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Posts Tagged ‘Jean-Marc Salinier’

Il y a vingt ans, le dimanche 20 janvier 2002, par une nuit sans lune, Jean-Marc Salinier (1944-2002) s’éteignait Forcément quand un ami nous quitte, la nuit est toujours « sans lune ». Foudroyé chez lui aux Ulis (91), par un infarctus du myocarde, il n’était âgé que de cinquante sept ans.

Au petit matin, la triste nouvelle diffusa dans la ville comme une trainée de poudre. Elle provoqua la sidération dans le cercle des élus municipaux des Ulis dont il était un des leurs depuis près de vingt ans. Depuis 1989, il était d’ailleurs le premier adjoint au maire et conseiller général du canton constamment réélu – et haut la main – depuis 1988.

Ce fut enfin la consternation dans les rangs de ses très nombreux amis, car Jean-Marc était avant tout un copain, c’est-à-dire quelqu’un de foncièrement chaleureux avec lequel on aimait « partager le pain »! Sans oublier le « bon vin » !

Originaire du Sud-Ouest, né en plein cœur du pays libournais, Jean Marc était en effet un passionné de la vie. Auprès de tous ceux qui l’approchaient, alliés comme adversaires politiques, il manifestait une sorte de convivialité joyeuse, sans pour autant taire de fortes convictions à gauche qu’il défendait avec ténacité. Et aussi avec beaucoup d’élégance!

Militant socialiste de longue date, il n’était pas de ces idéologues doctrinaires qui, depuis 1981, se disputaient la direction du parti socialiste dans le département de l’Essonne. Il n’appartenait en fait à aucune coterie même si, à la fin de sa vie, il se réclamait plutôt de la tendance hostile au tropisme technocratique socio-libéral du parti socialiste, aux côtés du très républicain et rugueux député des Landes Henri Emmanuelli (1945-2017).

A la différence de ses « camarades » essonniens aux egos surdimensionnés, qu’il croisait à la Fédération départementale et qui aspiraient à un destin national à l’avant-garde du mouvement ouvrier, il ne puisait pas, comme eux, la substance et le fil de ses discours dans une histoire instrumentalisée du marxisme ou du bolchévisme trotskyste. Doué d’authentiques talents de tribun populaire, c’était avant tout un pragmatique qui prenait le réel à bras le corps mais qui n’hésitait pas à « pousser un coup de gueule » lorsque les principes de liberté, d’égalité et surtout de fraternité, auxquels il se référait, lui apparaissaient bafoués avec cynisme. Et ce, quels que soient la nationalité, la couleur de peau, la religion ou l’âge de ceux auxquels il s’adressait avec véhémence.

Certes il préférait plutôt convaincre qu’imposer. Et à cet égard, il savait user, avec habileté, de sa voix grave et grumeleuse de fumeur, ainsi que des artifices bien rodés de la rhétorique militante, et même de la ruse, sans abandonner pour autant la logique de bon sens qui l’animait et le caractérisait, et surtout sans reculer d’un pouce sur les valeurs auxquelles il croyait. Valeurs de morale politique, que globalement, nous partagions! Dans ce registre, la rigueur et le travail étaient sa marque de fabrique et c’est ainsi qu’on l’aimait!

Grand affectif, parfois plus sentimental que froidement rationnel, il soutenait volontiers la controverse et ne redoutait pas l’affrontement dialectique, mais il n’en tenait nullement rigueur à ses contradicteurs, car il ne connaissait ni la rancœur, ni la rancune, même si parfois il exprimait certaines déceptions, en particulier après certains échecs. Ces derniers notamment électoraux furent rares au cours de sa carrière mais ils pouvaient l’affecter profondément et peut-être durablement. Ce fut certainement le cas en 1997 lorsqu’il perdit d’extrême justesse le siège de député de la cinquième circonscription de l’Essonne qu’il avait conquis sur la droite, deux ans auparavant à la faveur d’une élection législative partielle.

Le choc fut d’autant plus rude que cette année-là, la gauche devint majoritaire à l’Assemblée Nationale après la dissolution décidée par le Président Chirac et que Lionel Jospin, l’ancien patron des socialistes, devenait Premier ministre.

Sa nomination au Conseil Economique et Social en 1997 jusqu’en 1999 n’effaça pas complètement ce revers qu’il vécut comme une injustice, même s’il s’attela de son mieux, en travailleur consciencieux et homme de dossiers qu’il était, aux travaux très techniques de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, à laquelle il avait été affecté.

A son décès, Jean-Marc exerçait le mandat de premier adjoint au maire des Ulis mais également celui de vice-président du Conseil général de l’Essonne, chargé du sport, de la culture et de la vie associative. Il était en outre le leader local du Parti Socialiste.

Elément fédérateur n’appartenant à aucune des chapelles qui se chicanaient à la direction du parti socialiste en Essonne, il fut même, un temps, le « patron » œcuménique de la fédération socialiste du département.

Aux Ulis en tout cas, il incarnait l’autorité politique de proximité et était le leader incontesté de la gauche, surtout depuis que Paul Loridant (1948-2020), qui exerçait les mandats de maire et de sénateur, avait rejoint un peu moins de dix ans auparavant le Mouvement des Citoyens, cofondé par Jean-Pierre Chevènement et Max Gallo.

L’appartenance des deux personnalités Ulissiennes de la gauche non communiste à des formations politiques différentes, provoqua cependant quelque tension et suscita une certaine rivalité. Pour autant, ils abordaient les questions municipales de manière complémentaires. En outre, faisant preuve l’un comme l’autre, d’un grand sens des responsabilités et conscients que l’intérêt général primait, ils firent en sorte, que cette concurrence ne portât pas préjudice à la ville et n’entravât en rien sa bonne gouvernance.

Le pari fut tenu. En dépit de leurs divergences sur la politique conduite au niveau national, ils demeurèrent solidaires dans la gestion de la ville, y compris dans ses perspectives d’avenir.

Aussi en cette triste matinée du 20 janvier, tous les membres du conseil municipal joignables, quelles que soient leurs tendances ou options politiques, éprouvèrent le besoin de se réunir dans le cabinet du maire pour évoquer la mémoire de celui qui venait de nous quitter sans sommation dans la nuit. Sans autre propos que de rendre hommage à un ami unanimement apprécié. Chacun rappelant une anecdote ou un souvenir en sa compagnie, comme pour conjurer la surprise de sa disparition.

Rien, en tout cas, ne laissait présager une fin si précoce aux yeux de ceux qui le fréquentaient dans l’exercice de ses mandats politiques. Au-delà du militant politique, dynamique et volontaire, un peu « grande gueule » , c’était non seulement un ami fidèle qui nous quittait, mais aussi un homme dont on s’apercevait trop tard qu’il ne laissait rien paraitre de ses difficultés probables de santé et qu’il gardait sans doute pour lui, ses secrètes fêlures. C’est tout juste si certains d’entre nous savaient que quelque temps auparavant, il avait perdu un frère victime d’une crise cardiaque. Sur sa vie privée et intime, Jean-Marc ne discourait pas.

Elu de terrain avec la noblesse que ce statut requiert et dans toute l’acception du terme, Jean Marc était attentif aux accrocs de la vie de ceux qui se confiaient à lui dans ses permanences du samedi matin. Mais sûrement entrainé par son enthousiasme et ses responsabilités, il s’oubliait un peu lui-même.

Côte à côte au Conseil municipal des Ulis – années 1990

Pur produit du Sud-Ouest, émigré en Ile-de-France pour motif initialement professionnel, Jean Marc était, avec un style qui lui était propre, le digne héritier des radicaux-socialistes d’antan, qui fondèrent la République mais qui étaient d’abord d’inflexibles humanistes épris de la philosophie des Lumières. Comme eux, il aurait aimé haranguer le citoyen sous les préaux d’école. A sa manière d’ailleurs, il s’y livrait ne ratant jamais une occasion de débattre avec ses concitoyens. Avec l’accent chantant en prime et de préférence le soleil rasant des soirées estivales préélectorales. Comme eux, il parlait haut et fort et aimait les joutes oratoires.

De métier, Jean-Marc était cadre supérieur de la Poste. Les circonstances de la vie ont fait que la politique, c’est-à-dire, à ses yeux, le service de la collectivité, a fini par monopoliser sa vie. Mais il n’a pas rejoint la politique active tel un haut fonctionnaire formaté à l’art de l’esquive et destiné à prospérer puis à pantoufler sous les ors de la République. Il n’a pas cherché non plus à se transformer en théoricien du marxisme ou en donneur de leçons d’histoire du socialisme.

Son sens des autres, son empathie spontanée et son besoin d’être utile, autrement dit, son militantisme inné, se sont d’abord exprimés et presque naturellement au sein du mouvement associatif, notamment celui des Jardins Familiaux des Ulis, créés en 1979 au sud de la ville pour permettre aux familles des HLM de s’aérer et retrouver le plaisir ancestral de cultiver la terre. Et de fil en aiguille, via aussi son intérêt pour le sport aux Ulis pour lequel il se mobilisa également, le virus politique a progressivement investi son quotidien puis une grande part de son existence, jusqu’à ce sinistre 20 janvier 2002 où la mort a pris le relai sans crier gare !

Vingt ans après que reste t-il des traces laissées par Jean-Marc Salinier, de ses engagements militants ou de son exemple, au-delà d’un nom à l’entrée d’un stade ?

Pour les plus anciens, des souvenirs demeurent, qui se bousculent comme ces apéros du samedi matin après nos permanences respectives. Nous refaisions le monde, la clope au bec et un verre de whisky à la main! Il reste ces séances mémorables du Conseil municipal jusqu’à tard dans la nuit… Ces tirades ou ces engueulades amicales. Il reste le souvenir de ces réunions de section du PS dans une salle enfumée de la Maison pour tous des Amonts puis dans le local du parti encombré d’affiches et de tracts. Il reste les collages de nuit dans la ville endormie et les tractages du dimanche matin sur le cheminement piétonnier dominant le marché des Ulis à l’angle de la pharmacie.

Même ces lieux ont été aujourd’hui reconfigurés.

Pour les moins de vingt ans, n’appartenant pas au cercle de ceux qui l’ont connu, il est donc possible que son seul nom n’évoque plus rien d’autre que l’adresse d’un stade de foot ou d’une manifestation d’athlétisme ! Le temps qui passe est décidément cruel et ingrat.

De même que reste t-il de la Gauche de Jean-Marc Salinier! Qu’est-elle désormais devenue? Généreuse, progressiste, joyeuse, désintéressée, solidaire et fraternelle, et solidement ancrée sur des principes humanistes, elle est en voie de disparition. Existera-t-elle demain ailleurs que dans les livres d’histoire au chapitre de Jean Jaurès ou de Léon Blum?

Devenue inaudible faute d’avoir su actualiser son discours et sa vision du monde, elle se montre aujourd’hui incapable d’entrevoir l’avenir ou même de susciter la moindre utopie. Pourquoi?

Inaudible et sans voix, à force d’en avoir trop, discordantes et opportunistes. Ne sachant plus trop où elle habite, cette Gauche s’obstine malgré tout à ressasser de vieux poncifs hors d’âge et à nier une réalité démographique, sociale et sécuritaire et même identitaire, à bien des égards troublante, et qui pourtant s’impose à tous. Elle continue de ronronner, reniant, les valeurs mêmes qui l’ont portées et guidée comme la laïcité. Et ce, au nom d’une pseudo-tolérance faisant la part belle à l’intolérance et à l’obscurantisme que nos pères nous avaient appris à rejeter.

Prisonnière de la montée en puissance d’une pensée mystico-religieuse et climato-angoissante, elle renonce à postuler que l’avenir de l’humanité réside dans le progrès, et se transforme en une sorte de caveau d’ambitions subalternes, aussi envahissantes, stériles et finalement nocives que les gaz à effets de serre dans l’atmosphère terrestre.

Aujourd’hui, cette Gauche qui fut le berceau de toutes nos espérances, est moribonde. Suicidaire elle apparait « éparpillée par petits bouts, façon puzzle » comme disait Bernard Blier dans les Tontons Flingueurs. Façon puzzle, mais sans perspective crédible de recomposition.

Jean-Marc Salinier est bien mort, il y a vingt ans, mais on ne parvient pas à faire le deuil de sa conception progressiste de la société et de son évolution. Fut-t-il vraiment un des derniers mohicans socialistes à visage humain? Une dernière lumière à l’approche d’un trou noir. Espérons que non!

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