’Angers. C’est justement là que le père de Rose dut se rendre, ce samedi, pour déclarer l’enfant à l’Etat civil! Il n’est pas douteux qu’à cette occasion Michel Joseph Gallard fit un « court » détour par le salon, car c’était un homme de progrès, fasciné par la radio et les transmissions par les ondes.

Ce n’est cependant que dans l’édition du Petit Courrier datée du lundi 17 octobre 1938 que la naissance de « Rose » fut mentionnée, mais de telle sorte que la méprise était permise sur la date exacte de l’accouchement…

En regard de la liste des bébés du jour, un encadré annonçait la projection au cinéma Le Vauban sur le boulevard Foch, d’un film Paramount de 1937 : « Une étoile est née ».

Juste et opportune observation!

Le Petit Courrier de l’Anjou du 17 octobre 1938 -AD 49 capture d’écran

Coïncidence?

En tout cas, une annonce en phase avec les circonstances, à moins que ce ne soit le vœu d’une fée bienveillante! Sûrement un présage sympathique et une perspective prémonitoire du destin de Rose !

Les étoiles scintillent!

 

PS: Pour moi qui suis parvenu à l’automne de ma vie, mais peut-être pas encore au crépuscule, ce jour du 15 octobre renvoie en outre à certains de mes plus lointains souvenirs, enfouis par un demi-siècle d’amnésie… Des souvenirs qui évoquent irrésistiblement  » les Passantes » de Georges Brassens…

Allez savoir pourquoi!

 

 

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« Pour ses arrières-petits enfants, qui s’interrogeront peut-être un jour à propos d’une vieille croûte poussiéreuse dans un débarras »

Jusqu’à un âge très avancé, ma mère peignit… Elle en fit même son passe-temps favori pendant de longues années. Mais paradoxalement, alors que petite fille, elle aimait déjà dessiner et colorier, ce n’est qu’assez tardivement qu’elle s’y mit vraiment. En fait, ce n’est qu’à la cinquantaine échue, qu’elle reprit ses mines de plomb, ses aquarelles, ses gouaches et ses pastels. Ses sanguines aussi, ainsi que ses fusains et ses craies, car elle était touche-à-tout…

Un peu comme si, à l’automne de sa vie, elle retrouvait une idylle de jeunesse, occultée depuis longtemps par les vicissitudes de l’existence, et qu’il fallait vite rattraper le temps perdu! Comme s’il y avait urgence à révéler au grand jour, une intrigue d’enfance, soigneusement et secrètement entretenue!

Elle s’adonna alors sans retenue à cette passion si longtemps étouffée, avec l’empressement de la néophyte ou de l’autodidacte, sans d’ailleurs chercher à en apprivoiser les codes, les règles ou les standards…Elle peignait et dessinait sans trop s’embarrasser d’autres contraintes esthétiques que celles qu’elle se donnait. Sans aspirer non plus à une reconnaissance universelle qui éclairerait la postérité ou encombrerait les réserves de musées d’outre-atlantique ou de province…

Elle peignait d’instinct, des paysages, des natures mortes, des fleurs… Jamais de portraits. Juste pour le plaisir de l’instant, juste pour rêver de couleurs et d’horizons imaginaires, sans échafauder de lendemain prometteur qui, en toute logique, n’avait aucune raison d’être. Elle ne se berçait pas d’illusions sur la permanence ou la valorisation de son travail, mais elle en était fière et s’en revendiquait. C’était l’expression tangible de sa liberté. Elle peignait, en somme, pour se sentir exister.

Puis un jour, sans rien renier de ce qu’elle s’était évertuée à réaliser, quotidiennement durant quatre décennies, elle décida, sans crier gare, de ranger ses pinceaux et ses spatules… Prétextant que sa main tremblait, elle remisa sa palette et ne toucha plus à ses toiles ou à ses cahiers de dessin!

L’une de ses toiles 

Cette résolution apparut dans un premier temps, énigmatique à son entourage! Faisait-elle vraiment sens au-delà des fausses évidences sur son état de santé et des apparences, ou de ce qu’elle en disait pour nous égarer? Se pouvait-il qu’il ne s’agisse que d’un caprice de vieille dame, d’une coquetterie imputable au grand âge, ou encore d’une sorte de « roublardise » dont ma mère était friande? Juste pour se faire prier…

Ses handicaps physiques qui, certes, se multipliaient, étaient-ils, comme elle le prétendait, la principale et unique cause de son renoncement?

Ou fallait-il en demander plus et s’efforcer d’accéder à la quintessence de sa démarche créative pour comprendre cette retraite soudaine, sans sommation ou symptôme patent préfigurant l’inéluctable?

La cause en était manifestement plus profonde qu’on ne le supposait, et certainement indicible. D’ordinaire peu effarouchée, volontiers diserte en société, bavarde même et parfois pusillanime aux yeux de ses détracteurs, ma mère adoptait ici une posture de mutisme sélectif qui ne lui ressemblait pas…Clairement, elle n’avait pas l’intention de fournir d’autre explication que celle du léger tremblotement de ses mains, et ne semblait pas disposée à livrer à quiconque les arcanes de son intimité, de ses contrariétés et de ses sentiments … Et pourtant, dans le cas d’espèce, c’était probablement dans cette voie qu’il convenait de rechercher la clé.

S’il fallait attribuer cette démission à une sorte de fêlure et la comparer à d’autres craquelures ou gerçures de l’âme, on pourrait sans doute la rapprocher de l’embarras éprouvé par de vieux tourtereaux se retrouvant sur la Toile, un demi-siècle après la fin de leur marivaudage adolescent… et qui, au plaisir d’improbables retrouvailles, préfèrent s’abstenir de réveiller d’antiques cicatrices pour ne pas s’effrayer mutuellement de ce qu’ils sont devenus.

Alors, c’est en mémorialistes de leurs vies que les anciens flirts évoquent leur fougue de jadis, en évitant soigneusement d’empiéter sur leurs destinées en cours. Ils savent en effet qu’ils n’ont plus rien à attendre ensemble du présent… Ce comportement répond sans doute au souci d’épargner à l’autre, mais surtout à soi-même dans le regard de l’autre, l’image dégradée que renvoie une actualité qui ne peut plus servir de décor à leurs amourettes passées. D’aucuns y verront une forme revisitée de stoïcisme: une quête nostalgique du bonheur par la tempérance.

C’est sûrement dans cet état d’esprit que ma mère décida un jour d’abandonner sa peinture. Pour ne pas souffrir. Pour ne pas subir la déchéance d’un talent dont elle se créditait sans fausse modestie, mais dont, confrontée à l’érosion du temps, elle mesurait la fragilité,

Ayant perdu une grande partie de son autonomie physique – donc de son indépendance – ma mère ne supportait plus que l’image d’artiste qu’elle était parvenue à imposer à ses familiers, ne fusse irrémédiablement écornée par le spectre d’une vieillesse envahissante et impitoyable. Et ce, d’autant plus que ce statut d’artiste-peintre dont elle jouissait auprès de ses proches et qu’elle ne devait qu’à elle-même, constituait certainement un des principaux marqueurs identitaires de la seconde phase de sa vie. Et probablement celui qui lui tenait le plus à cœur après celui de mère, car il incarnait son émancipation après des années d’oubli de soi-même au profit de ses enfants et de son mari…

Dorénavant, elle ne pouvait se résoudre à produire un travail – à ses yeux – de moindre qualité, dont elle estimait qu’il ne saurait susciter d’autres appréciations que celles dictées par la piété filiale ou la compassion. A quoi bon poursuivre si l’on perd toute aptitude à provoquer l’émotion, à plaire ou à séduire par la seule force de son talent!

Redoutant le naufrage et la médiocrité, et refusant la charité, elle choisissait d’anticiper l’abandon en prenant l’initiative de jeter l’éponge… Elle préférait désormais s’en tenir aux quelques dizaines – voire centaines- de dessins ou toiles effectivement réalisées, dont elle fit son patrimoine présentable.

Rien ni personne ne purent la convaincre du contraire. Ripoliner ou peinturlurer avait été sa manière de tromper le temps. Désormais, ce dernier lui échappait!

En revanche, elle ne dédaignait pas qu’on admirât celles de ses « œuvres » exposées dans son appartement de Massy… Celui qu’elle habitait avec mon père, et qui fut son unique atelier. Mais, dès qu’on tentait de l’inciter à poursuivre son travail, elle détournait la conversation. Si, plaisantant, on insistait en présentant son handicap comme « un atout » pour réaliser des œuvres pointillistes « à la Paul Signac », elle répétait, agacée en perdant tout sens de l’humour, que sa « fichue » ostéoporose à l’origine des raideurs dont elle souffrait, lui interdisait la maîtrise de ses mouvements et une station prolongée à son chevalet ou à sa table de dessin.

Un point, c’est tout! 

Dès lors, sa palette de couleurs devint définitivement orpheline, délaissée et figée sur une étagère du petit meuble vitré, qui faisait office de placard aux peintures, aux huiles, aux brosses et aux pinceaux. Celui-là même où étaient aussi entreposés les cartons à dessins et rangés ses pinceaux!

     Sa palette abandonnée

Lorsqu’elle commentait ses tableaux – exercice auquel elle se livrait volontiers et même avec délectation- elle le faisait à sa manière en s’attardant sur les circonstances, sur son humeur ou sur les anecdotes, qui l’avaient conduite à choisir tel sujet ou à privilégier tel motif ornemental. Mais elle ne s’attardait pas sur la technique qu’elle considérait, à tort ou à raison, comme accessoire, voire dérisoire.

Ce n’est pas en effet, au nom d’une expertise, qu’Adrienne parlait de ses tableaux, car elle connaissait leurs imperfections, mais comme une femme qui avait trouvé dans l’expression picturale, un moyen propre de faire entendre sa subjectivité, de conquérir son autonomie et de faire valoir sa liberté d’être…

Dans ce « domaine réservé » dont elle ne livrait à son entourage que ce qui lui convenait, son mari n’avait guère d’autre option que d’admirer, « encadrer » les œuvres, et, le cas échéant, les suspendre au mur du salon!

Il est symptomatique que dans ce couple, né d’un coup de foudre illuminé par le militantisme jociste dans l’allégresse des mois qui suivirent la Libération d’Angers en 1944, mon père, photographe amateur compulsif, n’ait pris aucun cliché de ma mère à son chevalet, alors qu’il nous a légué des milliers de photographies, dont de très nombreuses d’elle, en noir et blanc ou en couleur, en format 6×9 ou en 24×36 et autant de diapositives! Cette omission n’était probablement pas fortuite!

Pour lui comme pour elle, la manumission par l’art était extérieure à leur contrat de vie en commun… Il n’est d’ailleurs pas exclu que cet affranchissement fût perçu par l’un et l’autre, comme potentiellement destructeur d’un équilibre conjugal adossé à des siècles de tradition. Mais tandis qu’elle y entrevoyait là un enrichissement personnel et une forme de libération, lui se sentant peut-être relégué, en concevait sûrement une sourde crainte.

Lui, il se souvenait qu’une fois pour toutes, lors de leur mariage en décembre 1947, leur amour irréfutable avait été sanctifié, donc par définition déclaré éternel et fusionnel!  » Conventionnellement fusionnel »! Mais au sens où on l’entendait après-guerre dans les provinces de l’Ouest et dans une famille de militants chrétiens de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne et ultérieurement de l’Action Catholique Ouvrière…Ce postulat, Maurice aimait le rappeler avec émotion, chaque année, aux dates anniversaires de ce mariage qu’ils conquirent, à l’époque, de haute lutte! …

Un serment qui semble aujourd’hui « très daté » et en décalage avec l’évolution actuelle des mœurs ainsi qu’avec l’objectif d’égalité « réelle » des sexes dans tous les domaines de la vie!

Après les années de pétainisme et d’oppression nazie, la génération de jeunes femmes et de jeunes hommes, assoiffés de liberté, à laquelle appartenait mes parents, était sans conteste, avide de progrès social et perméable aux idées nouvelles du Conseil National de la Résistance, mais elle n’échappait pas, en matière de comportement individuel à la tradition patriarcale, castratrice et conservatrice relayée par une église catholique encore puissante dans ces pays de la Chouannerie et des Guerres de Vendée…

Confortés par un code civil qui qualifiait encore le mari de « chef de famille », les hommes jouissaient du meilleur rôle, tandis que les épouses se perdaient dans les contraintes et les sujétions du mariage et des maternités dont elles assumaient l’essentiel de la charge! La notion de parité des sexes ne relevait pas encore de l’utopie; elle n’était pas du tout  invoquée. Et la majorité d’ailleurs n’y trouvait rien à redire, en particulier de nombreuses femmes dans la classe ouvrière, qui ne concevaient pas la vie autrement que dans le sillage de leur mari. Elles en partageaient leurs luttes lorsqu’ils étaient syndiqués, et subissaient passivement – sans trop s’en formaliser – cet apartheid juridique, politique, économique et social.

Dans ce contexte, peindre sans en référer à quiconque, était, pour ma mère, une manifestation d’indépendance et de reconnaissance, une bouffée d’air frais, et aussi, une contestation « à bas bruit » de l’homme qu’elle n’a jamais cessé d’aimer mais dont elle déplorait tacitement le peu d’enthousiasme à procéder à une sorte d’aggiornamento domestique, alors qu’il était toujours partant, hors les murs, pour faire la révolution sociale ou politique …

L’art dont elle se revendiquait était donc l’exutoire d’un mal-être et l’échappatoire qu’elle avait choisie pour s’affranchir de toute emprise, y compris conjugale. Et c’est sans doute avec un certain contentement, qu’elle portait cet innocent petit « coup de canif » au contrat du bon usage du mariage chrétien contracté dans un passé lointain sous un parrainage christique, dont elle doutait de la bienveillance! Lui au contraire fut habité jusqu’à son dernier souffle de la « foi du charbonnier ».

Je suppose que tous les deux le comprirent ainsi mais ne se l’avouèrent pas.

Dans les dernières années de sa vie, ma mère, devenue exigeante, lui fit d’ailleurs payer « cette dette » dont il ne comprit pas nécessairement la nature et la portée, mais que par amour, il ne discutait pas, acceptant de se muer en serviteur attentionné et repentant de la dépendance de sa femme!

N’empêche, aucun des tableaux d’Adrienne ne fut dédié à Maurice, et aucun n’eut pour thème central, la religion ou la soumission au créateur…

La passion de ma mère pour la peinture ne s’est pleinement exprimée qu’après que les « enfants furent élevés ». Mais, elle ne devint pour elle une impérieuse nécessité qu’au moment où elle s’expatria de son Anjou natale pour suivre Maurice en région parisienne. Ce fut un traumatisme qui la hanta le restant de ses jours, car elle avait sacrifié – une fois de plus – son destin personnel à celui de son mari, en abandonnant une carrière professionnelle renaissante après plus de vingt ans d’interruption… Elle s’était en outre irrémédiablement éloignée de son réseau d’amitiés, souvent très anciennes….

C’est dans la peinture qu’elle noya sa tristesse…

Dans ce contexte, il lui importait peu de respecter les lois de la perspective, d’ignorer les points de fuite ou de se fixer une ligne d’horizon… Son besoin de reconnaissance n’avait nul besoin de s’appuyer sur des règles ou des conventions esthétiques classiques pour clamer ses sentiments sur le papier ou sur la toile.

Peu importe les reproches qui lui étaient adressés de ne recopier que des images de cartes postales ou de contrefaire maladroitement les œuvres des « génies » de la peinture… Elle ne les entendait pas. Elle peignait à sa guise, sans autre considération que de se faire plaisir et d’épancher une soif personnelle de création…

Pour apprécier, peut-être fallait-il s’intéresser aussi à l’envers du décor!

De la sorte, si son  » Paysage de Marcoussis » présente des similitudes avec le chef d’oeuvre éponyme de Jean-Baptiste Corot (1796-1875), dont elle s’est probablement inspirée, il serait vain d’établir une comparaison entre un maître des paysages du 19ième siècle, précurseur de l’impressionnisme, et l’amatrice ingénue qui s’amuse à expérimenter les lavis d’aquarelle sur une campagne d’Île de France.

Tout juste peut-on dire, que les deux peintres avaient le même âge lorsqu’ils réalisèrent le tableau…

Mais moi, dans ce tableau que ma mère m’a offert en 2002, et dont je ne méconnais pas les défauts, je ressens l’expression singulière de sa sensibilité et de sa personnalité, et j’y reconnais aussi un peu de son histoire, donc, de la mienne par ricochet. Ce tableau me parle, tandis que je trouve celui de Corot, magnifique et inégalable, comme s’il avait posé son chevalet dans mon propre jardin

Pour moi, tous deux flirtent avec l’universel, mais à des lieues de distance et dans des cours différentes…

Respectueuse du génie, elle aurait partagé ce point de vue; elle qui collectionnait les ouvrages dédiés aux Impressionnistes, et ne se lassait pas d’admirer leurs œuvres. Elle, qui, du temps où mon père conduisait encore, n’aimait rien tant que de se promener dans les allées de Giverny à la recherche des Nymphéas de Monet.

Elle, qui prit tant de plaisir, il y a une quinzaine d’années, à déjeuner à la terrasse de la Maison Fournaise à Chatou, là où Auguste Renoir composa « le Déjeuner des Canotiers ».

   Son  » Paysage de Marcoussis »

Jamais, elle n’aurait eu l’outrecuidance de se comparer aux grands peintres de l’histoire. Elle apportait sa petite touche personnelle à une épopée qui la dépassait, sans prétendre franchir les limites de son salon.

D’ailleurs, lorsqu’elle faisait cadeau d’un de ses tableaux à l’occasion d’une naissance, d’un anniversaire ou d’une fête, ce n’était pas une oeuvre d’art qu’elle transmettait mais un petit souvenir de la mère, de la grand-mère et de l’arrière-grand-mère!

Peu comprirent qu’à travers ce cadeau souvent perçu comme un fardeau plus ou moins encombrant dans des ameublements conçu par IKEA, elle faisait passer un message sur sa propre conception de la création et de la liberté d’imaginer sa vie… Sur sa vision de la famille, qui ne passait pas nécessairement par le discours réducteur des unions d’un autre siècle …

    Paysage 1995

Les années passèrent. Ses tubes de peinture durcirent dans leur boite…

Puis un jour, elle s’en alla pour ne plus revenir…

Il fallut alors décrocher les tableaux, vider l’armoire aux couleurs, effacer les traces de son atelier… et remonter le temps à contre courant des vents dominants! Tenter enfin de répartir des œuvres dont personne au fond ne voulait plus vraiment s’encombrer! Pourquoi en effet congestionner les greniers de tableaux de grand-mère, dont aucun ne sera jamais vénalement négociable? Pourquoi s’embroussailler la mémoire de souvenirs qui s’accommodent difficilement du « nouveau monde » à des années lumière de la connexion permanente aux innovations de l’intelligence artificielle?

C’est au cours de cet emballage vers une destination incertaine des tableaux de ma mère, qu’on découvrit, parmi quelques rares peintures sur soie de ses débuts, une toile inachevée... Et exceptionnellement, un arrangement qu’elle avait elle-même composé dans sa salle de séjour, qu’elle avait photographié et qu’elle avait commencé à reproduire.

Photographie de la composition projetée

Sur une solide et épaisse table de chêne, encadrée par trois chaises d’ancienne facture, elle avait disposé un vin des « Coteaux du Layon » embouteillé par mon père, un livre ouvert et un verre d’Anjou, à ouverture tronconique, si caractéristique.

Les « Coteaux du Layon »!

C’était le vin incontournable de toutes les fêtes familiales à Massy, le vin blanc du paradis perdu, celui plus ou moins sucré, plus ou moins coloré d’un beau soleil du terroir, qu’on dégustait religieusement et conformément à un rituel scrupuleusement respecté, en apéritif puis au dessert, et toujours, dans des « verres à vin d’Anjou » en cristal fin monté sur une fine colonne, présentes depuis près d’un siècle sur les tables angevines et celles de la diaspora.

Chacun y retrouvait la saveur de la terre patrie… Ma mère, au premier chef !

Elle n’était d’ailleurs pas la dernière à donner son appréciation sur la qualité du dernier crû ouvert! Et à reprendre une petite « lichette » au deuxième service.

Mais un jour, elle est partie sans finir son verre!  

 

Cette esquisse « inachevée » est peut-être l’ultime leçon qu’a voulu dispenser ma mère sur la fragilité du monde réel… mais c’est possiblement aussi l’illustration d’une double exigence qu’elle n’est sans doute pas parvenue à totalement concilier, celle de la fidélité à la tradition de ses aïeux et à leur terroir, et celle de la création en toute indépendance pour témoigner et exister.

Pour ces motifs, ce tableau non concluant qui aurait pu disparaître dans les « encombrants » m’est devenu précieux! Car il introduit le doute… C’est certainement aux pages du livre laissé ouvert par ma mère, qu’on trouve sûrement les fils d’Ariane propres à lever ce doute.

 

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Adrienne Turbelier (1923-2018) n’a jamais laissé penser qu’elle cultivait une quelconque prétention littéraire, ni même laissé entendre qu’elle espérait transmettre à la postérité un message de portée universelle. Non qu’elle ne fût pas en mesure de le faire ou ne puisse décliner une pensée structurée et cohérente. Non qu’elle négligeât la culture livresque. Non enfin qu’elle ignorât l’importance de la transmission par l’écrit! Mais tout simplement parce qu’elle estimait probablement que la portée de ses messages ne justifiait pas qu’elle s’affranchisse publiquement d’une sorte d’anonymat.

C’était son choix et ce n’était pas son truc!

Sa condition de « femme du peuple », d’ouvrière provinciale – couturière, retoucheuse et vendeuse – puis de femme d’ouvrier et enfin de mère de famille, dont elle s’enorgueillissait avec une certaine bravade, ne s’inscrivait pas dans la suite logique d’un destin génétiquement programmé, mais elle l’assumait avec fierté et élégance sans jamais se considérer comme inféodée à quiconque. Et ce, sans qu’il fût nécessaire, à ses yeux, de battre les estrades pour s’adresser à un auditoire élargi. Pour autant, elle ne souhaitait pas vivre dans l’ombre de quelqu’un, fût-ce de Maurice, qu’elle aimait!

Sa soif d’autonomie et de légitimation, elle l’exerçait partout mais elle l’exprimait plutôt au sein de sa famille et dans son quartier, où elle donnait libre cours à son sens de la répartie et parfois de la provocation. Ainsi, quand elle souhaitait dire « ses quatre vérités » à quelqu’un qui l’agaçait, ou qu’elle voulait manifester sa contrariété envers un autre qui l’avait méprisée, elle ne tournait pas sept fois la langue dans sa bouche avant d’interpeller l’importun – voire l’importune. Et généralement, elle faisait « mouche ». Elle développait à sa manière, une forme de féminisme de terrain, un féminisme du quotidien, à la fois proche et étranger dans ses modalités mais non antinomique, aux actions militantes de certaines de ses amies dont elle se disait solidaire … et qu’elle ne désavoua jamais en dépit d’actions qu’elle n’aurait pas conduites elle-même!

Les « camarades du Parti Socialiste » dont elle fut adhérente, des décennies durant et auquel elle demeura fidèle jusqu’à son dernier souffle, eurent à subir ses remontrances indignées, lorsque, par maladresse sexiste, ils ne convoquaient que Maurice, son mari, aux réunions de section en oubliant de la mentionner! Insoumise par conviction, elle vivait ces omissions comme des malveillances machistes et des injures à sa condition de femme!

Cependant, cette revendication constante et exigeante de reconnaissance, ce désir d’exister par elle-même et cette recherche d’émancipation – quitte à prendre le risque d’ouvrir un conflit ouvert avec Maurice – n’allait pas jusqu’à s’incarner dans l’écriture au sens classique du terme. A la différence de Maurice, elle ne semblait pas en ressentir le besoin. Par timidité et modestie, elle savait qu’elle ne pourrait jamais jouer dans la même cour que des écrivains qu’elle admirait, comme Victor Hugo ou Emile Zola. A quoi bon, dans ces conditions, oser l’impossible! Pourtant, elle nous a laissé « ses carnets », tenus scrupuleusement à jour, à raison d’un par an depuis (certainement) toujours…Et elle n’en faisait pas étalage.

Les prémices de ces carnets remontaient probablement à son adolescence. Dès qu’elle sut se servir d’un porte plume ou d’un crayon, on peut penser qu’elle entama son premier cahier-carnet personnel. Dans les années trente ou quarante du siècle dernier, il était en effet d’usage que les jeunes filles tiennent un journal, une sorte de discret confident, auquel elles confiaient leurs joies et leurs peines, notamment celles de cœur!

Cette tradition était très ancienne, mais jusqu’aux lois de Jules Ferry à la fin du dix neuvième siècle, qui rendit obligatoire l’enseignement primaire gratuit pour les garçons et les filles, elle avait plutôt cours dans les familles de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Ce qui n’était pas le cas de la famille d’Adrienne, qui sans être franchement nécessiteuse appartenait à la catégorie des gens modestes, à, peine plus aisés que les mineurs d’ardoise de Trélazé, leurs voisins, qui ne possédaient pour tout patrimoine que leurs meubles et ne disposaient d’autre revenus que leurs salaires ou leurs traitements…

De ces temps lointains où Adrienne fréquentait l’école primaire des religieuses de son quartier – celui de la Madeleine à Angers – puis de la période de son apprentissage de couturière, peu de documents subsistent, hormis quelques cahiers à grands carreaux, sur lesquels elle recopiait avec application des poèmes qu’elle avait sélectionnées! Ronsard et Du Bellay, les poètes starisés du val de Loire y occupaient une place privilégiée! Mais pas seulement eux.

Une partie de ses cahiers d’apprentissage a également échappé au lessivage du temps…Sans jamais les montrer de son vivant, elle les avait pieusement conservés! En souvenir probablement d’un métier de couturière dont elle se revendiquait avec nostalgie, même si elle ne l’avait vraiment exercé que quelques années avant son mariage. Elle rappelait volontiers qu’elle était titulaire d’un CAP de couture et qu’elle avait pris plaisir à apprendre les ficelles de la profession, ses savoir faire et les tours de main, à l’aube de la secondaire guerre mondiale auprès d’un patron tailleur talentueux de la rue de la Madeleine à Angers …

Ce métier trop vite abandonné lui avait été néanmoins d’une grande utilité dans les années cinquante et soixante, pour confectionner les vêtements de ses enfants …

Deuxième année d’apprentissage de couture

Par la suite, cette littérature intime détachée des contingences quotidiennes immédiates s’était enrichie d’une abondante correspondante avec Maurice qu’elle épousera en 1947!

C’est sûrement dans les années cinquante alors qu’elle habitait encore à Angers – 6 bis rue de Messine – qu’apparaîtront ses premiers petits carnets -les « carnets d’Adrienne » dont il est question ici.

Abandonnant la posture romantique des débuts, de même que celle de l’apprentie consciencieuse ou encore de la jeune épouse aimante, c’est surtout la mère de famille qui écrivait alors, et qui consignait sur le papier, les premières dents de ses enfants ainsi que leurs maladies infantiles…

Progressivement, sans nécessairement s’embarrasser de références chronologiques trop précises, d’autres événements apparurent dans ses « pense-bêtes », tels que des points de vue toujours succincts et lapidaires sur l’actualité, sur la météo du moment, sur les médications qu’elle « imposait » à son « docteur » conciliant de lui prescrire. La rubrique pharmaceutique prit d’ailleurs une importance croissante au cours des ans. Ces ans qui au fur à mesure qu’ils se succédaient, rendaient son écriture incertaine et tremblotante…

Elle portait rarement une appréciation écrite sur des personnes, car elle ne se privait pas de le faire oralement. Mais lorsqu’elle prenait sa plume à propos de quelqu’un, c’était sans filet et sans précaution oratoire, dans l’éloge aussi bien que dans la critique assassine. Adrienne ne faisait pas dans la demi-teinte ou demi-mesure! Elle n’aimait pas la tiédeur en amitié, mais pas plus en inimitié.

Figuraient aussi sur ses carnets, ses achats d’importance, notamment d’appareillage ménager, ou les dates à retenir. De temps en temps, de façon imprévisible et sur une durée limitée, l’agenda retrouvait sa fonction générique de semainier avec mention des rendez-vous chez son médecin ou son coiffeur, des dates des réunions politiques locales ou des séances de peinture sur soie de l’association de son quartier de Massy du côté des Deux-Rivières. Elle y mentionnait aussi les dates anniversaires de la famille, et les prévisions de naissance de ses petits-enfants et, depuis quelques années, de ses arrière-petit-enfants.

Généralement, elle faisait l’économie de longues phrases, sauf lorsqu’il s’agissait de traduire d’intenses émotions, dont son entourage la croyait incapable, car Adrienne était très pudique sur ses sentiments, préférant le silence à l’expression tapageuse de ce qu’elle ressentait au plus profond de son cœur.

Ainsi en 2008 d’abord, puis en 2010, son carnet fut le vecteur qu’elle privilégia pour crier sa douleur et sa souffrance ainsi que son impuissance maternelle, face au cancer qui devait finalement lui arracher sa fille Louisette… Pour dire aussi son aversion de la mort! Chaque jour du début janvier 2008 jusqu’au jour de la première intervention chirurgicale de sa fille, puis après, durant sa douloureuse convalescence, elle faisait état de son angoisse, cherchant par l’écriture à se rassurer au moindre signe d’amélioration ou d’atténuation du mal … Elle notait méticuleusement sur son carnet toutes les informations qu’elle avait pu recueillir sur ce calvaire qu’elle subissait de concert avec sa malade bien-aimée … Presque tout le premier semestre de cette année 2008 sera exclusivement consacré à sa fille … comme si, au travers de chaque mot qu’elle rédigeait, elle espérait la soulager, en partageant le fardeau et en prenant sa propre part! En 2010, au terme de cette tragédie, elle se confiera à ses carnets devenus les exutoires d’une insoutenable souffrance! Elle qui ne savait ni pleurer, ni câliner comme tout le monde, savait parler à son carnet.

Ainsi était Adrienne. Celle que seuls les carnets connaissaient vraiment! Les seuls avec lesquels elle entretenait une complicité sans faille.

Mais dans le même temps, elle n’omettait pas de signaler qu’elle avait participé à un bon repas chez l’un ou l’autre de ses enfants ou petits-enfants… Elle signalait et soulignait avec gourmandise son contentement, quand un banquet s’achevait par un dessert qu’elle appréciait, comme un baba au rhum fait maison!

Elle se félicitait des bons moments passés en famille ou avec des amis, surtout ceux venus d’Angers avec lesquels elle évoquait sa jeunesse angevine et les lieux de son enfance en toute connivence …

Une mention spéciale était régulièrement dédiée à Marie-Thérèse, sa cousine nantaise et ci-devant filleule angevine. Pour soulager sa mémoire, c’est à son agenda qu’elle confiait le soin de lui rappeler son intention de s’enquérir de ses nouvelles. Mais se relisait-elle?

De même pour ses frères, auxquels elle vouait une réelle affection …

Le jeudi 20 octobre 1988 par exemple, elle note que « Jojo et Lucette » – son frère et sa belle sœur de Saint-Herblain sont arrivés à Massy. Le vendredi, elle rapporte leur visite commune au Louvre, à la pyramide de verre et aux colonnes de Buren dans la cour d’honneur du Palais Royal. Le samedi, c’était le château de Fontainebleau et le dimanche le musée d’Orsay. Le lundi, jour de départ des nantais sans doute fourbus, la matinée fut néanmoins dédiée à l’abbaye des religieuses de Vauhallan et à leur boutique sur le plateau de Saclay!

On imagine que tous devaient être sur les rotules, mais heureux. Adrienne sous-entend leur plaisir d’avoir été ensemble, mais sans expliciter comme si cela allait de soi.

Elle était âgée d’un siècle, à un lustre près lors de son décès. Par conséquent on peut estimer qu’elle a du « remplir » plusieurs dizaines de petits carnets.  La plupart du temps, si l’on en juge par ceux qui nous ont été légués, ils n’étaient que des « agendas de poche » et de formats divers! Il faudrait beaucoup de temps pour les exploiter dans leur totalité, car pendant des années, elle s’est contrainte à cet exercice journalier…

Parfois, elle fournit des indications d’ordre météorologique, en particulier en période de canicule! Elle ne précise pas qu’elle en souffre, mais la répétition plusieurs jours de suite de la même mention, montre que la chaleur lui pèse!

Que conclure de cette masse d’informations qui nous rend redevables à son égard et qui témoignent de la complexité d’une vie ?

En premier lieu, elle rend compte de la singularité de la personnalité d’Adrienne: parfois suspectée d’indifférence à la souffrance des autres – voire d’égoïsme – elle démontre au travers de ses carnets qu’il n’en est rien. Chaque page apporte un démenti flagrant. Toutes attestent du contraire. Laborieusement écrits en fin de journée, ces carnets désormais d’outre tombe, jouaient en fait un rôle de soupape à une sensibilité qui, par pudeur héritée en grande partie de sa mère, n’osait pas s’exprimer au grand jour.

Même à ces carnets, confidents muets de ses troubles, de ses souffrances mais aussi de ses moments de jubilation et de découragement, elle ne s’adressait qu’avec réserve et sans ostentation… Ce n’est que dans l’accumulation des faits relatés jour après jour, qu’elle révèle une affectivité à fleur de peau, ainsi que ses secrètes fêlures et sa réelle compassion, voire son amour profond des siens. Par ses mots encadrés, voire renforcés, par une ponctuation appropriée, elle manifeste son empathie au malheur des autres, mais, à petit bruit, à petits pas, à petites touches, sans trop oser révéler…mais plutôt en suggérant comme s’il fallait éviter de gêner par des confidences troublantes crûment annoncées!

C’est par le biais d’obsédantes répétitions, plusieurs mois, voire, plusieurs années d’affilée, des mêmes thèmes d’inquiétude ou des mêmes désarrois qu’Adrienne laisse transparaître sa propre vérité, celle d’une femme libre, sensible sous des dehors bravaches, et qui avait horreur qu’on lui dicte sa conduite ou qu’on pense à sa place! L’ensemble constitue de facto, une oeuvre authentique, qui parlera longtemps encore et soulagera…

Dieu n’est guère présent, en dehors de quelques furtives allusions. A la fin de sa vie, il n’était pas loin de faire figure d’accusé. Non sans motif d’ailleurs…

Tels sont les carnets d’Adrienne… ceux de ma mère!

Ce qui transpire finalement de cet ensemble de témoignages qu’elle a consenti à nous laisser, c’est l’esprit de liberté et de rébellion qui l’anima toute sa vie, ne s’en laissant compter ni par son mari qu’elle avait choisi et qu’elle aimait, ni par ses enfants, ni par quiconque pour dire ou faire ce qu’elle entendait dire ou faire…

« Ne pas se cacher derrière des prétextes pour préserver un confort frileux, contrepartie d’une soumission domestique qu’elle ne pouvait envisager »: tel est peut-être le dernier message qu’elle souhaita nous transmettre! A nous de faire en sorte qu’elle n’ait pas eu tort de croire en nous.

Maurice adhérait à la philosophie de ce point de vue!

Un jour, il nous faudra aborder aussi son violon d’Ingres: la peinture.

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La ville d’Angers fut libérée du joug nazi par l’armée américaine du général Patton, le 10 août 1944!

Ce jour-là, en début de soirée, Michel Debré (1912-1996) alias « Jacquier » dans la Résistance, qui avait été nommé commissaire de la République par le Général de Gaulle, se présenta seul auprès du préfet régional pétainiste Charles Donati en train de dîner ! Sans s’embarrasser d’inutiles circonvolutions rhétoriques ou de convenances protocolaires, il lui notifia sans ambages que la République était rétablie et que désormais c’était lui, au nom du gouvernement provisoire, qui assurait la représentation de l’Etat dans la capitale des ducs d’Anjou…

Le haut fonctionnaire déchu s’y attendait. Aussi, accueillit-t-il l’intrus sans broncher et reçut la nouvelle sans élever la moindre protestation ou objection, et sans prononcer de déclaration solennelle qui l’aurait dédouané de sa servilité passée auprès de l’ennemi ou qui l’aurait statufié devant l’histoire. Bon prince, le nouveau patron des lieux accorda à Donati, un quart d’heure pour débarrasser son bureau, quitter ses appartements et la préfecture! Et peut-être – qui sait – terminer à la hâte, son dernier repas dans la salle à manger autrefois monastique de l’hôtel de la préfecture, ci-devant abbaye Saint-Aubin….

Dès lors, le nouveau préfet de région s’attela sans tarder à ses fonctions! Le reporter du journal Ouest-France  le décrivit en ces termes: « A le voir si jeune et si actif dans le grand bureau de la Préfecture où il nous reçoit – sa porte est ouverte à tous – on ne peut manquer d’évoquer les grandes figures des jeunes conventionnels qui firent la 1ère République et dont il est, à coup sûr, le descendant et le continuateur. »

Michel Debré dans son bureau à Angers

Pendant ce temps, dans le centre-ville d’Angers, dans les quartiers périphériques ou dans les faubourgs, l’annonce de la Libération se répandit comme une traînée de poudre, tandis que les troupes américaines qui avaient massivement franchi la Maine dans la matinée, investissaient méthodiquement les lieux publics et les grands boulevards , et s’installaient pour bivouaquer dans certains parcs ou jardins, comme le Jardin Fruitier, rue Desmazières, en face de l’appartement de mes grands-parents maternels…

Après quatre ans d’occupation nazie, la population pouvait enfin sortir, faire la fête et hurler sa joie de retrouver la liberté, même si quelques francs-tireurs isolés, soldats oubliés de l’armée allemande en déroute, ou des miliciens désemparés, encore habités par leurs chimères, persistaient, ici ou là, à faire le coup de feu! Comme pour sauver un honneur perdu de longue date, ou tenter d’exorciser leur sort désormais désespéré et irrémédiablement scellé.

Partout, c’était l’allégresse, dont se souviennent encore avec la même émotion les témoins d’alors, aujourd’hui nonagénaires.  Partout, refleurirent des drapeaux tricolores, sortis de la naphtaline des caves ou des greniers dans lesquels ils dormaient depuis quatre ans… comme des champignons comestibles regardés avec gourmandise dans une clairière enfin ensoleillée après une nuit pluvieuse. Tous les bâtiments officiels étaient pavoisés, tandis que des G.I., rigolards sur leurs chars Patton et acclamés par la foule, distribuaient des cigarettes américaines en privilégiant les jeunes filles peu timides qui escaladaient le fût de leurs canons, avides peut-être, ultérieurement, d’autres performances plus festives encore avec ces beaux gars bien nourris venus du Far West !

Pour les nouvelles autorités préfectorales, la tâche était écrasante, car au-delà des nids de résistance nazie qu’il fallait définitivement réduire, il convenait aussi de maintenir un semblant d’ordre public, ne serait-ce que pour éviter, au nom d’une « juste épuration », des jugements expéditifs et sommaires, des débordements de violence et même des règlements de compte privés, auxquels la population soudainement décomplexée après des années de privation, de répression et de silence, pouvait être tentée de se livrer à l’égard de ceux ou celles qu’elle accusait à tort ou à raison d’avoir pactisé avec l’ennemi…Mais surtout, il fallait assurer l’approvisionnement de la ville pour nourrir des habitants déjà passablement affamés par quatre ans de disette et d’ingestions forcées de topinambours et de rutabagas.

Comble de difficulté, il n’y avait plus de maire pour relayer les instructions préfectorales et prêter main forte aux services de l’Etat, eux-mêmes passablement désorganisés du fait de la défection prudente ou « suscitée » de quelques fonctionnaires hiérarchiques, un peu trop compromis avec le régime de Vichy.

En outre, Michel Debré, en homme avisé malgré sa jeunesse, se méfiait des résistants de la dernière heure, qu’il croisait dans les couloirs de la préfecture, et dont il pressentait, non sans motif, que leur zèle à passer à l’action avait parfois pour motivation l’occultation de leurs propres et encore récentes zones d’ombre. Voire dans certains cas, de leurs odieuses turpitudes. Il craignait que certains, mus par une soif de justice aussi dévorante que peut-être intéressée – et que ne pouvait justifier à lui seul un amour aussi soudain qu’intempestif de la patrie – ne s’arrogeassent des droits ou des prérogatives sans rapport évident avec le service de l’intérêt général…

Disons, pour faire simple, que la situation était complexe et c’est la raison pour laquelle il était nécessaire de hiérarchiser les priorités. Parmi celles-ci, le rétablissement dans les meilleurs délais d’un état de droit et de l’autorité des pouvoirs publics était primordial… Ainsi, dès le 30 août 1944, après une rapide instruction pour détecter de dirimantes incompatibilités pour faits de collaboration trop manifestes avec le régime de Pétain, un arrêté préfectoral rétablit vingt-quatre des conseillers municipaux de l’ancienne équipe, en désigna treize nouveaux et renomma premier magistrat de la ville, Victor Bernier (1868-1952) l’ancien maire d’Angers, démissionnaire depuis le 30 mars 1944.

Victor Bernier
Salon d’’honneur de l’’hôtel de ville

Le vieil homme (76 ans) s’était distingué par son courage en juin 1940 en se portant au-devant des panzers allemands sur la route de Paris, flanqué du préfet Pierre Ancel (1885-1966), pour déclarer « Angers ville ouverte », et ainsi lui épargner « les horreurs et les dangers d’un combat de rue » et la destruction. Le commandant allemand de l’unité blindée avait en effet menacé par un message télégraphié d’être sans pitié pour « cette jolie ville » en cas de résistance armée. Ceint de son écharpe tricolore et brandissant un drapeau blanc, Victor Bernier avait ensuite accompagné les chars ennemis jusqu’aux Ponts-de-Cé.

De surcroît, durant la longue et douloureuse épreuve de l’occupation, l’attitude du maire fut constamment digne, son seul souci étant de protéger ses concitoyens, sans faillir à l’honneur et sans manifester de sympathie pour l’ennemi.

C’était donc à un homme respecté, raisonnable, expérimenté que Michel Debré faisait confiance et renouvelait les fonctions. Un homme qui connaissait parfaitement les rouages de l’administration communale qu’il avait en effet dirigé sans discontinuer depuis 1935 après avoir exercé un premier mandat à la fin de la première guerre mondiale…

La charge qu’on lui confiait était cependant temporaire, car l’objectif était d’organiser des élections municipales régulières le plus rapidement possible, de telle sorte que les édiles municipaux retrouvent rapidement une authentique légitimité issue des urnes… Parmi les conseillers municipaux rétablis dans leur fonction par Michel Debré, figurait un certain Auguste Allonneau (1885-1963), un ancien édile socialiste, professeur de mathématiques au Lycée David d’Angers, élu depuis 1929 et révoqué par le régime de Vichy en 1940 de l’enseignement et de ses fonctions électives.

Confortés par cette indispensable remise en ordre des institutions et des services officiels, Michel Debré et Victor Bernier administrèrent, tant bien que mal, la ville pendant les premiers mois qui suivirent la Libération, veillant en premier lieu au ravitaillement en vivres et en combustibles…Mais pas seulement, car, au-delà des déclarations d’intention, il fallait aussi restaurer les pratiques démocratiques après des années de dictature, et notamment préparer les élections municipales prévues au printemps 1945…

A cette fin, le corps électoral devait être totalement remanié, non seulement pour l’actualiser – ce qui n’avait pas été opéré depuis plusieurs années – mais surtout le compléter pour y intégrer les femmes qui, pour la première fois, dans l’histoire de la République, étaient appelées à voter et étaient éligibles. …Enfin, certaines questions devaient être tranchées comme l’inscription sur les listes électorales des militaires engagés dans les armées alliées en Allemagne, ou encore, des prisonniers ou des ouvriers du STO qui n’avaient pas encore rejoint leurs foyers… Questions souvent plus délicates qu’il n’y parait, car, pour certains d’entre eux, on ignorait s’ils étaient encore en vie…

Après une campagne électorale assez mouvementée au cours du printemps 1945, où beaucoup de clivages politiques d’avant-guerre – souvent surannés – réapparurent sous les préaux d’école, le premier tour du scrutin eut lieu le 29 avril 1945…Six listes sollicitaient le suffrage des angevins, qui représentaient l’ensemble de l’échiquier politique d’alors, à l’exception, bien sûr, des nostalgiques du pétainisme dont les partis avaient été dissous et interdits.

Eu égard aux modalités de vote, ce premier tour ne fut pas décisif,  puisque il ne permit pas de pourvoir un seul siège de conseiller municipal!

Au second tour, qui se déroula le dimanche 13 mai 1945,  les partis de gauche formèrent une liste unique « d’union démocratique et antifasciste » conduite symboliquement par un résistant angevin, républicain de toujours, ancien conseiller municipal, Louis Imbach (1881-1945) qui, en fait, était déjà mort dans le camp d’extermination de Mauthausen.

Malgré l’absence de son leader, c’est cette liste de large d’union à gauche, qui  remporta l’élection face à la liste apolitique « républicaine modérée d’union et d’action municipale. Le Mouvement républicain populaire (MRP), un parti démocrate-chrétien nouvellement créé et issu de la Résistance, refusa de participer au vote, considérant que son positionnement centriste l’empêchait de se rallier à l’un ou l’autre des « deux blocs » en lice.

Cette défection du MRP fut certainement regrettée par nombre d’électeurs modérés, lassés des excès de tribune de la droite et de la gauche. Mon grand-père maternel Louis Turbelier (1899-1951) était sûrement de ceux-là. Sans être politiquement engagé, on sait qu’il se revendiquait d’une forme paisible de démocratie chrétienne, protectrice de la famille et des plus démunis, sans nourrir l’ambition d’ébranler les fondements d’une société angevine séculaire. Mais, il ne livra jamais la moindre confidence sur la manière dont il se détermina ce jour-là de 1945, à supposer même qu’il eut décidé de s’exprimer en faveur d’un camp ou d’un autre. Il est parti en emportant le secret de l’isoloir dans sa tombe.

En revanche, pour son épouse – ma grand-mère – Adrienne Venault (1894-1973), la présomption est grande que son premier vote se soit porté vers la liste estampillée « apolitique » c’est-à-dire de droite, face à la gauche socialo-communiste. Dans ma famille paternelle, les choix étaient probablement plus incertains, même si l’on peut raisonnablement supposer que mon grand-père paternel Marcel Pasquier (1892-1956), adhérent cheminot de la CGT à la gare Saint-Laud, ait préféré la liste de gauche !

Cinq jours après le vote, le 18 mai 1945, un conseil municipal extraordinaire décida d’élire Auguste Allonneau, maire d’Angers avec un premier adjoint communiste. Il le resta jusqu’en 1947 et devint ainsi le premier maire socialiste d’Angers. En 1946, il sera même élu député SFIO du Maine-et-Loire, mandat qu’il exercera au sein de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale jusqu’en 1951. J’ai lu un de ses rapports sur la fibrose des mineurs d’ardoise (schistose) dans les archives des maladies professionnelles, lorsque, dans les années 1980 j’assurais le secrétariat de la commission des maladies professionnelles au ministère du travail.

Auguste Allonneau
Salon d’’honneur de l’’hôtel de ville

Auguste Allonneau était né le 24 juin 1885 à Cours, un petit village poitevin des Deux-Sèvres situé entre Parthenay et Niort, où ses parents Augustin Allonneau et Marie Patarin étaient cultivateurs… Élève puis étudiant brillant, il obtint une licence de mathématiques en 1908, qui lui ouvrit les portes d’une carrière professorale exercée d’abord dans différents lycées ou collèges de province, avant d’être affecté au lycée David d’Angers après la guerre de 1914. Une ville qui ne lui était pas inconnue, puisque c’était celle de son service militaire comme soldat du 6ième régiment du Génie, entre 1906 à 1908.

Durant la Grande Guerre, il fut d’abord mobilisé comme infirmier puis affecté comme professeur au Prytanée de La Flèche, pour finir dans les services auxiliaires lors de l’armistice de 1918. Sa découverte du mouvement socialiste (SFIO) était antérieure d’une dizaine d’années, en 1909, alors qu’il était prof de maths dans un collège à Manosque dans les Alpes du sud.

L’histoire du mouvement ouvrier retiendra de lui, qu’il fut un des congressistes de Tours à la fin décembre 1920 dans la salle du Manège, qui entérina la scission du mouvement socialiste et la création du Parti Communiste Français.

Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’à cette occasion, mon grand-père Marcel Pasquier, alors cheminot à Saint-Pierre-des-Corps l’ait aperçu dans la délégation des militants de l’Ouest. Auguste Allonneau, proche initialement des « reconstructeurs » tels Marcel Cachin (1869-1958) ou Ludovic-Oscar Frossard (1889-1946), favorables à l’unification du mouvement socialiste français, y compris en y intégrant sa tendance bolchévique, se ralliera finalement à Léon Blum au sein de la « vieille maison » SFIO!

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Si mon billet n’avait porté que sur les premières élections municipales en Anjou après la seconde guerre mondiale, et sur l’évocation du mouvement socialiste angevin, j’aurais à cet instant pleinement rempli mon contrat. Et il ne me resterait plus qu’à brosser une édifiante et savante conclusion sur les difficultés de rétablir la démocratie après des années d’oppression.

Avec malice, je me serais peut-être aventuré à esquisser une comparaison hasardeuse avec l’actualité politique française et internationale. Peut-être même me serais-je livré à une ou deux petites provocations, destinées à réveiller un lecteur inattentif… Et pour éviter tout procès d’intention et préserver ma réputation déjà écornée d’homme de progrès social, je me serais sûrement fendu d’une conclusion moralisante dédiée aux bobos parisiens, de telle sorte que les générations futures si d’aventure, elles me lisaient, me perçoivent comme un sage assimilable à un Montaigne de banlieue parisienne, solitaire dans son bureau des bords d’un affluent de l’Orge, comme l’autre dans sa tour girondine.

Et bien sûr, j’aurais changé le titre de « mon oeuvre » qui évoque curieusement ma grand-mère, et qui n’aurait pas lieu d’être, en tout cas, sous la forme annoncée.

Bref, si j’avais rédigé ces lignes en fin d’année 2016, c’est ainsi que j’aurais procédé…

Tout a basculé en fait à la mi-février 2017

Je venais à peine de ranger mon encrier, après avoir rédigé un petit couplet sur le plus lointain de mes aïeux connus sous le titre un peu pompeux de « Généalogie quantique » (14 février 2017), lorsque le son cristallin émis par mon smartphone m’indiqua qu’un message venu d’ailleurs venait d’être intercepté par cet autre moi-même. Ce signal eut pour effet de m’extraire de la torpeur réparatrice dans laquelle m’avait englué l’émotion provoquée par ce grand-père à la quinzième génération qui aurait pu jouer aux cartes (géographiques) avec Christophe Colomb…

Le message venait sans doute de faire trois ou quatre fois le tour de notre planète bleue en jouant à saute-mouton d’un satellite à un autre, pour parvenir jusqu’au petit appareil qui m’est désormais aussi indispensable que ma télé ou mon lit. Il provenait en fait de la région nantaise, et son auteur était une auteure, en l’occurrence Rose l’Angevine, ma très honorée cousine généalogiste, bien connue des familiers de ce blog.

Elle m’informait qu’à l’issue d’une chasse à l’homme – ou à la femme – sans concession au travers des archives des Deux-Sèvres et à la faveur de ses accointances dans les différents cercles de chercheurs de crânes édentés du Grand Ouest, elle était parvenue à démontrer que le premier maire d’Angers – l’Auguste Allonneau évoqué ci-dessus – appartenait à la parentèle lointaine de ma grand-mère maternelle Adrienne Venault, dont j’écrivais, juste avant, qu’elle n’aurait certainement pas voté pour un socialiste!

Ainsi en 1945, le premier maire socialiste était un cousin de ma grand-mère… Très éloigné en l’occurrence, même si tous les deux étaient originaires du pays de Gâtine en Poitou! Sauf erreur de calcul de ma part, toujours possible dès qu’on compte sur ses doigts en s’agrippant comme on peut aux rameaux les plus élevés d’un arbre généalogique, ils seraient cousins au quinzième degré.

Et leurs ancêtres communs à partir du la huitième génération ascendante seraient les « Allonneau » seigneurs de Saint-Pardoux, Saint-Maixent ou Parthenay. Tous des notables du crû, dont tous les biens furent confisqués sous la Révolution, singulièrement après 1793 ou 1794, lors de la répression féroce conduite par les colonnes de la Convention Nationale, contre tous ceux qui avaient pris le parti de la Vendée Militaire…

Ma grand-mère maternelle Adrienne Venault (1894-1973 aurait sans doute apprécié de savoir qu’elle descendait « en droite ligne » de nobliaux poitevins des seizième, dix-septième et dix-huitième siècles. Peut-être un peu moins, qu’elle était la cousine d’un socialiste, fût-il finalement assez modéré! Mais elle ignorait ces données dont je n’ai pris connaissance qu’en février 2017!

Le sachant, pour inaugurer son droit de vote au printemps 1945, aurait-elle déposé dans l’urne un vote motivé par l’esprit de famille? Eu égard à nos nombreuses discussions sur la fin de sa vie, c’est peu probable.

J’aimais soutenir la controverse avec elle et c’était réciproque… Femme d’une vive intelligence, elle n’était pas, à proprement parler, une « progressiste »…Pour autant, ce n’était pas une bourgeoise. Aussi loin que me portent mes souvenirs, je l’ai toujours connue vêtue de noir sans coquetterie ni affectation. Depuis son veuvage en 1951, elle vivait seule et chichement dans un minuscule deux-pièces au premier étage d’une maison sans confort au 20 de la rue Desmazières à Angers. Ses ressources étaient exclusivement constituées de la maigre retraite de réversion de son mari – mon grand-père – qui avait été gardien de la paix municipal jusqu’à son décès prématuré…

Nécessité faisant force de loi, elle comptait scrupuleusement « ses sous » et comme beaucoup de gens modestes, elle votait à droite, au grand dam de la gauche qui ne comprend jamais pourquoi…Pas plus hier qu’aujourd’hui!

A la décharge d’Adrienne – si tant est qu’il faille l’excuser d’options idéologiques respectables qu’elle assumait sans complexe – elle avait subi dans sa propre chair, les désordres de la guerre entre 1914 et 1918 et la jeune fille délurée et émancipée, qu’elle fut auparavant s’était progressivement muée en une femme d’ordre, qui cultivait une certaine méfiance à l’égard de ceux qui remettaient en cause les institutions incarnant l’autorité, politique ou même religieuse!

Cette attitude « conservatrice » ne procédait pas de l’intime conviction que rien ne doit jamais bouger, mais plutôt, de l’idée que tout ce qui bouscule l’ordre établi, suscite fréquemment plus d’inconvénients que d’avantages, plus de malheurs que de bonheur, en particulier pour les « petites gens »! Et encore, elle ignorait que ses ancêtres avaient été spoliés. Au fond, son côté « réac » – comme on dirait aujourd’hui – procédait d’une forme de stoïcisme paysan. Elle pensait que ceux que « la nature » avait placé en bas de l’échelle avaient plutôt intérêt à accepter leur sort – fût-il médiocre – que de tenter le diable.

Adrienne, avec son »air de ne pas y toucher »

Quoiqu’elle disait devant moi, je n’ai jamais pensé qu’elle croyait la nature humaine vertueuse, ni même qu’elle plaçait la« Vertu », au pinacle des qualités cardinales… Mais évidemment, elle cherchait à nous le faire croire et je crois que c’est ce double visage de Janus que j’ai beaucoup aimé chez elle!

Résignée à la fin de sa vie, elle se soumettait par convention à des devoirs sociaux, garants d’un ordre qu’elle avait renoncé depuis longtemps à discuter, encore moins à remettre en cause.

Il m’arriva plus d’une fois de discuter pied à pied ses conceptions, notamment lors de événements de 1968, lorsque, jeunes insouciants, nous prétendions qu’il était interdit d’interdire. Croyant bousculer l’ordre ancien, nous pensions, mus par un romantisme échevelé, que « sous les pavés se trouvait la plage ». Elle s’en amusait sans trop s’en inquiéter: elle savait que ça nous passerait! Sans état d’âme, elle vota pour les candidats gaullistes aux élections législatives de juin 1968 après la dissolution de l’Assemblée Nationale.

Désormais, le temps s’est écoulé et j’ai tendance à considérer son point de vue comme une forme d’adaptation darwinienne aux circonstances de la vie, un mélange complexe de sagesse et d’intelligence… « Il y a des riches, il y a des pauvres, et c’est très bien ainsi » disait-elle fréquemment, alors qu’elle appartenait elle-même au camp des pauvres !

Aurait-elle aimé savoir que son lointain cousin était un leader socialiste? Peut-être, « par roublardise » comme elle disait!

 

PS: Sur les différents épisodes de la Libération d’Angers vécus par mes proches, et sur les premières élections municipales d’après guerre vécus par mes proches, voir notamment mes billets du 24 mars 2014, « De la Libération d’Angers à la Roche de Mûrs-Erigné » et du 23 avril 2014 « Adrienne Turbelier peut voter… »ainsi que le mémoire d’Albert Turbelier « Souvenirs de jeunesse », référencé dans ce blog à la date 30 septembre 2011)…

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Raymonde Bonenfant l’épouse d’un de mes oncles maternels, Albert Turbelier, est décédée à Angers aux premières heures du jeudi 15 décembre 2016. Elle était âgée de quatre-vingt-six ans. Pour la deuxième fois en moins d’un trimestre, la Camarde a frappé parmi mes proches: la génération qui me précède, celle de la Libération et des Trente Glorieuses s’éteint inexorablement …

Je n’étais pas, à proprement parler, un intime de Raymonde, mais, mariée à mon oncle depuis plus de soixante cinq ans (8 septembre 1951), elle fut évidemment un des personnages importants de mon environnement d’enfance et d’adolescence…

Lors de nos passages à Angers, nous lui rendions visite – une fois l’an environ – dans la coquette maison qu’elle partageait avec son époux, dans le quartier de Villesicard, à mi-chemin entre La Madeleine et Les Justices.

Personne avenante et courtoise, Raymonde nous recevait toujours agréablement, avec café et petits beurres à l’appui, et s’enquerrait systématiquement de la santé de nos parents, enfants et petits-enfants. A l’occasion, on se montrait mutuellement quelques photographies et elle nous parlait des enfants et petits-enfants de son frère! De son chat aussi lorsqu’il vivait encore. Parfois, elle évoquait certains de ses propres ennuis de santé, mais discrètement, pudiquement comme s’il ne s’agissait que d’épisodes tout à fait secondaires de sa vie quotidienne… Elle nous entretenait surtout de ceux d’Albert! Avec le temps, son dos s’était voûté.

Aujourd’hui, elle n’est plus et nous nous apercevons, que, pour l’essentiel, sa vie est demeurée pour nous un mystère! Nous éprouvons l’étrange sentiment d’être passé à côté de quelqu’un qui fut invisible à nos yeux!  Saurais-je dire finalement si elle-même considérait que son existence fut réussie ou mieux, s’il lui est arrivé de flirter avec le bonheur…

Raymonde n’aimait guère étaler ses sentiments intimes et ne livrait d’elle-même que l’image d’une femme forte qui, en dépit des épreuves, savait garder son rang et son sang-froid… Déterminée sous des dehors amènes! Ses tourments, elle les gardait pour elle, comme si elle s’était résolue à les taire ou à les minimiser pour s’éviter d’en souffrir et de susciter la compassion… Peut-être aussi, n’avons-nous pas su l’entendre ou capter sa confiance!

On peut penser que le fait de n’avoir pas connu la maternité fut pour elle une grande souffrance. En atteste l’intérêt non feint qu’elle manifestait pour les petits enfants!

Hier encore, m’entretenant d’elle au téléphone, je considérais que, n’ayant jamais recueilli de confidence sur ses secrètes fêlures et n’ayant pas entretenu de connivences avec elle, je n’étais guère qualifié pour écrire quoi que ce soit à son propos… Du moins, pour rédiger un hommage, dont elle aurait pu se revendiquer de son vivant. Et ce, sans se vautrer dans des clichés insipides et béatifiants que l’on récite avec une litanie de regrets et de condoléances à chaque fois qu’un « cher disparu » nous tire sa révérence! Je pensais en effet qu’elle méritait plus que ce traitement protocolaire, et à défaut, je pensais préférable de m’abstenir de toute forme de témoignage en trompe l’œil!

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J’en étais là de mes réflexions, lorsqu’un de mes cousins, et également un de ses neveux, qui l’avait vue plus récemment que moi, me dit que ce qui l’avait frappé lors de son ultime entrevue – outre sa maigreur et son aspect maladif – c’était son élégance! Même au bord du gouffre, même confrontée à la maladie et à la vieillesse, Raymonde sut effectivement demeurer coquette … Cette caractéristique qui n’est pas accessoire, n’est pas sans évoquer un vœu formulé par Eve Curie (1904-2007) et rapporté par une de ses biographes Claudine Monteil de « mourir maquillée« !

Et effectivement, aussi loin que remontent mes souvenirs, celui de Raymonde est associé à l’élégance, au tact, à l’harmonie et à la tenue… Non pas ostensiblement avec des paillettes provocatrices, mais avec mesure… Avec bon goût et dignité, une qualité et une aspiration, qu’elle a probablement héritées de sa mère qu’elle chérissait ! Représentante, à sa manière, de la mode à la française sur laquelle surfèrent les grands couturiers juste après-guerre! Et cette recherche esthétique ne portait pas seulement sur la façon de se vêtir, mais aussi sur la manière d’organiser sa maison, de la décorer et de l’entretenir… Un art de vivre en quelque sorte – un marqueur de civilisation et une certaine philosophie de la vie – qui impliquaient forcement certaines contraintes que les enfants que nous étions dans les années cinquante avaient tendance à bousculer et que beaucoup, parmi ses proches, ne percevaient pas nécessairement comme un atout!

La photo souvenir de son mariage à Candé (49) – sa ville natale – le 8 septembre 1951 atteste de ce charme discret de la jeune femme qui, délibérément ou non, cultivait manifestement une certaine ressemblance avec les stars américaines du cinéma de l’époque – Gene Tierney (1920-1991) en l’occurrence – dont l’image était largement diffusée par les films d’outre-atlantique qui occupaient le devant des salles obscures depuis 1944…

Jamais pourtant je ne l’ai jamais entendu évoquer la Libération qu’elle dut connaître ado, ni l’arrivée des troupes américaines à Candé au tout début du mois d’août 1944. Très rarement, elle faisait allusion à sa carrière professionnelle aux « contributions directes » (services fiscaux) en compagnie d’Albert, contrôleur des impôts. Encore moins au métier d’institutrice qu’elle exerça à Candé avant son mariage…

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En toute sobriété, elle est partie comme elle avait vécu, presque sans bruit à bout de souffle d’un cœur qui – dit-on – l’avait déjà beaucoup tracassé et qui fut peut-être trop souvent meurtri…En chemin, avait-il oublié les rêves de la petite princesse candéenne?…

Elle rendit l’âme, espérant sûrement quelque chose de l’éternité, à l’issue d’une nuit d’agonie en présence de son mari et d’une filleule de Montjean-sur-Loire ! Son décès fut constaté par l’équipe du Samu alertée, qui s’apprêtait à la transporter aux urgences de l’hôpital ! Elle n’a dérangé personne! Encore l’élégance…

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J’étais à son mariage en barboteuse, et c’est mon plus lointain souvenir!

PS: Raymonde Bonenfant était née le 8 septembre 1930 à Candé.

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« Tante Renée » n’est plus ! Elle est partie, discrètement, modestement, sans déranger – comme elle avait vécu – à l’aube du 23 octobre 2016 dans une maison de retraite d’Angers… On aime à penser qu’elle s’en est allée, comme on la percevait depuis toujours de notre fenêtre, aimante, présente et effacée! Peut-être soulagée…

Elle avait quatre-vingt-quatorze ans, et c’est maintenant qu’on s’aperçoit que finalement on la connaissait peu, alors qu’elle nous accompagnait depuis toujours. Elle, qui a toujours incarné la permanence de la famille! On ne sait rien d’autre d’elle que ce qu’elle a bien voulu laisser filtrer de ses joies et de ses peines, lorsqu’on la visitait, environ une fois l’an, lors de nos trop rares passages à Angers…

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Dans son salon encombré de photos de toutes les époques de sa famille, elle nous accueillait, à chaque fois, souriante et disponible, empathique dans sa maison de la rue Charles Peguy « à Saint-Léonard », son quartier d’adoption depuis tant d’années. A portée de canon du dôme en ardoises de l’église.

S’excusant d’on ne sait quoi, elle s’enquérait de nos bonheurs et de nos déboires, de la santé de son frère – mon père – et de la nôtre, puis elle nous parlait fièrement de sa nombreuse descendance, répartie un peu partout, en France et dans le monde…« jusqu’aux Amériques, je n’aurais jamais pensé avoir des petits-enfants américains » ! Et aux Canaries… Elle nous parlait avec gourmandise des métiers et des passions des uns, des succès des autres, des difficultés aussi lorsqu’à ses yeux, le sort lui semblait injuste pour ces petits …

« Tante Renée » n’était pas, à proprement parler une révoltée ou une suffragette, mais elle n’était pas dénuée de sens critique! Lectrice assidue et quotidienne du Courrier de l’Ouest, elle n’hésitait pas à manifester son point de vue, lorsqu’un fait divers scabreux heurtait sa sensibilité! Elle prenait connaissance aussi avec tristesse de la disparition inéluctable de sa génération ! Dans sa rue, tous les amis d’antan s’étaient progressivement éclipsés à jamais!

Avec une mémoire étonnante, elle nommait, un à un, chacun de ses arrières-petits enfants, regrettant pour certains, leurs trop rares rencontres, rançon évidente de l’éloignement!

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Parfois, lorsqu’à notre tour, on la poussait à parler d’elle-même, elle évoquait timidement sa solitude sans Marcel, « parti, il y a si longtemps, au pied d’un noisetier sauvage, juste derrière le mur », mais elle ne s’appesantissait guère sur son propre sort, si ce n’est – de nouveau – à travers celui de ses enfants, auxquels elle regrettait de « faire souci »…

On voyait bien que le temps s’était (un peu) arrêté pour elle… Désormais qu’elle vivait seule dans cette grande maison – malcommode avec l’âge – mais qu’elle avait construite avec « son » Marcel, elle le partageait à part égale entre les vivants et les morts, sans chichi, en famille et à la bonne franquette, comme le café qu’elle ne manquait jamais ne nous offrir, comme pour retarder notre départ, avant de reprendre le dialogue avec ses fantômes…

La mort a fini par la rattraper, ce 23 octobre… Je me souviens qu’elle fut ma marraine. Elle l’est demeurée, même après que j’eus conclu, il a fort longtemps, à l’inexistence probable du Dieu de Rome, de Jérusalem et d’ailleurs… N’empêche que la mort demeure un mystère qui nous surprend toujours alors qu’on ne cesse de l’attendre!

 » La mort est le but et l’issue de toute vie, et il est impossible de rien en dire » écrit Jean d’Ormesson dans son dernier ouvrage. Pour conclure, en guise d’oraison que je n’aurais pas su composer, c’est donc lui que je citerai de nouveau  :  » Nous ignorons d’où nous venons, nous ignorons où nous allons. Nous sommes des égarés »…

Adieu, tante! On t’aimait bien tu sais! 

 

PS: Renée Pilet née Pasquier (1922-2016)

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Il suffit parfois d’un rien pour réveiller la nostalgie : un tapis de marrons d’Inde à l’automne dans un square pour ressusciter une cour d’école primaire juste avant la Toussaint … Par exemple, ma « petite école » de Saint-Augustin, sise chemin du Colombier à Angers dans les années cinquante… avec ses instits laïcs en blouse grise et les frères de Saint-Gabriel en soutane discutant près du préau en nous surveillant du coin de l’œil!

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De simples feuilles mortes jonchant le sol font revivre les copains d’alors aux noms désormais oubliés! On se revoit échangeant des calots contre des images de joueurs de foot, qu’on se procurait à la boulangerie du Moulin rue Saumuroise en achetant des chewing-gum à cinq francs! Tous les footballeurs étaient convoités, mais ceux, français, de la coupe du monde 1958 en Suède, jouissaient de la cote la plus élevée. Des clichés de Raymond Kopa, la balle au pied ou de Just Fontaine le meilleur buteur  se troquaient « à prix d’or », sans compter celle du sélectionné angevin, Stéphane Bruey, l’avant-centre du SCO, qui nous signait des autographes à la sortie du stade Bessonneau…

L’âge venu, et avec lui, les désagréments qui lui font cortège, ces visions de circonstance ont même tendance à se multiplier dangereusement comme si toute occasion était bonne pour pleurer un passé définitivement révolu…Un passé magnifié qui, à l’aune de l’ère crépusculaire actuelle, apparaît comme un recours ultime pour apporter un peu de sérénité et de courage contre les affres du temps qui passe ! Au risque d’ailleurs de nous brouiller l’horizon et d’obscurcir l’avenir en nous faisant oublier que nous sommes toujours là! Bien vivants…

Le passé ne fut pourtant pas toujours aussi paradisiaque que nos souvenirs sélectifs ne le laissent entendre, et le futur ne sera probablement pas aussi catastrophique qu’on le redoute… Enfin on peut l’espérer, même si, trop souvent, une actualité oppressante et tragique – parfois tragi-comique et présidentielle – nous donne à penser que ceux qui devraient nous fixer le cap semblent l’avoir perdu quelque part du côté de la rue du Faubourg-Saint-Honoré ou sur les rives de la Méditerranée, berceau de notre civilisation.

Face aux menaces et à l’expression d’une certaine modernité qui nous déstabilise, la réminiscence du passé nous semble – bien qu’à tort – être une valeur refuge… Comment, par exemple, ne pas être interloqué lorsqu’on nous serine aujourd’hui que c’est l’éducation « rétrograde » de nos parents qui nous aurait privés d’une liberté fondamentale et réprimée, celle de choisir notre sexe… Comment, pauvres ignorants que nous fûmes, avons-nous pu nous accommoder jusqu’à ce jour d’un statut de fille ou de garçon, qui nous aurait été autoritairement attribué à la naissance sur la base d’observations physiologiques présentés dorénavant comme de second ordre? On conviendra qu’il y a de quoi être troublé lorsqu’on nous présente comme un diktat culturel et idéologique ce qui nous apparaissait jusqu’à présent résulter de l’évidence et/ou du seul caprice de la nature.

On frémit et on culpabiliserait presque à l’idée qu’on ait pu naïvement avoir été conçus « garçons » sans s’en plaindre ni s’interroger, alors que de doctes savants du genre nous enseignent désormais que la présence d’un appendice externe n’est qu’un attribut tout à fait secondaire de l’identité sexuelle! Si nous sommes ce que nous sommes, ce ne serait pas tant du fait d’un déterminisme biologique que par une sorte d’abrutissement culturel inculqué par nos aînés! Lesquels auraient imprudemment mis entre nos petites menottes des voitures Norev, des épées en bois ou des frondes en sureau, plutôt que des poupées Barbie! Ou nous auraient conduits à préférer la mécanique à la couture…

Dans ce contexte, les vespasiennes – attribuées abusivement à l’empereur Vespasien – installées dans les villes au dix-neuvième siècle, font figure de preuve à charge contre les obscurantistes machistes que nous étions sans le savoir. Ces urinoirs publics n’étaient en effet, destinés – par conception – qu’à la gent masculine… Mieux que tout, ils symbolisaient donc, aux yeux de ceux qui nous accablent, cette tendance culturelle ségrégationniste, franchouillarde  et inégalitaire, dénoncée avec force par les manitous et les suffragettes,  inspirés de la « théorie du genre ». Ce mobilier urbain, pourtant si utile aux buveurs invétérés, aux piliers de zincs, aux incontinents et autres prostatiques, était – selon ses censeurs – l’incarnation même de l’infamie méprisante de ceux qui ignorent délibérément les besoins de l’autre sexe qu’on qualifiait à l’époque de « faible ».

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Durant des décennies, ces « pissotières » républicaines – ouvertes à tous à défaut de toutes – ont agrémenté notre environnement urbain et habillé nos rues. Leur présence nous était aussi familière que notre sexe, sans que leur caractère profondément « injuste » nous ait jamais incommodé, pas plus d’ailleurs que l’odeur âcre d’ammoniac qui s’en dégageait lorsqu’on croisait dans leurs parages, a fortiori lorsqu’on en faisait usage…

Jamais, face à l’urgence, leur hygiène souvent douteuse et leur fréquentation « mal famée » à certaines heures de la nuit, ne nous ont fait reculer! Jamais, nous ne nous sommes plaints des difficultés d’évacuation imputables à l’entretien parfois défaillant de l’alimentation en eau et au débouchage hasardeux des bondes et siphons de vidange!

Un jour, dans les années soixante ou soixante-dix du siècle dernier, elles ont disparu de l’espace public, sans qu’on y prenne garde, rouillées par des milliers d’arrosages convulsifs, vaincues par l’explosion ininterrompue des règlements encadrant l’hygiène publique et disqualifiées par leur anachronisme sexiste provoquant! Leur présence n’était plus supportable en vertu du principe indiscutable de l’égalité des sexes et d’un service public approprié à tous les besoins.

Toutes les vespasiennes – ou presque – furent donc remplacées par des sanisettes unisexes, nettoyées après chaque usage. Ou remplacées, par rien du tout! On a même fini par les oublier! Et on a appris, en sautillant d’un pied sur l’autre, lorsqu’il était impérieux de se soumettre aux nouveaux rites, à s’enfermer de mauvais gré, contre monnaie sonnante et trébuchante, dans ces cagibis aveugles concédés à des sociétés privées, et posés derechef sur les trottoirs! On s’est habitué à tolérer l’arrosage intempestif de nos bas de pantalons, lorsque, par mégarde ou par somnolence, on ne parvenait pas à quitter le lieu dans le délai requis… Malheur en outre aux claustrophobes!

A de rares exceptions près, apanages désormais exclusifs de campagnes rétives et reculées, les vespasiennes d’antan ne sont plus du tout à l’ordre du jour des plans de rénovation urbaine… Elles seraient d’ailleurs, demeurées enfouies à jamais, dans les méandres secrets de mes souvenirs, si le hasard d’une promenade dans le parc public « des Célestins » d’une commune francilienne – en l’occurrence Marcoussis – n’avait porté mes pas, en quête de châtaignes, vers un mur sur lequel était scellée une plaque d’ardoise, en tous points, identique à celles, collectrices d’urine, qui équipaient toutes les vespasiennes de mon enfance, y compris celles, familières, de mon école et du patronage. Un macaron en précisait l’origine angevine – trélazéenne – et en suggérait même l’usage en cet endroit insolite et champêtre, qui, à n’en pas douter, fut autrefois dédié au soulagement des vessies masculines!

Abandonné aux rigueurs des saisons, ce modeste badge commercial – craquelé par le gel – persiste pudiquement, et dans l’indifférence des rares promeneurs qui s’aventurent ici, à évoquer ces « petits coins » oubliés, et à rappeler la vocation « sanitaire » trop ignorée de la « Commission des Ardoisières d’Angers »… Il fallait que cet « ex voto » d’un nouveau genre fût honoré comme il se doit! C’est l’objet de ce billet.

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Cette étonnante apparition à deux pas d’une école de musique, réveilla immédiatement le souvenir des « pissotières » de quartier de mes tendres années et de ceux qui, en sifflotant de contentement, en faisaient un usage conforme! Je me remémore en particulier, celles qui se trouvaient, il y a un demi-siècle encore, à l’angle de la rue du Haut-Pressoir et de la rue Saumuroise, non loin de l’église-basilique de la Madeleine d’Angers.

Leur emplacement incongru, adossé au mur d’enceinte d’une communauté de « bonnes sœurs », juste en face l’entrée du presbytère de la paroisse, m’avait fourni l’occasion dans le passé de proférer quelques plaisanteries faciles sur le détournement possible de l’ouvrage…Ce souvenir là aussi avait été gommé de ma mémoire jusqu’à ma récente découverte, soixante lieues plus loin, d’un témoin survivant de cette époque!

Nos chères pissotières ont désormais disparu. Celles qui subsistent seront prochainement classées à l’inventaire des monuments historiques… Mais les mauvaises odeurs et les « bruits de chiottes » continuent néanmoins de foisonner! En période pré-électorale, ils sont même très nombreux à les diffuser!

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