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Posts Tagged ‘Renée Pasquier épouse PIlet’

Le mardi 29 août 1922, le bulletin météorologique publié dans le Petit Courrier, le quotidien républicain de l’Anjou annonçait un temps chaud et nuageux, ponctué d’éclaircies et de quelques ondées, avec une température oscillant entre 16° C au petit matin, 26° à midi et 21° à vingt-et-une heures. En un mot, c’était l’été. Un été, légèrement plus chaud que les années précédentes mais globalement assez classique en régime océanique.

Ce jour-là que rien ne distinguait des autres jours depuis la fin de la guerre, le journal des angevins, qui se revendiquait à la fois d’un ancrage local alimenté par les faits divers de la région, et d’une ligne éditoriale à vocation généraliste et nationale, évoquait en « une », des grèves sur les chantiers navals du Havre. Le journaliste y déplorait qu’elles se soient soldées par des affrontements meurtriers avec les forces de gendarmerie.

La première page revenait par ailleurs sur une nouvelle de la veille : le naufrage d’un cuirassé de la Royale au large de Quiberon à quelques encablures du phare de la Teignouse. Les premiers éléments de l’enquête venaient en effet de montrer que cet infortuné navire de la marine nationale, baptisé « France » s’était éventré sur des récifs à la suite d’une mauvaise indication d’une sonde bathymétrique. On comptait plusieurs disparus., probablement prisonniers de la coque sous quelques dizaines de mètres de fond. .

En première page également, figuraient, parmi les événements importants, des incendies de forêt dans le Var.

Sous forme de « brèves » le lecteur était par ailleurs informé d’opérations militaires conduites au Maroc dans le Moyen Atlas contre des tribus autochtones qualifiées d »insoumises ». Il est peu probable que cette dernière info à propos de combats lointains, ait ému beaucoup d’angevins, sauf sans doute mon grand-père Marcel Pasquier (1892-1956) qui avait servi comme cavalier de première classe dans les chasseurs d’Afrique entre 1910 et 1919. Mais ce jour-là, il avait aussi d’autres motifs d’intérêt au sein même de sa propre famille!

Enfin l’édition du 29 août 1922, comme celle des jours précédents, rappelait les difficiles et lancinantes négociations avec l’Allemagne pour fixer le montant des dommages de guerre et les conditions de réparations, pourtant prévues dans le traité de paix signé avec l’Allemagne en 1919 à Versailles.

D’ailleurs, alors que quatre ans s’étaient écoulés depuis l’armistice du 11 novembre 1918, presque chaque numéro de la presse locale ou nationale, consacrait quelques lignes aux hommages aux soldats, aux commémorations des batailles de la Grande Guerre ainsi qu’aux activités mémorielles des associations d’anciens combattants. Les décorations octroyées à titre posthume aux poilus morts en héros sur le front étaient systématiquement mentionnées. Chaque rapatriement de leurs dépouilles en terre natale à la demande des familles faisait également l’objet d’un court article. A titre d’exemple, le 27 août 1922, le journal informait du retour des cendres d’un soldat tué à Verdun en 1916 et originaire de Beaucouzé (49). Les restes d’un cousin germain de ma grand-mère et de mon grand-père paternels, tué en 1915 à Neuville Saint-Vaast avaient été ramenés au Lion d’Angers dans des conditions similaires, peu de temps auparavant.

En tout état de cause, ce qui frappe à la lecture du Petit Courrier, c’est l’omniprésence rédactionnelle du conflit mondial récent. Manifestement le traumatisme de la Guerre de 14-18 était loin d’être cicatrisé et a fortiori assumé. Chaque numéro s’attardant, d’une manière ou d’une autre, sur la souffrance encore vive de la population qui continuait de pleurer ses « martyrs » dont les noms étaient désormais inscrits sur les monuments aux morts, érigés en leur mémoire dans chaque village. La saignée infligée par la guerre avait été d’autant plus rude que la classe d’âge sacrifiée en grand nombre était précisément constituée de jeunes adultes. Ceux-là même qui auraient dû être, dans ces années d’après-guerre, les forces vives de la Nation, dans les champs comme dans les usines, et d’abord dans les familles.

Heureusement, le journal dont une grande partie de la population prenait connaissance dès l’aube grâce à une distribution de portes à portes, comportait d’autres informations que celles, peu réjouissantes, liées aux conséquences douloureuses de la tragédie passée.

Parmi ces actualités réconfortantes, il y avait d’une part les naissances dont la liste était publiée chaque jour pour celles de la veille et, bien sûr, les manifestations festives, ludiques, voire économiques comme les comices agricoles qui attestaient, chacune à leur manière, de la capacité de résilience collective du pays malgré le deuil qui l’affligeait.

Parmi les « bonnes nouvelles » il y avait les fêtes votives et villageoises, comme le feu d’artifice du Lion d’Angers du 27 août 1922 et la retraite aux flambeaux qui s’ensuivit portée par « une assistance nombreuse et enthousiaste ».

Dans l’édition du 28 août 1922 et les suivantes, un article était également dédié aux courses du Lion d’Angers, bourg d’origine de la plupart de mes aïeux paternels, à l’hippodrome de Durval sur la route de Vern d’Anjou qui avait été rénové pour la circonstance et où furent accueillis des parieurs en grand nombre mais surtout des foules d’amoureux de la race chevaline. Etaient présents lors de l’inauguration tous les notables aristocratiques et les élus de la région, dont le quotidien publia scrupuleusement une liste exhaustive. On se serait cru aux temps heureux de la Belle Epoque, où les toilettes de la comtesse de Tredern et de la duchesses de Brissac rivalisaient avec celles de la baronne de Candé.

Petit Courrier daté du 29 août 1922

S’agissant de l’état civil « heureux », le Petit Courrier publiait le mardi 29 août 1922 la liste des naissances de la veille à Angers. Et parmi celles-ci, était mentionnée celle de Renée Pasquier, le lundi 28 août 1922 au domicile de ses parents. En fait, le couple Pasquier louait depuis quelques semaines seulement un petit appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble du 65 de le rue de la Madeleine. Au regard des standards actuels, il serait même considéré comme  » très » modeste car il ne comportait (à ce moment-là) que deux vraies pièces, à savoir une cuisine assez vaste mais sombre, dotée de l’eau courante, ainsi qu’une grande chambre avec fenêtre sur cour, communiquant avec un « bow window » vitré assimilable « avec un peu d’imagination  » à un jardin d’hiver ou à un cabinet de toilettes fictif. Les « commodités » étaient extérieures et collectives, et un jardinet fermé au fond par un puits était mis à la disposition des locataires, charge à eux d’en faire un potager.

C’est en ce lieu que Renée Pasquier qui nous a quittés le 23 octobre 2016, passa son enfance et sa jeunesse en compagnie de ses trois frères et de leurs parents.

Nul ne sait d’ailleurs quand elle décéda, si à 94 ans elle avait gardé le goût de vivre et si cette mort qui l’arrachait à l’affection des siens ne correspondait pas à un souhait qu’elle avait parfois exprimé devant moi à plusieurs reprises, de rejoindre Marcel Pilet (1919-1996) son amour et le père de ses sept enfants. L’âge venu, l’absence de son époux lui pesait et elle s’indignait de ne plus jouir de la liberté de se déplacer comme elle l’entendait. Cette liberté d’être et de se mouvoir qu’elle élevait devant moi au rang de vertu cardinale, qu’incarnaient à ses yeux « Le temps de cerises » de Jean-Baptiste Clément, et son vélo qu’elle enfourchait avec vivacité pour parcourir jadis « la rue Saint-Léonard jusqu’à la Madeleine ».

Mariage de Renée et Marcel – Angers le <6 juin 1943 – les deux familles

Elle avait épousé Marcel Pilet, un gars du quartier de la Madeleine, le 6 juin 1943 à Angers, un beau gaillard de trois ans son ainé, une personnalité chaleureuse, attachante et vif d’esprit, un cheminot aussi doublé d’un talent de jardinier hors pair. Et ils ne se quittèrent plus jusqu’à son décès à l’automne 1996, terrassé par une crise cardiaque en voulant arracher un « putain » de noisetier sauvage qui parasitait le mur de sa maison. Sans rire, Marcel m’a appris deux choses fondamentales dont j’use encore septuagénaire: nouer une cravate et me convaincre que le sécateur était l’outil principal de quiconque souhaite cultiver un jardin!

Depuis la disparition de Marcel, Renée avait, en tout cas, perdu une partie d’elle même et de sa joie de vivre . Mais, ne communiquant que rarement ses peines, ses regrets intimes ou ses secrètes fêlures, elle s’accrocha sans maudire, manifestant au contraire un certain optimisme qu’elle puisait probablement dans l’amour inconditionnel de tous les enfants qu’elle avait mis au monde. De la sorte, sa gaité, sa confiance dans l’avenir et son volontarisme rendaient sa compagnie agréable. Recherchée même par ceux qui l’entouraient. Ses voisins de la rue Charles Péguy!

En tout cas, elle ne confiait pas ses tracas au neveu que j’étais et qui ne la rencontrait qu’épisodiquement lors de mes rares passages à Angers. Elle se contentait de m’accueillir les bras ouverts, le sourire aux lèvres. Et si, malgré tout, elle faisait part de sa lassitude, c’était sur un ton badin ou implicitement au détour d’une remarque générale sur la dureté de la vie. Le plus souvent pour évoquer les difficultés notamment de santé, de tel ou tel des siens, et au premier chef, de ses enfants.

Ce dont je peux attester sans forcer le trait, c’est que ce n’était pas par devoir qu’on se rendait chez elle, dans le quartier de Saint-Léonard, mais par plaisir d’échanger avec elle et d’entendre des nouvelles de la famille. Elle était, à cet égard, l’incontournable référence, la mieux informée et même fréquemment l’ultime recours, en particulier pour les rameaux les plus éloignés dans notre arbre généalogique commun, comme ceux du Lion d’Angers des années trente ou quarante du siècle dernier.

Sœur ainée de mon père Maurice Pasquier (1926-2017) elle lui portait une affection profonde et protectrice. Et ce, depuis toujours. Lui-même lui téléphonait régulièrement de Massy où il résidait depuis de nombreuses décennies, et ses derniers voyages à Angers, malgré les handicaps de la vieillesse lui étaient en grande partie consacrés. Cette affection réciproque, fondée sur une complicité jamais démentie et une grande connivence depuis l’enfance, se prolongea jusque dans les dernières étapes de leur vie.

Le 28 aout 2022 elle aurait eu cent ans.

Elle était le deuxième enfant et la seule fille d’une fratrie qui en comprendra quatre. Sa mère Marguerite Cailletreau (1897-1986), native du Lion d’Angers était couturière et son père Marcel Pasquier (1892-1956), cheminot à la gare Saint-Laud d’Angers. Bien que né à Vervins dans l’Aisne, ce dernier était lui-même issu d’une famille implantée de très longue date sur les rives de l’Oudon, au Lion d’Angers et dans ses environs. Engagé dans un régiment de chasseur d’Afrique en 1910, il avait été affecté sur le front français durant la Grande Guerre, et c’est à l’occasion d’une permission en décembre 1917 au Lion d’Angers chez un de ses oncles, qu’il rencontra Marguerite.

Tout indique que ce fut le coup de foudre puisqu’ils se marièrent au Lion d’Angers le 21 octobre 1918 moins de trois semaines avant l’armistice. Après avoir participé aux derniers combats en Alsace et en Lorraine, et à l’occupation de la Rhénanie et du duché de Bade, Marcel fut démobilisé au cours de l’été 1919 non sans avoir contracté entre temps la redoutable « grippe espagnole » qui lui valut plusieurs semaines d’hospitalisation à Strasbourg et en région parisienne.

De cette union naquit en août 1920 à Saint-Pierre-Corps, un premier fils, Marcel Pasquier (1920-1999)…

Tel était l’environnement affectif de Renée lorsqu’elle vit le jour, il y a cent ans.

Renée à 19 ans en 1941

Son existence par la suite ne fut pas toujours un long fleuve tranquille et son moral fut à plusieurs reprises mis à l’épreuve, car elle fut confrontée au malheur, notamment en 1955 lorsqu’elle perdit un enfant quelques jours après l’accouchement. Elle sut surmonter ces épreuves avec courage et fut pour tous, en exemple.

C’est la raison pour laquelle, il m’apparait juste de lui rendre hommage et d’évoquer sa mémoire au moment où la fuite du temps lui fait virtuellement franchir le cap des cent ans. Échéance que la providence qui est rarement « sainte », lui a refusé.

Il y a évidemment bien plus légitime et plus qualifié que moi pour marquer ce passage virtuel qui ne peut plus se matérialiser. J’espère qu’aucun de ses cinq enfants encore de ce monde – enfants dont elle ne cessait de se déclarer fière – ne me feront pas grief, de cette libre évocation mais très subjective de leur maman.

Je sais que ça ne se fait pas de « sabrer » le champagne dans les cimetières en parlant des défunts sans qu’ils puissent répliquer. Ou de parier sur une occurrence fictive qui ne se concrétisera pas. J’ai le sentiment que je le devais à ma chère marraine.

Bon anniversaire, malgré tout, « Tante Renée » confidente proustienne de notre « recherche du temps perdu »! Témoin d’une époque si lointaine et pourtant si proche. Si comparable par les balbutiements de l’Histoire qu’elle charrie sans relâche.

Dans sa cuisine dans les années 2000

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