En mon for intérieur, je leur avais promis que leurs souffrances ne seraient pas oubliées, que leurs fins ne passeraient pas par profit et pertes, et qu’il y aurait une suite.
Voici donc, ci-dessous, la lettre que j’ai adressée, ce jour, à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, à propos de la fin de vie des personnes très âgées, et des conditions peu acceptables dans lesquelles on meurt aujourd’hui en France, quand on n’est plus productif :
» La tribune publiée dans le Journal Le Monde (1er mars 2018), dans laquelle un collectif de députés appelle à réviser la loi Claeys-Léonetti sur la fin de vie, n’aurait suscité de ma part qu’un intérêt discret, il y a un ou deux ans…
Il se trouve qu’elle fait désormais écho à deux épreuves que j’ai dû affronter récemment et qui me conduisent à porter un regard différent, sans doute moins philosophique mais plus réaliste, sur la question de la fin de vie des personnes très âgées…
Plus généralement, ces deux épisodes douloureux m’ont amené – ainsi que mes proches – à m’interroger sur la place que notre société, pourtant pétrie de « principes », entendait réserver à ses grands vieillards. Ayant observé que ce sujet constituait aussi une préoccupation de votre ministère, je me permets brièvement de vous rapporter mon expérience et vous livrer ma réflexion…
Mes deux parents, respectivement âgés de 91 et 94 ans, sont décédés l’un en novembre 2017 des suites d’un cancer du pancréas diagnostiqué en août, et l’autre en février 2018 victime d’une infection pulmonaire délibérément non soignée dans l’EHPAD où elle résidait depuis deux mois.
J’ai pu ainsi constater – à deux reprises dans un laps de temps limité – que les conditions dans lesquelles on meurt actuellement en France ne sont pas convenables. Je partage, à cet égard, la critique exprimée par les parlementaires.
De fait, les choix des patients, qu’ils soient de mourir dans la dignité, ou à l’inverse de vivre, ne sont pas vraiment respectés, ni dans les unités de soins palliatifs, ni dans les structures d’accueil des personnes dépendantes.
Et je n’ai pas le sentiment qu’il s’agit seulement d’une question de moyens, car ce qui me semble en cause, c’est le regard que portent les responsables notamment médicaux, sur les personnes qui leur sont confiées. Sous couvert de bienveillance et d’empathie, ils abusent d’un magistère ou d’une prétendue expertise, qui dépossèdent les patients de toute possibilité de demeurer maitres de leur destin…
De mon point de vue, tout se passe comme si les « Droits de l’Homme » perdaient toute validité dès lors qu’on franchit le seuil d’une unité de soins palliatifs ou d’un EHPAD…Tout se passe comme si, les médecins en responsabilité dans ces structures oubliaient le serment d’Hippocrate et n’avaient, pour préoccupation principale, que d’assurer en toute bonne conscience, une bonne gestion des effectifs !
Mon père est ainsi mort de faim et de soif en souffrant le martyr, cinq jours après avoir été hospitalisé (il a juste eu le temps de livrer un court témoignage écrit de sa détresse et sa douleur) et ma mère est morte faute de soins parce qu’un médecin avait décrété, contre son gré, qu’en raison de son veuvage, elle n’avait plus le goût de vivre !
Depuis, j’ai pu observer que nombreux sont ceux qui partagent ce point de vue…
Mon propos rejoint donc celui des députés.
Alors que notre pays se félicite, à juste titre, de l’augmentation de l’espérance de vie, grâce aux progrès de la médecine et aux actions de prévention (dont la vaccination), il serait regrettable que ce bilan soit terni par le manque d’humanisme dont pâtissent manifestement nos grands vieillards en fin de vie…Vous savez, comme moi, qu’on mesure le degré d’une civilisation à la manière dont elle traite ses anciens et dont elle les entoure au moment où ils partent…
Je me tiens bien entendu à la disposition de vos services et de vous-même, pour préciser certains aspects de cette correspondance, étant entendu que mon objectif n’est pas tant de stigmatiser le rôle de certains, que de contribuer – fût-ce modestement – à améliorer une situation qui ne m’apparaît pas humainement satisfaisante. Accessoirement, en souvenir de mes parents qui furent des militants engagés des « Droits de l’Homme »….
Vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien accorder …. »