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Posts Tagged ‘Adrienne Turbelier’

Le 7 novembre 2017, mon père Maurice Pasquier (1926-2017) s’éteignait, emporté par un cancer du pancréas, dans une unité de soins palliatifs de l’hôpital de Bligny en région parisienne.

Cinq ans se sont écoulés depuis ce jour! La sidération que provoque toujours la mort des siens, même lorsqu’on la sait inéluctable, s’est progressivement estompée. Le travail de deuil a fait son œuvre et la douleur de cette disparition est désormais assimilée et intégrée au cycle normal de la vie!

« Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie le visage et l’on oublie la voix »

Nous percevons aujourd’hui avec acuité, la quasi-justesse de cette chanson de Léo Ferré (1916-1993). Tout ou presque effectivement s’érode et en principe disparait dans la durée, A commencer par les sensations ressenties auprès de l’agonisant ou du disparu, les saveurs de l’existence et peut-être aussi les émotions qui vont avec.

A quatre-vingt-onze ans, mon père est ainsi parti, précédant ma mère Adrienne Turbelier (1923-2018) d’un trimestre. Depuis 1945 il ne s’étaient pas quittés. La mort qui les avait momentanément séparés, a mis moins de cent jours pour remettre leurs pendules synchrones et les réunir. A quatre-vingt-onze et quatre-vingt-quatorze ans respectivement, chacun en général parvient à se convaincre que ces âges sont honorables pour mourir!

On finirait même par admettre que la mort des siens, qui se présente comme une des frontières énigmatiques de notre propre vie, procède d’un enchainement salutaire des générations, presque libérateur pour ceux qui survivent. La réalité est radicalement autre. En effet, ceux qui s’en vont emportent avec eux des pans entiers de notre histoire intime. Ils sont notre mémoire, celle de notre Anjou, celle de l’enfance, celle d’une fratrie composée d’un frère et de trois sœurs. Celle des balades dans les forêts angevines à l’automne pour ramasser les marrons, celle des repas de Noël rue de Messine à Angers, celle enfin de la Deux Chevaux Citroën dans laquelle quatre enfants se serraient « comme des sardines » sur la banquette arrière. Celle des copains du syndicat de Maurice, celle de la Chèvre Blanche, la boutique où ma mère était vendeuse, celle des ménages qu’elle faisait pour « mettre du beurre dans les épinards », celle de la couturière qui confectionnait nos vêtements et tant d’autres souvenirs vieux de trop de décennies accumulées et que je partage avec mes sœurs.

Rien ne saurait s’effacer de ces épisodes fondateurs de notre jeunesse, dans laquelle notre père et notre mère étaient les principaux acteurs!

Malgré tout, comme le prétend Léo Ferré, le temps qui passe après la disparition d’un être cher, engendre un oubli nécessaire et réparateur. Mais il n’efface rien de notre affection pour ceux qui nous ont accompagnés dès nos premiers balbutiements et qui nous ont tout appris et constamment pardonné. Qui étaient présents lorsque nos premiers regards se sont posés avec ingénuité sur le monde et qui étaient toujours à nos côtés des décennies plus tard au seuil de notre propre « troisième âge » où nos rôles respectifs se sont parfois inversés.

Ainsi, il ne se passe guère de journée depuis cette date singulière de leur décès, celle où le temps s’est arrêté pour eux en abord d’une insondable infinitude, sans que nos pensées ne se télescopent avec celles que nous aimons leur prêter en narguant la grande faucheuse.

Certes, nous n’entendons plus le son de leurs voix, nous ne voyons plus les rides de leurs visages et même nous avons oublié les stigmates de leur souffrance dans les derniers instants, mais nous continuons à nous référer sans forcément en prendre conscience, aux valeurs ainsi qu’aux manières d’être et de penser qu’ils nous ont légués.

Notre privilège d’être encore vivants alors qu’il ne sont plus, se manifeste dans cet héritage que nous avons mission de fructifier. Ils sont à la fois notre patrimoine et nos racines; ils sont les principaux artisans et metteurs en scène de ce que nous sommes devenus. Et, à ce titre, nous leur devons la reconnaissance sans pour autant biffer ce qui parfois nous opposait. Mais surtout sans renier le message de liberté et de responsabilité qu’ils se sont évertués à nous transmettre, et sans s’excuser de l’amour que pudiquement nous nous portions réciproquement.

Nos controverses d’antan n’apparaissent plus désormais que comme des anecdotes plus ou moins dérisoires et, en tout cas, toujours datées. Nous devons donc, sans les ignorer, les regarder comme des voix d’un passé toujours présent, riche d’approches dialectiques et complémentaires de l’existence, forcément différentes du fait de leur temporalité mais riches de réflexions fécondes que nous avons vocation à prolonger.

De la sorte, sans qu’il soit besoin de recourir à une quelconque immanence ou transcendance, Papa et Maman demeurent parmi nous, en nous, devrais-je écrire! Ils demeurent notre boussole mais nous laissent, comme jadis, la liberté d’opter pour d’autres chemins que ceux qu’ils auraient peut-être empruntés.

Honorer leur mémoire ne relève donc plus d’un devoir ou d’une obligation de piété filiale, mais de la préservation d’un référentiel qu’il nous appartient d’enrichir de nos propres expériences pour nous hisser vers l’avenir.

Jardin du Mail à Angers

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Il parait si j’en crois le petit carnet que tu m’as laissé, que j’ai prononcé le mot  » Maman » aux alentours de mes dix mois, comme d’ailleurs mes trois sœurs cadettes! Mais depuis quatre ans, ce mot empreint de la mélancolie d’un présent désormais orphelin d’un passé révolu, ne relève plus de mon vocabulaire usuel, sauf à des fins littéraires.

Tu es partie quelque part ou nulle part dans un coin perdu du néant ou dans une contrée isolée d’un de ces multivers, ces lieux étranges de l’espace, imaginés par les plus savants de nos théoriciens contemporains en « matière » – si l’on ose dire – de cosmologie. C’est ainsi, que ces érudits d’équations inattendues posées, il y plus d’un siècle, ont désormais tendance à se substituer à nos antiques théologiens, et en plus, sans beaucoup faire mieux! L’avantage malgré tout, c’est qu’ils nous dispensent de leur morale à quatre sous à déposer dans des troncs et qu’ils ne nous promettent rien de paradisiaque ou de cauchemardesque. Au moins d’ici quelques milliards d’années!

Aujourd’hui 31 mars, c’est le jour anniversaire de ta naissance, mais Maman tu n’es plus là pour t’étonner ingénument des stigmates qui attestent du temps qui passe. C’est un constat auquel il faut se faire. Cette absence que d’aucuns appellent le deuil, s’accompagne pourtant d’un curieux paradoxe: tu demeures, malgré tout, à nos côtés, telle une référence ineffaçable ou une source intarissable d’inspiration.

De toi, ma mère – Adrienne Turbelier (1923-2018) épouse par amour de Maurice Pasquier (1926-2017) – je pourrais parler sans retenue à longueur de pages. Plus de soixante ans de complicité filiale, ça compte! Sur toi, je pourrais disserter et même rédiger des livres où finalement, je ne raconterais surtout que ma propre histoire avec toi. Je m’y suis d’ailleurs attelé mille fois, sans d’ailleurs prétendre accéder à ta vérité, hormis le fait que tu nous aimais!

En effet, l’authenticité d’un être n’a probablement qu’un rapport tenu avec la perception qu’on en a. N’en transparait que ce qu’il entend nous en révéler. Comme l’observe le jeune et magnifique philosophe Alexandre Jollien dans sa leçon de vie, cette quintessence de soi se trouve entièrement contenue, mais à jamais inaccessible, dans le tiret qui relie les deux dates encadrant une vie, celle de la naissance et celle de la mort.

Et d’ailleurs, ce dont on se rappelle consciemment aujourd’hui, ce sont tes anecdotes, celles que tu ressassais inlassablement pour nous distraire lors des repas de famille. A chaque fois on s’esclaffait en faisant semblant de les découvrir…Ces historiettes pour la plupart, localisées en terre angevine, nous manquent aujourd’hui, et personne d’entre nous ne saurait les reprendre à son compte en rivalisant avec toi …

Les carnets que tu nous as a laissés, ceux auxquels la jeune femme de la guerre confiait ses espoirs, de même que tes lettres de mère de famille durant les Trente glorieuses ou encore tes indignations de militante et les réflexions que tu livrais en une ou deux phrases dans le secret de tes agendas, nous en apprennent autant de toi que des décennies à tes côtés.

On n’ignorait rien de la singularité de ton caractère « bien trempé » volontiers mutin et révolté en faveur des causes auxquelles tu croyais, on savait la part de ta sensibilité qui s’exprimait au travers des tableaux que tu peignais sans complexe et avec passion, mais en réalité on te ne connaissait guère. Tu masquais tes émotions intimes sous une pudeur presque janséniste. Telle une adolescente découvrant la violence des sentiments et les affres des souffrances de l’âme, tu n’évoquais et n’évacuais tes chagrins que par le biais des petits mots que tu consignais ici ou là en forme d’aphorismes.

Quelques jours avant ton départ, j’ai cru entrevoir cette personne aimée, d’une sensibilité exacerbée et implorante, que je ne connaissais pas. Le masque s’est en partie estompé, lorsque tu m’as dit comme pour t’excuser du tracas que tu pensais nous infliger et pour nous demander timidement d’être là à l’approche de l’irrémédiable que tu pressentais :  » Je vous ai élevé, tout de même! »

Oui Maman tu nous as élevés et surtout tu nous as aimés. Inutile de chercher un autre épilogue à notre histoire commune.

Aujourd’hui, 31 mars 2022, tu aurais eu quatre vingt dix neuf ans. Tu étais née au 20 rue Desmazières à Angers. Angers celle ville que tu as quittée à contrecœur au début des années 70 du siècle dernier et qui est demeurée la ville de toutes tes nostalgies.

Quelques photos de toi aux différentes époques de ta vie suffisent à commémorer cet événement mémoriel intime dont nous sommes désormais les dépositaires.

Massy – Dernier repas en commun 10 octobre 2017

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Tous ceux qui l’ont connu savent que les relations de mon père – Maurice Pasquier (1926-2017) – avec la photographie relevaient presque d’une pétition de principe philosophique mais aussi d’une démarche ou d’un sentiment quasiment fusionnel avec une forme d’art incarnant le progrès et la modernité. Depuis son apprentissage d’ajusteur-outilleur au début des années quarante du siècle dernier jusqu’à la fin de la première décennie de ce siècle, il n’y eut guère d’événements dans sa vie active, publique comme certainement intime, qu’il n’ait cherché à prolonger, à pérenniser ou à embellir au travers de clichés photographiques..

Depuis toujours, l’homme de foi qu’il était, assimilait la photographie à une sorte de vision romantique, presque religieuse de la vie. Un art qu’il percevait, au-delà de la technique, comme une transcription esthétique du monde, donc comme une nécessité vitale et une recherche d’harmonie conviviale… Il aimait faire don de ses photos.

Toutes les occasions étaient par conséquent bonnes, qu’elles soient professionnelles, syndicales, amicales et, au premier chef, familiales, pour prendre des photos. Les vacances constituaient à cet égard un moment privilégié. Il ne partait jamais en voyage ou n’assistait à une cérémonie, un anniversaire ou une fête, sans embarquer avec lui, une imposante sacoche où se trouvait, en plus de son appareil photo, tout un attirail d’objectifs couvrant la plupart des circonstances possibles de prise de vue, du téléobjectif aux lentilles dédiées à la photographie de nuit ou, à celles à l’inverse prévues pour les lumières intenses. Il n’eut de cesse, sa vie durant, que de capter et d’épier pour la saisir par le biais de l’image, la quintessence des choses et des êtres, du sourire d’un enfant à la beauté d’une fleur perlée de rosée matinale dans une jardinière de sa terrasse banlieusarde. Jusqu’aux paysages grandioses de montagne ou de l’océan en furie.  

Sa recherche de l’unité du monde s’effectuait par la photographie! Il aurait apprécié aussi la voie de la science s’il en avait eu le loisir! 

A sa disparition, le 7 novembre 2017, il laissa donc derrière lui, beaucoup d’albums photo et des milliers de clichés, sans compter les négatifs et autant de diapositives couvrant les soixante dix dernières années. Un patrimoine familial qui demeure d’ailleurs en grande partie à explorer. 

Cette passion ancienne pour la photographie l’avait même conduit dans les années cinquante à se faire embaucher dans l’atelier d’ajustage de l’usine Alsaphot (Alsetex) à Angers, un fabricant industriel d’appareils photo. A cette époque, lui qui possédait un appareil à soufflets de bonne qualité, prit plaisir, à ces moments perdus, à en réaliser un autre, une boite photographique de format 6×9, d’une conception largement inspirée de la « Box alpha », l’appareil populaire de début de gamme, fabriqué par son entreprise.  Il l’offrit finalement à notre mère.

Progressivement, dans le but de perfectionner ses prises, il s’équipait de tous les accessoires imaginables pour un amateur, tels les télémètres ou les cellules photoélectriques, et bien d’autres encore. Cependant, un jour d’été 1961, il profita d’une escapade en Forêt Noire pendant des vacances familiales dans les Vosges alsaciennes pour s’acheter avec la complicité joyeuse et contrebandière de notre mère, un appareil Contaflex Zeiss Ikon! Non déclaré aux douanes: c’était avant le Marché unique! 

Pour lui, admiratif de l’industrie allemande de l’optique, cet appareil Reflex avec cellule incorporée, représentait le nec plus ultra en la matière, et de surcroît abordable sans les taxes d’importation. Il présentait d’après lui la meilleure qualité d’objectifs en Europe …

Durant trente ans, ce Zeiss qui faisait sa fierté, le suivait partout, jusqu’au jour où il estima qu’il était technologiquement dépassé, et que le maniement d’un Canon lui ouvrirait d’autres voies photographiques insoupçonnées du fait des performances optiques et électroniques supplémentaires dont les japonais l’avaient doté. 

Cet appareil fut le sien pendant une quinzaine d’années. Ce fut également le dernier appareil reposant sur la technologie séculaire argentique qu’il utilisa. En effet à l’occasion de l’anniversaire de ses quatre-vingt ans en 2006, il lui fut offert un appareil numérique Nikon, comparable du point de vue optique à son Canon, mais plus en phase avec les évolutions numériques du moment et du futur.

Maurice avec un enthousiasme juvénile en dépit de son âge, l’adopta et parvint à apprivoiser cette nouvelle technologie numérique et informatique dont il ignorait tous les fondements quelques mois auparavant. Un âge, qui en aurait découragé plus d’un… 

Jusqu’à l’automne 2011, il continua donc de photographier à tire-larigot . Et dans le même temps, il numérisait méthodiquement pour la postérité, ses clichés les plus anciens ou, ceux qui lui apparaissaient les plus réussis ou les plus révélateurs d’époques ou d’épisodes qu’il avait vécus mais dont le souvenir s’estompait.   

Malheureusement, atteint d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge, diagnostiquée comme irrémédiable et incurable, il perdit progressivement l’essentiel de la vision.

Malgré tous les stratagèmes qu’il imaginait avec ténacité pour retarder l’échéance, sa vue lourdement dégradée, lui interdisait désormais de lire un texte, autrement que mot après mot et sans le concours d’un amplificateur d’image, de regarder la télévision au-delà de quelques centimètres d’un écran outrageusement désaxé par rapport à lui, de conduire sa voiture et enfin de prendre des photos ou d’écrire…

Ces deux derniers handicaps furent certainement les plus douloureux et moralement les plus insupportables! Il ne renonça pourtant jamais à l’écriture, 

Pour la photo en revanche, il ne s’obstina pas, probablement parce qu’il ne pouvait concevoir de produire de médiocres clichés.

Sa dernière prise de vue fut réalisée le 1er octobre 2011.

A la différence des photos antérieures, cet ultime cliché enregistré sur la carte mémoire de son appareil est loin d’être du même niveau technique que ce qu’il produisait auparavant. Il en était certainement conscient et c’est sûrement la raison principale qui l’incita à penser que ce serait le dernier.

En tout cas, le dernier qu’il se sentait encore en mesure d’entrevoir! A ce titre, c’est sûrement, aujourd’hui,un des plus émouvants et aussi des plus énigmatiques! Comme si par le truchement de cette composition d’objets ou de cette mise en scène, qui ne devait sans doute rien au hasard, il souhaitait, au soir crépusculaire de sa vie de photographe amateur, délivrer – peut-être à notre adresse – un message visuel final de ce qui, pour lui, fit sens au cours de son existence. 

Au premier plan de l’image, est présentée une médaille commémorative de la Déclaration des droits de l’homme, enchâssée dans un socle en bois qu’il avait lui-même travaillé. A côté, une petite colombe de la paix, soudée sur un capuchon de sonnette de vélo.

En arrière plan, une vierge Marie en bois, objet de toutes les dévotions de notre mère, sa référence et son amour absolus, qu’il évoque explicitement au travers d’un buffet et d’une armoire de poupée qui lui appartenaient depuis sa tendre enfance. (Objets offerts à Adrienne, ma mère, par Clémence Venault née Fradin, sa grand-mère maternelle à la fin des années 1920)

Enfin pour compléter la scène, il plaça un cadre à l’image invisible, trop éblouie par le soleil. On sait qu’il s’agit de leurs portraits! Et enfin une soupière et une boite à gâteaux en fer. Pourquoi une soupière dans le tableau? Pourquoi la boite?  

Il survécut six ans à ce cliché testamentaire, sans jamais y faire la moindre allusion, sans jamais exprimer de nostalgie à propos de cet art photographique perdu qu’il affectionnait et que la fatalité lui avait confisqué, sans jamais enfin évoquer le devenir de cette oeuvre photographique assez considérable qu’il avait patiemment constituée et scrupuleusement conservée pendant plus de trois-quart de siècle!  

Toutes les interprétations demeurent plausibles. Ce qui est certain, c’est que cette dernière photographie prise par mon père ne relève pas du pur hasard.

A nous d’en rechercher les clés et de découvrir la teneur du message. 

 

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Elle est partie, il y a, tout juste un an…

…au cœur de l’hiver dans un hôpital d’une ville inconnue d’elle, Athis-Mons!

Adrienne et son « précieux vélo » en 1945 boulevard Foch à Angers 

« Elle est retrouvée!

Quoi? L’éternité.

C’est la mer mêlée

Au soleil »

 

( Extrait d’une Saison en Enfer – Délires 1873 –  Arthur Rimbaud)

De sa chambre – 6 février 2018

 

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C’était il y a tout juste un an, le 6 novembre 2017.

Le lendemain, mon père Maurice Pasquier (1926-2017) s’éteignait dans l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de Bligny en Essonne…

Mais ce 6 novembre, avant-dernier jour de son existence, fut le dernier où nous pûmes, avec certitude, communiquer avec lui…Le dernier où, lui-même, avec l’énergie du désespoir, s’efforça de nous transmettre ce qu’il ressentait, alors qu’il avait pratiquement perdu l’usage de la parole, qu’il entendait avec difficulté et que probablement il ne distinguait plus guère nos silhouettes qu’à contre-jour dans le soleil couchant de cette belle journée d’automne…

Ce jour-là fut aussi le dernier où notre mère Adrienne Turbelier (1923-2018), son épouse depuis près de soixante-dix ans, put le voir quelques minutes. Elle, dans son fauteuil roulant en contrebas du lit, et lui, déjà agonisant mais lucide, se tinrent la main une dernière fois, en une ultime et dérisoire caresse. Sans vraiment se parler, sans presque se voir car il ne pouvait incliner la tête, ils renouvelèrent ainsi, par une simple pression de leurs doigts enlacés, un serment d’amour qu’ils s’étaient mutuellement adressé un soir de décembre 1944, dans le sillage exaltant de la Libération d’Angers, quelques mois auparavant…

Aucun des avatars de la vie qu’ils connurent comme tous, n’entama cette passion et ne remit en cause cet engagement.

Ce 6 novembre 2017, elle murmura son émotion au sortir de la chambre, mais lui déjà ne pouvait plus parler comme il l’entendait, en approche d’un autre monde ou du néant. Seul son regard fixé vers le plafond semblait encore exprimer quelque chose, en l’occurrence, une souffrance de nature inconnue, inqualifiable, celle, sans doute éprouvée au seuil de la mort quand on sait quelle avance de moins en moins à pas feutrés! Et qu’on croit apercevoir l’ombre de sa faux.

Une souffrance assimilable au refus de se plier à l’injonction de la camarde. En une même révolte, les sens et l’esprit réunis semblaient s’être ligués pour contrer cette pulsion irrémédiable et dévastatrice qui s’apprêtait à gommer neuf décennies d’existence.

Il espérait cependant qu’il reverrait Adrienne…

Quelques jours avant, mon père y croyait encore – ou faisait semblant d’y croire – jusqu’au jour où il douta de son avenir à court terme… Le mal implacable l’avait totalement gangrené, et lorsqu’il prit conscience qu’en dépit d’un traitement antalgique renforcé, rien ne le soulageait, il comprit que son maintien à domicile devenait problématique, tant pour lui que pour les siens. Il avait alors demandé à rejoindre une structure hospitalière de soins palliatifs…

Il savait que son horizon s’était raccourci. Mais, au sein d’une unité médicale spécialisée, il pensait s’octroyer « une petite chance » de survie pour quelques mois. Ou, en tout cas, de prolongation de son existence jusqu’à la date anniversaire de leur mariage en décembre…

Son ultime objectif était en effet, conformément à une tradition bien établie, qu’ils avaient eux-mêmes initiée, de réunir une fois encore, leur nombreuse postérité – trois générations qui faisaient leur fierté – autour d’un banquet d’adieu. Nous n’avions pas su, ni les en dissuader ni les détourner de leurs illusions. A quoi bon! Et pourtant l’humeur était morose et l’ambiance peu propice à une fête qui forcément aurait été pesante.

Au cours d’un repas familial « préparatoire » en octobre, ils avaient même sélectionné le vin qui serait servi à table ce jour-là: un Bourgogne de haute tenue!

Le côte de Beaune sélectionné et qu’on ne boira pas avec eux! 

 

Dans la seconde quinzaine du mois d’octobre 2017, les signaux négatifs se sont multipliés. Son état de santé s’est très rapidement dégradé sans qu’aucun soulagement ne puisse lui être apporté à domicile.

Le 2 novembre il « intégra » donc l’unité de soins aux mourants de l’hôpital de Bligny. Il avait dans l’idée qu’il gagnerait un peu de répit et que le moment venu, il partirait apaisé!  » Dans la paix du Seigneur » dans son propre langage.

Il n’en fut rien malheureusement…

Malgré les soins prodigués, il se retrouva rapidement au cœur d’un dilemme thérapeutique à la résolution duquel il fut écarté, comme c’est généralement le cas pour tout patient en fin de vie. L’alternative, au demeurant classique, consistait – grosso modo – à choisir entre l’abrutissement total ou la douleur persistante. Fort de son savoir-faire, le corps médical opta, en conscience, mais en ses lieux et place, pour une solution moyenne censée optimiser les prescriptions. En vain… Et il  souffrit le martyr!

Le 6 novembre, mes deux sœurs et moi-même passâmes l’après-midi à son chevet.

Notre présence lui fut sans doute d’un grand réconfort…Nous lui parlâmes sans relâche!

Nos échanges étaient à la fois décousus, complexes mais ils avaient la saveur de la sincérité et de l’affection, sans posture et sans faux semblant … C’était l’heure ou jamais de faire passer les messages essentiels, car lorsque l’horloge du temps semble s’enrayer, l’irréversibilité est à l’ordre du jour et il n’y a plus à barguigner!

Quand l’échéance est dépassée sans avoir tout dit, ne subsistent que des regrets éternels, et parfois des remords d’avoir esquivé la vérité des sentiments…Au fond, le meilleur viatique – l’extrême onction – avant de partir pour le grand voyage, c’est la tendresse des siens! Si tant est bien sûr, que la notion de « grand voyage » soit en ces moments-là, pertinente! Ou même qu’elle ait un sens. Si tant est en outre que la raison estompe les anciennes controverses ou d’antiques ressentiments. Les comptes doivent être clôturés.

Et ce fut effectivement le cas!

Notre père était dans un état de semi-somnolence mais il était conscient et semblait même apprécier les chansons que nous lui passions, qu’il aimait fredonner jadis. Elles diffusaient un peu de chaleur vitale dans cette chambre sans caractère, avant que le froid redouté ne s’installe et que le désordre du sépulcre prenne le dessus sur la vie…  Sans ordre préconçu, au gré des connexions 4G de nos téléphones portables, nous lui fîmes entendre, au plus près de son oreille, des musiques de Brassens, de Léo Ferré et de Jean Ferrat…D’autres également.

Deux ou trois de ces ritournelles marquèrent symboliquement certaines étapes décisives de sa vie d’homme mais aussi de syndicaliste chrétien ou de militant politique :

  •  » Les Corons » de Pierre Bachelet, le mythe absolu qui incarnait, à ses yeux, la condition ouvrière,
  • « Mon père » de Daniel Guichard,
  • « Inch Allah » de Salvatore Adamo, qu’il chantonnait à Angers à la fin des années soixante, et dans laquelle il entrevoyait la paix entre Israël, terre promise de toutes les religions, et ses voisins …

Nous eûmes le sentiment en ces instants inoubliables, de former une seule et même entité, reconstituée autour du père et réconciliée avec sa propre histoire… Un récit né des utopies progressistes d’après guerre dans les provinces de l’Ouest.

La larme à portée d’œil, nous pressentions néanmoins, sans trop nous l’avouer, que les épreuves arrivaient à leur terme, et que nous étions au bout du chemin. Le moment de se quitter ne tarderait plus …

Partagés entre l’incrédulité d’assister en témoins impuissants à l’accomplissement terminal d’un destin qui nous échappait, et la soumission consentante à l’irrémédiable, nous nous réconfortions silencieusement, en espérant que pour lui au moins, ce soit une apothéose spirituelle…

En fin d’après-midi, notre père manifesta le désir de parler, mais d’une voix si inaudible et inintelligible, que je lui proposai d’écrire ce qu’il souhaitait nous communiquer, fût-ce en aveugle et d’une main incertaine et tremblante. S’agrippant au stylo et au carnet positionné dans sa main, il accepta ce dernier challenge et il écrivit « au jugé » .

Ce furent les dernières phrases qu’il parvint à griffonner après des milliers de lignes et de pages écrites au cours de sa vie… L’écriture était en effet une de ses passions, avec la lecture et la photographie.

Ces quelques mots qu’il tenta d’écrire sont d’autant plus précieux…

Les derniers pour nous dire qu’il souffrait…

« Cette nuit a été très dure »

 

Pas impossible que sur les autres pages indécodables, il ait ajouté qu’il nous aimait! Il me plait de le croire.

Dans la nuit qui suivit, il sombra dans une sorte d’inconscience proche du coma, que l’on appelle avec toute la pudeur des litotes officielles, une sédation profonde jusqu’au dernier souffle.

Dès lors, la barrière, entre nous, devint infranchissable, bien que le personnel soignant, dorénavant réduit à un rôle de bienveillante compassion à notre égard, nous assura du contraire:

 » Certes, il ne manifeste plus rien, mais nous avons de bonnes raisons de croire qu’il vous sait à ses côtés »

Merveilleuse richesse du langage!

Il décéda vers vingt heures le lendemain 7 novembre 2017 sans avoir retrouvé ses esprits!

Un an après… Le monde qu’il a connu n’est plus le même, à tous égards! Mais n’est-ce pas le lot commun de chaque être humain de ne jamais se baigner dans la même rivière?

 

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« Pour ses arrières-petits enfants, qui s’interrogeront peut-être un jour à propos d’une vieille croûte poussiéreuse dans un débarras »

Jusqu’à un âge très avancé, ma mère peignit… Elle en fit même son passe-temps favori pendant de longues années. Mais paradoxalement, alors que petite fille, elle aimait déjà dessiner et colorier, ce n’est qu’assez tardivement qu’elle s’y mit vraiment. En fait, ce n’est qu’à la cinquantaine échue, qu’elle reprit ses mines de plomb, ses aquarelles, ses gouaches et ses pastels. Ses sanguines aussi, ainsi que ses fusains et ses craies, car elle était touche-à-tout…

Un peu comme si, à l’automne de sa vie, elle retrouvait une idylle de jeunesse, occultée depuis longtemps par les vicissitudes de l’existence, et qu’il fallait vite rattraper le temps perdu! Comme s’il y avait urgence à révéler au grand jour, une intrigue d’enfance, soigneusement et secrètement entretenue!

Elle s’adonna alors sans retenue à cette passion si longtemps étouffée, avec l’empressement de la néophyte ou de l’autodidacte, sans d’ailleurs chercher à en apprivoiser les codes, les règles ou les standards…Elle peignait et dessinait sans trop s’embarrasser d’autres contraintes esthétiques que celles qu’elle se donnait. Sans aspirer non plus à une reconnaissance universelle qui éclairerait la postérité ou encombrerait les réserves de musées d’outre-atlantique ou de province…

Elle peignait d’instinct, des paysages, des natures mortes, des fleurs… Jamais de portraits. Juste pour le plaisir de l’instant, juste pour rêver de couleurs et d’horizons imaginaires, sans échafauder de lendemain prometteur qui, en toute logique, n’avait aucune raison d’être. Elle ne se berçait pas d’illusions sur la permanence ou la valorisation de son travail, mais elle en était fière et s’en revendiquait. C’était l’expression tangible de sa liberté. Elle peignait, en somme, pour se sentir exister.

Puis un jour, sans rien renier de ce qu’elle s’était évertuée à réaliser, quotidiennement durant quatre décennies, elle décida, sans crier gare, de ranger ses pinceaux et ses spatules… Prétextant que sa main tremblait, elle remisa sa palette et ne toucha plus à ses toiles ou à ses cahiers de dessin!

L’une de ses toiles 

Cette résolution apparut dans un premier temps, énigmatique à son entourage! Faisait-elle vraiment sens au-delà des fausses évidences sur son état de santé et des apparences, ou de ce qu’elle en disait pour nous égarer? Se pouvait-il qu’il ne s’agisse que d’un caprice de vieille dame, d’une coquetterie imputable au grand âge, ou encore d’une sorte de « roublardise » dont ma mère était friande? Juste pour se faire prier…

Ses handicaps physiques qui, certes, se multipliaient, étaient-ils, comme elle le prétendait, la principale et unique cause de son renoncement?

Ou fallait-il en demander plus et s’efforcer d’accéder à la quintessence de sa démarche créative pour comprendre cette retraite soudaine, sans sommation ou symptôme patent préfigurant l’inéluctable?

La cause en était manifestement plus profonde qu’on ne le supposait, et certainement indicible. D’ordinaire peu effarouchée, volontiers diserte en société, bavarde même et parfois pusillanime aux yeux de ses détracteurs, ma mère adoptait ici une posture de mutisme sélectif qui ne lui ressemblait pas…Clairement, elle n’avait pas l’intention de fournir d’autre explication que celle du léger tremblotement de ses mains, et ne semblait pas disposée à livrer à quiconque les arcanes de son intimité, de ses contrariétés et de ses sentiments … Et pourtant, dans le cas d’espèce, c’était probablement dans cette voie qu’il convenait de rechercher la clé.

S’il fallait attribuer cette démission à une sorte de fêlure et la comparer à d’autres craquelures ou gerçures de l’âme, on pourrait sans doute la rapprocher de l’embarras éprouvé par de vieux tourtereaux se retrouvant sur la Toile, un demi-siècle après la fin de leur marivaudage adolescent… et qui, au plaisir d’improbables retrouvailles, préfèrent s’abstenir de réveiller d’antiques cicatrices pour ne pas s’effrayer mutuellement de ce qu’ils sont devenus.

Alors, c’est en mémorialistes de leurs vies que les anciens flirts évoquent leur fougue de jadis, en évitant soigneusement d’empiéter sur leurs destinées en cours. Ils savent en effet qu’ils n’ont plus rien à attendre ensemble du présent… Ce comportement répond sans doute au souci d’épargner à l’autre, mais surtout à soi-même dans le regard de l’autre, l’image dégradée que renvoie une actualité qui ne peut plus servir de décor à leurs amourettes passées. D’aucuns y verront une forme revisitée de stoïcisme: une quête nostalgique du bonheur par la tempérance.

C’est sûrement dans cet état d’esprit que ma mère décida un jour d’abandonner sa peinture. Pour ne pas souffrir. Pour ne pas subir la déchéance d’un talent dont elle se créditait sans fausse modestie, mais dont, confrontée à l’érosion du temps, elle mesurait la fragilité,

Ayant perdu une grande partie de son autonomie physique – donc de son indépendance – ma mère ne supportait plus que l’image d’artiste qu’elle était parvenue à imposer à ses familiers, ne fusse irrémédiablement écornée par le spectre d’une vieillesse envahissante et impitoyable. Et ce, d’autant plus que ce statut d’artiste-peintre dont elle jouissait auprès de ses proches et qu’elle ne devait qu’à elle-même, constituait certainement un des principaux marqueurs identitaires de la seconde phase de sa vie. Et probablement celui qui lui tenait le plus à cœur après celui de mère, car il incarnait son émancipation après des années d’oubli de soi-même au profit de ses enfants et de son mari…

Dorénavant, elle ne pouvait se résoudre à produire un travail – à ses yeux – de moindre qualité, dont elle estimait qu’il ne saurait susciter d’autres appréciations que celles dictées par la piété filiale ou la compassion. A quoi bon poursuivre si l’on perd toute aptitude à provoquer l’émotion, à plaire ou à séduire par la seule force de son talent!

Redoutant le naufrage et la médiocrité, et refusant la charité, elle choisissait d’anticiper l’abandon en prenant l’initiative de jeter l’éponge… Elle préférait désormais s’en tenir aux quelques dizaines – voire centaines- de dessins ou toiles effectivement réalisées, dont elle fit son patrimoine présentable.

Rien ni personne ne purent la convaincre du contraire. Ripoliner ou peinturlurer avait été sa manière de tromper le temps. Désormais, ce dernier lui échappait!

En revanche, elle ne dédaignait pas qu’on admirât celles de ses « œuvres » exposées dans son appartement de Massy… Celui qu’elle habitait avec mon père, et qui fut son unique atelier. Mais, dès qu’on tentait de l’inciter à poursuivre son travail, elle détournait la conversation. Si, plaisantant, on insistait en présentant son handicap comme « un atout » pour réaliser des œuvres pointillistes « à la Paul Signac », elle répétait, agacée en perdant tout sens de l’humour, que sa « fichue » ostéoporose à l’origine des raideurs dont elle souffrait, lui interdisait la maîtrise de ses mouvements et une station prolongée à son chevalet ou à sa table de dessin.

Un point, c’est tout! 

Dès lors, sa palette de couleurs devint définitivement orpheline, délaissée et figée sur une étagère du petit meuble vitré, qui faisait office de placard aux peintures, aux huiles, aux brosses et aux pinceaux. Celui-là même où étaient aussi entreposés les cartons à dessins et rangés ses pinceaux!

     Sa palette abandonnée

Lorsqu’elle commentait ses tableaux – exercice auquel elle se livrait volontiers et même avec délectation- elle le faisait à sa manière en s’attardant sur les circonstances, sur son humeur ou sur les anecdotes, qui l’avaient conduite à choisir tel sujet ou à privilégier tel motif ornemental. Mais elle ne s’attardait pas sur la technique qu’elle considérait, à tort ou à raison, comme accessoire, voire dérisoire.

Ce n’est pas en effet, au nom d’une expertise, qu’Adrienne parlait de ses tableaux, car elle connaissait leurs imperfections, mais comme une femme qui avait trouvé dans l’expression picturale, un moyen propre de faire entendre sa subjectivité, de conquérir son autonomie et de faire valoir sa liberté d’être…

Dans ce « domaine réservé » dont elle ne livrait à son entourage que ce qui lui convenait, son mari n’avait guère d’autre option que d’admirer, « encadrer » les œuvres, et, le cas échéant, les suspendre au mur du salon!

Il est symptomatique que dans ce couple, né d’un coup de foudre illuminé par le militantisme jociste dans l’allégresse des mois qui suivirent la Libération d’Angers en 1944, mon père, photographe amateur compulsif, n’ait pris aucun cliché de ma mère à son chevalet, alors qu’il nous a légué des milliers de photographies, dont de très nombreuses d’elle, en noir et blanc ou en couleur, en format 6×9 ou en 24×36 et autant de diapositives! Cette omission n’était probablement pas fortuite!

Pour lui comme pour elle, la manumission par l’art était extérieure à leur contrat de vie en commun… Il n’est d’ailleurs pas exclu que cet affranchissement fût perçu par l’un et l’autre, comme potentiellement destructeur d’un équilibre conjugal adossé à des siècles de tradition. Mais tandis qu’elle y entrevoyait là un enrichissement personnel et une forme de libération, lui se sentant peut-être relégué, en concevait sûrement une sourde crainte.

Lui, il se souvenait qu’une fois pour toutes, lors de leur mariage en décembre 1947, leur amour irréfutable avait été sanctifié, donc par définition déclaré éternel et fusionnel!  » Conventionnellement fusionnel »! Mais au sens où on l’entendait après-guerre dans les provinces de l’Ouest et dans une famille de militants chrétiens de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne et ultérieurement de l’Action Catholique Ouvrière…Ce postulat, Maurice aimait le rappeler avec émotion, chaque année, aux dates anniversaires de ce mariage qu’ils conquirent, à l’époque, de haute lutte! …

Un serment qui semble aujourd’hui « très daté » et en décalage avec l’évolution actuelle des mœurs ainsi qu’avec l’objectif d’égalité « réelle » des sexes dans tous les domaines de la vie!

Après les années de pétainisme et d’oppression nazie, la génération de jeunes femmes et de jeunes hommes, assoiffés de liberté, à laquelle appartenait mes parents, était sans conteste, avide de progrès social et perméable aux idées nouvelles du Conseil National de la Résistance, mais elle n’échappait pas, en matière de comportement individuel à la tradition patriarcale, castratrice et conservatrice relayée par une église catholique encore puissante dans ces pays de la Chouannerie et des Guerres de Vendée…

Confortés par un code civil qui qualifiait encore le mari de « chef de famille », les hommes jouissaient du meilleur rôle, tandis que les épouses se perdaient dans les contraintes et les sujétions du mariage et des maternités dont elles assumaient l’essentiel de la charge! La notion de parité des sexes ne relevait pas encore de l’utopie; elle n’était pas du tout  invoquée. Et la majorité d’ailleurs n’y trouvait rien à redire, en particulier de nombreuses femmes dans la classe ouvrière, qui ne concevaient pas la vie autrement que dans le sillage de leur mari. Elles en partageaient leurs luttes lorsqu’ils étaient syndiqués, et subissaient passivement – sans trop s’en formaliser – cet apartheid juridique, politique, économique et social.

Dans ce contexte, peindre sans en référer à quiconque, était, pour ma mère, une manifestation d’indépendance et de reconnaissance, une bouffée d’air frais, et aussi, une contestation « à bas bruit » de l’homme qu’elle n’a jamais cessé d’aimer mais dont elle déplorait tacitement le peu d’enthousiasme à procéder à une sorte d’aggiornamento domestique, alors qu’il était toujours partant, hors les murs, pour faire la révolution sociale ou politique …

L’art dont elle se revendiquait était donc l’exutoire d’un mal-être et l’échappatoire qu’elle avait choisie pour s’affranchir de toute emprise, y compris conjugale. Et c’est sans doute avec un certain contentement, qu’elle portait cet innocent petit « coup de canif » au contrat du bon usage du mariage chrétien contracté dans un passé lointain sous un parrainage christique, dont elle doutait de la bienveillance! Lui au contraire fut habité jusqu’à son dernier souffle de la « foi du charbonnier ».

Je suppose que tous les deux le comprirent ainsi mais ne se l’avouèrent pas.

Dans les dernières années de sa vie, ma mère, devenue exigeante, lui fit d’ailleurs payer « cette dette » dont il ne comprit pas nécessairement la nature et la portée, mais que par amour, il ne discutait pas, acceptant de se muer en serviteur attentionné et repentant de la dépendance de sa femme!

N’empêche, aucun des tableaux d’Adrienne ne fut dédié à Maurice, et aucun n’eut pour thème central, la religion ou la soumission au créateur…

La passion de ma mère pour la peinture ne s’est pleinement exprimée qu’après que les « enfants furent élevés ». Mais, elle ne devint pour elle une impérieuse nécessité qu’au moment où elle s’expatria de son Anjou natale pour suivre Maurice en région parisienne. Ce fut un traumatisme qui la hanta le restant de ses jours, car elle avait sacrifié – une fois de plus – son destin personnel à celui de son mari, en abandonnant une carrière professionnelle renaissante après plus de vingt ans d’interruption… Elle s’était en outre irrémédiablement éloignée de son réseau d’amitiés, souvent très anciennes….

C’est dans la peinture qu’elle noya sa tristesse…

Dans ce contexte, il lui importait peu de respecter les lois de la perspective, d’ignorer les points de fuite ou de se fixer une ligne d’horizon… Son besoin de reconnaissance n’avait nul besoin de s’appuyer sur des règles ou des conventions esthétiques classiques pour clamer ses sentiments sur le papier ou sur la toile.

Peu importe les reproches qui lui étaient adressés de ne recopier que des images de cartes postales ou de contrefaire maladroitement les œuvres des « génies » de la peinture… Elle ne les entendait pas. Elle peignait à sa guise, sans autre considération que de se faire plaisir et d’épancher une soif personnelle de création…

Pour apprécier, peut-être fallait-il s’intéresser aussi à l’envers du décor!

De la sorte, si son  » Paysage de Marcoussis » présente des similitudes avec le chef d’oeuvre éponyme de Jean-Baptiste Corot (1796-1875), dont elle s’est probablement inspirée, il serait vain d’établir une comparaison entre un maître des paysages du 19ième siècle, précurseur de l’impressionnisme, et l’amatrice ingénue qui s’amuse à expérimenter les lavis d’aquarelle sur une campagne d’Île de France.

Tout juste peut-on dire, que les deux peintres avaient le même âge lorsqu’ils réalisèrent le tableau…

Mais moi, dans ce tableau que ma mère m’a offert en 2002, et dont je ne méconnais pas les défauts, je ressens l’expression singulière de sa sensibilité et de sa personnalité, et j’y reconnais aussi un peu de son histoire, donc, de la mienne par ricochet. Ce tableau me parle, tandis que je trouve celui de Corot, magnifique et inégalable, comme s’il avait posé son chevalet dans mon propre jardin

Pour moi, tous deux flirtent avec l’universel, mais à des lieues de distance et dans des cours différentes…

Respectueuse du génie, elle aurait partagé ce point de vue; elle qui collectionnait les ouvrages dédiés aux Impressionnistes, et ne se lassait pas d’admirer leurs œuvres. Elle, qui, du temps où mon père conduisait encore, n’aimait rien tant que de se promener dans les allées de Giverny à la recherche des Nymphéas de Monet.

Elle, qui prit tant de plaisir, il y a une quinzaine d’années, à déjeuner à la terrasse de la Maison Fournaise à Chatou, là où Auguste Renoir composa « le Déjeuner des Canotiers ».

   Son  » Paysage de Marcoussis »

Jamais, elle n’aurait eu l’outrecuidance de se comparer aux grands peintres de l’histoire. Elle apportait sa petite touche personnelle à une épopée qui la dépassait, sans prétendre franchir les limites de son salon.

D’ailleurs, lorsqu’elle faisait cadeau d’un de ses tableaux à l’occasion d’une naissance, d’un anniversaire ou d’une fête, ce n’était pas une oeuvre d’art qu’elle transmettait mais un petit souvenir de la mère, de la grand-mère et de l’arrière-grand-mère!

Peu comprirent qu’à travers ce cadeau souvent perçu comme un fardeau plus ou moins encombrant dans des ameublements conçu par IKEA, elle faisait passer un message sur sa propre conception de la création et de la liberté d’imaginer sa vie… Sur sa vision de la famille, qui ne passait pas nécessairement par le discours réducteur des unions d’un autre siècle …

    Paysage 1995

Les années passèrent. Ses tubes de peinture durcirent dans leur boite…

Puis un jour, elle s’en alla pour ne plus revenir…

Il fallut alors décrocher les tableaux, vider l’armoire aux couleurs, effacer les traces de son atelier… et remonter le temps à contre courant des vents dominants! Tenter enfin de répartir des œuvres dont personne au fond ne voulait plus vraiment s’encombrer! Pourquoi en effet congestionner les greniers de tableaux de grand-mère, dont aucun ne sera jamais vénalement négociable? Pourquoi s’embroussailler la mémoire de souvenirs qui s’accommodent difficilement du « nouveau monde » à des années lumière de la connexion permanente aux innovations de l’intelligence artificielle?

C’est au cours de cet emballage vers une destination incertaine des tableaux de ma mère, qu’on découvrit, parmi quelques rares peintures sur soie de ses débuts, une toile inachevée... Et exceptionnellement, un arrangement qu’elle avait elle-même composé dans sa salle de séjour, qu’elle avait photographié et qu’elle avait commencé à reproduire.

Photographie de la composition projetée

Sur une solide et épaisse table de chêne, encadrée par trois chaises d’ancienne facture, elle avait disposé un vin des « Coteaux du Layon » embouteillé par mon père, un livre ouvert et un verre d’Anjou, à ouverture tronconique, si caractéristique.

Les « Coteaux du Layon »!

C’était le vin incontournable de toutes les fêtes familiales à Massy, le vin blanc du paradis perdu, celui plus ou moins sucré, plus ou moins coloré d’un beau soleil du terroir, qu’on dégustait religieusement et conformément à un rituel scrupuleusement respecté, en apéritif puis au dessert, et toujours, dans des « verres à vin d’Anjou » en cristal fin monté sur une fine colonne, présentes depuis près d’un siècle sur les tables angevines et celles de la diaspora.

Chacun y retrouvait la saveur de la terre patrie… Ma mère, au premier chef !

Elle n’était d’ailleurs pas la dernière à donner son appréciation sur la qualité du dernier crû ouvert! Et à reprendre une petite « lichette » au deuxième service.

Mais un jour, elle est partie sans finir son verre!  

 

Cette esquisse « inachevée » est peut-être l’ultime leçon qu’a voulu dispenser ma mère sur la fragilité du monde réel… mais c’est possiblement aussi l’illustration d’une double exigence qu’elle n’est sans doute pas parvenue à totalement concilier, celle de la fidélité à la tradition de ses aïeux et à leur terroir, et celle de la création en toute indépendance pour témoigner et exister.

Pour ces motifs, ce tableau non concluant qui aurait pu disparaître dans les « encombrants » m’est devenu précieux! Car il introduit le doute… C’est certainement aux pages du livre laissé ouvert par ma mère, qu’on trouve sûrement les fils d’Ariane propres à lever ce doute.

 

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Adrienne Turbelier (1923-2018) n’a jamais laissé penser qu’elle cultivait une quelconque prétention littéraire, ni même laissé entendre qu’elle espérait transmettre à la postérité un message de portée universelle. Non qu’elle ne fût pas en mesure de le faire ou ne puisse décliner une pensée structurée et cohérente. Non qu’elle négligeât la culture livresque. Non enfin qu’elle ignorât l’importance de la transmission par l’écrit! Mais tout simplement parce qu’elle estimait probablement que la portée de ses messages ne justifiait pas qu’elle s’affranchisse publiquement d’une sorte d’anonymat.

C’était son choix et ce n’était pas son truc!

Sa condition de « femme du peuple », d’ouvrière provinciale – couturière, retoucheuse et vendeuse – puis de femme d’ouvrier et enfin de mère de famille, dont elle s’enorgueillissait avec une certaine bravade, ne s’inscrivait pas dans la suite logique d’un destin génétiquement programmé, mais elle l’assumait avec fierté et élégance sans jamais se considérer comme inféodée à quiconque. Et ce, sans qu’il fût nécessaire, à ses yeux, de battre les estrades pour s’adresser à un auditoire élargi. Pour autant, elle ne souhaitait pas vivre dans l’ombre de quelqu’un, fût-ce de Maurice, qu’elle aimait!

Sa soif d’autonomie et de légitimation, elle l’exerçait partout mais elle l’exprimait plutôt au sein de sa famille et dans son quartier, où elle donnait libre cours à son sens de la répartie et parfois de la provocation. Ainsi, quand elle souhaitait dire « ses quatre vérités » à quelqu’un qui l’agaçait, ou qu’elle voulait manifester sa contrariété envers un autre qui l’avait méprisée, elle ne tournait pas sept fois la langue dans sa bouche avant d’interpeller l’importun – voire l’importune. Et généralement, elle faisait « mouche ». Elle développait à sa manière, une forme de féminisme de terrain, un féminisme du quotidien, à la fois proche et étranger dans ses modalités mais non antinomique, aux actions militantes de certaines de ses amies dont elle se disait solidaire … et qu’elle ne désavoua jamais en dépit d’actions qu’elle n’aurait pas conduites elle-même!

Les « camarades du Parti Socialiste » dont elle fut adhérente, des décennies durant et auquel elle demeura fidèle jusqu’à son dernier souffle, eurent à subir ses remontrances indignées, lorsque, par maladresse sexiste, ils ne convoquaient que Maurice, son mari, aux réunions de section en oubliant de la mentionner! Insoumise par conviction, elle vivait ces omissions comme des malveillances machistes et des injures à sa condition de femme!

Cependant, cette revendication constante et exigeante de reconnaissance, ce désir d’exister par elle-même et cette recherche d’émancipation – quitte à prendre le risque d’ouvrir un conflit ouvert avec Maurice – n’allait pas jusqu’à s’incarner dans l’écriture au sens classique du terme. A la différence de Maurice, elle ne semblait pas en ressentir le besoin. Par timidité et modestie, elle savait qu’elle ne pourrait jamais jouer dans la même cour que des écrivains qu’elle admirait, comme Victor Hugo ou Emile Zola. A quoi bon, dans ces conditions, oser l’impossible! Pourtant, elle nous a laissé « ses carnets », tenus scrupuleusement à jour, à raison d’un par an depuis (certainement) toujours…Et elle n’en faisait pas étalage.

Les prémices de ces carnets remontaient probablement à son adolescence. Dès qu’elle sut se servir d’un porte plume ou d’un crayon, on peut penser qu’elle entama son premier cahier-carnet personnel. Dans les années trente ou quarante du siècle dernier, il était en effet d’usage que les jeunes filles tiennent un journal, une sorte de discret confident, auquel elles confiaient leurs joies et leurs peines, notamment celles de cœur!

Cette tradition était très ancienne, mais jusqu’aux lois de Jules Ferry à la fin du dix neuvième siècle, qui rendit obligatoire l’enseignement primaire gratuit pour les garçons et les filles, elle avait plutôt cours dans les familles de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Ce qui n’était pas le cas de la famille d’Adrienne, qui sans être franchement nécessiteuse appartenait à la catégorie des gens modestes, à, peine plus aisés que les mineurs d’ardoise de Trélazé, leurs voisins, qui ne possédaient pour tout patrimoine que leurs meubles et ne disposaient d’autre revenus que leurs salaires ou leurs traitements…

De ces temps lointains où Adrienne fréquentait l’école primaire des religieuses de son quartier – celui de la Madeleine à Angers – puis de la période de son apprentissage de couturière, peu de documents subsistent, hormis quelques cahiers à grands carreaux, sur lesquels elle recopiait avec application des poèmes qu’elle avait sélectionnées! Ronsard et Du Bellay, les poètes starisés du val de Loire y occupaient une place privilégiée! Mais pas seulement eux.

Une partie de ses cahiers d’apprentissage a également échappé au lessivage du temps…Sans jamais les montrer de son vivant, elle les avait pieusement conservés! En souvenir probablement d’un métier de couturière dont elle se revendiquait avec nostalgie, même si elle ne l’avait vraiment exercé que quelques années avant son mariage. Elle rappelait volontiers qu’elle était titulaire d’un CAP de couture et qu’elle avait pris plaisir à apprendre les ficelles de la profession, ses savoir faire et les tours de main, à l’aube de la secondaire guerre mondiale auprès d’un patron tailleur talentueux de la rue de la Madeleine à Angers …

Ce métier trop vite abandonné lui avait été néanmoins d’une grande utilité dans les années cinquante et soixante, pour confectionner les vêtements de ses enfants …

Deuxième année d’apprentissage de couture

Par la suite, cette littérature intime détachée des contingences quotidiennes immédiates s’était enrichie d’une abondante correspondante avec Maurice qu’elle épousera en 1947!

C’est sûrement dans les années cinquante alors qu’elle habitait encore à Angers – 6 bis rue de Messine – qu’apparaîtront ses premiers petits carnets -les « carnets d’Adrienne » dont il est question ici.

Abandonnant la posture romantique des débuts, de même que celle de l’apprentie consciencieuse ou encore de la jeune épouse aimante, c’est surtout la mère de famille qui écrivait alors, et qui consignait sur le papier, les premières dents de ses enfants ainsi que leurs maladies infantiles…

Progressivement, sans nécessairement s’embarrasser de références chronologiques trop précises, d’autres événements apparurent dans ses « pense-bêtes », tels que des points de vue toujours succincts et lapidaires sur l’actualité, sur la météo du moment, sur les médications qu’elle « imposait » à son « docteur » conciliant de lui prescrire. La rubrique pharmaceutique prit d’ailleurs une importance croissante au cours des ans. Ces ans qui au fur à mesure qu’ils se succédaient, rendaient son écriture incertaine et tremblotante…

Elle portait rarement une appréciation écrite sur des personnes, car elle ne se privait pas de le faire oralement. Mais lorsqu’elle prenait sa plume à propos de quelqu’un, c’était sans filet et sans précaution oratoire, dans l’éloge aussi bien que dans la critique assassine. Adrienne ne faisait pas dans la demi-teinte ou demi-mesure! Elle n’aimait pas la tiédeur en amitié, mais pas plus en inimitié.

Figuraient aussi sur ses carnets, ses achats d’importance, notamment d’appareillage ménager, ou les dates à retenir. De temps en temps, de façon imprévisible et sur une durée limitée, l’agenda retrouvait sa fonction générique de semainier avec mention des rendez-vous chez son médecin ou son coiffeur, des dates des réunions politiques locales ou des séances de peinture sur soie de l’association de son quartier de Massy du côté des Deux-Rivières. Elle y mentionnait aussi les dates anniversaires de la famille, et les prévisions de naissance de ses petits-enfants et, depuis quelques années, de ses arrière-petit-enfants.

Généralement, elle faisait l’économie de longues phrases, sauf lorsqu’il s’agissait de traduire d’intenses émotions, dont son entourage la croyait incapable, car Adrienne était très pudique sur ses sentiments, préférant le silence à l’expression tapageuse de ce qu’elle ressentait au plus profond de son cœur.

Ainsi en 2008 d’abord, puis en 2010, son carnet fut le vecteur qu’elle privilégia pour crier sa douleur et sa souffrance ainsi que son impuissance maternelle, face au cancer qui devait finalement lui arracher sa fille Louisette… Pour dire aussi son aversion de la mort! Chaque jour du début janvier 2008 jusqu’au jour de la première intervention chirurgicale de sa fille, puis après, durant sa douloureuse convalescence, elle faisait état de son angoisse, cherchant par l’écriture à se rassurer au moindre signe d’amélioration ou d’atténuation du mal … Elle notait méticuleusement sur son carnet toutes les informations qu’elle avait pu recueillir sur ce calvaire qu’elle subissait de concert avec sa malade bien-aimée … Presque tout le premier semestre de cette année 2008 sera exclusivement consacré à sa fille … comme si, au travers de chaque mot qu’elle rédigeait, elle espérait la soulager, en partageant le fardeau et en prenant sa propre part! En 2010, au terme de cette tragédie, elle se confiera à ses carnets devenus les exutoires d’une insoutenable souffrance! Elle qui ne savait ni pleurer, ni câliner comme tout le monde, savait parler à son carnet.

Ainsi était Adrienne. Celle que seuls les carnets connaissaient vraiment! Les seuls avec lesquels elle entretenait une complicité sans faille.

Mais dans le même temps, elle n’omettait pas de signaler qu’elle avait participé à un bon repas chez l’un ou l’autre de ses enfants ou petits-enfants… Elle signalait et soulignait avec gourmandise son contentement, quand un banquet s’achevait par un dessert qu’elle appréciait, comme un baba au rhum fait maison!

Elle se félicitait des bons moments passés en famille ou avec des amis, surtout ceux venus d’Angers avec lesquels elle évoquait sa jeunesse angevine et les lieux de son enfance en toute connivence …

Une mention spéciale était régulièrement dédiée à Marie-Thérèse, sa cousine nantaise et ci-devant filleule angevine. Pour soulager sa mémoire, c’est à son agenda qu’elle confiait le soin de lui rappeler son intention de s’enquérir de ses nouvelles. Mais se relisait-elle?

De même pour ses frères, auxquels elle vouait une réelle affection …

Le jeudi 20 octobre 1988 par exemple, elle note que « Jojo et Lucette » – son frère et sa belle sœur de Saint-Herblain sont arrivés à Massy. Le vendredi, elle rapporte leur visite commune au Louvre, à la pyramide de verre et aux colonnes de Buren dans la cour d’honneur du Palais Royal. Le samedi, c’était le château de Fontainebleau et le dimanche le musée d’Orsay. Le lundi, jour de départ des nantais sans doute fourbus, la matinée fut néanmoins dédiée à l’abbaye des religieuses de Vauhallan et à leur boutique sur le plateau de Saclay!

On imagine que tous devaient être sur les rotules, mais heureux. Adrienne sous-entend leur plaisir d’avoir été ensemble, mais sans expliciter comme si cela allait de soi.

Elle était âgée d’un siècle, à un lustre près lors de son décès. Par conséquent on peut estimer qu’elle a du « remplir » plusieurs dizaines de petits carnets.  La plupart du temps, si l’on en juge par ceux qui nous ont été légués, ils n’étaient que des « agendas de poche » et de formats divers! Il faudrait beaucoup de temps pour les exploiter dans leur totalité, car pendant des années, elle s’est contrainte à cet exercice journalier…

Parfois, elle fournit des indications d’ordre météorologique, en particulier en période de canicule! Elle ne précise pas qu’elle en souffre, mais la répétition plusieurs jours de suite de la même mention, montre que la chaleur lui pèse!

Que conclure de cette masse d’informations qui nous rend redevables à son égard et qui témoignent de la complexité d’une vie ?

En premier lieu, elle rend compte de la singularité de la personnalité d’Adrienne: parfois suspectée d’indifférence à la souffrance des autres – voire d’égoïsme – elle démontre au travers de ses carnets qu’il n’en est rien. Chaque page apporte un démenti flagrant. Toutes attestent du contraire. Laborieusement écrits en fin de journée, ces carnets désormais d’outre tombe, jouaient en fait un rôle de soupape à une sensibilité qui, par pudeur héritée en grande partie de sa mère, n’osait pas s’exprimer au grand jour.

Même à ces carnets, confidents muets de ses troubles, de ses souffrances mais aussi de ses moments de jubilation et de découragement, elle ne s’adressait qu’avec réserve et sans ostentation… Ce n’est que dans l’accumulation des faits relatés jour après jour, qu’elle révèle une affectivité à fleur de peau, ainsi que ses secrètes fêlures et sa réelle compassion, voire son amour profond des siens. Par ses mots encadrés, voire renforcés, par une ponctuation appropriée, elle manifeste son empathie au malheur des autres, mais, à petit bruit, à petits pas, à petites touches, sans trop oser révéler…mais plutôt en suggérant comme s’il fallait éviter de gêner par des confidences troublantes crûment annoncées!

C’est par le biais d’obsédantes répétitions, plusieurs mois, voire, plusieurs années d’affilée, des mêmes thèmes d’inquiétude ou des mêmes désarrois qu’Adrienne laisse transparaître sa propre vérité, celle d’une femme libre, sensible sous des dehors bravaches, et qui avait horreur qu’on lui dicte sa conduite ou qu’on pense à sa place! L’ensemble constitue de facto, une oeuvre authentique, qui parlera longtemps encore et soulagera…

Dieu n’est guère présent, en dehors de quelques furtives allusions. A la fin de sa vie, il n’était pas loin de faire figure d’accusé. Non sans motif d’ailleurs…

Tels sont les carnets d’Adrienne… ceux de ma mère!

Ce qui transpire finalement de cet ensemble de témoignages qu’elle a consenti à nous laisser, c’est l’esprit de liberté et de rébellion qui l’anima toute sa vie, ne s’en laissant compter ni par son mari qu’elle avait choisi et qu’elle aimait, ni par ses enfants, ni par quiconque pour dire ou faire ce qu’elle entendait dire ou faire…

« Ne pas se cacher derrière des prétextes pour préserver un confort frileux, contrepartie d’une soumission domestique qu’elle ne pouvait envisager »: tel est peut-être le dernier message qu’elle souhaita nous transmettre! A nous de faire en sorte qu’elle n’ait pas eu tort de croire en nous.

Maurice adhérait à la philosophie de ce point de vue!

Un jour, il nous faudra aborder aussi son violon d’Ingres: la peinture.

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En mon for intérieur, je leur avais promis que leurs souffrances ne seraient pas oubliées, que leurs fins ne passeraient pas par profit et pertes, et qu’il y aurait une suite.

Voici donc, ci-dessous, la lettre que j’ai adressée, ce jour, à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, à propos de la fin de vie des personnes très âgées, et des conditions peu acceptables dans lesquelles on meurt aujourd’hui en France, quand on n’est plus productif :

 »  La tribune publiée dans le Journal Le Monde (1er mars 2018), dans laquelle un collectif de députés appelle à réviser la loi Claeys-Léonetti sur la fin de vie, n’aurait suscité de ma part qu’un intérêt discret, il y a un ou deux ans…

Il se trouve qu’elle fait désormais écho à deux épreuves que j’ai dû affronter récemment et qui me conduisent à porter un regard différent, sans doute moins philosophique mais plus réaliste, sur la question de la fin de vie des personnes très âgées…

Plus généralement, ces deux épisodes douloureux m’ont amené – ainsi que mes proches – à m’interroger sur la place que notre société, pourtant pétrie de « principes », entendait réserver à ses grands vieillards. Ayant observé que ce sujet constituait aussi une préoccupation de votre ministère, je me permets brièvement de vous rapporter mon expérience et vous livrer ma réflexion…

Mes deux parents, respectivement âgés de 91 et 94 ans, sont décédés l’un en novembre 2017 des suites d’un cancer du pancréas diagnostiqué en août, et l’autre en février 2018 victime d’une infection pulmonaire délibérément non soignée dans l’EHPAD où elle résidait depuis deux mois.

J’ai pu ainsi constater – à deux reprises dans un laps de temps limité – que les conditions dans lesquelles on meurt actuellement en France ne sont pas convenables. Je partage, à cet égard, la critique exprimée par les parlementaires.

De fait, les choix des patients, qu’ils soient de mourir dans la dignité, ou à l’inverse de vivre, ne sont pas vraiment respectés, ni dans les unités de soins palliatifs, ni dans les structures d’accueil des personnes dépendantes.

Et je n’ai pas le sentiment qu’il s’agit seulement d’une question de moyens, car ce qui me semble en cause, c’est le regard que portent les responsables notamment médicaux, sur les personnes qui leur sont confiées. Sous couvert de bienveillance et d’empathie, ils abusent d’un magistère ou d’une prétendue expertise, qui dépossèdent les patients de toute possibilité de demeurer maitres de leur destin…

De mon point de vue, tout se passe comme si les « Droits de l’Homme » perdaient toute validité dès lors qu’on franchit le seuil d’une unité de soins palliatifs ou d’un EHPAD…Tout se passe comme si, les médecins en responsabilité dans ces structures oubliaient le serment d’Hippocrate et n’avaient, pour préoccupation principale, que d’assurer en toute bonne conscience, une bonne gestion des effectifs !

Mon père est ainsi mort de faim et de soif en souffrant le martyr, cinq jours après avoir été hospitalisé (il a juste eu le temps de livrer un court témoignage écrit de sa détresse et sa douleur) et ma mère est morte faute de soins parce qu’un médecin avait décrété, contre son gré, qu’en raison de son veuvage, elle n’avait plus le goût de vivre !

Depuis, j’ai pu observer que nombreux sont ceux qui partagent ce point de vue…

Mon propos rejoint donc celui des députés.

Alors que notre pays se félicite, à juste titre, de l’augmentation de l’espérance de vie, grâce aux progrès de la médecine et aux actions de prévention (dont la vaccination), il serait regrettable que ce bilan soit terni par le manque d’humanisme dont pâtissent manifestement nos grands vieillards en fin de vie…Vous savez, comme moi, qu’on mesure le degré d’une civilisation à la manière dont elle traite ses anciens et dont elle les entoure au moment où ils partent…

Je me tiens bien entendu à la disposition de vos services et de vous-même, pour préciser certains aspects de cette correspondance, étant entendu que mon objectif n’est pas tant de stigmatiser le rôle de certains, que de contribuer – fût-ce modestement – à améliorer une situation qui ne m’apparaît pas humainement satisfaisante. Accessoirement, en souvenir de mes parents qui furent des militants engagés des « Droits de l’Homme »….

Vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien accorder …. »

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Deux photographies…

L’une est datée du 19 décembre 2017: on y voit une vieille femme assise dans un fauteuil roulant qui sourit à l’objectif. Sans doute un peu émue, elle vient d’intégrer, de son propre chef, un  » établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes » (EHPAD) à Massy… En fait, sa dépendance n’est liée qu’à son état physique qui ne lui permet plus, depuis son récent veuvage, de faire face en toute autonomie à l’ensemble des taches domestiques.

Mais son dossier médical, préalable à son admission, renseigné par son médecin traitant et entériné, après examen, par le médecin coordonnateur de la « maison de retraite », indique qu’elle jouit d’un « bon état cognitif », qu’elle n’est en rien désorientée et qu’en outre elle ne souffre d’aucune pathologie dégénérative, chronique ou infectieuse, susceptible de mettre en cause son diagnostic vital ou de porter atteinte à la sécurité sanitaire de l’établissement!

Autrement dit, cette personne, en l’occurrence, ma mère Adrienne Turbelier épouse Pasquier, n’est pas une « résidente à risque » pour l’établissement. Les seuls soins spécifiques qui doivent lui être prodigués sont en lien avec sa mobilité réduite, conséquence d’une ostéoporose ancienne, combinée à son grand âge! La facture de l’établissement en contrepartie de son « hébergement » tient d’ailleurs très largement compte de ce handicap…

A noter au passage qu’eu égard au prix de journée, pratiqué, ce type d’établissement est – de facto – interdit aux gens de condition modeste, qui n’auraient pour tout revenu, que la pension de retraite servie par la Sécurité Sociale! Ce coût le rend également inaccessible aux retraités de classe moyenne, qui ne disposeraient pas d’un patrimoine pour faire l’appoint au-delà de leurs pensions! Et pourtant, les services rendus – notamment médicaux – sont assez loin d’égaler l’excellence de résidences à quatre étoiles! 

L’autre cliché a été pris moins de deux mois plus tard, le 13 février 2018 dans le cimetière sud de Massy: il s’agit de la tombe tout juste refermée de la même personne, Adrienne Pasquier (1923-2018)…

Entre temps, elle est décédée le 6 février 2018 dans un hôpital d’Athis Mons, des suites d’une affection pulmonaire initialement « mal soignée ». Elle y avait été admise le 1er février 2018 en provenance du service des urgences de l’hôpital de Massy où, à la demande expresse de la famille, elle avait été hospitalisée, la veille, en dépit des réticences exprimées par le médecin coordonnateur de l’EHPAD.

Que s’est-il donc passé? Comment en est-on arrivé là?

Tous ceux qui ont connu Adrienne savaient qu’elle n’était pas en proie à la neurasthénie. Qu’elle n’avait nullement le goût du suicide! Tous vantaient sa force vitale exceptionnelle et sa confiance presque ingénue dans l’avenir ainsi que sa farouche volonté de vivre malgré les épreuves de l’existence… Comme tout le monde, elle avait connu la souffrance et parfois le malheur comme la mort de Maurice son époux le 7 novembre 2017 à l’issue d’un cancer incurable et après soixante dix ans d’union fusionnelle. Ou la disparition, il y a sept ans et demi, d’une de ses filles…

Mais jamais elle n’avait songé à renoncer à se battre contre la fatalité et à se laisser mourir, comme l’a suggéré de manière péremptoire et inconvenante, le médecin coordonnateur de l’EHPAD.

Son dossier médical d’admission précisait d’ailleurs qu’elle n’était nullement dépressive, qu’elle ne souffrait pas de crise d’angoisse, ni d’hallucinations, qu’elle n’était pas apathique et que ses « comportements moteurs » n’étaient pas aberrants.

Au contraire même! Ainsi, quelques jours avant l’explosion de sa maladie, elle s’était inscrite à toutes les animations et ateliers ludiques ou éducatifs de la maison de retraite. Quelques heures avant sa mort, alors qu’elle était encore pleinement consciente, elle espérait toujours guérir avec une soif de vivre hors du commun. Malheureusement, compte tenu de son état devenu critique, cette perspective apparaissait illusoire à tous ceux qui l’assistaient, y compris au personnel médical de l’hôpital qui avait néanmoins lutté pied à pied contre un mal envahissant irrémédiablement pour tenter de la tirer d’affaire! De l’avis de tous, cette guerre sans merci contre l’infection bronchique était intervenue trop tard!

Personne, hormis le médecin coordonnateur de la maison de retraite, ne s’était donc cru autoriser à affirmer qu’elle « voulait peut-être partir ». Il est vrai que cette scandaleuse posture faussement compassionnelle de l’impudent thérapeute lui permettait de justifier son inertie et sa démission face à la maladie. Sa passivité à soigner n’avait en effet échappé à personne – même pas à ses confrères et consœurs d’ordinaire indulgents.

Cette indolence coupable de la part d’un praticien pourrait même fonder, selon certains de nos conseils, l’ouverture d’une enquête judiciaire pour présomption d’homicide par imprudence ou négligence ou pour non-assistance à personne en danger … Sans compter une autre, parallèle, diligentée par le conseil de l’Ordre des médecins, pour manquement aux principes de la déontologie médicale et pour reniement du serment d’Hippocrate, et éventuellement un signalement auprès de l’Agence Régionale de Santé !

Même si les reproches semblent patents, il faut néanmoins présumer que l’homme malgré sa désinvolture, fut de « bonne foi »!  C’est l’honneur de notre état de droit et de notre civilisation que de ne pas condamner sans procès équitable …

Pour autant, les différentes étapes de l’agonie de ma mère, dont nous avons maintenant reconstitué avec précision  la chronologie sont indiscutables. Les faits et les propos, dont pour l’essentiel nous fûmes nombreux à être témoins, sont têtus.

Notre mère a présenté les premiers symptômes de sa bronchite le samedi 20 janvier 2018, au travers d’un léger toussotement. Dès le lendemain, deux de ses petites filles qui lui rendaient visite, constatèrent une évolution significative de sa maladie, qui nous a conduit à demander l’intervention, dès que possible, de son médecin traitant. Les relevés téléphoniques attestent que cette requête n’a pas été suivie d’effet. Il a fallu qu’une des filles d’Adrienne, se substituant au service médical défaillant de l’EHPAD, en fasse elle-même la demande…

Toujours est-il que le mardi 23 janvier 2018, ma mère n’avait toujours pas vu de médecin, alors que sa toux était de plus en plus grasse, qu’elle peinait à dégager ses bronches et qu’en outre elle disait souffrir de son dos ! Face à mon insistance, le médecin coordonnateur accepta néanmoins de « l’ausculter ».  pour la première fois.  De mauvaise grâce d’ailleurs car il me fit sentir que c’était un privilège qu’il m’accordait, eu égard à sa charge de travail et au fait qu’il n’était pas censé intervenir !

S’agissant des douleurs lombaires, il dit en s’adressant à ma mère avant même de procéder au moindre examen médical: « C’est la vieillesse, et la vieillesse n’est pas une maladie » !

Ensuite, la faisant asseoir au bord du lit, il s’installa auprès d’elle tandis qu’en toute hâte, il l’examinait avec son stéthoscope porté en bandoulière ! Pour finalement conclure au bout de deux minutes d’investigation : « Tout va bien, il s’agit d’un encombrement mineur des voies aériennes supérieures qui disparaîtra de lui-même, si elle crache » !

Il ne prescrivit rien, en rappelant que ça ne relevait pas de ses compétences et s’en alla… Parvenant à le rattraper dans le couloir, je lui fis admettre du bout de lèvres qu’elle pouvait soulager ses douleurs par l’administration d’un antalgique classique dont il se garda bien de préciser la posologie.

Dans la soirée, ceux qui lui rendirent visite, apprirent qu’elle serait tombée de son lit. Ce que les infirmières contestèrent! Ce qui est sûr en revanche, c’est que c’est la famille qui dut l’aider, ce soir-là, à se nourrir!

Le lendemain  24 janvier 2018, la situation de notre mère ne s’améliorait pas mais, pour les infirmières agissant sous l’autorité du médecin coordonnateur, il n’y avait toujours pas lieu de s’inquiéter… Sa respiration devenait de plus en plus malaisée.

Au total, jusqu’au mardi 30 janvier 2018 – soit dix jours après les premiers symptômes de l’infection – ma mère ne bénéficia d’aucun traitement digne de ce nom, propre à combattre cette inflammation infectieuse des poumons. Inflammation pernicieuse, que n’importe qui aurait pu diagnostiquer… N’importe qui, sauf le médecin coordonnateur de la maison de retraite, qui persistait à se désintéresser de la maladie de ma mère, alors que tous les signaux étaient au rouge… A moins qu’il s’agisse d’incompétence…Ou pire encore!

Le mardi 30 janvier 2018, le médecin traitant put enfin intervenir. « Elle » prit immédiatement la mesure de la gravité de l’infection, confirmant qu’il s’agissait d’une bronchite infectieuse grave, qui, pour des sujets très âgés – comme pour des nourrissons – pouvait se révéler impardonnable! La situation lui apparaissait d’autant plus critique que, dans les dix jours précédents, rien n’avait été entrepris pour la combattre. Même un adulte dans la force de l’âge aurait probablement eu des difficultés à s’en sortir dans de telles conditions.

Elle ordonna immédiatement des antibiotiques et des séances de kinésithérapie respiratoire, ainsi que les examens biologiques qui s’imposaient en fait dès le début !

Cette prescription dictée par l’urgence ne plut guère au médecin coordonnateur de la maison de retraite, qui se considérait, à juste titre, comme désavoué par sa jeune consœur. En présence de la famille, il s’évertua même de la déconsidérer et de lui faire – sans succès – une leçon assez malvenue…

Clairement, s’affrontaient deux conceptions antagonistes de la médecine: d’une part celle incarnée par le médecin traitant qui pensait que son métier consistait à soigner sa patiente, indépendamment de son âge, et d’autre part celle du médecin coordonnateur de la maison de retraite, qui, à l’inverse semblait considérer qu’à partir d’un certain âge, la nature doit faire son œuvre! Cette pétition de principe s’appuie sur une certain nombre de règles prétendument éthiques, rassemblées sous le néologisme « d’humanitude », en vogue actuellement dans nombre d’EHPAD.

Sous couvert du respect absolu de la dignité de chacun des pensionnaires, en particulier de ceux dont on peut penser qu’ils abordent la fin de leur vie, « l’humanitude » qui joue de sa similitude sémantique avec « le devoir d’humanité » revient à confier cyniquement aux médecins coordonnateurs des maisons de retraite, le sort ultime des vieillards! Une sorte d’euthanasie passive sans le consentement des intéressés!

Le mercredi 31 janvier 2018,  l’état de notre mère continuait de se dégrader, sans que l’on puisse apprécier si le traitement préconisé par le médecin traitant avait effectivement été respecté… Elle fut placée sous assistance respiratoire et ne voulut plus ni se lever, ni s’habiller, ni s’alimenter!

En fin d’après midi, à la demande insistante de la famille, elle fut transférée aux urgences de l’hôpital de Massy… On connait la suite!

Il est déjà sans doute trop tard pour espérer éradiquer l’infection! Mais, ce sera tout de même tenté par les médecins hospitaliers, dans la continuité des recommandations du médecin traitant deux jours auparavant!

Faute de soins en temps opportun, elle est finalement morte victime de l’entêtement d’un médecin d’une maison de retraite, qui privilégiait ses folles utopies « régulatrices » et sectaires, à la volonté de ses patients dont , quoiqu’il en dise, il avait la charge sur le plan médical…

En effet, l’article D312-158 du Code de l’action sociale et des familles, qui définit les missions médicales et administratives du médecin coordonnateur, stipule notamment « qu’il élabore le projet de soins de l’établissement, qu’il coordonne le travail de l’équipe soignante et des intervenants libéraux, qu’il veille à l’application des bonnes pratiques gériatriques et participe à l’évaluation de la qualité des soins dans l’institution. »

« En cas d’urgence, il peut s’occuper des prescriptions médicales et octroyer des médicaments aux résidents et il élabore le projet de soins individualisé du résident.  »

Nulle part, il n’est précisé qu’il doit en outre, être l’assistant zélé de la Camarde! Ou la voiture-balai des Enfers…

Le moins qu’on puisse espérer désormais, c’est qu’un inventaire sans complaisance soit effectué des pratiques médicales de celui dans les griffes duquel ma mère a eut la malchance de tomber!

Et que toutes les mesures soient prises à l’issue de ce bilan, pour que ce médecin coordonnateur – ainsi que ses confrères qui seraient tentés de l’imiter – ne puisse poursuivre son action mortifère auprès d’autres résidents sans défense… Pour ma mère, c’est évidemment trop tard, mais si son sacrifice pouvait ouvrir les yeux des responsables, elle ne serait pas morte pour rien…

Militante jusqu’au bout, mais cette fois, malgré elle! Pour l’honneur de notre mère, il était de notre devoir de rappeler le martyr qu’elle dut subir du fait de l’inconséquence meurtrière de certains et de principes pseudo-philosophiques s’apparentant à des tartuferies destinées à donner le change!

Mais au-delà de cette écœurante façade, il y a un vrai débat national à conduire d’urgence, compte tenu de la démographie croissante des grands vieillards! Faute de quoi, la barbarie prendra le dessus car elle est déjà à nos portes…

              Vue de la chambre d’hôpital de ma mère, le 6 février 2018

 

PS: J’ai déjà eu l’occasion de formuler sur ce blog – dans un article du 27 juin 2012 intitulé « Sur les hauteurs d’Arromanches » – tout le mal que je pensais de l’action mortifère de ce pitoyable diafoirus de banlieue, que je tenais déjà à l’époque, pour le principal responsable de la mort d’une autre de mes proches…

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A Angers, il y a exactement quatre-vingt-quatorze ans – le 31 mars 1923 – Adrienne Venault (1894-1973) mettait au monde son premier enfant, né de son union avec Louis Turbelier (1899-1951). L’accouchement eut lieu à leur domicile au premier étage d’un modeste « deux-pièces » sans confort, situé au 20 rue Desmazières.

Y assistaient une sage-femme du quartier, et probablement la future grand-mère Clémence Fradin (1861-1931) veuve Venault qui, habitait avec le couple depuis leur mariage en 1921.

Ce jour-là, la presse locale rapporte que la Loire et la Maine étaient en crues, sous l’effet des giboulées de mars!

20 rue Desmazières – photo JLP années 70

L’enfant, une petite fille, fut déclaré(e) à la mairie d’Angers deux jours plus tard, sous le nom d’Adrienne, Marie-Louise, Joséphine Turbelier... Pourquoi deux prénoms sur trois se référant à la légende napoléonienne? Nul ne sait!

En tout cas, conformément à l’usage – et peut-être une circulaire administrative – Le Petit Courrier, le quotidien républicain de l’Anjou à l’époque – fit mention de cette naissance dans son encart consacré à l’état-civil, le mercredi 3 avril 1923… Ce jour-là, les annonces cohabitaient sur la même page que les programmes des cinémas.

Ainsi on prenait connaissance d’un seul coup d’œil, des variations heureuses ou malheureuses de l’état-civil urbain et des nouveautés cinématographiques diffusées au Cinéma Palace en centre ville. Dans les actualités Pathé, on pouvait ainsi noter un documentaire sur les obsèques de la grande actrice Sarah Bernhardt, décédée quelques jours auparavant à Paris…

                               AD 49

L’enfant avec un nœud dans les cheveux, qui, sur le cliché de 1924 ci-dessous, snobe le photographe dans les bras de sa mère, juste devant son père coiffé comme Marcel Proust, c’est la petite Adrienne. Une fois grande et devenue amoureuse, elle devint mère. Disons-le clairement: la mienne et celle de mes sœurs!

Aujourd’hui, elle poursuit, bon œil mais moins bon pied, son dialogue avec le monde: un parcours sans faute sur notre étrange planète bleue, entourée d’un nombre désormais presque incalculable d’arrière-petits-enfants ! Et pour longtemps encore…

Bon anniversaire maman...

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