Feeds:
Articles
Commentaires

Posts Tagged ‘grenier’

Dominant la Vallée de la Loire entre Chalonnes et Rochefort, le hameau d’Ardenay près de Chaudefonds-sur-Layon, situé au cœur des vignobles angevins, fut autrefois un des sites d’exploitation des charbons de la Basse Loire. A proximité, se trouve d’ailleurs la chapelle Saint Barbe des Mines, près des ruines de laquelle nous nous faisions photographier autrefois en revenant de promenade dans le Val de Loire. Récemment restaurée sur l’initiative de dynamiques associations ligériennes, la chapelle avec son cimetière à flanc de coteaux atteste de ce glorieux passé minier. Glorieux! Certes, mais meurtrier pour les mineurs. Il est d’ailleurs probable qu’à l’aune des critères actuels,  il se trouverait bien aujourd’hui un zélé et médiatique juge d’instruction pour mettre en examen un lampiste, affublé pour la circonstance du titre de responsable présumé d’une catastrophe sanitaire de portée mondiale.

Je reviendrai sur cette aventure humaine et industrielle, dans laquelle furent impliqués plusieurs Turbelier ou alliés au cours du 19ième siècle. La Corniche Angevine est aussi réputée pour avoir été l’un des berceaux de l’aviation avec René Gasnier, qui le 17 septembre 1908 réussit un premier vol à la Haie-Longue en contrebas d’Ardenay. Là encore, il se trouverait bien un magistrat pour inculper l’aviateur qui aurait pu mettre en danger la vie d’autrui!

Mais, pour l’heure, c’est à Ardenay même que je m’accorde une petite halte.

Plus précisément chez celle que j’appellerai ici, « la vieille dame de la Corniche » ou encore « la solitaire d’Ardenay ». Cette femme que je n’ai connue que très âgée s’appelait en réalité Madeleine Duguet et c’était la nièce de « Madame Duguet », la nonagénaire grabataire, aveugle et édentée, chez laquelle ma grand-mère maternelle faisait office de dame de compagnie et chez laquelle elle se rendait quotidiennement au tout début des années soixante.

Cette « Madame Duguet » ancienne épicière avait perdu son fils Georges pendant la guerre de 1914. Et ironie cruelle : il fut tué par un obus le jour de l’anniversaire de sa mère!   C’est évidemment par le biais de cette mythique et infortunée « Madame Duguet » que nous connûmes Madeleine, qui, à l’époque devait, elle-même, avoir atteint les soixante-dix ans. Ainsi, en allant ou en revenant de Montjean-sur-Loire ou de Chalonnes, il nous arriva parfois de rendre visite à la solitaire d’Ardenay. Sans doute, peu de temps avant sa mort qui dut intervenir à la fin des années soixante.

Si je souhaite l’évoquer – ici et aujourd’hui – c’est que Madeleine Duguet peut être considérée comme une  de ces « figures singulières de l’Ouest » dont je m’efforce de sauvegarder la mémoire, et qu’à ce titre, il me semble qu’elle a naturellement sa place dans mes rubriques, parmi les petits personnages atypiques de mon enfance pour lesquels je conserve un souvenir attendri. Sans qu’aucunement les décennies n’estompent leur image et qu’avec le temps, au contraire, ils incarnent la nostalgie d’un paradis perdu !

Vieille demoiselle sans descendance, Madeleine était une authentique originale. Et de surcroît, une musicienne talentueuse et une chanteuse! Mais, étant affectée depuis toujours d’un fort bégaiement, qui miraculeusement disparaissait lorsqu’elle poussait ses vocalises ou qu’elle se mettait à fredonner, elle ne devint jamais une artiste professionnelle, probablement à son grand dam !

Evidemment, ce handicap n’échappait pas aux enfants parfois cruels, railleurs et moqueurs que nous étions…D’autant que, de prime abord, la vieille demoiselle un peu enveloppée et vêtue de hardes dépareillées disposées en couches successives comme des pelures d’oignons, pour lutter contre le froid et l’humidité, s’apparentait plus, à une sorcière dans sa cabane qu’à une princesse de Mille et Une Nuits !  Le tout, dans une ambiance de propreté toute relative !

Sa maison au beau milieu du hameau était entouré d’un jardinet qu’elle s’échinait, avec un succès mitigé à transformer en potager. C’était, en fait, une sorte de jardin de curé, dans lequel elle plantait au gré de son imagination et manifestement sans plan préconçu, tout ce qui pouvait se bouturer ou que ses voisins lui donnaient, en ces temps où les jardineries commerciales n’existaient pas ! Mais son jardin, herbeux à souhait, c’était surtout un vivier d’escargots qu’elle ramassait derrière les touffes de pissenlit après la pluie et qu’elle consommait. Non, sans les avoir, au préalable, fait jeuner c’est-à-dire dégorger dans une cage grillagée et farineuse installée dans un de ses débarras. Madeleine n’était probablement pas trop regardante sur les conditions d’hygiène alimentaire…Disons que ce n’était pas sa priorité ! Et en ce sens, elle était en harmonie avec les campagnes de cette époque, culturellement plus proches des siècles passés que des exigences normatives modernes.

Dans le capharnaüm qu’incarnait magnifiquement son domicile,  régnait en maitre un petit chat noir qu’elle adorait et qui semblait lui rendre la pareille, si l’on en jugeait par les ronronnements empressés qu’il manifestait dès que les mains ridées et tavelées de la vieille dame caressaient sa colonne vertébrale. Ce chat, outre qu’il était son seul compagnon, était un chasseur émérite de nombreuses souris et autres mulots qui peuplaient la propriété. Avec les oiseaux et parfois les abats de viande que la demoiselle se procurait chez le boucher, les petits rongeurs constituaient l’essentiel de l’alimentation du félin, après qu’il eut distrait la vieille en jouant avec ses proies. Les écuelles du chat et de la maitresse étaient d’ailleurs côte à côte sur la table de la salle de séjour. Le reste du temps, le minou dormait sur un lit en noyer admirablement sculpté d’amours ailés, auquel Madeleine était très attachée, car il avait été fabriqué par son père, un sculpteur et un ébéniste de renommée locale dont l’atelier se trouvait rue Saumuroise  à Angers à la fin du 19ème siècle.

Une grande partie du mobilier de Madeleine provenait de ce père artisan talentueux qu’elle admirait. Mais tout ne présentait pas le même état de conservation. Ainsi, un porte-manteau finement ouvragé mais rongé aux vers trônait dans un coin de sa pièce de vie, de même que quelques chaises dépenaillées…dont une, curieusement qui servait de support à un vase de nuit. .

Seul le piano, sur lequel elle continuait chaque jour de faire ses gammes en dépit de l’arthrose et de la déformation de ses doigts, était l’objet d’une dévotion et d’un entretien particuliers. Elle le faisait régulièrement réaccorder car l’humidité ambiante exerçait sur l’instrument une mauvaise influence.

Faute d’avoir pu donner libre cours à la vie d’artiste à laquelle elle aspirait, Madeleine avait dû, quarante ans durant, pratiquer divers métiers dont celui de fonctionnaire, de secrétaire et d’employée de banque. Sans le préciser, elle laissait entendre qu’elle avait longtemps habité Paris et qu’elle y avait mené une vie mondaine… De fait, en dépit des apparences qu’elle se donnait, Madeleine était une personne cultivée, et de surcroît, gentille… Toutefois, avare de confidences sur ce que fut réellement son existence, notamment à l’époque, où elle était désirable et où probablement elle s’habillait avec goût, elle esquivait toute question trop personnelle ou embarrassante, préférant évoquer les vendanges de la région où elle s’était retirée, et la qualité des vins du Layon. Des banalités d’usage et de tradition en Anjou ! Rien sur ses amours, ses regrets ou ses remords!

Avec un peu de chance et beaucoup d’insistance, elle consentait parfois à chanter quelques tirades d’opéra en s’excusant, bégayante, de la technique qu’elle ne possédait plus à ses yeux !  Mais qui néanmoins, nous laissait admiratifs, surpris de découvrir une telle perle dans un décor si suranné aux qualités acoustiques discutables. Souvent, elle concluait en offrant un petit verre d’eau de vie de poire…

La dernière fois que je l’ai rencontrée, probablement en 1968, pressentant peut-être sa fin proche, elle voulut m’offrir un souvenir d’elle, qu’elle alla chercher dans une sorte de grenier auquel elle accédait par une échelle de meunier. Pourquoi choisit-elle de me donner un gros volume relié du Larousse Mensuel Illustré des années 1914-1916 ? Je n’en sais rien mais je soupçonne que la réponse se trouve quelque part dans une des mille pages de l’ouvrage. En tout cas, depuis près des quarante-cinq ans, il trône dans ma bibliothèque. Et j’y puise régulièrement de précieuses informations introuvables sur Internet…

Comme souvent, j’ignore la date du décès de  la vieille dame d’Ardenay. Et je ne possède aucune photographie d’elle.  J’imagine que sa maison et son lopin de terre ont été vendus par d’improbables héritiers ou par l’Etat. Je ne saurais aujourd’hui retrouver l’endroit. Je ne le cherche d’ailleurs plus ailleurs que dans les méandres de ma mémoire, affecté du parfum d’autrefois. Cette mémoire qui forcement fait défaut aux nouveaux résidents de ce petit domaine. Peut-être, le hasard fera qu’ils me lisent et qu’ils fassent le rapprochement…

Read Full Post »

Vagabonder dans le temps et l’espace, comme dans une brocante imaginaire. Flâner sans trop se préoccuper de ce qu’on recherche mais en s’émerveillant d’y découvrir, à peu de frais, des trouvailles aussi ignorées qu’essentielles. Telle est l’ambition de ce blog. Je me plais à imaginer qu’il ressemble à ce grenier mythique que nous avons tous à l’esprit, dans lequel au milieu d’un bric-à-brac de vieilleries, dormiraient des trésors oubliés. S’adressant en priorité aux jeunes générations (des années 2000),  je voudrais que chacun, au gré de ses états d’âme y trouve matière à alimenter sa machine à rêver ou encore à révéler une mémoire méconnue d’une histoire toujours présente ! 

 L’idée de ce travail m’est venue, il y a quelques années, à la suite de la lecture d’un merveilleux petit livre, publié en 1950, intitulé « Autrefois chez nous ». Son auteur Pierre Froger, écrivain et éditorialiste au « Courrier de l’Ouest » y évoquait avec beaucoup de sensibilité, certaines figures de son enfance à Pouancé en Anjou au début du 20ième siècle. Ce livre avait le goût d’une journée d’automne, de ces heures inexprimables où il semble que le passé s’installe discrètement à nos côtés. J’avais différé la réalisation de ce travail, faute d’une maitrise suffisante d’un support adapté comme Internet, et surtout, de pouvoir y consacrer un temps suffisant. Il aura fallu qu’un événement brutal survenu le 18 septembre 2009, premier d’une funeste série, me laisse entrevoir l’éventualité d’une fin possible pour transformer ce qui n’était qu’un vague dessein en une sorte de nécessité. Comme s’il fallait transmettre au plus vite aux générations montantes une sorte de patrimoine mémoriel familial. Raconter un peu de ce passé collectif et intime qui a contribué à nous façonner, souvent à notre insu. S’efforcer avant qu’elles ne disparaissent, d’en identifier les traces encore visibles et de léguer quelques clés de ce monde disparu qui nous a porté, pour mieux comprendre ce que nous sommes. Ainsi ce blog sera constitué de récits un peu décousus exhumés au hasard de ma fantaisie et de ma mémoire. C’est un pari. 

 Il doit donc être regardé comme un des rares avantages de l’infarctus dont je fus victime, qui, me rappelant la fragilité de l’existence, m’a fourni la motivation indispensable pour poursuivre cette prospection identitaire. Il m’en a également donné le loisir en me contraignant à quelque repos forcé, et surtout en plaçant au second plan d’autres pseudo-priorités qui se sont trouvées reléguées au rang d’accessoires ! Un autre élément important fut une réflexion de mon père,Maurice Pasquier, qui constatait un peu désabusé que les rangs de ceux qui se souviennent que le Lion d’Angers fut un des berceaux de la famille, s’éclaircissent irrémédiablement.   

Encore fallait-il cerner le sujet sans se contraindre dans des limites trop strictes, ou s’enfermer dans une conception trop exiguë de cette histoire. En effet, le concept même de famille est difficile à circonscrire. Chacun en cultive sa propre une idée et peut, à juste titre, se revendiquer d’appartenir à plusieurs. Mon propos est simplement de rendre compte de ma propre vision de « notre famille » sur les quelques générations qui nous ont précédés. D’autres, en particulier, mes sœurs, Marie-Brigitte, et Françoise pourront, s’il a lieu, corriger ou compléter mes propos. S’agissant de ma sœur Louisette, elle n’aura malheureusement plus le loisir de le faire car le destin a voulu qu’elle décède le 7 juillet 2010. De contributrice potentielle elle deviendra sujet …Forcément, sa mort a infléchi ma démarche sans la remettre en cause. Il est évident par exemple que les souvenirs consacrés à notre grand-mère maternelle avec laquelle elle entretint des relations complexes en dépit de ressemblances troublantes, aurait gagné en relief si Louisette avait pu y apporter ses commentaires. 

 Je m’appuierai en les intégrant, sur les témoignages rédigés par mon père Maurice Pasquier, par mon oncle Albert Turbelier ou par ma cousine Marie Thérèse Gallard, la généalogiste de la famille, qui sur des modes différents ont conçu un projet analogue au mien et complémentaire. Ainsi, le fil rouge de ce blog est de convier le lecteur à une sorte de balade familiale au siècle dernier, avec une certaine préférence pour l’Anjou, ma province, en tout cas, celle que je connais le mieux. Chemin faisant, je ne me priverai pas de déborder les frontières spatio-temporelles que je me suis fixées. En outre, je ne m’interdis pas d’évoquer certains sujets d’actualités et des personnages alliés ou amis, comme on l’aurait fait au 6 bis rue de Messine dans les années 60.

Deux des personnages importants parmi les plus fréquemment évoqués sont d’ailleurs nés à la fin du 19ième siècle hors de l’Anjou : ma grand-mère maternelle Adrienne Venault  a en effet vu le jour en Poitou en 1894 et Marcel Pasquier, mon grand-père paternel en Thiérache en 1892. Dans leur comportement comme dans leurs valeurs, on mesurera que ce sont bien des personnages d’un monde révolu. Sans nuance, l’une pourrait être qualifiée de « plutôt » conservatrice, et l’autre à l’inverse, de « plutôt » progressiste. Mais cette classification est à bien des égards, trompeuse, car elle s’appuie sur des références devenues aujourd’hui obsolètes. En outre, le traumatisme que subirent l’un et l’autre au cours des deux guerres mondiales, a certainement et profondément ébranlé leurs certitudes d’antan. Ces deux personnalités ont marqué la famille de leur empreinte, au moins symboliquement. L’une et l’autre n’ayant probablement pas révélé la totalité de leurs ressorts intimes.

 La guerre de 1914-1918 a mobilisé nombre des nôtres comme dans toutes les familles françaises. J’ai pensé juste, tant ce drame fut déterminant, presque structurant, pour les décennies qui suivirent, que quelques billets soient consacrés à ces poilus des familles Pasquier, Venault, Turbelier, Cailletreau et autres. Il s’agira d’abord de les recenser car leur souvenir s’estompe mais aussi de leur rendre hommage à partir des éléments biographiques ou bibliographiques dont nous disposons. Pour certains, plus proches par la filiation ou pour lesquels les données sont abondantes, un texte particulier leur est dédié. 

Notre balade nous conduira probablement en des lieux que je qualifierai de fondateurs, et dont mon père redoutait qu’ils fussent oubliés : je pense à Montjean-sur-Loire, au Lion d’Angers, aux quartiers ou aux rues d’Angers comme le quartier de La Madeleine, de Saint Léonard, les rues de Messine, Desmazières, de la Madeleine, le centre Saint Gabriel, l’école Saint Augustin…Des sites enfin seront évoqués: Bouchemaine, La Pointe au confluent de la Maine et de la Loire, la Roche de Mûrs-Erigné et l’église « vendéenne » de Saint Florent Le Vieil. Sans exclure d’autres provinces plus éloignées comme le Périgord Noir ou des villes comme Vervins dans l’Aisne,… Des endroits que le temps et les événements ont remodelés et qui servirent de terreaux à ce petit monde familial. Des lieux qui témoignent des bouleversements industriels, ruraux et citadins du 20ième siècle, dans lesquels nos parents ont parfois frôlé la grande histoire. Seulement frôlé ! Car en dépit de la variété de leurs professions, de leurs convictions politiques ou religieuses et leurs statuts sociaux, tous n’étaient finalement que de petites gens. 

Read Full Post »