Peu importe que cette phrase présentée depuis quatre siècles comme un exemple d’habileté politique ait été prononcée par Henri IV en 1593 en la basilique Saint Denis ou par son ami Sully. C’est à elle qu’on ne pouvait s’empêcher de songer en regardant le débat télévisé de mercredi dernier entre les deux protagonistes de l’élection présidentielle du 6 mai prochain. Mais avec un peu de regret devant le constat de deux élèves qui n’auraient pas bien compris la leçon. Pourtant, à les voir s’échiner, suant sang et eau, pour nous prouver la pertinence de leurs projets, la légitimité de leur démarche et l’inanité de celle de leur concurrent présenté invariablement comme moralement contestable et peu sérieux, on imagine bien que ce n’est pas pour leur bon plaisir qu’ils sont là et que, comme le bon roi Henri, leur conversion à cet exercice d’exhibitionnisme médiatique, ne procède que très modérément d’une intervention divine, mais plutôt d’une tentative de pragmatisme de bon aloi, en contrepartie du couronnement républicain, espéré par les deux adversaires.

De prime abord, c’est donc cette volonté de présenter aux français la portée de leur futurs choix, qui est affichée comme l’objectif primordial de la confrontation que les candidats subissent de bonne grâce comme un rituel obligé. D’emblée, la virilité des échanges fait partie de la représentation théâtrale. La pugnacité est une figure imposée comme la liturgie catholique et romaine était associée au revirement métaphysique du Vert Galant, spectacle audiovisuel oblige! Le panache en moins! Et sans le Vert Galant ! Surtout pas lui, l’époque n’est plus à lutiner les soubrettes ! Il y avait cependant quelque chose d’un peu pathétique à voir l’un, afficher sa cohérence au motif qu’il dit toujours la même chose depuis un an et, à l’inverse, l’autre brandir sa faculté permanente à se plier – à s’adapter – aux caprices des temps. L’un semble figé dans ses certitudes, l’autre empêtré dans son bilan brouillon. A la vérité, hormis la traditionnelle mention aux valeurs formelles de la République, évoquées, à tous et hors de propos, par les deux lutteurs, on avait des difficultés à discerner de la perspective dans des discours réduits pour l’essentiel à la description laborieuse de solutions de circonstance censées pallier les vents mauvais de la conjoncture. On avait non seulement des difficultés à suivre mais on éprouvait aussi de la lassitude face à leurs agressions réciproques et moralisantes. C’est dur lorsqu’on n’est pas inconditionnel de l’un ou de l’autre et qu’on ne se réjouit pas des « mandales » qu’ils se balançent gaillardement tout en proclamant le respect qu’ils doivent à la fonction « suprême » . Fonction qu’ils ont d’ailleurs tendance à sacraliser indûment. En fin de compte, on ne saura rien de leur conception respective – de leur philosophie – du progrès, on ne saura rien de la place qu’ils entrevoient pour notre pays dans le concert international au cours des prochaines décennies, hormis l’actualisation bâclée de quelques vieilles références à l’antique message de 1989 sur les « droits de l’homme » où à la laïcité de 1905. On ne saura rien de l’impulsion culturelle, scientifique, intellectuelle qu’ils comptent donner, pour asseoir le rayonnement de la France. Bref, on est resté sur sa faim, stupéfaits de cet étalage logomachique et c’est tout juste si on n’était pas tenté, in fine, de leur demander modestement – dans l’esprit de leur discussion de champ de foire – s’ils n’envisageaient pas de modifier la périodicité de réfection des cantines et des salles de classes dans les écoles primaires du royaume ! Ils n’ont tout de même pas osé le coup de bluff d’Henri de Navarre avec sa « poule au pot » chaque dimanche, dans chaque foyer !
« Paris vaut bien une messe ». Dommage finalement que les candidats ne s’en soient pas plus inspirés ! Car cette phrase devenue adage exprime beaucoup de bon sens, si utile en période difficile. Une phrase d’apaisement qui exclut toute exaltation inutile, stérile et mortifère… On nous avait prédit que ce « débat du siècle » qui revient telle une comète à la périhélie quinquennale, serait rude. Il fut heurté, les deux débatteurs n’ayant pas su donner de la hauteur à leur confrontation dont l’excessive durée comme l’accumulation des certitudes ont fini par lasser puis par endormir. Evidemment, ce duel avait vocation à exclure l’un des deux de la compétition, à le disqualifier car c’est la loi du genre, mais fallait-il pour autant user de tous les artifices, de tous les arguments et de tant de mauvaise foi? Comme Henri IV en son temps, chacun des deux s’est voulu « rassembleur », mais à la différence du roi au cheval blanc, nos deux artistes, l’énarque et l’avocat, affichaient plutôt des postures à la Catherine de Médicis le jour de la Saint Barthélemy, ne conçevant de rassemblement que sur leurs propres idées, après la disparition de l’autre ! Il faut se rallier, se soumettre ou se démettre !
On est loin de la sagesse du roi tolérant qui n’hésita pas à se rire de Dieu et de ses serviteurs, c’est-à-dire, à relativiser l’absolu et à postuler qu’on pouvait vivre en laissant les autres croire au diable ou à rien du tout…
A cet instant, moi aussi, j’ai pris la mesure du temps qui passe ! Des années se sont écoulées depuis l’époque où ma grand-mère maternelle, Adrienne Venault-Turbelier (1894-1973), aux idées souvent paradoxales et complexes, et si souvent évoquée ici, me confiait comme un trésor, une médaille datée de 1598 qu’elle prétendait commémorative de l’Edit de Nantes. A sa manière, elle me signifiait, de conserve avec d’autres, que toutes les idées, y compris sur la transcendance, se valent, et qu’elles sont finalement acceptables dès lors qu’elles s’accommodent de celles des autres…Que la vérité est relative, qu’elle est toujours datée et qu’aucune n’a vocation à devenir éternellement hégémonique. Ni même temporairement! Elle, Adrienne V-T, qui était patriote et républicaine, plutôt pour l’ordre établi que pour la révolution, me donnait ce jour-là une leçon de démocratie. J’ai conservé jusqu’à ce jour, cette médaille dans mon portefeuille, comme un symbole de tolérance…
Depuis peu, je me suis aperçu, qu’il s’agissait en fait d’une authentique monnaie batave du 16ième siècle sans réel cours numismatique et sans rapport avec l’Edit de Nantes. Aucune importance d’ailleurs, car sa valeur réside désormais, non dans son lien avec l’événement historique le plus novateur attribuable à ce grand roi hédoniste mais dans la teneur du message qu’on m’a transmis en me la donnant. Cette petite pièce de cuivre est devenue pour moi, le relai – en forme de gris-gris – de la liberté de pensée et de conscience. C’est aussi l’incarnation du caractère provisoire et relatif de toute vérité. Evidences que les duellistes, candidats à la présidentielles semblaient avoir oubliées, sous des flots de « bons sentiments » de truismes, de manifestations de brutalité et d’emportement réciproques et inutiles et d’une multitude désordonnée et indigeste de chiffres …
Pour autant, il faudra voter dimanche et accorder son suffrage à l’un des deux, sans se défausser. Pour ma part, je pense que, comme dans une classique copropriété, il faut changer régulièrement de syndic, indépendamment des bilans produits ou des projets d’entretien ou de rénovation des façades: c’est une première indication. Mais ce n’est pas l’argument déterminant : je voterai batave, d’une part parce que ma médaille de l’Edit de Nantes est batave, et d’autre part parce que le candidat du même nom a prétendu sur RTL, dans un honorable élan de démagogie électorale, qu’il aimait écouter « Avec le temps » de Léo Ferré… et que la lecture qui l’a inspiré dans sa jeunesse était le livre de Zola « Germinal ». Même si ces choix lui ont été dictées par une rusée journaliste de son entourage, qui écrit dans un journal populaire, je me dis qu’une telle influence ne peut pas être néfaste. L’autre postulant à la présidence, la veille, bien moins conseillé avait cité des titres « intello rive gauche » suggérés sans doute par sa femme artiste branchée et autrefois progressiste. Evidemment, je comprends que mon raisonnement puisse surprendre, même heurter par sa désinvolture et qu’il ait, par conséquent, quelque peine à susciter l’enthousiasme et l’adhésion, mais ça permet de relativiser l’importance de l’enjeu ! D’ailleurs, contrairement à ce demandait « mon » candidat à la radio, j’espère que sa victoire sera nette mais courte… Disons, qu’étriquée, ce serait parfait pour éviter qu’il ne prenne « la grosse tête ». Et pas seulement lui, également ceux qui attendent en coulisse pour occuper les postes…

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