Feeds:
Articles
Commentaires

Posts Tagged ‘Guerre de 14-18’

Depuis quelques temps, de « grands » stratèges, officiers supérieurs en réserve de l’armée française, désormais « demi-solde », ont tendance à arrondir leurs fins de mois en nous gratifiant, avec plus ou moins de pertinence, de leurs analyses géostratégiques sur les médias d’infos en continu. Ils remplacent ceux qui tenaient jusqu’alors le haut du pavé du fait des circonstances épidémiques et climatologiques, à savoir les experts – parfois autoproclamés – de l’épidémiologie ou encore les chantres écologistes du développement durable, de la biodiversité et de la transition énergétique, accessoirement prophètes du suicide annoncé de l’espèce humaine.

Ce qu’il y a de paradoxal dans les discours de ces flopées d’experts, c’est le recours d’une part, à de multiples euphémismes ou litotes pour dédramatiser une réalité souvent sombre et d’autre part – dans le même temps – à des prévisions inquiétantes sur « notre planète », à savoir le pire du pire, c’est-à-dire une « nouvelle extinction des espèces vivantes ». Le tout étant assorti d’accusations ciblées sur les excès coupables du libéralisme débridé et surtout de dénonciations de la rationalité occidentale responsable, selon eux, d’une modernité destructrice. Bref, nous sommes en permanence confrontés à des figures oxymoriques déroutantes, propres à accentuer nos tendances schizophréniques !

S’agissant précisément des retraités galonnés de la République, qui peuplent les plateaux télévisuels depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine, il n’est pas inintéressant d’observer que ces spécialistes qui ont troqué leurs rangers pour des charentaises et des cols ouverts ainsi que leurs fusils d’assaut pour des microphones, n’usent plus que très rarement du mot « guerre » pour caractériser la situation. Victimes ou acteurs consentants d’une sorte de déni de réalité, ils se comportent – peut-être à leur corps défendant – à la manière du tyran russe qui masqua l’agression d’un pays souverain en l’affublant initialement du nom « d’opération militaire de dénazification ».

Ainsi en lieu et place de la « guerre  » réservée plutôt aux affrontements sanglants du passé, nos savants experts militaires préfèrent employer, selon les circonstances, les termes « conflit de haute intensité » ou encore « opérations militaires extérieures de la France ». Ces dernières sont même identifiées par un petit nom qui ne signifie rien pour le commun des mortels mais qui présente l’avantage d’évoquer précisément la guerre d’un corps d’armée expéditionnaire sans la citer ni la localiser avec précision.

Ainsi les opérations en Lybie en 2011 s’appelaient Harmattan, au Mali en 2013 c’était Serval, Sangaris en République centrafricaine en 2013 et finalement Barkhane au Sahel en 2014 et ainsi de suite. Actuellement en 2022, le renforcement du dispositif militaire effectué pour le compte de l’OTAN par l’armée française en Roumanie est crédité du joli nom d’Aigle. Il s’agit sûrement d’un clin d’œil à la Grande Armée de Napoléon. Lequel à son retour victorieux de l’Ile d’Elbe au printemps 1815 prononça ces mots:  » L’aigle avec les couleurs nationales volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame ». Bon ou mauvais présage: c’est selon…

Quoiqu’il en soit, on hésite aujourd’hui à désigner un affrontement armé entre belligérants par le mot « guerre ». Probablement parce la notion même de belligérant est désormais réfutée, sauf par ceux qui en sont directement les victimes innocentes comme aujourd’hui les ukrainiens.

Une opération militaire de dénazification russe en Ukraine en 2022

La guerre est ainsi devenue virtuelle. Plus exactement elle s’apparente pour ceux qui ne sont pas sous les bombes, aux épisodes quotidiens d’une série télévisée. En tout cas, elle ressemble de plus en plus et de manière addictive aux jeux vidéo dont raffolent les préadolescents manipulant de manière compulsive les manettes des Playstation ou des consoles Switch.

Formellement, quelle différence y-a-t ‘il en effet entre la vraie guerre et un jeu vidéo, puisque dans la plupart des cas, il s’agit de tuer un maximum d’adversaires et que les résultats sont comptabilisés sur des écrans?

La réalité devenue fiction ne peut donc plus être définie autrement que par des concepts flous. La notion de « conflit de haute intensité » relève de cette ambiguïté. Laquelle constitue évidemment une entrave à la compréhension d’une situation conflictuelle par le citoyen et donc à sa résolution.

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément » disait en son temps Boileau …

Qu’est-ce donc au juste qu’un « conflit de haute intensité » en ce premier quart de siècle? Est-ce simplement un affrontement qui ferait appel à des armements de haute technologie numérique, cybernétique, aéroportée ou nucléaire?

Si les moyens modernes de l’artillerie, des transmissions ou de transport de troupes sont effectivement mobilisés ou inclus dans la notion de  » conflit de haute technologie », la définition est plus politique. Plus technocratique si l’on ose dire, car ce ne serait pas tant les techniques utilisées que le contexte qui permettrait de qualifier de conflit de haute intensité, des face-à-face guerriers vieux comme le monde mais de plus en plus violents.

Selon le Centre Français de Recherche sur le Renseignement, groupe de réflexion stratégique indépendant, on parle de « conflit de haute intensité », quand « cela implique des affrontements dans lesquels l’existence même des Etats belligérants peut être remise en cause. Ce sont donc des guerres qui mobilisent l’ensemble des moyens humains, matériels, financiers et industriels d’un Etat »!

A cette aune, les deux guerres mondiales du siècle dernier étaient manifestement des conflits de haute intensité. Elles l’étaient comme la prose de Monsieur Jourdain. Néanmoins, une telle définition, un tantinet alambiquée qui fleure bon l’énarchie, aurait-elle été suffisamment explicite en 14-18 pour exacerber le patriotisme de nos poilus jusqu’à mourir pour la France? On peut en tout cas s’interroger…

C’est cette interrogation qui me traversait l’esprit lorsque récemment, assistant à la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918 dans ma commune, un officiant citait la longue liste des soldats tués aux cours de la Première Guerre mondiale. Ils étaient presque tous paysans et pour accepter l’ultime sacrifice, il fallait qu’on leur indique clairement qui était l’ennemi et pourquoi on les envoyait dans une vraie guerre qui devint rapidement une boucherie!

Telles étaient les questions que je me posais, alors que des gerbes de fleurs étaient déposées au pied du monument aux morts du cimetière communal pour honorer la mémoire des millions d’hommes sacrifiés. Questionnement sans réponse satisfaisante alors que la guerre est de nouveau présente sur le sol européen, avec la même sauvagerie qu’il y a un siècle avec son lot de destructions, de charniers et de bombardements de populations civiles. De quel autre mot faut-il user alors que la nature de la guerre demeure cruelle et aveugle, destructrice?

La foule n’était pas massivement présente au rendez-vous de cette cérémonie citoyenne. A sa décharge, on en est à la quatrième génération après les combattants de 14-18 et la dernière, celle des enfants des écoles n’entrevoit plus les horreurs de la guerre qu’au travers d’une périphrase, d’hominidés se battant à mort sur des tablettes et ignore une histoire qui n’est plus officiellement enseignée et qui, faute d’être transmise, ne la concerne pas.

Il va donc falloir que nos stratèges tous issus de l’élite technocratique réfléchissent sérieusement aux mots qu’ils emploient pour enthousiasmer, s’il y a lieu, les futurs soldats de l’an II! L’usage abusif des périphrases et celui des litotes arrangeantes ou encore des métaphores approximatives et trompeuses devraient être bannis. A moins que l’intention soit, à l’exemple des dictatures, d’égarer et d’embrouiller le citoyen.

Une guerre c’est une guerre! Toujours tragique. Rien d’autre… Les dégâts sont de la même ampleur dans le Donbass ou sur le front de Verdun.

Destructions 14-18 : Guerre, Grande Guerre ou conflit de haute intensité?

_________

PS : Cet article est dédié aux soldats de 14-18 de ma famille ou de relations proches, qui ignoraient sûrement qu’on les avait mobilisés dans un « conflit de haute intensité ». Mais dans une guerre sans merci. J’en ai croisé certains.

Les « morts pour la France:

  • Albert Venault (1893-1918) adjudant du 6ème Régiment du Génie  grand oncle maternel
  • Alexis Turbelier (1897-1918), caporal du 135ème RI  – grand oncle maternel
  • Marcel Maurice Pasquier (1895-1915) soldat du 135 ème RIcousin de mon grand-père paternel
  • Léon Elie Toulemon (1889-1914), soldat du 9 ème RIdemi-frère de sang du grand-père de mon épouse
  • Georges Duguet (1895-1914), soldat du 32 ème RI un ami et voisin de mes grands-parents maternels
  • Léon Antoine Chauviré (1880-1914)  : un cousin éloigné sur la branche maternelle et voisin
  • Les frères Paul et Henri Barbin du Lion d’Angers, morts des suites de la guerre: employeurs d’un de mes arrière-grand-pères paternels , 

Les « blessés ou mutilés »

  • Marcel Emile Pasquier (1892-1956) cavalier, chasseur d’Afrique, mon grand-père paternel
  • Gustave Firmin Debenay (1889-1951) soldat du 125 ème RI  grand père de mon épouse
  • Lucien Montazel (1898-1989) soldat, blessé de guerre, trépané,  cousin du père de mon épouse
  • Gustave Boussemart (1891-1938) soldat du 148 ème RI  grand-oncle maternel
  • Michel Joseph Gallard (1896-1962), sous-lieutenant du 135 ème RI. grand-oncle maternel

Les autres mobilisés

  • Auguste Cailletreau (1892-1975), soldat « poilu d’Orient »;grand oncle paternel
  • Joseph Cailletreau (1888-1973), soldat prisonnier de guerre; grand oncle paternel
  • Ernest Cragné, instituteur, soldat mon premier instituteur
  • Albert Théophile Debenay (1894-1975) grand-oncle de mon épouse
  • Baptiste Pasquier (1890-1937) cousin de mon grand-père
  • Paul louis Joseph Delhumeau (1888-1945), aumônier militaire, cousin
  • Louis Turbelier (1899-1951), mon grand-père maternel

Fusillé pour l’exemple

  • Maurice Beaury (1892-1915) soldat angevin victime de la bêtise/cruauté de l’état major de son régiment

Read Full Post »

Après huit années d’armée et de combats en Algérie, au Maroc et enfin à partir de l’automne 1916 sur le Front français, le chasseur d’Afrique Marcel Pasquier (1892-1956) avait au moins deux bons motifs d’être optimiste en cette fin d’année 1918. Le premier motif partagé par tous les soldats fut évidemment l’armistice si longtemps attendu, signé dans la clairière de Rethondes en forêt de Compiègne au petit matin du 11 novembre, qui mettait fin, le jour même à onze heures, aux affrontements meurtriers et aux tirs d’artillerie sur l’ensemble des lignes de front. Il libérait enfin les combattants des différentes armées en présence de cette angoisse permanente de la mort qui les tenaillaient depuis quatre ans.

La seconde raison qu’avait Marcel d’entrevoir l’avenir avec une certaine sérénité, était son mariage, le 21 octobre 1918 au Lion d’Angers, avec une jeune lionnaise, de cinq ans sa cadette, Marguerite Cailletreau (1897-1986), rencontrée au cours de l’été 1916, alors qu’il était en permission chez son oncle Baptiste Pasquier, habitant du bourg. Au soir de sa vie, Marguerite disait que ce fut un coup de foudre réciproque. Pudique, Marcel n’a, pour sa part, laissé aucun témoignage direct sur cet épisode, mais, dès l’automne 1916, il a « biffé » de son carnet intime, les adresses de ses autres amies de cœur.  « Biffé » mais pas « effacé »! On ne sait jamais…

Quoiqu’il en soit, l’hypothèque de la poursuite du massacre étant levée, il pouvait entrevoir l’avenir avec sérénité et se laisser aller à rêver d’une vie familiale paisible avec son épouse. Leur lune de miel avait été malheureusement écourtée, puisque moins d’une semaine après les noces, il dut rejoindre son régiment.

En conséquence, dès le 3 novembre 1918, Marcel se retrouvait en première ligne sur les rives de la Meuse dans la boucle de Saint-Mihiel au sud de Verdun aux côtés des troupes américaines…

Par la suite, jusqu’à l’armistice, il participa à toutes les offensives des armées alliées. D’ailleurs, durant ce dernier mois de guerre, l’armée allemande démoralisée et mal ravitaillée par des bases arrière désorganisées du fait de l’agitation révolutionnaire à Berlin, ne cessa donc de battre en retraite.

C’est dans ce contexte, à l’issue d’avancées victorieuses ininterrompues qu’au jour de l’armistice, son escadron, le quatrième escadron du sixième régiment de chasseurs d’Afrique avait atteint Saint-Pierre-sur-Vence dans le département des Ardennes. C’est là que Marcel entendra le clairon sonner la fin des hostilités. Il se trouvait alors à moins de cent kilomètres des lieux de son enfance, à Vervins en Thiérache où vivaient encore ses parents dans une zone occupée par l’ennemi depuis quatre ans….  

Après quelques jours à Saint-Pierre-sur-Vence, l’arme au pied, mais prêt à intervenir en cas de violation du cessez-le-feu, le sixième régiment de chasseurs d’Afrique, conformément aux clauses de l’armistice, remonta via la Belgique et le Luxembourg vers l’Allemagne tandis que les divisions allemandes devaient parallèlement se retirer – sous quinzaine – des régions picardes, lorraines et alsaciennes, sous leur botte depuis l’été 1914. Elle devait de surcroît évacuer toute la rive gauche du Rhin. 

Pour Marcel, la frontière allemande en Rhénanie Palatinat fut franchie le 10 décembre 1918, presque en même temps que les troupes américaines. En effet, les conditions d’armistice imposées à l’Allemagne comportaient l’occupation par les alliés des têtes de pont de Mayence, Coblence et Cologne sur la rive droite du Rhin et l’instauration d’une zone neutralisée de dix kilomètres sur cette même rive droite de la Hollande à la Suisse… 

Entre décembre 1918 et juin 1919, Marcel fut donc modestement un acteur de cet ultime épilogue de la Grande Guerre, au cours duquel, au fil des cantonnements successifs de son escadron, il descendit le Rhin jusque dans le Bade-Wurtemberg et en Forêt Noire… 

Cette occupation militaire n’avait rien, par principe, d’une escapade touristique sur les bords du légendaire Rhin romantique de la Lorelei, mais ce n’était pas non plus la guerre… Dans ses carnets, Marcel observe que les habitants de ces régions occupées dorénavant par les alliés, et qui avaient été relativement préservés par la guerre, sont « serviables » mais que naturellement, ils « n’aiment pas beaucoup les français ». 

Curieusement, bien qu’il ne s’en explique pas, il les trouve  » mal habillés quoique vêtus de costumes chers ». Il concède cependant à ces paysans rhénans qu’ils « travaillent beaucoup ». En fin de compte, le pays lui fait une « assez bonne impression ». 

La vallée du Rhin et ses coteaux semblent le fasciner, comme je le fus également moi-même, bien des décennies plus tard, chaque fois que j’eus le privilège de parcourir ces mêmes lieux qui inspirèrent Goethe et tant de poètes!

Guillaume Apollinaire (1880-1918)

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes

Sur un fifre lointain un air de régiment

Le Rhin romantique (photo JLP)

Ainsi, à la date du 8 mai 1919, alors que son régiment était basé à Eckarsweier,  non loin de Fribourg-en-Brisgau dans le Bade-Wurtemberg , il écrit : 

Je me suis mis en tête de faire une grande promenade. Je suis parti à midi et demi et suis allé jusqu’à Willstät à six kilomètres de Eckartsweier et, de là, à Kork, puis à Bodersweier, et de Bodersweier à Kehl (au bord du Rhin en face de Strasbourg) et enfin, je suis retourné à Eckartsweier… 

Ce jour-là, il est manifestement en grande forme. Une condition physique, somme toute normale, pour un jeune homme de vingt-sept ans, qui ne ressent de ses années de guerre qu’une légère douleur – au demeurant persistante – dans la « région trochantérienne » gauche – globalement la région de la fesse au haut du fémur – souvenir d’une blessure par balle de gros calibre en 1912 au Maroc. 

Lors cette balade, il aura tout de même parcouru, quelques vingt-cinq kilomètres en moins de deux heures et demi, dans les paysages superbes et vallonnés des confins de la Forêt Noire et par un temps qu’il qualifie lui-même de splendide.  Toutefois il ne précisa pas s’il s’était déplacé à cheval ou à pied! 

En résumé, ce 8 mai 1919, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes… De surcroît, malgré les obligations du soldat, dont il ne pouvait s’affranchir, il semblait disposer quasiment « à vau-l’eau » d’un temps personnel non contraint et bénéficier manifestement de loisirs.

En sa qualité d’infirmier depuis la mi-août 1918, il n’était en effet plus tenu comme le cavalier qu’il était auparavant, d’effectuer les corvées quotidiennes liées à l’entretien des montures et au nettoyage des écuries. Pendant les hostilités, si l’on en juge par ses écrits, la fonction d’infirmier n’avait rien d’une sinécure. constamment occupé à soigner les plaies, les aseptiser, effectuer des pansements ou encore apporter les premiers soins à des victimes de gaz asphyxiants ou « vésicants ».  Et souvent, accompagner des mourants démembrés par des obus et transpercés à la baïonnette!  Après les assauts et les bombardements, la tâche était risquée et éprouvante tant moralement que physiquement.

Mais, depuis le cessez-le-feu, le va-et-vient des brancards, transportant des hommes ensanglantés s’était interrompu et les infirmeries des unités de combat s’étaient progressivement vidées de leurs « gueules cassées » qui avaient toutes rejoint les hôpitaux militaires de l’arrière… Ne restaient désormais que les malades souffrant de pathologies « classiques » ou supposées telles comme cette « foutue » grippe – importée, disait-t’on, par le corps expéditionnaire américain. Cette grippe sévissait dans les rangs depuis avril 1918, sans gravité notable au début.

Mais, depuis l’automne 1918 jusqu’au printemps 1919, sa contagiosité et sa virulence s’étaient considérablement accrues.  On l’appelait la « grippe espagnole » bien qu’elle se fût déclarée aux Etats-Unis au printemps 1918. Une rumeur prétendait même que cette maladie avait été provoquée par des conserves alimentaires venues d’Espagne contaminées par des agents allemands. La réalité était autre. Elle est désormais connue et son origine, comme l’actuelle pandémie, serait à rechercher en Chine. 

Les symptômes étaient presque toujours les mêmes chez les jeunes soldats qui en étaient atteints, et qui, ayant échappé à la mort pendant la guerre, voyaient leur vie menacée par une grippe, une fois la paix revenue. Les premiers signes de la maladie se manifestaient d’abord sous la forme d’une forte fièvre parfois accompagnée d’une extrême fatigue et de céphalées épouvantables. S’ensuivaient généralement des troubles respiratoires plus ou moins importants, qu’on appelait de façon générique des « bronchites ». En quelques jours, ils pouvaient conduire un infortuné soldat au seuil de la mort, du fait notamment de surinfections bactériennes favorisées par un affaiblissement concomitant de leur système immunitaire et bien sûr, à l’époque, de l’absence d’antiobiotiques!

Toutefois, à la différence de la pandémie virale actuelle imputable à un coronavirus, dont les formes gravissimes semblent surtout concerner les personnes les plus âgées des populations, la grippe de 1918-1919 – d’ailleurs imputable à un virus différent (de type H1N1) s’attaquait surtout à de jeunes adultes entre vingt-cinq et trente ans.  

Heureusement la plupart des poilus en réchappait mais certains, malgré tout, en conservèrent des stigmates et furent affligés d’handicaps, y compris après leur guérison officielle… Ce fut probablement le cas de mon grand-père Marcel, qui dut en outre endurer, sa vie durant, des difficultés de mobilité, liées à sa blessure de 1912, se surajoutant aux conséquences d’un paludisme ancien contracté comme chasseur d’Afrique dans le Maghreb entre 1911 et 1916! 

En mai 1919, Marcel Pasquier se trouvait donc sans conteste, dans le cœur de cible de la « grippe espagnole », le risque étant amplifié par son affectation à l’infirmerie du régiment, et aux soins qu’il devait prodiguer aux malades sans que nécessairement toutes les précautions fussent prises. 

Néanmoins, sa santé ne souffrit d’aucune alerte notable jusqu’à la fin mai 1919.

Le 17 mai, son escadron changea de lieu de garnison pour rejoindre la caserne Saint-Nicolas à Strasbourg. Et à cette occasion, Marcel dit sa satisfaction d’avoir participé à la revue du colonel et au défilé qui s’ensuivit. Tout donne même à penser qu’il visita ensuite la capitale de l’Alsace redevenue française, qu’il la trouva « belle » ainsi qu’il le mentionne dans son précieux petit carnet de guerre… 

C’est sans doute vers le 25 ou 26 mai 1919 que son état de santé commença à se dégrader et qu’il suscita de l’inquiétude, notamment chez ses collègues, les autres soignants du régiment…

En tout état de cause, il fut admis le 27 mai 1919 à « l’hôpital 10 A à Neudorf -Strasbourg », en raison comme le précise le billet d’admission, hâtivement renseigné par un médecin auxiliaire – d’un « état grippal au cours du service ».

Ce diagnostic initial n’évoluera pas fondamentalement.

A son départ de l’hôpital de Strasbourg, le jeudi 12 juin 1919 – soit  deux semaines plus tard – le médecin traitant se contentera de préciser que Marcel Pasquier fut victime d’une « bronchite grippale » et préconisera un mois de convalescence, répartie en une permission de dix jours qu’il passera auprès de sa jeune épouse au Lion d’Angers, et en un séjour de vingt jours dans un établissement hospitalier spécialisé.

Dès le samedi 14 juin 1919, il rejoindra donc le Lion d’Angers.

Dix jours plus tard, il sera admis à l’hôpital militaire de Bligny en région parisienne (ancienne Seine-et-Oise et désormais en Essonne) qui, en tant qu’annexe et sanatorium de l’hôpital Dominique Larrey de Versailles accueillait depuis 1914, des sous-officiers et soldats atteints de tuberculose et de diverses affections pulmonaires…   

Marcel y résidera une quinzaine de jours, car selon son carnet, il est présent à Angers, au 14 juillet 1919. Il est en permission libérable et d’ailleurs le 19 juillet 1919, après plus de huit ans sous les drapeaux, il fut enfin démobilisé… 

La grippe espagnole lui aura épargné la vie sans que l’on sache précisément la gravité de son affection.

Mais elle lui aura laissé des séquelles. C’est la raison pour laquelle le médecin-chef du Centre de Réforme d’Angers, constatant en 1922, son « état général médiocre » proposa qu’on lui octroie une pension d’invalidité de 40% justifiée par  » une induration du sommet pulmonaire. Susmatité sus-épineuse et sous-claviculaire »

Autrement dit, il souffre d’une forme de fibrose pulmonaire, qui lui occasionnera par la suite des troubles fonctionnels respiratoires… 

Mais la période de l’entre-deux guerres est déjà à l’économie des finances publiques au détriment des petites gens.

Ainsi, bien que le diagnostic des médecins de l’administration ne fasse état d’aucune amélioration de son état de santé et même qu’à l’inverse, ils précisèrent que Marcel était affecté d’une sclérose pulmonaire du sommet droit , le chef de bureau « compétent » – un certain Lescamel – du ministère des Pensions, des Primes et des Allocations de guerre, crut bon dans sa grande sagesse, de considérer qu’il s’agissait d’un handicap mineur. En conséquence, il lui « rabota » par deux fois son taux d’invalidité pour le ramener en 1927 à 10%! Ce qui réduisait d’autant sa rente! 

Le zélé fonctionnaire dont on ne sait d’ailleurs s’il fut lui-même un ancien combattant ou simplement un rond-de-cuir planqué, s’était déjà signalé en 1923 en décidant d’autorité que la douleur – certes supportable – ressentie à la jambe par Marcel du fait de sa blessure par balle en 1912 n’ouvrait pas droit à pension.

Selon lui, un léger boitillement à vie n’était en rien une gêne! 

En guise d’épilogue, au moment où la France entière est menacée par une pandémie virale mortifère d’ampleur inédite et comparable par ses effets et par l’effroi qu’elle provoque à l’épidémie de grippe espagnole de 1918-1919 (qui fit -pense-t’on- vingt millions de morts dans le monde) il est bon de se rappeler que l’humanité au cours de son histoire vécut et surmonta de nombreuses tragédies analogues.

Aujourd’hui, nous sommes certainement mieux gréés techniquement et scientifiquement que jadis pour y parer, et parvenir à vaincre la maladie. Cela suppose d’abord d’être solidaires et disciplinés dans la mise en oeuvre des consignes de prévention et des mesures barrière pour freiner la contagion.

Faire preuve ensuite d’optimisme et se convaincre, coûte que coûte, qu’on peut toujours progresser pour domestiquer des phénomènes qui nous sont a priori très défavorables ! Cela suppose de croire un peu dans les progrès de la science pour déjouer les mécanismes mortifères de ces virus qui nous font la guerre.

Et enfin, on peut aussi miser sur la chance et croiser les doigts car l’expérience multiséculaire des épidémies dévastatrices d’origine bactérienne, bacillaire ou virale montre qu’elles disparaissent toujours des radars à un moment ou à un autre, au cours des changements de saisons ou au hasard d’une mutation génétique de l’agresseur. Et ce, sans qu’on sache précisément pourquoi. 

S’agissant du cas particulier de mon grand-père, ce n’est pas la grippe espagnole qui l’a tué, ni la guerre, ni la tuberculose à laquelle il a également échappé, mais une des maladies dégénératives des temps modernes, un cancer… Et même d’un parmi les plus redoutables et toujours incurables, le cancer du pancréas. C’était en 1956! 

Infirmières américaines à New York, en partance pour la France en 1918

PS : L’hôpital de Bligny dans l’Essonne, dans lequel Marcel Pasquier effectua sa convalescence en 1919, fut rendu à sa vocation d’hôpital civil après guerre. Devenu un Centre hospitalier privé, c’est celui – coïncidence troublante – au sein duquel son fils Maurice Pasquier vécut les ultimes jours de son existence et où il décéda le 6 novembre 2017 dès suites d’un cancer du pancréas… Étrangement, de la même maladie que celle qui emporta Marcel en 1956! .

 

 

 

Read Full Post »

Fin avril 1919.

Il y avait désormais plus d’un semestre que l’armistice avait été signé dans le wagon-salon du maréchal Foch dans la clairière de Rethondes en forêt de Compiègne et que le clairon eut sonné la fin des hostilités. Depuis, les combats sanglants et les massacres de masse des soldats de la Grande Guerre avaient cessé.

Mais la guerre n’était pas pour autant terminée en ce printemps 1919. Elle ne le sera qu’après la signature des traités de paix entre les belligérants, dont le premier entre l’Allemagne et les alliés, sera paraphé dans la galerie des Glaces du château de Versailles, le 28 juin 1919

En attendant, la plupart des poilus étaient encore sous les drapeaux et dans les jours qui ont suivi le cessez-le-feu, tandis que l’armée allemande se repliait, de nombreux régiments de l’armée française, traversant la Belgique et le Luxembourg s’étaient avancés jusqu’à la frontière allemande. Laquelle fut franchie, non sans émotion et fierté dès la fin de l’année 1918, conformément aux clauses de l’armistice, qui prévoyaient, à titre préventif, l’occupation de la Sarre et de la Rhénanie.

Nombre d’unités de l’armée française furent embarquées dans cette ultime aventure, sans doute moins périlleuse que les affrontements proprement dits, mais non sans risques car les populations autochtones n’accueillaient pas avec enthousiasme ces troupes « ennemies » qui, par leur présence, rendaient tangibles la défaite de l’Allemagne…

C’est ainsi que les régiments dans lesquels servaient mes deux grand-pères se déployèrent sur les deux rives du Rhin, en particulier dans la région de Coblence et en Forêt Noire. Ce fut également le cas du 135 ième régiment d’infanterie d’Angers, celui d’un de mes futurs grand-oncles, le sous-lieutenant Michel Joseph Gallard (1896-1962).

Au premier mai 1919, il était donc en Allemagne et c’est dans ce contexte que Germaine Eugénie Turbelier (1896-1990), sa fiancée et marraine de cœur, lui adressa « au loin, là-bas » une pensée porte-bonheur, agrémentée de la photographie de quelques brins de muguet disposés en bouquet!

Cette belle histoire d’une jeune femme amoureuse, confiant ses tendres espoirs à une boîte à lettres du quartier de la Madeleine à Angers, aurait pu, sans doute, se conclure ici!

Mais la qualité très  « relative » de cette carte et le flou de l’image m’intriguèrent et m’inspirèrent une ébouriffante fable. Comme pré-requis à mon récit, il m’apparaissait en effet recevable de postuler que cette précieuse et charmante correspondance avait dû surmonter mille obstacles avant d’atterrir dans ma messagerie électronique, cent ans après qu’elle fut émise!

Mais quels types d’obstacles au juste?

Se pourrait-il par exemple que le préposé à la poste d’Angers, qui, en avril 1919, releva la boîte à lettres, dans laquelle Germaine avait déposé son courrier, fut ému par la teneur du message? Se peut-il en outre qu’il fut un bricoleur génial, doté d’un savoir faire hors norme en matière de lancement de fusées et doué d’une connaissance encyclopédique de la science physique de son temps? Se peut-il enfin que ce brave homme souhaitant secrètement satisfaire les amoureux ait sciemment accéléré l’envoi de ce message dans des proportions inimaginables que seul un savant d’une audace sans pareille aurait pu concevoir en rêve? Et qu’il soit ainsi parvenu à conférer au courrier, une vitesse d’acheminement dans l’espace, proche de la vitesse de la lumière à quelques millièmes de mètres par seconde près!

Vertigineux.

On peut alors penser que dans ces étranges conditions, propres à donner le tournis aux esprits les plus rationnels, le message ait subi  » naturellement » quelques contraintes et déformations, affectant la qualité et le rendu de la photographie, ceux précisément que l’on observe aujourd’hui. Mais s’il en avait été ainsi, la déconvenue la plus déstabilisante et la plus déroutante voire dérangeante aurait affecté le transporteur lui-même ou son transitaire chargé de suivre les lettres et d’assurer la distribution.

En dépit d’un voyage qui n’aurait pas excédé – selon lui – quelques jours, conformément aux tolérances et aux standards prévus par le règlement des Postes, le malheureux facteur se serait trouvé dans la quasi-impossibilité, une fois revenu sur le plancher des vaches avec sa sacoche de cuir, de trouver l’adresse indiquée et donc de s’y rendre pour transmettre ledit courrier au jeune sous-officier, devenu inconnu d’un bataillon fantôme. Comme si ce lieu mentionné n’existait pas ou plus exactement n’existait plus depuis fort longtemps! Comme si rien ne subsistait d’un passé qu’il pensait si proche – hier, avant-hier ou la semaine dernière – et qui serait devenu si lointain.

Tout se serait passé comme si un siècle s’était écoulé sur cette terre depuis le départ de la lettre pour un voyage que le transporteur aurait évalué à quelques jours à une vitesse avoisinant celle d’un rayon de lumière. Comme si, du fait de cette célérité astronomique, le temps était devenu strecht, autrement dit élastique, glissant sur des mailles déformées d’un espace désormais indéterminé et énigmatique!

Désappointé par les conséquences si troublantes qu’impliquait cette fable, digne d’Alice au pays des Merveilles, je me suis finalement abstenu de la retenir comme une hypothèse crédible pour expliquer les imperfections du cliché !

Je n’imagine pas en effet, que dans l’exercice de son métier, un quidam en uniforme de la Poste – fût-il aussi imaginatif et cultivé que le facteur Cheval ou aussi fantasque que celui de Jacques Tati – ait pu en 1919 et à son corps défendant, se trouver confronté à la réalité paradoxale et relativiste du réglage déconcertant des horloges en mouvement, mise en lumière par Einstein, quatorze ans auparavant, et décrite fictivement par le savant Paul Langevin en 1911…

Je n’imagine pas que quelqu’un puisse se prêter de lui-même à cette expérience existentielle mais -convenons-en – très hasardeuse.

J’ose même avancer que si d’aucun l’avait conçu comme un scénario possible, il n’aurait pas eu les moyens de le réaliser. D’ailleurs, cette objection expérimentale demeure encore d’actualité à l’échelle humaine!

Je me résous donc à admettre que cette carte, adressée par Germaine à Michel Joseph fin avril 1919 a bien été réceptionnée sur les bords du Rhin le 1er mai de cette année-là, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux prodiges de la facétieuse Nature…

En septembre 1919, lorsque Michel Joseph Gallard fut démobilisé, il rapporta le message à la Baumette où il habitait, et le conserva comme l’irremplaçable témoignage de l’amour de sa bien-aimée…

Cent ans plus tard, c’est leur fille cadette – Rose l’Angevine pour ce blog – qui le redécouvrit en classant les archives de ses parents. Elle m’en fit copie sur un scanner en phase probable d’obsolescence, qui très prosaïquement explique peut-être la qualité approximative de la reproduction!

Ce qui est, en revanche, parfaitement avéré, sans qu’il soit nécessaire d’échafauder de rocambolesques mises en scène, c’est que la carte du 1er mai 1919 et ses petites clochettes ont effectivement rempli leur rôle de porte-bonheur, puisque Germaine Turbelier et Michel Gallard se marièrent à Angers le 11 février 1920…

La suite relève de leur intimité.

 

PS: Pour les curieux de science, on peut rappeler en quelques lignes – extraites de Wikipedia – l’expérience de pensée de Paul Langevin, couramment intitulée « le paradoxe des horloges ou paradoxe des jumeaux » :

« Des jumeaux sont nés sur terre. L’un fait un voyage aller-retour dans l’espace en fusée à une vitesse proche de celle de la lumière.

D’après le phénomène de dilatation des durées de la relativité restreinte, pour celui qui est resté sur terre la durée du voyage est plus grande que pour celui qui est parti dans l’espace.

Pour chaque jumeau, le temps s’écoule normalement à sa propre horloge, et aucune expérience locale ne permet au jumeau voyageur de déterminer qu’il est en mouvement pendant l’aller ou le retour. Mais quand ce dernier rejoint le jumeau terrestre, il s’aperçoit qu’il a mesuré au total moins de secondes et il rentre donc plus jeune que son jumeau resté sur terre ».

Aussi étrange que cela puisse paraître, l’expérience a été faite à maintes reprises dans des accélérateurs de particules et la dilatation ou le ralentissement des temps ont pu être observés.

 

Read Full Post »

Cent ans après, qu’ajouter sur ce lundi mémorable de l’armistice, aux dizaines de milliers de pages consacrées depuis un siècle à ce qui fut l’épilogue du premier massacre de masse des temps modernes, celui suicidaire et absurde de la jeunesse européenne, et de proche en proche de celle du monde?

La relation des faits est aujourd’hui connue de tous, depuis la signature de l’armistice dans la clairière de Rethondes dans la forêt de Compiègne aux clairons sonnant la fin des combats sur les lignes de front, jusqu’à l’enthousiasme délirant de la foule parisienne acclamant Clemenceau et Foch et prenant d’assaut – le dernier assaut – la cour de Bourgogne au Palais Bourbon!

Inutile d’y revenir! Les parades protocolaires des chefs d’Etat sous les caméras des commentateurs parachèvent désormais la légende tandis que des historiens de circonstance et des experts militaires, accrédités y apportent les compléments qui s’imposent, c’est-à-dire les développements hasardeux requis pour combler nos modernes sensibilités…

L’heure n’est cependant pas (plus) à la polémique sur la sincérité de ces manifestations grandiloquentes auxquelles par la force du temps qui passe, aucun poilu n’est plus présent, sauf par procuration au travers de sa descendance, qui, si elle en a encore le loisir assistera, modestement aux cérémonies plus intimes des villages ou des villes.

Pour tous les autres, ceux gagnés par le grand âge qui conservent la photographie de leur père, grand-père, grand-oncle ou cousin en uniforme bleu-horizon d’un régiment d’infanterie, posée sur le buffet de leur salle à manger, sur le rebord de leur cheminée ou dans un tiroir de la commode standardisée de leur chambre d’EHPAD, le spectacle « mémoriel » sera télévisuel.

C’est sur le petit écran, leur principal compagnon de solitude, qu’ils et -majoritairement – elles regarderont les commémorations à l’Arc de Triomphe… Pour une fois, ils rateront la messe dominicale pour la bonne cause du souvenir des leurs …

Pour ma part, écolier des années cinquante et lycéen des années soixante, me reviennent à l’esprit, en ce jour historique, mes quelques – et trop rares – discussions avec les poilus survivants.

Mais surtout, me reste imprimé au tréfonds de la mémoire, en concurrence avec des tables de multiplication ou la première déclinaison latine, « rosa, rosa, rosam » (chantée ultérieurement par Jacques Brel),  la fameuse « tiare byzantine » que nous commentaient jadis nos profs d’histoire et de géographie.

Tiare byzantine du cours de géo

Elle montrait le déficit des naissances dans les années vingt et trente, après l’épouvantable saignée de 14-18, opérée sur la jeunesse mâle du pays, en âge de procréer!

René-Gustave Nobécourt (1897-1989), un historien, lui même ancien combattant de la Grande Guerre, qui avait repris des calculs attribués à Roland Dorgelès, avait publié dans les années soixante « qu’il eût fallu onze journées et onze nuits sans interruption pour que défilassent tous les morts de l’armée française ».

Pour symboliser ce jour sans prolonger mon discours, j’ai longtemps hésité à recourir à des illustrations d’époque, brocantées dans des numéros chinés du Miroir de 1918, sans toutefois me décider à choisir entre la liesse parisienne et les images officielles, faussement œcuméniques des acteurs, maréchaux, généraux, soldats ou hommes politiques du moment se congratulant en grand uniforme ou en « habits du dimanche ». Quelles que soient les époques, les « élites » passent une grande partie de leur temps à guincher ensemble au frais de ceux qu’elles envoient se faire tuer pour leur compte.

J’ai finalement opté, pour une oeuvre acrylique d’une artiste biterroise, récemment découverte, qui, par le biais de l’abstraction et de ses fondus colorés s’entremêlant en de multiples volutes, bleues, ocres et jaunes, exprime la renaissance d’une Nation vouée jusqu’alors au seul uniforme bleu horizon… La fusion suggérée des bulles métissées en mouvement, préfigure les multiples et insondables perspectives d’un avenir à construire sur des tas de ruines…Tout paraissait possible, de l’espoir le plus fou à la pire des tragédies! C’est ce que Clemenceau, le père « La Victoire » pressentait lorsqu’il redoutait que la paix fût plus malaisée à gagner que la guerre! Deux décennies plus tard on remettait effectivement le couvert des armes.

Si d’aventure, cette artiste lisait ce billet, qu’elle me pardonne pour cet emprunt non consenti, et pour l’intitulé que j’ai pris la liberté d’attribuer à son tableau qu’elle n’avait pas – me semble t-il – baptisé:

Si j’étais qu’elle, je l’appellerais volontiers: « Lumière automnale sur bleus d’horizons divers »

Acrylique de RB

 

 

Read Full Post »

En vérité, je ne me souviens pas avoir entendu déclamer cette phrase! En tout cas, pas sous cette forme rhétorique un peu pompeuse, comme s’il fallait à tout prix se convaincre par le seul artifice du verbe, d’un cousinage hasardeux!

Je me contente donc de l’imaginer en m’inspirant librement du refrain d’une célèbre comptine enfantine qu’interprétait en sautillant sur les plateaux TV Chantal Goya, l’inoxydable petite fille de la chanson française, il y a un peu plus d’une trentaine d’années.

« Bécassine, c’est ma cousine » !

Mais, cette fois, c’est « Yvette ».

Dont acte! Mais laquelle Yvette? Car nombreuses furent les dames à porter ce prénom un peu désuet, mais fréquemment attribué au cours des premières décennies du siècle dernier.

Reste également à identifier celui ou celle, supposés se revendiquer du même lignage que ladite Yvette. Je précise d’emblée qu’en première intention, il ne s’agit pas de moi…

En revanche, pour ce qui est de la personne, sujet et objet de cette dédicace tapageuse, j’affirme sans barguigner qu’il s’agit d’Yvette Chauviré (1917-2016).

Photo reprise d’Internet

De multiples pages et des livres ont été consacrés à la carrière exceptionnelle d’Yvette Chauviré, ballerine « étincelante » dans le solo de la « Mort du Cygne » et maître de ballet…Très longtemps, elle a ébloui de son talent, les principales scènes du monde, dont l’Opéra de Paris, la Scala de Milan, les Ballets de Monaco ou le Royal Ballet, etc.

Célébrissime dans les milieux de la danse, Yvette Chauviré est surtout connue du grand public pour avoir été danseuse étoile de l’Opéra de Paris…

D’ailleurs, j’appartiens à ce « grand public » qui la connait de réputation mais qui ne l’a jamais vue sur scène… J’avoue même ma totale ignorance des arcanes de cet art complexe pour lequel je n’ai probablement aucune disposition ni authentique inclination. En effet, en quelques soixante années et plus, je ne suis jamais parvenu à marcher au pas cadencé et à esquisser d’autres figures que le slow ou quelques sauts désordonnées de rock improvisé! Et encore, à la condition d’évoluer en lumière tamisée et d’être mu par une forte – et parfois douteuse – motivation !

Cette lacune est certainement imputable  – au moins en partie – à l’environnement culturel de mon enfance. Dans les milieux angevins, catholiques et ouvriers des Trente Glorieuses, les arts comme la musique ou la danse n’apparaissaient pas comme des enjeux primordiaux en comparaison de la réussite scolaire, principal vecteur d’émancipation et d’ascension sociale. La danse n’est pas, de prime abord, assise sur un principe d’égalité!

Mais rien n’est tout-à-fait définitif et l’exemple de mon propre père est à cet égard illustratif. Pudique à l’excès sur ses sentiments intimes qu’il n’exprimait le plus souvent qu’en les agrémentant de références religieuses, avare sur les ressorts de sa sensibilité, et quasiment pudibond dans sa jeunesse face au moindre trémoussement rythmé, il s’était mué, l’âge venu, en un amateur sensible et éclairé, ainsi qu’en expert passionné de la danse classique… Comme quoi, l’affection d’un grand-père pour sa petite-fille peut faire des miracles!

En tout cas, avec un tel passif de retenue héritée, on comprendra qu’il ne me soit pas venu à l’idée d’ambitionner avec outrecuidance, un quelconque partage de gènes -fût-il ténu – avec Yvette Chauviré!

Dans mon hypothétique apostrophe, le « héros »  est en réalité un vieux monsieur disparu, il y a longtemps, croisé à Angers dans les années soixante. Il s’appelait Léon Chauviré. 

Natif d’Angers, Léon était architecte mais n’habitait plus la ville depuis de nombreuses années. Après la seconde guerre mondiale, es qualité « d’architecte agréé de la reconstruction », il participa aux travaux de restauration dans des villes sinistrées.  Selon ma mère qui le connaissait, il résidait à la fin des années soixante dans l’est de la France avec son épouse, disparue tragiquement, peu de temps après, dans un accident de la route.

En 1951, avant son mariage, il habitait à Marseille comme en témoigne un tableau « sanguine et pastels » du Vieux Port qu’il signa à l’époque.  Il vivait alors avec sa mère Antoinette Duguet (1882-1951), professeur de piano, qui d’ailleurs décéda dans cette ville au cours de l’été 1951.

Marié tardivement et veuf précocement, Léon n’eut pas d’enfant.

De ce fait, sa famille était très réduite, en particulier en Anjou, son berceau familial, où il ne comptait plus pour toute famille dans les années d’après-guerre, qu’une grand-mère par alliance – Louise Toublanc (1866-1961) alias la « mère Duguet »  – deuxième épouse de son grand-père maternel – elle-même décédée en 1961 – et une cousine germaine de sa mère, Madeleine Duguet (1897-1973) qui vivait célibataire et recluse sur les coteaux bordant la rive gauche de la Loire à Ardenay non loin de Chalonnes.

D’abord agréable, amène, toujours « tiré à quatre épingles » et pétri d’urbanité, Léon avait connu bien des malheurs. A commencer, par le deuil qui l’avait frappé dans sa prime jeunesse, celui de son père Antoine Chauviré (1880-1914), « mort pour la France » en décembre 1914. Il n’avait pas deux ans… L’année suivante, c’est son oncle, Georges Duguet (1895-1915), le demi-frère de sa mère qui disparaîtra à son tour dans la tourmente de la première guerre mondiale! Sa dépouille ne sera jamais retrouvée.

Le nom de l’un et de l’autre sont inscrits sur le monument aux morts érigé dans une des chapelles de l’église paroissiale de la Madeleine à Angers, aux côtés de celui de mon grand-oncle Alexis Turbelier (1897-1918). De leurs vivants, ils se connaissaient car ils étaient proches voisins, rue Desmazières à Angers!

Bien qu’ayant quitté sa ville natale – probablement – dès la fin de ses études d’architecture, Léon revenait au moins une ou deux fois l’an à Angers. Au décès de la « mère Duguet » en 1961, il avait en effet hérité de la propriété de ses grands parents maternels, qui avaient tenu une épicerie et un bistrot dans ladite rue Desmazières. Pour les « valoriser » , il les avait transformés ainsi que leurs dépendances en « turnes » pour des étudiants de la Catho, l’université catholique angevine et en avait confié la gestion à ma mère. Il lui avait délégué la responsabilité du bon fonctionnement de l’ensemble, de son entretien et même du ménage…

Employeur de ma mère, c’était aussi un ami, une personne de confiance, car les deux familles se fréquentaient depuis près d’un siècle.

C’est au cours d’une ces visites en Anjou que Léon apprit à ma mère qu’il pensait être un cousin « éloigné » d’Yvette Chauviré. En confidence, il lui fit part aussi de sa déconvenue, lorsqu’il lui raconta sa mésaventure avec sa cousine putative. S’étant présenté au domicile parisien de la danseuse, il n’avait pu entrevoir qu’un domestique, chargé de lui signifier qu’Yvette Chauviré ne se connaissait aucune famille en Anjou, et qu’il lui apparaissait donc sans objet de faire connaissance.

Il était inutile d’insister!

Le pauvre Léon en était resté là. Il n’avait en effet pas les moyens de passer outre cette fin de non-recevoir, ni de contredire cette péremptoire affirmation… Faute de pouvoir recourir à une mémoire familiale quasi-inexistante et de disposer de documents confirmant son « intuition », il aurait du se livrer à une recherche généalogique approfondie mais il préféra se résigner. La série impressionnante d’épreuves et de malheurs qu’il avait du surmonter dès sa plus tendre enfance, avait non seulement distendu ses relations avec sa famille paternelle d’ailleurs dispersée un peu partout en France, mais surtout l’avait conduit à une certaine forme de renoncement fataliste.

A quoi bon révéler une vérité à une personne qui ne souhaite pas l’entendre!

A supposer au surplus qu’Yvette Chauviré ait entendu parler de cet hypothétique cousinage, elle n’avait vraisemblablement, nul intérêt à s’en revendiquer car elle s’était constituée par son travail et son talent, une autre famille autrement plus enrichissante dans le milieu artistique international. Pourquoi ce serait-elle embarrassée de ce pauvre hère, issu de nulle part, qui frappait à sa porte? Derrière cet homme qui se prétendait son cousin, n’y avait-il pas, de surcroît, un imposteur intéressé?

Pendant trente ans, l’affaire fut donc enterrée. Léon est mort à une date inconnue et ce n’est qu’à l’automne 2016 au décès d’Yvette Chauviré que l’histoire m’est revenue en mémoire. Une simple recherche sur Internet attestait de la très grande discrétion de l’artiste sur sa famille et ses origines.

Mais, comme pour toute personne « VIP », les généalogistes se sont emparés de sa filiation – parmi ceux-ci, mon honorable correspondante Rose L’Angevine, assidue de ce blog – et progressivement tous les aïeux et l’ensemble de la famille d’Yvette Chauviré ont été identifiés. Sa généalogie n’a plus guère de secret et est même directement consultable sur Internet… Elle peut-même être enrichie, au gré de chacun, de toutes ses ramifications possibles depuis la numérisation des archives d’état-civil!

Et cet ensemble de données désormais disponibles montrent sans ambiguïté que Léon (l’architecte de la reconstruction) avait raison!

Yvette  » c’était bien sa cousine!

Léon Antoine Chauviré (1880-1914), le père de « mon » Léon et celui d’Yvette, Henri Léon Chauviré (1890-1952) étaient cousins germains. Il en résulte que leurs grands pères paternels, tous deux charpentiers,  étaient frères.

Ainsi le vieil ami de mon enfance et Yvette possédaient en commun un arrière-grand-père, Mathurin Chauviré (1819-1874) et une arrière grand-mère, Anne Tudoux née à Villemoisan en 1820 dans le Segréen.

La famille Chauviré, quant à elle, était originaire de deux petits villages situés dans les actuels Pays de Loire, Belligné et Angrie, à la limite du Haut Anjou et de la Bretagne, à la frontière de la petite et la grande « gabelle ».

L’infortuné fils d’Antoinette Duguet n’aura pourtant jamais connu la démonstration factuelle de son lien de parenté avec Yvette, ni sa reconnaissance. Le temps lui aura manqué!

Ce qu’il ne saura pas non plus et qu’il ne soupçonnait même pas, c’est que son aïeule commune avec Yvette Chauviré, Anne Tudoux  était une descendante en droite ligne d’un certain Louis Bain né en 1579 à Villemoisan.

Lequel se trouve être également un de mes aïeux direct au dixième ou onzième degré dans la haute ramure de ma branche maternelle!

Moi aussi, je pourrais donc affirmer sans avoir recours à une approximation « à la mode de Bretagne » qu’Yvette et Léon étaient mes cousins… mais, je le concède, très très éloignés dans la nuit des temps.

Si distants, que le gène de la danse, comme celui du dessin et de l’architecture se seraient perdus en route! Du moins en ce qui me concerne!

 

Un symbole : la pendule offerte par Léon Chauviré à mes parents

 

PS : J’ai évoqué cette famille amie à plusieurs reprises dans ce blog, entre autres :

  • Le 11 novembre d’un poilu oublié: Georges Duguet – 9 novembre 2011
  • Madeleine Duguet la « solitaire » d’Ardenay – 16 juillet 2012
  • Aux « P’tits gâs » de la Madeleine morts à la guerre de 14-18 – 28 avril 2015

 

signature de Léon Chauviré

 

Read Full Post »

L’année 1918 fut la dernière de la première guerre mondiale, mais pas la moins cruelle. En particulier dans ma propre famille!

Autant de motifs qui m’amènent à souhaiter que l’hommage qui sera rendu « aux poilus » à l’occasion du centième anniversaire de la « Victoire du 11 novembre 1918  » soit grandiose. De nombreuses manifestations, officielles ou privées, sont d’ailleurs prévues qui marqueront l’événement.

Jadis, ces célébrations auraient été qualifiées de « patriotiques ». Désormais, il est plus « in » – autrement dit plus politiquement correct – de rendre les honneurs au nom d’un « devoir de mémoire » élargi, quitte, parfois, à tordre sensiblement la réalité historique et à remettre en cause les souvenirs que nous avaient transmis ceux qui, parmi nos proches, firent cette guerre ou eurent à en souffrir. Quitte aussi à modifier le récit que nous en faisaient nos professeurs, il y a quelques cinquante ans!

Dans ce contexte, associer dans un même hommage, les combattants de tous les camps qui s’affrontaient férocement est sans nul doute une évolution souhaitable, pour se prémunir des tragédies du siècle précédent. Décréter, une bonne fois pour toutes, la « paix des braves » entre tous les hommes de troupe qui s’étripaient sur le terrain, est également une exigence raisonnable pour affronter les défis de demain. Mais, encore convient-il de ne pas sombrer dans une sorte d’angélisme béat ou d’amalgame œcuménique, juste destinés à justifier ou conforter des enjeux politiques actuels… Aussi nobles fussent-ils!

A force de vouloir tout lisser pour ne « stigmatiser » personne, on prend le risque de brouiller l’image même des combattants de 14-18 et d’oublier pudiquement de nommer l’ennemi d’alors. Et, à travers lui, de dénoncer les idéologies perverses qui avaient armé son glaive…

J’appartiens à cette génération qui demeure fière de ses « poilus » et qui persiste à partager nombre de leurs idéaux. Le fait d’appartenir à la même Europe que la République Fédérale d’Allemagne, celle d’Adenauer, de Willy Brandt et d’Angela Merkel, et de s’en revendiquer sans complexe, en dépit des aléas de construction de l’Union, n’implique pas, même un siècle après, qu’on place sur le même plan la République Française de 1914 et l’empire allemand de Guillaume II.

De même, est-on en droit de s’émouvoir lorsque pour des motifs conjoncturels ou en raison d’évolutions démographiques de notre propre pays, on travestisse insidieusement les faits, pour coller à l’air du temps, en développant une conception « révisionniste » de la Grande Guerre, plus conforme aux standards mémoriels actuels. Lesquels mettent en priorité l’accent sur la repentance du passé colonial de la France, dont le procès ne peut plus guère être instruit qu’à charge à l’encontre de l’ensemble du peuple français.

Ainsi, contrairement aux évidences statistiques désormais vérifiables et accessibles, on finirait presque par voler la victoire aux « poilus » de métropole, pour l’attribuer, sans coup férir, au sacrifice – voire à l’immolation – des troupes coloniales du Maghreb,  de l’Afrique équatoriale, de l’Asie du Sud-Est et de l’Océanie!

S’il ne s’agit évidemment pas de nier la contribution du sang, imposée à ces pauvres soldats « du bout du monde » qui durent se battre sur les fronts européens, au nom d’enjeux qui leur étaient étrangers, il est inexact de prétendre qu’ils subirent un sort plus cruel que les combattants autochtones. Il est faux de dire qu’ils furent affectés de manière discriminatoire en première ligne, aux positions les plus meurtrières! Les chiffres parlent: sur près de 8 millions de jeunes hommes mobilisés en métropole, plus de 18% périrent durant les quatre ans du conflit, alors que les pertes dans les troupes coloniales (700.000 hommes), intervenues plus tardivement en première ligne, seraient de l’ordre de 12%. En attestent les interminables listes de noms qui figurent sur tous les monuments aux morts des villes et des villages de France.

En revanche, il est indéniable que la victoire finale n’aurait pu être acquise, sans le concours logistique et humain – et surtout massif à partir de 1917 – des troupes américaines, canadiennes, australiennes et néo-zélandaises. Jusqu’au printemps 1918, personne en effet ne pouvait pronostiquer à coup sûr l’effondrement de l’armée allemande et des empires centraux.

Au-delà de ces généralités que l’on doit à la vérité, ces données factuelles ne rendent évidemment aucunement compte de l’effroi que cette guerre dantesque finit par susciter dans la plupart des familles françaises, au fur et à mesure des années et du nombre croissant de disparus. Presque toutes furent endeuillées. Toutes connurent l’angoisse lorsque subitement la correspondance de « leur » soldat s’interrompait et que, quelques semaines plus tard, elles recevaient la visite d’un édile municipal, parfois accompagné du curé, venant leur annoncer par procuration du préfet ou des autorités militaires, la disparition au « champ d’honneur » de leur fils, de leur frère, de leur mari ou de leur père.

Quasiment personne, y compris dans les provinces les plus éloignées du front – comme l’Anjou, ma province natale – n’échappa en outre à la vision cauchemardesque de ces grands blessés de guerre, de ces « gueules cassées », qui, dès les premiers affrontements de l’été 1914, furent rapatriés en grand nombre vers « l’arrière » dans des hôpitaux militaires de fortune, où la population locale – notamment beaucoup de jeunes femmes – était appelée à prêter main-forte aux effectifs soignants et infirmiers débordés!

Au printemps 1918, en Anjou, le moral de la population oscillait – selon l’historien Alain Jacobzone – entre la frayeur face aux revers militaires des alliés confrontés à l’offensive de Ludendorff en Picardie et dans les Flandres, et l’espoir d’une fin prochaine, qui malgré tout, semblait se profiler.

Mais, là encore, en dépit de leur précision analytique et de leur pertinence, les recherches historiques ne savent pas rendre compte de cette souffrance indicible et intime de ceux ou de celles, qui furent victimes de la disparition d’êtres chers, foudroyés à l’aube de leur vie. Notamment dans les derniers mois de la guerre!

Sait-on si ce gouffre de solitude et de malheur, qui s’ouvrait sous les pas des parents des tués, fut un jour franchi, surmonté et même dépassé ou si, au contraire, ils ou elles s’y perdirent à jamais, n’offrant d’eux ou d’elles-mêmes, le restant de leur vie, qu’une apparence de quiétude – souvent de pure convenance – pour donner le change?

Sait-on si ils ou elles parvinrent un jour – ne serait-ce qu’un instant – à effacer les cicatrices de ces blessures existentielles qui en firent des handicapés du cœur, ou si au contraire, les stigmates de leurs secrètes fêlures s’imposèrent à eux jusqu’au terme de leur existence?

Imagine-t-on quels dérèglements ou traumatismes, ces massacres en série, sans justification d’âge et sans préavis de maladie, provoquèrent dans les familles des morts au « champ d’honneur » ? Bref, se remet-on un jour des dégâts occasionnés par la guerre dans sa bimbeloterie intime?

Rédigeant ces lignes, je m’aperçois que, mine de rien, c’est de ma grand-mère maternelle, Adrienne Venault (1894-1973) dont il est question. D’elle, qui, en un seul mois, de mars à avril 1918, vit disparaître sur le front entre Amiens et Montdidier, son frère, l’adjudant Albert Venault (1893-1918) et le jeune homme qu’elle aimait, le caporal Alexis Turbelier (1897-1918).

Adrienne et Alexis

Au cours de ce sinistre printemps 1918, le destin ou la fatalité, qui lui avaient fait entrevoir le meilleur de la vie, lui avaient finalement prodigué le pire. Comme si la terre s’était dérobée et que l’horizon précurseur d’un avenir radieux s’était définitivement rétréci. Sans revenir sur les circonstances de ces décès – que j’ai déjà très longuement évoquées ici  (voir références en fin d’article) – j’ai désormais la conviction avec le recul du temps et peut-être l’expérience, que je suis passé – comme tous ceux qui l’ont connue – à côté de la vérité profonde de celle que j’appelais affectueusement « Mémé ». J’aurais dû comprendre que les comportements d’Adrienne ne pouvaient plus être regardés à l’aune des critères ordinaires des gens du commun qui traversent la vie sans flirter avec la tragédie.

A ma décharge, elle fit certainement tout pour qu’il en soit ainsi, cultivant d’elle-même après le drame, une image de femme insensible et forte, qui se situait aux antipodes de celle de la jeune femme joyeuse, volontaire et délurée qu’elle était auparavant. La mort lui avait arraché ceux qu’elle aimait, l’obligeant pour survivre à troquer l’insupportable réalité en une fiction réparatrice inviolable. Pour la galerie, elle força le trait de la respectabilité ultramontaine dont probablement elle n’avait que faire!

En épousant en 1921, le frère de son ami disparu, elle ne visait sans doute d’autre but que d’accéder à un statut social de raison, préservant les apparences d’une femme mariée sans histoire, devenue une mère attentive et, bien plus tard, une grand-mère aimante. Parallèlement, elle s’offrait,  consciemment ou non, un espace de liberté en compagnie de ses fantômes bien-aimés, qui excluait le reste du monde.

Personne ne fut jamais admis à pénétrer dans ce référentiel imaginaire dans lequel elle évoluait sans contrainte, se livrant à un bonheur débridé et virtuel, auquel elle avait pourtant officiellement renoncé en privilégiant une vision presque janséniste du devoir! Personne ne saura jamais dire s’il lui est arrivé de s’écarter de cette ligne de conduite et de donner chair à ses rêves…

Seules deux photographies des héros disparus, qu’elle imposa en bonne place dans le petit appartement conjugal puis familial qu’elle occupa à Angers jusqu’à la fin des années soixante, témoignaient de son passé. Par leur présence incongrue, qui bravait l’infortuné mari, alibi d’une histoire incompréhensible, elles pouvaient laisser entendre qu’Adrienne n’avait rien oublié de ce passé antérieur, et que sa vie intérieure ne se limitait pas à la prière des morts aux offices de l’église paroissiale de la Madeleine, le dimanche….

A la fin de sa vie, sans me les faire lire, elle me montra cependant les lettres de ses chers disparus, qu’elle transportait précieusement avec elle depuis 1918! Il n’est pas impossible qu’elle continuait d’attendre d’improbables réponses à ses ultimes demandes ou une confirmation de serments éternels qui ne pouvaient plus être honorés…

C’est ainsi en tout cas, qu’elle s’organisa pour survivre, bon an mal an, à la cassure dramatique de 1918, qui la priva pour toujours de sa jeunesse insouciante. Ne jamais oublier et n’en parler jamais. Garder pour elle, ses sentiments en s’efforçant de faire respecter l’image d’une femme sévère, brutale, prude et un tantinet bigote, qu’elle s’était patiemment construite et qu’elle souhaitait livrer à son entourage comme unique trace d’elle-même … S’abstenir de partager ses secrets avec quiconque qui pervertirait sa relation avec ses martyrs.

Son rôle de composition était à ce point intégré et réussi, qu’il n’est pas impossible qu’elle s’égara elle-même dans les méandres de sa mélancolie, jusqu’à peut-être aimer sincèrement son mari, un authentique brave homme. A-t’elle en revanche réussi à se faire aimer? Oui, sans doute…

Pour ma part, je ne renie pas, l’affection qu’elle me porta! Mais je me dis aussi qu’étant de ses petits-fils, j’avais le privilège de n’avoir pas été témoin du passé, de l’attente mortelle d’une correspondance de guerre qui, un jour d’avril, rata pour toujours, son rendez-vous hebdomadaire… Cette attente insatisfaite de ce printemps 1918, la transforma irrémédiablement.

N’ayant jamais été parti prenante de ses inclinaisons ou de ses inclinations, tout en étant, malgré moi, une sorte de confident à titre posthume, il m’était donc permis d’imaginer sans fausse pudeur, la femme amoureuse de 1918, ainsi que sa déchirante détresse à l’automne de cette année-là, alors qu’elle portait le deuil et que le reste du monde fêtait bruyamment la victoire…

Forcément, je n’avais d’autre choix que l’empathie, la compassion et la compréhension…

Il manque juste une conclusion définitive à ce conte! Il fallait seulement qu’un siècle après, ces choses fussent écrites en mémoire des deux héros d’Adrienne…

                                                  Champ de bataille

 

 

Quelques-unes des références de ce blog, évoquant la mort tragique d’Albert Venault et d’Alexis Turbelier en 1918 et publiés sur ce blog:

  • Albert Venault (1893-1918), un frère aîné admiré et trop tôt disparu – billet du 26 novembre 2011;
  • Labours d’automne dans la Somme en 2011- Alexis Turbelier (1897-1918) – billet du 10 octobre 2011;
  • Alexis Turbelier (1897-1918), dans l’enfer de Verdun, avril-mai 1916″ – billet du 6 mai 2016 

 

 

Read Full Post »

A ses quatre enfants

 

Grâce aux archives familiales qui m’ont été communiquées concernant Marcel Pasquier (1892-1956), notamment ses trois carnets de route entre 1910 et 1919, miraculeusement conservés et retrouvés récemment, grâce également aux registres de matricule militaires désormais disponibles en ligne sur Internet, ainsi qu’aux journaux des unités combattantes de la Première guerre mondiale, il est désormais possible de reconstituer une chronologie fiable des principaux épisodes de l’existence de cet homme que j’ai personnellement peu connu, mais que d’aucuns s’accordent à considérer qu’il fut, de son vivant, peu expansif sur sa personne et plutôt discret sur ses faits d’armes au Maroc au début du siècle dernier puis sur le front français durant la guerre de 14-18.

Heureusement, il écrivait.

En complément des articles qui lui furent d’ores et déjà consacrés ici au cours de ces dernières années, il m’a semblé nécessaire de transmettre, par le canal de ce blog, à ceux de sa nombreuse descendance, qui s’y intéresseraient, la chronologie des principaux faits marquants de sa vie, tels, en tout cas, qu’il m’a été possible de les identifier…

Je crois ce travail non dépourvu d’intérêt car j’appartiens à cette génération qui pense que l’histoire, en particulier celle des nôtres, ne peut se résumer aux seules « grandes » idées ou aux travers d’une époque, en négligeant délibérément les multiples petits événements, avatars ou contrariétés, qui ponctuent, bon gré mal gré, l’existence de chacun d’entre nous. Dans ces conditions, la chronologie des faits placés dans leur contexte est d’importance primordiale et précède même, dans la narration historique, toute tentative d’interprétation des comportements et des actes. La marche du temps est en effet le principal facteur auquel, quelles que soient les périodes historiques, toute personne est soumise, ne serait-ce qu’en constatant les implacables outrages qu’elle imprime subrepticement mais sûrement sur ses artères.

Dérouler le temps propre à chacun dans l’ordre naturel où les événements sont intervenus est donc un des moyens les plus rationnels de décrire un parcours de vie et de le situer dans son environnement… Telles sont les raisons, qui m’ont conduit à livrer à « l’état brut », le contenu des « fiches de travail » que j’ai élaborées sur les différentes étapes et les péripéties, plus ou moins connues, de l’existence de mon grand-père, Marcel Pasquier.

D’autant plus, si j’ose dire, que lui-même, par pudeur, par retenue ou simplement parce qu’il fut rattrapé par le temps, n’en avait fait que très partiellement étalage auprès de ses proches. Cependant, parce qu’il avait précieusement conservé les journaux de ses campagnes, il m’a semblé qu’il m’autorisait à les exhumer par procuration et à en faire une sorte d’exploitation posthume…

Si l’on possède évidemment quelques photographies « en noir et blanc » de Marcel Pasquier, suffisantes pour discerner des ressemblances avec l’un ou l’autre d’entre nous, aucun cliché « couleur » ne semble avoir été pris, qui nous fournirait des indications plus précises sur sa chevelure ou sur son regard.  Le livret militaire permet (heureusement) de surmonter en partie cet obstacle, car on prenait soin, alors, au moment du conseil de révision de fournir une description « colorée » du jeune conscrit ou engagé, dans le même temps où l’on indiquait ses principales caractéristiques physiques et ses mensurations.

Dans le cas de Marcel Pasquier, le signalement n’est pas le même, selon qu’on se réfère au livret militaire ou à sa fiche dans le registre des matricules militaires des archives de l’Aisne. A l’exception de la taille – 1,63 mètre –  identique dans les deux documents, les autres renseignements ne concordent pas parfaitement: le livret militaire indique que les cheveux et les sourcils de Marcel Pasquier étaient « bruns » et ses yeux « noirs », alors que le registre précise qu’ils étaient respectivement « châtains foncés » et « bleu verdâtres ». Dans un cas, le front est qualifié « d’ordinaire » et dans l’autre « de hauteur, d’inclinaison et de largeur moyenne » ! S’agissant du nez, il est d’un côté « aquilin » et de l’autre « rectiligne à base horizontale « tandis que le visage est ici « plein » et là « pâle » !

On comprendra mieux dans ces conditions, l’intérêt de la photographie pour objectiver l’apparence ! Pour ma part, l’infirmier militaire qui « fixa » la couleur de mes yeux au moment du conseil de révision, décida qu’ils étaient « verts ». J’adoptai sans mot dire et sans maudire, ce constat administratif éclairé, que contestèrent au moins une sur deux des quelques « passantes » qui, au cours de ma vie, eurent l’occasion de les voir de plus près !

Pour les repères chronologiques, la subjectivité est moins prépondérante ! Quoique…

Ainsi dans ce qui suit, n’ont été retenues que les dates, qui selon moi, sont les plus révélatrices de la vie de Marcel Pasquier…Le tri était nécessaire, notamment durant la grande Guerre et la campagne marocaine de Marcel, car tous les lieux de passage étaient presque systématiquement mentionnés et datés par l’intéressé… Leur mention exhaustive aurait probablement gêné la compréhension d’ensemble.

Il m’a fallu donc choisir, en m’efforçant de ne rien omettre d’essentiel. Mais, bien sûr, ça peut se discuter !

Petite enfance de Marcel Pasquier  

  • 29 novembre 1889 : Décès à Vervins à l’âge de neuf mois de son frère ainé Maurice Pasquier ;
  • 15 février 1890: Naissance de sa sœur Charlotte à Aubenton dans l’Aisne;
  • 6 octobre 1892 : Naissance de Marcel Pasquier à l’hospice de Vervins (02);
  • 9 juin 1897 : Naissance de Marguerite Cailletreau, sa future femme, au Lion d’Angers (49) ;
  • 1898: Les Curie découvrent le radium; 
  • 11 novembre 1900 : Naissance de Marthe (1900-1979), sœur de Marcel.
  • De 1898 à 1904 : Marcel est scolarisé au collège privé Saint-Joseph de Vervins ;
  • 1905: Loi de séparation des églises et de l’Etat;
  • 1906: Congrès de la CGT- Charte d’Amiens.

Apprenti pâtissier 

  • De septembre 1904 à décembre 1906 : Marcel est apprenti pâtissier à Givet dans les Ardennes. La boulangerie pâtisserie, place Carnot existe toujours.
  • 15 octobre 1905 : Décès de Charlotte, sa sœur aînée, ouvrière de filature à Vervins, âgée de 15 ans ;
  • De janvier 1907 à octobre 1909 : Apprenti pâtissier à Charleville-Mézières dans les Ardennes ;
  • De novembre 1909 à avril 1910 : Apprenti pâtissier à Sermaize-les-Bains dans la Marne ;
  • De mai à décembre 1910 : Ouvrier pâtissier à Metz en Lorraine alors annexée à l’Empire allemand.

Chasseur d’Afrique en Algérie et au Maroc

  • 28 décembre 1910 : Engagement de Marcel à Nancy dans le 1er régiment de chasseurs d’Afrique ;
  • 29 décembre 1910 : Marcel rejoint Marseille ;
  • 30 décembre 1910 : Départ pour l’Algérie, à bord du paquebot « Maréchal Bugeaud »;
  • 2 janvier 1911: Arrivée au port d’Alger ;
  • 3 janvier 1911 : Arrivée à Blida à la caserne Salignac-Fénelon;

  • 21 au 25 mars 1912 : L’escadron de Marcel part d’Algérie pour combattre la rébellion au Maroc. Le voyage d’Alger à Casablanca est effectué par bateau via le détroit de Gibraltar ;
  • 5 avril 1912 : Marcel est à Ber Réchid au Maroc ;
  • 1er juillet 1912: Ratification par le parlement français, du traité de protectorat du Maroc. Vive opposition des socialistes et indignation de Jean Jaurès qui redoute les risques de tension internationale et condamne la répression au Maroc.
  • 16 août 1912, Affaire de Souk el Arba des Mairt ;
  • 22 et 23 août 1912: Combat de Ouham;
  • 29 août 1912: Affaire » de Benguérir ;
  • Les 6 et 7 septembre 1912: Combat de Sidi-Bou-Othman contre la harka d’El Hiba;
  • 7 septembre 1912 : Marcel est présent à la prise de Marrakech par l’Armée d’Afrique du colonel Mangin ;
  • 15 octobre 1912: Marcel est en cantonnement à Mogador (Essaouira);

  • 27 novembre 1912 : Marcel est sévèrement blessé au combat au Maroc, au niveau de la cuisse gauche par une balle de gros calibre d’une arme de guerre  ;
  • 1er au 16 décembre 1912: Hospitalisation à Marrakech ;
  • 18 décembre 1912 au 13 février 1913 : Hospitalisation à Casablanca ;
  • 14 février 1913 : Marcel est évacué par la mer vers l’hôpital d’Oran ;
  • 17 et 18 février 1913 : Traversée de la Méditerranée d’Oran à Port-Vendres (Pyrénées orientales) ;
  • 20 février 1913: Convalescence-permission à Vervins. La dernière visite chez ses parents avant longtemps car l’année suivante, la guerre confinera ses parents en zone occupée par l’armée allemande ;
  • 29 et 30 avril 1913 : Retour en Algérie. Nouvelle traversée de la Méditerranée de Port-Vendres à Alger ;
  • 14 mai 1913 : Marcel est affecté au 5ème Régiment de Chasseurs d’Afrique;
  • 4 novembre 1913 : Marcel est réaffecté au 1er Régiment de Chasseurs d’Afrique et refait le voyage d’Alger à Casablanca au Maroc par Gibraltar.
  • Le 11 mars 1914, le colonel commandant le 1er régiment de chasseurs d’Afrique informe Charles Pasquier, le père de Marcel, que son fils a été nommé cavalier de 1ère classe et qu’il va recevoir la Médaille Militaire en « raison de sa belle conduite et de sa blessure ».

La Première Guerre mondiale

  • 28 juin 1914 : Assassinat de l’archiduc d’Autriche, François Ferdinand, prince héritier de l’empire ;
  • 28 juillet 1914 : Le régiment de Marcel qui cantonne à Marrakech, rejoint le port de Casablanca.
  • 31 juillet 1914 : Assassinat de Jean Jaurès à Paris ;
  • 2 août 1914 : Mobilisation générale en France ;
  • 3 août 1914 : L’Allemagne déclare la guerre à la France ;
  • 13 août 1914 : L’escadron de Marcel embarque à Casablanca pour combattre sur le front français. Marcel qui boite encore des suites de sa blessure de novembre 1912, est affecté à un escadron de réserve à Casablanca ;
  • Il note qu’on leur fournit des « selles arabes » et que sa fonction consiste à réapprendre à des réservistes à monter à cheval.
  • Au cours de ce second semestre 1914, Marcel est affecté à Rabat au camp Garnier, qui servait aussi d’hôpital militaire. Il devient planton, à la disposition du colonel chef du camp, et semble désœuvré, mais finalement il se dit « heureux » d’autant qu’il peut se promener dans la ville de Rabat, car il est aussi chargé de porter les plis à la résidence du général, commandant de la place.

  • En avril 1915, il devient ordonnance du Médecin Inspecteur Lafille et « passe » au quartier général. Sa tâche consiste, entre autres, à soigner les deux chevaux du général, Ruban et Canevas. Lequel ne monte presque jamais, hormis les jours où sa fille vient lui rendre visite à Rabat. Marcel reconnait qu’il est plutôt content de son affectation qui l’épargne de la guerre en Europe.
  • 15 juillet 1916 : Marcel est nommé chevalier du Ouissam Alaouite

 Le Lion d’Angers et Marguerite

  • D’août à septembre 1916 : Marcel est en permission en France, au Lion d’Angers, chez un oncle qu’il n’a jamais vu, Baptiste Pasquier, le frère de son père, Charles injoignable car résidant toujours à Vervins en arrière du front du côté allemand. Le voyage, aller et retour, s’effectue par bateau de Casablanca à Bordeaux.
  • Au Lion, il fait la connaissance de Marguerite Cailletreau, nièce d’Angèle Houdin, l’épouse de Baptiste. Depuis ce séjour et jusqu’à leur mariage, ils entretiendront une correspondance hebdomadaire voire plus fréquente encore !
  • Au retour de permission à Rabat, on lui apprend qu’il doit repartir pour Casablanca le 3 octobre 1916, puis pour la France. Il prend le train avec son cheval Ruban.

La guerre de Marcel en Métropole

A partir d’octobre 1916 jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918, l’existence de Marcel est totalement suspendue à la guerre. Il parcourt avec son escadron presque toute la ligne de front de Saint-Quentin au nord jusqu’à la frontière suisse et le Territoire de Belfort, en passant par Verdun, au gré notamment des offensives allemandes de 1917 et du printemps 1918 jusqu’aux avancées alliées à Saint-Mihiel et dans les Ardennes de l’automne 1918. Il se trouve tantôt en première ligne dans les tranchées, tantôt en deuxième ou au repos à quelques kilomètres à l’arrière. Il assiste dans ces circonstances à l’horreur et aux massacres dus notamment aux bombardements et aux gaz asphyxiants. Heureusement,  cette période est ponctuée de quelques permissions au Lion d’Angers.

  • Du 11 au 15 octobre 1916 : Marcel rejoint le front français par mer depuis Casablanca;
  • 15 octobre 1916 : Il débarque à Bordeaux.
  • 24 octobre 1916 : Parti de Bordeaux-Bastide, il rejoint le front – avec son cheval – à Dormans en Champagne où se trouve le cantonnement du 4ième escadron de chasseurs et l’état-major du 4ième corps d’armée dont il dépend désormais;
  • 2 décembre 1916 : Départ de Dormans pour Branscourt dans la Marne, via Fère-en-Tardenois dans l’Aisne, Faverolles-et-Coëmy dans la Marne ;
  • Du 21 décembre au 28 décembre 1916, il est dans les tranchées où il participe à de très rudes combats.

Extrait d’un carnet de route – décembre 1916

  • Du 29 décembre 1916 au 4 février 1917 : permission au Lion d’Angers ;
  • 5 février 1917 : retour de permission à Branscourt dans la Marne ;
  • 10 février 1917 : Marcel est affecté au 6ème régiment de chasseurs d’Afrique ;
  • 12 février 1917 du 21 février 1917 : Départ de Branscourt (Marne) pour Liverdun (Meurthe-et-Moselle)
  • 5 mars 1917 : dans les tranchées du côté de Montauville(Meurthe-et-Moselle) à 50 Km au sud-est de Verdun
  • 31 mars 1917 : parti de Liverdun pour Ceintray (Meurthe-et-Moselle) via Nancy
  • 6 avril 1917 ; Béthoncourt dans le Doubs
  • 8 avril 1917 : Dans les tranchées du côté du Largin et Delle dans le territoire de Belfort à la frontière suisse ;
  • 31 mai 1917 : Nouveau séjour dans les tranchées dans les environs de Delle à Rechézy (Territoire-de-Belfort)
  • 19 avril 1917 : Puis à Florimont dans le territoire de Belfort
  • Du 13 décembre 1917 au 13 janvier 1918 : permission au Lion d’Angers ;
  • 31 mars 1918 : parti d’Orléans les Aubrais
  • 1er avril 1918 : arrivée à Sancerre dans le Cher ;
  • 3 et 4 avril à Rians (Cher)
  • 6 avril 1918 : départ de Rians pour Sancerre à 30 km ;
  • Départ pour Tours, le Mans, Evreux, Mantes : 30 heures de chemin de fer
  • 7 avril 1918 : Débarque à Vaux-sur-Somme (Somme) à vingt kilomètres à l’est d’Amiens ;
  • 8 avril 1918 : Parti de Becquincourt dans la Somme pour Saint-Omer-en-Chaussée;
  • 9 avril 1918: Offensive allemande dans les Flandres;
  • 16 avril 1918 Offoy dans l’Oise à 60 km de Vervins (massacre) pour Grandvilliers (Oise) pour Saint-Omer-en-Chaussée ;
  • 19 avril 1918 Crevecoeur-le-Grand (Oise)
  • 21 avril 1918 Rethel dans les Ardennes
  • 1er mai 1918: Soissons (Aisne)
  • Du 15 mai au 3 juin 1918 : permission au Lion d’Angers. C’est à cette occasion, que Marcel et Marguerite se feront photographier ensemble pour la première fois, probablement à l’issue de fiançailles.

  • 27 mai 1918: Désastre de l’armée française dans l’Aisne dont les positions sont submergées par l’offensive allemande. Soissons tombe le 29 mai 1918.  » Le 30 mai, les Allemands occupent les collines qui dominent la Marne à Château-Thierry et à Dormans »; 
  • 12 et 13 juin 1918: A son retour de permission, Marcel constate avec douleur que son escadron a été décimé lors d’une violente offensive allemande à Montgobert (Aisne) à quelques kilomètres de Soissons.  Entre le 29 mai et le 13 juin 1918, dix de ses camarades ont été tués, autant de disparus et une cinquantaine de blessés sur un effectif d’environ six cents trente chasseurs d’Afrique, équipages du génie et de la prévôté.   
  • 2 août 1918 : Marcel est nommé infirmier au 4ième escadron du 6ième régiment de chasseurs d’Afrique;
  • 2 août 1918: Marcel se retrouve à Génicourt-sur-Meuse (Meuse) à proximité du front à une quinzaine de kilomètres en amont et au sud-est de Verdun.
  • Dans la nuit du 6 au 7 septembre 1918; l’escadron de Marcel quitte son cantonnement de Génicourt « pour aller bivouaquer au camp de Gibraltar entre Courouvre (Meuse) et Thillombois (Meuse) sur la rive gauche de la Meuse;
  • Le 11 septembre 1918: Marcel participe à l’attaque victorieuse française sur Troyon au bord de la Meuse et à la reprise, les jours suivants, de Chaillon, un village occupé depuis quatre ans par l’armée allemande.
  • Du 12 au 15 septembre 1918, Marcel est mobilisé pour escorter les nombreux prisonniers allemands des jours précédents. Il demeurera à Chaillon et dans les villages environnant, désormais « pacifiés » jusqu’à sa permission d’octobre 1918.

Escorte des prisonniers -Marcel en haut à gauche

  • 15 octobre-9 novembre 1918 : permission de mariage au Lion d’Angers ;
  • 21 octobre 1918 : Mariage de Marcel Pasquier et de Marguerite Cailletreau au Lion d’Angers;
  • 3 novembre 1918: Retour sur le front à Saint-Mihiel au sud de Verdun.
  • 5 novembre 1918: Poursuite victorieuse au contact de l’armée allemande à Fontaine-en-Dormois dans la Marne
  • 7 novembre 1918: Hagnicourt dans les Ardennes.  Les soldats sont épuisés, car ils n’ont pas mangé depuis vingt-quatre heures, les « roulantes n’ayant pas pu suivre » la marche en avant désormais accélérée!
  • 8 novembre 1918: Contact avec l’ennemi à Poix-Terron dans les Ardennes, où, selon Marcel, les français sont accueillis par les civils sous les ovations.
  • 8 novembre 1918: combat à Boulzicourt (Ardennes) où les allemands avaient installé partout des nids de mitrailleuses: deux morts et cinq blessés dans l’escadron de Marcel;
  • 11 novembre 1918 : Marcel est sur la front à Saint-Pierre-sur-Vence dans les Ardennes;
  • 11 novembre 1918 à 11 heures: armistice et cessez le feu. 
  • 16 novembre 1918: Départ de Saint-Pierre-sur-Vence vers la Belgique, le Luxembourg, puis le Bade Wurtemberg et la Rhénanie en Allemagne en application  des accords d’armistice.
  • 17 novembre 1918 : Cantonnement à Vresse-sur-Semois près de Namur (Belgique)
  • 22 novembre 1918: Cantonnement à Vesqueville en Wallonie
  • 24 novembre 1918: Cantonnement à Houffalize en Wallonie -Belgique
  • du 26 novembre au 10 décembre 1918: Cantonnement à Weiswampach (Binsfeld-Holler) au Grand Duché de Luxembourg

Occupation française de la Rhénanie (1918-1919)

  • Le 10 décembre 1918: Marcel et son escadron franchissent la frontière allemande; cantonnement à Habscheid en Rhénanie Palatinat;
  • Du 11 décembre 1918 jusqu’au 27 décembre 1918, l’escadron de Marcel change de bivouac et de cantonnement chaque jour jusqu’à Mayence sur les bords du Rhin.
  • Du 28 décembre 1918 au 21 janvier 1919: Marcel est à Mayence, capitale de la Rhénanie-Palatinat.

  • du 22 janvier au 7 février 1919: Descente du Rhin jusqu’à Strasbourg
  • Du 8 février 1919 au 16 mai 1919 : cantonnement sur la rive droite du Rhin à Kehl dans le duché de Bade, puis six kilomètres plus au sud en limite de Forêt Noire, à Eckartsweier; 
  • 17 mai 1919: Cantonnement à Strasbourg à la caserne Saint-Nicolas;
  • 27 mai 1919 : Hospitalisation à Strasbourg : « bronchite » ou « état grippal », « induration du sommet pulmonaire ». Les patrouilles en Forêt Noire en hiver en sont certainement la cause.
  • 28 juin 1919: Traité de paix signé à Versailles entre l’Allemagne et les Alliés. Le triomphe de Georges Clemenceau. 
  • 19 juillet 1919 : Marcel est démobilisé à Angers au quartier d’Espagne du 7ième Régiment de hussards Retour à la vie civile.
  • Deuxième semestre 1919: la tradition orale filiale – non confirmée par des archives – voudrait que Marcel Pasquier ait subi une période d’hospitalisation à l’hôpital de Bligny à Briis-sous-Forges en région parisienne, en raison des affections pulmonaires contractées en Forêt Noire. C’est possible…

Retour à vie civile 

  • 8 novembre 1919: Marcel et Marguerite habitent Angers, 40 rue Plantagenet ;
  • 29 février 1920: Le couple habite rue des Deux-Haies à Angers ;
  • 26 mars 1920 : Marcel devient cheminot, affecté spécial de la Compagnie de Chemins de fer d’Orléans comme homme d’équipe ;
  • 6-7-8 avril 1920 : Il est affecté à la gare de Saint-Pierre-des-Corps près de Tours . C’est durant ces trois jours qu’il déménage avec son épouse de l’Anjou vers la Touraine.
  • 6 août 1920 : Naissance de Marcel Pasquier (1920-1999), premier fils de Marcel et Marguerite à Saint-Pierre-des-Corps ;
  • 1922 : Mutation à la gare d’Angers
  • 28 aout 1922 : Naissance de Renée épouse Pilet (1922- 2016), fille de Marcel et Marguerite à Angers ;
  • 1er juin 1926 : Naissance de Maurice Pasquier, fils de Marcel et Marguerite à Angers ;
  • 6 novembre 1930 : Naissance de Jean Pasquier, fils de Marcel et Marguerite à Angers ;
  • 24 juillet 1931 : Décès de Charles Pasquier, père de Marcel à Vervins dans l’Aisne (76 ans) ;
  • 14 novembre 1939 : Décès de Louise Desse, mère de Marcel, à Vervins (72 ans) ;

Au premier plan, assis, avec ses collègues gare Saint-Laud à Angers

  • Durant l’occupation allemande entre 1940 et 1944, il participe à sa mesure à la guerre du rail, en déroutant des trains de marchandise au triage de la gare Saint-Laud à Angers;
  • 1947 : Retraite de la SNCF ;
  • 1948 à 1956 : Employé chez Bessonneau dans chemins de fer intérieurs ;
  • 4 juin 1956 : décès de Marcel à Angers d’un cancer du pancréas ;
  • 12 décembre 1986 : Décès de Marguerite Cailletreau à Angers.

au mariage de sa fille Renée en 1943 – avec ses quatre enfants

Cette chronologie non exhaustive gagnerait bien sûr à être complétée par les réflexions de Marcel sur les événements qu’il a traversés ou auxquelles il a été associé … Sur ses motivations aussi. Certaines de ses notes laissent entrevoir des pistes. Nul doute qu’elles ouvrent cette porte, qu’il faudra franchir un jour!

Il ne s’agit donc là que d’une première approche sur la vie d’un personnage – mon grand-père- dont tous les mystères ou toutes les cachotteries sont loin d’être totalement élucidés…Un jour peut-être!

Read Full Post »