Les vagues successives de la pandémie de Covid 19 déferlent sur la France au rythme fulgurant des annonces ministérielles et des atermoiements présidentiels, les unes comme les autres, agrémentés, sous couvert de science, de bouffées délirantes d’autoritarisme contredisant les affirmations rassurantes de la veille. Quoiqu’il en soit, elles légitiment – du moins c’est ce qu’on dit – nombre d’écarts aux règles qui d’ordinaire encadrent nos libertés individuelles. On vit depuis de nombreux mois sous une législation d’exception. Beaucoup se sont déjà exprimés sur ce point et en ont dénoncé les dérives les plus criantes. En tout cas, celles qui paraissaient disproportionnées à l’ampleur du fléau qui nous accable et qui font peser de lourdes menaces sur notre vie d’après, c’est-à-dire, sur notre manière de vivre, si jamais certaines restrictions se transformaient en habitudes tolérées par lassitude. Ou par la force!
Remettre en cause insidieusement ou simplement égratigner certaines de nos libertés fondamentales serait en principe inacceptable dans une société démocratique évoluée. Mais nous l’avons et docilement admis, car ce qui était en jeu, c’était la vie et la mort de chacun d’entre nous, et dans l’intervalle la souffrance des nôtres. On l’a accepté à l’exception d’irréductibles réfractaires à la notion d’intérêt général ou de ceux perdus dans les rêves chimériques de gourous de la santé. Ainsi, le plus grand nombre d’entre nous s’est fait vacciner.
Une dose, puis deux doses et désormais trois doses !
On a consenti à s’y soumettre presque de plein gré, à défaut de gaité de cœur, dans la fidélité à la démarche pasteurienne qui nous a intellectuellement nourris, en bravant la part d’incertitude que comporte nécessairement toute avancée médicale et scientifique !
On l’a fait finalement sans réelle réticence, surtout lorsqu’on est vieux et qu’on nous rabâche quotidiennement qu’on n’a guère d’autre choix, compte tenu de la faiblesse présumée de nos défenses immunitaires, que le vaccin ou l’entubage pulmonaire pré-mortem.
Et pour faire bon poids, on nous a convaincu que c’était bien pire ailleurs, chez nos « amis européens » non dotés de dirigeants aussi clairvoyants que les nôtres. En outre, pour inciter ceux qui se montreraient rétifs à la troisième dose, on nous a annoncé qu’à défaut, on nous supprimerait le droit d’aller diner au Mc Do avec nos petits-enfants ou de pénétrer avec eux dans un « cinoche » pour voir aux prochaines vacances, le Mystère de Noël, Le Piano Magique ou les Enfants de la Pluie…
Ce type d’injonctions type « carotte et bâton » amalgamant science présumée, santé publique et politique nous a, une fois de plus, mis mal à l’aise! Mais on n’a pas trop protesté! Jouir désormais de droits au rabais à cause d’un microorganisme importé de Chine, c’est sans doute une pénible sujétion. Mais par la force des choses, par civisme aussi, on a fini par s’y habituer au nom du bien commun, gommant délibérément nos souvenirs de jadis où nos mouvements n’étaient pas regardés à la loupe, nos déplacements non masqués, et où le Président de la République ne confondait pas la Défense Nationale, la Santé Publique et son destin personnel…
Mais faut-il, pour autant, profiter de cet aggiornamento généralisé pour abandonner nos classiques normes de civilité, de courtoisie ou de politesse, qui font le sel de la vie, et nous assimiler à des meutes de braillards irresponsables? Faut-il transformer les centres de vaccination qui fleurissent aujourd’hui un peu partout, en des lieux où s’imposerait une discipline excluant toute compassion et « dignes » en la forme des casernements pour conscrits turbulents sous la troisième République?
C’est pourtant ce qui s’est passé ce matin – 22 novembre 2021 – dans un centre de vaccination d’une sous-préfecture de la banlieue Sud d’Ile-de-France.
Le centre ouvrait ses portes à onze heures mais gare à celui ou celle qui en franchissait le seuil, quelques minutes en avance ! Il était vertement sermonné par un individu en tenue de sapeur-pompier aux manières de « juteux » de conseil de révision, qui rappelait à l’impudent que l’heure c’est l’heure, et qu’avant l’heure, il était strictement interdit de franchir le pas! Peu importe, qu’il caille dehors et que la plupart des quidams outrecuidants, effrayés par les menaces ressassées en haut-lieu, avait deux fois l’âge de l’excité dragon en uniforme, et fier de l’être! Rompez !
Pire si les petits vieux, majoritairement septuagénaires – principaux clients du centre à la suite des chantages à la peur, distillés par les autorités manifestement à la peine – s’avisaient de prendre un formulaire parmi ceux étalés, trainant sur une table, le fonctionnaire allumé, seul maître à bord après Dieu, comme il aimait le répéter, aboyait à l’adresse des emmitouflés aux cheveux blancs qu’il était aussi l’unique préposé du centre de vaccination, habilité à distribuer des papiers.
Malheur aux insouciants enfin, dont le grand tort était de n’être que peu ou prou familiers d’Internet et qui, se seraient pointés dans l’antre du cerbère, sur conseil de leur toubib, sans avoir au préalable pianoté sur la plateforme de rendez-vous Doctolib.
De surcroit, le concierge vociférant et impoli tenait à préciser avec fermeté que les médecins et les infirmiers, vacataires du centre, n’avaient qu’une seule tâche, « piquer », et qu’ils n’avaient à prendre aucune autre initiative sans son autorisation ! Non mais ! L’intraitable groom des lieux affirmait à la cantonade, face à de pauvres vieux confus qu’il ne souffrait aucun passe-droit, aucune exception, aucune urgence ! Rompez une deuxième fois !
Finalement, on a fini par s’accommoder des gesticulations de ce sous-fifre de casernement d’ancien régime. On a même souri, en dépit des circonstances, devant le ridicule de ce personnage guignolesque empêtré dans ses procédures et qui s’estimait important. Nous étions trop contents qu’après nous avoir confondu avec du bétail destiné à l’abattoir à plus ou moins brève échéance, il ne nous ait pas imposé, en plus, une « corvée de chiottes ». Ca nous aurait pourtant rappelé le bon temps !
Pour les mutins chroniques – dont l’auteur de ces lignes – la vaccination s’effectuera finalement ailleurs, dans le cabinet du médecin !
La morale de cette histoire est simple. Cet incident montre que le réflexe d’humanité devrait primer sur la nécessité fonctionnelle de fixer les ordres de passage des candidats à la vaccination. Des abrutis peuvent faire l’affaire pour ce travail d’organisation mais pas pour manifester de l’empathie, ou encore de la compréhension voire d’élémentaire politesse. Cette absence totale d’égards et ce mépris pour ses semblables plus âgés sont évidemment condamnables et inquiétants. Ils ne sont pas pour autant illogiques lorsqu’un président paternaliste, hautain et s’identifiant à Napoléon et Newton réunis, décide seul, de questions de santé dans un conseil de défense, confidentiel. Dans ces conditions, on ne doit pas s’étonner qu’en bas de l’échelle, soient confiées à des tyrans de chambrée, soi-disant pompiers, des responsabilités de chefs de centres de santé. Et ce, sans qu’on leur ait au préalable rappelé que les vieux sont encore des humains et que s’ils se déplacent pour se faire vacciner, ce n’est pas par caprice ou pour nouer des rencontres coquines.
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