Il est des circonstances où il faut préférer les mots des autres, aux siens propres. Où il est préférable de recourir aux phrases du poète pour exprimer avec justesse ce que l’on ressent! Où ce sont les autres mieux que nous-mêmes qui entrent en empathie avec nous-mêmes.
Aucune combinaison syntaxique de mon crû ne saurait en effet rendre compte de l’ampleur de ce sentiment de solitude, devenu depuis durable, éprouvé en cette triste matinée humide d’un jour de novembre, il y a trois ans.
C’était au passage par une porte dérobée d’un hôpital de banlieue de convoyeurs pressés transportant sur un brancard brinquebalant un sac de plastique noir normalisé et bouclé par une fermeture éclair …Le corps de mon père destiné au centre parisien du don des corps! On sut par la suite l’odieux sort qui lui fut sûrement réservé!
Qui mieux que les vers octosyllabiques d’Alfred de Musset (1810-1857) de « La Nuit en décembre » un long poème écrit en novembre 1835, saurait illustrer cet épisode de souffrance intime et d’abandon ressenti à ce moment là, alors que le camion s’éloigne, englouti dans la brume automnale qui envahit en contrebas les prairies de l’Hurepoix… Une séquence parmi tant d’autres que le temps qui passe nous inflige, en contrepartie sans doute des insignes bonheurs qu’aussi, il nous consent !
Pour Musset, le romantique, la poésie est un exutoire: le baume qui lui permet d’apaiser sa douleur, une occasion réparatrice de parcourir son passé d’enfant, d’adolescent puis d’amoureux éconduit en « réveillant les fantômes d’un double étranger et complice ». D’un fidèle mais parfois oppressant compagnon de route.
Ce n’était pas tout-à-fait mon propos ce 8 novembre 2017, alors que la dépouille de mon père n’était déjà plus perceptible qu’au travers la minuscule trainée de gaz d’échappement du véhicule dans le lointain. Aucune George Sand, aucune rupture sentimentale n’en étaient en cet instant l’alibi! Juste le plus redoutable des abandons: la mort. Le poème de Musset à ce moment-là m’allait comme un gant, sans que je sache d’ailleurs trop pourquoi. Il ne m’a plus quitté comme certains poèmes de Rimbaud.
(Courts extraits choisis)
Du temps que j’étais écolier, Je restais un soir à veiller Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s’asseoir Un pauvre enfant vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère.
……
Un an après, il était nuit, J’étais à genoux près du lit Où venait de mourir mon père. Au chevet du lit vint s’asseoir Un orphelin vêtu de noir Qui me ressemblait comme un frère
…….
Qui donc es-tu, toi que dans cette vie Je vois toujours sur mon chemin?
……
Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse, Pèlerin que rien n’a lassé?
……
Je ne suis ni dieu, ni démon, Et tu m’as nommé par mon nom Quand tu m’as appelé ton frère; Où tu vas, j’y serai toujours, Jusques au dernier de tes jours, Où j’irai m’asseoir sur ta pierre.
Le ciel m’a confié ton cœur. Quand tu seras dans la douleur, Viens à moi sans inquiétude; Je te suivrai sur le chemin; Mais je ne puis toucher ta main; Ami, je suis la Solitude.
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