Juste après la Libération, la génération de 14-18, celle des anciens combattants survivants de la boucherie et de leurs femmes pouvait peut-être persister à ne voir dans Pétain que le vainqueur de Verdun…Surtout, lorsqu’ils n’étaient ni juifs, ni tziganes, ni francs-maçons, ni homosexuels, ni communistes, ni résistants actifs et que, si j’ose dire, ils n’eurent à connaître que les privations ordinaires, les restrictions normales et les tracasseries de l’Occupation allemande.
N’ayant pas été éprouvés dans leur chair, ou n’ayant pas directement subi l’horreur nazie, il leur était loisible de faire preuve d’une certaine indulgence, voire mansuétude, à l’égard du vieux dictateur! Et de lui faire crédit de sa bonne foi. Au moins jusqu’à preuve du contraire!
Ainsi, c’est avec émotion que ma grand-mère maternelle qui était gaulliste et « anti-boche » résolue, nous montrait encore au début des années soixante, le diplôme de la Croix de guerre, paraphé par Pétain et attribué à son frère, l’adjudant du génie, Albert Venault (1893-1918), mort pour la France au printemps 1918 (voir mon billet du 26 novembre 2011). Elle conservait précieusement cette relique avec sa plaque d’identification en aluminium, dans une cassette en métal, coincée entre deux piles de draps de lin, brodés, bien rangés dans une grande armoire en noyer à deux vantaux, héritée de sa mère ! Juste à côté d’une bouteille d’eau de Lourdes qu’elle ressortait en cas de violent orage pour protéger la maison…
Ma grand-mère, profondément patriote, appartenait à cette population des « quarante millions de français » qui, selon l’historien Henri Amouroux, furent pétainistes entre juin 1940 et juin 1941, puis désabusés et enfin passivement opposants. Bercés au début par l’illusion que le Maréchal, héros de la première guerre, était le seul sauveur possible d’une France effondrée, ils n’adhéraient pas, pour autant aux visées fascistes, antisémites et racistes du régime de Vichy, ne voulant distinguer dans le vieux soldat que le père autoproclamé de la Nation. Pour la plupart sous-informés, ils ignoraient tout des actions criminelles perpétrées par le régime de Vichy, qu’ils percevaient au pire comme des opérations de maintien de l’ordre. Parfois, un peu brutales!
Ma grand-mère racontait en tout cas la répugnance que lui inspirait l’obligation faite aux juifs de porter l’étoile jaune et la compassion chrétienne qu’elle eut à leur égard au moment des rafles d’Angers en 1942… Je suis certain en revanche que, jusqu’à son décès, au début des années soixante-dix, elle ignora l’étendue de l’ignominie de la Solution finale. Et que si elle l’avait su, avec les éléments dont nous disposons maintenant, elle en aurait été non seulement choquée, mais révoltée, et elle l’aurait proclamée, car elle ne manquait ni d’audace, ni de courage, comme d’ailleurs elle l’a montré au cours de cette guerre…
Dans les années soixante, tous les français connaissaient l’existence des camps de concentration. Je me souviens d’une exposition sur la déportation, salle Chemellier à Angers, où étaient présentés des films tournés par les américains au moment de la libération des camps. Je me souviens de l’effroi que provoquaient ces images d’amoncellements de cadavres, poussés dans des fosses communes par des pelleteuses. Mais le discours dominant d’alors, relayé, peu ou prou, par les barons du gaullisme et les associations d’anciens combattants, était que ces camps – de la mort – étaient surtout réservés aux opposants au régime hitlérien et aux résistants des pays occupés. Je n’ai pas souvenir qu’on insistât beaucoup à l’époque sur le génocide programmé par Hitler et mis en oeuvre par Himmler, des juifs d’Europe dans les camps d’extermination, avec la complicité, en France, des autorités. Peu se doutait que Pétain lui-même avait corrigé de sa main et même durci les lois antisémites – dont le statut des juifs – qu’il avait promulguées dès octobre 1940.
Mais, depuis, l’image d’un maréchal très âgé, un peu gâteux et dépassé par les événements, s’efforçant d’atténuer la souffrance des français en contrant « subtilement » les exigences de l’ennemi, a été singulièrement écornée par les travaux de tous les historiens sérieux ayant eu accès aux archives… Pétain n’a jamais vraiment finassé pour tromper les nazis…
Pétain a été un acteur du fascisme et de l’antisémitisme.
On peut néanmoins comprendre que certains, désemparés, aient été abusés et aient considéré que le héros de la Grande Guerre pouvait être une solution du « moindre mal » pour rétablir les apparences d’un ordre rassurant après la déroute de l’armée française de juin 1940, l’exode massif des populations du nord et de l’est, la ruine de toutes les activités industrielles et la mainmise de l’ennemi nazi sur la moitié du territoire métropolitain. Certains ont même décelé une sorte de connivence secrète avec de Gaulle à Londres… Comme une répartition des rôles!
D’autant plus, que le Maréchal, à la voix pleurnicharde et à l’élocution chevrotante et incertaine, qui ne passait pas auparavant pour un officier factieux, disait faire don de sa personne à la France. Il se présentait comme l’ultime rempart et protecteur des français, investi « légalement » de pleins pouvoirs, votés à une très forte majorité (87,67% des suffrages exprimés) par une Assemblée Nationale repliée à Vichy. Et le comble, par une Assemblée issue pour partie du Front Populaire, au sein de laquelle la gauche socialiste et le centre-gauche constituaient encore des groupes importants et influents…Pauvre Blum, honneur de la France, qui lui n’a pas voté la confiance au dictateur!
En apparence, toutes les raisons semblaient donc réunies pour faire initialement confiance au vieux. Mais depuis, le temps a fait son oeuvre, soixante-dix ans se sont écoulés. Les archives et les faits ont parlé d’eux-mêmes. Personne ne doute plus de l’allégeance de Pétain et du régime de Vichy à l’égard d’Hitler. Toutes les preuves de la collusion sont sur table et les excuses ne sont plus de mise.
Pétain était bien un traître, qui a aboli la République pour complaire à ses maîtres de Berlin qui lui dictaient sa conduite. Conduite d’ailleurs fortement inspirée de ses comportements d’entre deux-guerres. Dans les années trente en effet, il annonçait la couleur en commettant un ouvrage faisant état de sa « répulsion à l’encontre du régime parlementaire et de la révolution française » ( Source Médiapart 2010).
Il n’y a donc plus débat aujourd’hui et prétendre le contraire relève soit de l’ignorance de l’histoire, soit de la provocation, de la vengeance, soit de l’action malfaisante de nostalgiques du fascisme. Soit du gâtisme… A combattre d’urgence par la dialectique!
A ceux qui , durant leur tendre enfance, chantèrent dans les patronages ou sur les bancs des écoles « Maréchal, nous voilà ! » et qui voudraient des preuves supplémentaires de la culpabilité de Pétain, avant de pleurer sur leurs erreurs de jeunesse, je leur livre ces deux fac-similés de documents émanant d’un Ministère du travail, sous la botte du régime de Vichy:
- Tout d’abord, une banale correspondance administrative de 1943 à propos d’un décret, où le rédacteur, à cours probablement de papier à entête en raison de la pénurie, a recyclé un modèle d’avant-guerre, mais en prenant bien soin de barrer la République française. Pitoyable précaution mais si éloquente…
- En second lieu, une note de 1942 d’un bureau du Secrétariat d’Etat au Travail à Paris qui informe la Direction du Travail à Vichy qu’un projet de décret modifiant un décret de 1941 « instituant des comités de sécurité dans les entreprises », avait été « soumis pour approbation aux autorités occupantes ». Le projet dont je possède une copie est d’ailleurs traduit en allemand afin de faciliter la compréhension de « l’hôtel Majectic », siège du Haut commandement allemand en France. Ce qui est fascinant en cette affaire, ce n’est pas tant la teneur du projet en cause qui ne soulève a priori aucune question sensible pour les allemands, c’est que précisément il faille obtenir l’accord d’Hitler à propos d’une décision des plus anodines. Cette saisine donne une idée assez précise du degré d’autonomie du régime de Vichy et de sa collusion de fait avec l’ennemi fasciste!
Elle lève le voile sur la légende absurde d’un Pétain patriote entre 1940 et 1945. Car en réalité c’était tout le contraire!