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Posts Tagged ‘photographie familiale’

Tous ceux qui l’ont connu savent que les relations de mon père – Maurice Pasquier (1926-2017) – avec la photographie relevaient presque d’une pétition de principe philosophique mais aussi d’une démarche ou d’un sentiment quasiment fusionnel avec une forme d’art incarnant le progrès et la modernité. Depuis son apprentissage d’ajusteur-outilleur au début des années quarante du siècle dernier jusqu’à la fin de la première décennie de ce siècle, il n’y eut guère d’événements dans sa vie active, publique comme certainement intime, qu’il n’ait cherché à prolonger, à pérenniser ou à embellir au travers de clichés photographiques..

Depuis toujours, l’homme de foi qu’il était, assimilait la photographie à une sorte de vision romantique, presque religieuse de la vie. Un art qu’il percevait, au-delà de la technique, comme une transcription esthétique du monde, donc comme une nécessité vitale et une recherche d’harmonie conviviale… Il aimait faire don de ses photos.

Toutes les occasions étaient par conséquent bonnes, qu’elles soient professionnelles, syndicales, amicales et, au premier chef, familiales, pour prendre des photos. Les vacances constituaient à cet égard un moment privilégié. Il ne partait jamais en voyage ou n’assistait à une cérémonie, un anniversaire ou une fête, sans embarquer avec lui, une imposante sacoche où se trouvait, en plus de son appareil photo, tout un attirail d’objectifs couvrant la plupart des circonstances possibles de prise de vue, du téléobjectif aux lentilles dédiées à la photographie de nuit ou, à celles à l’inverse prévues pour les lumières intenses. Il n’eut de cesse, sa vie durant, que de capter et d’épier pour la saisir par le biais de l’image, la quintessence des choses et des êtres, du sourire d’un enfant à la beauté d’une fleur perlée de rosée matinale dans une jardinière de sa terrasse banlieusarde. Jusqu’aux paysages grandioses de montagne ou de l’océan en furie.  

Sa recherche de l’unité du monde s’effectuait par la photographie! Il aurait apprécié aussi la voie de la science s’il en avait eu le loisir! 

A sa disparition, le 7 novembre 2017, il laissa donc derrière lui, beaucoup d’albums photo et des milliers de clichés, sans compter les négatifs et autant de diapositives couvrant les soixante dix dernières années. Un patrimoine familial qui demeure d’ailleurs en grande partie à explorer. 

Cette passion ancienne pour la photographie l’avait même conduit dans les années cinquante à se faire embaucher dans l’atelier d’ajustage de l’usine Alsaphot (Alsetex) à Angers, un fabricant industriel d’appareils photo. A cette époque, lui qui possédait un appareil à soufflets de bonne qualité, prit plaisir, à ces moments perdus, à en réaliser un autre, une boite photographique de format 6×9, d’une conception largement inspirée de la « Box alpha », l’appareil populaire de début de gamme, fabriqué par son entreprise.  Il l’offrit finalement à notre mère.

Progressivement, dans le but de perfectionner ses prises, il s’équipait de tous les accessoires imaginables pour un amateur, tels les télémètres ou les cellules photoélectriques, et bien d’autres encore. Cependant, un jour d’été 1961, il profita d’une escapade en Forêt Noire pendant des vacances familiales dans les Vosges alsaciennes pour s’acheter avec la complicité joyeuse et contrebandière de notre mère, un appareil Contaflex Zeiss Ikon! Non déclaré aux douanes: c’était avant le Marché unique! 

Pour lui, admiratif de l’industrie allemande de l’optique, cet appareil Reflex avec cellule incorporée, représentait le nec plus ultra en la matière, et de surcroît abordable sans les taxes d’importation. Il présentait d’après lui la meilleure qualité d’objectifs en Europe …

Durant trente ans, ce Zeiss qui faisait sa fierté, le suivait partout, jusqu’au jour où il estima qu’il était technologiquement dépassé, et que le maniement d’un Canon lui ouvrirait d’autres voies photographiques insoupçonnées du fait des performances optiques et électroniques supplémentaires dont les japonais l’avaient doté. 

Cet appareil fut le sien pendant une quinzaine d’années. Ce fut également le dernier appareil reposant sur la technologie séculaire argentique qu’il utilisa. En effet à l’occasion de l’anniversaire de ses quatre-vingt ans en 2006, il lui fut offert un appareil numérique Nikon, comparable du point de vue optique à son Canon, mais plus en phase avec les évolutions numériques du moment et du futur.

Maurice avec un enthousiasme juvénile en dépit de son âge, l’adopta et parvint à apprivoiser cette nouvelle technologie numérique et informatique dont il ignorait tous les fondements quelques mois auparavant. Un âge, qui en aurait découragé plus d’un… 

Jusqu’à l’automne 2011, il continua donc de photographier à tire-larigot . Et dans le même temps, il numérisait méthodiquement pour la postérité, ses clichés les plus anciens ou, ceux qui lui apparaissaient les plus réussis ou les plus révélateurs d’époques ou d’épisodes qu’il avait vécus mais dont le souvenir s’estompait.   

Malheureusement, atteint d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge, diagnostiquée comme irrémédiable et incurable, il perdit progressivement l’essentiel de la vision.

Malgré tous les stratagèmes qu’il imaginait avec ténacité pour retarder l’échéance, sa vue lourdement dégradée, lui interdisait désormais de lire un texte, autrement que mot après mot et sans le concours d’un amplificateur d’image, de regarder la télévision au-delà de quelques centimètres d’un écran outrageusement désaxé par rapport à lui, de conduire sa voiture et enfin de prendre des photos ou d’écrire…

Ces deux derniers handicaps furent certainement les plus douloureux et moralement les plus insupportables! Il ne renonça pourtant jamais à l’écriture, 

Pour la photo en revanche, il ne s’obstina pas, probablement parce qu’il ne pouvait concevoir de produire de médiocres clichés.

Sa dernière prise de vue fut réalisée le 1er octobre 2011.

A la différence des photos antérieures, cet ultime cliché enregistré sur la carte mémoire de son appareil est loin d’être du même niveau technique que ce qu’il produisait auparavant. Il en était certainement conscient et c’est sûrement la raison principale qui l’incita à penser que ce serait le dernier.

En tout cas, le dernier qu’il se sentait encore en mesure d’entrevoir! A ce titre, c’est sûrement, aujourd’hui,un des plus émouvants et aussi des plus énigmatiques! Comme si par le truchement de cette composition d’objets ou de cette mise en scène, qui ne devait sans doute rien au hasard, il souhaitait, au soir crépusculaire de sa vie de photographe amateur, délivrer – peut-être à notre adresse – un message visuel final de ce qui, pour lui, fit sens au cours de son existence. 

Au premier plan de l’image, est présentée une médaille commémorative de la Déclaration des droits de l’homme, enchâssée dans un socle en bois qu’il avait lui-même travaillé. A côté, une petite colombe de la paix, soudée sur un capuchon de sonnette de vélo.

En arrière plan, une vierge Marie en bois, objet de toutes les dévotions de notre mère, sa référence et son amour absolus, qu’il évoque explicitement au travers d’un buffet et d’une armoire de poupée qui lui appartenaient depuis sa tendre enfance. (Objets offerts à Adrienne, ma mère, par Clémence Venault née Fradin, sa grand-mère maternelle à la fin des années 1920)

Enfin pour compléter la scène, il plaça un cadre à l’image invisible, trop éblouie par le soleil. On sait qu’il s’agit de leurs portraits! Et enfin une soupière et une boite à gâteaux en fer. Pourquoi une soupière dans le tableau? Pourquoi la boite?  

Il survécut six ans à ce cliché testamentaire, sans jamais y faire la moindre allusion, sans jamais exprimer de nostalgie à propos de cet art photographique perdu qu’il affectionnait et que la fatalité lui avait confisqué, sans jamais enfin évoquer le devenir de cette oeuvre photographique assez considérable qu’il avait patiemment constituée et scrupuleusement conservée pendant plus de trois-quart de siècle!  

Toutes les interprétations demeurent plausibles. Ce qui est certain, c’est que cette dernière photographie prise par mon père ne relève pas du pur hasard.

A nous d’en rechercher les clés et de découvrir la teneur du message. 

 

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