Feeds:
Articles
Commentaires

Posts Tagged ‘Adrienne Venault’

L’effondrement du pont suspendu de Mirepoix-sur-Tarn en Haute Garonne au petit matin du lundi 18 novembre 2019 est un drame qui ne laisse personne indifférent, tout d’abord parce qu’il a provoqué la mort de deux personnes, mais aussi, parce qu’il fait écho à notre propre expérience! En effet, qui n’a pas, un jour, éprouvé des frissons en ressentant les vibrations suspectes d’un tablier de pont suspendu au dessus du vide? Qui n’a pas frémi en circulant sur un pont chahuté par les bourrasques d’un vent violent?

En outre, un tel accident, insolite et effrayant, réveille nécessairement en nous le souvenir d’événements tragiques similaires, vécus par nous mêmes dans un passé lointain ou par nos anciens dans les siècles qui nous précèdent. Comme si, face à son exceptionnelle gravité et à ses conséquences, se rappelait à nous, surgissant du plus profond de nos inconscients, une sorte de traumatisme résilient se transmettant de générations en générations.

Ainsi, dans le drame de Mirepoix, au-delà de l’explication apparemment rationnelle et sans appel, qui, dès sa survenue, a mobilisé les antennes des médias d’information continue dans l’attente d’un autre « scoop » sensationnel, ce qui prime c’est notre compassion sincère et spontanée pour les victimes, auxquelles on s’identifie forcément un peu. Et bien sûr, notre empathie pour leurs proches!

Ces victimes nous ressemblent, tant par leur malchance, leur maladresse ou même par leur insouciance. Voire par leur imprudence coupable. Et peut-être plus encore!

En effet, il s’en est sûrement fallu d’un rien au cours de notre vie, pour que la fatalité ne nous ait mis, un jour, à la place de ces infortunés sacrifiés du hasard, et quelle nous ait broyé, comme eux, sans préavis et sans sommation, dans l’enchaînement tragique et infernal d’un cycle de circonstances, devenu soudainement mortifères.

C’est la raison pour laquelle le chauffeur sans doute fautif, parce qu’il a tenté le diable en franchissant le Tarn avec un camion trop lourdement lesté, mérite finalement autant notre apitoiement, en dépit de sa probable responsabilité, que la jeune adolescente qui, au seuil de sa vie, a péri dans une rivière en crue, prisonnière de la voiture de sa mère qui la conduisait au lycée. Sans même comprendre ce qu’il lui arrivait, elle allait impitoyablement mourir du fait de l’égarement passager et irresponsable d’un conducteur de camion, qui aurait cherché à gagner quelques secondes pour rejoindre un chantier. Tel fut le premier et le seul élément déclenchant invoqué officiellement pour expliquer cet inconcevable drame. N’empêche que les deux victimes sont désormais liées à jamais par la mort qui les a terrassées au même endroit au même moment dans les eaux tumultueuses du Tarn. Elle les a définitivement et prématurément réunies dans la souffrance et par l’impossible travail de deuil que leur disparition a infligé à leurs familles.

Mais, dans le même temps, alors que les autorités publiques venaient de déclarer doctement avec la mine affligée appropriée, que le facteur humain était très certainement à l’origine de la tragédie, elles assuraient, sans doute timorées à l’idée d’être accusées de négligence, que, comme en août 2018 après la rupture du viaduc du Polcevera à Gênes, tous les ouvrages routiers à risque seraient de nouveau contrôlés afin de vérifier leur état de vieillissement.

 

Pont de Mirepoix-sur-Tarn

Les enquêtes judiciaires et administratives ainsi que les expertises techniques détermineront les causes exactes et les responsabilités des différents protagonistes de cette tragédie. Ce n’est pas ici mon propos. D’ailleurs, l’enseignement du passé doit nous inciter à la prudence, car dans ce type d’accidents où l’émotion prend naturellement le dessus dans les toutes premières heures, l’affirmation trop hâtive de causes considérées comme évidentes et univoques, ne constitue généralement pas la seule explication possible.

Près de cent-soixante dix ans après, on ne connait toujours pas avec certitude la cause principale de la catastrophe du pont suspendu de la Basse Chaîne dans ma bonne ville d’Angers, le 16 avril 1850. Était-elle imputable au phénomène de résonance mécanique initiée par le passage au pas cadencé, musique en tête, d’un régiment d’infanterie, ou à l’oxydation des câbles porteurs entraînant la défaillance de leur amarrage au niveau des culées adossées aux berges de la rivière?

En fait, ces deux facteurs se sont certainement conjugués! L’un comme étant la cause première de la moindre résistance du pont, l’autre comme élément précurseur immédiat de ce désastre matériel et humain, au cours duquel deux-cent vingt trois fantassins du troisième bataillon du onzième régiment d’infanterie légère, et deux civils périrent dans la Maine dans des conditions atroces. Selon les témoins, après que les câbles eurent lâché à partir des piles de la rive droite (côté Doutre de ville d’Angers) et que le tablier se fut effondré, les soldats tombèrent les uns sur les autres, dans la rivière, au milieu des gravats et des pavés, en s’embrochant mutuellement avec leurs baïonnettes.

Un troisième facteur doit être aussi être regardé: la fatalité.  Pourquoi ce bataillon basé à Rennes et se dirigeant sur Marseille avant d’embarquer pour l’Algérie est-il passé par Angers plutôt que par Le Mans?

En outre, une fois parvenu à Angers en venant probablement de Segré et du Lion d’Angers, pourquoi a-t’il emprunté le pont de la Basse Chaîne au lieu du pont du centre – actuel pont de Verdun  – qui avait été entièrement reconstruit après la crue dévastatrice de la Maine de 1843…Ce choix du pont de Verdun aurait été plausible parce qu’il se situait dans le prolongement naturel de la rue venant du Lion d’Angers – la rue LIonnaise – et qu’en outre, le pont de la Basse Chaîne, bien que relativement récent (1839) avait déjà subi de sérieux avatars dès 1841 qui avaient entraîné son interdiction au public pendant deux ans.

Cet exemple montre que « l’arbre des causes » de ces catastrophes présente souvent de multiples arborescences et qu’il est donc beaucoup plus complexe que ne le suggèrent les médias dans les instants qui suivent un drame.

 

Le fait d’incriminer l’élément le plus aisément identifiable comme étant la seule cause d’un effroyable accident permet en général d’atténuer le sentiment d’irrationalité et d’impuissance qui s’empare des témoins sidérés, et par conséquent de canaliser la fureur populaire vers des présomptions de responsabilité prétendument irréfutables. Pour le pont d’Angers en 1850, c’est le passage au pas cadencé des soldats sur le pont et l’entrée en résonance de l’ouvrage qui servirent d’exutoire momentané.

L’explication paraissait en effet « logique ». Elle fut d’ailleurs la seule pendant longtemps à être retenue. Elle fut même confortée dans l’esprit de la population par une semi-vérité abondement répétée et qui consistait à affirmer que le drame de la Basse Chaîne eut pour conséquence directe l’interdiction pour les armées de défiler au pas sur un pont ! Dans la réalité, cette règle était déjà d’application depuis quelques années. elle fut juste rappelée avec force après l’accident.

Mais les idées reçues ont parfois la vie dure. Je peux, à cet égard témoigner du fait que dans les années soixante du siècle dernier, les professeurs de physique du lycée David d’Angers concluaient leur introduction à la mécanique vibratoire en évoquant le phénomène de résonance et qu’ils illustraient leur propos en citant la tragédie du pont suspendu de la Basse Chaîne. L’exemple local par excellence d’un objet matériel – en l’occurrence un pont suspendu sinistré – excité sur sa « fréquence propre ». En revanche, quand ils abordaient en chimie les questions d’oxydo-réduction, ils ne leur venaient pas à l’idée de faire allusion à la corrosion des ouvrages métalliques, et surtout de prendre un exemple particulièrement suggestif des dégâts que peuvent provoquer l’oxydation et la corrosion…

Disant cela, je ne dis rien car Dieu sait si je les ai appréciés, ces profs de physique-chimie du lycée David, qui ont orienté en grande partie mon destin!

En fin de compte, la mémoire collective n’a retenu de cet épisode douloureux de la Basse Chaîne, que le pas cadencé des militaires faisant vibrer le tablier du pont jusqu’à sa rupture, en oubliant que les câbles ont probablement lâché au niveau des culées d’amarrage oxydées du fait d’un entretien défaillant, avant que le tablier ne fut affecté de soubresauts d’amplitude croissante.

Plus d’un siècle après, ce drame demeurait immanent à Angers.

Pour ma part, c’est ma grand-mère maternelle (Adrienne Turbelier née Venault) qui m’y a sensibilisé et m’en a fait, la première, un récit circonstancié, sans d’ailleurs s’encombrer de considérations techniques qu’elle ignorait. Et ce, dès ma petite enfance alors que je l’accompagnais et que nous déambulions côte à côte à travers les allées du cimetière de l’Est,  » le Père Lachaise angevin » (selon la belle expression de Sylvain Bertoldi, conservateur des archives de la ville). Je sus ainsi, très tôt, que nombre de ces malheureux soldats avaient été inhumés ici le 18 avril 1850 en présence de Louis Napoléon Bonaparte.

Bien que n’étant pas elle-même, angevine de naissance, ma grand-mère ne manquait jamais – quand elle allait fleurir la tombe de son époux, mon grand-père – de faire un détour par la colonne commémorative de cette catastrophe érigée en 1852 ou 1853.  Je ressentais alors à son écoute un peu de cette émotion éprouvée par les Angevins, mes compatriotes en 1850!

Photo JLP

Le drame de Mirepoix-sur-Tarn intervient dans une autre époque.

Les moyens d’investigation pour comprendre ce qui s’est réellement passé, ont considérablement évolué… Demeurent malgré tout des interrogations de même nature sur les causes directes et indirectes de ce drame et sur les motifs de privilégier les unes au détriment des autres…Ou les intérêts de certains à brouiller les cartes!

Demeure également la question de la résonance et de la résilience de ces catastrophes dans notre cœur! Celle aussi du temps long pour accéder à une certaine vérité dans la sérénité et enfin celle de la rémanence et de la persistance des drames dans notre inconscient collectif!

Celle de la justice également… Mais là, il ne s’agit sans doute que d’une illusion, ou à la rigueur d’une utopie!

 

Read Full Post »

C’était il y a exactement quarante six ans!

Ce 13 juin 1973, j’étais loin de l’Anjou, loin de la France. De retour d’une mission océanographique dans l’Océan Indien, j’étais de passage à Djibouti. Je n’appris donc que quelques jours plus tard en débarquant à Orly, le drame qui s’était joué le 13 juin à Beaufort-en-Vallée.

En ce début de matinée grise, ce mercredi-là, Adrienne Clémence Berthe Venault née à Saint-Loup-sur-Thouet, le 10 février 1894 s’éteignait dans l’hospice de la petite ville du Val de Loire, où elle avait été accueillie quelques jours auparavant pour une convalescence à la suite d’une fracture du col du fémur. Laquelle était survenue dans la maison de retraite angevine, où elle résidait depuis le début de l’année…

Adrienne en 1920

Elle mourait, âgée de 79 ans. On nous a dit qu’elle était partie en toute lucidité, consciente de sa mort imminente, et révoltée. Les médicaments qui la maintenaient en vie depuis des années avaient été omis lors de son transfert…

L’heure n’est désormais plus au deuil, ni aux regrets! Encore moins aux remords, s’il tant est qu’il y eut, un jour, matière à en concevoir! Le temps a fait son oeuvre et même un sacré ménage parmi tous ses familiers d’alors. Les derniers de sa génération ne sont plus là depuis une vingtaine d’année et nombreux sont ceux, plus jeunes, qui l’entouraient à l’époque, à l’avoir suivi dans la tombe, en particulier deux de ses trois enfants dont ma propre mère Adrienne Turbelier (1923-2018) et deux de ses petits-enfants, dont une de mes sœurs.

En presque un demi-siècle, le monde qu’elle a connu, a lui-même disparu: c’était avant la crise pétrolière, avant la fin de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest et, bien sûr, avant la mondialisation sauvage. La France était encore un pays industriel qui produisait l’essentiel de ses biens de consommation. Le monde paysan existait encore sans être contraint de se transformer en gardien des paysages d’une ruralité en voie de disparition.

La « Communauté Economique Européenne » – qui n’était pas encore une « Union Européenne » – et à laquelle le Royaume Uni venait d’adhérer, était encore circonscrite à ses membres fondateurs!  Aujourd’hui, l’Angleterre a voté le Brexit, mettant fin – ou à tout le moins – semant le doute sur une utopie transnationale, porteuse de paix et, en principe, de prospérité.

C’était enfin, bien avant l’ère du « tout numérique, du téléphone portable, des « tablettes »,  de l’ordinateur familial, mais aussi des grandes peurs et menaces de notre présent siècle! Avant l’apparition du Sida et du terrorisme. Rien ou presque de ce qui fait notre quotidien et que l’on appelle « la modernité » n’existait et n’était même imaginable…Sans parler des mœurs dont l’évolution a bousculé la plupart des standards moralisateurs de jadis, et désorienté tant de bonnes consciences…

Adrienne n’a connu aucun de ces bouleversements qui ont changé la vie sur une planète « terre » désormais regardée dans sa globalité, parcourue en tous sens à chaque instant mais devenue trop étroite pour une population de plus en plus nombreuse, et qui a, en outre, épuisé la plupart de ses ressources aisément mobilisables.

Mais Adrienne a connu d’autres changements, d’autres violences tout aussi redoutables, en particulier deux guerres, dont une qui a profondément pesé sur son destin. Souvent, je me suis exprimé ici sur les malheurs qu’elle dut supporter. Souvent j’ai tenté, et toujours en vain, de comprendre les ressorts intimes qu’elle dut mobiliser pour surmonter la disparition brutale de ceux qu’elle aimait. Pour simplement continuer à vivre après le désastre des deuils successifs qui lui furent infligés à l’aube de l’âge adulte, au moment même, où tout un chacun aborde naturellement la vie avec confiance.

Parce qu’elle incarnait à mes yeux, le drame de toute une génération dévastée par la guerre et meurtrie à jamais, je me suis souvent efforcé de décrypter ses secrètes fêlures. Parce qu’elle était ma grand-mère, je me suis interrogé sur la nature des liens qu’elle tissa avec nous en dépit de la tragédie, et des parades qu’elle dut déployer pour triompher de l’indicible ou de l’inconcevable. J’ai cherché à déceler les pansements qu’elle dut appliquer pour masquer ses cicatrices et donner le change.

Malgré ma proximité affective avec ma grand-mère maternelle, sa trajectoire restera pour moi, et à bien des égards, une énigme. Je l’aimais et je crois qu’elle m’aimait aussi. Malgré tout, je sais n’avoir perçu d’elle, qu’un pan de sa personnalité: l’image rassurante et réductrice d’une grande-mère attentionnée qui s’occupait de ses petits-enfants avec une sorte de bienveillance pudique. Laquelle n’excluait nullement certaines manifestations de tendresse, fussent-elles toujours empreintes de retenue.

Mais sa vision du monde étroitement liée aux malheurs qu’elle avait traversées, de même que ses convictions ou ce qu’elle en laissait entrevoir, demeurent pour l’essentiel incompréhensibles… A notre niveau, ne transparaissait que la résignation d’une veuve qui se plaignait de la solitude et compatissait au sort injuste fait à son mari – son « pauvre p’tit Louis » – trop tôt emporté après guerre, vers un monde prétendument meilleur!

Je ne reviendrai pas sur mes développements antérieurs à ce sujet, renvoyant mes hypothétiques lecteurs aux principaux billets rédigés à sa mémoire ces dernières années…

Je me limiterai ici à souligner la cruauté insigne du destin à l’égard de cette jeune femme – ma grand-mère – qui, en l’espace de six ans – entre 1912 et 1918 – vit disparaître prématurément, un père admiré, fauché par un train de nuit et qui, quelques années plus tard, apprit que son frère aîné ainsi que son ami de cœur – son « petit ami » – avaient été foudroyés sur le front de la Somme au printemps 1918…

Trois ans plus tard, elle épousera par devoir, par nécessité ou par défi pour conjurer le sort et miser sur la vie, le frère cadet de son ami « mort pour la France »… Avec mon grand-père, aimé par défaut, par devoir, elle aura trois enfants. Finalement, à force d’affection mutuellement revendiquée et de respect réciproque, ils se transformèrent en un authentique couple. Ou presque!

Il décédera lui-même d’un infarctus en 1951 à 52 ans.

A cinquante sept ans, elle devint officiellement veuve. Mais ne l’était-elle pas déjà depuis plus de trente ans? Quoiqu’il en soit, elle en adopta définitivement les apparences, comme il était d’usage en ces temps-là ! Sa vie intime devenait invisible…

1951 avec son mari, Louis Turbelier

Une telle accumulation de malheurs interdit à quiconque de jauger son existence à l’aune des critères habituels de la bien-pensance ou des standards conventionnels des donneurs de leçons de vertu. Sa quête du bonheur fut sans doute abandonnée dès 1918. Pour le reste elle s’est débrouillée comme elle a pu, cultivant l’instinct de survie pour elle et pour les siens!

Elle interdit également de porter un quelconque jugement sur tel ou tel de ses comportements ou de ses opinions, qui autrefois auraient nous pu étonner ou qui, encore, pourraient nous interpeller comme du temps où nous étions encore contemporains dans un même espace-temps! Et bien vivants pour nous chamailler …

En 1961, avec ses enfants et petits enfants – 50% ne sont plus

La seule question qui vaille désormais est de savoir ce que finalement, elle nous a légué et ce qui nous reste d’elle.

Pour ma part, je n’oublie pas qu’elle m’a appris à lire avant même que je ne franchisse le seuil de l’école primaire. Je n’oublie pas non plus que c’est elle qui m’accompagna au premier jour de ma scolarité à la « grande école ». C’est un peu grâce à elle, que l’école ne fut jamais pour moi un calvaire.

Sans doute a t’elle cherché aussi à transmettre – sans forcément y parvenir – le sens d’une certaine rigueur intellectuelle dans l’exposé des idées…D’une certaine raideur, diront certains!  S’y tenir en tout cas autant que possible sans en faire un préalable absolu…Sans s’entêter ou s’obstiner face à l’affranchissable mais ruser et contourner. Parfois, les compromis avec le réel sont nécessaires, lorsque la réalité est insupportable.

Peut-être a t’elle cherché à nous inculquer aussi l’idée selon laquelle, pour faire sa place dans la vie, l’ambiguïté peut parfois être une alliée et la clarté une faiblesse. Le doute sur ses propres certitudes et sur celles des autres est une nécessité vitale, surtout si l’on sait jouer des apparences et posséder l’intelligence des situations…

« Sans avoir l’air d’y toucher » (une de ses expressions favorites), elle s’est probablement efforcée enfin de nous enseigner la lucidité sur nous-mêmes et sur les autres… Laquelle n’exclut d’ailleurs pas, l’empathie ou la solidarité, qu’elle n’évoquait d’ailleurs pas en tant que telles, car ces notions ne relevaient pas de son arsenal sémantique politiquement correct, mais elle les intégrait dans une acception plus conforme aux us de l’époque dans les provinces de l’Ouest, la « charité chrétienne ». Pour sa part, elle la pratiquait avec convenance, constance mais aussi avec mesure, sans affect particulier, comme un devoir parmi d’autres, car elle était, avant tout, une femme de devoirs!

Pudique, elle se méfiait en outre des élans trop démonstratifs du cœur… Pour elle, cette réserve était une manière de se préserver des amitiés de circonstances ou des amours artificielles … En ce sens, elle demeura toute sa vie, fidèle à elle-même! Un challenge qu’elle poursuivit avec panache, contre vents et marées. Quitte d’ailleurs à prendre des risques insensés comme celui de rabrouer vertement un galant soldat de la Werhmacht qui se proposait de l’aider à monter dans une barque au passage de la Loire, quelques semaines à peine après la défaite de juin 1940.

Quarante six ans après son départ, saura-t-on si elle aimait qu’on l’aime? Peu importe au fond! On continue de lui donner notre affection et, en dépit d’elle, de lui accorder notre reconnaissance pour avoir contribué avec d’autres à nous apprendre à vivre! Et à lire aussi…

Insatiable lectrice, elle nous donna le goût des livres et de l’Histoire. Et donc de la culture, dont les malheurs de la guerre et la modestie de sa condition initiale de fille de garde-barrière et de poseur de voies, la privèrent pendant toute la première partie de sa vie!

Année 1971 

PS: Quelques articles de ce blog (parmi d’autres où elle est présente) qui lui sont spécifiquement dédiés:

  • Énigmatique photographie – 29 août 2011-
  • Une jeunesse contrariée pour une vie injustement controversée – 19 novembre 2011-
  • Celle que nous appelions aussi « Mémé » – 11 février 2012
  • La femme qui ne souriait pas au photographe – 13 octobre 2014-

A ce bref récapitulatif, il convient d’ajouter deux billets consacrés à son frère:

  • Albert Venault (1893-1918), un frère admiré et trop tôt disparu – 26 novembre 2011-
  • Il y a cent ans tout juste, le 27 mars 1918 dans la Somme – 27 mars 2018

Read Full Post »

L’année 1918 fut la dernière de la première guerre mondiale, mais pas la moins cruelle. En particulier dans ma propre famille!

Autant de motifs qui m’amènent à souhaiter que l’hommage qui sera rendu « aux poilus » à l’occasion du centième anniversaire de la « Victoire du 11 novembre 1918  » soit grandiose. De nombreuses manifestations, officielles ou privées, sont d’ailleurs prévues qui marqueront l’événement.

Jadis, ces célébrations auraient été qualifiées de « patriotiques ». Désormais, il est plus « in » – autrement dit plus politiquement correct – de rendre les honneurs au nom d’un « devoir de mémoire » élargi, quitte, parfois, à tordre sensiblement la réalité historique et à remettre en cause les souvenirs que nous avaient transmis ceux qui, parmi nos proches, firent cette guerre ou eurent à en souffrir. Quitte aussi à modifier le récit que nous en faisaient nos professeurs, il y a quelques cinquante ans!

Dans ce contexte, associer dans un même hommage, les combattants de tous les camps qui s’affrontaient férocement est sans nul doute une évolution souhaitable, pour se prémunir des tragédies du siècle précédent. Décréter, une bonne fois pour toutes, la « paix des braves » entre tous les hommes de troupe qui s’étripaient sur le terrain, est également une exigence raisonnable pour affronter les défis de demain. Mais, encore convient-il de ne pas sombrer dans une sorte d’angélisme béat ou d’amalgame œcuménique, juste destinés à justifier ou conforter des enjeux politiques actuels… Aussi nobles fussent-ils!

A force de vouloir tout lisser pour ne « stigmatiser » personne, on prend le risque de brouiller l’image même des combattants de 14-18 et d’oublier pudiquement de nommer l’ennemi d’alors. Et, à travers lui, de dénoncer les idéologies perverses qui avaient armé son glaive…

J’appartiens à cette génération qui demeure fière de ses « poilus » et qui persiste à partager nombre de leurs idéaux. Le fait d’appartenir à la même Europe que la République Fédérale d’Allemagne, celle d’Adenauer, de Willy Brandt et d’Angela Merkel, et de s’en revendiquer sans complexe, en dépit des aléas de construction de l’Union, n’implique pas, même un siècle après, qu’on place sur le même plan la République Française de 1914 et l’empire allemand de Guillaume II.

De même, est-on en droit de s’émouvoir lorsque pour des motifs conjoncturels ou en raison d’évolutions démographiques de notre propre pays, on travestisse insidieusement les faits, pour coller à l’air du temps, en développant une conception « révisionniste » de la Grande Guerre, plus conforme aux standards mémoriels actuels. Lesquels mettent en priorité l’accent sur la repentance du passé colonial de la France, dont le procès ne peut plus guère être instruit qu’à charge à l’encontre de l’ensemble du peuple français.

Ainsi, contrairement aux évidences statistiques désormais vérifiables et accessibles, on finirait presque par voler la victoire aux « poilus » de métropole, pour l’attribuer, sans coup férir, au sacrifice – voire à l’immolation – des troupes coloniales du Maghreb,  de l’Afrique équatoriale, de l’Asie du Sud-Est et de l’Océanie!

S’il ne s’agit évidemment pas de nier la contribution du sang, imposée à ces pauvres soldats « du bout du monde » qui durent se battre sur les fronts européens, au nom d’enjeux qui leur étaient étrangers, il est inexact de prétendre qu’ils subirent un sort plus cruel que les combattants autochtones. Il est faux de dire qu’ils furent affectés de manière discriminatoire en première ligne, aux positions les plus meurtrières! Les chiffres parlent: sur près de 8 millions de jeunes hommes mobilisés en métropole, plus de 18% périrent durant les quatre ans du conflit, alors que les pertes dans les troupes coloniales (700.000 hommes), intervenues plus tardivement en première ligne, seraient de l’ordre de 12%. En attestent les interminables listes de noms qui figurent sur tous les monuments aux morts des villes et des villages de France.

En revanche, il est indéniable que la victoire finale n’aurait pu être acquise, sans le concours logistique et humain – et surtout massif à partir de 1917 – des troupes américaines, canadiennes, australiennes et néo-zélandaises. Jusqu’au printemps 1918, personne en effet ne pouvait pronostiquer à coup sûr l’effondrement de l’armée allemande et des empires centraux.

Au-delà de ces généralités que l’on doit à la vérité, ces données factuelles ne rendent évidemment aucunement compte de l’effroi que cette guerre dantesque finit par susciter dans la plupart des familles françaises, au fur et à mesure des années et du nombre croissant de disparus. Presque toutes furent endeuillées. Toutes connurent l’angoisse lorsque subitement la correspondance de « leur » soldat s’interrompait et que, quelques semaines plus tard, elles recevaient la visite d’un édile municipal, parfois accompagné du curé, venant leur annoncer par procuration du préfet ou des autorités militaires, la disparition au « champ d’honneur » de leur fils, de leur frère, de leur mari ou de leur père.

Quasiment personne, y compris dans les provinces les plus éloignées du front – comme l’Anjou, ma province natale – n’échappa en outre à la vision cauchemardesque de ces grands blessés de guerre, de ces « gueules cassées », qui, dès les premiers affrontements de l’été 1914, furent rapatriés en grand nombre vers « l’arrière » dans des hôpitaux militaires de fortune, où la population locale – notamment beaucoup de jeunes femmes – était appelée à prêter main-forte aux effectifs soignants et infirmiers débordés!

Au printemps 1918, en Anjou, le moral de la population oscillait – selon l’historien Alain Jacobzone – entre la frayeur face aux revers militaires des alliés confrontés à l’offensive de Ludendorff en Picardie et dans les Flandres, et l’espoir d’une fin prochaine, qui malgré tout, semblait se profiler.

Mais, là encore, en dépit de leur précision analytique et de leur pertinence, les recherches historiques ne savent pas rendre compte de cette souffrance indicible et intime de ceux ou de celles, qui furent victimes de la disparition d’êtres chers, foudroyés à l’aube de leur vie. Notamment dans les derniers mois de la guerre!

Sait-on si ce gouffre de solitude et de malheur, qui s’ouvrait sous les pas des parents des tués, fut un jour franchi, surmonté et même dépassé ou si, au contraire, ils ou elles s’y perdirent à jamais, n’offrant d’eux ou d’elles-mêmes, le restant de leur vie, qu’une apparence de quiétude – souvent de pure convenance – pour donner le change?

Sait-on si ils ou elles parvinrent un jour – ne serait-ce qu’un instant – à effacer les cicatrices de ces blessures existentielles qui en firent des handicapés du cœur, ou si au contraire, les stigmates de leurs secrètes fêlures s’imposèrent à eux jusqu’au terme de leur existence?

Imagine-t-on quels dérèglements ou traumatismes, ces massacres en série, sans justification d’âge et sans préavis de maladie, provoquèrent dans les familles des morts au « champ d’honneur » ? Bref, se remet-on un jour des dégâts occasionnés par la guerre dans sa bimbeloterie intime?

Rédigeant ces lignes, je m’aperçois que, mine de rien, c’est de ma grand-mère maternelle, Adrienne Venault (1894-1973) dont il est question. D’elle, qui, en un seul mois, de mars à avril 1918, vit disparaître sur le front entre Amiens et Montdidier, son frère, l’adjudant Albert Venault (1893-1918) et le jeune homme qu’elle aimait, le caporal Alexis Turbelier (1897-1918).

Adrienne et Alexis

Au cours de ce sinistre printemps 1918, le destin ou la fatalité, qui lui avaient fait entrevoir le meilleur de la vie, lui avaient finalement prodigué le pire. Comme si la terre s’était dérobée et que l’horizon précurseur d’un avenir radieux s’était définitivement rétréci. Sans revenir sur les circonstances de ces décès – que j’ai déjà très longuement évoquées ici  (voir références en fin d’article) – j’ai désormais la conviction avec le recul du temps et peut-être l’expérience, que je suis passé – comme tous ceux qui l’ont connue – à côté de la vérité profonde de celle que j’appelais affectueusement « Mémé ». J’aurais dû comprendre que les comportements d’Adrienne ne pouvaient plus être regardés à l’aune des critères ordinaires des gens du commun qui traversent la vie sans flirter avec la tragédie.

A ma décharge, elle fit certainement tout pour qu’il en soit ainsi, cultivant d’elle-même après le drame, une image de femme insensible et forte, qui se situait aux antipodes de celle de la jeune femme joyeuse, volontaire et délurée qu’elle était auparavant. La mort lui avait arraché ceux qu’elle aimait, l’obligeant pour survivre à troquer l’insupportable réalité en une fiction réparatrice inviolable. Pour la galerie, elle força le trait de la respectabilité ultramontaine dont probablement elle n’avait que faire!

En épousant en 1921, le frère de son ami disparu, elle ne visait sans doute d’autre but que d’accéder à un statut social de raison, préservant les apparences d’une femme mariée sans histoire, devenue une mère attentive et, bien plus tard, une grand-mère aimante. Parallèlement, elle s’offrait,  consciemment ou non, un espace de liberté en compagnie de ses fantômes bien-aimés, qui excluait le reste du monde.

Personne ne fut jamais admis à pénétrer dans ce référentiel imaginaire dans lequel elle évoluait sans contrainte, se livrant à un bonheur débridé et virtuel, auquel elle avait pourtant officiellement renoncé en privilégiant une vision presque janséniste du devoir! Personne ne saura jamais dire s’il lui est arrivé de s’écarter de cette ligne de conduite et de donner chair à ses rêves…

Seules deux photographies des héros disparus, qu’elle imposa en bonne place dans le petit appartement conjugal puis familial qu’elle occupa à Angers jusqu’à la fin des années soixante, témoignaient de son passé. Par leur présence incongrue, qui bravait l’infortuné mari, alibi d’une histoire incompréhensible, elles pouvaient laisser entendre qu’Adrienne n’avait rien oublié de ce passé antérieur, et que sa vie intérieure ne se limitait pas à la prière des morts aux offices de l’église paroissiale de la Madeleine, le dimanche….

A la fin de sa vie, sans me les faire lire, elle me montra cependant les lettres de ses chers disparus, qu’elle transportait précieusement avec elle depuis 1918! Il n’est pas impossible qu’elle continuait d’attendre d’improbables réponses à ses ultimes demandes ou une confirmation de serments éternels qui ne pouvaient plus être honorés…

C’est ainsi en tout cas, qu’elle s’organisa pour survivre, bon an mal an, à la cassure dramatique de 1918, qui la priva pour toujours de sa jeunesse insouciante. Ne jamais oublier et n’en parler jamais. Garder pour elle, ses sentiments en s’efforçant de faire respecter l’image d’une femme sévère, brutale, prude et un tantinet bigote, qu’elle s’était patiemment construite et qu’elle souhaitait livrer à son entourage comme unique trace d’elle-même … S’abstenir de partager ses secrets avec quiconque qui pervertirait sa relation avec ses martyrs.

Son rôle de composition était à ce point intégré et réussi, qu’il n’est pas impossible qu’elle s’égara elle-même dans les méandres de sa mélancolie, jusqu’à peut-être aimer sincèrement son mari, un authentique brave homme. A-t’elle en revanche réussi à se faire aimer? Oui, sans doute…

Pour ma part, je ne renie pas, l’affection qu’elle me porta! Mais je me dis aussi qu’étant de ses petits-fils, j’avais le privilège de n’avoir pas été témoin du passé, de l’attente mortelle d’une correspondance de guerre qui, un jour d’avril, rata pour toujours, son rendez-vous hebdomadaire… Cette attente insatisfaite de ce printemps 1918, la transforma irrémédiablement.

N’ayant jamais été parti prenante de ses inclinaisons ou de ses inclinations, tout en étant, malgré moi, une sorte de confident à titre posthume, il m’était donc permis d’imaginer sans fausse pudeur, la femme amoureuse de 1918, ainsi que sa déchirante détresse à l’automne de cette année-là, alors qu’elle portait le deuil et que le reste du monde fêtait bruyamment la victoire…

Forcément, je n’avais d’autre choix que l’empathie, la compassion et la compréhension…

Il manque juste une conclusion définitive à ce conte! Il fallait seulement qu’un siècle après, ces choses fussent écrites en mémoire des deux héros d’Adrienne…

                                                  Champ de bataille

 

 

Quelques-unes des références de ce blog, évoquant la mort tragique d’Albert Venault et d’Alexis Turbelier en 1918 et publiés sur ce blog:

  • Albert Venault (1893-1918), un frère aîné admiré et trop tôt disparu – billet du 26 novembre 2011;
  • Labours d’automne dans la Somme en 2011- Alexis Turbelier (1897-1918) – billet du 10 octobre 2011;
  • Alexis Turbelier (1897-1918), dans l’enfer de Verdun, avril-mai 1916″ – billet du 6 mai 2016 

 

 

Read Full Post »

Il y a tout juste cent ans, le 27 mars 1918 en fin d’après-midi, sous un ciel gris et pluvieux, dans lequel alternaient les averses et de timides éclaircies, l’adjudant Albert Venault, âgé de 25 ans, était grièvement blessé au ventre à proximité du village de Fignières à cinq kilomètres au nord de Montdidier…

Albert Venault (1893-1918)

Sous la mitraille ennemie, ininterrompue depuis midi, il dirigeait la retraite de sa section, ordonnée par l’état-major après l’épuisement des munitions. Tout indique que « méprisant le danger » (selon le journal de son unité), face aux incessantes attaques des fantassins allemands positionnés sur le moindre dénivelé de terrain, il a pris tous les risques, pour protéger le repli de ses hommes… Trop sans doute, car selon les citations à l’ordre de son régiment, il s’était, à de nombreuses reprises, distingué pour sa bravoure au combat. Il s’était constitué en dernier rempart face aux mitrailleuses.

Dès qu’il fut touché, un infirmier et des brancardiers se précipitèrent à son secours « sous un feu effroyable » mais, en dépit de trois tentatives successives, où ils parvinrent à le mettre à l’abri d’un talus, ils ne purent réaliser le pansement d’urgence qui aurait stoppé l’hémorragie…

Les premiers soins ne lui furent en fait prodigués qu’une heure plus tard après avoir regagné les lignes françaises dans un petit bois tout proche…

Dans la nuit, il fut transporté, agonisant, dans une ambulance, vers un hôpital de campagne à une quarantaine de kilomètres au Nord-Ouest de Fignières, dans le village de Namps-au-Val où il décédera dans la journée du 28 mars 1918…

Albert Venault était le frère aîné de ma grand-mère maternelle Adrienne Turbelier, née Venault (1894-1973). C’était son compagnon de jeux, son principal confident et son complice de toujours. Jamais elle ne se consolera de cette perte. Jamais elle ne l’oubliera, continuant de l’évoquer, la larme à l’œil, un demi-siècle plus tard. J’en fus témoin!

Albert fut une des multiples victimes de cette ultime et effroyable offensive allemande en Picardie du printemps 1918.

« L’opération Michel » – ainsi nommée par l’état- major allemand – débuta le 21 mars 1918. L’objectif de son stratège, le général Ludendorff, était de percer une brèche entre les troupes anglaises (canadiennes et australiennes) et l’armée française, et en s’y engouffrant, de s’ouvrir la voie vers Paris …

Et il y avait mit le paquet en mobilisant trois armées et une concentration impressionnante d’artillerie, chargée de pilonner sans relâche les lignes françaises et anglaises, et même Paris, préalablement à un déploiement monstrueux de troupes d’attaque sur le terrain!

La mort d’Albert intervint trois jours seulement après que les alliés prirent conscience, sous l’impulsion de Georges Clémenceau, du danger mortel de cette poussée allemande de la dernière chance. Et qu’ils décidèrent de mettre en place une unité de commandement, confiée au futur maréchal Foch, nommé généralissime.

Albert ne connaîtra pas la victoire qui commença à s’esquisser dans les semaines qui suivirent!

Lui, il était sous les drapeaux depuis janvier 1913, depuis son engagement pour trois ans à la mairie de Parthenay, dans les sapeurs du 6ième génie d’Angers…Il était terrassier de profession, il était patriote: ça lui convenait!

Depuis le début de la guerre en août 1914, il avait donc été sur tous les fronts de la Champagne à la Belgique, de Verdun au chemin des Dames, de l’Artois à l’Alsace, de la Somme à la frontière suisse …

Sous le feu ennemi, dans les pires conditions de danger, il avait, comme tous ses camarades du génie, construit, un peu partout sur la ligne de front, divers ouvrages de défense, participé au creusement des tranchées et érigé des ponts pour franchir des rivières…Maintes fois, il était revenu à l’ouvrage, maintes fois ce qu’il avait échafaudé avait été détruit par l’ennemi!

Quelques jours avant ce funeste 28 mars, son régiment était encore Lorraine, dont il avait gardé la carte, retrouvée dans sa capote après sa mort!

c

Albert repose désormais dans le petit cimetière militaire britannique de Namps-au-Val dans la Somme, au milieu des soldats de sa Majesté avec quelques poilus français tombés au cours de cette offensive. Je lui rendis visite, il y a quelques années, au nom de sa sœur qui ne s’est jamais recueilli sur sa tombe.

A titre posthume, il reçut la croix de guerre avec palme et la médaille militaire.

 

C’était un de mes grands-oncles.

PS: Le 26 novembre 2011, je lui ai déjà consacré un billet sur ce blog: « Albert Venault, un frère admiré et trop tôt disparu ».

Read Full Post »

La ville d’Angers fut libérée du joug nazi par l’armée américaine du général Patton, le 10 août 1944!

Ce jour-là, en début de soirée, Michel Debré (1912-1996) alias « Jacquier » dans la Résistance, qui avait été nommé commissaire de la République par le Général de Gaulle, se présenta seul auprès du préfet régional pétainiste Charles Donati en train de dîner ! Sans s’embarrasser d’inutiles circonvolutions rhétoriques ou de convenances protocolaires, il lui notifia sans ambages que la République était rétablie et que désormais c’était lui, au nom du gouvernement provisoire, qui assurait la représentation de l’Etat dans la capitale des ducs d’Anjou…

Le haut fonctionnaire déchu s’y attendait. Aussi, accueillit-t-il l’intrus sans broncher et reçut la nouvelle sans élever la moindre protestation ou objection, et sans prononcer de déclaration solennelle qui l’aurait dédouané de sa servilité passée auprès de l’ennemi ou qui l’aurait statufié devant l’histoire. Bon prince, le nouveau patron des lieux accorda à Donati, un quart d’heure pour débarrasser son bureau, quitter ses appartements et la préfecture! Et peut-être – qui sait – terminer à la hâte, son dernier repas dans la salle à manger autrefois monastique de l’hôtel de la préfecture, ci-devant abbaye Saint-Aubin….

Dès lors, le nouveau préfet de région s’attela sans tarder à ses fonctions! Le reporter du journal Ouest-France  le décrivit en ces termes: « A le voir si jeune et si actif dans le grand bureau de la Préfecture où il nous reçoit – sa porte est ouverte à tous – on ne peut manquer d’évoquer les grandes figures des jeunes conventionnels qui firent la 1ère République et dont il est, à coup sûr, le descendant et le continuateur. »

Michel Debré dans son bureau à Angers

Pendant ce temps, dans le centre-ville d’Angers, dans les quartiers périphériques ou dans les faubourgs, l’annonce de la Libération se répandit comme une traînée de poudre, tandis que les troupes américaines qui avaient massivement franchi la Maine dans la matinée, investissaient méthodiquement les lieux publics et les grands boulevards , et s’installaient pour bivouaquer dans certains parcs ou jardins, comme le Jardin Fruitier, rue Desmazières, en face de l’appartement de mes grands-parents maternels…

Après quatre ans d’occupation nazie, la population pouvait enfin sortir, faire la fête et hurler sa joie de retrouver la liberté, même si quelques francs-tireurs isolés, soldats oubliés de l’armée allemande en déroute, ou des miliciens désemparés, encore habités par leurs chimères, persistaient, ici ou là, à faire le coup de feu! Comme pour sauver un honneur perdu de longue date, ou tenter d’exorciser leur sort désormais désespéré et irrémédiablement scellé.

Partout, c’était l’allégresse, dont se souviennent encore avec la même émotion les témoins d’alors, aujourd’hui nonagénaires.  Partout, refleurirent des drapeaux tricolores, sortis de la naphtaline des caves ou des greniers dans lesquels ils dormaient depuis quatre ans… comme des champignons comestibles regardés avec gourmandise dans une clairière enfin ensoleillée après une nuit pluvieuse. Tous les bâtiments officiels étaient pavoisés, tandis que des G.I., rigolards sur leurs chars Patton et acclamés par la foule, distribuaient des cigarettes américaines en privilégiant les jeunes filles peu timides qui escaladaient le fût de leurs canons, avides peut-être, ultérieurement, d’autres performances plus festives encore avec ces beaux gars bien nourris venus du Far West !

Pour les nouvelles autorités préfectorales, la tâche était écrasante, car au-delà des nids de résistance nazie qu’il fallait définitivement réduire, il convenait aussi de maintenir un semblant d’ordre public, ne serait-ce que pour éviter, au nom d’une « juste épuration », des jugements expéditifs et sommaires, des débordements de violence et même des règlements de compte privés, auxquels la population soudainement décomplexée après des années de privation, de répression et de silence, pouvait être tentée de se livrer à l’égard de ceux ou celles qu’elle accusait à tort ou à raison d’avoir pactisé avec l’ennemi…Mais surtout, il fallait assurer l’approvisionnement de la ville pour nourrir des habitants déjà passablement affamés par quatre ans de disette et d’ingestions forcées de topinambours et de rutabagas.

Comble de difficulté, il n’y avait plus de maire pour relayer les instructions préfectorales et prêter main forte aux services de l’Etat, eux-mêmes passablement désorganisés du fait de la défection prudente ou « suscitée » de quelques fonctionnaires hiérarchiques, un peu trop compromis avec le régime de Vichy.

En outre, Michel Debré, en homme avisé malgré sa jeunesse, se méfiait des résistants de la dernière heure, qu’il croisait dans les couloirs de la préfecture, et dont il pressentait, non sans motif, que leur zèle à passer à l’action avait parfois pour motivation l’occultation de leurs propres et encore récentes zones d’ombre. Voire dans certains cas, de leurs odieuses turpitudes. Il craignait que certains, mus par une soif de justice aussi dévorante que peut-être intéressée – et que ne pouvait justifier à lui seul un amour aussi soudain qu’intempestif de la patrie – ne s’arrogeassent des droits ou des prérogatives sans rapport évident avec le service de l’intérêt général…

Disons, pour faire simple, que la situation était complexe et c’est la raison pour laquelle il était nécessaire de hiérarchiser les priorités. Parmi celles-ci, le rétablissement dans les meilleurs délais d’un état de droit et de l’autorité des pouvoirs publics était primordial… Ainsi, dès le 30 août 1944, après une rapide instruction pour détecter de dirimantes incompatibilités pour faits de collaboration trop manifestes avec le régime de Pétain, un arrêté préfectoral rétablit vingt-quatre des conseillers municipaux de l’ancienne équipe, en désigna treize nouveaux et renomma premier magistrat de la ville, Victor Bernier (1868-1952) l’ancien maire d’Angers, démissionnaire depuis le 30 mars 1944.

Victor Bernier
Salon d’’honneur de l’’hôtel de ville

Le vieil homme (76 ans) s’était distingué par son courage en juin 1940 en se portant au-devant des panzers allemands sur la route de Paris, flanqué du préfet Pierre Ancel (1885-1966), pour déclarer « Angers ville ouverte », et ainsi lui épargner « les horreurs et les dangers d’un combat de rue » et la destruction. Le commandant allemand de l’unité blindée avait en effet menacé par un message télégraphié d’être sans pitié pour « cette jolie ville » en cas de résistance armée. Ceint de son écharpe tricolore et brandissant un drapeau blanc, Victor Bernier avait ensuite accompagné les chars ennemis jusqu’aux Ponts-de-Cé.

De surcroît, durant la longue et douloureuse épreuve de l’occupation, l’attitude du maire fut constamment digne, son seul souci étant de protéger ses concitoyens, sans faillir à l’honneur et sans manifester de sympathie pour l’ennemi.

C’était donc à un homme respecté, raisonnable, expérimenté que Michel Debré faisait confiance et renouvelait les fonctions. Un homme qui connaissait parfaitement les rouages de l’administration communale qu’il avait en effet dirigé sans discontinuer depuis 1935 après avoir exercé un premier mandat à la fin de la première guerre mondiale…

La charge qu’on lui confiait était cependant temporaire, car l’objectif était d’organiser des élections municipales régulières le plus rapidement possible, de telle sorte que les édiles municipaux retrouvent rapidement une authentique légitimité issue des urnes… Parmi les conseillers municipaux rétablis dans leur fonction par Michel Debré, figurait un certain Auguste Allonneau (1885-1963), un ancien édile socialiste, professeur de mathématiques au Lycée David d’Angers, élu depuis 1929 et révoqué par le régime de Vichy en 1940 de l’enseignement et de ses fonctions électives.

Confortés par cette indispensable remise en ordre des institutions et des services officiels, Michel Debré et Victor Bernier administrèrent, tant bien que mal, la ville pendant les premiers mois qui suivirent la Libération, veillant en premier lieu au ravitaillement en vivres et en combustibles…Mais pas seulement, car, au-delà des déclarations d’intention, il fallait aussi restaurer les pratiques démocratiques après des années de dictature, et notamment préparer les élections municipales prévues au printemps 1945…

A cette fin, le corps électoral devait être totalement remanié, non seulement pour l’actualiser – ce qui n’avait pas été opéré depuis plusieurs années – mais surtout le compléter pour y intégrer les femmes qui, pour la première fois, dans l’histoire de la République, étaient appelées à voter et étaient éligibles. …Enfin, certaines questions devaient être tranchées comme l’inscription sur les listes électorales des militaires engagés dans les armées alliées en Allemagne, ou encore, des prisonniers ou des ouvriers du STO qui n’avaient pas encore rejoint leurs foyers… Questions souvent plus délicates qu’il n’y parait, car, pour certains d’entre eux, on ignorait s’ils étaient encore en vie…

Après une campagne électorale assez mouvementée au cours du printemps 1945, où beaucoup de clivages politiques d’avant-guerre – souvent surannés – réapparurent sous les préaux d’école, le premier tour du scrutin eut lieu le 29 avril 1945…Six listes sollicitaient le suffrage des angevins, qui représentaient l’ensemble de l’échiquier politique d’alors, à l’exception, bien sûr, des nostalgiques du pétainisme dont les partis avaient été dissous et interdits.

Eu égard aux modalités de vote, ce premier tour ne fut pas décisif,  puisque il ne permit pas de pourvoir un seul siège de conseiller municipal!

Au second tour, qui se déroula le dimanche 13 mai 1945,  les partis de gauche formèrent une liste unique « d’union démocratique et antifasciste » conduite symboliquement par un résistant angevin, républicain de toujours, ancien conseiller municipal, Louis Imbach (1881-1945) qui, en fait, était déjà mort dans le camp d’extermination de Mauthausen.

Malgré l’absence de son leader, c’est cette liste de large d’union à gauche, qui  remporta l’élection face à la liste apolitique « républicaine modérée d’union et d’action municipale. Le Mouvement républicain populaire (MRP), un parti démocrate-chrétien nouvellement créé et issu de la Résistance, refusa de participer au vote, considérant que son positionnement centriste l’empêchait de se rallier à l’un ou l’autre des « deux blocs » en lice.

Cette défection du MRP fut certainement regrettée par nombre d’électeurs modérés, lassés des excès de tribune de la droite et de la gauche. Mon grand-père maternel Louis Turbelier (1899-1951) était sûrement de ceux-là. Sans être politiquement engagé, on sait qu’il se revendiquait d’une forme paisible de démocratie chrétienne, protectrice de la famille et des plus démunis, sans nourrir l’ambition d’ébranler les fondements d’une société angevine séculaire. Mais, il ne livra jamais la moindre confidence sur la manière dont il se détermina ce jour-là de 1945, à supposer même qu’il eut décidé de s’exprimer en faveur d’un camp ou d’un autre. Il est parti en emportant le secret de l’isoloir dans sa tombe.

En revanche, pour son épouse – ma grand-mère – Adrienne Venault (1894-1973), la présomption est grande que son premier vote se soit porté vers la liste estampillée « apolitique » c’est-à-dire de droite, face à la gauche socialo-communiste. Dans ma famille paternelle, les choix étaient probablement plus incertains, même si l’on peut raisonnablement supposer que mon grand-père paternel Marcel Pasquier (1892-1956), adhérent cheminot de la CGT à la gare Saint-Laud, ait préféré la liste de gauche !

Cinq jours après le vote, le 18 mai 1945, un conseil municipal extraordinaire décida d’élire Auguste Allonneau, maire d’Angers avec un premier adjoint communiste. Il le resta jusqu’en 1947 et devint ainsi le premier maire socialiste d’Angers. En 1946, il sera même élu député SFIO du Maine-et-Loire, mandat qu’il exercera au sein de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale jusqu’en 1951. J’ai lu un de ses rapports sur la fibrose des mineurs d’ardoise (schistose) dans les archives des maladies professionnelles, lorsque, dans les années 1980 j’assurais le secrétariat de la commission des maladies professionnelles au ministère du travail.

Auguste Allonneau
Salon d’’honneur de l’’hôtel de ville

Auguste Allonneau était né le 24 juin 1885 à Cours, un petit village poitevin des Deux-Sèvres situé entre Parthenay et Niort, où ses parents Augustin Allonneau et Marie Patarin étaient cultivateurs… Élève puis étudiant brillant, il obtint une licence de mathématiques en 1908, qui lui ouvrit les portes d’une carrière professorale exercée d’abord dans différents lycées ou collèges de province, avant d’être affecté au lycée David d’Angers après la guerre de 1914. Une ville qui ne lui était pas inconnue, puisque c’était celle de son service militaire comme soldat du 6ième régiment du Génie, entre 1906 à 1908.

Durant la Grande Guerre, il fut d’abord mobilisé comme infirmier puis affecté comme professeur au Prytanée de La Flèche, pour finir dans les services auxiliaires lors de l’armistice de 1918. Sa découverte du mouvement socialiste (SFIO) était antérieure d’une dizaine d’années, en 1909, alors qu’il était prof de maths dans un collège à Manosque dans les Alpes du sud.

L’histoire du mouvement ouvrier retiendra de lui, qu’il fut un des congressistes de Tours à la fin décembre 1920 dans la salle du Manège, qui entérina la scission du mouvement socialiste et la création du Parti Communiste Français.

Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’à cette occasion, mon grand-père Marcel Pasquier, alors cheminot à Saint-Pierre-des-Corps l’ait aperçu dans la délégation des militants de l’Ouest. Auguste Allonneau, proche initialement des « reconstructeurs » tels Marcel Cachin (1869-1958) ou Ludovic-Oscar Frossard (1889-1946), favorables à l’unification du mouvement socialiste français, y compris en y intégrant sa tendance bolchévique, se ralliera finalement à Léon Blum au sein de la « vieille maison » SFIO!

——-

Si mon billet n’avait porté que sur les premières élections municipales en Anjou après la seconde guerre mondiale, et sur l’évocation du mouvement socialiste angevin, j’aurais à cet instant pleinement rempli mon contrat. Et il ne me resterait plus qu’à brosser une édifiante et savante conclusion sur les difficultés de rétablir la démocratie après des années d’oppression.

Avec malice, je me serais peut-être aventuré à esquisser une comparaison hasardeuse avec l’actualité politique française et internationale. Peut-être même me serais-je livré à une ou deux petites provocations, destinées à réveiller un lecteur inattentif… Et pour éviter tout procès d’intention et préserver ma réputation déjà écornée d’homme de progrès social, je me serais sûrement fendu d’une conclusion moralisante dédiée aux bobos parisiens, de telle sorte que les générations futures si d’aventure, elles me lisaient, me perçoivent comme un sage assimilable à un Montaigne de banlieue parisienne, solitaire dans son bureau des bords d’un affluent de l’Orge, comme l’autre dans sa tour girondine.

Et bien sûr, j’aurais changé le titre de « mon oeuvre » qui évoque curieusement ma grand-mère, et qui n’aurait pas lieu d’être, en tout cas, sous la forme annoncée.

Bref, si j’avais rédigé ces lignes en fin d’année 2016, c’est ainsi que j’aurais procédé…

Tout a basculé en fait à la mi-février 2017

Je venais à peine de ranger mon encrier, après avoir rédigé un petit couplet sur le plus lointain de mes aïeux connus sous le titre un peu pompeux de « Généalogie quantique » (14 février 2017), lorsque le son cristallin émis par mon smartphone m’indiqua qu’un message venu d’ailleurs venait d’être intercepté par cet autre moi-même. Ce signal eut pour effet de m’extraire de la torpeur réparatrice dans laquelle m’avait englué l’émotion provoquée par ce grand-père à la quinzième génération qui aurait pu jouer aux cartes (géographiques) avec Christophe Colomb…

Le message venait sans doute de faire trois ou quatre fois le tour de notre planète bleue en jouant à saute-mouton d’un satellite à un autre, pour parvenir jusqu’au petit appareil qui m’est désormais aussi indispensable que ma télé ou mon lit. Il provenait en fait de la région nantaise, et son auteur était une auteure, en l’occurrence Rose l’Angevine, ma très honorée cousine généalogiste, bien connue des familiers de ce blog.

Elle m’informait qu’à l’issue d’une chasse à l’homme – ou à la femme – sans concession au travers des archives des Deux-Sèvres et à la faveur de ses accointances dans les différents cercles de chercheurs de crânes édentés du Grand Ouest, elle était parvenue à démontrer que le premier maire d’Angers – l’Auguste Allonneau évoqué ci-dessus – appartenait à la parentèle lointaine de ma grand-mère maternelle Adrienne Venault, dont j’écrivais, juste avant, qu’elle n’aurait certainement pas voté pour un socialiste!

Ainsi en 1945, le premier maire socialiste était un cousin de ma grand-mère… Très éloigné en l’occurrence, même si tous les deux étaient originaires du pays de Gâtine en Poitou! Sauf erreur de calcul de ma part, toujours possible dès qu’on compte sur ses doigts en s’agrippant comme on peut aux rameaux les plus élevés d’un arbre généalogique, ils seraient cousins au quinzième degré.

Et leurs ancêtres communs à partir du la huitième génération ascendante seraient les « Allonneau » seigneurs de Saint-Pardoux, Saint-Maixent ou Parthenay. Tous des notables du crû, dont tous les biens furent confisqués sous la Révolution, singulièrement après 1793 ou 1794, lors de la répression féroce conduite par les colonnes de la Convention Nationale, contre tous ceux qui avaient pris le parti de la Vendée Militaire…

Ma grand-mère maternelle Adrienne Venault (1894-1973 aurait sans doute apprécié de savoir qu’elle descendait « en droite ligne » de nobliaux poitevins des seizième, dix-septième et dix-huitième siècles. Peut-être un peu moins, qu’elle était la cousine d’un socialiste, fût-il finalement assez modéré! Mais elle ignorait ces données dont je n’ai pris connaissance qu’en février 2017!

Le sachant, pour inaugurer son droit de vote au printemps 1945, aurait-elle déposé dans l’urne un vote motivé par l’esprit de famille? Eu égard à nos nombreuses discussions sur la fin de sa vie, c’est peu probable.

J’aimais soutenir la controverse avec elle et c’était réciproque… Femme d’une vive intelligence, elle n’était pas, à proprement parler, une « progressiste »…Pour autant, ce n’était pas une bourgeoise. Aussi loin que me portent mes souvenirs, je l’ai toujours connue vêtue de noir sans coquetterie ni affectation. Depuis son veuvage en 1951, elle vivait seule et chichement dans un minuscule deux-pièces au premier étage d’une maison sans confort au 20 de la rue Desmazières à Angers. Ses ressources étaient exclusivement constituées de la maigre retraite de réversion de son mari – mon grand-père – qui avait été gardien de la paix municipal jusqu’à son décès prématuré…

Nécessité faisant force de loi, elle comptait scrupuleusement « ses sous » et comme beaucoup de gens modestes, elle votait à droite, au grand dam de la gauche qui ne comprend jamais pourquoi…Pas plus hier qu’aujourd’hui!

A la décharge d’Adrienne – si tant est qu’il faille l’excuser d’options idéologiques respectables qu’elle assumait sans complexe – elle avait subi dans sa propre chair, les désordres de la guerre entre 1914 et 1918 et la jeune fille délurée et émancipée, qu’elle fut auparavant s’était progressivement muée en une femme d’ordre, qui cultivait une certaine méfiance à l’égard de ceux qui remettaient en cause les institutions incarnant l’autorité, politique ou même religieuse!

Cette attitude « conservatrice » ne procédait pas de l’intime conviction que rien ne doit jamais bouger, mais plutôt, de l’idée que tout ce qui bouscule l’ordre établi, suscite fréquemment plus d’inconvénients que d’avantages, plus de malheurs que de bonheur, en particulier pour les « petites gens »! Et encore, elle ignorait que ses ancêtres avaient été spoliés. Au fond, son côté « réac » – comme on dirait aujourd’hui – procédait d’une forme de stoïcisme paysan. Elle pensait que ceux que « la nature » avait placé en bas de l’échelle avaient plutôt intérêt à accepter leur sort – fût-il médiocre – que de tenter le diable.

Adrienne, avec son »air de ne pas y toucher »

Quoiqu’elle disait devant moi, je n’ai jamais pensé qu’elle croyait la nature humaine vertueuse, ni même qu’elle plaçait la« Vertu », au pinacle des qualités cardinales… Mais évidemment, elle cherchait à nous le faire croire et je crois que c’est ce double visage de Janus que j’ai beaucoup aimé chez elle!

Résignée à la fin de sa vie, elle se soumettait par convention à des devoirs sociaux, garants d’un ordre qu’elle avait renoncé depuis longtemps à discuter, encore moins à remettre en cause.

Il m’arriva plus d’une fois de discuter pied à pied ses conceptions, notamment lors de événements de 1968, lorsque, jeunes insouciants, nous prétendions qu’il était interdit d’interdire. Croyant bousculer l’ordre ancien, nous pensions, mus par un romantisme échevelé, que « sous les pavés se trouvait la plage ». Elle s’en amusait sans trop s’en inquiéter: elle savait que ça nous passerait! Sans état d’âme, elle vota pour les candidats gaullistes aux élections législatives de juin 1968 après la dissolution de l’Assemblée Nationale.

Désormais, le temps s’est écoulé et j’ai tendance à considérer son point de vue comme une forme d’adaptation darwinienne aux circonstances de la vie, un mélange complexe de sagesse et d’intelligence… « Il y a des riches, il y a des pauvres, et c’est très bien ainsi » disait-elle fréquemment, alors qu’elle appartenait elle-même au camp des pauvres !

Aurait-elle aimé savoir que son lointain cousin était un leader socialiste? Peut-être, « par roublardise » comme elle disait!

 

PS: Sur les différents épisodes de la Libération d’Angers vécus par mes proches, et sur les premières élections municipales d’après guerre vécus par mes proches, voir notamment mes billets du 24 mars 2014, « De la Libération d’Angers à la Roche de Mûrs-Erigné » et du 23 avril 2014 « Adrienne Turbelier peut voter… »ainsi que le mémoire d’Albert Turbelier « Souvenirs de jeunesse », référencé dans ce blog à la date 30 septembre 2011)…

Read Full Post »

 

Avec un tel intitulé on pourrait penser que ce billet ne vise qu’à réécrire besogneusement une parodie des aventures toujours surprenantes, parfois déstabilisantes du célèbre Chat de Philippe Geluck. D’emblée je précise que ce n’est pas le cas… Mon propos, n’a aucun rapport avec les facéties de l’ineffable matou cravaté du dessinateur belge, en tout cas, consciemment ! Mais je n’ignore pas que les aphorismes du félin philosophe influent nécessairement sur la prose de quiconque s’avise de mettre en scène des greffiers. On ne sort pas psychologiquement indemne des griffes rétractables d’un Chat qui énonce avec componction que « logiquement il devrait dire le double de ce qu’il pense, vu qu’il ne pense pas la moitié de ce qu’il dit » !… Tout en reconnaissant avec modestie « dire parfois des choses tellement intelligentes qu’il ne les comprend pas lui-même »…

hélia

Bien qu’on s’en défende, il est donc normal de suspecter, en sous-main, la patte pataude et l’esprit délié du Chat du Geluck, d’autant que l’animal est doté d’une curiosité encyclopédique et qu’étant lui-même un peu timbré, il aurait très bien pu s’intéresser aux « timbres » ! D’ailleurs il l’a fait. Mais, seulement à propos du petit carré dentelé qu’on colle en France – et partout ailleurs – sur les correspondances depuis 1849.

Or, le timbre dont il est question ici, n’a rien à voir avec celui qu’on oblitère à la poste ! Ni avec le timbre du tambour. Pas plus qu’il n’est question du « timbre violet » ce petit champignon mauve de la famille des serpentins décrit par Jean-Jacques Paulet (1740-1826) médecin mycologue réputé en son temps… Ce timbre n’entretient enfin aucun lien de cousinage même lointain, avec le terme technique utilisé par les pelletiers d’antan pour caractériser un ensemble de peaux de martre ou d’hermine.

timbre antan

Non ! Le « timbre » dont il s’agit, doit être compris au sens du « Dictionnaire du Monde Rural et des mots du passé » de l’historien Marcel Lachiver (1934-2008). C’est la « cuve », le « cuvier », le « baquet » ou la grande auge en pierre qui servait à faire boire le bétail au pâturage. Ce mot aujourd’hui oublié était d’usage courant dans les campagnes d’Anjou, de Touraine et du Poitou depuis le 15ième siècle. Ainsi, pour signifier que Gargentua était un enfant boulimique, François Rabelais écrivait en 1532 dans Pantagruel:   » Aussi luy bailloit-on ladicte bouillie en un grand timbre« .

Dans ce contexte, « le timbre des chats », c’est tout simplement une mangeoire en pierre. L’histoire qui s’y rapporte eut lieu, il y a fort, fort … longtemps, en Pays de Gâtine, au cœur du Haut Poitou à quelques lieues, au septentrion de Parthenay. Une bien étrange histoire, en vérité, peut-être révélatrice et déterminante de ce qui suit! Nous en reparlerons…

Le « Chat » de Geluck est donc totalement étranger à cette histoire. D’ailleurs, on se demande ce que pourrait faire ce matou d’Outre-Quiévrain en pays de Gâtine !

Carte du portail du Pays de Gâtine

Carte du portail du Pays de Gâtine

La genèse de ce papier – qu’un chat ne prendrait même pas pour litière – est en réalité assez banale. Tout procède de l’idée ou du constat trivial qu’au lieu de répartir les gens entre ceux qui se réclament de la « droite » et ceux qui idolâtrent la « gauche », on peut obtenir une représentation tout aussi pertinente de la société en définissant deux autres groupes « antagonistes » irrémédiablement non miscibles et non superposables aux précédents: celui des « félinophiles » qui vouent une dévotion exclusive aux chats, et celui des « félinophobes » qui, à l’inverse, se méfient des minets, leur prêtant toutes les tares de la terre et leur imputant une grande part de leurs malheurs !

Tout compromis entre ces deux groupes semble difficile. Il est même admis qu’ils sont, par nature, inconciliables. Les uns prétendant en effet qu’ils ne peuvent jouir d’un sommeil réparateur qu’à côté d’un chat ronronnant, les autres au contraire verrouillant systématiquement tous les huis de leur maison pour interdire l’irruption nocturne – voire diurne – de tout importun pelage, au motif d’une prétendue allergie aux poils ! Ils accusent alors les minous de mille maux ! Et que sais-je encore ? Evidemment entre ces deux coalitions il existe, comme dans le cas de la « gauche » et de « la droite », des conciliateurs, voire des transfuges qui, selon les époques, deviennent renégats ou visionnaires, et s’efforcent en vain de faire cohabiter tout le monde sous un même toit ! Parfois, il le faut bien, ne serait-ce que pour satisfaire aux exigences de la reproduction sexuée commune à tous les mammifères!

Cette « fracture » traverse presque toutes les familles et est fréquemment la source de conflits intimes ou de sourdes mais profondes frustrations…Cette rivalité binaire -bipolaire – est tantôt à la mesure de l’aversion, tantôt à celle des relations de proximité affective que chacun des membres d’une même famille noue, consciemment ou non, avec le ou les chats domestiques du foyer…Et  ce quel que soit le croisement dont est issu le chasseur de souris! Un lecteur vigilant aura noté que même au sein de l’espèce « chat », je me garde de parler de « races » pour ne pas froisser les susceptibilités en usant d’un mot qui fait aujourd’hui débat dans notre pays et que certains proposent même de bannir du vocabulaire !  En ces temps troublés où les milices de la pensée sanctionnent le moindre dérapage verbal, il vaut mieux s’abstenir d’user de termes ambigus…

P1030208

D’ailleurs, dans mon quartier, alors que j’observe un taux croissant de chats de haut lignage au détriment des matous de gouttière, je me garderais bien, par exemple, de dresser des statistiques sur les proportions respectives des uns et des autres, pour ne pas subir les foudres des ligues de défense des droits félins! A coup sûr, elles ne manqueraient pas de qualifier mes innocents comptages d’inventaires « ethniques », ce qui, dans le cas d’espèce, serait une erreur ontologique, s’agissant d’approximatifs dénombrements de baroudeurs solitaires n’aimant pas chasser en meute ou de pauvres hères en quête d’amours furtives, ne cultivant ni l’instinct grégaire, ni l’esprit communautaire ! Encore moins l’esprit d’équipe…

Cette fracture entre « félinophiles » et « félinophobes » existe aussi – donc – dans ma propre famille. Ainsi, ma grand-mère maternelle Adrienne Venault – épouse Turbelier – (1894-1973) qui n’appréciait guère la présence de chats dans son environnement et qui jamais n’en adopta, serait plutôt à classer dans la gent des « félinophobes », alors que ma grand-mère paternelle, Marguerite Cailletreau – épouse Pasquier – (1897-1986) devrait figurer en bonne place dans l’autre clan. Jusqu’au terme de son existence elle vécut en leur compagnie et se levait même presque chaque nuit, pour permettre au minou qui dormait à ses pieds d’aller courir la gueuse dans le jardin de son immeuble.

A proprement parler, Adrienne Venault n’avait pas d’animosité agressive à l’égard des chats mais elle n’entretenait avec eux aucune connivence. Elle s’en méfiait, ne leur concédant au mieux qu’une fonction utilitaire de chasseurs de petits animaux nuisibles. A ses yeux, la traditionnelle « tapette à souris » et son appât au fromage remplaçaient avantageusement et à moindre frais, le prédateur attitré des rongeurs!

D’où lui venait cette réticence ? Peut-être d’un lointain passé, où on lui aurait imputé à tort des vols de nourriture, commis par des chats en goguette dans la cuisine de ses patrons ! A tout le moins une surveillance inefficace. Peut-être aussi, garda-t-elle à l’esprit, sa vie durant, la vision résiliente et horrifiante de pauvres chats happés par des trains au passage-à-niveau tenu par sa mère à Soulièvres ou à Saint-Varent(79) ! Peut-être enfin que les légendes et les jeteurs de sorts du Pays de Gâtine y sont pour quelque chose ! N’est-ce pas dans cette région autour de Parthenay, région d’origine de la famille de ma grand-mère maternelle, que les farfadets se querellaient la nuit au travers des haies bocagères? N’est pas là aussi que sévissaient la méchante fée Mélusine, ainsi que le diabolique Cheval Mallet qui, la nuit, faisait disparaître ceux qui le montaient, ou encore la Galipote qui, autrefois, terrorisait les veillées campagnardes en Poitou?

Mes parents ayant reproduit, chacun de leur côté,  la même inclination ou hostilité à l’égard des chats, que leurs parents respectifs, la tentation est forte d’en conclure que ces comportements sont hérités, sans que les circonstances de la vie ou les contraintes spécifiques de chaque époque les aient substantiellement modifiés!

Evidemment, il m’est impossible de trancher quoi que ce soit. Toutefois, pour ce qui est de la défiance marquée d’Adrienne Venault vis-à-vis des greffiers de tous poils, plusieurs éléments troublants me conduisent à l’imputer au premier chef, au Pays de Gâtine, où superstition et religiosité se faisaient mutuellement la courte échelle…Je les livre à la sagacité de ceux qui voudront bien me lire…

Tout d’abord, il convient de rappeler qu’Adrienne Venault, à laquelle j’ai consacré ici plusieurs chroniques, est née le 10 février 1894 à Saint-Loup-sur-Thouet – aujourd’hui Saint-Loup-Lamairé – petite cité médiévale au cœur de la Gâtine « deux-sèvrienne » , sur le périmètre de laquelle s’élève un château édifié au onzième siècle. Ce château, un des plus beaux du Poitou, aurait inspiré à Charles Perrault (1628-1703) le décor du Chat Botté.

Ayant vu le jour à proximité de cet édifice et ayant été employée, quelques années plus tard, dans une gentilhommière voisine – le Château de Repéroux – Adrienne ne pouvait évidemment pas ignorer ce conte. Elle ne pouvait donc méconnaître ni l’astuce, ni les multiples facéties de ce chat singulier, certes fidèle à son maître désargenté, mais trop intelligent pour être honnête ! Un peu voyou en somme, il s’était promis de lui offrir le pouvoir, la richesse et la main d’une princesse. Et ce, en usant de tous les moyens justifiant cette fin heureuse, à savoir la ruse, le mensonge, la fourberie et la mystification. Adrienne, en tira t’elle des enseignements implicites pour l’avenir de ses relations avec la gent féline ? Nul ne le sait…

Une autre légende de la région est plus probante encore quant à la méfiance que nourrissaient peut-être les villageois des siècles précédents – et donc ma grand-mère alors enfant – à l’égard des chats, ces êtres ambivalents et énigmatiques. Une légende qui conforte cette image, d’animaux à la fois câlins et cruels, madrés et imprévisibles, dont il faudrait par conséquent se défier ou se méfier! Cette autre légende, c’est celle du « Timbre aux chats », qui postule qu’on a affaire à des créatures du « diable » qui viennent troubler la quiétude des humains, certains jours de l’année, notamment la nuit du Mardi-Gras…

Du côté de Saint-Loup-sur-Thouet , un soir ...

Du côté de Saint-Loup-sur-Thouet , un soir …

Plusieurs narrations circulent de cette fable effrayante dans les chemins creux du bocage. Elles convergent toutes. Ignorant l’identité de celui qui, du fond des âges, a pris le premier la plume pour la raconter,et ne souhaitant pas « bricoler » ma propre version en plagiant les récits de mes prédécesseurs, j’ai décidé de reprendre textuellement celle figurant dans un ouvrage de C. Puichaud – un historien régional et avocat à la cour d’appel de Poitiers – édité en 1897…

Voici ci-dessous, un extrait de ce livre « La tradition en Poitou et Charentes », rapportant l’insolite histoire du « Timbre aux Chats » :

« … Le soir du Carnaval, ce sont les chats, qui se réunissent à l’Ormeau Robinet, nœud de routes plus connu sous le nom de Timbre aux Chats, parce qu’il y a dans cet endroit pour l’usage des chats, un timbre, c’est-à-dire une auge. Elle est en granit. L’Ormeau Robinet est au croisement, sur la route de la Chapelle-Saint-Laurent à Moncoutant, de l’ancien chemin de Pugny et de celui qui lui faisant face va se perdre dans les terres.

Le soir du Carnaval donc, le Timbre aux Chats, cadeau du diable, sert à leurs diaboliques agapes. Chacun des félins de la région y dépose les reliefs qu’il a su dérober à ses hôtes. Le lutin fournit le complément du festin. Toute la nuit l’air frémit de leurs miaulements effrayants, du bruit de leurs mâchoires. Malheur à qui les dérangerait ; en un clin d’œil, leurs griffes aiguës déchireraient l’imprudent, leurs dents acérées le dévoreraient.

Maints fermiers dont le timbre a tenté la cupidité l’ont emporté chez eux. Ils ont dû le retourner. Tant qu’ils l’ont conservé, leur maison était hantée. Des animaux inconnus rôdaient autour, interdisant, par leurs cris épouvantables, à ses habitants de retremper dans un sommeil réparateur leurs forces épuisées, bouleversant les travaux de la journée, dévastant les cultures, salissant l’herbe des prés. Les animaux domestiques mouraient d’un mal mystérieux. La ruine arrivait à grands pas. Devant cette malédiction, le coupable réintégrait le timbre à sa place primitive et retrouvait la tranquillité perdue. Le bétail prospérait, les prés verts se couvraient d’une herbe luxuriante, les moissons, merveilleusement, se chargeaient du grain de vie. La ferme revenait au bonheur des vieux … »

Devant de tels méfaits ressassés depuis toujours dans les campagnes poitevines, comment ne pas concevoir à l’égard de ces « petites bêtes » un certain sentiment de phobie? Surtout dans l’esprit des enfants d’autrefois qui n’avaient guère d’autre occasion que l’école pour découvrir – finalement mais relativement tardivement – la rationalité d’un autre discours…Il n’est donc pas improbable que ces légendes du bocage qui forgèrent la réputation de chats malfaisants, aient influencé durablement les comportements futurs de ceux ou celles qui les entendaient au berceau…

En me relisant, je m’aperçois que moi-même, je finis pas douter de l’amitié de la petite chatte qui me regarde en ronronnant , en minaudant aussi, confortablement installée sur la tablette de la petite commode située à côté de mon ordinateur près du radiateur. Je la suspecte de me surveiller avec duplicité, bien qu’elle n’ait pas exigé, pour l’heure, de relecture de mon texte !! Je crois que je prendrais alors la liberté de lui refuser…Quitte à ce qu’elle souffle méchamment à mon adresse.

Diable, on n’est jamais assez prudent avec les vieilles superstitions…Elles finiraient par nous foutre la trouille. Mais le doute bénéficiant à l’accusé, je persiste, malgré tout, à me déclarer « félinophile »… Du moins pour le moment!

P1110388

PS: Sur la fin de sa vie, j’ai surpris à maintes reprises, Adrienne Venault sommeillant devant une télévision « noir et blanc » avec un chat noir dormant sur ses genoux. Comme quoi on peut moduler et modérer des avis initialement trop tranchés… Ce chat qui s’appelait curieusement « Mao », du nom d’un « grand timonier » aujourd’hui disparu, lui a t-il, ultérieurement, porté malchance? N’étant pas superstitieux, je ne veux pas y croire car ça porte malheur…

Read Full Post »

On a beau faire, on est toujours rattrapé par l’actualité ! Dire qu’il y aura tout juste 125 ans demain, que le général Georges Ernest Jean-Marie Boulanger (1837-1891) un breton, ancien condisciple lycéen de Georges Clemenceau à Nantes, mais considéré comme un dangereux aventurier de la politique, était largement élu député de Paris sur la base d’un programme antirépublicain qui pouvait être résumé en trois mots : « Dissolution, Révision, Constituante ». On aura compris : il n’était pas l’allié des républicains « opportunistes » de l’époque malgré son ancienne amitié de jeunesse avec le chef de file des républicains radicaux !

Nous sommes le 27 janvier 1889 ! En dépit des appels de ses partisans à faire immédiatement un coup d’Etat contre la République, l’homme de cinquante-deux ans, qui est alors au faîte de sa popularité et qui porte encore beau, ne se résout pas à marcher sur l’Elysée. Le général « La Revanche » qui affiche une posture agressive vis-à-vis de l’Allemagne après la défaite de 1870 a peur, car il entretient une liaison amoureuse – qui le neutralise ou le tétanise  – avec une actrice de la comédie française Marguerite de Bonnemains. Cherchez l’erreur!

Il la rencontre secrètement depuis deux ans à l’auberge des Marronniers, un hôtel de Royat  tenu par une certaine Marie Quinton (1854-1933) qui devint leur amie. Sa maîtresse supplantait sa raison d’Etat.

Il rate ainsi l’occasion de s’emparer d’un pouvoir qui lui tendait les bras – au profit de ceux d’une femme aimée – et à partir de ce jour, c’est le début de la fin : en avril 1889, il doit s’exiler en Belgique pour se soustraire à une incarcération qui semblait aller de soi, à la suite de manœuvres tendant à le discréditer, diligentées par un gouvernement en place d’autant plus motivé à vouloir sa perte qu’il avait cru vivre le pire trois mois auparavant…Surtout, sa maîtresse bien-aimée – sa belle amante,  la « femme de sa vie (d’alors) comme on dirait maintenant – meurt de tuberculose le 15 juillet 1891.

Dépressif et pitoyable, le 30 septembre de la même année, le général Boulanger se suicide de chagrin sur la tombe de Marguerite de Bonnemains au cimetière d’Ixelles près de Bruxelles d’un coup de revolver. Son ancien ami Clémenceau qui avait initialement favorisé sa carrière politique en le recommandant comme ministre, eut ce mot cruel : « Il est mort comme il a vécu, en sous-lieutenant ».

Boulanger

Si j’évoque ce général avec lequel je n’ai guère d’affinités, c’est bien sûr en raison de l’anniversaire de son coup d’Etat heureusement avorté, mais aussi parce que, de tous les hommes politiques de la 3ième république, il fut un des rares, dont je me sois entretenu avec ma grand-mère maternelle Adrienne Venault (1894-1971), précisément en raison de sa fin tragique.

Ma grand-mère qui était plutôt avare dans l’expression de sentiments intimes avait inconsciemment trouvé ce moyen détourné d’évoquer l’amour d’un homme et d’une femme, en commentant devant moi l’exemple dramatique du Général Boulanger et de Marguerite de Bonnemains. Elle avait eu connaissance de cette histoire en lisant un numéro du Petit Journal daté de 1901. Lequel traînait sur une commode de la « mère Duguet » – Louise Joséphine Marie Toublanc (1866-1961) – dont elle s’occupait en faisant office de dame de compagnie bénévole…

La carrière militaire de Boulanger, de même que ses ambitions politiques, importaient peu à ma grand-mère. En revanche, elle saluait la fidélité en amour de cet homme. Jusqu’à la mort ! C’était un peu son « côté fleur bleue».

L’âge venu et avec le recul du temps, je la comprends mieux et force est de reconnaître que son admiration pour le Général Boulanger n’était pas sans fondement. Le sabreur avait probablement beaucoup de défauts, mais ce n’était ni un goujat ni un mufle vis-à-vis des femmes ! …

Si j’évoque ce drame politico-sentimental d’un autre siècle, c’est que l’actualité de la cinquième République m’en fournit le motif, au-delà des vertus commémoratives et émollientes d’anniversaires de coups d’Etat manqués, dont je ne suis pas fervent. Aujourd’hui, comme dans les temps absolutistes, il se trouve qu’il existe dans la « patrie des droits de l’homme », un homme de pouvoirs qui, à la différence d’un Boulanger apprenti factieux sentimental , se comporte comme un butor. Apparemment dépourvu d’affect, en tout cas inélégant et hautain, il congédie à sa guise ses courtisanes ou ses maîtresses. Mais contrairement aux illustres tyrans qui l’ont précédé, il y met hypocritement certaines formes. Du moins le croit-il ! Sous des dehors convenus, il affiche des prétentions éthiques et tient des propos progressistes, mâtinés d’un soupçon de cynisme que ses affidés mettent sur le compte de l’humour. Et ce, dans le silence assourdissant et complice de sa clientèle de ministres ou de députés en jupons, pourtant toujours promptes – et à bon droit – à s’insurger contre les manifestations d’indignité et d’inégalité faites aux femmes… Le mutisme éloquent de celles censées défendre les « droits de la femme » est à cet égard remarquable. Double ou triple discours! 

Bref, en 2014, on répudie unilatéralement comme au vieux temps des « rois fainéants »… Et il faut dire que c’est bien.

Read Full Post »