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Posts Tagged ‘Temps qui passe’

C’était il y a tout juste un an, le 6 novembre 2017.

Le lendemain, mon père Maurice Pasquier (1926-2017) s’éteignait dans l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de Bligny en Essonne…

Mais ce 6 novembre, avant-dernier jour de son existence, fut le dernier où nous pûmes, avec certitude, communiquer avec lui…Le dernier où, lui-même, avec l’énergie du désespoir, s’efforça de nous transmettre ce qu’il ressentait, alors qu’il avait pratiquement perdu l’usage de la parole, qu’il entendait avec difficulté et que probablement il ne distinguait plus guère nos silhouettes qu’à contre-jour dans le soleil couchant de cette belle journée d’automne…

Ce jour-là fut aussi le dernier où notre mère Adrienne Turbelier (1923-2018), son épouse depuis près de soixante-dix ans, put le voir quelques minutes. Elle, dans son fauteuil roulant en contrebas du lit, et lui, déjà agonisant mais lucide, se tinrent la main une dernière fois, en une ultime et dérisoire caresse. Sans vraiment se parler, sans presque se voir car il ne pouvait incliner la tête, ils renouvelèrent ainsi, par une simple pression de leurs doigts enlacés, un serment d’amour qu’ils s’étaient mutuellement adressé un soir de décembre 1944, dans le sillage exaltant de la Libération d’Angers, quelques mois auparavant…

Aucun des avatars de la vie qu’ils connurent comme tous, n’entama cette passion et ne remit en cause cet engagement.

Ce 6 novembre 2017, elle murmura son émotion au sortir de la chambre, mais lui déjà ne pouvait plus parler comme il l’entendait, en approche d’un autre monde ou du néant. Seul son regard fixé vers le plafond semblait encore exprimer quelque chose, en l’occurrence, une souffrance de nature inconnue, inqualifiable, celle, sans doute éprouvée au seuil de la mort quand on sait quelle avance de moins en moins à pas feutrés! Et qu’on croit apercevoir l’ombre de sa faux.

Une souffrance assimilable au refus de se plier à l’injonction de la camarde. En une même révolte, les sens et l’esprit réunis semblaient s’être ligués pour contrer cette pulsion irrémédiable et dévastatrice qui s’apprêtait à gommer neuf décennies d’existence.

Il espérait cependant qu’il reverrait Adrienne…

Quelques jours avant, mon père y croyait encore – ou faisait semblant d’y croire – jusqu’au jour où il douta de son avenir à court terme… Le mal implacable l’avait totalement gangrené, et lorsqu’il prit conscience qu’en dépit d’un traitement antalgique renforcé, rien ne le soulageait, il comprit que son maintien à domicile devenait problématique, tant pour lui que pour les siens. Il avait alors demandé à rejoindre une structure hospitalière de soins palliatifs…

Il savait que son horizon s’était raccourci. Mais, au sein d’une unité médicale spécialisée, il pensait s’octroyer « une petite chance » de survie pour quelques mois. Ou, en tout cas, de prolongation de son existence jusqu’à la date anniversaire de leur mariage en décembre…

Son ultime objectif était en effet, conformément à une tradition bien établie, qu’ils avaient eux-mêmes initiée, de réunir une fois encore, leur nombreuse postérité – trois générations qui faisaient leur fierté – autour d’un banquet d’adieu. Nous n’avions pas su, ni les en dissuader ni les détourner de leurs illusions. A quoi bon! Et pourtant l’humeur était morose et l’ambiance peu propice à une fête qui forcément aurait été pesante.

Au cours d’un repas familial « préparatoire » en octobre, ils avaient même sélectionné le vin qui serait servi à table ce jour-là: un Bourgogne de haute tenue!

Le côte de Beaune sélectionné et qu’on ne boira pas avec eux! 

 

Dans la seconde quinzaine du mois d’octobre 2017, les signaux négatifs se sont multipliés. Son état de santé s’est très rapidement dégradé sans qu’aucun soulagement ne puisse lui être apporté à domicile.

Le 2 novembre il « intégra » donc l’unité de soins aux mourants de l’hôpital de Bligny. Il avait dans l’idée qu’il gagnerait un peu de répit et que le moment venu, il partirait apaisé!  » Dans la paix du Seigneur » dans son propre langage.

Il n’en fut rien malheureusement…

Malgré les soins prodigués, il se retrouva rapidement au cœur d’un dilemme thérapeutique à la résolution duquel il fut écarté, comme c’est généralement le cas pour tout patient en fin de vie. L’alternative, au demeurant classique, consistait – grosso modo – à choisir entre l’abrutissement total ou la douleur persistante. Fort de son savoir-faire, le corps médical opta, en conscience, mais en ses lieux et place, pour une solution moyenne censée optimiser les prescriptions. En vain… Et il  souffrit le martyr!

Le 6 novembre, mes deux sœurs et moi-même passâmes l’après-midi à son chevet.

Notre présence lui fut sans doute d’un grand réconfort…Nous lui parlâmes sans relâche!

Nos échanges étaient à la fois décousus, complexes mais ils avaient la saveur de la sincérité et de l’affection, sans posture et sans faux semblant … C’était l’heure ou jamais de faire passer les messages essentiels, car lorsque l’horloge du temps semble s’enrayer, l’irréversibilité est à l’ordre du jour et il n’y a plus à barguigner!

Quand l’échéance est dépassée sans avoir tout dit, ne subsistent que des regrets éternels, et parfois des remords d’avoir esquivé la vérité des sentiments…Au fond, le meilleur viatique – l’extrême onction – avant de partir pour le grand voyage, c’est la tendresse des siens! Si tant est bien sûr, que la notion de « grand voyage » soit en ces moments-là, pertinente! Ou même qu’elle ait un sens. Si tant est en outre que la raison estompe les anciennes controverses ou d’antiques ressentiments. Les comptes doivent être clôturés.

Et ce fut effectivement le cas!

Notre père était dans un état de semi-somnolence mais il était conscient et semblait même apprécier les chansons que nous lui passions, qu’il aimait fredonner jadis. Elles diffusaient un peu de chaleur vitale dans cette chambre sans caractère, avant que le froid redouté ne s’installe et que le désordre du sépulcre prenne le dessus sur la vie…  Sans ordre préconçu, au gré des connexions 4G de nos téléphones portables, nous lui fîmes entendre, au plus près de son oreille, des musiques de Brassens, de Léo Ferré et de Jean Ferrat…D’autres également.

Deux ou trois de ces ritournelles marquèrent symboliquement certaines étapes décisives de sa vie d’homme mais aussi de syndicaliste chrétien ou de militant politique :

  •  » Les Corons » de Pierre Bachelet, le mythe absolu qui incarnait, à ses yeux, la condition ouvrière,
  • « Mon père » de Daniel Guichard,
  • « Inch Allah » de Salvatore Adamo, qu’il chantonnait à Angers à la fin des années soixante, et dans laquelle il entrevoyait la paix entre Israël, terre promise de toutes les religions, et ses voisins …

Nous eûmes le sentiment en ces instants inoubliables, de former une seule et même entité, reconstituée autour du père et réconciliée avec sa propre histoire… Un récit né des utopies progressistes d’après guerre dans les provinces de l’Ouest.

La larme à portée d’œil, nous pressentions néanmoins, sans trop nous l’avouer, que les épreuves arrivaient à leur terme, et que nous étions au bout du chemin. Le moment de se quitter ne tarderait plus …

Partagés entre l’incrédulité d’assister en témoins impuissants à l’accomplissement terminal d’un destin qui nous échappait, et la soumission consentante à l’irrémédiable, nous nous réconfortions silencieusement, en espérant que pour lui au moins, ce soit une apothéose spirituelle…

En fin d’après-midi, notre père manifesta le désir de parler, mais d’une voix si inaudible et inintelligible, que je lui proposai d’écrire ce qu’il souhaitait nous communiquer, fût-ce en aveugle et d’une main incertaine et tremblante. S’agrippant au stylo et au carnet positionné dans sa main, il accepta ce dernier challenge et il écrivit « au jugé » .

Ce furent les dernières phrases qu’il parvint à griffonner après des milliers de lignes et de pages écrites au cours de sa vie… L’écriture était en effet une de ses passions, avec la lecture et la photographie.

Ces quelques mots qu’il tenta d’écrire sont d’autant plus précieux…

Les derniers pour nous dire qu’il souffrait…

« Cette nuit a été très dure »

 

Pas impossible que sur les autres pages indécodables, il ait ajouté qu’il nous aimait! Il me plait de le croire.

Dans la nuit qui suivit, il sombra dans une sorte d’inconscience proche du coma, que l’on appelle avec toute la pudeur des litotes officielles, une sédation profonde jusqu’au dernier souffle.

Dès lors, la barrière, entre nous, devint infranchissable, bien que le personnel soignant, dorénavant réduit à un rôle de bienveillante compassion à notre égard, nous assura du contraire:

 » Certes, il ne manifeste plus rien, mais nous avons de bonnes raisons de croire qu’il vous sait à ses côtés »

Merveilleuse richesse du langage!

Il décéda vers vingt heures le lendemain 7 novembre 2017 sans avoir retrouvé ses esprits!

Un an après… Le monde qu’il a connu n’est plus le même, à tous égards! Mais n’est-ce pas le lot commun de chaque être humain de ne jamais se baigner dans la même rivière?

 

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« Pour ses arrières-petits enfants, qui s’interrogeront peut-être un jour à propos d’une vieille croûte poussiéreuse dans un débarras »

Jusqu’à un âge très avancé, ma mère peignit… Elle en fit même son passe-temps favori pendant de longues années. Mais paradoxalement, alors que petite fille, elle aimait déjà dessiner et colorier, ce n’est qu’assez tardivement qu’elle s’y mit vraiment. En fait, ce n’est qu’à la cinquantaine échue, qu’elle reprit ses mines de plomb, ses aquarelles, ses gouaches et ses pastels. Ses sanguines aussi, ainsi que ses fusains et ses craies, car elle était touche-à-tout…

Un peu comme si, à l’automne de sa vie, elle retrouvait une idylle de jeunesse, occultée depuis longtemps par les vicissitudes de l’existence, et qu’il fallait vite rattraper le temps perdu! Comme s’il y avait urgence à révéler au grand jour, une intrigue d’enfance, soigneusement et secrètement entretenue!

Elle s’adonna alors sans retenue à cette passion si longtemps étouffée, avec l’empressement de la néophyte ou de l’autodidacte, sans d’ailleurs chercher à en apprivoiser les codes, les règles ou les standards…Elle peignait et dessinait sans trop s’embarrasser d’autres contraintes esthétiques que celles qu’elle se donnait. Sans aspirer non plus à une reconnaissance universelle qui éclairerait la postérité ou encombrerait les réserves de musées d’outre-atlantique ou de province…

Elle peignait d’instinct, des paysages, des natures mortes, des fleurs… Jamais de portraits. Juste pour le plaisir de l’instant, juste pour rêver de couleurs et d’horizons imaginaires, sans échafauder de lendemain prometteur qui, en toute logique, n’avait aucune raison d’être. Elle ne se berçait pas d’illusions sur la permanence ou la valorisation de son travail, mais elle en était fière et s’en revendiquait. C’était l’expression tangible de sa liberté. Elle peignait, en somme, pour se sentir exister.

Puis un jour, sans rien renier de ce qu’elle s’était évertuée à réaliser, quotidiennement durant quatre décennies, elle décida, sans crier gare, de ranger ses pinceaux et ses spatules… Prétextant que sa main tremblait, elle remisa sa palette et ne toucha plus à ses toiles ou à ses cahiers de dessin!

L’une de ses toiles 

Cette résolution apparut dans un premier temps, énigmatique à son entourage! Faisait-elle vraiment sens au-delà des fausses évidences sur son état de santé et des apparences, ou de ce qu’elle en disait pour nous égarer? Se pouvait-il qu’il ne s’agisse que d’un caprice de vieille dame, d’une coquetterie imputable au grand âge, ou encore d’une sorte de « roublardise » dont ma mère était friande? Juste pour se faire prier…

Ses handicaps physiques qui, certes, se multipliaient, étaient-ils, comme elle le prétendait, la principale et unique cause de son renoncement?

Ou fallait-il en demander plus et s’efforcer d’accéder à la quintessence de sa démarche créative pour comprendre cette retraite soudaine, sans sommation ou symptôme patent préfigurant l’inéluctable?

La cause en était manifestement plus profonde qu’on ne le supposait, et certainement indicible. D’ordinaire peu effarouchée, volontiers diserte en société, bavarde même et parfois pusillanime aux yeux de ses détracteurs, ma mère adoptait ici une posture de mutisme sélectif qui ne lui ressemblait pas…Clairement, elle n’avait pas l’intention de fournir d’autre explication que celle du léger tremblotement de ses mains, et ne semblait pas disposée à livrer à quiconque les arcanes de son intimité, de ses contrariétés et de ses sentiments … Et pourtant, dans le cas d’espèce, c’était probablement dans cette voie qu’il convenait de rechercher la clé.

S’il fallait attribuer cette démission à une sorte de fêlure et la comparer à d’autres craquelures ou gerçures de l’âme, on pourrait sans doute la rapprocher de l’embarras éprouvé par de vieux tourtereaux se retrouvant sur la Toile, un demi-siècle après la fin de leur marivaudage adolescent… et qui, au plaisir d’improbables retrouvailles, préfèrent s’abstenir de réveiller d’antiques cicatrices pour ne pas s’effrayer mutuellement de ce qu’ils sont devenus.

Alors, c’est en mémorialistes de leurs vies que les anciens flirts évoquent leur fougue de jadis, en évitant soigneusement d’empiéter sur leurs destinées en cours. Ils savent en effet qu’ils n’ont plus rien à attendre ensemble du présent… Ce comportement répond sans doute au souci d’épargner à l’autre, mais surtout à soi-même dans le regard de l’autre, l’image dégradée que renvoie une actualité qui ne peut plus servir de décor à leurs amourettes passées. D’aucuns y verront une forme revisitée de stoïcisme: une quête nostalgique du bonheur par la tempérance.

C’est sûrement dans cet état d’esprit que ma mère décida un jour d’abandonner sa peinture. Pour ne pas souffrir. Pour ne pas subir la déchéance d’un talent dont elle se créditait sans fausse modestie, mais dont, confrontée à l’érosion du temps, elle mesurait la fragilité,

Ayant perdu une grande partie de son autonomie physique – donc de son indépendance – ma mère ne supportait plus que l’image d’artiste qu’elle était parvenue à imposer à ses familiers, ne fusse irrémédiablement écornée par le spectre d’une vieillesse envahissante et impitoyable. Et ce, d’autant plus que ce statut d’artiste-peintre dont elle jouissait auprès de ses proches et qu’elle ne devait qu’à elle-même, constituait certainement un des principaux marqueurs identitaires de la seconde phase de sa vie. Et probablement celui qui lui tenait le plus à cœur après celui de mère, car il incarnait son émancipation après des années d’oubli de soi-même au profit de ses enfants et de son mari…

Dorénavant, elle ne pouvait se résoudre à produire un travail – à ses yeux – de moindre qualité, dont elle estimait qu’il ne saurait susciter d’autres appréciations que celles dictées par la piété filiale ou la compassion. A quoi bon poursuivre si l’on perd toute aptitude à provoquer l’émotion, à plaire ou à séduire par la seule force de son talent!

Redoutant le naufrage et la médiocrité, et refusant la charité, elle choisissait d’anticiper l’abandon en prenant l’initiative de jeter l’éponge… Elle préférait désormais s’en tenir aux quelques dizaines – voire centaines- de dessins ou toiles effectivement réalisées, dont elle fit son patrimoine présentable.

Rien ni personne ne purent la convaincre du contraire. Ripoliner ou peinturlurer avait été sa manière de tromper le temps. Désormais, ce dernier lui échappait!

En revanche, elle ne dédaignait pas qu’on admirât celles de ses « œuvres » exposées dans son appartement de Massy… Celui qu’elle habitait avec mon père, et qui fut son unique atelier. Mais, dès qu’on tentait de l’inciter à poursuivre son travail, elle détournait la conversation. Si, plaisantant, on insistait en présentant son handicap comme « un atout » pour réaliser des œuvres pointillistes « à la Paul Signac », elle répétait, agacée en perdant tout sens de l’humour, que sa « fichue » ostéoporose à l’origine des raideurs dont elle souffrait, lui interdisait la maîtrise de ses mouvements et une station prolongée à son chevalet ou à sa table de dessin.

Un point, c’est tout! 

Dès lors, sa palette de couleurs devint définitivement orpheline, délaissée et figée sur une étagère du petit meuble vitré, qui faisait office de placard aux peintures, aux huiles, aux brosses et aux pinceaux. Celui-là même où étaient aussi entreposés les cartons à dessins et rangés ses pinceaux!

     Sa palette abandonnée

Lorsqu’elle commentait ses tableaux – exercice auquel elle se livrait volontiers et même avec délectation- elle le faisait à sa manière en s’attardant sur les circonstances, sur son humeur ou sur les anecdotes, qui l’avaient conduite à choisir tel sujet ou à privilégier tel motif ornemental. Mais elle ne s’attardait pas sur la technique qu’elle considérait, à tort ou à raison, comme accessoire, voire dérisoire.

Ce n’est pas en effet, au nom d’une expertise, qu’Adrienne parlait de ses tableaux, car elle connaissait leurs imperfections, mais comme une femme qui avait trouvé dans l’expression picturale, un moyen propre de faire entendre sa subjectivité, de conquérir son autonomie et de faire valoir sa liberté d’être…

Dans ce « domaine réservé » dont elle ne livrait à son entourage que ce qui lui convenait, son mari n’avait guère d’autre option que d’admirer, « encadrer » les œuvres, et, le cas échéant, les suspendre au mur du salon!

Il est symptomatique que dans ce couple, né d’un coup de foudre illuminé par le militantisme jociste dans l’allégresse des mois qui suivirent la Libération d’Angers en 1944, mon père, photographe amateur compulsif, n’ait pris aucun cliché de ma mère à son chevalet, alors qu’il nous a légué des milliers de photographies, dont de très nombreuses d’elle, en noir et blanc ou en couleur, en format 6×9 ou en 24×36 et autant de diapositives! Cette omission n’était probablement pas fortuite!

Pour lui comme pour elle, la manumission par l’art était extérieure à leur contrat de vie en commun… Il n’est d’ailleurs pas exclu que cet affranchissement fût perçu par l’un et l’autre, comme potentiellement destructeur d’un équilibre conjugal adossé à des siècles de tradition. Mais tandis qu’elle y entrevoyait là un enrichissement personnel et une forme de libération, lui se sentant peut-être relégué, en concevait sûrement une sourde crainte.

Lui, il se souvenait qu’une fois pour toutes, lors de leur mariage en décembre 1947, leur amour irréfutable avait été sanctifié, donc par définition déclaré éternel et fusionnel!  » Conventionnellement fusionnel »! Mais au sens où on l’entendait après-guerre dans les provinces de l’Ouest et dans une famille de militants chrétiens de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne et ultérieurement de l’Action Catholique Ouvrière…Ce postulat, Maurice aimait le rappeler avec émotion, chaque année, aux dates anniversaires de ce mariage qu’ils conquirent, à l’époque, de haute lutte! …

Un serment qui semble aujourd’hui « très daté » et en décalage avec l’évolution actuelle des mœurs ainsi qu’avec l’objectif d’égalité « réelle » des sexes dans tous les domaines de la vie!

Après les années de pétainisme et d’oppression nazie, la génération de jeunes femmes et de jeunes hommes, assoiffés de liberté, à laquelle appartenait mes parents, était sans conteste, avide de progrès social et perméable aux idées nouvelles du Conseil National de la Résistance, mais elle n’échappait pas, en matière de comportement individuel à la tradition patriarcale, castratrice et conservatrice relayée par une église catholique encore puissante dans ces pays de la Chouannerie et des Guerres de Vendée…

Confortés par un code civil qui qualifiait encore le mari de « chef de famille », les hommes jouissaient du meilleur rôle, tandis que les épouses se perdaient dans les contraintes et les sujétions du mariage et des maternités dont elles assumaient l’essentiel de la charge! La notion de parité des sexes ne relevait pas encore de l’utopie; elle n’était pas du tout  invoquée. Et la majorité d’ailleurs n’y trouvait rien à redire, en particulier de nombreuses femmes dans la classe ouvrière, qui ne concevaient pas la vie autrement que dans le sillage de leur mari. Elles en partageaient leurs luttes lorsqu’ils étaient syndiqués, et subissaient passivement – sans trop s’en formaliser – cet apartheid juridique, politique, économique et social.

Dans ce contexte, peindre sans en référer à quiconque, était, pour ma mère, une manifestation d’indépendance et de reconnaissance, une bouffée d’air frais, et aussi, une contestation « à bas bruit » de l’homme qu’elle n’a jamais cessé d’aimer mais dont elle déplorait tacitement le peu d’enthousiasme à procéder à une sorte d’aggiornamento domestique, alors qu’il était toujours partant, hors les murs, pour faire la révolution sociale ou politique …

L’art dont elle se revendiquait était donc l’exutoire d’un mal-être et l’échappatoire qu’elle avait choisie pour s’affranchir de toute emprise, y compris conjugale. Et c’est sans doute avec un certain contentement, qu’elle portait cet innocent petit « coup de canif » au contrat du bon usage du mariage chrétien contracté dans un passé lointain sous un parrainage christique, dont elle doutait de la bienveillance! Lui au contraire fut habité jusqu’à son dernier souffle de la « foi du charbonnier ».

Je suppose que tous les deux le comprirent ainsi mais ne se l’avouèrent pas.

Dans les dernières années de sa vie, ma mère, devenue exigeante, lui fit d’ailleurs payer « cette dette » dont il ne comprit pas nécessairement la nature et la portée, mais que par amour, il ne discutait pas, acceptant de se muer en serviteur attentionné et repentant de la dépendance de sa femme!

N’empêche, aucun des tableaux d’Adrienne ne fut dédié à Maurice, et aucun n’eut pour thème central, la religion ou la soumission au créateur…

La passion de ma mère pour la peinture ne s’est pleinement exprimée qu’après que les « enfants furent élevés ». Mais, elle ne devint pour elle une impérieuse nécessité qu’au moment où elle s’expatria de son Anjou natale pour suivre Maurice en région parisienne. Ce fut un traumatisme qui la hanta le restant de ses jours, car elle avait sacrifié – une fois de plus – son destin personnel à celui de son mari, en abandonnant une carrière professionnelle renaissante après plus de vingt ans d’interruption… Elle s’était en outre irrémédiablement éloignée de son réseau d’amitiés, souvent très anciennes….

C’est dans la peinture qu’elle noya sa tristesse…

Dans ce contexte, il lui importait peu de respecter les lois de la perspective, d’ignorer les points de fuite ou de se fixer une ligne d’horizon… Son besoin de reconnaissance n’avait nul besoin de s’appuyer sur des règles ou des conventions esthétiques classiques pour clamer ses sentiments sur le papier ou sur la toile.

Peu importe les reproches qui lui étaient adressés de ne recopier que des images de cartes postales ou de contrefaire maladroitement les œuvres des « génies » de la peinture… Elle ne les entendait pas. Elle peignait à sa guise, sans autre considération que de se faire plaisir et d’épancher une soif personnelle de création…

Pour apprécier, peut-être fallait-il s’intéresser aussi à l’envers du décor!

De la sorte, si son  » Paysage de Marcoussis » présente des similitudes avec le chef d’oeuvre éponyme de Jean-Baptiste Corot (1796-1875), dont elle s’est probablement inspirée, il serait vain d’établir une comparaison entre un maître des paysages du 19ième siècle, précurseur de l’impressionnisme, et l’amatrice ingénue qui s’amuse à expérimenter les lavis d’aquarelle sur une campagne d’Île de France.

Tout juste peut-on dire, que les deux peintres avaient le même âge lorsqu’ils réalisèrent le tableau…

Mais moi, dans ce tableau que ma mère m’a offert en 2002, et dont je ne méconnais pas les défauts, je ressens l’expression singulière de sa sensibilité et de sa personnalité, et j’y reconnais aussi un peu de son histoire, donc, de la mienne par ricochet. Ce tableau me parle, tandis que je trouve celui de Corot, magnifique et inégalable, comme s’il avait posé son chevalet dans mon propre jardin

Pour moi, tous deux flirtent avec l’universel, mais à des lieues de distance et dans des cours différentes…

Respectueuse du génie, elle aurait partagé ce point de vue; elle qui collectionnait les ouvrages dédiés aux Impressionnistes, et ne se lassait pas d’admirer leurs œuvres. Elle, qui, du temps où mon père conduisait encore, n’aimait rien tant que de se promener dans les allées de Giverny à la recherche des Nymphéas de Monet.

Elle, qui prit tant de plaisir, il y a une quinzaine d’années, à déjeuner à la terrasse de la Maison Fournaise à Chatou, là où Auguste Renoir composa « le Déjeuner des Canotiers ».

   Son  » Paysage de Marcoussis »

Jamais, elle n’aurait eu l’outrecuidance de se comparer aux grands peintres de l’histoire. Elle apportait sa petite touche personnelle à une épopée qui la dépassait, sans prétendre franchir les limites de son salon.

D’ailleurs, lorsqu’elle faisait cadeau d’un de ses tableaux à l’occasion d’une naissance, d’un anniversaire ou d’une fête, ce n’était pas une oeuvre d’art qu’elle transmettait mais un petit souvenir de la mère, de la grand-mère et de l’arrière-grand-mère!

Peu comprirent qu’à travers ce cadeau souvent perçu comme un fardeau plus ou moins encombrant dans des ameublements conçu par IKEA, elle faisait passer un message sur sa propre conception de la création et de la liberté d’imaginer sa vie… Sur sa vision de la famille, qui ne passait pas nécessairement par le discours réducteur des unions d’un autre siècle …

    Paysage 1995

Les années passèrent. Ses tubes de peinture durcirent dans leur boite…

Puis un jour, elle s’en alla pour ne plus revenir…

Il fallut alors décrocher les tableaux, vider l’armoire aux couleurs, effacer les traces de son atelier… et remonter le temps à contre courant des vents dominants! Tenter enfin de répartir des œuvres dont personne au fond ne voulait plus vraiment s’encombrer! Pourquoi en effet congestionner les greniers de tableaux de grand-mère, dont aucun ne sera jamais vénalement négociable? Pourquoi s’embroussailler la mémoire de souvenirs qui s’accommodent difficilement du « nouveau monde » à des années lumière de la connexion permanente aux innovations de l’intelligence artificielle?

C’est au cours de cet emballage vers une destination incertaine des tableaux de ma mère, qu’on découvrit, parmi quelques rares peintures sur soie de ses débuts, une toile inachevée... Et exceptionnellement, un arrangement qu’elle avait elle-même composé dans sa salle de séjour, qu’elle avait photographié et qu’elle avait commencé à reproduire.

Photographie de la composition projetée

Sur une solide et épaisse table de chêne, encadrée par trois chaises d’ancienne facture, elle avait disposé un vin des « Coteaux du Layon » embouteillé par mon père, un livre ouvert et un verre d’Anjou, à ouverture tronconique, si caractéristique.

Les « Coteaux du Layon »!

C’était le vin incontournable de toutes les fêtes familiales à Massy, le vin blanc du paradis perdu, celui plus ou moins sucré, plus ou moins coloré d’un beau soleil du terroir, qu’on dégustait religieusement et conformément à un rituel scrupuleusement respecté, en apéritif puis au dessert, et toujours, dans des « verres à vin d’Anjou » en cristal fin monté sur une fine colonne, présentes depuis près d’un siècle sur les tables angevines et celles de la diaspora.

Chacun y retrouvait la saveur de la terre patrie… Ma mère, au premier chef !

Elle n’était d’ailleurs pas la dernière à donner son appréciation sur la qualité du dernier crû ouvert! Et à reprendre une petite « lichette » au deuxième service.

Mais un jour, elle est partie sans finir son verre!  

 

Cette esquisse « inachevée » est peut-être l’ultime leçon qu’a voulu dispenser ma mère sur la fragilité du monde réel… mais c’est possiblement aussi l’illustration d’une double exigence qu’elle n’est sans doute pas parvenue à totalement concilier, celle de la fidélité à la tradition de ses aïeux et à leur terroir, et celle de la création en toute indépendance pour témoigner et exister.

Pour ces motifs, ce tableau non concluant qui aurait pu disparaître dans les « encombrants » m’est devenu précieux! Car il introduit le doute… C’est certainement aux pages du livre laissé ouvert par ma mère, qu’on trouve sûrement les fils d’Ariane propres à lever ce doute.

 

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Il m’aura fallu patienter plus d’un demi-siècle pour apprendre l’existence d’un certain Jehan Gelée, né, semble-t-il, en l’an de grâce 1495, quelque part en Gâtine poitevine dans les environs de Parthenay, de Saint-Pardoux ou de Soutiers…

Photo Site officielCommune Mazières en Gâtine

Ph. Site mairie Mazières-en-Gâtine

Ce que je sais de lui est très sommaire ! A vrai dire, presque rien, hormis deux précisions: la première, triviale, eu égard à sa date de naissance, c’est qu’il a vécu sous les règnes de Charles VIII, de Louis XII et François 1er entre 1495 et 1547, et la seconde, forcément plus déterminante pour moi, c’est qu’il est mon lointain aïeul ! Et, même, au hit-parade de mes ancêtres, le plus ancien d’entre eux, à ce jour identifié !

Le fait qu’il soit né, trois ans à peine, après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, donne le vertige, surtout si l’on prend conscience que quinze générations et un peu plus d’un demi-millénaire nous séparent…

Je ne suis pas l’inventeur de cette découverte. C’est à ma cousine, « Rose l’Angevine » qu’il faut attribuer cette bouleversante révélation, récemment exhumée des archives ! Ainsi, sans crier garde, surgit du fond des siècles, un inconnu dont j’aime à croire qu’il me ressemblait comme un frère…ou peut-être pas du tout !

En tout cas, quelqu’un avec lequel je suis censé partager quelques gènes. Sans l’obstination de « Rose » une fidèle habituée de mon blog, il est certain que j’aurais vécu le reste de mon âge sans me préoccuper un seul instant de ce Jehan poitevin… Il faut dire que rares sont ceux, qui, dormant depuis des lustres dans les registres d’état civil ou paroissiaux parviennent à se soustraire aux enquêtes quasi-policières de Rose, une des généalogistes les plus averties du Grand Ouest du royaume de France, et même des provinces de la Nouvelle France. Nombreux en revanche, sont ceux qui cherchent à s’attacher bénévolement ses services pour dessiner les arbres de leurs ascendances et de leurs cousinages, jusqu’aux limites ultimes de la grouillante et mystérieuse canopée ! J’ai ce privilège.

Bref, sans elle, je n’aurais jamais imaginé ma filiation directe avec ce diable d’homme, ce Gelée, miraculeusement sauvé de notre amnésie collective et rappelé dans nos foyers, bien que refroidi depuis des temps immémoriaux…Je n’aurais jamais su que ce lien familial qui nous oblige désormais, emprunte les quartiers de roture de ma grand-mère maternelle, Adrienne Venault (1894-1973) et de sa mère Clémence Fradin (1861-1931), toutes deux poitevines deux-sévriennes, que j’ai abondamment évoquées ici, il y a quelques années…

Et, le plus étonnant en cette affaire, c’est que cette chaîne généalogique ascendante – mi agnatique ou patrilinéaire et mi-cognatique – dont Rose m’a fourni les principales clés, en reconstituant une série ininterrompue d’ancêtres sur les cinq derniers siècles en Poitou, a permis de retrouver, en prime, dans la poussière des vieux grimoires, quelques autres personnages singuliers, parties prenantes de ma lignée, et également ignorés jusqu’à maintenant, mais qui ne correspondent pas tout-à-fait au profil des humbles manants ou des artisans pauvres qui peuplaient presque exclusivement hier les rameaux les plus élevés de mon arbre généalogique…

Ainsi, un arrière-petit-fils de Jehan Gelée, Anthoine Allonneau, un autre de mes aïeux au douzième degré – né en 1600, et « marchand » de son état était propriétaire avec son épouse, du domaine de la Bazonnière qui relevait de la seigneurie de Saint-Pardoux dans la Gâtine parthenaisienne, et dont les traces figurent encore sur le cadastre « napoléonien » établi en 1837 pour la commune de Saint-Pardoux (79)…

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La Bazonnière cadastre de Saint-Pardoux section B -AD 79

Mieux encore, son fils François Allonneau (1630-1690), héritier de la Bazonnière et de ses dépendances, exerçait la charge de notaire du duché de la Meilleraye. Notaire seigneurial et probablement royal par délégation, c’était certainement un notable local incontournable et redouté, car du fait de sa fonction consistant à dresser des actes de vente, d’héritage ou de contrat de mariage et à en garantir l’authenticité dans le ressort de la justice ducale, il devait jouir d’une connaissance assez précise du patrimoine des uns et des autres, et jouer un rôle appréciable dans les alliances entre les familles…

Sans être nécessairement richissime, car le nombre d’actes sur lesquels il prélevait son timbre devait être à la mesure de la richesse locale, François Allonneau disposait au moins des moyens de sa charge et de son office, et devait figurer parmi les familiers et les relations d’affaire du duc. Certainement pas parmi ses intimes, car il n’appartenait pas à la grande noblesse.

Watteau 1664- notaire établissant un contrat de mariage

Watteau 1664- notaire rédigeant un contrat de mariage

Durant la période où François Allonneau exerça sa charge de notaire, le seigneur des lieux, Charles de la Porte (1602-1664) était loin d’être un nobliau provincial anonyme. Il possédait sa chaise à la cour de France, en l’occurrence à celle de Louis XIII d’abord, dont il était d’un an le cadet, puis à celle de Louis XIV sur lequel il exerça une certaine influence presque paternelle au début de son règne….

Issu d’une famille poitevine de haut lignage, Charles était cousin du cardinal de Richelieu. En un temps, où le cumul des mandats ne soulevait aucune émotion – le bon peuple n’ayant guère le loisir de nourrir des états d’âme à propos de la gestion des affaires publiques – le « patron » de François Allonneau trustait allègrement les titres, les fonctions et les distinctions.

Qu’on en juge : ce grand aristocrate fut, à la fois, marquis puis duc de la Meilleraye en Poitou, duc de Réthel, baron de Parthenay et de Saint-Maixent, comte de Secondigny, seigneur du Boisliet, de la Lunardière, de la Jobelinière, de Villeneuve. Il fut en outre nommé lieutenant général de Bretagne, grand maître de l’artillerie de France, lieutenant général des armées du roi, pair de France, gouverneur de Nantes et de Port-Louis, et pour couronner le tout, le roi l’éleva à la dignité de maréchal de France, en remerciement sans doute de ses actions héroïques et de ses faits d’armes pendant la guerre de Trente ans.

Charles de la Porte

Charles de la Porte

Mais le duc n’était pas seulement un soldat avisé, il s’intéressait aussi au nerf de la guerre, l’argent, et pour ce motif, il fut nommé surintendant des finances en 1648… Sur son portrait d’époque, son teint blafard et son visage émacié donnent l’impression que l’homme est un peu las… On comprend pourquoi!

On peut néanmoins penser que les compétences du duc en matière financière influèrent certainement sur les relations qu’il entretint avec ses vassaux dans ses terres poitevines, en particulier avec son notaire, qui fut peut-être aussi son informateur sur l’état moral du duché…On ne serait pas étonné que les deux hommes, bien qu’ayant conscience, conformément à l’étiquette, des distances à respecter du fait de leurs différences de condition, aient su nouer des rapports de confiance, réciproques dans la gestion des biens… Réciproques mais forcément inégalitaires!

Le contraste est en tout cas saisissant entre la fortune présumée et l’aisance sociale de ce François Allonneau, et la modestie de la condition, deux siècles et demi plus tard, de ses descendantes, mon arrière-grand-mère Clémence Fradin, garde-barrière de la compagnie de chemins de fer, Paris-Orléans, veuve d’un poseur de voies, tué par un train, et ma grand-mère maternelle Adrienne Venault, contrainte pour gagner sa vie de vendre ses services comme domestique puis cuisinière, chez des bourgeois de la région, dès l’obtention de son certificat d’études !

Que s’est-il donc passé dans ce laps de temps qui explique cet appauvrissement progressif – ou brutal – de cette famille, la mienne en partie, au cours des décennies qui ont suivi l’époque « solaire » des Allonneau? Plusieurs explications peuvent être avancées, mais les pistes pour les confirmer font défaut. La révolution française qui a rebattu les cartes et détruit des patrimoines fut-elle un facteur décisif? Ou bien la dispersion des héritages, ou encore des retours imprévus de fortune à la suite de mauvais choix de certains héritiers au fil des générations? Nul ne le sait…

La réponse se trouve peut-être dans la consultation de milliers de pages malaisées à décrypter des minutes notariées, collectionnées au cours de cette période critique. Beaucoup, sont désormais consultables dans les dépôts départementaux d’archives… Mais, à moins d’une trouvaille rapide, qui fournisse d’emblée les réponses attendues, la tâche exige l’abnégation studieuse d’un bénédictin, à laquelle je ne saurais me résoudre!

Peut-être qu’un jour, cette énigme, d’importance toute relative, trouvera néanmoins une réponse crédible, par la grâce d’un robot paléographe qui, en moins de temps qu’il n’en fallut pour initier le big-bang, déchiffrera des milliers d’écrits pertinents et de charabias dialectaux, en analysant parallèlement la composition chimique des parchemins et en interprétant les empreintes génétiques laissées par les tabellions sur les vélins de ces temps-là !

Mais, dans l’attente de cet avenir robotique radieux, alors que moi-même, j’aurai probablement rejoint la masse des archives dormantes en attente d’un hypothétique réveil généalogique, il me faut conclure…

Bien sûr, tout le monde rêve un jour ou l’autre, d’épingler à sa galerie d’ancêtres, des chevaliers compagnons de Saint-Louis partant en croisade contre les sarrasins, ou espère se revendiquer, preuve à l’appui, du courage monastique des chevaliers teutoniques !

Pour l’heure, Rose l’angevine ne m’a fourni pour ancêtre ultime, qu’un seul ressortissant poitevin de la fin du quinzième siècle ! Un seul parmi les 32768 ancêtres directs putatifs, dont je devrais me prévaloir au quinzième degré de mon arbre… Beaucoup moins en réalité, car du fait des croisements de cousinages, un nombre appréciable porte sur sa seule tête, le poids de plusieurs aïeux.

Jehan est seul sur son rameau. Je m’en contente, et m’en satisfais ! Disons qu’étant identifié – autrement dit « mesuré » au sens de la théorie quantique – il est l’unique homme de son époque qui atteste de la réalité de ma filiation. Tous les autres sont demeurés virtuels, et doivent être regardés comme des possibilités qui ne se sont jamais réalisées…Un peu comme une fonction d’onde en mécanique quantique, qui ne rend compte de la réalité physique du monde, qu’à la condition de préciser le contexte métrologique qui a permis de lui donner chair et d’admettre qu’elle n’a pas d’existence propre indépendamment de l’observateur.

Si l’expérience était réalisable, je ne serais pas surpris de découvrir ma très grande proximité génétique avec ce Jehan! La même en toute hypothèse, que celle que j’entretiens avec Saint-Louis et ses compagnons de croisade, avec les chevaliers teutoniques et même avec les sarrasins qu’ils combattaient…

A quoi bon alors s’échiner à rechercher plus avant d’autres aïeux, alors que la grande saga du désir ou de l’amour – ou plus prosaïquement de l’instinct de survie de l’espèce – conjuguée aux lois de la génétique nous désignent tous comme des enfants de Jules César, de Charlemagne et de Vercingétorix ?

Certes! Mais, le plaisir réside dans l’identification besogneuse du balisage et des écueils parsemant le chemin emprunté par les générations qui nous ont précédés, pour nous transmettre la vie! C’est cette recherche qui est passionnante en soi, et c’est ce qui explique notre acharnement et notre émotion à nous abîmer les yeux, des heures durant, sur des écrans affichant des archives publiques numérisées ! Autrefois dans les mairies, on pouvait en plus effleurer le papier et en respirer l’odeur! Aujourd’hui, on l’imagine…

 

 

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Finalement, il n’est pas forcément désagréable de répéter inlassablement les mêmes truismes sur le dilemme du temps qui passe et qui modifie sans cesse les paysages! Car le temps est effectivement un bon candidat pour disserter sur la fatalité et ses facéties, et exprimer notre mélancolie d’un passé définitivement éteint mais idéalisé. Tant pis, même, si on se complaît avec délectation et sans complexe dans cet exercice convenu , lorsque les circonstances nous amènent à arpenter les lieux à jamais perdus de notre jeunesse ou que nous (re)découvrons ceux de nos premières émotions enfantines! Ces lieux dans lesquels avec l’impatience de jeunes fous, nous fûmes parfois conduits à expérimenter l’ivresse de l’existence et la violence des sentiments intimes!

Je persiste à considérer ces lieux et ces souvenirs enjolivés comme fondateurs de ma personnalité. Pour autant, je peine à retrouver les sensations d’antan, dans le dédale des autoroutes et des nouveaux ensembles urbains qui ont restructuré et mité l’espace dans lequel j’évoluais du temps où j’allais à l’école.

Les flèches de la cathédrale d'Angers, au crépuscule- août 2015

Les flèches de la cathédrale d’Angers, au crépuscule- août 2015

Alors, comme pour juguler cette amnésie partielle et nostalgique des sens et de la mémoire, l’invocation de vieux poncifs sur l’érosion des choses et des êtres s’impose. Ça rassure comme s’il était besoin de rechercher dans la formulation de fausses évidences, une explication rationnelle à l’irréversibilité du temps!

Comme si l’on espérait endiguer à coups de banalités, l’entropie croissante d’un monde qui nous échappe. Mais qui n’est rien d’autre que le désordre consubstantiel à l’expansion de l’univers, dont nous mesurons chaque jour les conséquences et les dégâts, à commencer sur nous-mêmes…

A chaque fois, le miroir nous renvoie une image qui ne correspond plus tout-à-fait – voire plus du tout – à celle qu’autrefois, nous cultivions, insouciants, dans cette ville ou ce village où nous ne nous reconnaissons plus! Nos rides et nos cheveux devenus blancs et rares n’en sont pas la seule cause.

La vie a creusé d’indélébiles cicatrices que des souvenirs trop sélectifs entretiennent sadiquement et contre lesquelles le plus performant des onguents ne saurait confirmer que notre impuissance à enrayer notre propre déclin. Par force, on prend du recul! On brandit alors notre âge comme l’étalon de la sagesse, tel un privilège – le privilège de l’âge – mais personne n’est vraiment dupe!

Comme le chantait Brassens, l’âge ne fait rien à l’affaire: « quand on est con, on est con »!

En tous cas, l’expérience du retour -fût-il éphémère, ponctuel et « discret »- au bercail natal est cruelle quand on se nourrit de l’illusion que tout pourrait demeurer inchangé, au moins rester presque pareil, et toujours dans le bon sens … Les lieux ne se ressemblent plus… mais aussi les hommes! Au-delà du miroir, après plus d’un demi-siècle, il ne subsiste plus guère que les ombres des générations disparues, qu’à force d’imagination, on aimerait entrevoir au détour d’une ruelle, d’un trottoir ou encore d’un lotissement ou d’une cité, érigés à l’endroit même où nos aïeux cultivaient leur jardin!

Le voile s’est déchiré et le charme rompu, lorsqu’au détour de mon chemin, j’ai croisé dernièrement, celui  de spectres – autrement plus inquiétants que les mânes ancestrales – de jeunes femmes au regard confisqué derrière un grillage, entièrement voilées et gantées de noir, qui déambulaient dans ces faubourgs d’Angers, où j’évoluais gamin!

Même ici!

Je me souvins alors avec tristesse que c’était précisément là où je crapahutais en culotte courte, à proximité des buttes de stériles miniers, couvertes de genêts des anciennes carrières d’ardoise! A la place de ces effrayantes apparitions de linceuls en procession, j’aurais tant aimé retrouver les fantômes familiers des trognes burinées des mineurs d’à haut et d’à bas ou des ouvriers de l’usine d’allumettes de la route de la Pyramide !

Le temps, ici comme ailleurs, a fait son oeuvre, en modifiant tout, y compris les êtres, mais à rebours de l’idée qu’on se faisait autrefois du progrès et de la civilisation!

Impossible d’imaginer « in abstracto » pareille scène du retour au moyen-âge lointain, dans ces parages fréquentés dans le passé par de solides carriers de Trélazé  ou de Saint Barthélémy, qui y menèrent tant de durs combats pour leur dignité! Au pays de la douceur angevine, de Joachim du Bellay et du roi René d’Anjou, amoureux des arts et des lettres, comment ne pas s’indigner face au constat de l’accoutrement dégradant de ces jeunes femmes anonymisées, contraintes à la servitude et soumises aux caprices de mâles barbus fanatisés, ainsi qu’aux prétendues prescriptions vestimentaires d’un Prophète machiste, polygame, qui vivait, il y a une quinzaine de siècles en Arabie? De nos jours, l’attrait du Prophète pour le charme des jeunes filles pré-pubères, ferait de lui, un délinquant sexuel.

Comment pouvait-on imaginer du temps de ma jeunesse, qu’on s’enfermerait quelques décennies plus tard dans d’anachroniques et liberticides croyances, gommant ainsi d’un trait le combat des femmes pour l’égalité des droits et des sexes? Il faudra donc que ces fidèles abusés s’habituent à ce qu’on se moque un peu de ce très discutable héros d’une sinistre opérette. Peu importe qu’aux yeux des croyants désorientés, il s’agisse alors d’un blasphème, si l’intéressé est l’authentique commanditaire de ces sujétions ridicules! Dénoncer l’insoutenable en ricanant, c’est permis en République, et c’est même salutaire en la circonstance …

Loin de l’agitation de la périphérie parisienne, on aurait pu penser que la gangrène islamiste radicale aurait épargné ces banlieues populaires angevines qui furent le creuset de tant de luttes sociales au siècle dernier et de combats pour l’émancipation de l’humanité. Ce n’est probablement pas le cas, même si la situation n’est certainement pas plus préoccupante qu’ailleurs. Mais, ici comme partout, il faut répéter que ces dérives liberticides et mortifères sont antinomiques des valeurs universelles, qui servent de cadre de référence à notre vision de l’ordre public et de la vie dans un monde civilisé…

Heureusement, hors les murs du chef-lieu et de sa périphérie, l’oeuvre du temps est plus paisible, et demeure fidèle aux racines culturelles et morales des « bleus » et des « blancs » réunis sous la même bannière d’une République laïque, fidèle aussi à la tradition d’accueil d’une population qui n’est pas raciste mais qui croit en la force de son modèle de civilisation, et qui se déclare farouchement garante d’une identité que personne de sensé n’entend abandonner, et qu’elle n’entend voir contestée par personne…

Le Lion d'Angers en 1905

Le Lion d’Angers en 1905

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En août 2015

 

 

 

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C’était un samedi d’automne au Lion d’Angers, à quelques jours de la Toussaint. Six ans à peine après l’armistice du 11 novembre 1918. Ce jour-là, le 18 octobre 1924, Clotilde Pasquier (1902-1983) fille cadette de Baptiste Pasquier (né en 1858), et d’Angèle Houdin (née en 1864) épousait Louis Eugène Bioteau. .

Un peu plus d’une trentaine de convives étaient invités à la noce, dont mon grand-père Marcel Pasquier (1892-1956) et ma grand-mère Marguerite Cailletreau (1897-1986). Ils étaient, alors, parents de deux enfants présents au mariage. Curieusement, mon grand-père et ma grand-mère étaient tous les deux – et indépendamment – cousin et cousine de la mariée: le père de Marcel était en effet l’oncle paternel de la mariée, tandis que la mère de Marguerite était sa tante maternelle ! Cette configuration étonnante mais classique excédait pourtant les possibilités de compréhension des agents d’état-civil de la mairie du Lion d’Angers, lorsqu’ils souhaitèrent se marier en 1918. Soupçonnant un lien de consanguinité, le braves préposés contraignirent ainsi mes « futurs » grands-parents à solliciter l’autorisation de convoler auprès du tribunal civil de Segré. Lequel confirma par ordonnance l’absence de parenté préalable!

C’est donc au double titre de cousins par le sang et par alliance que mon grand-père et ma grand-mère paternels furent conviés au mariage de Clotilde… Une fête bien modeste au demeurant, tant par le nombre restreint d’invités que par la sobriété des tenues et des toilettes, et surtout par l’absence apparente d’une quelconque jubilation sur le visage des invités, figé sans sourire et pour l’éternité sur la plaque argentique.

En fait, il ne s’agissait pas d’un de ces « grands » mariages, au sens où l’on entendait autrefois dans les bourgs de campagne, qui drainaient tous les paroissiens à la sortie de l’église! En l’occurrence, sur le parvis de l’église anciennement abbatiale Saint-Martin-de-Vertou, vénérable édifice du onzième siècle, à la nef romane et au chœur gothique, qui, en 1924, était encore amputé de son clocher incendié par la foudre dans la nuit du 4 au 5 mai 1918.

Avant l'incendie du clocher

Avant l’incendie du clocher

A voir aujourd’hui le cliché de famille réalisé par un professionnel local pour tracer l’événement, on imagine ce dernier, armé à la fois de patience et de sa chambre photographique portable, inspirée des premiers daguerréotypes, tentant vainement de susciter quelques esquisses de sourires, faute d’espérer obtenir une seule expression de franche gaieté, qui pourtant aurait été de mise en pareille circonstance! Cette situation pouvait paraître inédite pour un mariage procédant a priori du cœur et non de la raison. Elle n’empêcha pas le photographe d’appliquer toutes les conventions de cadrage en usage à l’époque: les enfants occupaient le premier rang devant des « anciens » assis, qui entouraient le jeune couple. Lequel, naturellement, était placé au centre de la scène.

Tous les autres participants, notamment les « jeunes » de la génération des mariés, se répartissaient de manière quasi-protocolaire  debout au même niveau, ou à l’arrière, grimpés sur un banc, selon leur lien de parenté avec l’un ou l’autre des époux. Une tradition non formalisée voulait en outre que les parents du marié se rassemblent de son côté, et ceux de la mariée de l’autre. Cet usage grosso modo respecté ici permet d’observer que la parentèle de Louis Eugène Bioteau était probablement moins nombreuse que celle de Clotilde, présente quasiment au complet! Son frère Baptiste Pasquier (1890-1937) non repéré sur la photo était sûrement là ainsi que ses sœurs aînées, Angèle (1889-1976) et Marie Louise (1893-1950) ainsi que leurs conjoints, sans omettre leurs enfants respectifs. Et, bien sûr, les cousins d’Angers ainsi que les oncles et les tantes !

Il n'est pas de la noce

Il manquait toutefois quelqu’un ! Un grand absent dont le souvenir interdisait à Angèle Houdin, la mère de la mariée, d’afficher sa joie! Et le fait de devoir se séparer de sa cadette qui convolait en justes noces devant le maire et le curé, n’était certainement pas le motif principal de sa tristesse…Tristesse et mélancolie, qui, d’ailleurs, ne la quittaient plus depuis neuf ans et qui durent être du même ordre en 1918 au mariage de ses aînés!

Ce fantôme, auquel tous songeaient, c’était Marcel Maurice Pasquier (1895-1915) l’autre frère de la mariée. Engagé volontaire dès le 1er août 1914 dans le 135ième régiment d’infanterie d’Angers, il était tombé au champ d’honneur le 22 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais…Or, en cet automne 1924, les cendres du héros reposaient au cimetière du Lion d’Angers, rapatriées à la diligence des autorités, sur l’initiative de ses parents, Baptiste Pasquier et Angèle Houdin! Et comme pour raviver en permanence une douleur toujours vive, le nom de leur soldat sacrifié, inscrit avec celui des autres lionnais « morts pour la France » en 14-18, sur le monument aux morts de la commune, érigé en 1921, se rappelait à eux à chaque passage sur la place de la Mairie…

Comment dans ces conditions, jouir sans réserve des événements heureux? Comment évacuer l’idée obsédante de la mort?

Aussi, le matin du mariage, à moins que ce ne fût le soir, la famille s’était rendue, à la demande expresse des parents,  en cortège sur la tombe de Marcel comme pour l’associer à la fête! Comme si c’était possible d’associer les mânes d’un disparu aux promesses d’avenir!

A soixante ans, Angèle Houdin n’avait, de toute manière, plus le cœur à faire la fête, ni même à faire semblant : sur la photo, assise au premier rang au pied de sa fille en robe blanche, elle apparaît toute menue,rabougrie, accablée et vêtue de noir, tenant la main de son petit-fils, Roger Pasquier, l’enfant de son autre fils rescapé de la Grande Guerre. Aussi ne sut-elle offrir au photographe d’autre visage que celui émacié et torturé par la souffrance d’une mère inconsolable ! Comme tous les jours et toutes les nuits, ses pensées demeuraient monopolisées par le souvenir du fils disparu…

Mon père Maurice Pasquier, né en 1926, petit-neveu d’Angèle raconte que dans sa petite enfance lors des congés d’été chez ses grands-parents Cailletreau, au Lion d’Angers, le rituel exigeait que l’on fleurisse régulièrement la tombe du cousin Marcel. Personne n’était dispensé de cette obligation, pas même les enfants nés longtemps après guerre! Il rappelle aussi ses balades pédestres, seul ou en compagnie de son grand-père Joseph Cailletreau (1859-1946), beau-frère d’Angèle et de Baptiste, sur les chemins conduisant à Thorigné… C’était avant la seconde guerre mondiale.

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En tout état de cause, en dépit du petit nombre d’invités, ce mariage constituait sûrement une charge non négligeable pour les finances très modestes du vieux Baptiste Pasquier et de son épouse Angèle, retraités sans réelle pension d’un commerce de « débitants de boissons ». Ils firent de leur mieux! Le visage de Baptiste que l’on aperçoit assis au premier rang, tenant sur ses genoux un de ses petit-fils, Marcel Beduneau alors âgé de cinq ans, n’exprime pas la même désolation que celui de sa femme. Mais plutôt une sorte de résignation fataliste, peut-être tempérée par l’espoir de voir sa descendance relever un flambeau qu’il n’a pas su ou pas pu porter là où il l’aurait souhaité! D’où la sérénité qu’il affiche en tenant le bras de son petit-fils, l’aîné des trois enfants de sa fille Angèle, comme pour le protéger! Plutôt bel homme, Baptiste s’était même mis sur son trente-et-un, et portait le nœud papillon !

Seul, au dernier rang sur la droite du cliché, l’ancien petit poilu d’Orient – celui que j’ai appelé en d’autres temps « mon » camionneur en ceinture de flanelle – mon grand oncle, Auguste Cailletreau (1892-1975) semble heureux d’être là, au mariage de sa petite cousine Clotilde! Coincé entre sa sœur Marguerite Cailletreau (1897-1986) et l’imposante carrure de son épouse Eugénie Chollet (1897-1979), il sourit répondant ainsi bien volontiers aux ultimes injonctions d’un photographe découragé. Mais pourquoi diable, ce dernier n’a t-il pas su cadrer correctement son fils Henri Cailletreau (1920-1937) debout à gauche de sa grand-mère Anne Houdin (1861-1943)? Ce fils avec lequel il entrevoyait déjà un destin commun dans l’automobile? Faut-il voir dans ce loupé technique, le funeste présage d’une tragédie qui accablera cet enfant unique qui décédera en 1937 d’une méningite! Encore adolescent…

Curieuse fête finalement que ce mariage où tout le monde paraissait peu ou prou s’ennuyer! En harmonie avec l’air du temps! Un jour sans actualité notable, hormis peut-être la préparation des funérailles parisiennes d’Anatole France dont le journal de l’Anjou, Le Petit Courrier, se fit largement l’écho, signalant au passage les cousinages angevins du grand écrivain et humaniste.

Une journée provinciale d’entre les deux-guerres en somme, foncièrement triste et humide, comme si la météo maussade se conformait de bonne grâce, aux standards attendus en automne dans ce haut Anjou, berceau de ma famille paternelle! Et ce, dans une période, où les stigmates de la guerre étaient encore perceptibles, colonisaient les esprits et où l’on pansait comme l’on pouvait les blessures d’un passé si prégnant et pas encore assumé.  Le ciel était naturellement de la partie, brumeux et plutôt froid, ponctué de quelques éclaircies! Vide pour ceux qui n’y croyaient pas! Tels étaient le décor et l’ambiance en ce samedi 18 octobre 1924…Pas de quoi festoyer sans retenue …

En fait, si je m’intéresse à ce mariage pluvieux et qui fut certainement heureux – du moins je l’espère car je n’ai pas connu la suite – c’est au moins pour quatre motifs:

  • Le premier, c’est qu’à ma connaissance, ce fut probablement une des dernières manifestations d’importance où toutes mes lignées paternelles se réunirent dans le Haut-Anjou, terreau depuis des lustres – des siècles – de la plupart de mes aïeux Pasquier, Cailletreau et de leurs alliés !
  • Le second est que je possède une photographie qui en atteste, héritée des archives de mon grand-oncle Auguste Cailletreau (1892-1975), qui m’ont été confiées au décès de son épouse Eugénie Chollet (1897-1979).
  • La troisième est que ce cliché est le seul que je possède, où apparaissent ensemble mes grands parents paternels et deux de mes arrière-grands-parents, Joseph Cailletreau (1859-1946) et  Anne Houdin (1861-1943)…
  • Je m’abstiendrai pour l’heure de disserter sur le quatrième motif: je le déclinerai plus tard! Chaque chose en son temps! Ce sera peut-être l’objet d’une prochaine conclusion…

De nombreuses années plus tard, au milieu des années cinquante, je me souviens avoir rencontré Clotilde au Lion d’Angers sur les rives de l’Oudon, non loin du champ de foire ; elle était de passage dans son village natal, car elle résidait à Angers:  ce fut la seule fois où je la vis, et j’étais enfant, mais l’image qu’elle m’a léguée d’elle, fut celle d’une femme plutôt enjouée!  Volubile aussi… Concierge de la Maison Bleue à Angers, au croisement de la rue d’Alsace et du Boulevard Foch, elle n’était pas avare de confidences sur les personnalités angevines qu’elle côtoyait quotidiennement, et qui résidaient dans ce magnifique immeuble aux façades en  mosaïques. Mon père raconte que, de l’appartement de fonction qu’elle occupait au dernier étage de l’immeuble, la vue panoramique sur Angers était exceptionnelle!

Son fils, Adolphe, l’aîné de ses deux enfants, devint expert comptable et fut conseiller municipal de la capitale de l’Anjou dans les années soixante… C’est tout!

 

Nota 1: 

Identification des invités:

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1- Clotilde Pasquier (1902-1983), fille de Baptiste Pasquier et de Angèle Houdin, 2- Louis Eugène Bioteau, 3-Angèle Houdin(1864-), 4-Baptiste Pasquier (1858-), 5-Anne Houdin(1861-1943) sœur d’Angèle, mon arrière grand-mère, 6-Joseph Cailletreau (1859-1946), mari d’Anne Houdin, mon arrière-grand-père, 7-Marie Louise Pasquier (1893-1950) soeur de la mariée, 8-Joseph Fresnet, mari de Marie Louise, 9-Angèle Pasquier (1889-1976) sœur de la mariée, 10-Eugène Béduneau (1874-1926), mari d’Angèle Pasquier, 11-Marcel Pasquier (1892-1956) cousin de la mariée, mon grand-père, 12-Marguerite Cailletreau(1897-1986), cousine de la mariée, ma grand-mère, épouse de Marcel Pasquier, 13- Auguste Cailletreau (1892-1975) mon grand-oncle, dit « tonton Henri », 14- Eugénie Chollet(1897-1979) épouse d’Auguste Cailletreau, 15-Renée Pasquier épouse Pilet, née en 1922, fille de Marcel Pasquier et de Marguerite Cailletreau, 16- Apolline Marie Joséphine – dite « Paulette » – Angibert, épouse de Baptiste Joseph Pasquier fils, 17-Henri Cailletreau(1920-1937) fils de Auguste Cailletreau et d’Eugénie Chollet, 18-Marcel Pasquier(1920-1999), fils de Marcel Pasquier et de Marguerite Cailletreau, 19-Roger Pasquier fils de Baptiste junior et de « Paulette » Angibert, 20-Anne-Marie Béduneau (1921-2014) fille de Eugène Béduneau et d’Angèle Pasquier, 21-Marcel Béduneau (1919-) fils de Eugène Béduneau et d’Angèle Pasquier…

Les autres invités non indicés ne sont pas formellement identifiés et sont probablement des parents du marié Louis Eugène Bioteau, notamment la femme en coiffe angevine du premier rang qui est certainement sa mère…

Nota 2: Depuis la première mise en ligne de cet article en août 2015, un autre convive a été reconnu (par sa fille): l’homme debout à gauche sur la dernière rangée de la photographie est Baptiste Joseph Pasquier fils (1890-1937), le mari d’Apolline Marie Joséphine Angibert (16) dite « Paulette ».

 

 

 

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Le Tour de France cycliste – le seul événement sportif qui vaille dans l’imaginaire collectif des Français – a traversé ou s’est arrêté à Angers une trentaine de fois, dont la dernière en 2013, lors de sa centième édition. C’est en fait dès sa création que le Tour fut associé à la capitale de l’Anjou. Ainsi, le 18 juillet 1903, lors de la dernière et sixième étape entre Nantes et Paris, le premier Tour de France fit une courte halte au « Café du Sport » de la place Lorraine pour pointer les concurrents encore en lice.

Ce bref épisode en terre angevine fut  magnifiquement raconté par Sylvain Bertoldi, conservateur des archives d’Angers, dans une de ses chroniques de l’été 2012, consacrée à l’événement  dans le journal municipal « Vivre à Angers ». Je n’y reviens pas, d’autant que je n’y étais pas!

La traversée de la Maine et le château du roi René

La traversée de la Maine et le château du roi René

Par la force des choses, je n’étais pas présent non plus en 1936 lorsque la ville d’Angers accueillit pour la première fois, l’étape du jour. C’était l’époque du Front Populaire et une certaine effervescence sociale animait la ville où de nombreux secteurs du commerce et de l’industrie étaient en grève. Mon père avait dix ans et ma mère treize.

Mais par la suite, notamment dans les années soixante, le lycéen que j’étais, ne ratait aucun compte rendu d’étape dans le Courrier de l’Ouest. J’applaudissais et vibrais aux reportages radiophoniques d’arrivées d’étape, commentées avec verve par des journalistes comme Georges Briquet, Robert Chapatte ou autres Roger Couderc! Il m’arrivait même de savourer ces moments d’anthologie sportive, en compagnie de mes grands-tantes Turbelier qui  vivaient dans une cave semi-enterrée de la rue Saumuroise. A un âge avancé, ces « petites mains » célibataires de la couture à façon, conservaient intacte cette faculté de s’enthousiasmer comme des midinettes devant leur poste TSF à lampes, installé dans la pénombre à proximité de leurs machines à coudre … à pédales!

Mon intérêt pour l’épreuve était porté à son comble lorsque la ville d’Angers était désignée ville-étape.

Mais le point d’orgue de cette période, ce fut le Tour 1967 où le prologue de la « Grande Boucle »se déroula sur six kilomètres par les rues d’Angers dans la soirée du 29 juin, avant que, le lendemain, le peloton ne prenne le départ de la première étape en ligne vers Saint-Malo…Quelques jours plus tard, le 13 juillet 1967, le Tour connut une de ces terribles tragédies, qui forgèrent sa légende! Dans un paysage lunaire, sur les pentes du Mont Ventoux, désertiques et brûlées par le soleil , le champion du monde britannique Tom Simpson (1937-1967)titubant sur son vélo, s’affala, inanimé à trois kilomètres du sommet. Transporté par hélicoptère vers l’hôpital d’Avignon, il sera déclaré officiellement mort en début de soirée par Félix Lévitan (1911-2007), directeur du Tour de France. L’enquête conclura qu’il fut victime d’un épuisement physique fatal, masqué par une surdose d’amphétamines! J’ai vécu ce drame en direct à la télévision d’un village de vacances du massif du Sancy en Auvergne. Accoudé au zinc d’un bar, où je servais dans le cadre d’un job étudiant, j’ai vu mourir Tom. Je n’y crois toujours pas, et ce n’est pas sans une intense émotion que je revois par la pensée, la séquence de ce vélo zigzagant jusqu’à l’ultime perte d’équilibre!

Tour 1954

Tour 1954

Malgré ce florilège de souvenirs – malgré tout, devrais-je écrire – c’est le Tour de France 1954, le premier auquel il m’a été donné d’assister consciemment,  qui, entre tous, sera l’événement sportif le plus marquant de ma prime enfance. Il m’arrimera pour toujours à cette épreuve avec une passion juvénile qui ne se démentira pas. Pour moi, au-delà de tout ce que me réservera ultérieurement l’existence en joies et succès, et au-delà de toute réflexion rationnelle , c’est lui  en effet qui incarnera le mieux ce qu’à travers un sport, un petit garçon peut percevoir de la société dès son plus jeune âge, à savoir, la liesse populaire communicative… Sous forme jubilatoire, j’y vois là une forme d’apprentissage de la fraternité. D’aucuns, savants prétentieux de l’expertise sociétale préféreront évoquer un populisme malséant et précoce. Je maintiens mon point de vue! Le Tour 1954 m’a donné le goût des manifs!

N’en déplaise aux pisse-froid, le Tour de France est, en effet et à bien des égards, un traceur identifiant des classes populaires un peu comme l’est le golf pour la bourgeoisie…Ou bien, l’on s’en revendique et on s’y reconnait spontanément, ou bien l’on n’y parvient jamais, selon qu’on appartient à telle ou telle catégorie sociale… Aussi, quand on est pris de passion pour le Tour, on l’est presque génétiquement! Culturellement au moins. On l’aime alors sans faire la fine bouche sur ses zones d’ombres et sans s’attarder sur les « scandales » ou prétendus tels, qui ont jalonné son histoire, dont, au passage, le « petit peuple », méprisé des élites, se gausse sans trop s’émouvoir!

Et ce, malgré le matraquage incessant des milices de la « bien-pensance  » et du « politiquement correct »,  qui contaminent les esprits modernes et condamnent sans appel le fameux « pot belge »au nom de vertus qu’elles ne pratiquent  pas ! Chacun sait en effet que les moralisateurs qui réprouvent la triche, sont les mêmes qui imposent aujourd’hui aux coureurs des contraintes physiques surhumaines pour satisfaire des droits télévisuels. Ce sont ceux-là aussi, ou leurs semblables en technocratie, qui, font semblant de s’étonner des dérives du dopage. Les mêmes, qui affirmant d’une main – de préférence sur le cœur – combattre la toxicomanie, les trafics en tous genres et leurs conséquences sanitaires délétères, se déclarent sérieusement prêts à légaliser l’usage de la drogue dans des salles de shoot!  Le dopage, c’est de la triche! Mais quand tout le monde triche, y compris en haut-lieu, sa dénonciation s’apparente à de l’hypocrisie.

Quand on aime le Tour, on l’aime donc sans partage, en dépit de ses drames, sans se soucier des pleurnicheries et des cris d’orfraies des moralistes, experts auto-proclamés de l’éthique sportive ! Au moins tant que ces donneurs patentés de leçons, n’auront pas pris la place des « petits gars » qui pédalent.

En tout cas, en cette année 1954, dix ans après la Libération, les populations angevines – comme celles d’aujourd’hui – étaient massées partout sur les routes du Tour. Tout au long du parcours, des fans de la « petite reine », spectateurs enflammés, parfois exaltés s’accrochaient aux lampadaires ou aux grilles des squares pour mieux voir! Agglutinés sur les trottoirs, tous attendirent pendant des heures pour « jouir » un court instant – « juste un instant seulement » – du passage des coureurs. Chacun adhérait implicitement à l’idée qu’en dépit de la brièveté de cette vision orgasmique et du souffle qui la précédait, le renouveau de la Nation se jouait aussi, pour partie, ici. Chacun pressentait en effet que ces éditions d’après-guerre avaient vocation à renouer le fil d’une épopée engagée cinquante ans plus tôt et brutalement interrompue par des années noires du deuxième conflit mondial.

Chacun savait que la confiance retrouvée nécessitait d’aller jusqu’au bout de l’effort comme les premiers forçats du vélo! Il fallait absolument ressusciter les exploits mythiques des géants de la bicyclette et redonner à la Grande Boucle son statut épique! Gravir les mêmes cols sous un ciel torride ou dans la brume glaçante, rouler sur les mêmes circuits, affronter les mêmes pavés! Et pourquoi pas, retrouver les champions d’antan, qui avaient enchanté leur jeunesse…comme si le temps s’était mis entre parenthèses! Seul Gino Bartali (1914-2000), vainqueur du Tour en 1938 et en 1948 sut relever complètement cet incroyable défi.

Peu importe d’ailleurs, car beaucoup de spectateurs entrevoyaient de toute façon, dans le « Tour de France » libéré, un retour de la joie de vivre et de l’insouciance d’autrefois, celle d’un temps où les plus fervents aficionados du vélo pouvaient applaudir aux performances des cyclistes du Grand Ouest, à l’occasion du grand prix d’Angers qui se tenait dans les années trente sur le vélodrome de la rue Montesquieu!

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Entre autres vertus, les « Tour de France » d’après-guerre, qui étaient censés effacer la parenthèse tragique de la guerre et de la collaboration honteuse avec les nazis, contribuaient à restaurer la fierté d’être Français, en offrant au monde la plus belle course cycliste de la planète. Ils permettaient de surcroît de manifester sans crainte une audace restaurée et d’exprimer publiquement son espoir dans l’avenir. D’ailleurs, les  » Trente Glorieuses » qui suivirent, ne démentirent pas cet optimisme, en dépit des guerres coloniales que la France dut encore soutenir pendant quelques années, notamment en Algérie à partir de la Toussaint Sanglante, où une partie du contingent fut mobilisée. L’époque n’était pas à la repentance!

Pour l’heure, ce 15 juillet 1954, une foule piétinante, ne disposant pour armes que des banderoles et des calicots, faisait acclamer les noms des compétiteurs les plus emblématiques. Chacun y allant de ses encouragements ponctués de cris ou de chants… Une manière d’accélérer le temps alors que les coureurs n’étaient toujours pas en vue, en ce début d’après-midi du côté de la caserne Verneau.

Les plus bavards de ceux qui ceux qui battaient le pavé, grisés par quelques goulées de piquette locale n’étaient pas avares d’anecdotes ou de commentaires sur la course, dont ils entendaient bien faire profiter la foule à la cantonade. De leurs voix tonitruantes, ils attiraient à peine l’attention de ceux qui s’étaient assoupis, rassasiés « à plus soif » par les copieux casse-croûtes au saucisson de porc, aux rillauds d’Anjou ou au jambon de ferme, dont ils s’étaient dotés pour tenir le coup! Malgré le brouhaha, certains s’accordaient même quelque répit minuté, en s’offrant une petite « marienne », allongés sur le trottoir à l’ombre des platanes et des érables, la tête appuyée sur les paniers d’osier, recouverts des serviettes à carreaux qui avaient servi  à emballer leur pique-nique.

Ainsi, tous, à leur manière, prenaient plaisir à être ensemble et à oublier les malheurs du passé, à les conjurer, même, en attendant les coureurs. Ils tiraient de la sorte un trait sur les années noires de l’Occupation, qui les avaient affamés et avaient contraint le « Tour » à s’interrompre entre 1939 à 1947.

Sous le ciel capricieux et pluvieux de cet été 1954, la foule scandait les noms des champions du moment, Louison Bobet (1925-1983) et Jean Robic (1921-1980), le vainqueur du premier Tour d’après-guerre en 1947. Pourtant, Jean Robic n’était plus dans le peloton ce 15 juillet 1954; il avait été contraint à l’abandon quatre jours plus tôt à la suite d’une chute lors du sprint final de la quatrième étape à Caen.

C’était au demeurant sans importance, car ces deux-là – présents ou non – avaient conquis, de longue date, le cœur des Angevins, notamment des nombreux émigrés bretons, ouvriers des corderies Bessonneau ou mineurs d’ardoise de Trélazé, qui les considèraient, à bon droit, comme leurs compatriotes, presque leurs représentants. Et la victoire finale de Louison Bobet, le 1er août 1954 à Paris, fut saluée dans toute la Bretagne et l’Anjou comme un honneur insigne fait à leurs régions… L’honneur réhabilité de la Chouannerie, en quelque sorte!

Trop jeune pour mesurer la portée symbolique du Tour de France, je ne perçus l’édition 1954 qu’au premier degré. C’était la première « boucle » à laquelle je « participais ». Elle fut donc la plus belle et la plus riche en découvertes, en  émotions et en sensations nouvelles encore inconnues…Je n’avais jamais vibré auparavant, de conserve avec une foule enthousiaste, en l’occurrence, celle de mes voisins, de mes parents, des gens du quartier et même plus généralement de ma famille… Tous étaient là, ce 15 juillet 1954, chez moi ou devant chez moi sur le trottoir, face au 49 de l’avenue René Gasnier! Tous trépignaient d’impatience en regardant dans la direction d’Avrillé, en tentant d’apercevoir le premier coureur échappé, qui négocierait le virage à la hauteur du « Comptoir Moderne »… Et qui, moins de trois kilomètres plus loin, du côté de la place de la Rochefoucauld franchirait peut-être en vainqueur la ligne d’arrivée de cette huitième étape de 190 kilomètres entre Vannes et Angers…

Mon oncle et ma tante ainsi que mes cousins du quartier de Saint-Léonard avaient traversé la Maine et la ville pour assister à la fête … D’autres également!

carte du Tour de France 1954

Porté par l’ambiance survoltée de la rue,  je ne mesurais pas, compte tenu de mon très jeune âge, l’importance de l’enjeu et du classement de l’étape, encore moins ses conséquences sportives avant la neuvième et longue étape d’Angers à Bordeaux.

Désormais, plus de soixante années se sont écoulées, et je me rends compte que je n’ai conservé qu’un nombre très restreint de souvenirs précis et techniques de ce Tour 1954, mais plutôt un ensemble varié et composite de sensations et d’impressions fondatrices. Un bien beaucoup plus précieux, somme toute, que le classement formel des coureurs… Franchissant sauves les décennies, ces perceptions d’un temps qui s’est irrémédiablement éloigné, me servent aujourd’hui de viatiques, les jours de sombres pensées, et de terreau d’inspiration pour la réflexion… Naturellement, elles ouvrent parfois la voie à la mélancolie, comme tout ce qui a trait aux époques du bonheur absolu de la petite enfance, comme tout ce qui rappelle les couleurs, les sonorités et les saveurs acquises pendant nos tendres années. Autant de sensations conservées intactes depuis lors, comme si les vicissitudes de l’existence n’avaient pas eu de prise sur elles et leur conservation … Elles nous renvoient intimement à l’époque où nos illusions et nos espoirs n’avaient pas encore été irrémédiablement égratignés par la vie…

Me remémorant ces moments, j’en conçois parfois une passagère mélancolie, mais sans la moindre tristesse, car le Tour de France – celui de mes souvenirs – perdure à l’identique dans les images télévisées de 2015 … Le Tour de 1954, qui fut pour moi initiatique, revient à chaque nouvelle édition. Aussi, son rappel n’incline en rien à la désolation, lorsque je nous revois, mes deux petites sœurs d’alors et moi, ainsi que nos cousins et cousines de Saint-Léonard, agrippés, rigolards sur la « crête » du parapet du vieux mur d’ardoises oxydées, qui ceinturait le petit jardin de mes parents et dominait l’avenue René Gasnier à l’angle du chemin des Gouronnières….

Je nous revois, regardant émerveillés, le passage en musique de la caravane publicitaire qui précédait d’une heure ou deux le peloton. On s’arrachait les casquettes et les drapeaux en papier, qu’on nous jetait des véhicules en marche. Peu regardant sur la marchandise, on prenait tout, même les prospectus de « réclame » pour des machines à laver, des savons ou des outils agricoles! Ce qui comptait, c’était le volume de papier récupéré…

Je nous revois enfin ébahis par la prestation des motocyclistes de la gendarmerie nationale, debout sur leurs engins, tandis que l’accordéoniste Yvette Horner, sur la plate-forme d’une voiture décorée aux couleurs de la « Suze », interprétait de la musique de bals musette…Si ce n’était pas le bonheur, ça s’en approchait drôlement… On n’a guère faire mieux depuis!

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Je me souviens, enfin, qu’au soir de ce 15 juillet 1954, une grande fête fut donnée sur le Champ de Mars. J’ai su plus tard qu’on y élisait à cette occasion « la reine d’un jour »… je ne l’ai jamais rencontrée !

On comprendra qu’avec un tel passif, je persiste à regarder l’étape du jour à la télé …Quoique nous raconte le speaker, tous ces rêves refont nécessairement surface. C’est cela aussi la magie du Tour!

La vainqueur à Angers en 1954 : le belge Alfred de Bruyne (1930-1994)

La vainqueur à Angers en 1954 : le belge Alfred de Bruyne

 

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A me relire – ça peut m’arriver! –  je me rends compte que mes pérégrinations dans le temps sur les trottoirs de la rue Desmazières à Angers s’apparentent de plus en plus à une sorte de saga familiale, celle  » des Turbelier ». Mais également celle de leurs « alliés » comme on écrivait autrefois sur les notices nécrologiques, et, dans la foulée, celle de leurs voisins. En effet, sous le prétexte d' »agacer » gentiment les mânes de mes grands-parents et de mes arrière-grands-parents maternels, qui vécurent ici, c’est toute une parentèle, parfois oubliée, qui se manifeste. Et, au-delà d’elle, c’est le petit peuple d’un quartier de province au siècle dernier, qui surgit, presque par effraction, de mon théâtre d’ombres. Ainsi réinvestissent, à tour de rôle, la scène, le ferblantier de « chez Bessonneau » broyé par la crise des années trente qui devint flic municipal ou le clerc de notaire qui occupait ses loisirs en jouant les comiques troupiers dans la compagnie paroissiale…Apparaissent également l’ouvrier-parapluier vieillissant qui, chaque hiver jusqu’en 1910, installait son braisier de marrons grillés à l’angle de la place de la Madeleine, ainsi que mes grandes tantes, « petites couturières » à façon, rivées sur leur machines, qui, vieilles filles ingénues, rêvèrent jusque dans leur grand âge de princes charmants d’opérettes à quatre sous, et d’as du Tour de France…S’extrait enfin épisodiquement de son fauteuil de grabataire  l’ex-épicière-bistrotière, aveugle et édentée, du « 16 », mère d’un jeune musicien talentueux, « mort pour la France » en 1915, dont la dépouille ne fut jamais retrouvée. Et bien d’autres…

Tous étaient habitants du même quartier d’Angers. Sans compter les mineurs et carriers de la rue Souche-de-Vigne, fendeurs d’ardoises bretonnants, flanqués de leur recteur importé directement du Finistère, qui officiait dans une chapelle de la rue du Haut-Pressoir, non loin de la Tour du Diable! Tout un programme…

Ce quartier où j’ai moi-même vécu une grande partie de mon enfance, c’est celui de « la Madeleine » au siècle dernier avec ses notables cléricaux, son église basilique et son patronage, ainsi que ses communautés de bonnes sœurs à cornettes. Jusque dans les années soixante, les poilus survivants de 14-18 y défilaient à l’occasion de chaque onze novembre, fanfare, drapeaux et gueules cassées en tête! Tous multi-médaillés d’une République qui les avaient envoyés au casse-pipe, sans finalement trop savoir pourquoi. En tout cas, eux, consacrèrent le restant de leur existence à rechercher les bonnes ou mauvaises raisons qu’ils avaient eues d’en découdre avec des gars juste un peu plus blonds qu’eux, qu’ils ne connaissaient pas!

Mon quartier, ce sont aussi ces lieux singuliers, parfois inattendus où tous ces personnages se croisaient, s’amusaient, se querellaient et peut-être aussi s’aimaient avant parfois de se chicaner. Toujours avec une certaine pudeur, voire retenue, mais sans nécessairement « se faire de cadeau ». J’ai connu certains d’entre eux qui m’ont serré dans leurs bras. D’autres, je ne les ai côtoyés qu’au détour de ce qu’on m’en racontait, au travers d’épisodes de leurs vies, d’anecdotes ou de faits d’armes qui les auraient mis en valeur. Parfois, leur souvenir ne laisse aucun regret, comme cette « Nathalie » logeuse de mes grands-parents, dont on m’a toujours dit grand mal, me rapportant unanimement qu’elle était laide, malveillante et acariâtre. Bien que ne l’ayant jamais aperçue, elle a influencé et même sûrement hypothéqué – à son corps défendant – mes relations futures avec toutes les « Nathalie » croisées par la suite, en qui je voyais forcément une sorte de réincarnation de la sorcière mythique du rez-de-chaussée du 20 rue Desmazières.

Ces histoires ou ses légendes qui animaient les soirées en famille constituent aujourd’hui un patrimoine mémoriel… Je m’y accroche, comme à un refuge, doutant toutefois qu’il franchisse la barrière des décennies. Je crains qu’il ne connaisse même pas l’insigne honneur d’être recyclé un jour dans un vide-grenier saisonnier, dont raffolent ceux qui s’ennuient le dimanche !

Quoiqu’il en soit, certains de ces endroits où ma mémoire aime à s’attarder les jours de blues, sont encore aisément identifiables. La plupart même, le sont, pour qui sait voir au-delà des crépis rénovés. D’autres ont disparu, ou se sont, à ce point, transformés que l’imagination peine à les reconstruire dans leur état et leur statut d’antan. Leur mutation a eu raison de leur histoire et les années ont gommé leur identité. Pour ceux qui les regardent encore, ils n’expriment plus alors que le destin tragique de la condition humaine soumise à l’impitoyable lessivage du temps… On a beau se dire que c’est conforme au second principe de la thermodynamique et de l’entropie croissante d’un univers en expansion depuis quatorze milliards d’années, la vie semble vraiment triste quand elle s’effiloche sensiblement et irréversiblement!

Le Jardin Fruitier de la rue Desmazières, qui fut le « Jardin des délices » d’au moins deux ou trois générations de « descendants de Turbelier » , dont la mienne, nous ramène à cette réalité. Personne ne nous en a chassé, sauf le temps. Les pommes que nous y avons croquées provenaient simplement du verger. S’il conserve quelques apparences de ce qu’il fut et si les noisetiers presque séculaires ont été partiellement préservés, le petit square dans lequel nous jouions enfants en ramassant les noisettes sous l’œil bienveillant de notre grand-mère, n’est plus guère qu’une cour et une allée bituminées, devenue l’antichambre d’une moderne salle de musculation et le chemin balisé vers une maison médicalisée pour « vieillards » dépendants.

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En fait le « Jardin Fruitier » n’a pas échappé à la transformation et à la banalisation du quartier de la Madeleine que rien ne distingue plus des autres quartiers d’Angers. Pleinement intégré à la ville, il en a certainement tiré avantage mais en contrepartie il a perdu une partie de sa personnalité…C’est dans l’ordre « normal » de l’évolution et il n’y a pas nécessairement à s’en plaindre ! Comme l’observait avec philosophie et sagesse Jean Jaurès, sujet de mon précédent billet,  » c’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source ». Ce serait par conséquent une folie de refuser avec entêtement l’érosion des choses et des êtres, au seul motif que l’avenir n’aurait pour seul projet que de reproduire indéfiniment le passé… Je ne nourris pas cette nostalgie et je n’ai pas la religion du statu quo, mais il n’empêche que je suis de ceux qui estiment qu’il n’y a pas de mal, à verser de « temps en temps », une petite larme sur un monde disparu. Surtout lorsqu’on a le sentiment que le présent nous échappe, que l’existence de nos aînés s’éfaufile doucement vers le néant et que nous perdons un peu la main sur la façon de concevoir l’avenir.

Le quartier de la Madeleine à Angers, qu’on se plait idéalement à préserver figé dans le décor « reconstruit » de notre enfance a, en fait, été constamment remodelé. Mais il est vrai que les transformations les plus radicales datent des quatre dernières décennies, celles où précisément il disparut de notre horizon quotidien. Celles au cours desquelles, les générations qui nous ont précédés, ont déserté le paysage et, avec elles, notre insouciance.

En 1809, selon le cadastre napoléonien, le « faubourg de la Magdeleine » était peu urbanisé. En périphérie sud-est d’Angers dans le prolongement du faubourg Bressigny, sur la rive gauche de la Maine, il était alors constitué de petits hameaux, répartis le long d’axes naturels de circulation, comme la rue Saint-Léonard ou la rue de la Magdeleine, en direction de Trélazé, de Saumur ou de la levée de la Loire.

Faubourg de la Magdeleine en 1809

Faubourg de la Magdeleine en 1809

Le reste de la zone était constitué de terres dites « labourables » et de jardins, où étaient  pratiquées des cultures vivrières destinées à l’approvisionnement des marchés angevins. Au cours du dix-neuvième siècle, le quartier a vu progressivement, ses cultures agricoles se diversifier vers l’horticulture qui connut un essor sans précédent et une reconnaissance nationale et internationale. La population a alors crû de manière importante du fait de l’exode rural des campagnes angevines puis de la Bretagne du sud. En outre, la demande de main-d’œuvre des carrières d’ardoise de Saint-Léonard et de Trélazé, ainsi que les embauches dans l’industrie naissante comme les câbleries et corderies de chanvre, ou les ateliers métallurgiques, adossés aux minerais de fer du haut-Anjou, servirent de puissants moteurs à cette poussée démographique dans l’ensemble des banlieues de la capitale du « roi René ». Le secteur de la Madeleine n’échappa pas à cette tendance, en raison notamment de sa proximité géographique avec les ardoisières.

Enfin, comme l’a souligné Sylvain Bertoldi directeur des archives de la Ville d’Angers dans un article publié en 2003 consacré au peuplement du quartier, la création de la paroisse de la Madeleine en novembre 1871, par Monseigneur Freppel, évêque d’Angers, accéléra encore le processus. D’autant que, par cette décision, le prélat, donnait le coup d’envoi à la construction de la future et imposante église-basilique du Sacré Cœur en remplacement d’une antique chapelle. Le chantier allait mobiliser pendant plusieurs années de nombreux ouvriers de différents corps de métiers du bâtiment. Certains firent souche à « La Madeleine ». Consacrée au culte en 1878, la nouvelle église honorait une promesse que l’évêque avait faite si la ville d’Angers était épargnée de l’invasion prussienne lors de la guerre franco-allemande de 1870.

C’est dans ce contexte que mon arrière-grand-père Alexis Turbelier (1864-1942) originaire de Montjean-sur-Loire, émigra vers Angers vers 1880. Il s’installa au 65 rue Pascal, une rue récemment urbanisée qui longeait l’église au cœur du quartier de la Madeleine, où il résidera une quinzaine d’années, y compris après avoir épousé sa cousine Augustine Durau (1867-1941) le 21 juillet 1890. C’est ici que naquirent les trois premières filles du couple, Madeleine (1891-1906), Augustine (1892-1968) et Juliette (1894-1966).

A la différence de son époux, Augustine était née dans le quartier, en l’occurrence rue de la Juiverie, devenue rue Anne Frank en 1984.  Lors de son mariage, elle vivait chez ses parents Antoine Frédéric Durau (1844-1911) et Françoise Turbellier (1832-1895) dans une modeste maison basse, située au 29 de la rue Desmazières. Cette maison existe toujours. Curieusement, quelques décennies plus tard, elle sera – très probablement – la maison du gardien du Jardin Fruitier.

29 rue Desmazières (Google Earth)

29 rue Desmazières (Google Earth)

Ainsi, avant même qu’il n’existât, ce jardin-école fut intimement lié au destin de ma famille. Et ce, durant au moins quatre-vingts ans, puisque dans les années soixante, j’y accompagnais encore ma grand-mère Adrienne Turbelier née Venault (1894-1973) lorsqu’elle achetait des fruits à bas prix chez une des dernières jardinières, habitante de ce lieu, Madame Lopée.

Madame Lopée, responsable – du moins à mes yeux – du verger de la société d’horticulture et gardienne du Jardin fruitier avec son époux, ristournait aux voisins du quartier, les pommes, les poires ou les pêches tombées trop mures du verger. « Mémé » en faisait des compotes. D’ailleurs, selon la saison, elle se ravitaillait aussi en légumes produits par les élèves dans le potager expérimental de l’école.

A l’époque, on ne faisait pas encore grand cas des propriétés éco-toxicologiques des engrais ou des insecticides, dont on usait pour assainir et amender la terre. Aussi, ne serais-je pas surpris d’apprendre, qu’outre le traditionnel fumier de cheval en provenance des derniers canassons angevins d' »ébouage », les maîtres en jardinage de la société d’horticulture ajoutaient dans un souci d’amélioration de la qualité, quelques pesticides aujourd’hui prohibés. Je frémis d’aise à l’idée que l’actuelle dictature écolo-bobo des paysans du Paris-Rive Gauche, n’ait pas été en capacité de sévir à l’époque. Je me réjouis d’avoir pu déguster les embeurrées de « Mémé » sans me préoccuper des traces éventuelles de substances organochlorées. Madame Lopée et ma grand-mère, toutes les deux disparues depuis longtemps, ne risquent plus rien de ces tristes figures de la modernité punitive et moralisante.

Desmazières - google earth-

Desmazières – google earth-

Vers la fin de l’année 1895 ou au tout début 1896, Alexis et Augustine quittèrent la rue Pascal pour une petite maison à un étage et sans caractère, louée au 21 rue Desmazières. Germaine Turbelier (1896-1990), future épouse Gallard, y vit le jour, le 6 mars 1896, ainsi que les autres enfants du couple, dont mon grand-oncle Alexis (1897-1918), le poilu « mort pour la France» et son jeune frère Louis (1899-1951), mon grand-père. Je présume que le déménagement eut probablement lieu, à peu près dans la période où Antoine Frédéric Durau, le père d’Augustine quittait la maison du 29 après le décès de son épouse Françoise Turbellier (le 9 décembre 1895), pour résider chez l’une ou l’autre de ses deux filles.

Le minuscule potager attenant à la nouvelle maison familiale du 21, était mitoyen d’un terrain d’environ trois hectares dépendant d’une ancienne métairie autrefois implantée au « 29 ». Cette surface partiellement en friche devint donc rapidement – et naturellement – un terrain d’aventure idéal pour les enfants d’Alexis et d’Augustine, jusqu’à ce qu’il fût acquis en 1925 par la municipalité d’Angers pour un montant de 155.000 francs.

Ce terrain et ses dépendances dont la petite fermette du « 29 », furent immédiatement concédés à la Société d’horticulture d’Angers et du Maine-et-Loire, pour y créer une école d’horticulture, dotée de locaux neufs ou restaurés, d’une salle de conférence décorée Art Déco et de champs horticoles à vocation pédagogique. L’ensemble devenant familièrement le « Jardin Fruitier », qui remplaçait celui auparavant implanté dans l’actuel Jardin des Beaux-Arts. Celui-là même où fut greffé au milieu du 19ième siècle la célèbre poire « Doyenné du Comice ».

Le ministre de l’agriculture Henri Queuille (1884-1970), vint en personne inaugurer la nouvelle école d’horticulture le 16 juin 1927, flanqué du maire d’Angers, René Levavasseur (1883-1954), lui-même horticulteur et d’une kyrielle de personnalités. Dans son allocution, le ministre souligna l’originalité du nouvel établissement d’enseignement, dont la mission était non seulement de former de jeunes horticulteurs mais également d’accueillir les « élèves-maîtres » de l’école normale d’instituteurs de la rue Lebas, toute proche, pour les initier aux disciplines horticoles…Puis, comme le rapporta le Petit Courrier qui couvrit l’événement dans le moindre détail, un vin d’honneur fut servi aux nombreuses personnalités présentes dans les sous-sols de l’école, décorés en la circonstance par la première « cuvée » d’élèves formés ici …

Photo Google Earth

Photo Google Earth

On peut penser que cette manifestation qui déplaça la quasi-totalité des notables locaux, sauf le chanoine Fruchaud, curé de la paroisse, peu enclin à s’afficher aux côtés d’un représentant de haut rang de l’Etat républicain, ne passa pas inaperçue dans la rue Desmazières. Tous les habitants du quartier, dont nos grands-parents et arrière-grands-parents étaient certainement de la fête. Du moins passivement, comme badauds attroupés le long des trottoirs pour voir passer le cortège!

Ma mère qui était alors âgée de quatre ans, n’a pas conservé de souvenir précis de cette inauguration. Mais, il n’est pas douteux qu’elle y assista, et de surcroît, aux premières loges, car l’appartement de ses parents Louis Turbelier et Adrienne Venault se trouvait au 1er étage d’un petit immeuble du 20 rue Desmazières, situé juste en face de la grille d’entrée du Jardin Fruitier.

En dépit de l’animation exceptionnelle que connut ce jour-là, cette rue d’ordinaire si calme, elle ne s’en souvient pas car, par la suite, le Jardin Fruitier constitua le décor constant et familier de sa jeunesse. Elle le fréquenta quasi-quotidiennement  avec ses frères. C’était leur aire de jeux de plein air. De la sorte, elle pouvait en décrire les moindres recoins. Il en résulte qu’aucun fait saillant lié à sa prime enfance n’aurait su concurrencer dans sa mémoire, l’impression d’appropriation naturelle et de connivence intime, qu’elle et ses jeunes frères avaient construit dans la durée avec le Jardin Fruitier.  Elle ne cite que deux événements marquants intervenus beaucoup plus tard, alors qu’elle était devenue une jeune femme: en juin 1944, l’utilisation des caves de l’école comme abris lors des bombardements, et  deux mois plus tard, au lendemain de la Libération d’Angers, le bivouac d’une unité américaine dans le square du Jardin fruitier.

Au jardin fruitier en 1945 ...

Au jardin fruitier en 1945 …

Dans un article publié en mars 1990 dans le bulletin associatif « La chronique des Turbelier », Joseph Gallard (1920-2010), cousin de ma mère et petit-fils d’Alexis et d’Augustine Turbelier, confirme l’importance du Jardin Fruitier pour les enfants de la famille. Prétexte à s’aérer et échappatoire en compagnie de cousins complices à l’issue d’interminables repas de famille chez les grands-parents, à l’occasion des fêtes de famille dans les années 1920 à 1940:

«  … Ce qui nous attirait le plus, c’était la cour du Jardin Fruitier qui n’avait plus de secret pour mes cousins. A leur contact, j’appris à connaitre l’allée de la roseraie au fond, les bâtiments du jardinier et concierge, Monsieur Bossard, qui douze plus tard devint mon professeur d’arboriculture fruitière. Et puis les marches de la société d’horticulture que nous escaladions pour nous réchauffer (en janvier). J’ignorais alors qu’un jour, je franchirais ces marches pour y recevoir quelques récompenses. Nous pouvions nous dépenser dans la grande cour plantée d’arbres où les mètres carrés ne nous étaient pas comptés. Les noisetiers encore jeunes lui donnaient une allure de grandeur… ».

Les enfants n’avaient pas l’apanage de la fréquentation de « l’allée de la roseraie », à laquelle fait allusion Joseph Gallard. Elle servait aussi de cadre idéal pour les photographies de groupe commémorant des événements ou les fêtes de famille importants, comme les cérémonies de « profession de foi » de l’un ou l’autre des enfants : ainsi le cliché ci-dessous datant des années trente représentant  tous les « Turbelier » à l’occasion de la « communion  » de trois d’entre eux, dont ma mère Adrienne et son frère Albert.

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Cet attachement au Jardin Fruitier ne se démentit pas à la génération suivante, ainsi qu’en atteste ce très beau texte de ma sœur Brigitte, évoquant notre grand-mère et « son » Jardin Fruitier.

« Quelques petits souvenirs d’elle qui ont marqué ma jeunesse. Elle vivait seule puisque Louis était décédé très jeune, le destin est parfois trop cruel ! J’avais moins d’un an quand il est parti. Elle nous emmenait au Jardin Fruitier qui se trouvait juste en face de chez elle. Nous ramassions la noisette avec son enveloppe verte, l’involucre, qui couvre tout ou partie du fruit, par sacs entiers, ensuite nous retirions la noisette de son enveloppe sans oublier d’en manger, nous passions des après-midi dans ce jardin. C’est aussi elle qui nous a appris à tricoter. Elle nous guettait derrière sa fenêtre… je la vois encore nous faire un signe de la main. J’ai aussi le souvenir de l’odeur de pommes cuites qui envahissait son logement elle les faisait cuire dans le four de sa cuisinière, nous les dégustions avec bonheur… Avec nous elle riait. Nous c’était Louisette et moi… »

Jusqu’à la fin des années soixante le Jardin Fruitier, le petit square attenant, ses serres, son verger et sa roseraie accompagnèrent de nombreux épisodes de notre vie. Mais bizarrement, je ne dispose d’aucune photographie du Jardin lui-même…

Le Jardin Fruitier restera donc notre Jardin secret…

Jardin fruitier ... du Luxembourg -Paris

Jardin fruitier … du Luxembourg -Paris

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C’était une fin d’été presque ordinaire. L’été 1958. Du dôme des dunes qui dominaient et bornaient la plage de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, la ligne d’horizon devenait floue, le ciel et la mer se confondant en brume, tandis que des nuages s’accumulaient au loin. Stratus précurseurs de l’arrivée prochaine d’une dépression atlantique.

Saint Gilles Croix de Vie

 

Manifestement la météo était un peu moins clémente que quelques jours auparavant. Mais pas encore maussade! Les maillots en coton à ras le cou et les shirts faisaient leur réapparition, annonciateurs, avant l’heure, de la rentrée des classes et de l’automne désormais latent avec ses bourrasques de feuilles mortes et de marrons d’Inde jonchant la cour de l’école… Au printemps, le général de Gaulle était revenu au pouvoir et les Français espéraient qu’il remettrait de l’ordre dans un vivier politique déliquescent. Ils souhaitaient surtout que son autorité suffise à mettre fin à cette sale guerre d’Algérie dans laquelle la France pataugeait depuis quatre ans, défendant parfois l’impossible… Tous souhaitaient la paix, mais pas toujours la même… En attendant, dans les allées du pouvoir, on préparait une nouvelle constitution pour la France. On disait qu’en octobre, cette réforme institutionnelle serait soumise aux français par référendum!

En réalité, les enfants de la photo – comme tous les enfants du monde – se moquaient éperdument de cette actualité qui semblait tant préoccuper les adultes. Ils n’en ignoraient pas les grandes lignes, car on en parlait devant eux, le soir, à la table familiale en commentant les « nouvelles » diffusées sur le poste de radio à lampes de la cuisine…Mais ils écoutaient d’une oreille distraite…Le fait d’avoir entrevu la haute stature du Général à la Une du Courrier de l’Ouest au cours du mois de mai ou juin, ne suffisait pas à les intéresser. Pourtant, si on leur avait demandé ce qu’ils pensaient des événements, ils auraient sûrement affirmé sans barguigner leur accord avec leurs parents, c’est-à-dire en l’occurrence, leur désaccord avec ce qui se tramait à Paris…

Mais cet avis parental auquel ils adhéraient sans réserve comme des petits canards, ne troublait nullement leur sommeil, seulement peuplé de songes enfantins ou parfois de cauchemars, les nuits d’orage ou les lendemains d’excès de chocolat… Ils n’y accordaient pas plus d’importance que celle concédée aux « réclames » pour les « Bébés Cadum »ou aux épisodes du feuilleton radiophonique de Radio-Luxembourg, la célèbre famille Duraton. A leurs yeux, de Gaulle ou Massu n’étaient que des personnages dont on parlait à la radio, à la fois familiers et virtuels, qui n’exerçaient ni plus ni  moins d’influence sur le cours des choses que les héros de la célèbre famille, incarnés chaque soir par Jean Granier, Ded Rysel, Yvonne Galli, et autres Jane Sourza…

Bref, ces enfants-là n’étaient pas gaullistes, car leurs parents – se réclamant de l’approche mendésiste de la démocratie – ne l’étaient pas non plus. Les enfants suivaient. Pour autant, leur quête d’eux-mêmes et le besoin de s’affirmer n’empruntaient pas alors les chemins de la politique, qu’ils percevaient comme d’incompréhensibles élucubrations d’adultes ! Et c’est bien ainsi ! Evidemment, ils devaient malgré tout rechercher une certaine « cohérence » – pour reprendre un terme galvaudé – entre ce discours qu’ils admiraient par affection filiale, et le point de vue opposé de leur grand-mère maternelle, qui voyait en de Gaulle l’éternel Sauveur de la France en péril. Autant dire que les enfants ne parvenaient pas à surmonter cette contradiction. Ils ne cherchaient d’ailleurs pas à le faire car il s’en accommodait sans se prendre la tête. Ce dilemme de « grands » n’était en fait qu’apparemment cornélien, car finalement ce qui comptait pour eux c’est l’amour qu’ils se portaient tous, à l’égard de tous! Ce pari consensuel impossible à soutenir, était sans conséquence sur leur vie quotidienne, car les enfants ne pouvaient imaginer un instant qu’on puisse prendre prétexte de telles futilités extérieures à la famille, pour se quereller. Ils avaient en outre ressenti très vite et très tôt que leur aïeule avait au moins deux bonnes raisons de soutenir le Général : d’abord, en sa qualité de libérateur de la France en 1944, et surtout pour contrecarrer un gendre qu’elle n’aimait guère et dont elle ne supportait pas les idées.

Lui, progressiste, syndicaliste chrétien et démocrate moderne – il sera un des délégués de la fédération CFTC du Maine-et-Loire au congrès fondateur de la CFDT en 1964-  désapprouvait formellement les conditions très « bonapartistes » de la prise du pouvoir par de Gaulle ainsi que le projet de nouvelle République à connotation fortement présidentielle! A l’époque, l’analyse de la gauche progressiste était de considérer que la présidentialisation à outrance du pouvoir constituait un déni de démocratie, une sorte de « coup d’Etat permanent: ce n’est plus l’option des énarques « voltériens » actuels, qui renvoient ces considérations puériles aux vieilles lunes du 19ième siècle ! …

Elle, la grand-mère, était au contraire, une femme d’ordre autoritaire, qui affichait sans complexe son penchant conservateur…Elle assumait avec courage ses choix! En tout cas, pour les enfants, il ne pouvait être question de désavouer Papa pour faire plaisir à la grand-mère! Ni de se fâcher avec « Mémé » pour des motifs, malgré tout, assez énigmatiques…

En cette fin de vacances 1958, alors que le soleil décline sur la mer, la photographie de groupe de rigueur témoigne de biens d’autres tracas que les préoccupations et querelles politiques des adultes… Un groupe au demeurant involontairement élargi à des intrus, dont un poids-plume au slip trop large, qui n’aurait pas dépareillé parmi les jeunes coqs s’affrontant « pour la gagne » sur le ring de l’Elysée-Montmartre!

Quoiqu’il en soit, chaque membre de la famille sait que, dans quelques heures, il faudra faire (refaire) les valises et ranger serviettes de plage et maillots de bain y compris ceux tricotés qui pendent lamentablement quand ils sont mouillés. Et s’apprêter à quitter Saint-Gilles…Finis les jeux de plage, finis les jeux de cache-cache dans les blockhaus désaffectés et la découverte de restes de batteries désarticulées du mur de l’Atlantique ou de rail de débarquement toujours visibles à l’estran à marée basse…et échoués là, il y a, à peine, quinze ans.

Demain ou après-demain, on reprendra le train pour Angers…On découvrira bien plus tard – des années après – que ce sera le dernier train qu’on empruntera, tracté par une locomotive à vapeur. Alors on se souviendra avec un brin de nostalgie des escarbilles qui piquaient les yeux quand on baissait les vitres des compartiments de seconde, non climatisés…

Pour l’heure sur la dune, c’est la fin des réjouissances…Dès maintenant, on entrevoit, sans joie excessive, le moment proche de la reprise du travail ou de l’école. Et, hier comme aujourd’hui, cette perspective n’avait rien de jubilatoire…Les visages hâlés ne parviennent plus vraiment à sourire à l’objectif du photographe, en dépit de probables injonctions, les regards affichant au contraire une certaine résignation, voire tristesse, à l’idée de devoir quitter la plage, ses jeux et la mer…

Déjà, la famille tourne le dos à ce qui déjà relève presque du passé ou s’apprête à y sombrer irrémédiablement. Chacun des protagonistes, petit ou grand, sait intuitivement que les personnages qui se figeront dans quelques instants sur le film argentique, n’existeront plus que dans leurs mémoires. C’est le moment où l’on installe durablement les souvenirs, conservant de ce présent bientôt déchu que les moments simplement heureux de vacances en famille , en l’occurrence dans une de ces « maisons de famille » pionnières d’un tourisme social qui ne prendra son plein essor que dans les années soixante…

Ces réminiscences de vacances joyeuses demeureront ultérieurement de précieux viatiques. Surtout que depuis, une des jeunes enfants de la photo a tiré définitivement sa révérence et que tous, frère, sœurs, père et mère, se sentent orphelins d’elle. Ces souvenirs sont de même nature pour tous, mais ils présentent pour chacun des variantes spécifiques que l’on cultive sa vie durant, comme un trésor caché… Ainsi le jeune garçon qui, alors, n’avait pas dix ans et qui ne présente que de très lointains traits de ressemblance avec un vieil homme cacochyme et égrotant que je supporte quotidiennement, se souvient que c’est au cours de ces « congés payés familiaux de 1958 » qu’il découvrit la magie des aubades romantiques et coquines de Georges Brassens.  Au cours de ces longues soirées d’été, où l’on entendait de l’unique chambre exiguë occupée par la famille, au premier étage d’une cour intérieure, les jeunes ados de l’époque, marivauder et jouer à la guitare les trois ou quatre accords de base des « Bancs Publics » de Brassens…Une révélation que l’avenir n’a jamais remise en cause !

Savait-on en ces instants d’enfance que les meilleurs moments peuvent produire de l’éternité, à la condition d’en prolonger durablement la saveur et que c’est ce rôle qui fut assigné à cette photo?

J’ignore à quoi pensait le petit garçon qui s’apprêtait à « intégrer la classe de 7ième» –  CM2 en langage moderne – à l’école Saint-Augustin de la rue du Colombier à Angers…Il y retrouva le « frère Marcel » son instituteur de 8ième, qui jouait au foot en soutane à la récré ! Un bon maître que ce « frère Marcel ». Le gamin se rappelle qu’il sentait la sueur, lorsqu’il parcourait les travées de pupitres en récitant le rosaire…L’habit des « montfortains » puait… Faut dire qu’il ne s’apparentait que de très loin aux tenues sportives vendues chez Décathlon, dont il faisait pourtant office!

Frère Marcel, comme tous ses « frères » de  Saint Gabriel des écoles chrétiennes sentait la virilité insatisfaite ! Mais il n’était pas pédophile…Plusieurs décennies plus tard, le petit garçon déniaisé, s’est dit que ça devait fermenter sous la robe… Encore, qu’à la réflexion, le remugle était très supportable et qu’il n’était sans doute pas le seul fait des humeurs intimes du bon frère, exacerbées ou sublimées par le sport et confinées dans le froc! L’odeur composite était sûrement attribuable à un mélange subtil d’arômes de saintes huiles et d’encens, de stéarine des cierges, de cire des prie-Dieu de la chapelle de Marie, de l’amidon du surplis sacerdotal, et enfin du savon de Marseille dont l’instituteur mulotin faisait un fréquent usage en hiver après avoir bourré le poêle à charbon de la classe !

En cette fin d’été 1958, je ne suis pourtant pas certain que les pensées du petit garçon allaient, même à la mode buissonnière, vers son instituteur qui à cette heure devait être en prière à Saint-Laurent-sur-Sèvre…et qui, pas sectaire pour un sou, lui conseilla, l’année suivante d’intégrer un lycée d’Etat et le prépara à l’examen d’entrée.

Ses petites sœurs ne songeaient sans doute pas plus à la rentrée à l’école « libre » des religieuses de la Madeleine, rue Saumuroise… De même,  le père, ajusteur outilleur qualifié et syndicaliste dans la toute nouvelle usine Ducretet-Thomson d’Angers ne devait pas encore penser, en cette fin de congés payés,  à ses copains d’atelier ou à l’amélioration des conditions de travail sur les chaînes de montage de téléviseurs…Quoique !

Possible néanmoins que la mère réfléchissait déjà aux habits qu’elle allait confectionner « aux filles » pour la rentrée et aux fournitures scolaires ! Ainsi qu’aux coûts occasionnés, car dans une famille ouvrière, il fallait forcément compter …

Pour les enfants, quoiqu’on en dise, la fin des vacances est toujours triste…

C’est toujours vrai… Sauf peut-être pour les plus âgés devenus sédentaires, qui aspirent souvent à la fin des migrations estivales de leurs proches, synonymes de solitude …

La vie quotidienne reprend le dessus…

A l'affiche en 1958

A l’affiche en 1958

 

 

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Certains de mes visiteurs du soir s’attendaient certainement à ce que je rédige rapidement une suite à l’épopée vendéenne de « mes » quatre frères Perdriau, que j’ai laissés en plan au soir du 13 mars 1793 à Saint-Florent-Le-Vieil, alors qu’ils venaient de s’enrôler dans l’armée d’Anjou du général Bonchamps, mus sans doute par l’action combinée de leur enthousiasme à se dégourdir les bandes molletières hors des chemins creux du district, et de leur révolte contre la Convention Nationale bientôt Montagnarde!

Ce récit « héroïque » viendra à coup sûr. Mais mes gaillards sont des taiseux et en outre des « durs à cuire » et sûrement des champions de l’esquive. Ils ont profité de l’encombrement actuel de mon bureau, congruent de l’embarras de mes neurones, pour prendre provisoirement la poudre d’escampette. Et, ils ont progressivement disparu de mon écran radar, comme évanouis hors du paysage de mes préoccupations ! Pas tout-à fait cependant, car immanquablement viendra leur tour et ils devront alors assumer une seconde vie au travers de ma petite chronique du temps jadis.

Mais il y a des jours, où le rôle de démiurge que je me suis attribué, me pèse un peu. Parfois je comprends la lassitude de Dieu… Avec plus de bonheur pour ce qui est du harassement compréhensif d’un hypothétique créateur que de l’idée même de l’existence de cet inventeur de toutes choses !

Si seulement mon « pote » Pierre-Jean David (1788-1856), dit David d’Angers avait dressé le portrait d’un de mes « cousins » Perdriau, au hasard des quelques vingt-cinq planches de dessins d’insurgés vendéens qu’il a croqués lors de son passage à Saint-Florent en juillet 1825, je pourrais m’accrocher à du tangible pour gaillardement piétiner post mortem leur intimité.

Mais David d’Angers les a oubliés, et je n’ai finalement que mon miroir pour me renvoyer l’image d’un sexagénaire fatigué comme le furent probablement trois des Perdriau, rescapés de la guerre, au cours du premier tiers du 19ième siècle. Les cheveux longs devenus rares sur le haut de mon crâne peuvent facilement transformer la trogne d’un retraité du 21ième siècle en un demi-solde acceptable de la Vendée militaire ! A la condition de veiller au préalable à se détremper les cheveux pour qu’ils dégoulinent en forme de filasse sur les joues, le portrait d’un protégé moderne de la Caisse d’Assurance Vieillesse pourrait aisément ressembler à un celui d’un vétéran nécessiteux de la Vendée, sollicitant la charité de Charles X …

J’y travaille et bientôt je retremperai ma plume dans leur encrier !

Dans le clocher de l'église de Saint-Florent-le-Vieil

Dans le clocher de l’église de Saint-Florent-le-Vieil

En fait, plusieurs événements sont venus interférer dernièrement avec mes petits travaux d’artisan et apprenti conteur, qui ont bousculé mes priorités et introduit le doute, sinon la peur, dans mes phrases. Bizarrement, depuis quelques semaines, je n’osais plus écrire quoi que ce soit, de crainte de mal écrire ! Et ce, parce que, paradoxalement, une « follower » inconnue, bienveillante et critique littéraire d’une grande finesse, m’avait impudemment complimenté pour ma plume ! Ce qui, initialement, n’était pour moi qu’un amusement innocent avec les mots se retrouvait soudainement sacralisé ! Pire comme si mon passe-temps bénévole (bene volo) se retrouvait « certifié » ainsi qu’au bon vieux temps – pas si lointain – où l’on m’avait placardisé en m’intronisant « directeur de la qualité » d’un établissement scientifique !  La science disparaissait sous la norme ! Je n’ai pas fait long feu dans cette fonction, mais suffisamment pour faire mon deuil de la science !

Ma discrète interlocutrice dont j’aime infiniment lire les critiques littéraires et que je tiens pour une experte perspicace en belles-lettres aurait ainsi pu, « à l’insu de son plein gré » me rendre timide, au point de me conduire à analyser mes imperfections de style avant même d’écrire ou de conceptualiser quoi que ce soit! Sa bienveillance aurait pu m’être fatale. N’exagérons rien! Fatale à mes rédactions… Car pour le reste, je continuerai encore quelque temps d’enfourcher mon scooter! Mais, il s’en est fallu de peu que cet intérêt porté à mon travail ne le stérilise et que, par crainte de décevoir en produisant du médiocre, je ne sombre dans la recherche de l’éphémère et insipide plaisir passif des séries télévisées américaines. Au demeurant – et heureusement – je m’inquiète en les regardant car, généralement, la banalité sophistiquée des intrigues policières excède très largement mon niveau de compréhension immédiate!

Je remercie en tout cas ma lectrice, car elle m’a permis de mieux prendre conscience de la nature de mon projet, qui n’est rien d’autre que de batifoler à ma guise dans l’espace infini des historiettes et, par-là, de divertir quelques instants, ceux qui veulent bien me prêter un peu d’attention. Mais, ses félicitations « neutralisantes » ne furent pas la seule cause de mon retard dans l’instruction du cas « Perdriau ».

Il y en eut une encore plus insidieuse! Il se trouve qu’un de mes amis chers, croyant m’être agréable – et il le fut – m’a quasiment sommé de lire le dernier prix Goncourt – cuvée 2013 –  prétextant, à juste titre, qu’il ne pouvait que me passionner. Au-delà du conseil, il m’a prêté « Au revoir là-haut » de Pierre Lemaitre.

Une somme de plus de cinq-cents pages pour décrire des escroqueries à la mémoire des morts de la guerre de 1914-1918, perpétrées au début des années 1920 dans un Paris où se retrouvaient à la fois les « gueules cassées » démobilisés et les gens de l’arrière !  Fascinant mais exclusif. Impossible de se détacher du récit avant la fin…

Et lorsque, comme moi, on lit en dégustant, c’est-à-dire lentement, et qu’on est affecté du défaut autrefois attribué – et méchamment  – au Président Ford d’être incapable de « marcher en mâchant du chewing-gum » ou de « penser et pisser en même temps », tout autre activité se retrouve reportée aux calendes grecques ! Mais comment reprocher à cet ami de m’avoir mis entre les mains, un si beau et captivant, mais si long roman ?

Année 1963

Année 1963

Enfin, il n’aura échappé à personne que nous sommes entrés dans ce que les médias appellent une période électorale. Bien sûr, depuis longtemps, je ne colle plus nuitamment d’affiches vantant les mérites incertains de nos futurs élus, qui sont d’ailleurs souvent les actuels. De même, il y a belle lurette que je ne cherche plus à serrer la pogne des candidats sur les marchés de « centre-village », où ils viennent, une fois tous les six ans, promouvoir le commerce de proximité, tandis qu’ils affrètent hebdomadairement  – sur argent public – des bus pour transporter « leurs » vieux vers les supermarchés des zones d’activité périphériques ! Il y a une éternité que je ne cautionne plus ces fausses confrontations publiques de café du commerce, où les mêmes s’insurgent contre le cumul des mandats des autres, tandis qu’ils s’accommodent sans état d’âme du leur, par esprit de sacrifice! Au nom d’un « intérêt général » dont ils s’autoproclament les seuls dépositaires.

Bref, ce ne sont plus les campagnes électorales en tant que telles qui mobilisent mon temps, entravant d’autres activités. Non, ce ne sont pas elles ! Mais le découragement d’observer que ces petits fonctionnaires d’appareil, qui s’écharpent pour des écharpes, ne règlent plus guère depuis longtemps que le déroulement de leurs propres carrières ! Et de surcroît avec le cynisme et la médiocrité des imbéciles heureux ! Etre démocrate aujourd’hui devient malaisé, face aux catéchismes indigestes qu’on persiste à nous seriner.. Et pourtant, il faut y croire, faute de mieux …Mais forcément, ça bouffe un peu le cerveau et ça casse le moral pour imaginer des petites fables à l’usage des enfants ou de ceux qui continuent de rêver. La production s’en ressent mais c’est passager!

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En général dans ce blog, je m’abstiens d’évoquer trop directement mes contemporains immédiats, surtout mes très proches, qui pourraient trouver ombrage d’être mis trop crûment sous le feu des projecteurs. Mais aujourd’hui, je ne résiste pas au plaisir de souhaiter un bon deuxième anniversaire à mon petit-fils Robin T.P. Un petit message dont je sais qu’il parcourera le monde en tous sens, à la vitesse de la lumière, et même au-delà, via les satellites relais géostationnaires,  comme les portraits de nos grands-pères et grands-mères que je me plais à mettre en ligne…

Mais en y réfléchissant, il n’y a pas de raison de considérer que seuls nos ancêtres ont une histoire…Il suffirait de si peu de chose, comme de retourner la flèche du temps, pour que ce soit l’inverse. Et parfois, je pense qu’on aurait intérêt à le faire car les petits-enfants ont tant à nous apprendre! En particulier sur nous-mêmes. Ils sont la synthèse de notre histoire depuis des millénaires!

Donc très bon anniversaire Robin, en ce 6 juin symbolique.

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