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Posts Tagged ‘Grand-mère’

 

Avec un tel intitulé on pourrait penser que ce billet ne vise qu’à réécrire besogneusement une parodie des aventures toujours surprenantes, parfois déstabilisantes du célèbre Chat de Philippe Geluck. D’emblée je précise que ce n’est pas le cas… Mon propos, n’a aucun rapport avec les facéties de l’ineffable matou cravaté du dessinateur belge, en tout cas, consciemment ! Mais je n’ignore pas que les aphorismes du félin philosophe influent nécessairement sur la prose de quiconque s’avise de mettre en scène des greffiers. On ne sort pas psychologiquement indemne des griffes rétractables d’un Chat qui énonce avec componction que « logiquement il devrait dire le double de ce qu’il pense, vu qu’il ne pense pas la moitié de ce qu’il dit » !… Tout en reconnaissant avec modestie « dire parfois des choses tellement intelligentes qu’il ne les comprend pas lui-même »…

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Bien qu’on s’en défende, il est donc normal de suspecter, en sous-main, la patte pataude et l’esprit délié du Chat du Geluck, d’autant que l’animal est doté d’une curiosité encyclopédique et qu’étant lui-même un peu timbré, il aurait très bien pu s’intéresser aux « timbres » ! D’ailleurs il l’a fait. Mais, seulement à propos du petit carré dentelé qu’on colle en France – et partout ailleurs – sur les correspondances depuis 1849.

Or, le timbre dont il est question ici, n’a rien à voir avec celui qu’on oblitère à la poste ! Ni avec le timbre du tambour. Pas plus qu’il n’est question du « timbre violet » ce petit champignon mauve de la famille des serpentins décrit par Jean-Jacques Paulet (1740-1826) médecin mycologue réputé en son temps… Ce timbre n’entretient enfin aucun lien de cousinage même lointain, avec le terme technique utilisé par les pelletiers d’antan pour caractériser un ensemble de peaux de martre ou d’hermine.

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Non ! Le « timbre » dont il s’agit, doit être compris au sens du « Dictionnaire du Monde Rural et des mots du passé » de l’historien Marcel Lachiver (1934-2008). C’est la « cuve », le « cuvier », le « baquet » ou la grande auge en pierre qui servait à faire boire le bétail au pâturage. Ce mot aujourd’hui oublié était d’usage courant dans les campagnes d’Anjou, de Touraine et du Poitou depuis le 15ième siècle. Ainsi, pour signifier que Gargentua était un enfant boulimique, François Rabelais écrivait en 1532 dans Pantagruel:   » Aussi luy bailloit-on ladicte bouillie en un grand timbre« .

Dans ce contexte, « le timbre des chats », c’est tout simplement une mangeoire en pierre. L’histoire qui s’y rapporte eut lieu, il y a fort, fort … longtemps, en Pays de Gâtine, au cœur du Haut Poitou à quelques lieues, au septentrion de Parthenay. Une bien étrange histoire, en vérité, peut-être révélatrice et déterminante de ce qui suit! Nous en reparlerons…

Le « Chat » de Geluck est donc totalement étranger à cette histoire. D’ailleurs, on se demande ce que pourrait faire ce matou d’Outre-Quiévrain en pays de Gâtine !

Carte du portail du Pays de Gâtine

Carte du portail du Pays de Gâtine

La genèse de ce papier – qu’un chat ne prendrait même pas pour litière – est en réalité assez banale. Tout procède de l’idée ou du constat trivial qu’au lieu de répartir les gens entre ceux qui se réclament de la « droite » et ceux qui idolâtrent la « gauche », on peut obtenir une représentation tout aussi pertinente de la société en définissant deux autres groupes « antagonistes » irrémédiablement non miscibles et non superposables aux précédents: celui des « félinophiles » qui vouent une dévotion exclusive aux chats, et celui des « félinophobes » qui, à l’inverse, se méfient des minets, leur prêtant toutes les tares de la terre et leur imputant une grande part de leurs malheurs !

Tout compromis entre ces deux groupes semble difficile. Il est même admis qu’ils sont, par nature, inconciliables. Les uns prétendant en effet qu’ils ne peuvent jouir d’un sommeil réparateur qu’à côté d’un chat ronronnant, les autres au contraire verrouillant systématiquement tous les huis de leur maison pour interdire l’irruption nocturne – voire diurne – de tout importun pelage, au motif d’une prétendue allergie aux poils ! Ils accusent alors les minous de mille maux ! Et que sais-je encore ? Evidemment entre ces deux coalitions il existe, comme dans le cas de la « gauche » et de « la droite », des conciliateurs, voire des transfuges qui, selon les époques, deviennent renégats ou visionnaires, et s’efforcent en vain de faire cohabiter tout le monde sous un même toit ! Parfois, il le faut bien, ne serait-ce que pour satisfaire aux exigences de la reproduction sexuée commune à tous les mammifères!

Cette « fracture » traverse presque toutes les familles et est fréquemment la source de conflits intimes ou de sourdes mais profondes frustrations…Cette rivalité binaire -bipolaire – est tantôt à la mesure de l’aversion, tantôt à celle des relations de proximité affective que chacun des membres d’une même famille noue, consciemment ou non, avec le ou les chats domestiques du foyer…Et  ce quel que soit le croisement dont est issu le chasseur de souris! Un lecteur vigilant aura noté que même au sein de l’espèce « chat », je me garde de parler de « races » pour ne pas froisser les susceptibilités en usant d’un mot qui fait aujourd’hui débat dans notre pays et que certains proposent même de bannir du vocabulaire !  En ces temps troublés où les milices de la pensée sanctionnent le moindre dérapage verbal, il vaut mieux s’abstenir d’user de termes ambigus…

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D’ailleurs, dans mon quartier, alors que j’observe un taux croissant de chats de haut lignage au détriment des matous de gouttière, je me garderais bien, par exemple, de dresser des statistiques sur les proportions respectives des uns et des autres, pour ne pas subir les foudres des ligues de défense des droits félins! A coup sûr, elles ne manqueraient pas de qualifier mes innocents comptages d’inventaires « ethniques », ce qui, dans le cas d’espèce, serait une erreur ontologique, s’agissant d’approximatifs dénombrements de baroudeurs solitaires n’aimant pas chasser en meute ou de pauvres hères en quête d’amours furtives, ne cultivant ni l’instinct grégaire, ni l’esprit communautaire ! Encore moins l’esprit d’équipe…

Cette fracture entre « félinophiles » et « félinophobes » existe aussi – donc – dans ma propre famille. Ainsi, ma grand-mère maternelle Adrienne Venault – épouse Turbelier – (1894-1973) qui n’appréciait guère la présence de chats dans son environnement et qui jamais n’en adopta, serait plutôt à classer dans la gent des « félinophobes », alors que ma grand-mère paternelle, Marguerite Cailletreau – épouse Pasquier – (1897-1986) devrait figurer en bonne place dans l’autre clan. Jusqu’au terme de son existence elle vécut en leur compagnie et se levait même presque chaque nuit, pour permettre au minou qui dormait à ses pieds d’aller courir la gueuse dans le jardin de son immeuble.

A proprement parler, Adrienne Venault n’avait pas d’animosité agressive à l’égard des chats mais elle n’entretenait avec eux aucune connivence. Elle s’en méfiait, ne leur concédant au mieux qu’une fonction utilitaire de chasseurs de petits animaux nuisibles. A ses yeux, la traditionnelle « tapette à souris » et son appât au fromage remplaçaient avantageusement et à moindre frais, le prédateur attitré des rongeurs!

D’où lui venait cette réticence ? Peut-être d’un lointain passé, où on lui aurait imputé à tort des vols de nourriture, commis par des chats en goguette dans la cuisine de ses patrons ! A tout le moins une surveillance inefficace. Peut-être aussi, garda-t-elle à l’esprit, sa vie durant, la vision résiliente et horrifiante de pauvres chats happés par des trains au passage-à-niveau tenu par sa mère à Soulièvres ou à Saint-Varent(79) ! Peut-être enfin que les légendes et les jeteurs de sorts du Pays de Gâtine y sont pour quelque chose ! N’est-ce pas dans cette région autour de Parthenay, région d’origine de la famille de ma grand-mère maternelle, que les farfadets se querellaient la nuit au travers des haies bocagères? N’est pas là aussi que sévissaient la méchante fée Mélusine, ainsi que le diabolique Cheval Mallet qui, la nuit, faisait disparaître ceux qui le montaient, ou encore la Galipote qui, autrefois, terrorisait les veillées campagnardes en Poitou?

Mes parents ayant reproduit, chacun de leur côté,  la même inclination ou hostilité à l’égard des chats, que leurs parents respectifs, la tentation est forte d’en conclure que ces comportements sont hérités, sans que les circonstances de la vie ou les contraintes spécifiques de chaque époque les aient substantiellement modifiés!

Evidemment, il m’est impossible de trancher quoi que ce soit. Toutefois, pour ce qui est de la défiance marquée d’Adrienne Venault vis-à-vis des greffiers de tous poils, plusieurs éléments troublants me conduisent à l’imputer au premier chef, au Pays de Gâtine, où superstition et religiosité se faisaient mutuellement la courte échelle…Je les livre à la sagacité de ceux qui voudront bien me lire…

Tout d’abord, il convient de rappeler qu’Adrienne Venault, à laquelle j’ai consacré ici plusieurs chroniques, est née le 10 février 1894 à Saint-Loup-sur-Thouet – aujourd’hui Saint-Loup-Lamairé – petite cité médiévale au cœur de la Gâtine « deux-sèvrienne » , sur le périmètre de laquelle s’élève un château édifié au onzième siècle. Ce château, un des plus beaux du Poitou, aurait inspiré à Charles Perrault (1628-1703) le décor du Chat Botté.

Ayant vu le jour à proximité de cet édifice et ayant été employée, quelques années plus tard, dans une gentilhommière voisine – le Château de Repéroux – Adrienne ne pouvait évidemment pas ignorer ce conte. Elle ne pouvait donc méconnaître ni l’astuce, ni les multiples facéties de ce chat singulier, certes fidèle à son maître désargenté, mais trop intelligent pour être honnête ! Un peu voyou en somme, il s’était promis de lui offrir le pouvoir, la richesse et la main d’une princesse. Et ce, en usant de tous les moyens justifiant cette fin heureuse, à savoir la ruse, le mensonge, la fourberie et la mystification. Adrienne, en tira t’elle des enseignements implicites pour l’avenir de ses relations avec la gent féline ? Nul ne le sait…

Une autre légende de la région est plus probante encore quant à la méfiance que nourrissaient peut-être les villageois des siècles précédents – et donc ma grand-mère alors enfant – à l’égard des chats, ces êtres ambivalents et énigmatiques. Une légende qui conforte cette image, d’animaux à la fois câlins et cruels, madrés et imprévisibles, dont il faudrait par conséquent se défier ou se méfier! Cette autre légende, c’est celle du « Timbre aux chats », qui postule qu’on a affaire à des créatures du « diable » qui viennent troubler la quiétude des humains, certains jours de l’année, notamment la nuit du Mardi-Gras…

Du côté de Saint-Loup-sur-Thouet , un soir ...

Du côté de Saint-Loup-sur-Thouet , un soir …

Plusieurs narrations circulent de cette fable effrayante dans les chemins creux du bocage. Elles convergent toutes. Ignorant l’identité de celui qui, du fond des âges, a pris le premier la plume pour la raconter,et ne souhaitant pas « bricoler » ma propre version en plagiant les récits de mes prédécesseurs, j’ai décidé de reprendre textuellement celle figurant dans un ouvrage de C. Puichaud – un historien régional et avocat à la cour d’appel de Poitiers – édité en 1897…

Voici ci-dessous, un extrait de ce livre « La tradition en Poitou et Charentes », rapportant l’insolite histoire du « Timbre aux Chats » :

« … Le soir du Carnaval, ce sont les chats, qui se réunissent à l’Ormeau Robinet, nœud de routes plus connu sous le nom de Timbre aux Chats, parce qu’il y a dans cet endroit pour l’usage des chats, un timbre, c’est-à-dire une auge. Elle est en granit. L’Ormeau Robinet est au croisement, sur la route de la Chapelle-Saint-Laurent à Moncoutant, de l’ancien chemin de Pugny et de celui qui lui faisant face va se perdre dans les terres.

Le soir du Carnaval donc, le Timbre aux Chats, cadeau du diable, sert à leurs diaboliques agapes. Chacun des félins de la région y dépose les reliefs qu’il a su dérober à ses hôtes. Le lutin fournit le complément du festin. Toute la nuit l’air frémit de leurs miaulements effrayants, du bruit de leurs mâchoires. Malheur à qui les dérangerait ; en un clin d’œil, leurs griffes aiguës déchireraient l’imprudent, leurs dents acérées le dévoreraient.

Maints fermiers dont le timbre a tenté la cupidité l’ont emporté chez eux. Ils ont dû le retourner. Tant qu’ils l’ont conservé, leur maison était hantée. Des animaux inconnus rôdaient autour, interdisant, par leurs cris épouvantables, à ses habitants de retremper dans un sommeil réparateur leurs forces épuisées, bouleversant les travaux de la journée, dévastant les cultures, salissant l’herbe des prés. Les animaux domestiques mouraient d’un mal mystérieux. La ruine arrivait à grands pas. Devant cette malédiction, le coupable réintégrait le timbre à sa place primitive et retrouvait la tranquillité perdue. Le bétail prospérait, les prés verts se couvraient d’une herbe luxuriante, les moissons, merveilleusement, se chargeaient du grain de vie. La ferme revenait au bonheur des vieux … »

Devant de tels méfaits ressassés depuis toujours dans les campagnes poitevines, comment ne pas concevoir à l’égard de ces « petites bêtes » un certain sentiment de phobie? Surtout dans l’esprit des enfants d’autrefois qui n’avaient guère d’autre occasion que l’école pour découvrir – finalement mais relativement tardivement – la rationalité d’un autre discours…Il n’est donc pas improbable que ces légendes du bocage qui forgèrent la réputation de chats malfaisants, aient influencé durablement les comportements futurs de ceux ou celles qui les entendaient au berceau…

En me relisant, je m’aperçois que moi-même, je finis pas douter de l’amitié de la petite chatte qui me regarde en ronronnant , en minaudant aussi, confortablement installée sur la tablette de la petite commode située à côté de mon ordinateur près du radiateur. Je la suspecte de me surveiller avec duplicité, bien qu’elle n’ait pas exigé, pour l’heure, de relecture de mon texte !! Je crois que je prendrais alors la liberté de lui refuser…Quitte à ce qu’elle souffle méchamment à mon adresse.

Diable, on n’est jamais assez prudent avec les vieilles superstitions…Elles finiraient par nous foutre la trouille. Mais le doute bénéficiant à l’accusé, je persiste, malgré tout, à me déclarer « félinophile »… Du moins pour le moment!

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PS: Sur la fin de sa vie, j’ai surpris à maintes reprises, Adrienne Venault sommeillant devant une télévision « noir et blanc » avec un chat noir dormant sur ses genoux. Comme quoi on peut moduler et modérer des avis initialement trop tranchés… Ce chat qui s’appelait curieusement « Mao », du nom d’un « grand timonier » aujourd’hui disparu, lui a t-il, ultérieurement, porté malchance? N’étant pas superstitieux, je ne veux pas y croire car ça porte malheur…

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La dernière fois que ma grand-mère paternelle, Marguerite Cailletreau (1897-1986) rendit visite à Suresnes à son frère aîné Joseph Cailletreau (1886-1973), ce fut certainement au cours de l’été 1972, en août ou en septembre.

Chaque année depuis très longtemps, en particulier depuis son veuvage en 1956, Marguerite prenait le train au petit matin à la gare Saint-Laud à Angers et débarquait à Montparnasse quelques heures plus tard. Là, le fils de son frère l’attendait à la sortie du quai pour la conduire à travers le quinzième arrondissement, puis le Bois de Boulogne au domicile de son aîné et de son épouse Germaine Pelgrin… Selon les cas, Jean et elle traversaient la Seine au pont de Suresnes ou à celui de Puteaux, pour finalement « atterrir » dans une rue calme de Suresnes – rue de Nanterre – qui dominait le fleuve en contrebas du Mont-Valérien.

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Au passage sur le quai longeant les usines de camions Unic, où son frère avait travaillé une grande partie de sa carrière, Marguerite s’extasiait, presque chaque année avec la même ingénuité, devant le tonnage impressionnant des péniches pleines de sable, de charbon ou de matières premières diverses, qui franchissaient l’écluse de Suresnes à la queue leu-leu… Un trafic sans rapport, ni de fréquence, ni de dimensionnement, avec celui qu’elle connaissait par ses cousins Delhumeau, des gabares ligériennes de l’Oudon, de la Mayenne ou de la Maine dans la traversée d’Angers…

Le rituel était à peu près identique chaque fois.

Ce voyage, généralement l’unique de l’année, était une des rares occasions, où elle pouvait utiliser les billets gratuits dont elle bénéficiait en tant que veuve d’ancien cheminot. C’était aussi la seule opportunité de rencontrer, au moins une fois l’an, son frère qui avait quitté le Lion-d’Angers, leur village natal en 1909 ou 1910, pour faire carrière dans la mécanique automobile sur les bords de Seine à Puteaux (Voir mon billet du 10 janvier 2013,  » De la fabrication de galoches à la mise au point de moteurs« .

Dans ses bagages, elle emportait systématiquement un « pâté-aux-prunes », qu’elle avait acheté, la veille au soir à  la boulangerie Bidet qui se trouvait à quelques pas de chez elle, rue de la Madeleine…  Pour rien au monde, elle n’aurait oublié son gâteau. Pour rien au monde, son frère expatrié de l’Anjou, n’aurait pardonné qu’elle fasse l’impasse sur cette pâtisserie du pays qu’on ne retrouve nulle part ailleurs !

Le « pâté aux prunes » – comme le notent avec humour « des angevins qui ne se prennent pas au sérieux » sur le site Internet qu’ils lui consacrent – est à l’Anjou ce que la frite est à la Belgique, la bouillabaisse à Marseille, le far à la Bretagne, le nougat à Montélimar,  « la tarte au maroilles au cht’i » ou les huîtres à Cancale… Toutefois, à la différence de ces quelques spécialités régionales et de beaucoup d’autres,  – toutes délicieuses et universellement reconnues – le « pâté-aux-prunes » angevin ne peut guère être confectionné ailleurs que dans les limites – d’ailleurs inconnues des accords de Schengen – de la province historique de l’Anjou, c’est-à-dire, grosso modo le Maine-et-Loire, le sud de la Mayenne et quelques arpents des Deux-Sèvres et de la Loire Atlantique.

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Pâté-aux-prunes de Rose L’Angevine -août 2015

En outre, on dit que seuls des angevins peuvent en percevoir la subtile saveur… C’est la raison pour laquelle le « pâté-aux-prunes » ne s’exporte pas, ni ne s’importe du reste. Personne, jusqu’à ce jour, n’a (encore) eu l’idée saugrenue d’en faire fabriquer des milliers d’exemplaires en Chine, qui parviendraient au Havre via le Pakistan dans des containers blindés et qui viendraient encombrer les têtes de gondole des pâtisseries industrielles de l’hexagone.

Bien sûr ces conditions drastiques, qui seules sont en mesure d' »authentifier » un « pâté-aux-prunes » peuvent être interprétées par des esprits chagrins néolibéraux comme d’intolérables entraves au commerce. D’autres y verront l’expression d’une sorte de xénophobie franchouillarde et patoisante. Enfin les bonnes âmes toujours promptes à donner des leçons de morale n’hésiteront pas à qualifier cet ostracisme alimentaire de racisme anti-quelque chose. Peu importe ! Pourvu qu’on se régale de « notre » pâté-aux-prunes, quand il faut et comme il faut…Pour le reste, il suffit de laisser passer la caravane des critiques de toutes obédiences et observances en se bouchant les oreilles, mais sans se voiler la face !

Ces règles nées de la tradition angevine sont suffisamment ancrées dans le patrimoine local pour résister à toute tentative de normalisation œcuménique ! Ainsi, lorsque j’évoque les « pèlerinages » fraternels et annuels de ma grand-mère paternelle en région parisienne pour porter un pâté-aux-prunes à son frère exilé, c’est précisément pour signifier, par contraste, que pareille démarche n’aurait pas effleuré l’esprit de mon autre grand-mère – maternelle – Adrienne Venault (1894-1973) qui, originaire du Haut-Poitou, n’a jamais manifesté le moindre attachement sentimental à ce gâteau, qu’elle trouvait bon mais dont elle n’imaginait pas en faire un marqueur identitaire de sa personne et de sa province.

On dira donc que le pâté-aux-prunes est un gâteau aux prunes, réalisé et dégusté en Anjou à la saison des prunes, c’est-à-dire en juillet, août et septembre – et jamais, en principe, en dehors de cette période. On ajoutera qu’il ne peut être apprécié à sa juste valeur que par des angevins de « pure souche » ou des descendants d’angevins de « pure souche » …de Vigne ! Mais, comme toute tradition ou usage, le rite du « pâté-aux-prunes » souffre de quelques exceptions, s’agissant notamment du lieu où on le savoure. La ville de Suresnes des années soixante et soixante-dix illustre cette dérogation.

De même, j’eus l’occasion de me soustraire dernièrement à cette « règle » implicite de l’unité de lieu, dans le cadre d’une habitude, qui semble désormais s’institutionnaliser, de déguster un pâté-aux-prunes chez Rose l’Angevine dans la banlieue nantaise. Mais, il est vrai que sa maison peut être assimilée à une ambassade du pays des Plantagenet!

« Rose », ma cousine, correspondante assidue de ce blog et par conséquent, connue de mes lecteurs, est en effet pâtissière à ses heures, et angevine de cœur et de naissance. C’est elle-même , qui avait élaboré un excellent pâté-aux-prunes, en respectant la recette classique mais en y apportant sa petite touche « personnelle » notamment en ce qui concerne sa coloration…Des variantes sont en effet permises et souhaitées, sur la base d’un socle commun indiscutable.

J’imagine qu’à ce stade de mon développement, mon lectorat mis en appétit, voudrait que j’entre enfin dans le vif du sujet et que je fournisse quelques indications sur l’origine, la nature et la recette de cette pâtisserie qui, comme la « boule de fort », ne se pratique qu’en Anjou et dans le Val de Loire de Saumur à Champtoceaux!

J’y viens! Car je dois, bien sûr, m’efforcer de m’acquitter de cette dette « morale » contractée auprès de ceux qui me lisent et que j’ai fait saliver sur les mille vertus de ce fameux pâté. Mais, je ne saurais pour autant singer les guides gastronomiques en exhumant de derrière les fagots, quelque vieille recette attribuée à une « mémé confiture » en tablier à carreaux ! Et je n’ai nulle intention d’enrichir les rayonnages de la FNAC de mes commentaires gastronomiques en concurrençant les ouvrages existants et en commettant un énième bouquin qui fleurerait bon les charmes surannés d’une antique province…L’âge venu, je ne prétends pas tenter une reconversion en imitant pâlement et platement mon éminent compatriote angevin Curnonsky (1872-1956), le critique culinaire le plus renommé de la troisième République !

Le pâté aux prunes est en fait une sorte de « tourte » confectionnée de préférence avec des Reines-Claudes ou des prunes Sainte Catherine, qui arrivent à maturité en août et en septembre. Ces deux variétés rustiques de pruniers, faciles à cultiver et très présents dans les vergers d’Anjou depuis la nuit des temps fournissent en effet des fruits à la chair charnue, ambrée, sucrée, juteuse et parfumée, particulièrement prisés en pâtisserie. Certains prétendent que les Croisés auraient rapporté les premiers plants de pruniers à leur retour de Syrie!

Les prunes convenablement lavées et en principe non dénoyautées – mais pas systématiquement – sont disposées sur une pâte qui est refermée sur les fruits et qui laisse apparaître en son centre un « puits » ou une « cheminée » destinée à conserver l’humidité des prunes pendant la cuisson et à préserver leur moelleux à la consommation.

L’origine de cette « tourte » est probablement très ancienne dans les campagnes angevines, et singulièrement dans le Haut-Anjou, du côté de Segré et du Lion d’Angers où la tradition du « pâté-aux-prunes » fut longtemps la plus vivace. Cette tourte était, dit-on, cuite après le pain, dans les fermes.

Cependant, la fabrication des «pâtés-aux-prunes » à la ferme a progressivement disparu avec l’abandon à la fin du 19ième siècle des fours à pain individuels au profit des boulangeries des bourgs, de telle sorte qu’après la Grande Guerre de 1914-1918, la quasi-totalité des tourtes aux prunes était cuite en boulangerie… Le boulanger ne jouait en l’espèce qu’un rôle de prestataire de service pour la cuisson, car l’initiative de la confection du pâté revenait à celui qui apportait les prunes de son propre verger…

Selon les experts les plus crédibles – je veux parler ici des animateurs du site Internet dédié au pâté-aux-prunes – ce ne serait qu’après la seconde guerre mondiale que les professionnels de la boulange et les pâtissiers prirent complètement la main sur la fabrication, indépendamment de tout donneur d’ordres externe, en proposant de leur propre chef des « pâtés-aux-prunes » à la vente, de conserve avec les commandes des adeptes du « sur mesure », comme ma grand-mère paternelle.

Curieusement, cette fabrication n’a que très peu essaimé hors de l’Anjou.

Pourtant la recette du pâté-aux-prunes est d’apparence simple, transposable et réalisable partout, dès lors qu’on dispose des ingrédients nécessaires et d’un four pour la cuisson. A base de farine, de beurre, d’œufs, de sucre et, bien sûr, de prunes, la réussite de la composition repose en grande partie sur le tour de main de celle ou de celui qui confectionne. Mon épouse qui ne réside pas en Anjou et dont les racines sont périgourdines y parvient!

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Dans mon cas en revanche, je crois qu’un engagement trop formel sur le succès de l’entreprise serait certainement aventureux… sauf pour ce qui est de la dégustation avec un vin d’Anjou, de préférence un grand crû du Layon bien frappé, dans le choix duquel je revendique sans complexe une certaine maîtrise…

Ce qui est certain c’est qu’il n’est pas besoin de faire appel aux prouesses de la génétique ou de l’épigénétique pour retrouver en le goûtant des plaisirs ancestraux. Des papilles gustatives, convenablement formatées, suffisent …assorties au préalable d’une invitation chez Rose l’Angevine…

 

Nota : Les modalités précises de la fabrication du pâté-aux-prunes sont abondamment décrites dans les ouvrages spécialisés (Cuisine du Val de Loire aux éditions Stéphane Bachès) et sur les sites Internet. Pour ma part, je m’y refuse car j’ai déjà beaucoup de difficulté à comprendre la logique de la pâte brisée. J’invite donc ceux qui seraient intéressés par cette pâtisserie typiquement angevine à se reporter aux experts … qui sont « légion à Angers » ou ailleurs!

 

 

 

 

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C’était un samedi d’automne au Lion d’Angers, à quelques jours de la Toussaint. Six ans à peine après l’armistice du 11 novembre 1918. Ce jour-là, le 18 octobre 1924, Clotilde Pasquier (1902-1983) fille cadette de Baptiste Pasquier (né en 1858), et d’Angèle Houdin (née en 1864) épousait Louis Eugène Bioteau. .

Un peu plus d’une trentaine de convives étaient invités à la noce, dont mon grand-père Marcel Pasquier (1892-1956) et ma grand-mère Marguerite Cailletreau (1897-1986). Ils étaient, alors, parents de deux enfants présents au mariage. Curieusement, mon grand-père et ma grand-mère étaient tous les deux – et indépendamment – cousin et cousine de la mariée: le père de Marcel était en effet l’oncle paternel de la mariée, tandis que la mère de Marguerite était sa tante maternelle ! Cette configuration étonnante mais classique excédait pourtant les possibilités de compréhension des agents d’état-civil de la mairie du Lion d’Angers, lorsqu’ils souhaitèrent se marier en 1918. Soupçonnant un lien de consanguinité, le braves préposés contraignirent ainsi mes « futurs » grands-parents à solliciter l’autorisation de convoler auprès du tribunal civil de Segré. Lequel confirma par ordonnance l’absence de parenté préalable!

C’est donc au double titre de cousins par le sang et par alliance que mon grand-père et ma grand-mère paternels furent conviés au mariage de Clotilde… Une fête bien modeste au demeurant, tant par le nombre restreint d’invités que par la sobriété des tenues et des toilettes, et surtout par l’absence apparente d’une quelconque jubilation sur le visage des invités, figé sans sourire et pour l’éternité sur la plaque argentique.

En fait, il ne s’agissait pas d’un de ces « grands » mariages, au sens où l’on entendait autrefois dans les bourgs de campagne, qui drainaient tous les paroissiens à la sortie de l’église! En l’occurrence, sur le parvis de l’église anciennement abbatiale Saint-Martin-de-Vertou, vénérable édifice du onzième siècle, à la nef romane et au chœur gothique, qui, en 1924, était encore amputé de son clocher incendié par la foudre dans la nuit du 4 au 5 mai 1918.

Avant l'incendie du clocher

Avant l’incendie du clocher

A voir aujourd’hui le cliché de famille réalisé par un professionnel local pour tracer l’événement, on imagine ce dernier, armé à la fois de patience et de sa chambre photographique portable, inspirée des premiers daguerréotypes, tentant vainement de susciter quelques esquisses de sourires, faute d’espérer obtenir une seule expression de franche gaieté, qui pourtant aurait été de mise en pareille circonstance! Cette situation pouvait paraître inédite pour un mariage procédant a priori du cœur et non de la raison. Elle n’empêcha pas le photographe d’appliquer toutes les conventions de cadrage en usage à l’époque: les enfants occupaient le premier rang devant des « anciens » assis, qui entouraient le jeune couple. Lequel, naturellement, était placé au centre de la scène.

Tous les autres participants, notamment les « jeunes » de la génération des mariés, se répartissaient de manière quasi-protocolaire  debout au même niveau, ou à l’arrière, grimpés sur un banc, selon leur lien de parenté avec l’un ou l’autre des époux. Une tradition non formalisée voulait en outre que les parents du marié se rassemblent de son côté, et ceux de la mariée de l’autre. Cet usage grosso modo respecté ici permet d’observer que la parentèle de Louis Eugène Bioteau était probablement moins nombreuse que celle de Clotilde, présente quasiment au complet! Son frère Baptiste Pasquier (1890-1937) non repéré sur la photo était sûrement là ainsi que ses sœurs aînées, Angèle (1889-1976) et Marie Louise (1893-1950) ainsi que leurs conjoints, sans omettre leurs enfants respectifs. Et, bien sûr, les cousins d’Angers ainsi que les oncles et les tantes !

Il n'est pas de la noce

Il manquait toutefois quelqu’un ! Un grand absent dont le souvenir interdisait à Angèle Houdin, la mère de la mariée, d’afficher sa joie! Et le fait de devoir se séparer de sa cadette qui convolait en justes noces devant le maire et le curé, n’était certainement pas le motif principal de sa tristesse…Tristesse et mélancolie, qui, d’ailleurs, ne la quittaient plus depuis neuf ans et qui durent être du même ordre en 1918 au mariage de ses aînés!

Ce fantôme, auquel tous songeaient, c’était Marcel Maurice Pasquier (1895-1915) l’autre frère de la mariée. Engagé volontaire dès le 1er août 1914 dans le 135ième régiment d’infanterie d’Angers, il était tombé au champ d’honneur le 22 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais…Or, en cet automne 1924, les cendres du héros reposaient au cimetière du Lion d’Angers, rapatriées à la diligence des autorités, sur l’initiative de ses parents, Baptiste Pasquier et Angèle Houdin! Et comme pour raviver en permanence une douleur toujours vive, le nom de leur soldat sacrifié, inscrit avec celui des autres lionnais « morts pour la France » en 14-18, sur le monument aux morts de la commune, érigé en 1921, se rappelait à eux à chaque passage sur la place de la Mairie…

Comment dans ces conditions, jouir sans réserve des événements heureux? Comment évacuer l’idée obsédante de la mort?

Aussi, le matin du mariage, à moins que ce ne fût le soir, la famille s’était rendue, à la demande expresse des parents,  en cortège sur la tombe de Marcel comme pour l’associer à la fête! Comme si c’était possible d’associer les mânes d’un disparu aux promesses d’avenir!

A soixante ans, Angèle Houdin n’avait, de toute manière, plus le cœur à faire la fête, ni même à faire semblant : sur la photo, assise au premier rang au pied de sa fille en robe blanche, elle apparaît toute menue,rabougrie, accablée et vêtue de noir, tenant la main de son petit-fils, Roger Pasquier, l’enfant de son autre fils rescapé de la Grande Guerre. Aussi ne sut-elle offrir au photographe d’autre visage que celui émacié et torturé par la souffrance d’une mère inconsolable ! Comme tous les jours et toutes les nuits, ses pensées demeuraient monopolisées par le souvenir du fils disparu…

Mon père Maurice Pasquier, né en 1926, petit-neveu d’Angèle raconte que dans sa petite enfance lors des congés d’été chez ses grands-parents Cailletreau, au Lion d’Angers, le rituel exigeait que l’on fleurisse régulièrement la tombe du cousin Marcel. Personne n’était dispensé de cette obligation, pas même les enfants nés longtemps après guerre! Il rappelle aussi ses balades pédestres, seul ou en compagnie de son grand-père Joseph Cailletreau (1859-1946), beau-frère d’Angèle et de Baptiste, sur les chemins conduisant à Thorigné… C’était avant la seconde guerre mondiale.

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En tout état de cause, en dépit du petit nombre d’invités, ce mariage constituait sûrement une charge non négligeable pour les finances très modestes du vieux Baptiste Pasquier et de son épouse Angèle, retraités sans réelle pension d’un commerce de « débitants de boissons ». Ils firent de leur mieux! Le visage de Baptiste que l’on aperçoit assis au premier rang, tenant sur ses genoux un de ses petit-fils, Marcel Beduneau alors âgé de cinq ans, n’exprime pas la même désolation que celui de sa femme. Mais plutôt une sorte de résignation fataliste, peut-être tempérée par l’espoir de voir sa descendance relever un flambeau qu’il n’a pas su ou pas pu porter là où il l’aurait souhaité! D’où la sérénité qu’il affiche en tenant le bras de son petit-fils, l’aîné des trois enfants de sa fille Angèle, comme pour le protéger! Plutôt bel homme, Baptiste s’était même mis sur son trente-et-un, et portait le nœud papillon !

Seul, au dernier rang sur la droite du cliché, l’ancien petit poilu d’Orient – celui que j’ai appelé en d’autres temps « mon » camionneur en ceinture de flanelle – mon grand oncle, Auguste Cailletreau (1892-1975) semble heureux d’être là, au mariage de sa petite cousine Clotilde! Coincé entre sa sœur Marguerite Cailletreau (1897-1986) et l’imposante carrure de son épouse Eugénie Chollet (1897-1979), il sourit répondant ainsi bien volontiers aux ultimes injonctions d’un photographe découragé. Mais pourquoi diable, ce dernier n’a t-il pas su cadrer correctement son fils Henri Cailletreau (1920-1937) debout à gauche de sa grand-mère Anne Houdin (1861-1943)? Ce fils avec lequel il entrevoyait déjà un destin commun dans l’automobile? Faut-il voir dans ce loupé technique, le funeste présage d’une tragédie qui accablera cet enfant unique qui décédera en 1937 d’une méningite! Encore adolescent…

Curieuse fête finalement que ce mariage où tout le monde paraissait peu ou prou s’ennuyer! En harmonie avec l’air du temps! Un jour sans actualité notable, hormis peut-être la préparation des funérailles parisiennes d’Anatole France dont le journal de l’Anjou, Le Petit Courrier, se fit largement l’écho, signalant au passage les cousinages angevins du grand écrivain et humaniste.

Une journée provinciale d’entre les deux-guerres en somme, foncièrement triste et humide, comme si la météo maussade se conformait de bonne grâce, aux standards attendus en automne dans ce haut Anjou, berceau de ma famille paternelle! Et ce, dans une période, où les stigmates de la guerre étaient encore perceptibles, colonisaient les esprits et où l’on pansait comme l’on pouvait les blessures d’un passé si prégnant et pas encore assumé.  Le ciel était naturellement de la partie, brumeux et plutôt froid, ponctué de quelques éclaircies! Vide pour ceux qui n’y croyaient pas! Tels étaient le décor et l’ambiance en ce samedi 18 octobre 1924…Pas de quoi festoyer sans retenue …

En fait, si je m’intéresse à ce mariage pluvieux et qui fut certainement heureux – du moins je l’espère car je n’ai pas connu la suite – c’est au moins pour quatre motifs:

  • Le premier, c’est qu’à ma connaissance, ce fut probablement une des dernières manifestations d’importance où toutes mes lignées paternelles se réunirent dans le Haut-Anjou, terreau depuis des lustres – des siècles – de la plupart de mes aïeux Pasquier, Cailletreau et de leurs alliés !
  • Le second est que je possède une photographie qui en atteste, héritée des archives de mon grand-oncle Auguste Cailletreau (1892-1975), qui m’ont été confiées au décès de son épouse Eugénie Chollet (1897-1979).
  • La troisième est que ce cliché est le seul que je possède, où apparaissent ensemble mes grands parents paternels et deux de mes arrière-grands-parents, Joseph Cailletreau (1859-1946) et  Anne Houdin (1861-1943)…
  • Je m’abstiendrai pour l’heure de disserter sur le quatrième motif: je le déclinerai plus tard! Chaque chose en son temps! Ce sera peut-être l’objet d’une prochaine conclusion…

De nombreuses années plus tard, au milieu des années cinquante, je me souviens avoir rencontré Clotilde au Lion d’Angers sur les rives de l’Oudon, non loin du champ de foire ; elle était de passage dans son village natal, car elle résidait à Angers:  ce fut la seule fois où je la vis, et j’étais enfant, mais l’image qu’elle m’a léguée d’elle, fut celle d’une femme plutôt enjouée!  Volubile aussi… Concierge de la Maison Bleue à Angers, au croisement de la rue d’Alsace et du Boulevard Foch, elle n’était pas avare de confidences sur les personnalités angevines qu’elle côtoyait quotidiennement, et qui résidaient dans ce magnifique immeuble aux façades en  mosaïques. Mon père raconte que, de l’appartement de fonction qu’elle occupait au dernier étage de l’immeuble, la vue panoramique sur Angers était exceptionnelle!

Son fils, Adolphe, l’aîné de ses deux enfants, devint expert comptable et fut conseiller municipal de la capitale de l’Anjou dans les années soixante… C’est tout!

 

Nota 1: 

Identification des invités:

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1- Clotilde Pasquier (1902-1983), fille de Baptiste Pasquier et de Angèle Houdin, 2- Louis Eugène Bioteau, 3-Angèle Houdin(1864-), 4-Baptiste Pasquier (1858-), 5-Anne Houdin(1861-1943) sœur d’Angèle, mon arrière grand-mère, 6-Joseph Cailletreau (1859-1946), mari d’Anne Houdin, mon arrière-grand-père, 7-Marie Louise Pasquier (1893-1950) soeur de la mariée, 8-Joseph Fresnet, mari de Marie Louise, 9-Angèle Pasquier (1889-1976) sœur de la mariée, 10-Eugène Béduneau (1874-1926), mari d’Angèle Pasquier, 11-Marcel Pasquier (1892-1956) cousin de la mariée, mon grand-père, 12-Marguerite Cailletreau(1897-1986), cousine de la mariée, ma grand-mère, épouse de Marcel Pasquier, 13- Auguste Cailletreau (1892-1975) mon grand-oncle, dit « tonton Henri », 14- Eugénie Chollet(1897-1979) épouse d’Auguste Cailletreau, 15-Renée Pasquier épouse Pilet, née en 1922, fille de Marcel Pasquier et de Marguerite Cailletreau, 16- Apolline Marie Joséphine – dite « Paulette » – Angibert, épouse de Baptiste Joseph Pasquier fils, 17-Henri Cailletreau(1920-1937) fils de Auguste Cailletreau et d’Eugénie Chollet, 18-Marcel Pasquier(1920-1999), fils de Marcel Pasquier et de Marguerite Cailletreau, 19-Roger Pasquier fils de Baptiste junior et de « Paulette » Angibert, 20-Anne-Marie Béduneau (1921-2014) fille de Eugène Béduneau et d’Angèle Pasquier, 21-Marcel Béduneau (1919-) fils de Eugène Béduneau et d’Angèle Pasquier…

Les autres invités non indicés ne sont pas formellement identifiés et sont probablement des parents du marié Louis Eugène Bioteau, notamment la femme en coiffe angevine du premier rang qui est certainement sa mère…

Nota 2: Depuis la première mise en ligne de cet article en août 2015, un autre convive a été reconnu (par sa fille): l’homme debout à gauche sur la dernière rangée de la photographie est Baptiste Joseph Pasquier fils (1890-1937), le mari d’Apolline Marie Joséphine Angibert (16) dite « Paulette ».

 

 

 

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alexis et adrienne

(archives Rose l’Angevine)

Sur ce cliché pris au printemps 1917, Adrienne Venault (1894-1973) pose en compagnie de son amoureux Alexis Turbelier (1897-1918). C’est la seule photo qui subsiste de ce couple éphémère. Leur liaison demeurera en effet à jamais précaire et mythique, à la fois tolérée et inavouable, dérangeante et subversive pour la paix des ménages. N’en parler jamais, y penser toujours!

La cause de leur séparation n’est pas due au désamour soudain de l’un des tourtereaux, lassé d’une passade sans lendemain prévisible. Elle est à rechercher dans la cruauté de la guerre qui ne badine pas avec les sentiments de ceux qu’elle engloutit. Que serait devenue cette relation si la mort d’Alexis, tué en Picardie au printemps 1918, n’y avait pas prématurément mis un terme?

Adrienne semble sereine sur la photo. Mais elle s’abstient de sourire. Lui non plus, comme si la guerre menaçante demeurait, malgré tout, prégnante. Comme si elle se jouait de ces courts instants de répit accordés à un guerrier réputé d’ordinaire enjoué, brillant et cultivé…

Elle, en revanche, n’a pas laissé le souvenir d’une « gaie luronne » prompte à la plaisanterie. Son alacrité ou sa joie de vivre ne seraient pas les caractéristiques que l’on mettrait spontanément en avant en l’évoquant. Jamais – ou presque – on ne la verra ultérieurement esquisser un sourire face à l’objectif d’un photographe. Personne – ou presque – ne saura jamais la surprendre – jusqu’à son décès en 1973 – dans une attitude rigolarde, pouffant de rire ou plaisantant à l’instant d’une prise de vue, sur laquelle elle serait censée figurer. Seule la photographie numérique moderne, intrusive et productrice inflationniste d’instantanés, qui transforme toute personne en paparazzi, aurait peut-être pu lui voler, au détour d’une salve, une expression de plaisir ou de contentement, en profitant d’un rare moment où elle se serait laisser aller! Néanmoins, aucune technique photographique n’aurait su, même pour la galerie, lui restituer la part de bonheur qu’elle estimait avoir irrémédiablement perdue dans sa jeunesse, du fait de l’action conjuguée de la fatalité et de la malfaisance des « boches »! Elle pardonna à la fatalité qu’elle transforma en épreuve rédemptrice, plus difficilement aux boches.

Alors qu’en ce début 1918, la guerre a déjà emporté plusieurs de ses camarades d’école, pressent-elle que, dans quelques semaines, elle va devoir de nouveau affronter l’horreur, celle de la disparition violente de ceux qu’elle aime… de ceux qu’elle a choisi d’aimer? Sait-elle dans son for intérieur, qu’elle va revivre un drame intime insupportable, parce qu’inhumain, comparable à celui qui six ans auparavant l’avait confronté à la mort brutale de son père ? Jusqu’au soir de sa vie, elle se souviendra en effet de cette nuit du 6 mai 1912, où des compagnons de son père, flanqués de gendarmes à cheval ramenèrent dans la maisonnette de garde-barrière qu’occupait ses parents, le corps désarticulé et ensanglanté de Louis Venault (1861-1912) après qu’il eut été accidentellement broyé par un train, au passage à niveau du Grand-Moiré entre Saint-Varent et Soulièvres dans les Deux-Sèvres. C’était, il y a à peine six ans!

Ne possédant d’autre portrait de son père que la minuscule photo d’identité, très dégradée, de sa carte professionnelle de poseur de voies, elle n’évacuera jamais tout-à-fait de son esprit l’image obsédante de ce corps sans vie, atrocement mutilé, que des voisins et amis,appelés à la rescousse, s’efforçaient de rendre présentable. Elle n’oublia jamais les gestes fantomatiques de ces hommes et de ces femmes, de ces familiers qui tentaient dans la lumière blafarde de la lampe à pétrole, d’apprêter le défunt pour une interminable et improvisée veillée funèbre… Tandis que dans un coin sombre de la pièce, sa mère effondrée et absente était maladroitement réconfortée par des agents la Compagnie de Chemins de fer Paris Orléans, qui représentaient leurs employeurs et qui déjà songeaient à la licencier. Un règlement de la Compagnie précisait en effet que la fonction de garde-barrière ne pouvait être attribuée qu’à un couple… Louis étant désormais mort!…

Cette scène funeste restera gravée dans ses souvenirs. Y compris, en ce jour de 1918, où elle se faisait photographier pour la première fois, en couple, avec Alexis chez un artisan du boulevard de Saumur à Angers. Elle entrevoyait la possibilité d’être prochainement heureuse! Mais l’ombre du malheur planait de manière imperceptible, et tous les deux s’en doutaient…

Dans les semaines qui suivirent, lors de l’offensive allemande dans la Somme, elle perdit coup sur coup, à quelques kilomètres de distance, son frère adoré, son aîné d’une année, l’adjudant Albert Venault (1893-1918), foudroyé par une mitrailleuse alors qu’il conduisait sa section de sapeurs au combat, et le caporal Alexis Turbelier, l’élu de son cœur  atteint par un éclat d’obus au ventre.  L’un décédera dans un hôpital de campagne à Namps-au-Val en secteur britannique le 28 mars 1918 et l’autre le 16 avril 1918 en première ligne dans une infirmerie d’avant-poste du 135ième régiment d’infanterie à Ainval dans la Somme. Après de multiples démarches, Adrienne ne connaîtra le sort de son frère qu’à la fin du printemps. Dans le même temps où presque, où on lui apprendra la mort d’Alexis. On imagine sa douleur et son désarroi.

Adrienne Venault est alors âgée de 24 ans… Qui peut penser qu’une telle suite de calamités puisse s’effacer un jour? Qui peut croire que de tels traumatismes répétés puissent réellement être surmontés? Oubliés? Escamotés?

Adrienne y parvint cependant au yeux de tous! Du moins le laissa-t-elle croire, comme si les plaies qu’elle avaient subies étaient cicatrisables et invisibles pour les tiers … Elle réussit ainsi à donner le change…. Elle simula à ce point la normalité retrouvée, que certains s’autorisèrent parfois à juger ses comportements en s’affranchissant de son histoire douloureuse et à requérir à son encontre, comme si rien ne n’était passé… Sévèrement parfois, injustement souvent, même si, au regard des critères de bonne convenance, politique ou sociétale, elle dépareillait forcément un peu… A quelle normalité, peut-on s’accrocher lorsqu’on est confronté au néant et que tout semble se dérober dans un trou béant de désespérance … Elle-même fut quelquefois inéquitable, ambiguë, comme pour donner acte à ceux qui la critiquaient, parfois la condamnaient pour sa froideur et sa bondieuserie d’opérette… On l’aurait préféré éplorée, mais elle choisit la carapace de la femme sévère, austère et indomptable… On lui en voulut! Moi, je n’ai connu qu’une grand-mère sympa et complice…

Le 29 octobre 1921 à Angers, elle épousa – avec ou sans conviction (nul ne le sait) – Louis Turbelier (1899-1951), le frère de son bien-aimé et infortuné Alexis. On a raconté que ce mariage avait été « arrangé » par son futur beau-père qu’elle tenait en grande estime. Un peu comme une sorte de curieuse compensation!  Elle avait accepté mais sur la photographie de rigueur, elle ne sourit pas. Lui non plus, du reste.

Mariage Adrienne Louis 1921

(archives Rose l’Angevine)

Le couple eut trois enfants.

Faut-il vraiment apporter une conclusion à cette histoire qui incarne les effets dévastateurs des guerres. Le pire de cette histoire, c’est qu’elle demeure d’actualité et qu’elle est transposable à tant de personnes à travers les âges et les continents.

L’histoire du monde est en effet tragique! L’écrire relève du truisme …Après des millénaires de barbarie, le vingtième siècle en a d’ailleurs apporté la démonstration éclatante avec ses deux guerres mondiales où la cruauté et la bêtise ont atteint des sommets inégalés, à la fois suicidaires et génocidaires.

Le vingt-et-unième, dont on aurait pu espérer qu’il marque le retour de la civilisation et de l’intelligence collective, débute, lui aussi, sous de bien sombres auspices. Surpassera-il en sauvagerie celui qui le précède? C’est bien parti pour, lorsqu’on constate chaque jour l’apport d’un nouveau lot d’atrocités, que, dans un monde ultra-médiatisé, plus personne ne peut prétendre ignorer. Quotidiennement les valeurs d’humanité qu’on croyait solidement ancrées dans notre droit, sont bafouées, sans que les dirigeants des Etats du monde s’en offusquent outre mesure et qu’ils attestent d’une quelconque capacité à anticiper, encore moins à endiguer, ces bouffées de bestialité aux formes toujours plus diversifiées et sophistiquées…Et de surcroît amplifiées par les prouesses technologiques.

Dans ces conditions, si l’on garde une aune de lucidité, pourquoi faudrait-il, pour la postérité, sourire au photographe ?

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Comme le soulignait avec justesse en 1988, le chanteur Maxime Le Forestier, on est tous « né quelque part » ! On pourrait ajouter avec la même évidence, qu’on meurt tous quelque part.  De même, poursuivait-il, « on ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher. Etre né quelque part, c’est toujours un hasard »…

Mourir « quelque part » peut en revanche être un choix. C’est cependant rarement le cas, sauf pour ceux qui n’aiment pas être « pris de court » ou pour les suicidaires qui veulent tout maîtriser jusqu’au seuil du néant. Mais, lorsqu’on aime la vie, il n’y a guère d’endroit idéal pour la quitter et laisser faire le hasard est finalement le meilleur choix. D’ailleurs, en général, on rend prosaïquement l’âme, sans plaisir excessif, là où l’on se trouve, c’est-à-dire, là où l’on peut…Et aujourd’hui, dans un monde qui peine à se regarder en face et à affronter l’inconcevable, la mort comme la naissance sont deux « événements » qui se déroulent le plus souvent en milieu médical – ou « médicalisé ». Comme si l’on cherchait à évacuer, voire à se débarrasser sans y penser, de cette « ardente obligation » liée à notre condition de mortels. Laquelle suppose qu’un jour on découvre la vie en effectuant le passage dans un sens, et qu’un autre jour, quelques décennies plus tard de préférence, on rebrousse chemin vers un trépas annoncé …Rien de tel alors que de confier son sort à des mains « expertes » auréolées des vertus de l’art médical, pour veiller à ce que tout s’effectue conformément à des protocoles standards, de préférence « consensuels »…

Dans nos époques contemporaines, ce qui est, en revanche, exceptionnel surtout en milieu urbain, c’est lorsque ces deux événements qui bornent toute vie, se déroulent « presque » dans la même unité de lieu. C’est pourtant ce qui est arrivé à mon grand-père maternel, Louis Turbelier qui est né le 23 juin 1899 au 21 rue Desmazières à Angers et qui est décédé au 20 de la même rue, le 9 septembre 1951.  A vol d’oiseau, moins de quarante mètres séparent les deux lieux. D’ailleurs, à y réfléchir, il doit être plus fréquent  – je veux dire, plus probable – bien que rare dans l’absolu, de passer « l’arme à gauche » dans « une » maison de famille où l’on vit le jour, que dans celle d’à côté!  A noter au passage que « l’arme à gauche » est la seule chose « à gauche » qui continue de se porter bien par les temps qui courent ! Aujourd’hui même, on parlerait plutôt de « larmes à gauche ».

Acte de naissance Louis Turbelier (AD 49)

Acte de naissance Louis Turbelier (AD 49)

Louis n’avait évidemment pas choisi de naître au 21, où ses parents étaient locataires d’une maisonnette de ville, mitoyenne d’une salle de conférence de la Société d’Horticulture d’Angers, où il passa toute son enfance et sa jeunesse. Mais il n’avait pas non plus prévu de rendre l’âme dans l’appartement de deux pièces du premier étage du 20 Desmazières, situé en face de l’entrée du « Jardin Fruitier » de ladite Société, où il vécut toute sa vie d’adulte et de père de famille… Traversant la rue, il s’y installa après son mariage le 29 octobre 1921 avec Adrienne Clémence Berthe Venault (1894-1973), qui en était déjà locataire depuis trois ans, avec sa mère Clémence Joséphine Fradin, veuve Venault (1861-1931).

Pareille sédentarité impressionne, d’autant qu’exception faite de sa mobilisation sur le front de la Somme à partir de la fin avril en 1918, suivie après l’armistice d’une brève incursion dans l’armée d’occupation en Rhénanie en mai-juin 1921, et enfin de quelques courts séjours familiaux, à l’occasion de mariages, ou de brèves vacances en Normandie chez le frère cheminot de son épouse, il ne semble pas qu’il ait eu de nombreuses occasions de quitter Angers…

Au moins pourrait-on présumer qu’il eut la liberté d’exercer son libre arbitre à l’occasion de son mariage : en fait, il n’apparaît pas que ce fut vraiment le cas, puisque, c’est probablement sur l’instigation de son père Alexis qu’il épousa Adrienne, auparavant « promise » de son frère aîné prénommé également Alexis, tué le 16 avril 1918 déchiqueté par un obus du côté de Montdidier …

Le personnage de Louis ne manque donc pas d’intriguer, d’autant que, dans ce tableau d’apparence assez terne, tous les témoignages convergent pour dire qu’il était perpétuellement gai, généreux et intrinsèquement « bon » ! Il n’était donc pas du genre à cultiver la nostalgie…

Je veux bien le croire, bien que je n’aie aucun souvenir précis de ce grand-père, mort bien avant que je n’ai pu impressionner dans mon jeune cerveau, une seule anecdote « réellement vécue « .  Devenu vieux, il m’arrive d’éprouver la même difficulté à impressionner des événements mais cela concerne surtout l’endroit où j’ai déposé mes clefs! J’oublie…

En revanche, je dois reconnaître que je me suis beaucoup interrogé à propos de mon grand-père, tantôt l’adulant dans la logique de l’affection et de l’admiration que lui portaient ses trois enfants, tantôt doutant de sa force de caractère en certaines circonstances cruciales de son existence… Ces temps d’interrogations sont désormais révolus (voir mon billet du 14 janvier 2012 « Message imaginaire à mon grand-père Louis »). J’ai fait la paix avec lui, si tant est que je lui fis un jour la guerre.  Il était mon grand-père, et il était logique que j’engage à son propos une certaine forme de réflexion ontologique, et qu’au-delà des panégyriques apocryphes ainsi que des pieuses reconstitutions quasi-cultuelles de ses proches, je m’efforce d’identifier ce qui relevait respectivement de la vérité et de la légende !

La découverte récente de cette étrange proximité géographique – ou si l’on préfère « topographique » – entre son lieu de naissance, de sa mort et le cadre de son existence, relance le questionnement sous un autre angle ! Face à un tel déterminisme de lieux et de contraintes, quels pouvaient être les leviers dont finalement disposa Louis pour exercer sa liberté ?

Bien que n’étant pas le moins du monde, adepte de numérologie – fausse science, s’il en est  qui prétend donner sens à des chiffres en assimilant raison et divination – je me risquerais bien volontiers et pour rire, à évoquer la « conjecture suivante » : Né au 21 d’une rue, le 23 d’un mois, et décédé au 20 de la même rue, Louis échappe au « 22 » que cette curieuse série intime ne semble pas explicitement comporter!  Grossière erreur car, justement, le chiffre « 22 » surgit au détour du 22 juin 1931, lorsque l’ancien ferblantier de l’Usine Bessonneau, recherchant du travail en pleine crise des années trente, intègre la police municipale d’Angers en qualité de « gardien de la paix ».

« 22, v’là les flics ».  Une manière enfin de s’affirmer, hors des sentiers battus de la famille. Et surtout, par rapport à ce frère, ce héros, dont l’ombre oppressante a certainement pesé, sa vie durant, sur ses relations avec sa femme. L’une n’a sans doute jamais oublié Alexis que Louis avait précisément pour mission de faire oublier. Faute de mieux, leur destin commun fut fondé sur le respect réciproque et leur couple résista à l’épreuve du temps et de la mémoire. Mais Louis – « ce pauvre P’tit Louis » comme persistait à l’appeler, des années après sa disparition, sa veuve, ma grand-mère – a certainement souffert de devoir en permanence soutenir la comparaison avec ce frère séducteur aux beaux yeux gris, probablement plus svelte et plus grand que lui. Ce frère, auréolé de la gloire des « morts pour la France » dans la tourmente de la Grande Guerre. La barre était très haute pour espérer concurrencer ce frère préféré du père dont il portait le prénom et qui partageait avec son géniteur, les goûts, la culture et le sens artistique…Ce frère enfin dont la photographie était accrochée au-dessus du lit conjugal…

Pour Louis, l’univers de la police fut le premier choix qu’il fit en toute autonomie sans se référer à l’univers familial de la rue Desmazières, du 21 comme du 20. Sans doute, n’a-t ‘il pas pris cette option dans le dessein de prendre une revanche sur sa famille, contre son père ou son épouse, mais pour asseoir  une autorité qui lui avait été jusqu’alors contestée et à laquelle il donnera des allures débonnaires et humanistes…Toute sa carrière en attestera, y compris dans les périodes dramatiques.

1946

1946

Cette fonction sera fondatrice pour le reste de sa vie, lui ouvrant des espaces de convivialité et une vision de l’intérêt général qui excédait largement les limites un peu exiguës de sa paroisse. Elle lui fournira l’occasion d’exprimer sans complexe une liberté d’aimer qu’on lui avait déniée d’emblée en faisant appel à son sens du devoir. Liberté qui se révélera puissamment dans l’amour qu’il prodiguera à ses trois enfants et qu’en retour, il recevra d’eux…

Demeure cependant la question pendante de son éternelle gaieté. Ce côté « ravi de la Crèche » que tous semblent lui prêter et qu’il donnait le sentiment de cultiver malgré les périodes tragiques qu’il a dû traverser. Périodes dont il fut parfois un témoin privilégié et horrifié…Cette bonne humeur relevait-elle d’une heureuse disposition de son caractère? D’une philosophie de la vie beaucoup plus élaborée qu’on ne l’imagine? Ou d’une certaine forme d’ingénuité? S’agissait-il d’un leurre destiné à masquer un désespoir insondable ou à faire diversion ? Son secret demeure… jusqu’à nouvel ordre.

1951

1951

Quoiqu’il en soit, la bizarrerie d’une trajectoire de vie aussi spatialement réduite, qui en un demi siècle, se limita à traverser une rue, restera aussi une figure d’exception. Une rue où, d’ailleurs, aucun membre de la famille ne possédait de bien foncier, ni d’attaches séculaires particulières. Un endroit, parmi d’autres, sans connotation symbolique ou racinaire!

Je ne connais guère qu’un seul autre exemple qui s’en rapproche: il s’agit du cas du général Barthélémy-Catherine Joubert, ami de Bonaparte, mort à la bataille de Novi en Italie à trente ans le 15 août 1799, qui est inhumé dans une église de l’artère principale de Pont-de-Vaux en Bresse juste en face de sa maison natale!  C’est d’ailleurs en me promenant, il y a deux ans, dans  cette rue de Pont-de-Vaux, en compagnie d’un de ses lointains petits-neveux, qui est aussi un de mes parents par alliance, que je pris conscience du destin singulier de mon modeste grand-père maternel, qui en l’occurrence  avait été l’objet d’une aventure comparable à celle de l’illustre général. Pas identique toutefois, car Louis ne repose pas rue Desmazières dans une chapelle, mais au cimetière de l’Est à Angers. En outre, il n’est pas mort au combat en pensant bêtement à sa bien-aimée, comme le bel officier…

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Cette année, un hebdomadaire de télévision a eu l’excellente idée de demander à ses lecteurs de lui communiquer les documents en leur possession témoignant de l’été 1913. L’été 1913, le dernier de paix avant le cataclysme de la première guerre mondiale, et donc, le dernier de la « Belle Epoque ». Le dernier aussi d’une certaine manière de vivre héritée du 19ième siècle et aussi d’une certaine conception du monde où l’Europe, avant qu’elle ne se déchire dans une sorte d’incompréhensible suicide collectif, pouvait encore prétendre avoir le leadership de la planète et être la source de la civilisation. La guerre a mis fin à cette illusion…

Meule de moulin à Zaanse Schans (Hollande) - juillet 2013

Meule de moulin à Zaanse Schans (Hollande) – juillet 2013

C’était, il y a, tout juste, un siècle…Si proche à l’aune de l’histoire multimillénaire de l’humanité et pourtant si loin ! Entre l’année 1913 et les années 1920, le monde a été profondément modifié, non seulement du fait des ruines occasionnées par la guerre un peu partout sur le vieux continent, ou des millions de tués, de disparus ou de mutilés mais aussi par les dégâts perpétrés dans les esprits des rescapés, qui, bien que physiquement indemnes, sortaient hébétés de ce cauchemar…

Après guerre, plus personne ne pouvait vraiment imaginer ce qu’aurait pu être le « cours normal » de choses si la guerre n’avait pas eu lieu… C’est pourquoi, l’année 1913, plus que toute autre auparavant et que toute après, apparaît comme la dernière année d’une certaine « insouciance » de vivre … A tort ou à raison d’ailleurs, car tout le monde n’a pas traversé cette période perçue aujourd’hui comme antédiluvienne dans les mêmes conditions. Ainsi ceux de ma famille trimaient pour gagner leur vie et ne passaient pas leurs weekends à Deauville. Ils n’étaient pas des intimes, ni des lecteurs de Marcel Proust et leurs manières n’avaient rien de commun avec les personnages aristocratiques ou les demi-mondaines de la « Recherche du temps perdu ».

Mais quand même ! Avant 14, le monde paraissait stable et surtout prévisible, avec ses codes sociaux, ses inégalités et aussi ses certitudes. L’art de vivre du vieux monde avait atteint son apogée et peu se doutait qu’il s’apprêtait à disparaître, à sombrer dans le plus grand séisme subi par l’humanité depuis ses origines. Et de surcroît, provoqué par elle! Le plus étonnant c’est que ce bouleversement qui se profilait allait tout chambouler de fond en comble, y compris la façon de penser l’art, les sciences et la littérature… Les familles elles-mêmes furent bouleversées et durent se recomposer pour remplacer ceux qui disparurent dans la tourmente.

En 1913, peu nombreux étaient ceux qui étaient lucides. Encore plus clairsemés étaient les rangs de ceux qui entrevoyaient dans cette guerre attendue – presque espérée – contre l’Allemagne, une marche irréversible et suicidaire.

Pourtant, les aventures coloniales des Etats européens antagonistes et l’exacerbation des patriotismes revanchards et cocardiers, préfiguraient le pire. Parmi ces militants isolés de la paix, il y avait Jaurès (1859-1914), mais si seul face à la montée des périls ! Et si souvent calomnié, par l’entremise conjuguée et complice du pouvoir et de la presse. L’urgent était de le faire taire, lui qui dès 1912 s’exclamait à la Chambre des députés, dont il était un des principaux rhéteurs : « Que ferons-nous pour échapper à cette épouvante ». Et auquel répondait l’écrivain, « poète » et sous-préfet Franc-Nohain (1872-1934) dans l’Echo de Paris du 13 mars 1913 : « La France parle, taisez-vous, Monsieur Jaurès ! ». Même Charles Péguy, son ancien ami, lançait des appels au meurtre ! En France, il fallait en quelque sorte purger la défaite de 1870 et reconquérir l’Alsace-Lorraine.

Dans les provinces de l’ouest où l’influence des hobereaux d’ancien régime associée à celle du clergé masquait en partie les évolutions inquiétantes du monde extérieur et la montée des tensions internationales que confortaient les conflits coloniaux et le jeu infernal des alliances entre des grandes puissances, de plus en plus belliqueuses.

Malgré ces menaces sur la paix, qui ne préoccupaient ou ne motivaient que les classes dirigeantes majoritairement parisiennes et lettrées, la vie des gens ordinaires était caractérisée par une certaine indifférence d’avant orage. Pour mes arrière-grands-parents, où qu’ils soient, l’important c’était d’abord de survivre au quotidien. Il est vrai que l’existence n’était pas facile au Lion d’Angers pour mes arrière-grands-parents Cailletreau, modestes journaliers ne sachant ni lire ni écrire, qui vivaient au jour le jour et chichement de menus travaux de domesticité pour le compte de notables locaux comme le pharmacien érudit du village, Monsieur Barbin. Le quotidien à Saint-Varent (79) n’avait non plus rien de jubilatoire en 1913 pour mon arrière-grand-mère Clémence Fradin épouse Venault, veuve depuis deux ans des suites du décès accidentel de son mari, happé par un train, alors qu’il était poseur de voies pour le compte de la compagnie de chemins de fer Paris-Orléans. Décès d’autant plus cruel que le règlement de la compagnie impliquait qu’elle soit licenciée de son emploi de garde-barrière, réservé à des femmes mariées … à des cheminots (vivants) ! Aucun de mes arrière-grands-parents n’était fortuné. Seul, Alexis Turbelier (1864-1942), clerc de notaire, organiste et comédien paroissial amateur a quelque peu défrayé la chronique par ses prestations théâtrales culturelles et musicales. Sans qu’il en ait tiré un quelconque avantage pécuniaire, il a tout de même laissé des traces dans les souvenirs familiaux. En 1913, dans la force de l’âge, père d’une famille nombreuse et en pleine possession de son art, sa préoccupation n’était probablement pas la guerre ! Il y perdit pourtant un fils!

En fait, le peuple dans sa majorité ne souhaitait pas la guerre mais la propagande nationaliste, la même qui, en son temps, avait condamné Dreyfus, était telle qu’il ne la redoutait pas, la considérant comme une sorte de clarification nécessaire, une épreuve désagréable sans doute, mais salvatrice ! Elle eut donc lieu avec son cortège d’indicibles souffrances et elle dura quatre ans.
A la sortie, le monde n’était plus le même ! Jusqu’au sein de nos familles, le conflit avait tout remis en cause. Sur les tombes des innombrables poilus disparus, il fallut reconstruire et tisser de nouvelles alliances ou unions inattendues…
Pour la plupart d’entre nous, l’idée même de notre existence et celle de nos propres parents aurait été improbable en 1913. En effet, non seulement nos grands-parents n’étaient pas mariés mais, vivant souvent dans des localités, voire dans des départements différents, ou même dans des provinces éloignées, les chances qu’ils se rencontrent étaient minimes. C’est la guerre qui provoqua leur union par une suite de deuils, de hasards et d’enchainements de nécessités. Mon grand-père paternel Marcel Pasquier (1892-1956), originaire de Vervins dans l’Aisne n’aurait jamais eu l’occasion de rencontrer sa femme, Marguerite Cailletreau (1897-1986), ma grand-mère, native du Lion d’Angers, si ses parents avaient habité du côté français de la ligne de front et qu’il eût pu leur rendre visite au lieu de passer ses perms au Lion d’Angers chez son oncle.

De même, ma grand-mère maternelle Adrienne Venault (1894-1973), native des Deux-Sèvres, n’aurait jamais rencontré mon grand-père angevin Louis Turbelier (1899-1951), sans la guerre, qui, dans un premier temps, l’a contrainte à trouver du travail à Angers à la suite d’un conflit avec son patron deux-sévrien à propos de son frère Albert, mobilisé et tué sur le front de la Somme en 1918, et qui, dans un second temps, après s’est amourachée d’un poilu Alexis Turbelier, lui-même foudroyé par un obus au printemps 1918, finit par épouser le cadet d’Alexis en 1921.

Ce schéma insoupçonnable en 1913 fut classique et concerna de multiples familles après 1918. Dans tous les cas, l’avenir fut fécondé sur les ruines de l’ancien monde !

A la différence de l’été 1914 qui est demeuré dans les mémoires comme un été chaud, l’été 1913 fut plutôt maussade, précédé par un printemps froid ponctué de gelées tardives jusqu’en avril et mêmes de fortes inondations dans le midi …
En juin 1913, un orage inonde la ville de Toul et toutes les récoltes de la région sont détruites. D’autres orages destructeurs se produisent en Lorraine, parfois associés des tornades.
En juillet le temps est automnal et, notent les chroniques d’époque, la température maximale du mois dépasse rarement 25°. Autrement dit, le dernier été de paix fut pourri ! Mais heureux (ou presque)!

Je m’en voudrais de conclure ce petit billet d’été 1913 sans saluer une de mes tantes par alliance Mireille G. qui dans sa maison de retraite périgourdine va fêter ses cent ans le 22 août prochain … Je l’ai connue, il y a quarante ans, à l’aube de sa retraite. Entre temps, elle a parcouru le monde … Et dans ses souvenirs de petite fille restaient gravés des événements datant de l’armistice de 1918 dans sa ville, Sarlat, comme le retour des poilus … ou l’arrivée des blessés accueillis dans le Périgord Noir pour s’y refaire une santé…
A coups de « frotte à l’ail », de confits et de foies gras, on peut traverser sans ambages un siècle… Bises à vous, Mireille, qui, dans les années 80 au cours des vacances de Pâques ou pendant les congés d’été nous a, si souvent et si bien, reçus chez vous à la Gendonie.

Décidément le chiffre « cent » est de saison puisque ce billet est le centième depuis l’ouverture de mon grenier à anecdotes, il y a deux ans !

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Il y a des jours où l’injustice flagrante dont on se sait victime, fait douter de l’humanité et de la civilisation. On finirait presque, comme lors des procès de Moscou sous Staline, à présenter soi-même sa tête au bourreau… pour avoir enfin la paix. J’espère que ce ne sera pas le cas aujourd’hui, mais l’expérience rend prudent … Les technologies de communication sont devenues si sophistiquées et efficaces, qu’elles peuvent inonder le monde de calomnies, de diffamations et de contrevérités, à la seule fin de détruire des personnes arbitrairement désignées à la vindicte populaire comme des « coupables » à abattre. Sans avoir l’excuse du félin, mais en prétextant des nécessités douteuses d’ordre public, on aime jouer avec les « sacrifiés » avant de les tuer. Ces pratiques peuvent à la longue, se révéler mortifères, pour ceux qui ont le malheur de se trouver par hasard dans le collimateur des « redresseurs de tort d’opérette » et de les subir. Car, quoi de plus éprouvant que d’être accusé à tort ? Qui y-a-t-il de pire que de constater à l’issue d’un parcours professionnel de devoir et de conviction, dont on devrait se prévaloir avec fierté et que la méchanceté ou la bêtise s’évertuent à dénaturer et à salir. Ces dérives constituent sans doute la part d’ombre de la condition humaine. En tout cas, c’est indiscutablement la revanche de la médiocrité. Elles gangrènent les sociétés depuis toujours, mais aujourd’hui, leurs conséquences sur les individus honteusement « éreintés » sont plus lourdes qu’autrefois, et irrémédiables,  du fait de la médiatisation immédiate et universelle de tout évènement susceptible de mettre en valeur ceux qui s’échinent à détruire des réputations pour en tirer avantage. La mise au pilori sans la moindre preuve et la dénonciation publique sont devenues un sport national, y compris de la part de ceux qui,  en raison de leur fonction, devraient faire preuve de mesure, de retenue et surtout d’impartialité ! Honni soi qui mal y(e) pense! On fait fi avec délice de l’honneur de ceux qu’on veut abattre pour le seul plaisir de « paraître » et sans autre justification que de masquer sa propre incompétence ou sa paresse (intellectuelle) ! Sans parler de l’indécence  des médiocres journaleux, écrivaillons inventeurs de fables nauséabondes, seulement destinées à fabriquer de faux coupables pour satisfaire leur égo  surdimensionné de prétendus chevaliers blancs! Pauvre justice prise en otage par ces mystificateurs!

Il faut vraiment lire et relire Sénèque avec une obstination confiante pour se convaincre que le « sage est inaccessible à l’injure » ou « à l’offense » lorsqu’on entend au petit matin des commentateurs déchaînés,  prétendument journalistes ou reporters, hurler avec les loups – car c’est dans l’air du temps -sans procéder à la moindre vérification préalable, sans rien connaître des sujets sur lesquels ils glosent. Il faut vraiment être « blindé » pour lire sans broncher les propos malveillants et sans le moindre fondement, des « beaufs » qui se défoulent sur le Net.  Il faut se cramponner avec acharnement à la philosophie des grands anciens sur la manière la plus élevée de se comporter dans l’adversité lorsqu’on voit ou qu’on entend, à longueur d’informations, d’ignobles déclarations de manipulateurs d’opinions qui ne recherchent que leur propre gloire en se servant de la souffrance et du malheur des vraies victimes …

L’actualité est riche mais parfois inquiétante pour l’esprit des Lumières ! Je crains que le sort des penseurs libres – disons tout simplement de ceux qui réfléchissent en toute liberté – est sur le point d’être gravement compromis. Ce fut le cas récemment lorsqu’on vit une ministre de l’écologie en exercice, dont la notoriété ne repose  évidemment pas sur l’audace ou le nombre de ses publications scientifiques  – ce qui,  au demeurant, n’est en rien blâmable – se croire autorisée par sa fonction à brandir « un carton rouge » à l’adresse de l’Académie des Sciences, au motif que cette dernière aurait organisé un débat entre climatosceptiques « tendance Allègre ».  Quoiqu’on pense de la pertinence des thèses et des arguments de ce grand géochimiste, on ne peut être qu’accablé par de tels propos émanant d’une responsable politique de premier plan, qui semble considérer que seuls ceux qui pensent conformément aux théories scientifiques actuelles sur l’évolution du climat, ont  droit de cité à l’Académie des Sciences. C’est ignorer la longue quête de l’homme dans l’acquisition des savoirs, et surtout c’est la négation même de la démarche scientifique fondée sur le doute méthodique et sur le débat scientifique contradictoire. Le plus rageant c’est que le pouvoir en place se dit démocrate, car si l’on a déjà connu de pareilles dérives épistémologiques dans l’histoire du monde, c’était plutôt sous des dictatures.

Que faire, face à cette avalanche de mauvais signes de « bien pensance »  ou d’escroquerie morale, au nom desquels on a d’abord colonisé l’histoire, puis muselé les sciences sociales, et maintenant les disciplines scientifiques? Ça fleure bon le rétablissement du délit d’opinion, voire du délit de penser. Que faire alors que, concomitamment, on « judiciarise » à tout crin la société et qu’on parvient presque à demander de sanctionner toute déviance intellectuelle ?  Et ce, évidemment, au détriment des principes mêmes du droit pénal !

Pour s’en sortir, si l’on écarte l’idée du suicide par la ciguë, trop anachronique, il ne reste que l’ivresse de l’alcool  pour les vieux dans mon genre, un peu las de se battre contre des moulins à vent… ou la lecture nostalgique de poèmes ou des conseils roboratifs de mon ami persan du 11ème siècle Omar Khayyâm :

«  Le vin est défendu, mais tout dépend en somme

« De celui qui le boit, du vin que l’on consomme

« Et des autres buveurs avec qui l’on partage…

« Ces trois points satisfaits, qui boit sinon le sage ? »

Je vais donc boire, par goût du risque de m’enivrer avec ceux qui liront ce billet. En faisant un bras d’honneur à tous les horrifiés du risque « zéro » pisse-froid qui nous promettent mille maux et qui, bientôt, pour notre bien, rendront obligatoires les alcooltests dans nos chambres à coucher !

Mais je vais innover en ravivant encore une fois le passé des miens.

Ma mère raconte volontiers que sa mère, Adrienne Venault (1894-1973) préparait les jours de grande chaleur à Angers dans les années trente ou quarante du siècle dernier, une préparation rafraîchissante spécifique des régions de l’Ouest et tout particulièrement de l’Anjou : la « bijane ».  A l’origine, cette sorte de soupe « sucrée » composée d’un mélange de pain rustique et de vin rouge était plutôt consommée les soirs d’été au retour des travaux des champs dans les dans les campagnes angevines, mais les citadins d’Angers, pour la plupart, anciens ruraux l’avaient également adoptée.  Parfois, les moins fortunés ou les plus « radins » la coupaient d’un peu d’eau pour économiser le vin. Pas trop tout de même pour ne pas la dénaturer et y conserver un peu du piquant du vin, qui le plus souvent était une « piquette », mais qui pouvaient aussi être des «blancs du Layon ».

Dans un premier temps, je vais donc tenter la « bijane » pour conjurer la bêtise en cultivant le souvenir des anciens sans toutefois la couper d’eau de Lourdes, comme, une fois, ma grand-mère l’aurait fait par mégarde! Quoique que je n’aie rien contre un petit miracle par-ci par-là ! Surtout en ce moment ! Un miracle de la raison, de préférence…

Je pourrais être aussi tenté par la « mominette » que mon arrière-grand-père Joseph Cailletreau (1859-1946) sirotait épisodiquement en guise d’apéro dans les troquets du Lion d’Angers au début du siècle dernier… Là, il s’agissait d’un breuvage, un spiritueux, l’absinthe. C’était plus corsé que la bijane mais sûrement moins que le « pastis », car la « mominette » par définition était généralement consommée en tout petit verre, du moins en Anjou.

Cette boisson fut par la suite accusée de rendre fou ses consommateurs et fut interdite en 1915. Mais manifestement, la prohibition ne fut pas appliquée avec la même rigueur dans toutes les campagnes, car Pépé Cailletreau qui ne lisait que très rarement le JO, faute tout bonnement, de savoir lire, en buvait encore dans les années trente! Il semble que cette interdiction fut prononcée à tort car elle fut levée en 2011, sous réserve que le taux de thuyone dans la plante d’absinthe, soit inférieur à une certaine limite d’acceptabilité. Je ne doute pas qu’un jour, un juge zélé mais besogneux, en mal de notoriété et compensant son manque d’imagination par l’accumulation fantasmagorique de milliers de photocopies « accusatrices » aux frais du contribuable découvre que l’alcool est dangereux. Je suis certain qu’il accusera les pouvoirs publics d’avoir négligé cette propriété et je  suis prêt à parier qu’il cherchera des noises aux modernes lampistes administratifs, rédacteurs de la récente autorisation en les accusant d’être sous l’influence alcoolique du lobby international des fabricants d’absinthe !

Quoiqu’il en soit des manœuvres judiciaires sélectives, mon arrière-grand-père Joseph avait sûrement besoin d’un petit remontant quand il revenait du cimetière, où comme fossoyeur occasionnel de la commune, il avait enterré un copain. En particulier lorsque, un jour de canicule, il avait dû s’attaquer avec sa pioche émoussée à la dureté de la terre schisteuse de l’Anjou.

Moi, l’absinthe me serait utile pour enterrer mes illusions de jeunesse.

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C’était le dimanche 15 mai 1977, au château de la Guerche à Savonnières au cœur de l’Anjou vinicole des appellations d’origine contrôlée. Et parmi les plus prestigieuses ! Mais ce n’était pas tant l’œnologie qui nous motivait ce jour-là, que le plaisir de se retrouver pour fêter « selon la tradition » le quatre-vingtième anniversaire de la plus ancienne d’entre nous, notre grand-mère Marguerite Cailletreau (1897-1986).

Guerche

En ce week-end de printemps ensoleillé dans la campagne angevine, « ils étaient venus, ils étaient tous là », ou presque ! Tous dans un  château pour honorer quelqu’un qui pourtant n’avait guère fréquenté « la Haute  ». Ou si peu et de très loin ! Née au Lion d’Angers, le 9 juin 1897, Marguerite, avait-elle seulement aperçu dans son enfance les calèches des familles aristocratiques locales, les d’Andigné, les de Trédern ou les Girard de Charnacé, se rendant aux courses de l’hippodrome de l’Isle Briand de l’autre côté du pont de l’Oudon en direction de Chateaugontier? De château elle n’avait sans doute connu dans sa petite enfance, que la maison cossue près de la mairie, du pharmacien et érudit du village, Henri Barbin, pour le compte duquel son père Joseph Cailletreau effectuait occasionnellement de menus travaux, en particulier dans le parc attenant !

Alors! Pourquoi un château pour rendre hommage à Marguerite qui n’avait jamais exprimé ce souhait et qui n’avait  jamais cultivé l’esprit militant de la revanche sociale, ni rêvé de fouler, un jour, les parquets d’une salle seigneuriale  pour son anniversaire?  En fait, c’était plutôt bien vu ! Car le lieu choisi – précisément le château de la Guerche – était en cohérence avec la double portée symbolique de l’évènement:

  • d’une part, celle d’un ouvrage de style Viollet-Le-Duc, restauré par ces notables légitimistes en 1830 réfugiés sur leurs terres ancestrales en boudant la Monarchie de Juillet, qui devinrent massivement les édiles des campagnes angevines de l’époque de l’enfance lionnaise de Marguerite.
  • d’autre part, celle du temps qui passe et des changements qu’il opère, car ledit château était devenu la propriété d’un syndicat, la CFDT des Pays de Loire, qui en avait fait un centre de vacances et de séminaires, et, qui à l’occasion, le louait à des syndicalistes ou à des sympathisants pour des manifestations privées …

En outre, La Guerche pouvait accueillir sans difficulté, une cinquantaine d’hôtes.

Ce qui est certain, c’est que la plupart de ceux qui y participèrent, se souviennent de cette journée avec une pointe de nostalgie, à la hauteur de ce qu’ils ont vécu depuis et d’une époque à jamais révolue. Une page de notre passé familial commun avait été tournée ce jour-là. Une page, dont on peine à préciser le statut car elle cohabite avec le souvenir de ceux qui ne sont plus, et le regret – voire le remords – d’avoir abandonné nos utopies d’alors. Nos paradigmes et nos modèles de vie se sont irrémédiablement effrités, ou ont été carrément balayés comme de vieilles et tendres utopies. Tels des fétus de paille arrachés à l’éteule un soir de vent mauvais!

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L’expérience a érodé beaucoup de nos certitudes et nos « référentiels » de ces temps-là, qui semblent « préhistoriques ». Pourtant, il y a, moins de quarante ans, on s’en revendiquait avec vigueur, espoir et même parfois, un peu de provocation. Cette culture d’autrefois qu’on pensait fondée sur des valeurs « universelles » s’est progressivement transformée, remettant significativement en cause notre conception de la famille et de la nation ou nos rapports avec le monde. Ce qu’on croyait intangible a changé de nature ! De multiples révolutions scientifiques et technologiques ont profondément bouleversé nos consciences, nos préceptes moraux ainsi que notre vision du temps et l’espace, de l’instant et de la durée. Dans la foulée, un autre paysage est apparu, radicalement différent de celui familier hérité de siècles de pieuse ruralité! En 1997, l’univers de nos grands-mères vivait, sans que nous le sachions, ses ultimes avatars. Il apparaît d’ailleurs carrément étrange à nos jeunes contemporains, ce monde de paysans en galoches se déplaçant dans les chemins creux!

Faut-il se plaindre de ces changements ? Probablement pas! En tout cas, pas plus qu’il ne faut s’insurger contre l’irréversibilité de  la flèche du temps ou  l’augmentation de l’entropie de l’univers ! C’est dans la nature des choses. En revanche, l’observation des écarts entre les époques, que donne le triste privilège de l’âge, permet de relativiser la part d’universalité des principes à la mode. Eux aussi, se démoderont et deviendront, à l’aune de l’histoire, de simples postures. Là où l’on croyait déceler des lois fondamentales et structurantes de la condition humaine, nous n’observons de fait que des règles « émergentes », c’est-à-dire contextuelles !

Bref, tout le monde se souvient  – et pour des motifs divers – de ce dimanche 15 mai 1977… Tous, sauf ceux qui n’étaient pas nés – comme aurait pu le chanter le regretté Georges Brassens!  C’est le cas de la très nombreuse descendance de Marguerite Cailletreau !  Ainsi ma fille ainée qui naquit huit mois et demi plus tard en région parisienne !

Par la force des choses, elle n’en a qu’entendu parler. Car cet évènement familial concernait une de ses arrière-grand-mères et de surcroît la seule qu’elle ait entrevue et un peu connue. Mais, de cette vieille mamie en sarrau, assise dans sa cuisine, elle ne conserve probablement qu’une image imprécise, enregistrée dans sa mémoire d’enfant, au cours des quelques visites qu’elle lui rendit au début des années 1980. Mais, se souvient-elle qu’au soir de sa vie, Marguerite Cailletreau demeurait une personne affable, accueillante et attentive aux enfants ?

A cette époque, elle avait pour seul compagnon, un chat de gouttière déjà âgé, qui l’obligeait chaque nuit à se lever pour qu’il sorte,   et, deux heures plus tard,  à lui entrouvrir la fenêtre pour qu’il rentre. En dépit des escapades nocturnes parfois dérangeantes du matou,  Marguerite et le minet s’étaient mutuellement adoptés, appliquant strictement des conventions secrètes de vieux couple: il ronronnait sur ses genoux et dormait à ses pieds ; et, en contrepartie, elle le nourrissait de moût bouilli, comme autrefois la « Mique », la petite chatte des années quarante-cinquante !

Marguerite habitait toujours l’appartement du rez-de-chaussée du 65 rue de la Madeleine à Angers, qu’elle occupait depuis les années 1920, avec Marcel Pasquier son mari, et dans lequel elle éleva ses quatre enfants. Ce même appartement amputé d’une partie, notamment de l’ancienne cuisine et de la chambre dans laquelle Marcel décéda en 1956 à l’issue d’une éprouvante agonie. Dans les années quatre-vingt, son petit appartement équipé de façon traditionnelle, comportait, sans ostentation ni luxe  le confort nécessaire pour vivre sans trop de souci logistique. Marguerite vivait entourée des objets qui avaient ponctué son existence. Témoins muets et parfois bavards de la femme, de la mère ou de la grand-mère qu’elle fut à tour de rôle, selon les périodes !

Dans la cuisine, outre le calendrier des Postes et le journal « Le Courrier de l’Ouest » sur la table, indispensable viatique pour maintenir quotidiennement une fenêtre ouverte sur la vie du quartier, de la ville et accessoirement du monde, le décor se composait de quelques bibelots en céramique bretonne, dont un pichet en forme de coq trônant dans la niche du buffet. La télé en noir et blanc se trouvait dans l’autre pièce plutôt sombre, qui faisait office de chambre, et qui n’était éclairée indirectement que par la verrière d’une sorte de bow-window donnant sur une cour intérieure. L’ambiance de cet intérieur, propret mais un peu désuet, nous rassurait comme tout ce qui semble hors d’atteinte du temps qui passe. Ainsi, la toile cirée sur la table et la cafetière sur la cuisinière, toujours prête à servir une tasse de café coupé de chicorée. Seul un carillon mural Westminster, sonnant régulièrement le célèbre air de big-ben, rappelait que la succession des heures n’est pas optionnelle. Même quand il ne se passe rien – ou peu – le temps s’écoule, impulsant le changement par d’imperceptibles mouvements. Du mouvement dans l’invariance, car Marguerite restait intrinsèquement la même personne que celle qui avait épousé Marcel au Lion d’Angers en octobre 1918.

Ce dimanche 15 mai 1977 fut un jour mémorable !

Outre qu’on y fêtait, avec une légère anticipation, le quatre-vingtième anniversaire de Marguerite Cailletreau, ce fut la dernière fois où la quasi-totalité de la famille Pasquier  – « et alliés » – se réunissait de manière festive pour faire bombance. Même sa belle soeur, Marthe Pasquier s’était déplacé tout-à-fait exceptionnellement en Anjou venant de l’Aisne! Ce fut aussi la dernière fois.

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Une fête dans la tradition des grands rassemblements et banquets villageois d’antan:  discours à l’appui de Maurice Pasquier, à l’origine de cette réunion, toasts portés à la santé de tous et des chansons… dont la célèbre comptine d’Harry Fragson (1869-1913) auteur-compositeur des années 1900, incontournable en la circonstance et lancée, avec sa voix à la tessiture de baryton,  par le regretté Marcel Pilet (1918-1997), gendre de l’impétrante et boute-en-train de nos fêtes:  « Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite, Marguerite, si tu veux faire mon bonheur, donne-moi ton cœur » … Et d’autres ritournelles moins spécifiques  mais plus dans le genre guinguette du samedi soir « après le turbin », ou encore « troisième mi-temps » au bar des pêcheurs : « Boire un petit coup, c’est agréable… ! »

Dans la grande salle de réception du château, les tables du banquet avaient été disposées en U, et le plan de table, qui plaçait Marguerite au centre,  avait été conçu selon des règles de protocole assez strictes, en fonction d’un ordre subtil, croisant l’ancienneté relationnelle et la proximité génétique et générationnelle ! Aux côtés de l’héroïne du jour, ses deux belles sœurs, Eugénie Chollet (1897-1979), dite « Tante Nini » veuve de son frère Auguste Cailletreau ainsi que Marthe Pasquier (1900-1979) – sœur de Marcel – et son époux André Romby (1901-1984). Puis les quatre enfants de Marguerite et leurs conjoint(e)s…et les petits-enfants, et même les premiers nés des arrière-petits-enfants.

Quelques semaines auparavant, le 13 mars 1977, Jean Monnier à la tête d’une liste d’Union de la Gauche avait remporté les élections municipales d’Angers et, pour certains des convives – mais pas pour tous- l’ambiance était euphorique d’autant qu’un de nos cousins Gérard Pilet avait élu adjoint au maire !

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On se réjouissait  de voir la gauche investir pour la première fois depuis la guerre, la capitale historique de l’Anjou. C’était l’époque où revendiquant une alternance démocratique qu’on estimait confisquée par un pouvoir autocratique en place depuis vingt ans, notre vision du monde était gentiment manichéenne et largement influencée par les utopies soixante-huitardes. Nous n’entrevoyons que des lendemains qui chantent !

Surtout nous étions jeunes, et en dépit des difficultés auxquelles nous étions confrontés au sortir des Trente Glorieuses, en plein choc pétrolier et de croissance (déjà) incontrôlée du chômage, nous nous sentions aspirés par un avenir nécessairement radieux. C’était l’époque où l’on croyait, que, pour la première fois dans son histoire, l’humanité était en capacité de se soustraire à toutes les contraintes et à tous les esclavages. Nous estimions naïvement que l’être humain allait pouvoir s’émanciper vraiment !

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L’Union de la Gauche qui prit finalement le pouvoir quelques années plus tard, en 1981, ne fut pas pour rien dans cette illusion d’un monde simple, scientifiquement prévisible et aisément réformable. L’information mondialisée et permanente nous a appris aujourd’hui sa complexité et les surprises de la « bonne » gouvernance, qui fait qu’un même « islamisme » puisse être considéré comme terroriste au Mali et démocrate en Syrie ! Qu’un dictateur puisse, un jour, être perçu comme « globalement respectueux « des droits de l’homme » – donc honorable –  et dénoncé comme un tyran le lendemain, ou l’inverse, et qu’un bourgeois aux allures de « Louis Philippe » puisse annoncer, sans rire, l’égalité pour tous et proclamer sa détermination à faire plier la toute puissance de « la finance » pour  finalement,  s’accommoder du contraire…par « réalisme »  ou par « opportunisme ».

En 1977, ces questions, non seulement ne nous préoccupaient pas mais elles n’étaient même pas abordées, ou lorsqu’elles l’étaient, c’était sous l’angle romantique de la « Liberté guidant le Peuple ! Soixante-quinze ans après la loi qui l’encadrait, la question de la laïcité n’était plus un problème, et la France semblait vivre à cet égard dans une sorte de consensus paisible acquis dans la douleur après des siècles de turbulence. Mais le résultat était probant: la culture dominante s’était « laïcisée » sans rien renier de ses origines. Aujourd’hui, c’est presque l’inverse: cette même loi aux visées pacificatrices est utilisée pour alimenter de nouvelles guerres de religion, sur l’initiative de tous les extrémismes se revendiquant de l’intolérance de fallacieuses « vérités révélées » ! Ainsi, un acte de liberté édicté en 1905 peut se retourner en outil d’oppression!

Les photographies de ce dimanche 15 mai 1977 au château de la Guerche à Savonnières  témoignent de cette innocence, de cette joie de vivre d’alors et de ce plaisir de se rencontrer en famille dans ce petit village des bords de Loire à une quinzaine de kilomètres en aval d’Angers. Elles en attestent jusque dans les attitudes des participants et dans l’accoutrement « Paece and love » de certain(e)s : c’était dans l’air du temps.

Beaucoup, aujourd’hui, ont disparu parmi les participants: Marguerite elle-même, Marthe Pasquier, André Romby, Eugénie Chollet, Marcel Pilet, Marcel Pasquier (junior), Eliane Landouzy, Marc Pasquier, Annie Pasquier, Marie-Emmanuelle, Louisette Pasquier… Tous  trop tôt, certains bien jeunes  …Salut à vous!

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Chez elle à Angers, quelques jours après, le 9 juin 1977, Marguerite qui conservait le bouquet de balisiers qu’on lui avait offert après avoir soufflé les bougies d’un « gâteau francilien », franchissait effectivement le cap des quatre-vingt ans. En cercle restreint cette fois.

Pour elle, s’agissait-t-il alors du cap de Bonne Espérance? Ou d’un obstacle de plus de franchi, au milieu des tumultes de la vie…? Ou des deux! Nul ne le sait. En tout cas, le 15 mai fut sûrement, pour elle, une pause heureuse !

  • PS: 20 octobre 2022. Depuis la rédaction de ce billet, il y presque dix ans, beaucoup d’autres des convives présents en 1977 à cette fête familiale, mais non cités, ont disparu. Parmi ceux-ci : Mes parents, Maurice Pasquier (1926-2017) et Adrienne Turbelier-Pasquier (1923-2018), Renée Pasquier Pilet (1922- 2016), Jean Pasquier (1930-2020), Alain Pilet (1953-2021), Jean-Pierre Thénié (1948-2003), José Fontana(1948-1997)

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Mon père rapportait que dans les années trente du siècle dernier, le vendredi aux alentours de midi, en fin de marché sur la place du Champs de Foire au Lion d’Angers, sa grand-mère Cailletreau, née Anne Joséphine Houdin (1861-1943) achetait ses œufs, parfois son beurre en motte et des volailles à déplumer et vider à des « coconniers » !

Anne Joséphine Houdin,
épouse Cailletreau

« Coconnier » terme aujourd’hui inusité pour un métier disparu, mais qui était couramment utilisé en Normandie, sur les Marches de Bretagne et dans le Haut-Anjou pour désigner ces commerçants ambulants ou colporteurs, qui parcouraient les fermes pour s’y procurer des œufs, des volailles et du beurre, qu’ils revendaient ensuite dans les bourgs. Dans le reste du Maine et Loire, on les appelait aussi « cocaillers » ou encore « coquetiers ».

En fin de marché, les paysans producteurs rétrocédaient, à un bon prix, l’ensemble de leurs invendus d’œufs, de beurre et de volailles, aux coconniers qui s’empressaient, avant de plier bagage vers un autre village, d’en écouler un maximum au détail et à un prix inférieur à celui du marché aux derniers acheteurs qui traînaient encore parmi les étals. En quête d’une bonne affaire, la grand-mère Anne entendait profiter de l’aubaine, tout en veillant à la qualité.

Ainsi, elle n’aurait jamais acheté de beurre sans l’avoir au préalable goûté, de même qu’elle n’aurait pas négocié un poulet sans l’avoir palpé ou senti en lui regardant le croupion. A ses yeux, goûter – lorsque c’était possible – n’engageait à rien, en tout cas n’impliquait pas nécessairement de conclure par un acte de vente. A sa manière, elle faisait jouer la concurrence entre les marchands ; d’ailleurs, elle le faisait autant par jeu -dit-on – ou par malice que par sens de l’économie ou des affaires… Les deux se conjuguaient harmonieusement car elle n’était pas riche.

Pour elle, qui ne savait ni lire, ni écrire, on peut néanmoins postuler que compter était dans sa nature… conformément aux plus récentes recherches scientifiques en ce sens, qui montrent que le  nourrisson développe dès sa naissance, un sens inné du calcul ! En tout cas, son comportement venu du fond des âges apparaît étonnamment moderne, surtout par temps de crise! A méditer !  Encore, que s’agissant du beurre dans nos supermarchés, le déballage avant une dégustation-test peut déplaire … !

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Je suis de ceux qui pensent que la signature d’une civilisation réside, entre autres, dans la manière dont elle aborde ce qui a trait à « l’instinct de vie ». Autrement dit, comment elle s’efforce de faire face aux situations extrêmes. Comment elle s’accommode de l’irrationalité et aborde la question de la transcendance pour conjurer l’absurdité apparente de l’existence. Dans ce contexte, les sacro-saintes « valeurs universelles » auxquelles nous aimons nous référer, de même que nos traditions culturelles – au sens le plus large – n’interviennent que de manière contingente et relative, au titre de commodités d’ordre public, imaginées au cours des siècles et des générations pour perpétrer l’espèce avec quelque chance de succès…

De même, la conception du plaisir et la vision de la mort, toutes deux abondamment codifiées, deviennent deux marqueurs incontournables qui « tracent » une civilisation. Ou plus exactement, une civilisation dans son époque ! Sur la mort et sur la manière d’approcher l’angoissante question du néant, j’aurai sûrement l’occasion un jour de poursuivre ma réflexion. Encore que depuis un an, je ne cesse de décrire des personnages familiers mais disparus, avec l’ambitieux et présomptueux projet de les soustraire aux ténèbres. Et peut-être aussi par ce biais de conjurer ma propre fin.  Dans un livre consacré à sa mère, l’académicienne Jacqueline de Romilly (1913-2010) n’écrivait-elle pas qu’« on ne pense vraiment au passé que lorsqu’on n’a plus d’avenir » ! Passons !…

Mais en attendant la suite et pour ce qui concerne notre province angevine, on ne saurait cependant trop conseiller de lire ou relire les très belles pages sur « les hommes devant la mort » écrites par un historien contemporain François Lebrun dans son ouvrage édité dans les années 1970 « Les Hommes et la Mort en Anjou aux 17ème et 18ème siècle ». Cet ouvrage décrit avec précision la « foi de charbonnier » de nos ancêtres et recense avec minutie nombre de croyances et de superstitions, qui perdurent peu ou prou aujourd’hui et dont nos proches aïeux ont assuré le relai jusque dans nos propres « petites têtes », colonisant ainsi notre inconscient. Ce que François Lebrun appelle la « liturgie de la mort et le culte des morts » – dont les pratiques d’inhumation dans des cimetières clos situés « hors les murs » – a contribué, à éloigner les morts du monde des vivants pour probablement répondre aux nécessités sociologiques et économiques d’un 19ème siècle industriel. De telle sorte que les fantômes de nos chers disparus ne viennent pas nous importuner ou trop nous détourner de nos tâches quotidiennes. Le deuil est en effet d’autant plus aisé à surmonter que les sépulcres sont hors de vue. En outre, si la mort est perçue comme un passage vers un inconnu potentiellement favorable, elle n’a pas à entraver les projets des vivants et l’aspiration au bonheur ici-bas , sans d’ailleurs préjuger des conceptions parfois antagonistes de ce bonheur! Bref, avec nos morts tout s’est finalement bien passé, dès lors qu’on leur a appris à s’effacer, à rester à leur place en s’abstenant de nous dicter une conduite …Nous avons tous en mémoire l’ambiance plutôt sympathique et joyeuse des « pots » d’après enterrement, où la famille oublie le mort autour d’un bon verre de vin, d’un café et d’une brioche! Que de rires « incongrus » au nom de la tristesse!  Ce « pacte implicite » est historiquement daté : il remonte à environ deux siècles, et tout concoure à penser qu’il fut efficace en termes de cohésion de la communauté, même s’il n’a pas éliminé les tensions parfois destructrices en son sein. Préservant les formes du deuil et fixant un délai raisonnable à la douleur de l’absence, il a en tout cas permis de collectivement la dépasser. En sera-t-il toujours ainsi, alors que d’autres philosophies venues d’un passé antérieur qui ne fut pas le nôtre, envahissent de plus en plus notre conscience collective, imposant d’autres visions du progrès, de la mort et du sens qu’on lui confère?

La question du plaisir est plus complexe encore, car, pour nos proches aïeux – notamment angevins, bretons ou poitevins – son existence même était niée, du moins officiellement. « Une femme honnête n’a pas de plaisir » chantait ironiquement Jean Ferrat dans les années 60 ! La question du plaisir ne pouvait donc être abordée que sous l’angle du fruit défendu et de la confession des péchés perpétrés dans les alcôves. Aussi, la référence au plaisir dans les écrits de nos pères, dans leurs propos ou dans leurs comportements ne pouvait qu’être allusive ou symbolique, car l’objet même était, par nature honteux et inavouable, surtout lorsqu’il s’agissait d’évoquer la sexualité. Dans les provinces de l’Ouest au 19ème et au 20ème siècle, conservatrices, toute dérive à cet égard, était sévèrement condamnée voire réprimée par une collectivité machiste qui s’accordait tout de même le droit d’évoquer la satisfaction masculine, au travers en particulier des « maisons de tolérance » ou de garçonnières dédiées, pour les plus riches !

En Anjou, les « élites » de la société – en l’espèce un clergé d’esprit « non concordataire » ainsi qu’une aristocratie légitimiste retranchée par intérêt sur des principes théocratiques d’un autre âge – exerçaient un puissant magistère moral dans de nombreuses strates populaires, hormis peut-être dans celles des carriers et des mineurs d’ardoise de Trélazé, de fer du Haut Anjou ou de charbon de la Basse Loire. Ce gratin moralisant venu de la nuit des temps contribuait au refoulement généralisé, n’hésitant pas à formuler des verdicts sans appel de mauvaise conduite du haut de ses chaires ou du fond de ses châteaux restaurés par Viollet-Le-Duc. Ainsi était jeté l’opprobre sur ceux qui étaient accusés par la rumeur de déroger aux principes des « enfants de Marie ». Ce puritanisme de façade était en fait un moyen commode d’asseoir une autorité, mais surtout de maintenir une certaine forme de sujétion psychologique et ancestrale et, donc d’exercer un réel pouvoir sur les « âmes ». Ou, si l’on préfère, sur les fidèles. L’avantage était insigne puisqu’il permettait de cantonner les ouailles dans une soumission craintive et de bon aloi, sous peine d’être rejetées par la communauté.  Pour les dites élites, c’était probablement aussi le « cache-sexe » de leurs propres turpitudes. J’ai des noms !

Respectueux de cette tradition qui veut qu’on taise les amours de la grand-mère ou les incartades badines de l’arrière-grand-père, je n’en dirai pas plus sur ces sujets pour ne pas trop froisser post-mortem ceux de leurs proches aujourd’hui disparus. Serait-ce trahir leur mémoire que d’évoquer la vraie vie de leurs géniteurs ou génitrices, voués à demeurer indéfiniment les gardiens vigilants d’un temple aseptisé de bons sentiments normés ?

Et pourtant, ce serait si bien de leur redonner chair par cette voie-là aussi ! Et de constater qu’ils furent, comme nous, des êtres passionnés, en proie à leur pulsion et à leurs désirs, paillards parfois, complexés, amoureux, jouisseurs. Et plus même ! Je me verrais bien écrire un chapitre intitulé « Désirs du passé », en contrepoint d’une autre formule inventée par une opportuniste, qui, heureusement, a fait politiquement long feu et qui visait l’avenir. C’est surtout au 19ème siècle qu’on a fait croire que la grandeur humaine résidait dans le renoncement janséniste et dans la froideur des sentiments. C’est de cette époque, que la sexualité a été enfouie dans les matelas de paille de nos grands-mères et sous leurs édredons en plume d’oie, d’où n’émergeaient, l’hiver comme l’été, que le bout de leurs nez ! Comme si ça allait de soi !  Et ce faisant, on oubliait qu’à quelques lieues de chez eux, sévissaient joyeusement Rabelais et ses compères avec leurs pantalonnades rigolardes. Mais c’était au 15ème et 16ème siècle.

Bien sûr, mon respect scrupuleux de l’intimité familiale et de cette tradition castratrice imposée aux petites gens d’autrefois, n’est pas seulement motivé par la piété filiale dont je ne saurais néanmoins me départir, mais par le fait que je n’ai pas le loisir de procéder autrement. Aucun témoignage n’est réellement parvenu jusqu’à moi, autres que les images d’Epinal de bons pères et mères de famille, bons chrétiens, patriotes, talentueux, travailleurs et besogneux, ne concevant l’acte sexuel qu’au travers de la procréation dans le cadre d’un mariage chrétien. Laquelle procréation procèderait donc d’une volonté divine dont nos organes ne seraient que des ostensoirs ! Seuls quelques échos assourdis ont franchi le mur du silence…

Silence qui serait inconcevable aujourd’hui, car la « chose » a beaucoup perdu de son parfum de scandale ! Depuis 1968, l’ambiance a bien changé ! Il est probable que ces considérations pudibondes ou ces tabous d’un autre âge feraient rire les générations futures si d’aventure elles avaient dans l’idée de nous raconter ! Ce n’est d’ailleurs pas si sûr qu’elles le fassent ! On assiste en effet actuellement à une certaine remise en cause de cette liberté essentielle de disposer de soi-même, par petites touches répétées. N’admet-on pas de nouveau, ici ou là, dans notre pays, celui de l’émancipation intellectuelle, celui de Voltaire ou Diderot, au nom du principe de diversité et du « droit à la différence », que des femmes puissent, sur injonction phallique de leurs maris « protecteurs », taire toute expression de leur séduction, hors d’un cadre familial imposé ?  Et ce, au nom d’un prétexte liturgique fallacieux et ridicule d’un dieu mesquin qui après avoir créé le ciel et la terre, le temps et l’espace, s’enticherait à exercer une vigilance renforcée sur les cheveux et le regard des femmes ! N’assiste-t-on pas de manière souterraine mais continue, sous l’empire d’idéologies rétrogrades, à une sorte de contamination des esprits qui finira sans doute par assimiler le marivaudage à un délit de harcèlement ?

Il y a quand même des plaisirs dont nos ancêtres se sont repus, à propos desquels il est possible – et même recommandé – de s’exprimer. Je veux parler d’une part, du plaisir de la table, de la bonne chère, comme substitut à celui de la chair, et d’autre part, du plaisir du jeu… Il n’y a pas de doute, ils aimaient bien manger et s’amuser !

Je ne traiterai des questions gastronomiques que quand mon cardiologue aura accentué sa pression sur mes restrictions alimentaires. Mais pour l’heure, c’est à leurs jeux que je souhaite m’intéresser en priorité, en m’appuyant sur deux types d’objets, témoins de ces activités ludiques et miraculeusement sauvegardés du sort réservé aux bibelots et ustensiles réputés sans valeur dans les héritages. Au mieux, ils se retrouvent sur les étagères d’avides et habiles brocanteurs, qui vous font mesurer la chance de vous en avoir débarrassé gratuitement !

En dépit des restrictions morales et de l’ardeur des pisse-froid à leur pourrir la vie, force est de constater que nos aïeux savaient, malgré tout se distraire et même s’amuser. Il leur manquait toutefois les modernes jeux vidéo ou la télévision pour s’abrutir comme nous et rêver par procuration, en observant de pauvres gens tenter de répondre à des questions ineptes pour des gains aussi inutiles qu’exorbitants. Disons que la distraction ou les jeux n’étaient pas perçus par nos ancêtres comme un moyen d’ascension sociale ou d’accession à la notoriété. Laquelle au demeurant n’avait pas la même importance que de nos jours. Hormis peut-être pour ceux qui achetaient  des billets de la « Loterie Nationale » vendus dès la fin des années 1920 dans de petites guérites des « Gueules Cassées », tenues par des mutilés de la Guerre qui bénéficiaient, de la sorte, d’emplois réservés.

En réalité, les jeux de nos grands-pères et grands-mères procédaient, en gros, des mêmes catégories que les nôtres, se répartissant en jeux dits de société, pratiqués en famille, comme les « petits chevaux, «  le jeu de l’oie », le jeu des sept familles, ou encore « le nain jaune », et les jeux d’extérieur, comme le jeu de croquet, les boules ou les palets.. Les enfants se voyaient en outre attribuer des jouets à l’occasion des fêtes, notamment de Noël, dont la cherté dépendait des moyens de la famille: des poupées en celluloïd pour les filles, ou en porcelaine dans les milieux fortunés, des soldats de plombs, des camions en bois pour les garçons, des jeux de cube. A partir des années 1920 apparurent les premiers jeux de Meccano…

Pour les adultes, les jeux collectifs étaient une occasion de tester leur sens tactique, leur ruse et leur habileté et d’en découdre pacifiquement autour d’une « fillette » de vin d’Anjou. Durant l’hiver, chez soi comme dans les cafés ou dans les cercles ou les sociétés d’entraide, les jeux de carte comme la manille, la populaire coinchée ou la simple belote permettaient de tromper la rigueur des temps et de s’affranchir de l’ennui suscité par de trop longues soirées. La période estivale est aujourd’hui propice à la pétanque sous les platanes. En Anjou, elle n’était pas d’usage à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle.  Mais elle avait ses substituts locaux !

En l’occurrence, mes deux types d’objets de référence sont ici « la Boule de fort d’Alexis Turbelier » et le « Jeu de palets d’Alphonse Venault ». Tous les deux renvoient explicitement à une époque, même si ces jeux demeurent pratiqués. Je ne suis pas loin de penser qu’en dépit du temps écoulé et de l’éloignement, ils demeurent imprégnés des effluves d’autrefois et des scènes dont ils furent les témoins  ! Tous les deux sont des jeux régionaux. Ce que j’ignore en revanche, s’agissant de la « boule de fort », c’est l’identité précise de son propriétaire : le nom « A. Turbelier » gravé sur le bois peut en effet renvoyer soit à Alexis, le clerc de notaire et acteur de théâtre (1864-1942), mon arrière-grand-père maternel, soit à son fils (1897-1918) tué sur le front de la Somme pendant la Grande Guerre.

Jeu traditionnel en Anjou ainsi qu’à ses confins, notamment en Touraine, « la boule de fort » présente la particularité que les boules utilisées, fabriquées dans du bois dur, de buis, de cormier ou de frêne, d’un diamètre de treize centimètres, sont légèrement aplaties et de façon asymétrique de chaque côté. De la sorte, leur centre de gravité situé du « côté fort » est légèrement décalé par rapport à un cercle de métal, qui constitue la bande de roulement.

Du fait de sa conception, la boule ne peut donc pas avoir une trajectoire rectiligne. Et en fonction de l’habileté du joueur, elle décrira des courbes plus ou moins alambiquées. C’est précisément cette caractéristique qui donne du piment à ce jeu dont les règles reposent globalement sur les mêmes principes que la pétanque. Une autre singularité importante tient au terrain de jeu : devant être extrêmement roulant, il est généralement construit en parquet ou en terre ou sable roulés, et ses bords sont relevés en forme de gouttière de section concave. Compte tenu de sa fragilité, le port de chaussons est obligatoire sur la piste, qui mesure vingt mètres de long sur sept de large avec une hauteur de bordures de trente à quarante centimètres.

Concrètement les boules, lancées avec précaution par les joueurs en fonction des trajectoires attendues pour parvenir au plus près du « petit » peuvent rouler pendant plus d’une minute pour atteindre leur destination. Les parties peuvent donc durer plusieurs heures  avant d’atteindre les dix ou douze points de la victoire.

L’entretien des terrains est assuré par des « cercles et sociétés » de jeux de boule de fort, exclusivement réservés aux hommes, et qui se financent par les recettes des buvettes attenantes aux pistes. Lorsque quelqu’un perdait sans marquer un seul point, il payait sa tournée mais il était tenu de aussi « biser le cul de la vieille » ou « de Fanny », c’est-à-dire de déposer un baiser de préférence sonore sur l’image d’un éminent postérieur féminin, présenté jupes relevées,  affiché en bout de terrain…Freud, quand tu nous tiens !

Jusqu’à la guerre de 1914, Alexis, père et fils, fréquentèrent, assidument, le cercle paroissial Jeanne d‘Arc du quartier de la Madeleine, sis au 121, rue de la Madeleine à Angers, notamment les dimanches de relâche de la troupe de théâtre paroissial ou lorsque le père comédien n’était pas de représentation. C’est surtout le père qui pratiqua les boules car la carrière de bouliste du fils fut brutalement interrompue et définitivement par la guerre ! Freud, quand tu nous tiens !

Les palets d’Alphonse Venault

Tout récemment – août 2012 – ma mère Adrienne Turbelier m’a remis un petit sac en toile qui contenait un jeu de palets ayant appartenu – m’a-t-elle dit – à son oncle Alphonse Venault, le frère ainé de sa mère, Adrienne Venault (1894-1973). Le frère de cette grand-mère que j’ai eu l’occasion d’évoquer à maintes reprises ici. Le jeu de palets dont il est question ici est anciennement pratiqué dans les campagnes de l’Ouest; et ce depuis au moins deux siècles. Il présente d’ailleurs de nombreuses variétés régionales ou locales. Dans le cas précis des palets d’Alphonse , il s’agit plutôt de la « règle » du Nord des Deux-Sèvres d’où était originaire le vieil oncle né en 1888 à Viennay.

D’une manière générale, le jeu consiste à lancer des palets le plus près possible d’un autre palet plus petit, préalablement lancé sur une surface délimitée, comme une planche de bois ou une plaque de plomb ou directement sur la terre comme c’était probablement le cas dans la pratique d’Alphonse. En tout cas, telle que se rappelle l’avoir observée Adrienne Turbelier dans les années trente.

Elle était alors âgée d’une dizaine d’années et se souvient avec émotion des parties de palets auxquelles se livraient son oncle et son père Louis Turbelier. Au-delà du jeu lui-même, ces modestes palets de fonte lui rappellent les vacances de la famille Turbelier à Almenêches dans l’Orne chez l’oncle Alphonse et la tante Rachel.  Alphonse employé de chemin de fer sur la ligne Paris Granville – invitait presque chaque année sa sœur Adrienne, son mari et ses trois enfants, à venir passer quelques jours chez eux en Normandie.

Alphonse et sa sœur Adrienne avaient quitté leur Poitou de naissance depuis de longues années et ces congés étaient l’occasion de se retrouver et d’évoquer leur enfance, surtout après l’accumulation d’épreuves vécues depuis une vingtaine d’années : décès du père cheminot broyé par un train en 1911, perte d’un frère Albert Venault tué à la guerre en 1918 et mort en 1931 de Clémence Fradin leur mère, victime d’une septicémie gangréneuse. C’était aussi une occasion de se changer les idées sous les paysages verdoyants de Normandie et de rencontrer les cousins. C’était aussi une aubaine pour la famille du gardien de la paix municipal de la ville d’Angers, ancien ferblantier de Bessonneau, Louis Turbelier, dont les revenus modestes n’auraient pas permis un tel déplacement en train – d’Angers à Allemenêches – sans l’oncle cheminot qui les faisait bénéficier de ses propres permis de transport.

Plus de soixante-dix ans se sont écoulés depuis ses parties de palets, mais Adrienne seule survivante de cette époque avec son frère Albert, revit avec intensité – comme la gamine qu’elle était – ses moments de bonheur simple et champêtre. L’accueil quasi-hôtelier des Venault et de la tante Rachel en particulier, qui se levait aux aurores pour battre leur linge au lavoir, si d’aventure leurs vêtements avaient été salis la veille lors d’escapades joyeuses dans la campagne avec les cousins.  Et elle s’arrangeait pour qu’ils puissent les reprendre dès leur réveil dans l’unique chambre qui leur était allouée et qu’Adrienne partageait avec ses frères et ses parents…

Au-delà du plaisir du jeu, ces palets incarnent encore aujourd’hui ces instants de convivialité familiale, où les sentiments trop souvent retenus retrouvent leur spontanéité et la fraicheur d’une enfance retrouvée… Ces petites galettes de fonte sont donc beaucoup plus chargées en émotions que ne le laisserait augurer leur simple poids!

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