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C’était une fin d’été presque ordinaire. L’été 1958. Du dôme des dunes qui dominaient et bornaient la plage de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, la ligne d’horizon devenait floue, le ciel et la mer se confondant en brume, tandis que des nuages s’accumulaient au loin. Stratus précurseurs de l’arrivée prochaine d’une dépression atlantique.

Saint Gilles Croix de Vie

 

Manifestement la météo était un peu moins clémente que quelques jours auparavant. Mais pas encore maussade! Les maillots en coton à ras le cou et les shirts faisaient leur réapparition, annonciateurs, avant l’heure, de la rentrée des classes et de l’automne désormais latent avec ses bourrasques de feuilles mortes et de marrons d’Inde jonchant la cour de l’école… Au printemps, le général de Gaulle était revenu au pouvoir et les Français espéraient qu’il remettrait de l’ordre dans un vivier politique déliquescent. Ils souhaitaient surtout que son autorité suffise à mettre fin à cette sale guerre d’Algérie dans laquelle la France pataugeait depuis quatre ans, défendant parfois l’impossible… Tous souhaitaient la paix, mais pas toujours la même… En attendant, dans les allées du pouvoir, on préparait une nouvelle constitution pour la France. On disait qu’en octobre, cette réforme institutionnelle serait soumise aux français par référendum!

En réalité, les enfants de la photo – comme tous les enfants du monde – se moquaient éperdument de cette actualité qui semblait tant préoccuper les adultes. Ils n’en ignoraient pas les grandes lignes, car on en parlait devant eux, le soir, à la table familiale en commentant les « nouvelles » diffusées sur le poste de radio à lampes de la cuisine…Mais ils écoutaient d’une oreille distraite…Le fait d’avoir entrevu la haute stature du Général à la Une du Courrier de l’Ouest au cours du mois de mai ou juin, ne suffisait pas à les intéresser. Pourtant, si on leur avait demandé ce qu’ils pensaient des événements, ils auraient sûrement affirmé sans barguigner leur accord avec leurs parents, c’est-à-dire en l’occurrence, leur désaccord avec ce qui se tramait à Paris…

Mais cet avis parental auquel ils adhéraient sans réserve comme des petits canards, ne troublait nullement leur sommeil, seulement peuplé de songes enfantins ou parfois de cauchemars, les nuits d’orage ou les lendemains d’excès de chocolat… Ils n’y accordaient pas plus d’importance que celle concédée aux « réclames » pour les « Bébés Cadum »ou aux épisodes du feuilleton radiophonique de Radio-Luxembourg, la célèbre famille Duraton. A leurs yeux, de Gaulle ou Massu n’étaient que des personnages dont on parlait à la radio, à la fois familiers et virtuels, qui n’exerçaient ni plus ni  moins d’influence sur le cours des choses que les héros de la célèbre famille, incarnés chaque soir par Jean Granier, Ded Rysel, Yvonne Galli, et autres Jane Sourza…

Bref, ces enfants-là n’étaient pas gaullistes, car leurs parents – se réclamant de l’approche mendésiste de la démocratie – ne l’étaient pas non plus. Les enfants suivaient. Pour autant, leur quête d’eux-mêmes et le besoin de s’affirmer n’empruntaient pas alors les chemins de la politique, qu’ils percevaient comme d’incompréhensibles élucubrations d’adultes ! Et c’est bien ainsi ! Evidemment, ils devaient malgré tout rechercher une certaine « cohérence » – pour reprendre un terme galvaudé – entre ce discours qu’ils admiraient par affection filiale, et le point de vue opposé de leur grand-mère maternelle, qui voyait en de Gaulle l’éternel Sauveur de la France en péril. Autant dire que les enfants ne parvenaient pas à surmonter cette contradiction. Ils ne cherchaient d’ailleurs pas à le faire car il s’en accommodait sans se prendre la tête. Ce dilemme de « grands » n’était en fait qu’apparemment cornélien, car finalement ce qui comptait pour eux c’est l’amour qu’ils se portaient tous, à l’égard de tous! Ce pari consensuel impossible à soutenir, était sans conséquence sur leur vie quotidienne, car les enfants ne pouvaient imaginer un instant qu’on puisse prendre prétexte de telles futilités extérieures à la famille, pour se quereller. Ils avaient en outre ressenti très vite et très tôt que leur aïeule avait au moins deux bonnes raisons de soutenir le Général : d’abord, en sa qualité de libérateur de la France en 1944, et surtout pour contrecarrer un gendre qu’elle n’aimait guère et dont elle ne supportait pas les idées.

Lui, progressiste, syndicaliste chrétien et démocrate moderne – il sera un des délégués de la fédération CFTC du Maine-et-Loire au congrès fondateur de la CFDT en 1964-  désapprouvait formellement les conditions très « bonapartistes » de la prise du pouvoir par de Gaulle ainsi que le projet de nouvelle République à connotation fortement présidentielle! A l’époque, l’analyse de la gauche progressiste était de considérer que la présidentialisation à outrance du pouvoir constituait un déni de démocratie, une sorte de « coup d’Etat permanent: ce n’est plus l’option des énarques « voltériens » actuels, qui renvoient ces considérations puériles aux vieilles lunes du 19ième siècle ! …

Elle, la grand-mère, était au contraire, une femme d’ordre autoritaire, qui affichait sans complexe son penchant conservateur…Elle assumait avec courage ses choix! En tout cas, pour les enfants, il ne pouvait être question de désavouer Papa pour faire plaisir à la grand-mère! Ni de se fâcher avec « Mémé » pour des motifs, malgré tout, assez énigmatiques…

En cette fin de vacances 1958, alors que le soleil décline sur la mer, la photographie de groupe de rigueur témoigne de biens d’autres tracas que les préoccupations et querelles politiques des adultes… Un groupe au demeurant involontairement élargi à des intrus, dont un poids-plume au slip trop large, qui n’aurait pas dépareillé parmi les jeunes coqs s’affrontant « pour la gagne » sur le ring de l’Elysée-Montmartre!

Quoiqu’il en soit, chaque membre de la famille sait que, dans quelques heures, il faudra faire (refaire) les valises et ranger serviettes de plage et maillots de bain y compris ceux tricotés qui pendent lamentablement quand ils sont mouillés. Et s’apprêter à quitter Saint-Gilles…Finis les jeux de plage, finis les jeux de cache-cache dans les blockhaus désaffectés et la découverte de restes de batteries désarticulées du mur de l’Atlantique ou de rail de débarquement toujours visibles à l’estran à marée basse…et échoués là, il y a, à peine, quinze ans.

Demain ou après-demain, on reprendra le train pour Angers…On découvrira bien plus tard – des années après – que ce sera le dernier train qu’on empruntera, tracté par une locomotive à vapeur. Alors on se souviendra avec un brin de nostalgie des escarbilles qui piquaient les yeux quand on baissait les vitres des compartiments de seconde, non climatisés…

Pour l’heure sur la dune, c’est la fin des réjouissances…Dès maintenant, on entrevoit, sans joie excessive, le moment proche de la reprise du travail ou de l’école. Et, hier comme aujourd’hui, cette perspective n’avait rien de jubilatoire…Les visages hâlés ne parviennent plus vraiment à sourire à l’objectif du photographe, en dépit de probables injonctions, les regards affichant au contraire une certaine résignation, voire tristesse, à l’idée de devoir quitter la plage, ses jeux et la mer…

Déjà, la famille tourne le dos à ce qui déjà relève presque du passé ou s’apprête à y sombrer irrémédiablement. Chacun des protagonistes, petit ou grand, sait intuitivement que les personnages qui se figeront dans quelques instants sur le film argentique, n’existeront plus que dans leurs mémoires. C’est le moment où l’on installe durablement les souvenirs, conservant de ce présent bientôt déchu que les moments simplement heureux de vacances en famille , en l’occurrence dans une de ces « maisons de famille » pionnières d’un tourisme social qui ne prendra son plein essor que dans les années soixante…

Ces réminiscences de vacances joyeuses demeureront ultérieurement de précieux viatiques. Surtout que depuis, une des jeunes enfants de la photo a tiré définitivement sa révérence et que tous, frère, sœurs, père et mère, se sentent orphelins d’elle. Ces souvenirs sont de même nature pour tous, mais ils présentent pour chacun des variantes spécifiques que l’on cultive sa vie durant, comme un trésor caché… Ainsi le jeune garçon qui, alors, n’avait pas dix ans et qui ne présente que de très lointains traits de ressemblance avec un vieil homme cacochyme et égrotant que je supporte quotidiennement, se souvient que c’est au cours de ces « congés payés familiaux de 1958 » qu’il découvrit la magie des aubades romantiques et coquines de Georges Brassens.  Au cours de ces longues soirées d’été, où l’on entendait de l’unique chambre exiguë occupée par la famille, au premier étage d’une cour intérieure, les jeunes ados de l’époque, marivauder et jouer à la guitare les trois ou quatre accords de base des « Bancs Publics » de Brassens…Une révélation que l’avenir n’a jamais remise en cause !

Savait-on en ces instants d’enfance que les meilleurs moments peuvent produire de l’éternité, à la condition d’en prolonger durablement la saveur et que c’est ce rôle qui fut assigné à cette photo?

J’ignore à quoi pensait le petit garçon qui s’apprêtait à « intégrer la classe de 7ième» –  CM2 en langage moderne – à l’école Saint-Augustin de la rue du Colombier à Angers…Il y retrouva le « frère Marcel » son instituteur de 8ième, qui jouait au foot en soutane à la récré ! Un bon maître que ce « frère Marcel ». Le gamin se rappelle qu’il sentait la sueur, lorsqu’il parcourait les travées de pupitres en récitant le rosaire…L’habit des « montfortains » puait… Faut dire qu’il ne s’apparentait que de très loin aux tenues sportives vendues chez Décathlon, dont il faisait pourtant office!

Frère Marcel, comme tous ses « frères » de  Saint Gabriel des écoles chrétiennes sentait la virilité insatisfaite ! Mais il n’était pas pédophile…Plusieurs décennies plus tard, le petit garçon déniaisé, s’est dit que ça devait fermenter sous la robe… Encore, qu’à la réflexion, le remugle était très supportable et qu’il n’était sans doute pas le seul fait des humeurs intimes du bon frère, exacerbées ou sublimées par le sport et confinées dans le froc! L’odeur composite était sûrement attribuable à un mélange subtil d’arômes de saintes huiles et d’encens, de stéarine des cierges, de cire des prie-Dieu de la chapelle de Marie, de l’amidon du surplis sacerdotal, et enfin du savon de Marseille dont l’instituteur mulotin faisait un fréquent usage en hiver après avoir bourré le poêle à charbon de la classe !

En cette fin d’été 1958, je ne suis pourtant pas certain que les pensées du petit garçon allaient, même à la mode buissonnière, vers son instituteur qui à cette heure devait être en prière à Saint-Laurent-sur-Sèvre…et qui, pas sectaire pour un sou, lui conseilla, l’année suivante d’intégrer un lycée d’Etat et le prépara à l’examen d’entrée.

Ses petites sœurs ne songeaient sans doute pas plus à la rentrée à l’école « libre » des religieuses de la Madeleine, rue Saumuroise… De même,  le père, ajusteur outilleur qualifié et syndicaliste dans la toute nouvelle usine Ducretet-Thomson d’Angers ne devait pas encore penser, en cette fin de congés payés,  à ses copains d’atelier ou à l’amélioration des conditions de travail sur les chaînes de montage de téléviseurs…Quoique !

Possible néanmoins que la mère réfléchissait déjà aux habits qu’elle allait confectionner « aux filles » pour la rentrée et aux fournitures scolaires ! Ainsi qu’aux coûts occasionnés, car dans une famille ouvrière, il fallait forcément compter …

Pour les enfants, quoiqu’on en dise, la fin des vacances est toujours triste…

C’est toujours vrai… Sauf peut-être pour les plus âgés devenus sédentaires, qui aspirent souvent à la fin des migrations estivales de leurs proches, synonymes de solitude …

La vie quotidienne reprend le dessus…

A l'affiche en 1958

A l’affiche en 1958

 

 

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Il n’est pas certain que, l’ayant connue, j’eusse partagé toutes les convictions de cette arrière-grand-tante, sœur aînée de mon arrière-grand-père Alexis Turbelier, l’organiste et comédien paroissial de la Madeleine à Angers au début du siècle dernier – et auquel j’ai consacré une notice biographique dans ce blog. Seule fille dans une fratrie de sept garçons – sa jeune sœur Adèle ayant vécu moins d’un an – Marie Turbellier devint « bonne sœur », au grand regret , sinon au grand dam, dit-on, de sa mère Marie Fillion (1828-1911), qui  aurait mieux apprécié que sa fille devînt à son tour une classique épouse d’un gars du coin, avec laquelle elle aurait pu partager quelque connivence intime.

En dépit d’une foi sans doute chevillée au corps, la femme du perrayeur de Montjean-sur-Loire, Mathurin Turbelier (1825-1896) avait probablement quelque difficulté ou réticence à envisager que le choix de devenir « l’épouse du Christ » fût un destin enviable !  C’est pourtant celui que fit Marie, la très pieuse Marie ! Le 27 mai 1876, à 22 ans, elle devint religieuse dans la communauté angevine de Saint-Martin-la-Forêt (Filles de la Charité de Sainte Marie) à Angers.

Des quelques correspondances d’une époque tardive (en 1917), dont nous disposons et qu’elle a adressées à sa nièce Germaine  – une des filles d’Alexis – on peut penser qu’elle fit une partie de son noviciat dans le quartier de la Madeleine, car chacune de ses lettres comporte une demande expresse de saluer de sa part ses amies de la Madeleine ! En son nom bien sûr, mais aussi au nom de ses compagnes, qu’elle appelle curieusement « les demoiselles » ! En fait, depuis l’intervention de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les religieuses portaient des habits civils en ville et n’utilisaient pas leurs noms en religion à l’extérieur de leurs couvents.

Sa vocation fut donc assez précoce. Moins, tout de même que son « illustre cadette » – celle pour laquelle elle eut une véritable dévotion – Marie-Françoise Thérèse Martin,  née en 1873, plus connue sous le nom « Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus » qui entra au couvent à Lisieux à quinze ans et y mourut à vingt-quatre ans de tuberculose. A la différence de son modèle, Marie Turbellier ne semble pas s’être consacrée de manière exclusive à la contemplation du corps du Christ. Il est à cet égard symptomatique que ses correspondances soient signées, non de son pseudo de religieuse mais simplement d’un ostentatoire «  Marie Turbellier, institutrice libre ».  Ce qui atteste qu’outre les prières dont sa prose était abondamment émaillée, elle enseignait le calcul et l’écriture dans une école primaire confessionnelle catholique. Durant – au moins – les dix dernières années de sa vie, elle fut la directrice d’une école, à Pierrefitte-es-Bois dans le Loiret. Ecole que les descendants des vendéens militaires des régions de l’ouest, comme notre héroïne, avaient une curieuse propension à qualifier de « libre » depuis l’obligation scolaire instaurée par Jules Ferry et depuis l’instauration d’une école laïque dans chaque ville et village de France!

D’ailleurs, on voit que la dame qui peine à rédiger une phrase sans référence religieuse, écrit fort bien : ses lettres bien formées, avec des pleins et des déliés de démonstration, renvoient à l’odeur de l’encre violette des encriers en porcelaine blanche de notre enfance, et aux porte-plumes au manche en bois de noisetier !  Marie non seulement calligraphie joliment son courrier, mais elle rédige élégamment, en adepte certainement éclairée de la grammaire de Malherbe ! Ses phrases comportent toujours un sujet, un verbe et un complément et possèdent cette caractéristique étrange d’apparaître systématiquement inspirées, y compris lorsqu’elles traitent de sujets parfaitement anodins, comme de s’enquérir du sort réservé aux étrennes adressées par elle à tel ou tel de ses neveux ou nièces. On devine que le divin la chatouille sans relâche. Son style et ses bondieuseries sont ceux d’une autre époque! Celle d’une guerre larvée permanente entre les autorités laïques et la religion catholique. C’est en cela que sa correspondance – bien que peu nombreuse – s’apparente à un petit trésor à conserver absolument et précieusement dans le grenier de notre mémoire.

Je ne possède en fait que quatre lettres couvrant un peu plus du premier trimestre de l’année 1917. Elles fournissent quelques clés pour comprendre la cohérence de cette femme, Marie, qui est peut-être à l’époque la supérieure de sa petite communauté à Pierrefitte-es-Bois dans le Loiret et la directrice de l’école. Elle est alors âgée de soixante-trois ans et a acquis une maîtrise parfaite du discours formaté de la bigoterie ambiante ! Mais dans le même temps, ses propos manifestent une grande sensibilité et une sourde inquiétude pour sa famille, c’est-à-dire pour celle de ses frères Alexis, clerc de notaire à Angers et celle de son frère Ernest qui réside à Asnières en région parisienne. Tous les deux ont en effet un fils sur le front, et en ce début d’année 1917, ce qui domine, c’est le pessimisme : le doute contamine aussi bien les tranchées que les villes de l’arrière, sur le sort victorieux de cette guerre qui s’éternise et qui chaque jour amène son lot de morts et de souffrance. Éloignée des combats, Marie est néanmoins bien informée du déroulement des opérations militaires et elle s’en alarme, comme le ferait n’importe quelle tante célibataire se préoccupant de la santé de ses neveux et nièces. Sa contribution à l’effort de guerre, elle l’apporte par la prière, multipliant les neuvaines avec ses compagnes, ainsi que les adorations collégiales de l’hostie, au sein de l’Archiconfrérie de Notre-Dame-du-Sacré-Cœur.

Ainsi, dans ses vœux pour l’année 1917, après avoir souhaité « la cessation (…) de ce terrible fléau qui plane sur notre chère France, depuis 2 ans ½ », elle s’exclame : « Pour cela, prions, prions beaucoup et avec persévérance, sans jamais se lasser, le bon Dieu viendra certainement à notre secours, nous délivrera de nos ennemis et nous sauvera…. ». Suit un discours un peu convenu sur l’intercession de la Vierge Marie  et sur la nécessité de communier fréquemment, plusieurs fois par semaine, et d’adhérer (gratuitement) à la Ligue pour la Conversion des Pécheurs  Avec notre regard moderne, ce type de propos indigeste – et d’autres encore plus surannés – fleure bon l’intégrisme religieux, et d’ailleurs ces organisations, auxquelles se réfère Marie, « ont fait des petits jusqu’à aujourd’hui » en particulier dans la contestation post et anti-conciliaire. Mais dans le contexte de la Grande Guerre, ils montrent au contraire que l’Eglise, y compris dans ses composantes traditionnelles, a choisi la France et a pris fait et cause pour la solidarité avec la République, face à l’ennemi extérieur, en l’occurrence l’allemand ! Marie est patriote et le revendique.

Au-delà de cette posture, on retrouve sans doute aussi un peu une Marie responsable et autoritaire, qui s’insurge du fait que ses neveux ne répondent qu’avec une certaine désinvolture à ses lettres souvent accompagnées de colis de vivres. Le fait qu’ils pataugent dans la gadoue des tranchées n’est pas -à ses yeux- une excuse valable! Non mais! Elle exige au moins des remerciements, comme si ses poilus qu’elle aime bien, passaient un agréable séjour dans des champs de bleuets. Ces passages sont émouvants, car on y détecte aussi beaucoup de tendresse, qu’elle tente vainement de masquer dans une logorrhée de religiosité. La femme aimante transperce sous le voile de la religieuse… Et pas seulement la femme aux sens emprisonnés, qui n’aime son prochain qu’à travers Dieu !

Bien sûr, la lecture de cette correspondance « miraculée du temps » – si j’ose dire – révèle un personnage mystique dont les choix de vie sont aux antipodes des miens. Mais l’époque était culturellement si éloignée de nous et si tragique, qu’il n’est sans doute pas pertinent d’esquisser des comparaisons. Autre temps, autres mœurs ! O tempores, o mores !

Disons que ces lettres fort bien composées – j’allais écrire, « troussées » – sont un précieux et pudique témoignage d’une femme de tempérament, avec laquelle il eût été probablement passionnant d’échanger des arguments et d’entretenir un dialogue à la fois « viril » et tendre. Trop tard, l’aïeule qui signait toujours, en tant qu’ »institutrice libre » a disparu en 1926 !  On ne saura donc jamais rien de ses options pédagogiques. Ni de ce qui la motivait vraiment, une fois enlevé le vernis du missel. Ni même de son visage, car à ma connaissance aucune photographie d’elle ne circule…

Mais si d’aventure, cette vierge putative en habit noir était béatifiée, a fortiori sanctifiée par le pape, l’agnostique que je suis aimerait bien être présent à Rome, pour boire à sa santé et à sa longévité post mortem… L’éternité c’est long, surtout vers la fin !

Qu’elle me pardonne mes quelques saillies impertinentes qui ne sont destinées, si longtemps après, qu’à lui redonner chair! Nous t’embrassons, tantine!

Eglise de Montjean-sur-Loire

PS : Très bientôt, les quatre lettres seront mises en ligne in extenso sur ce blog !

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 Deux personnages, que j’ai déjà eu l’occasion de mentionner à plusieurs reprises, ont exercé une influence importante sur la vie du quartier de la Madeleine à Angers durant la première partie du 20ème siècle. Leur aura et leur légitimité comme autorités locales ne résultaient pas d’une fonction administrative ou d’un mandat électif, mais d’un magistère à la fois moral, culturel et éducatif. L’un, Félix Fruchaud, fut curé de la paroisse pendant presqu’un demi-siècle, de 1900 à 1945, tandis que l’autre, Ernest-Léon Cragné fut le directeur et l’instituteur emblématique de l’école Saint-Augustin du début des années 1920 jusqu’à la fin des années 1950. C’est d’ailleurs sur l’initiative du curé Fruchaud, fondateur de cette école primaire et chrétienne de garçons que « Monsieur Cragné » y fut appelé comme directeur à la rentrée 1922.

Eglise basilique de la Madeleine à Angers

Le curé et l’instituteur partageaient en gros les mêmes objectifs missionnaires et leurs relations étaient probablement empreintes d’une sorte d’attachement filial car l’un, né en 1856 aurait pu aisément être le père de l’autre né en 1887. Le curé, plus âgé, était natif de Trémentines dans le Choletais non loin de Nuaillé où fut tué en janvier 1794 l’un des derniers chefs mythiques de la révolte vendéenne, Henri de de La Rochejaquelein, « Monsieur Henri », tandis que l’instituteur avait vu le jour à Bourg-Sous-La Roche, banlieue rurale de la ville impériale de la Roche-sur-Yon.  Ils étaient donc tous les deux originaires du périmètre historique des guerres de Vendée et du territoire de la Petite Eglise qui avait refusé le concordat de Bonaparte en 1801. Cette proximité géographique servait de ferment à une connivence naturelle qui ne fut sans doute pas étrangère à leurs convictions politico-religieuses communes, ancrées dans un terroir et une histoire, qui conduisit le curé Fruchaud à s’opposer presque physiquement aux inventaires en 1906 et à la loi de 1905 sur la laïcité. Néanmoins, on peut penser que, dans cet attelage idéologique qui curieusement fait écho au prosélytisme agressif actuel de certains imans de banlieues, Ernest-Léon Cragné a sans doute manifesté un légalisme républicain plus affirmé que celui de l’ecclésiastique.

Si je les évoque ici, c’est que parce que, jusque dans les années soixante, il était presque impossible de résider dans le quartier de La Madeleine à Angers sans que les anciens ne ressassent, admiratifs, les réalisations du curé et ne vantent les méthodes pédagogiques, parfois musclées, de l’instituteur.  Ils demeuraient omniprésents dans les esprits, alors même que Félix Fruchaud avait disparu dans sa 98ème année, le 14 février 1954 et qu’Ernest-Léon Cragné jouissait d’une paisible retraite. Chacun dans son style avait été le porte-drapeaux symbolique d’un catholicisme triomphant et conquérant.

Catholicisme qui, dans les provinces de l’Ouest, persistait à enseigner, une dizaine d’années après la Shoah, et en toute bonne foi, que l’origine de la malédiction des juifs trouvait ses racines dans leur responsabilité dans le calvaire et la mort du Christ ! Félix Fruchaud ou Ernest-Léon Cragné s’étaient sûrement abstenus de tenir de tels discours après la seconde guerre mondiale, mais leur révérence à la tradition d’une église ultramontaine et sulpicienne avait créé les conditions de cet antisémitisme populaire d’entre deux guerres, qui fut le complice passif d’un crime innommable. Après 1945, ce discours était certes mis officiellement en veilleuse, mais je peux attester avoir entendu ce type d’assertion douteuse sur le caractère déicide des israélites dans les propos d’aumôniers des écoles au début des années soixante alors que j’étais âgé d’à peine plus d’une dizaine d’années.

En tout cas, sur la paroisse de la Madeleine, grâce à l’action conjuguée et militante du curé et de l’instituteur, ainsi qu’à celle d’aristocrates angevins et de dames patronnesses, nostalgiques du comte de Chambord et de la duchesse de Berry, et donateurs des bonnes œuvres paroissiales, la religion catholique exerçait une influence sans partage sur une population qu’elle encadrait de la naissance à la mort, en prenant en charge son éducation, sa culture et ses loisirs. Cet impérium qui était hostile à toute autre forme exogène de confessions, perçues comme hérétiques et assimilées à des viviers d’apostats, était mesurable au nombre de communautés religieuses qui s’étaient implantées dans le quartier et aux envolées de cornettes ou de soutanes qu’on croisait sur les trottoirs de la rue Saumuroise. A fortiori, l’engagement politique républicain et radical était considéré ici comme l’expression tangible de l’œuvre du Malin

Je n’ai jamais croisé Félix Fruchaud. Ordonné prêtre en 1879, il avait été professeur à l’externat Saint Maurice et aumônier du Bon Pasteur à Angers, avant d’être nommé curé de la Madeleine en 1900. Ce « Bon Pasteur » où l’on enfermait sous la surveillance de religieuses,dans le but de les « rééduquer » des filles mineures de mauvaise vie ou présumées telles. Tout un programme !  .

J’ai connu en revanche Monsieur Cragné qui fut mon premier instituteur. Je revois avec reconnaissance et attendrissement ce vieux monsieur en cravate et blouse grise, qui nous faisait la classe au premier étage de l’imposante bâtisse de l’école Saint Augustin. L’école qui se trouvait à l’origine rue Saumuroise avait emménagé depuis peu rue du Colombier dans les locaux d’une ancienne congrégation religieuse à proximité du petit séminaire de Mongazon. La rue  longeait le mur d’enceinte des cours de tennis de l’actuel stade Jean Boin, qu’on appelait à l’époque « le stade Bessonneau ».  Monsieur Cragné, âgé,  n’en était plus le responsable.  Le directeur c’était un frère de saint Gabriel, frère Hormisdas dont la calvitie m’impressionnait ainsi et surtout que sa manière très particulière de tenir un stylo entre le pouce et l’index, en raison d’une mutilation ancienne d’un doigt. De cette période, j’ai retenu qu’il était de bon ton de se souvenir que le bienheureux fondateur de la congrégation des frères de Saint Gabriel de Saint Laurent-sur-Sèvres était Saint Louis Marie Grignon de Montfort… J’aimais répéter ce nom, qui résonnait comme le refrain rythmé d’une hypothétique chansonnette … Il était, de même, bien vu de se rappeler les principaux épisodes de la vie de cet homme exemplaire et austère qui vivait, je crois, au 18ème siècle …

Monsieur Cragné et frère Hormisdas

De l’enseignement de monsieur Cragné, qui avait été l’instituteur de mes oncles Turbelier dans les années trente, comme celui de beaucoup de petits garçons du quartier nés entre 1920 et 1940 dans les familles catholiques, il me reste deux souvenirs marquants : l’un d’ordre pédagogique dont la vertu serait aujourd’hui vigoureusement contestée et qui conduirait sûrement l’instituteur devant un tribunal de police pour maltraitance. Qu’on en juge ! Pour faire régner l’ordre dans sa classe et mater les élèves indisciplinés, Monsieur Cragné usait d’un balai qu’il nommait Baptiste, dont les coups assénés sur les fesses montraient la voie du coin de la salle – transformé de facto en pilori – au garçon turbulent qui était inviter à méditer sa faute pendant un certain temps. L’autre souvenir fut certainement à l’origine de mon goût pour l’histoire : l’instituteur consacrait en effet une large part de son enseignement à raconter sa Grande Guerre. Le 11 novembre, il défilait d’ailleurs fièrement avec les anciens combattants qui se rendaient, drapeau en tête, à la rituelle messe solennelle dans la basilique du Sacré Cœur.

En dépit de tout celà, c’était un excellent instituteur, totalement dévoué à ses élèves et à son école.

Le curé Fruchaud, déjà trop âgé n’avait pas été mobilisé en 1914 mais son rôle ne fut pas négligeable pendant cette guerre comme soutien spirituel et moral des familles de la paroisse, notamment lorsqu’il fallait informer de la disparition d’un fils, comme ce fut le cas en mai 1918 pour Alexis Turbelier tué sur le front de la Somme.  Ami presque intime du père – en l’occurence de mon arrière-grand-père  – il avait tenu à être présent au moment de l’annonce du décès officiel par les autorités administratives. Car, il se voulait protecteur et consolateur de ses ouailles!

Personnage complexe, contradictoire, le curé haut en couleur de la paroisse de la Madeleine entre 1900 et 1945 fut en outre chanoine honoraire d’Angers et de Tulle. Prêtre de combat, missionnaire à la mode coloniale, évangélisateur et bâtisseur, on lui doit, non seulement la fondation d’écoles, mais également d’un centre aéré, Saint Gabriel pour occuper les gamins, le jeudi, et pendant les vacances, d’un cercle paroissial et d’un jeu de boule de fort, d’une compagnie de théâtre et même d’une salle de spectacle parmi les plus imposantes du Maine et Loire. C’était en quelque sorte l’archétype de ces hommes d’église, héritiers spirituels des moines défricheurs du Moyen Age et des prêtres réfractaires qui, à la fin du 18ème siècle, enflammèrent les troupes vendéennes ou chouannes contre la Convention en refusant de prêter le serment à la Nation exigé par la constitution civile du clergé.  Avec le même état d’esprit que ses « glorieux prédécesseurs » et malgré un appel à la modération des autorités de l’évêché, le curé Félix Fruchaud n’hésita pas à se barricader dans son église au soir du 1er mars 1906 avec quelques-uns de ses paroissiens, dont Alexis Turbelier,  pour s’opposer aux inventaires de biens de l’église en application de la loi de 1905 sur la séparation des religions et de l’Etat.

Article du Courrier de l’Ouest lors du jubilé du curé Fruchaud en 1949

Désintéressé, cet excellent et tonitruant prêcheur était aussi un remarquable rédacteur et pamphlétaire, qui n’hésitait pas à braver les autorités et à s’affranchir sans état d’âme de la loi, au nom de sa propre conception conquérante et autoritaire de la foi catholique. Il fut souvent victime de son entêtement et de ses excès, comme en 1906 où l’administration plaça son propre presbytère sous séquestre.  Malgré ces errements  qui ne seraient guère admissibles, ni même concevables aujourd’hui, fondées sur certaines pétitions de principe hautement discutables, voire condamnables à la lumière de nos standards modernes, ainsi que sur un sectarisme religieux qui n’est malheureusement pas totalement passé de mode, il serait non seulement vain mais injuste de renier Félix Fruchaud et Ernest-Léon Cragné, qui furent l’un comme l’autre des honnêtes hommes.  Leur temps est certes révolu mais nous sommes leurs héritiers et, malgré tout, il serait malvenu de rougir d’eux au nom d’une interprétation rigoriste et anachronique de leurs agissements . Nous devons les assumer et les considérer sans réticence comme des éléments de notre patrimoine commun. Et c’est pourquoi, j’ai pensé qu’il était utile, de leur rendre un hommage en évitant d’en brosser une image d’Epinal comme ce fut très souvent le cas depuis une quarantaine d’années. Ils n’avaient pas que des idées recevables mais ils en avaient, ainsi que des convictions qu’ils défendaient avec courage et ténacité : la langue de bois dont on fait les pipeaux leur était inconnue… Pourtant, chacun l’a compris, aujourd’hui, je ne serais pas dans leur camp et je combattrais leur influence politique …

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