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Posts Tagged ‘Galilée’

En ce printemps 2013, vaguement dépressif, vaguement anticyclonique, ce n’était pas vraiment « lui » – Galilée – qu’on était venu chercher sur les rives de l’Arno !  Un jour avec, et un jour sans, comme du temps où Brunelleschi s’échinait sur le chantier du dôme de la cathédrale de Florence, lui, l’audacieux maître de la perspective géométrique qui pestait contre le ciel lorsque les averses retardaient son travail, et qui, dès le lendemain, confronté à l’incrédulité de tous, relevait le défi fou de se jouer des lois de la pesanteur et de la mécanique pour ériger sa coupole ovoïde. Depuis, été comme hiver, avec la même élégance, elle toise la capitale toscane du haut de ses cent quinze mètres.

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On aurait pu aussi se contenter sous la houlette érudite d’une historienne du « Quattrocento », d’admirer les peintures et les sculptures de la Renaissance florentine du 15ème siècle. Non seulement de les contempler mais de les comprendre et d’apprendre à les regarder ! D’ailleurs, c’est ce qu’on fit jusqu’à la déraison: se rassasier jusqu’à plus soif du travail surhumain de ces génies inégalés du dessin, du pinceau, du ciseau, du burin et de l’ébauchoir, qui firent l’âge d’or de Florence.

Fresque du baptistaire de Florence

Fresque du baptistaire de Florence

Enfin on aurait  pu se limiter à savamment s’interroger sur l’étrangeté du destin de cette famille Médicis, initiatrice du mouvement humaniste et artistique de Florence, qui, dans le même temps où elle déploya tant d’énergie à tenir la ville sous coupe réglée sans trop s’encombrer de scrupules, favorisait la liberté de pensée, condition sine qua non, du développement intellectuel et artistique de la ville. Au point d’en faire un authentique joyau hors du temps.

Cette aventure d’une oligarchie marchande et banquière, autour d’une famille issue de rien et devenue grand-ducale et princière, est en effet difficilement compréhensible sur la base de nos actuelles valeurs démocratiques et républicaines. Comment les mêmes qui pouvaient se montrer brutaux, rusés et cruels, pouvaient-ils être à l’origine d’un art de vivre et d’un humanisme inégalés, et se muer en mécènes et en protecteurs indéfectibles d’artistes, d’intellectuels engagés ou de savants hors du commun!

Ce paradoxe ne manque pas de surprendre – voire d’interpeller – alors que les modernes démocraties s’avèrent incapables de faire émerger autre chose que des « langues de bois » et certainement pas des Donatello (1386-1466), Cellini (1500-1571), Giambologna (1529-1608), Giotto (1266-1337), Michel-Ange (1475-1564), Botticelli (1445-1510), Raphaël (1483-1520) et autres Léonard de Vinci (1452-1519), etc.

Comment expliquer cette densité incroyable de génies? En moins de deux siècles, quelques dizaines de maîtres de la Renaissance toscane firent la renommée de la cour des Médicis, dont les musées, les palais, et les couvents de Florence, ainsi que de ses concurrentes et devancières, Pise ou Sienne, gardent l’illustre trace et portent témoignage…Difficile en tout cas d’échapper au syndrome de Stendhal face aux troubles esthétiques suscités par certains chefs d’œuvres, fussent-ils inspirés par l’ancien ou le nouveau testament qui d’ordinaire laisse de marbre les mécréants de mon espèce!

Ainsi, on se prendrait presque à culpabiliser de l’émotion qui nous assaille lorsqu’on découvre à l’entresol du musée del l’Opera di Santa Maria, la Piéta inachevée de Michel Ange. Comment ne pas vibrer lorsque notre regard croise l’autoportrait vieillissant et douloureux du colosse toscan de Caprese, qui semble opportunément surgir du bloc de marbre de Carrare pour soutenir le corps du Christ descendu de la croix ? Ce n’est d’ailleurs pas tant la divinité qui trouble – car le sujet n’intéresse en soi que les croyants – que la profonde humanité qui émane des expressions accablées des différents protagonistes, dont la mère du supplicié…

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Le circuit initiatique traditionnel – et nécessaire – de l’art toscan et florentin, que tous les guides touristiques décrivent, nous le fîmes évidemment, en nous efforçant de ne rater aucune étape, jusqu’à l’improvisation fortement recommandée de nous imprégner de l’ambiance des ruelles de la vieille ville et des « piazzas » noires de monde.

En particulier la piazza Della Signoria en plein cœur de Florence, lieu du « gouvernement » de Florence, où fut exécuté en 1498, Jérôme Savonarole, farouche prédicateur dominicain et fanatique prosélyte d’une théocratie florentine. Un défilé ininterrompu d’une foule trop compacte de touristes, drainés par l’Unesco depuis que la ville a été déclarée « patrimoine de l’humanité », piétine ici avant de se rendre au palais Vecchio ou à la Galerie des Offices, le « Louvre » de la peinture florentine.

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Parmi ceux-ci, venus des quatre coins du monde, de richissimes ressortissants des théocraties machistes et féodales du Golfe. Savent-ils, ces fiers mâles enturbannés et leurs femmes « embaguousées » aux turpitudes voilées, qu’ils stationnent précisément à l’endroit du bûcher où notre moine exalté et intolérant – leur allié objectif d’antan – fut mis à mort par le bourreau de l’Inquisition !

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D’ailleurs, cette Inquisition devrait exciter les imaginations – et pas seulement celles des religieux du pétrodollar ! Beaucoup y voient certainement, sans trop se dévoiler, le modèle accompli d’une justice moderne, dont la sacro-sainte indépendance vis-à-vis du pouvoir « temporel » était garantie par le droit canon ! Elle était indépendante des politiques et de surcroît transparente, puisque que les exécutions étaient pratiquées sur la place publique !

Voilà de quoi faire saliver nos parangons de vertu « démocratique », qui ne rêvent que d’une justice indépendante des élus et  accessoirement du peuple! A cet égard, j’ai en tête une certaine juge qui ne jure que, par l’exemple à suivre de la justice italienne, sans que j’ai pu, jusqu’à ce jour, déceler si sa nostalgie de la Botte vise à rétablir une sorte de retour laïc à l’Inquisition et à la toute puissance des juges, ou à promouvoir le concept plus expéditif d’une justicière solitaire qui tiendrait sa légitimité de sa seule bonne conscience militante et de sa réussite des décennies auparavant au concours de la magistrature! Dans ce contexte forcément manichéen, l’innocence du prévenu n’est plus qu’un aspect secondaire, même pas un prétexte cosmétique: c’est juste un artifice de procédure. Il suffit pour être déclaré coupable qu’un justicier habilité ait jeté sur vous, son dévolu névrotique. Sur un point cependant, j’adhère partiellement aux thèses des tenants d’une réforme « moderne » de la justice, en particulier, lorsqu’ils réclament plus de « moyens » ! Je comprends qu’au royaume des aveugles, les borgnes sont rois; et à tout prendre, il vaut mieux des « moyens » que des nuls. Cette revendication est donc sûrement raisonnable dans un contexte où les principaux intéressés, à savoir les magistrats, peut-être trop sévères à leur endroit, semblent vouloir nous faire croire que le nombre de « médiocres », ou de « mauvais » dans leur corporation, l’emporte largement sur les « bons ». Aussi, si je peux me rallier à cette doléance à la fois quantitative et qualitative, je n’y consens que du bout des lèvres car je trouve leur projet peu ambitieux : soyons fous, exigeons l’excellence des juges et pas seulement la moyenne… J’espère que le lecteur voudra bien me pardonner cette excursion buissonnière dans une actualité qui iniquement m’accable !

A ce stade de mon couplet, je me dois de rejoindre celui qu’on n’était pas vraiment venu chercher à Florence et dont les voyagistes et historiens de l’art parlent peu. A  contrario des profs de physique qui en parlent beaucoup sans en dire grand-chose. Lui aussi fut victime de l’Inquisition mais à la différence de Savonarole, le moine follement fou de Dieu du couvent de San Marco, ses ennuis continuent aujourd’hui encore de jeter l’infamie et le ridicule sur la justice papale !

Car celui-là, excusez du peu, c’est Galilée ! Galileo Galilei (1564-1642), un des piliers indestructible de la science moderne, l’équivalent pour la physique d’un Michel-Ange ou d’un Donatello pour la peinture ou la sculpture. Mais lui, à la différence de ses contemporains artistes, il est mort comme un paria en résidence surveillée près de Florence. Pour échapper à la mort, il a du renier les fondements mêmes de sa théorie cosmologique, à savoir l’héliocentrisme : la terre tourne autour du soleil et non l’inverse ! Il avait pourtant raison et avec la lunette qu’il avait fabriquée, il l’avait même observé et prouvé expérimentalement. « Pourtant elle tourne » . Mais ça peinait les théologiens…

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Cette rationalité du raisonnement était inconcevable pour l’obscurantisme papal. Elle lui faisait même tellement horreur qu’il a fallu attendre plusieurs siècles pour que le pape se rende à l’évidence, reconnaisse les erreurs de ses lointains prédécesseurs et réhabilite l’infortuné Galilée, ce monument de la pensée, avant même Newton et Einstein ! Les théories de Galilée ne se résumaient d’ailleurs pas à cette vision moderne du système solaire, pour laquelle il ne reprenait en fait que les travaux légèrement antérieurs de Nicolas Copernic (1473-1543) un ecclésiastique, médecin et astronome polonais. Son rôle, en l’espèce, fut essentiel mais il s’est limité à diffuser les thèses du polonais, considérées comme hérétiques aux yeux de l’Inquisition et à démontrer expérimentalement leur validité. Mais la partie était perdue d’avance, face à une église carrément obtuse.

Pour moi, là où Galilée fut le plus grand, c’est lorsqu’il énonça que les lois de la physique devaient être les mêmes dans tous les référentiels inertiels : c’est ce qu’on appelle depuis « la relativité galiléenne » !  Ce faisant, il a inauguré la physique moderne, tournant délibérément le dos à la conception idéaliste d’Aristote !

C’est tout simplement grandiose parce que ce principe de relativité galiléenne a ouvert la voie à la formalisation de la mécanique classique. C’est monumental aussi parce que sa compréhension intime est à la portée de tout un chacun, surtout à notre époque : en vertu de ce principe, nous pouvons écrire, jouer aux cartes et faire tout ce qui nous passe par la tête dans un TGV qui roule à une vitesse uniforme, par exemple, de 200 km/h ; même jouer aux billes dans le couloir! Et ce, sans avoir à se préoccuper de ce qui se passe sur le remblai sans influence sur nos enfantillages : à vitesse constante, le train est un honorable référentiel inertiel ou « galiléen » ! Mais gare au freinage brutal, qui lui retire cette propriété et qui, comme on peut aisément l’observer, perturbe nos activités et nos batifolages…parfois avec profit

Galilée est toujours présent à Florence et on le découvre en majesté lorsqu’on visite l’église franciscaine de Santa Croce, le Panthéon florentin, où il repose en compagnie, entre autres, de Machiavel, de Michel Ange et de Rossini… Ses pairs !

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Pour quelqu’un qui, comme moi, a découvert le bonhomme et ses œuvres « simplifiées » près d’un demi-siècle auparavant dans une salle de physique du premier étage de la « cour des grands » du Lycée David d’Angers, le choc émotionnel n’est pas négligeable d’être face au magnifique catafalque du grand homme. Presque irréel! N’être qu’à quelques mètres du squelette de celui, qui, le premier, força mon admiration, sans feinte et sans autre expédient que son esprit de finesse. Galilée! Dont le travail a éclairé une grande partie de mes études et fondé le peu que je sais de la marche du monde!  Son mausolée a été construit tardivement en 1736. A sa mort, le 8 janvier 1642 à Arcetri près de Florence, sa dépouille fut transportée discrètement avec l’accord du grand-duc Médicis de Toscane dans le caveau familial de la basilique de Santa Croce. Sans cérémonie voyante, surtout, pour éviter de lui rendre un quelconque hommage officiel ! L’église catholique et romaine persistait en effet à le poursuivre de sa hargne imbécile.

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Dans la cathédrale de Pise, sa ville natale, on prétend que le lustre de la cathédrale est celui-là même, qui lui a inspiré  les lois du pendule, un jour venté, où il trompait l’ennui d’un prêche débile en observant les voûtes romanes de l’édifice et le balancement du plafonnier céleste. Autre trouvaille parmi tant d’autres à mettre à son crédit… Anecdotiquement, je lui en sais gré, car c’est sur la base de sa compréhension du phénomène pendulaire, que furent construites ultérieurement les horloges comtoises, … dont la mienne héritée de ma grand-mère, qui bat la seconde dans ma salle de séjour !

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Mon séjour à Florence m’a finalement conforté dans l’idée que s’il faut prier Dieu, à supposer que son existence soit envisageable, ce serait plutôt pour lui demander de nous délivrer de toute urgence  des religions, quelles qu’elles soient ! L’homme, s’il le veut, suffit à créer la beauté !

Du musée dédié à Galilée au bord de l’Arno, la vue est tellement envoûtante vers le Ponte Vecchio que mon « petit doigt » – le sien s’y trouve momifié – me dit d’en faire l’origine de « mon » propre repère Galiléen, à partir du monumental cadran solaire scellé à même le sol sur le parvis. Un axe passerait par Angers… Et l’autre ? Ça se discute. J’y réfléchis…

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