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Archive for the ‘Les guerres de Vendée’ Category

Le 28 février 1835, Michel Châtaigner ancien sergent dans l’armée « vendéenne » du général Charles-Melchior -Arthur de Bonchamps ( 1760-1793) mourait au petit matin en son domicile de Saint-Florent-le- Vieil en Anjou. La déclaration en fut faite dans la journée au maire de la commune en personne, Joseph Auguste Cesbron de la Guérinière, par le gendre du défunt, Jean Fouassier, accompagné d’un jeune instituteur Etienne Lardin.

Michel Châtaigner âgé de soixante dix sept ans révolus, était charcutier. Profession qu’il exerçait peut-être encore à son décès.

En soi, cet événement, auquel on pourrait ajouter quelques dates ou éléments biographiques, dénichés dans les registres d’état civil de la commune ou de la paroisse de Saint-Florent-Le-Vieil, où il était né le 8 avril 1757, ne justifierait pas que je lui dédie un billet, surtout dans le contexte actuel de guerre.

Il y a mieux à faire que de s’intéresser au trépas d’un homme disparu, il y a cent-quatre-vingt sept ans, jour pour jour, dont, en outre, le destin semble assez banal. Du moins en apparence!

En fait, plusieurs motifs m’incitent, malgré tout, à le faire – succinctement – dont un qui, quoiqu’on en pense n’est pas si éloigné de la tragédie actuelle du peuple ukrainien agressé par l’armée russe. En effet, Michel Châtaigner fut non seulement un témoin mais également un acteur d’un drame survenu pendant la Révolution française dans les provinces de l’Ouest, celui des « Guerres de Vendée » de 1793 qui endeuilla l’Anjou ainsi qu’une partie du Poitou.

Ces guerres nées d’une révolte « spontanée » des paysans de l’Ouest donnèrent lieu à des massacres, presque à un génocide perpétré par les « colonnes infernales » envoyés depuis Paris par la Convention, pour réprimer sans pitié les populations mâter les populations locales après la déroute des armées vendéennes en décembre 1793 dans les marais de Savenay.

Que demandaient ces « gueux » et ces ‘bandits » de la Vendée? Ils refusaient la conscription obligatoire de tous les hommes, décrétée par la Convention pour aller combattre aux frontières, et ils souhaitaient conserver les traditions et la foi, religieuse de leurs aïeux.

Michel Châtaigner fut certainement associé à la plupart de ces épisodes sanglants mais son nom reste surtout attaché à la mort du général Bonchamps. Selon une tradition orale au sein de ma famille, il aurait assisté aux derniers instants de Bonchamps, le 18 octobre 1793 au hameau de La Meilleray sur la rive droite de la Loire en face Saint-Florent-le-Vieil, dans la maison d’un pêcheur nommé Bélion.

Le général, dans l’armée duquel Michel Châtaigner servait comme sous-officier, avait été mortellement blessé lors d’une bataille le 17 octobre 1793 devant Cholet. Il avait été transporté mourant jusqu’à Saint-Florent où s’était repliée son armée dans le but de traverser le fleuve et de rallier la Bretagne à sa cause. Avec « d’infinies précautions » on l’avait porté à bord d’une barque légère vers le lieu de son dernier soupir!

Son armée qui battait en retraite après avoir été défaite, trainait avec elle cinq à six mille prisonniers républicains dont on ne savait que faire et qu’on envisageait même d’exécuter. Bonchamps s’opposa à ce funeste dessein et sur son lit de mort exigea leur grâce. Ce dernier ordre, dont Michel Châtaigner aurait été le témoin, fut effectivement respecté à la lettre et aucun soldat républicain ne fut passé par les armes.

A la lecture de ce qui précède, on aura compris que parmi mes motifs d’intérêt pour Michel Châtaigner, il y a son lien d’appartenance à ma parentèle. En fait, il s’agit d’un de mes oncles par alliance au sixième degré. Sa première épouse Renée décédée en 1787 était la sœur d’une de mes aïeules maternelles, Françoise Robineau (1752-1811), l’arrière grand-mère d’un de mes arrière grands-pères Alexis Turbelier (1864-1942).

Par ailleurs, c’est le seul personnage de ma famille, dont on possède un portrait d’époque.
Ce portrait fut réalisé par Pierre-Jean David d’Angers (1788-1856), sculpteur et médailleur dont le père figurait parmi les prisonniers républicains sauvés par Bonchamps agonisant.

En remerciement, il « croqua » de nombreux soldats de l’armée de Bonchamps dont notre Michel, et surtout il sculpta le monument du général au dessus de son catafalque dans la nef de l’église abbatiale de Saint-Florent-le-Vieil.

Michel Chataigner, quant à lui, fut inhumé dans le cimetière de Saint-Florent après que son cercueil eut certainement transité en cette fin d’hiver 1835, devant le monument funéraire de son ancien chef!

Il y a quelques années, arpentant le cimetière à la recherche de sa tombe, je n’ai pas su l’identifier! Peut-être, malgré tout, persiste t-il à hanter les lieux, les soirs d’été, discrètement, parmi les feux-follets!

PS: Accessoirement, il faut rappeler que le fronton du Panthéon à Paris est l’œuvre du sculpteur angevin David d’Angers.

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Il y a cent-quatre-vingt ans, le 6 décembre 1841 un de mes aïeux au cinquième degré, Mathurin Jean Turbelier, décédait en son domicile au lieu-dit le Cossardier à Nort-sur-Erdre, dans le département de la Loire « Inférieure ». Né le 6 mars 1801 à Montrelais, un village minier situé en amont sur la rive droite de la Loire, il n’était âgé que de quarante-et-un ans.

C’était donc en principe un homme « dans la pleine fleur et force de l’âge » qui mourait, peut-être des suites d’un accident, mais plus probablement d’une maladie contagieuse car sa mère, Marie Gatel, qui souffrait sans doute du même mal, disparaitra septuagénaire moins de dix jours plus tard, le 15 décembre 1841 au lieu-dit du Plessis-Martin dans la même commune de Nort-sur-Erdre.

Mathurin était marié à Louise Desvignes (1792-1863), dont il fut question ici à plusieurs reprises. Et il était en outre, père de trois enfants vivants, trois adolescents, dont, fait assez rare, deux d’entre eux, bien que frère et sœur non incestueux, furent tous les deux, mes ancêtres directs au quatrième degré.

L’acte de décès de Mathurin Jean, établi le lendemain par l’adjoint au maire de Nort-sur-Erdre précisait qu’il était forgeron. Pourtant, quelques années auparavant lors de son mariage le 22 janvier 1823 à Montjean-sur-Loire, le métier mentionné était celui de « taillandier ».

En fait, un « taillandier » – selon le dictionnaire des mots du passé de l’historien du monde rural Marcel Lachiver (1934-2008) – était un artisan qui fabriquait des « œuvres blanches » c’est-à-dire de gros outils « à fer tranchant », tels que des haches, des cognées ou encore des faux pour les charrons, les laboureurs et les charpentiers.

Autrement dit, le taillandier était bien un forgeron, mais un forgeron spécialisé. Et s’agissant précisément de Mathurin Jean Turbelier, d’un forgeron qui, selon toute vraisemblance, était employé aux Mines de Languin à Nort-sur-Erdre. Lesquelles se trouvaient à l’extrémité ouest du sillon houiller de la Basse Loire, exploité de part et d’autre du fleuve depuis le milieu du dix-huitième siècle.

Le père et les deux grands-pères du défunt avaient d’ailleurs été tous les trois ouvriers de la mine de charbon à Montrelais tantôt comme charpentiers étayant les galeries souterraines, tantôt comme mineurs en front de taille, comme machinistes ou même comme palefreniers chargés de panser les pauvres chevaux qui vivaient en permanence dans l’obscurité au fond des mines et tiraient les wagonnets de houille ou d’anthracite vers la surface. A tout le moins, des lieux d’abattage du charbon jusqu’au remonte-charge.

Son fils, Mathurin Julien Turbelier (1825-1896), fidèle à la tradition de ses pères, sera lui-même perreyeur dans les carrières de Montjean-sur-Loire sur la rive gauche.

Quoiqu’il en soit, l’infortuné Mathurin Jean Turbelier, trop prématurément disparu, n’occuperait qu’une petite place, assez anecdotique, dans les hautes ramures de mon arbre généalogique, si le hasard ou – qui sait – la nécessité, voire les deux – ne l’avaient placé à la croisée d’au moins trois des traditions séculaires, qui ont structuré et probablement influencé durablement ma lignée maternelle.

Tout d’abord, un long passé minier de la famille, remontant aux prémisses de l’exploitation du bassin houiller de la Basse Loire, comme en témoigne la présence aux abords des concessions d’exploitation minière entre Montrelais, Varades et Saint-Herblon – et ce depuis la nuit des temps – de plusieurs membres de la famille paternelle de Mathurin Jean Turbelier mais également de sa parentèle maternelle.

En second lieu, du fait de son mariage avec Louise Desvignes fille d’un voiturier par eau, condamné à mort comme « rebelle de la Vendée » par le tribunal révolutionnaire d’Angers et fusillé sur les rives de la Loire en janvier 1794, Mathurin Jean Turbelier a fait totalement sienne, la tragédie de la Vendée militaire dans laquelle plusieurs de ses proches avaient déjà été impliqués au début du soulèvement en mars 1793 à Saint-Florent-le-Vieil ou Saint-Laurent-du-Mottay. Par son intermédiaire ou, si l’on préfère, par sa médiation consciente ou non, c’est l’insurrection catholique et royale contre la Convention jacobine, qui s’invite donc dans l’histoire et l’hagiographie familiales, avec tous les drames qui s’ensuivirent et le culte des martyrs de la cause, qui colonisa les mémoires jusqu’au milieu du vingtième siècle. En particulier, la pieuse célébration du « bienheureux  » Noël Pineau, curé réfractaire du Louroux Béconnais, décapité place du Ralliement à Angers en février 1794… Celle également des fusillades d’Avrillé au cours du triste hiver 1794.

Celle enfin des colonnes infernales qui décimèrent les populations de la Vendée, de l’Anjou et d’une partie du Poitou après la déroute de l’armée vendéenne à Savenay à l’automne 1793.

La répression cruelle des insurgés des guerres de Vendée n’épargna pas les mines, comme en atteste la condamnation à mort en 1794, par la Commission militaire d’Angers, de François Aubry, caissier des mines de Montrelais et d’Etienne Misset, « inspecteur général des mines de France », convaincus d’avoir pris et fait cause pour les « brigands »!

Il n’est pas douteux que la dissidence affichée en 1906 par mon arrière grand père Alexis Turbelier (1864-1942), descendant direct des Turbelier précités, lors de l’inventaire des biens du clergé dans l’église de la Madeleine d’Angers, en application de la loi séparant les Eglises et l’Etat, a pour lointaine origine un profond ressentiment à l’égard de la République. Lequel prend certainement source dans l’épisode douloureux des guerres de Vendée sous la Révolution française et dans les rancœurs qu’elles ont suscitées au sein des familles des victimes sauvagement réprimées par les armées républicaines. Deux ou trois générations ne suffirent pas à absoudre la République des crimes commis que d’aucuns, non sans motif, assimilèrent à des génocides. En tout cas, ça y ressemblait étrangement! Dans ces conditions, qui pourrait blâmer les descendants des nombreux sacrifiés de garder vive une mémoire de ces exactions et de manifester un siècle après le drame, leur mécontentement à l’égard d’un Etat républicain qui n’a pas su, le moment venu, faire amende honorable.

Il a fallu plus d’un siècle de non-dits pour y parvenir.

Républicain sans état d’âme et militant inconditionnel des Lumières, promues par la Révolution de 1789, j’eus néanmoins la surprise de constater dans les années soixante-dix du siècle dernier, la réticence voire la douleur résiliente de la plupart des habitants rencontrés aux Lucs-sur-Boulogne, un village de Vendée, pour évoquer face à « l’étranger » que j’étais, le massacre à coups de canon de plus cinq cents des leurs, enfermés dans l’église, le 28 février 1794, par les colonnes infernales du sinistre général Turreau de Lignières.

Enfin, le dernier élément de tradition dont Mathurin Jean Turbelier est « le passeur » par son ascendance maternelle, celle de sa mère Marie Gatel (1771-1841): c’est celle de ces paysans pauvres, émigrés des Portes de la Bretagne, majoritairement natifs de la région de Fougères, de la Chapelle-Janson ou de Fleurigné, en Ille-et-Vilaine, qui vinrent s’installer en Anjou dès la fin du dix-huitième siècle pour travailler dans les mines de charbon et de métaux du Val de Loire, dans les Mauges et dans le Haut Anjou, puis dans les carrières de schistes, notamment aux ardoisières de Trélazé ou de Noyant-la-Gravoyère.

Je ne sais finalement pas grand chose de Mathurin Jean Turbelier, mon ancêtre. Pas de gravure le représentant, rien sur son niveau d’instruction, sur ses goûts, sur ce qu’il pensait ou sur ce qu’il croyait. Et pourtant, il se pourrait que je lui doive, de concert avec sa nombreuse postérité, plus que je ne l’imagine dans ma manière d’appréhender le monde et mon environnement.

Dans une France et une province qui, à son époque, étaient essentiellement rurales, il fait un peu figure d’exception en n’exerçant pas prioritairement un métier agricole. En ce temps-là, le progrès était incarné par les richesses minières qu’on supposait sans limite. Et à bon droit, car ce sont à elles que nous devons le progrès industriel qui a fait notre fortune collective en dépit de criantes inégalités.

Certes, notre vision de l’existence du fait notamment de la raréfaction des ressources fossiles, est désormais différente de la sienne. Certes, à l’inverse de lui, je préfère la physique à la métaphysique, et je m’efforce de privilégier la raison sur la pensée mystico-religieuse, mais, en nous-mêmes, quelque part enfoui, subsiste un soupçon de nostalgie de cet essor « magique » de l’avant-dernier siècle, dont les mines furent l’incarnation, malgré les risques, les injustices de condition et les malheurs infligés aux mineurs qui extrayaient la richesse minérale.

Les mines demeurent aussi le symbole de la solidarité ouvrière d’antan.

Telles sont les raisons pour lesquelles Mathurin Jean Turbelier occupe une place singulière dans mon (notre) patrimoine mémoriel familial. Lui qui en son temps, quelques années, avant la publication du rapport accablant du docteur Villermé sur le travail des enfants, à dû descendre au fond des galeries, dix à douze heures par jour, dès l’âge de treize ans!

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Il y a cent-cinquante huit ans, le mardi 10 mars 1863 s’éteignait à « l’hospice civil d’Angers » Louise Perrine Desvignes.

Hôpital St Jean – Collection iconographique – Célestin Port -AD 49

L’acte de décès établi deux jours plus tard par un adjoint au maire d’Angers sur la déclaration de « deux domestiques » de l’hospice précise qu’elle était « ménagère » et âgée de soixante seize ans! En réalité, elle n’avait que soixante et onze ans comme en atteste son acte de baptême en l’église Saint-Maurille de Chalonnes-sur-Loire où elle a vu le jour le 2 février 1792.  Cette erreur administrative n’a pas en soi une grande importance, mais elle incarne, comme en point d’orgue, le destin décalé de cette pauvre Louise, discrète et oubliée, qui a du affronter, au cours de son existence, de multiples et cruelles épreuves. Et ce, de sa tendre enfance pendant les « guerres de Vendée » sur la rive gauche de la Loire en contrebas de la Corniche angevine jusqu’à cet ultime jour de 1863.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la fatalité ne l’a guère épargnée…

La liste des drames intimes qu’elle dut surmonter – du moins ceux que l’on connaît – est assez impressionnante. Pour autant, je ne lui avais jamais consacré jusqu’à ce jour, d’article spécifique, alors que j’ai évoqué ici la plupart des siens, notamment ses infortunés parents ainsi que sa descendance à laquelle j’appartiens au cinquième degré par ma mère. Doublement même, puisque, deux de mes arrière-grands-parents, Alexis Turbelier (1864-1942) et Augustine Durau (1867-1941), ses petits-enfants, se sont mariés alors qu’ils étaient cousins germains. 

Ainsi, parce qu’elle était peut-être trop effacée, l’histoire familiale avait presque oublié son nom. Et elle s’est injustement retrouvée dans « l’angle mort » – si j’ose dire! – de mes petites chroniques alors qu’elle fut le témoin mais aussi l’actrice à son insu, et surtout une des victimes des tragiques désordres des siècles précédents, à commencer par les affrontements fratricides et même génocidaires des guerres de Vendée de 1793 et 1794, qui la privèrent de son père et réduisirent sa mère à la misère.

Par la suite, elle connut bien d’autres drames et partagea avec son mari charpentier puis forgeron des galeries et carrières de charbon, la dure condition ouvrière des mineurs du Bassin de la Basse Loire au dix-neuvième siècle, au chevalement de la Tranchée à Montjean-sur-Loire, en passant par Chalonnes jusqu’aux puits de Languin au nord-ouest de Nort-sur-Erdre sur la rive droite de la Loire; les lieux de naissance de ses quatre enfants s’alignant en surface sur l’axe des affectations paternelles, autrement dit, sur le sillon houiller souterrain à cheval entre le Maine-et-Loire et la Loire Atlantique.

Bassin Houiller – Source Wikipédia

A l’issue d’une vie de labeur, ponctuée de nombreuses déconvenues et de phases douloureuses, elle mourut probablement assez seule et quasi-indigente à Angers.

Il fallait donc réparer (un peu) ce délit mémoriel d’ignorance! 

Ce qui, bizarrement, a attiré mon attention sur son sort – outre l’anniversaire de son décès signalé par les logiciels généalogiques qui traquent désormais nos aïeux avec le même zèle intrusif que nos modernes réseaux sociaux lorsqu’il s’agit de dénicher d’improbables amis – c’est une information chinée dans la presse de ma ville natale d’Angers, aux termes de laquelle un centre de vaccination contre le Covid 19 avait été ouvert en ce début d’année 2021 aux « Greniers Saint-Jean ».

La distance entre les greniers Saint-Jean et l’ancien hôpital éponyme de la cité n’excède guère une lieue d’Anjou. Je l’ai hardiment franchie et même, par l’esprit, carrément annulée dans ma hâte à ressusciter ma lointaine aïeule.   

En effet, c’est probablement dans l’hôpital Saint Jean, joyau de l’architecture gothique hospitalière du Haut Moyen Age que Louise Perrine  Desvignes rendit l’âme. Jusqu’à la fin du second empire, avant que l’actuel hôpital ne prenne le relai, il fit office d’hospice civil de la ville.

Incidemment, c’est dans ce lieu où jadis furent accueillis tant de malades incurables, de lépreux et de pestiférés et qui a résonné pendant des siècles, des plaintes et de la souffrance des agonisants, qu’est exposé de nos jours  » Le Chant du Monde », ce flamboyant ensemble de tapisseries du peintre, céramiste et licier Jean Lurçat (1892-1966)…

J’ignore évidemment ce qui a motivé le choix des Greniers Saint-Jean pour l’administration des vaccins, que j’associe un peu promptement à celui de l’hôpital pour le Chant du Monde. En fait dans les deux cas, j’y vois le symbole d’une renaissance. J’y vois le défi de la vie face à la mort. Une mort qui rôde depuis des siècles dans ces parages sans jamais être parvenue à prendre le dessus. J’y vois enfin un présage d’optimisme conforme au message de modernité que nous délivre encore aujourd’hui l’œuvre de Jean Lurçat. 

Prenant acte des crimes et des épreuves qui ont endeuillé l’histoire du monde, Lurçat conçoit en effet son travail comme un enjeu d’intelligence et de confiance dans l’avenir mais aussi dans la capacité de l’humanité à dominer ses contradictions, ses malheurs et ses pulsions destructrices. A cette fin, l’artiste use de l’exubérance de sa palette de couleurs, de l’harmonie qu’elle suggère et de la poésie qui en émane et qu’elle exprime au-delà des mots.    

Bien avant de servir d’écrin au Chant du Monde, la magie de l’architecture gothique angevine embellissait déjà ce lieu à la fois funeste et inspirant, où l’espoir et le désespoir ne cessèrent jamais d’alterner. Elle fut peut-être un réconfort pour la « petite lingère » Louise Perrine, quand elle fut admise ici par une nuit sans lune, un certain huit janvier 1863.

Très mal en point et convoyée depuis son taudis de la rue Chef-de-Ville sur une charrette brinquebalante tirée par des voisins compatissants par les ruelles pavées des faubourgs Saint-Jacques et Saint-Nicolas, elle entrevit sûrement dans ses ultimes instants de conscience,  la magnificence de l’art ogival des Plantagenet, incarné par les élégantes voûtes de la grande salle des mourants. Comme un avant-goût du Ciel, auquel elle croyait pouvoir prétendre comme épilogue d’une vie difficile. Pour elle, il n’y avait sûrement pas d’autre option pour survivre que d’implorer le Ciel, fût-ce à mauvais droit, car il l’avait si souvent oubliée!

Pour la forme, imaginons-la quand même, en cet instant où elle s’apprête à plonger dans le néant! Imaginons-la, transfigurée par l’esthétique du lieu, abandonnant toute rancœur à l’encontre d’un créateur sourd et absent, qui ne lui avait vraiment pas fait de cadeau!

Je n’approuve pas mais je comprends.   

La lingère – Léon Delachaux (1860-1919)

Mis à part les éléments d’état civil qui franchissent les siècles, et dont témoignent les archives communales et départementales, cinq ou six générations suffisent à effacer toute trace ici-bas d’un quidam de basse condition. A fortiori s’il s’agit d’une femme de milieu pauvre, qui n’a pas eu la chance de croiser la route d’un peintre amoureux pour en dresser le portrait. De surcroît, les premières photographies ou les daguerréotypes, plus démocratiques, ne fixèrent des visages de femmes du peuple que dans le dernier quart du dix-neuvième siècle.

Louise Perrine n’était déjà plus de ce monde. 

Il s’agit là d’une inégalité de « genre » ( comme on dit maintenant quand on est « branché » féministe/écolo ou qu’on veut le paraître).  Car s’agissant des hommes, les registres militaires (registres de matricules) renseignés lors de la conscription en précisent les principales caractéristiques morphologiques à partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle et même avant pour ceux ayant participé à l’épopée du premier empire. 

Pour une femme, il n’y a que l’imagination du narrateur qui puisse combler cette absence de données, et l’interprétation qu’on peut attribuer aux documents administratifs la concernant, abandonnés ici ou là dans un contexte historique donné.

On ne sait donc rien des traits du visage d’une femme, ni de sa taille ou de sa beauté et plus généralement de sa prestance avant la fin du dix-neuvième siècle, sauf bien entendu si elle appartient à l’aristocratie ou la bourgeoisie manufacturière du capitalisme naissant et que son portrait couvre les murs du salon de musique de la propriété familiale.  

Pour Louise Perrine Desvignes, ce n’était pas le cas. Point de lambris dorés remontant à la nuit des temps, point de galeries d’ancêtres, point de salon, point de castel. Point d’écrits de sa main non plus, car elle ne savait ni lire, ni écrire. On en est réduit à des conjectures parfois hasardeuses en postulant par exemple que l’époque particulièrement troublée qu’elle traversa, fut certainement déterminante pour elle, amplifiée par une insigne malchance qu’imposèrent certaines circonstances a priori imprévisibles, comme le décès brutal de certains de ses proches encore jeunes.  

Louise Perrine naquit à Chalonnes-sur-Loire le 2 février 1792. Elle était la seconde enfant d’une fratrie de trois sœurs, composée d’une sœur ainée, Jeanne, née en 1790 à Chalonnes-sur-Loire et d’une cadette Marie née en 1793 à Saint-Aubin-de-Luigné, un village rural de la rive gauche de la Loire, traversé par le Layon, où résidaient ses grands-parents paternels et où leur mère Magdeleine Vigneau (1761-1836) s’était réfugiée avec ses filles quand leur père Jean Desvignes (1762-1794) eut rejoint les rangs des insurgés vendéens.

A la naissance de Louise Perrine, les parents Jean et Magdeleine étaient en couple depuis le 11 août 1789. Jean exerçait la profession tantôt de « garçon marinier », tantôt de « voiturier-par-eau ». Bref de batelier sur la Loire…  

En cet hiver 1792, la région – les Mauges – au sud-ouest de l’Anjou sur la rive gauche de la Loire entre Angers et Ancenis était encore relativement calme. Elle n’était pas à feu et à sang, mais déjà de sombres nuages annonciateurs de la révolte vendéenne du printemps 1793 s’accumulaient dangereusement.

La « Constitution civile du clergé » promulguée en Juillet 1790 avait en effet indisposé ce pays de forte tradition religieuse. La majorité des prêtres et des clercs étaient devenus « réfractaires » , refusant de prêter serment à la dite Constitution. 

En outre, au début de l’année 1792, la monarchie vacillait et la marche vers sa disparition et l’instauration de la République était engagée. Dans l’ouest, face aux insoumissions croissantes, la pression et la répression du pouvoir central s’accentuèrent vers les curés mais aussi vers les villageois qui les protégeaient. Par provocation autant que par souci de rétablir l’ordre, l’Assemblée Constituante avait décrété une loi d’exil prescrivant la déportation des prêtres insoumis. 

Dans ces conditions, les populations de l’Ouest notamment de l’Anjou, du Poitou et du Bas-Maine, initialement plutôt favorables aux acquis et promesses de la Révolution manifestèrent alors explicitement leur désapprobation en organisant des messes clandestines et en cachant les curés insubordonnés. Mais, ce qui mit le feu aux poudres, outre l’exécution du Roi le 21 janvier 1793, ce fut la réquisition de 300000 hommes décrétée par la Convention pour combattre aux frontières les troupes des monarchies européennes coalisées pour écraser la Révolution Française. 

Le début de l’insurrection « vendéenne » armée débuta en mars 1793 dans la région de Saint-Florent-le Vieil. On peut légitimement présumer que le père de Louise Perrine, Jean Desvignes (1762-1794), batelier de Loire, donc essentiel d’un point de vue logistique aux mouvements des bandes armées de part et d’autre du fleuve, fut immédiatement favorable aux rebelles. En tout cas, il fut certainement de ceux qui offrirent leurs services à l’armée catholique et royale pour l’aider à franchir le fleuve en octobre 1793 et entamer sa funeste « Virée de Galerne », qui aboutira au désastre et au massacre impitoyable par les troupes républicaines des derniers insurgés de la « Vendée militaire » dans les marais de Savenay en Loire Atlantique en décembre 1793. 

Jean Desvignes fut arrêté chez lui à Chalonnes à la fin du mois de décembre 1793 et emprisonné à Angers. Il fut condamné à mort par un jugement expéditif d’une commission militaire et exécuté dans des conditions barbares par fusillade dans les prairies de Sainte Gemmes sur les bords de Loire avec quinze cents autres compagnons suppliciés. 

Ainsi Louise Perrine avait tout juste deux ans quand elle devint orpheline de père. Un père qu’elle avait vu partir à pied, les mains liées attaché à une corde, entre deux gendarmes à cheval. Sa sœur Marie n’était âgée que de quatre mois!

Un père sans sépulture qu’elle ne revit pas, car les « valeureux » révolutionnaires laissèrent leurs dépouilles pourrir et flotter au fil de l’eau jusqu’à ce que des paysans des Pont-de-Cé ou de Bouchemaine, pris de compassion, en inhumèrent nuitamment quelques uns! 

La vie par la suite ne fut pas facile pour les trois filles en très bas âge, et surtout pour leur mère Magdeleine Vigneau qui vécut alors de mendicité et de quelques travaux de fileuse de chanvre à façon. Comme domestique aussi, dans les fermes, dans les champs et sur les coteaux au moment des moissons ou des vendanges.

Peu ou prou proscrite et soupçonnée de complicité avec les rebelles vaincus, Magdeleine sombra dans une période de grande misère, et en situation de semi-clandestinité.

Pendant plusieurs années, on ignore même ce qu’elle devint et même où elle résidait. En 1812 et 1813, on la retrouva dans la banlieue d’Angers où elle fit établir deux actes de notoriété et un acte d’indigence par le commissaire de police de la ville. Une modeste pension des survie lui fut allouée en 1818 au nom du roi. 

Bien sûr, aucune des trois filles ne fréquenta un quelconque établissement scolaire… 

Les deux sœurs de Louise Perrine, Jeanne et Marie, se marièrent à Montjean-sur-Loire en 1814 et 1813, l’une avait vingt ans l’autre vingt-quatre. Louise Perrine Desvignes fut la moins précoce: elle ne convola « en justes noces » qu’à trente et un ans révolus le 22 janvier 1823 à Montjean avec Mathurin Jean Turbelier (1801-1841) charpentier/forgeron aux mines, de neuf ans son cadet. 

L’acte de mariage indique qu’à ce moment-là, elle était lingère.  

De cette union qui inaugura certainement la période la plus heureuse de sa vie, naquirent quatre enfants: le 24 janvier 1824 à Montjean une fille Marie Emerance, puis le 16 février 1825 Mathurin Julien, Victoire en 1829 et enfin à Nort-sur-Erdre en 1832 Françoise Félicité Turbelier… 

Le bonheur fut malheureusement de courte durée, puisque le 28 aout 1832, Marie Emerance, sa petite fille, décède à l’âge de huit ans, peut-être victime de l’épidémie de choléra qui sévissait alors en France et dans l’Ouest. Et ce, jusqu’au terme de l’automne de cette année-là.  

Quatre plus tard en 1836, c’est sa propre mère – sa mère « courage » – la veuve du fusillé de Saintes Gemmes – qui s’en alla à son tour. Elle avait soixante quinze ans.

Mais le comble de la détresse interviendra le 6 décembre 1841 quand le mauvais sort de nouveau s’acharnera sur elle, et de la manière la plus cruelle qui soit, pour une mère de famille d’enfants encore en bas âge. Cette fois, c’est son mari Mathurin Jean, tout juste âgé de quarante qui meurt à Nort-sur-Erdre.

S’agissait-il d’un accident de la mine? Chacun sait qu’à l’époque, la mortalité au travail était importante, surtout dans les galeries souterraines en front de taille où les mesures de sécurité étaient lacunaires voire carrément inexistantes. Rares étaient les familles de carriers, de mineurs ou de métiers intervenant au fond, qui n’étaient pas endeuillées. C’est l’hypothèse la plus plausible pour expliquer le décès si jeune et brutal de Mathurin Jean Turbelier. Ce n’est cependant pas la seule puisqu’il est avéré aussi que quelques jours après la disparition de son fils, Marie Gatel, sa propre mère mourut! De chagrin? d’épidémie? Du fait du hasard? Nul ne saura jamais… 

Louise Perrine Desvignes traina encore sa misère pendant les vingt années qui suivirent, élevant péniblement ses enfants. La suite montra qu’elle s’en acquitta honorablement.

Ultérieurement, on la retrouva de temps à autre, mentionnée dans des actes d’état civil. Elle est manifestement présente et consentante au mariage de son fils Mathurin Julien à Montjean le 27 novembre 1848. Progressivement, silencieusement elle devint invisible. 

On ne connaitra jamais le visage de Louise Perrine Desvignes. On ne verra jamais son sourire. On ne mesurera jamais sa tristesse ni a fortiori la joie de vivre qui lui a été confisquée dès ses premières années. On n’entendra jamais le son de sa voix. On sait en revanche qu’elle dut vivre dans le souvenir des atrocités commises au nom de la République par les colonnes infernales de soudards envoyés par la Convention pour mâter le Vendée Militaire.

On sait que ce véritable génocide est l’objet depuis plus de deux siècles d’un insupportable déni officiel et que ses stigmates indélébiles hantèrent tous les survivants, dont les enfants des victimes, qui miraculeusement survécurent. Louise Perrine et ses sœurs étaient de celles-là. 

Des cicatrices invisibles mais réelles demeurent, peut-être même chez leurs lointains descendants, fussent-ils aujourd’hui d’ardents républicains! 

Si le devoir de mémoire existe – ce qui peut se discuter – il existe pour tous, y compris pour ces gens-là, victimes de l’histoire et de la folie de leurs semblables.  

Disons qu’à l’adresse de celles et ceux qui ont hérité de quelques-uns de ses gènes, je me suis efforcé – maladresses incluses – de faire le job, c’est-à-dire de rendre à Louise Perrine Desvignes, un peu de cette justice dont, de son vivant, elle a du ignorer le sens et la portée! 

Acte de décès de Louise Desvignes – 1863 Angers- AD49

 

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Notes 

Articles de ce blog, dédiés à Jean Léon Desvignes, père de Louise Perrine Desvignes épouse Turbelier:   

  • L’infortuné Jean Desvignes (1762-1794) voiturier par eau et « brigand » de la Vendée – 11 mars 2013
  • Janvier 1794: une dernière image, le dernier regard de Jean Desvignes – 8 juin 2013

Article dédié à Françoise Félicité Turbellier, fille de Louise Perrine Desvignes: 

  • Des mines de la Basse Loire à la Chouannerie, l’héritage de Françoise Félicité Turbellier (1832-1895) – 22 décembre 2019

Article dédié à deux arrière petits enfants de Louise Perrine Desvignes

  • Artiste et Patriarche: Alexis Turbelier (1864-1942) – 10 octobre 2011
  • Discrète, tenace et efficace « Grand-mère Augustine » Durau (1867-1941) – 19 septembre 2011

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Des quatre enfants (Marcel, Renée, Maurice et Jean) de Marcel Pasquier (1892-1956) et de Marguerite Cailletreau (1897-1986), mes grands-parents, il était le dernier survivant.

A son tour, Jean Pasquier s’est donc éteint ce lundi 3 février 2020 au petit matin à son domicile du quartier de la Madeleine à Angers…

Discrètement, il s’en est allé! Sobrement, dignement, comme il avait vécu….

Jean en 2016

Jean en 2016

Fils cadet d’une fratrie, composée de trois garçons et d’une fille, il avait été orienté par ses parents – certificat d’études en poche – comme ses frères aînés, Marcel et Maurice, vers les métiers de l’ajustage.

C’était dans les années quarante du siècle dernier. Le grand-père y voyait-là, parait-il, l’expression d’une stricte égalité entre ses enfants! A l’exemple de mon père, il s’accommoda de ce choix, qu’il fit sien sans mauvaise grâce. Il l’aima sûrement car il lui permit de gagner honnêtement sa vie ! Il en fut fier et, à bon droit…

1943 – La fratrie au complet avec les parents au mariage de Renée. Jean à droite

Tous ceux qui le croisèrent à cette époque et ultérieurement en apprentissage et dans les ateliers, témoignèrent en tout cas de sa très grande compétence professionnelle que sanctionna un titre de meilleur jeune ouvrier de Maine-et-Loire. Tous attestèrent du talent qu’il manifesta durant sa carrière dans l’exercice de son métier. Tous s’accordèrent sur son niveau d’excellence dans la pratique de l’ajustage et de l’outillage de précision.

Niveau qui lui valut non seulement l’admiration de ses collègues d’atelier et de ses pairs, mais également la reconnaissance de ceux qui l’employaient.

Ces atouts et sa compétence étaient d’ailleurs indispensables dans les secteurs industriels où il travailla, en particulier chez le fabricant d’appareils photographiques – Alsaphot devenu Alsetex – au début de sa carrière, puis dans les ateliers d’ajustage et d’outillage de l’usine de radio-télévision Thomson-Houston à Angers à partir des années soixante jusqu’à sa retraite!

Jean Pasquier n’était pas un homme d’estrade, ni de discours à la cantonade! D’un abord plutôt réservé, sinon timide, pudique comme tous les siens dans l’expression de ses sentiments intimes, sa parole était rare, mais réfléchie et mesurée… Mais il était aussi un homme de caractère, qui pouvait, si nécessaire, proclamer haut et fort son point de vue, élever la voix et affronter verbalement des tiers, sur les sujets qui lui tenaient à cœur… L’homme n’était pas, pour autant dénué d’humour ni d’esprit d’à propos, mais d’humour à froid, au second degré, propre à décontenancer celui qui ne s’y attendait pas…

Bref, c’était un homme de bien qui cultivait son jardin, un homme de devoir et de fidélité. De conviction aussi, de persévérance enfin dans l’affirmation de soi-même, y compris lorsque son avis se situait à contre-courant du discours dominant, celui communément admis et très souvent convenu des autres…

Ainsi c’est une personnalité attachante et de caractère qui s’en va! Une de plus.

 » Le temps fonce alors si vite que les années durent des minutes. Comme si Dieu avait appuyé sur la touche « avance rapide ». Les enterrements s’enchaînent les anniversaires aussi. Soudain les bébés des autres passent le baccalauréat, le permis de conduire, se marient ou meurent. Passé cinquante ans, l’accélération vers le tombeau donne le tournis. Le futur n’est plus une richesse infinie » Ainsi s’exprime Frédéric Beigbeder en « quasi » conclusion de son dernier ouvrage… Au moins sur ce constat, il vise juste!

C’est effectivement le cycle de la vie…Il faut l’admettre sans doute!

Mais lorsque c’est le dernier frère de son père qui nous quitte, c’est comme si l’auteur de nos jours mourait une seconde fois! Cette famille, celle de notre enfance, celle de jadis s’éloigne ainsi progressivement de notre vision pour s’installer dans nos souvenirs.

Jean était un des derniers témoins d’une époque qui nous vit naître, une des dernières murailles qui nous protégeait des assauts de l’infini large et de l’insondable néant.

Service militaire 1950

Pour son épouse Jeannine, pour ses trois enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants, l’heure est au chagrin et à la peine. Nous sommes à leurs côtés. Bientôt viendra celle du deuil, puis des belles histoires qu’on se transmettra de générations en générations!

Adieu Jean, mon oncle! Repose en paix…

juin 2006 – Devant de G à D: Jeannine,Jean, Maurice (1926-2017), Adrienne (1923-2018). En arrière-plan, Louisette (1952-2010)

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A l’évidence, je n’ai pas attendu ce jour pour faire la connaissance de Françoise Félicité Turbellier et pour savoir qu’elle est une de mes aïeules au quatrième degré (arrière grand-mère de ma mère). Je connaissais de longue date, ma filiation avec elle, mais je ne la fréquentais pas! Et jamais, je ne m’étais vraiment intéressé à elle, pas plus que je n’avais soupçonné le poids des atavismes qu’elle dut assumer et qu’elle nous a probablement légué.

C’est pourtant ce patrimoine immatériel dont elle-même n’avait probablement pas conscience, qui assure aujourd’hui sa survie. Un patrimoine fait de traditions, d’expressions patoisantes, d’us ou de comportements instinctifs, qui, sans doute, étaient ceux des carreaux des mines de charbon de la Basse Loire aux dix-huitième et dix-neuvième siècles. Là en effet, sur les deux rives du fleuve en aval d’Angers et en amont de Nantes, était le berceau originel des deux familles, paternelle et maternelle, de Françoise Félicité Turbellier, depuis, au moins, trois générations.

Mais, dans son bissac, ramasse-bourrier des mœurs d’autrefois, cet héritage coutumier comporte aussi le poids douloureux et les sombres souvenirs des guerres de Vendée, qui ont ensanglanté et dévasté l’Anjou, il y a deux siècles. Françoise Félicité Turbellier fut donc aussi la dépositaire de ce passé tragique qui traumatisa la génération de ses parents mais également la sienne, avant que le temps ne finissent par effacer les apparences de ce traumatisme collectif et historique… Mais les apparences seulement!

Comment en effet aurait-elle pu effacer de sa mémoire, le récit, qu’on lui répéta sûrement maintes fois, de l’exécution de son grand-père maternel, Jean Desvignes (1762-1794) « voiturier par eau » et sympathisant des rebelles chouans, fusillé sur les rives de la Loire en janvier 1794?

Comment aurait-elle pu oublier que la veuve de ce « martyr », Magdeleine Vigneau (1761-1835), sa propre grand-mère, fut, des années durant, rejetée dans son propre pays du côté de Chalonnes ou de Montjean-sur-Loire, qu’elle fut considérée comme une pestiférée apportant la malédiction et qu’elle dut vivre par la suite de mendicité dans les faubourgs d’Angers?

Ainsi, « mine de rien », sans prétention philosophique ostentatoire, le destin de Françoise Félicité Turbellier, notre lointaine grand-mère, nous invite à une réflexion d’ordre ontologique sur l’être mais aussi sur le néant!

Pourtant, comme la plupart de mes lointaines aïeules, elle demeura muette pendant longtemps, n’ayant, à mes yeux, d’autre mérite que d’avoir existé, et d’avoir assuré la transmission de la vie, en mettant au monde en 1867 à Angers, une de mes arrière-grands-mères maternelle, Augustine Françoise Antoinette Durau (1867-1941).

C’était peu pour la distinguer entre toutes, mais c’était déjà essentiel. Sans cette « Augustine » je n’en serais pas, à cette heure, à tapoter fébrilement sur un clavier d’ordinateur en m’efforçant de trousser deux ou trois phrases supposées faire sens. D’ailleurs, ma complicité, toute relative avec la dite Augustine ne découle pas seulement de la génétique. Elle est d’abord fondée sur les témoignages de ceux qui l’ont connue, notamment ses enfants et ses petits-enfants. Et elle est illustrée et confortée par quelques photographies d’elle la représentant âgée.

On ne dispose malheureusement de rien d’équivalent pour Françoise Félicité Turbellier! Rien en tout cas, qui m’eût permis de développer spontanément, une certaine empathie à son égard ou de revendiquer naturellement un quelconque sentiment de proximité filiale.

Seuls les actes d’état civil des lieux où elle vécut, manifestent concrètement la réalité d’une existence – la sienne – sans laquelle évidemment nous ne serions pas ce que nous sommes. Jalonnant les différentes étapes de sa vie, de sa naissance à sa mort, ces données administratives ne constituent en tant que telles, que des ébauches désincarnées de biographie.  Néanmoins, elles fournissent de précieuses indications et un éclairage sur la personne concernée, qui autorisent, sous certaines réserves, à brosser une esquisse de portrait type.

Mises en perspective dans leur cadre historique, elles révèlent en outre des éléments contextuels parfois inattendus, qui par une sorte d’étrange thaumaturgie, nous parlent aussi de nous-mêmes.

C’est dans ce contexte, que Françoise Félicité Turbellier apparaît désormais s’imposer comme un personnage incontournable de notre histoire familiale et un des principaux chaînons nous reliant à la fois à la tradition des carriers du bassin houiller de la Basse Loire et à la révolte de la Chouannerie des deux rives du fleuve…

Née en 1832, elle n’a certes pas directement connu les affrontements de la Vendée militaire entre 1793 et 1800. Elle n’a pas subi dans sa propre chair les cruautés des « colonnes infernales » de l’immonde et opportuniste général Louis Marie Turreau (1756-1816). Elle n’a pas été associée non plus aux derniers soubresauts de ce conflit fratricide en 1815 pendant les Cent Jours, sur l’initiative, en particulier, des propres frères de l’ancien généralissime de l’armée vendéenne, « Monsieur Henri » de La Rochejaquelein (1772-1794).

Pour autant, parce que son âge tendre fut entouré de ces fantômes, Françoise Félicité Turbellier semble incarner mieux que quiconque le drame secret des enfants et petits enfants de ces farouches « brigands » de la Vendée et de ces bateliers massacrés pour avoir fait franchir la Loire à l’armée catholique et royale. Elle représente aussi ces petits artisans et manouvriers des bourgs, employés à façon des compagnies minières qui, compagnons de misère et acolytes des rebelles en sabots, périrent comme eux dans la tourmente.

Ph. archives F. Martin – Doc Sillon Houiller de la Basse Loire CRPG

Mais Françoise Félicité symbolise surtout le drame de leurs femmes, de leurs filles ou même de leurs petites-filles, qui survécurent misérablement le reste de leur âge, souvent méprisées par ceux-là même au nom desquels leurs époux, leur père ou grand-père firent le sacrifice de leur vie. Elle témoigne de la détresse de ces nombreuses veuves qui ne purent refaire leur vie ou de ces jeunes filles qui, du fait du déficit d’hommes tués à la guerre, trouvèrent difficilement chaussure à leur pied, ou si tardivement. Et le plus souvent sous la pression cléricale qui désirait repeupler les paroisses, plutôt que sous l’effet de pulsions amoureuses et passionnelles…

Sa propre mère Louise Desvignes (1792-1863), orpheline de père à deux ans, se maria à l’âge de trente et un ans avec un homme, Mathurin Turbellier (1801-1841), qui était son cadet de neuf ans!

Elle même, Françoise Félicité, prolongea son statut de « Catherinette » jusqu’à l’âge de trente-trois ans, pour épouser un brave métallurgiste de Châtellerault, tout juste majeur!

De ce point de vue, elle est donc « presque » un cas d’école. « Et même « le » cas d’école, si l’on veut bien considérer qu’elle fut une des dernières vraies victimes – bien que collatérale – de cette guerre impitoyable qui a saigné l’Anjou, une partie du Poitou et du Maine.

Par une étrange coïncidence ou un clin d’œil de la fatalité, elle naquit alors que la Vendée militaire et légitimiste engageait son ultime combat pour peser sur le destin national, et que cette insurrection désespérée allait piteusement échouer. Françoise-Félicité n’a en effet que deux jours, le 24 avril 1832, lorsque, très loin du lieu-dit Le Cossardier à Nort-sur-Erdre d’où elle découvre le monde, emmaillotée dans ses langes, la duchesse du Berry, Marie-Caroline de Naples, belle-fille de Charles X déchu, s’embarque à Gênes en Italie à bord d’un steamer pour rejoindre Marseille et tenter de soulever la Vendée contre Louis Philippe, le roi orléaniste détesté des « Bourbons »…

Cette aventure rocambolesque se soldera par un échec cuisant et par l’arrestation de la duchesse en novembre…

Ce sera  le dernier chapitre visible de la Vendée militaire qui deviendra dès lors, souterraine et mythique. Les générations qui suivront, n’auront néanmoins de cesse d’entretenir cette mémoire, en glorifiant le courage de leurs héros et de compatir au drame supporté par ce petit peuple des provinces de l’ouest, massacré sans pitié par les troupes de la Convention en 1794. Exception faite d’indécrottables nobliaux du bocage, la grande majorité des descendants d’insurgés, désormais convertie sans réserve à la République, affiche toujours une fidélité tripale à ses racines, sans cependant se revendiquer d’une adhésion anachronique aux principes monarchiques et religieux de ses ancêtres.

Au cœur de cette résilience, Françoise Félicité serait toutefois demeurée invisible, opaque à mon regard filial et bienveillant, sans un étonnant concours de circonstances, totalement indépendantes, mais qui m’ont irrésistiblement porté à m’intéresser à elle.

En premier lieu, il s’agit de ma visite en décembre 2019 de l’exposition temporaire organisée au musée d’Orsay, dédiée à « Edgar Degas » es qualité de peintre des danseuses de l’Opéra de Paris. Or, pour accéder aux œuvres, une fois franchi le hall d’entrée de l’ancienne gare, il fallait au préalable traverser une galerie plutôt sombre, où sont présentés des tableaux académiques du dix-neuvième siècle décrivant des scènes campagnardes. En général, peu s’y attardent, car les visiteurs sont pressés, à bon droit, d’admirer les tutus et les froufrous des petits rats, croqués dans les coulisses ou les alcôves de l’Opéra.

Pourtant, c’est parmi ces tableaux occultés par la gloire de Degas et par celle des Impressionnistes qui, non loin de là, enchantent d’autres salles, qu’un tableau daté de 1860 a particulièrement attiré mon regard. Il s’agissait d’une oeuvre du peintre réaliste Jules Breton  (1827-1906) intitulé  » Le Soir » représentant une jeune paysanne, assise sur une gerbe de blé. Elle se repose songeuse et lasse après une dure journée de moisson.

Le Soir de Jules Breton

Le Soir de Jules Breton

Pourquoi ce portrait champêtre de cette demoiselle m’a t’il immédiatement évoqué Françoise Félicité Turbellier? Tout simplement parce que cette botteleuse dans la fleur de l’âge était probablement l’exacte contemporaine de mon aïeule. J’en déduisis qu’elles se ressemblaient et il me plut alors d’imaginer que Françoise Félicité eût pu être le modèle du peintre.

Et de fil en aiguille, l’idée s’est imposée – Dieu sait pourquoi! – que ce visage encore juvénile mais empreint d’une certaine gravité et de mélancolie, pourrait être celui que Françoise Félicité Turbellier affichait lors de son mariage le 20 avril 1865 à Angers avec un ouvrier « parapluier » Antoine Frédéric Durau (1844-1911), mon futur aïeul!

Sereine, peut-être heureuse mais également lucide sur sa différence d’âge avec son mari. Ce couple n’eut d’ailleurs que deux filles : Augustine mon arrière-grand-mère, et sa sœur Louise Durau (1869-1954) qui demeura célibataire !

Je concède à cet instant de mon « roman » – de ma rêverie – que conférer au séduisant modèle de Jules Breton l’identité d’une femme qui, à l’époque, était déjà « vieille fille » est un peu audacieux… Je comprends que certains imputent cette illusion à une sorte d’éblouissement provoqué par une consommation excessive de produits hallucinogènes! Il n’en est rien… Il ne s’agissait juste que d’une réhabilitation posthume en beauté présumée!

Mais il fallait un élément déclenchant! En fait, Françoise Félicité Turbellier avait investi mes pensées, quelques heures auparavant, quand une alerte informatique de mon logiciel de généalogie m’avait rappelé, que parmi les dates anniversaires du mois de décembre, figurait celle de son décès à Angers, le 9 décembre 1895. Le même mois, mais de l’année 1841, respectivement le 6 décembre et le 15 décembre mouraient son père Mathurin Turbellier (1801-1841) et sa grand-mère paternelle Marie Gatel (1771-1841).

Françoise Félicité qui avait perdu son père à neuf ans, s’était donc signalée à moi avec son incroyable accumulation de souffrances, par le biais d’un outil statistique informatisé. Grâce à la peinture, je pus la doter en compensation d’un visage attrayant … Et ce faisant, j’ouvris alors les pages accessibles du livre de sa vie ou plus exactement de quelques fragments de son existence, ceux que nous révèlent et reflètent les archives officielles.

J’approfondirai car il me plait d’imaginer, parvenu à l’hiver de mon cheminement terrestre, que les morts ne dédaignent pas qu’on s’intéresse à eux. Nos facétieux défunts nous le font savoir par d’impénétrables voies, dont le recours, un même jour, aux arcanes mystérieux de l’informatique du sud-est asiatique, et au plaisir de flâner dans une galerie d’un musée parisien! J’aime en tout cas cette requête post-mortem que Françoise-Félicité m’a sûrement adressée, car elle défie le temps et outrepasse l’oubli.

Une question cependant persiste à me hanter: a t’elle, en dépit de tout, vécu des phases de bonheur intense? J’y reviendrai peut-être! Sûrement…Mais qui pourrait m’en informer plus d’un siècle après? Les préposés municipaux à l’état civil ne notent pas ces détails qui sont pourtant le sel de la vie.

Par pure curiosité en outre, je m’interroge sur l’endroit où se trouvent aujourd’hui ses cendres! Françoise Félicité, épouse Durau, étant décédée à son domicile d’Angers au 31 de la rue Desmazières, l’hypothèse la plus probable – faute de mieux – serait que sa dépouille ait été inhumée dans le cimetière de l’Est de la ville. Là où, par la suite furent enterrés son époux Antoine Frédéric en 1911, sa fille Augustine en 1941 et son gendre Alexis Turbelier en 1942… Et peut-être d’autres.

Cimetière de l’Est à Angers. Tombe présumée de Françoise Félicité Turbellier et Frédéric Durau. Tombe avérée d’Augustine Durau et d’Alexis Turbelier

Enfin, j’allais oublier une dernière énigme que je ne pense pas pouvoir résoudre un jour: « Fut-elle vraiment aussi belle que je l’entrevois et si désirable? »

Appartenant de naissance au « genre masculin » si décrié de nos jours, j’aimerais évidemment qu’il en fût ainsi, afin d’ajouter un attribut de fierté à « mon » héritage. Mais rien n’est moins sûr ou, si l’on préfère, tout est possible!

 

PS : Articles du blog « 6 bis rue de Messine » en lien (et en complément) du présent article:

  • Pierre Gâtel (1734-1792) mineur de charbon, présumé faux-saunier – mis en ligne le 4 août 2012
  • L’infortuné Jean Desvignes (1762-1794), voiturier par eau et « brigand » de la Vendée – mis en ligne le 11 mars 2013;
  • Janvier 1794: une dernière image, le dernier regard de Jean Desvignes – mis en ligne le 8 juin 2013.

 

 

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C’est par ces trois mots – Doléances, Plaintes et Désirs, riches en symboles pour nos modernes sensibilités – que, le dimanche 1er mars 1789 les habitants de Montreuil-sur-Mayenne, appartenant aux trois ordres de la noblesse, du clergé et du tiers état, souhaitèrent introduire leur cahier de demandes et de réclamations à l’adresse du roi Louis XVI, en vue des Etats généraux du royaume convoqués à Versailles le 27 avril 1789.

Extrait de carte de l’Anjou de 1711, par Jaillot géographe ordinaire du roi 

Ces trois mots résumaient à la fois toutes les secrètes fêlures, les misères et  les humiliations accumulées par des siècles de pouvoir féodal et de monarchie absolue, mais ils incarnaient aussi le réveil d’une timide espérance dans un avenir meilleur… Dans un même élan, ces trois mots préfiguraient aussi un bilan jamais encore dressé de mille ans de féodalité et le rêve d’un progrès juste imaginé. Ils montraient la voie à suivre en guise de feuille de route pour un souverain trop lointain et soupçonné d’indifférence , avant la tenue d’Etats Généraux.

La convocation des Etats généraux, décidée deux mois auparavant, apparaissait en effet comme l’ultime recours d’une monarchie fragilisée, pour rassembler un pays divisé et profondément inégalitaire, et pour tenter d’inverser le cours des choses. Une crise financière et de subsistance, gangrenait le pays depuis plusieurs années…

La situation devenait d’autant plus critique, qu’à ce tableau en soi préoccupant, s’ajoutait une crise de confiance dans un régime impuissant, embourbé dans des scandales réels ou supposés jusque dans l’antichambre du roi. Rien ne semblait être en mesure de l’enrayer durablement d’autant qu’elle était alimentée par une bourgeoisie conquérante et industrieuse, éprise de modernité et acquise à la philosophie des Lumières.

Dans ce cadre, le recueil des doléances populaires sur tous les territoires du royaume constituait la première étape d’une procédure assez complexe. Laquelle comportait en outre la désignation de délégués des villes, des bourgs et des villages à des assemblées provinciales, chargées d’établir, pour chaque sénéchaussée, la synthèse des contributions et de mandater des représentants à Versailles.

Pour la sénéchaussée d’Angers, dont dépendait Montreuil-sur-Mayenne, l’assemblée des huit-cents-sept délégués issus de quelques quatre-cents paroisses, se tint au cours de la première quinzaine de mars 1789 dans l’abbatiale Saint-Aubin sous la présidence d’un certain Marie-Joseph Milscent, lieutenant au présidial d’Angers ( il fut par la suite député du Tiers Etats à Versailles avec notamment Volney, La Révellière-Lépeaux et Desmazières) .

La Mayenne à Montreuil-sur-Maine – début du 20ème siècle

A Montreuil-sur-Mayenne – devenu par la suite Montreuil-sur-Maine- cette initiative royale annoncée au prône dominical par l’abbé Blouin curé de l’église Saint-Pierre fut certainement accueillie favorablement. De la nef aux chapelles latérales, des stalles du clergé aux chaises de la noblesse jusqu’aux bancs du peuple, elle diffusa comme un souffle d’optimisme, ou, si l’on préfère, comme un imperceptible sentiment de liberté et d’expression retrouvée. L’intérêt que ce prêche suscita chez les paysans n’était pas feint. Enfin, ils pensaient pouvoir informer directement le roi de leurs difficultés et de leurs misères. Ils croyaient être entendus de lui après l’été pourri de 1788, trop pluvieux et trop froid et les très mauvaises récoltes qui s’ensuivirent.

Ce coup du sort météorologique qui avait accentué la pauvreté et l’indigence dans les chaumières, avait, une fois de plus, rendu problématique l’approvisionnement en nourriture des hommes et des animaux. Il avait non seulement cassé le moral des fermiers et des métayers, mais également, celui des artisans des bourgs, dont ces paysans étaient les clients naturels…

Tous se plaignaient de surcroît de la lourdeur des impôts royaux et des charges féodales, tous considérés comme injustifiés et confiscatoires pour des gens qui ne possédaient pas grand-chose! La « gabelle » l’antique impôt du sel, était l’objet de toutes les protestations. Dans cette région limitrophe de la Bretagne, cette taxation d’un condiment primordial à la conservation des aliments, était qualifiée de profondément injuste à moins de trois lieues de zones franches, et la contrebande qui en découlait et à laquelle se livraient nombre de jeunes gens du Haut Anjou occasionnait continuellement des drames, lors des affrontements sanglants entre les faux-sauniers et les gabelous…

L’abolition de la gabelle était la priorité pour les paroissiens de Montreuil-sur-Mayenne.

Mais ce n’était pas le seul exemple d’exécration fiscale, la dîme issue du Moyen Age féodal n’était également plus guère supportée!

A quel titre – pestaient les paysans – devraient-ils continuer de céder une part de leurs maigres récoltes de blé, de céréales, de lin, de vin, de bois et de légumes à un clergé régulier, monastique et étranger en ces lieux, bien qu’étant « le » grand propriétaire terrien de la région. A quel titre devraient-ils continuer à entretenir à grands frais des seigneurs locaux qui passaient leur temps à faire les beaux, loin d’ici, à la cour du roi? Au nom de quoi, devraient-ils être les seuls à être soumis aux « corvées » pour entretenir les chemins que tous empruntent?

Le clergé séculier, les prêtres de base et les curés des paroisses de campagne – qui ne roulaient pas sur l’or – n’étaient d’ailleurs pas loin de penser de même. Ils adhéraient tacitement à ces doléances, ayant eux aussi, beaucoup de motifs de se plaindre. Ils nourrissaient le sentiment d’être rançonnés et méprisés par une oligarchie diocésaine et capitulaire, perçue comme parasitaire. Les chanoines de la cathédrale Saint-Maurice qui menaient grande vie à Angers et intriguaient dans l’entourage de l’évêque, étaient, à cet égard, leurs cibles privilégiées…

En résumé, le clergé de Montreuil-sur-Mayenne faisait globalement siennes, les récriminations et les aigreurs de ses ouailles, ce petit peuple des chemins creux, qu’il accompagnait dans toutes les épreuves et dans les joies de l’existence, et dont, finalement il partageait le sort misérable.

Dans ce contexte d’inquiétude généralisée, la résolution royale d’entendre les requêtes du peuple – sans distinction de condition – fut appréciée comme une réelle lueur d’espoir! Faisant allusion à cette période pré-révolutionnaire, l’historien Emile Gabory (1872-1954), auteur d’une oeuvre de référence sur les « guerres de Vendée », écrivait, il y a plus de soixante-dix ans  que  les imaginations « soulevées par un même transport, (…) partirent à tire d’aile pour le beau rêve entrevu. Les déceptions ou les satisfactions viendront (ultérieurement) d’une conception différente du mot liberté« … J’ajouterais, après avoir lu le cahier de Montreuil-sur-Mayenne, que le mot « liberté » ne fut probablement pas le seul dont le sens fut, par la suite, détourné: ce fut également le cas du concept d’Equalitée (Egalité/Équité) devant l’impôt, mentionné à au moins deux reprises dans le document.

A cet égard, il est troublant de lire dans ce cahier rédigé avant la Révolution dans un trou perdu du haut-bocage angevin, que la devise de notre République était déjà en germe dans la réflexion collective… La fraternité n’était pas explicitement mentionnée, mais n’est-ce pas d’elle dont il s’agissait dans la conclusion de la seizième proposition du cahier, lorsque le sort des plus faibles est évoqué: « Il est évident que toute perception de deniers étant simplifiée, le roy triplerait son revenu ce qui soulagerait le pauvre laboureur, la veuve et l’orphelin ». 

On notera au passage que l’éternelle préoccupation de simplification du mille-feuille fiscal était à l’ordre du jour en 1789! En 2019, il existe encore de « multiples marges de progrès ».

Quoiqu’il en soit, force est de constater, que dans ce petit secteur entre Oudon et Mayenne, à une lieue au nord du Lion d’Angers, la population se montra favorable à cette consultation voulue par le monarque.

( » Un grand débat avant l’heure, » pourrait-on ajouter si l’on ne craignait pas de chagriner notre actuel souverain qui ne souffre guère qu’on lui rappelle que le monde existait avant lui.) 

Cette population fut-elle trop crédule, faute d’une conscience claire de l’enjeu? Fut-elle trop confiante par résignation? A t-elle été abusée? Nul ne sait…  On sait juste qu’elle s’est prise au jeu et qu’elle a rédigé son cahier de doléances.

Il est probable que ce grand déballage ait été perçu localement comme une aubaine, car en régime absolutiste, les occasions de s’exprimer et de s’informer n’étaient pas fréquentes et parfois risquées pour les « fortes têtes »! En dehors du curé, il n’y avait guère que les marchands ambulants, les colporteurs, les bateliers de la Mayenne ou de l’Oudon, et les « chemineaux » dont on se méfiait, qui parlaient et qui donnaient des nouvelles de l’extérieur.

C’est pourtant cette (même) population besogneuse, riveraine de deux rivières, qui résolument « acquise » au changement en 1789, se détournera des idéaux républicains et regardera avec bienveillance, quelques années plus tard, la révolte des Chouans du Bas-Maine et des Marches de Bretagne, ainsi que les Vendéens militaires lors de leur Virée de Galerne… La répression sanglante des jacobins parisiens avait, entre temps, retourné l’opinion provinciale.

Quelques-uns dont Pierre Jérôme Pasquier (1773-1829) – mon grand oncle au sixième degré – s’engageront même dans les combats contre les troupes de la Convention (Voir mes billets des 16 et 30 août 2018)! 

Mais, en cet hiver 1789, on n’en était pas encore là! Il n’était alors question que de discussion pacifique!

Tout le monde était censé y participer. Toutefois, tous n’étaient pas culturellement gréés pour le faire, ni socialement logés à la même enseigne. Ceux qui savaient lire, écrire et haranguer la foule, autrement dit les notables villageois, leaders naturels du Tiers Etat, bénéficiaient évidemment d’un avantage sélectif sur les bordiers, les journaliers, les « pauvres » laboureurs, les métayers, les closiers et autres garçons de ferme… Les uns menaient la discussion en mettant en avant leurs propres doléances, les autres, selon toute vraisemblance, se contentaient d’écouter et d’approuver par leurs applaudissements… ou de siffler leurs désaccords.

Un débat contradictoire entre un paysan analphabète et un seigneur cultivé, éduqué chez les oratoriens d’Angers et propriétaire des terres, avait évidemment toute chance de ridiculiser le premier au profit du second qui n’avait évidemment pas pour dessein altruiste de consentir à l’abolition de ses privilèges et à la réduction de son train de vie…

En outre, à Montreuil-sur-Mayenne, comme presque partout en Anjou c’est le notaire royal local, qui tint la plume . En l’occurrence il s’appelait ici André Blordier… Certaines similitudes rédactionnelles avec les rédactions des paroisses angevines suggèrent qu’il s’inspirait, avec ses confrères, des mêmes modèles …

N’empêche qu’en dépit de toutes ces réserves sur l’authenticité de la démarche, une cinquantaine d’hommes du village, « convoqués au son de cloche »étaient là, ce dimanche 1er mars 1789  » à l’issue de la messe paroissiale »dans la « grande salle du prieuré » de Montreuil-sur-Mayenne.

« Ils étaient là, là ,là,là » non pas pour « voir la brave Margot dégrafer son corsage et donner la goutte goutte à son chat » comme le chantait Georges Brassens, mais pour discuter « suivant le vœu unanime » (sic) de « tranquillité publique »! Ils représentaient près de 30% des 180 feux de la paroisse.

Une participation remarquable, car l’ordre du jour ne devait pas être très attractif pour ces hommes du terroir peu accoutumés à manier des concepts abstraits et à parler en public… encore moins à développer un discours structuré sur des thèmes comme l’Ordre Public, la gouvernance de la sénéchaussée et les contributions directes ou indirectes…

Pour la plupart d’entre eux, cette séance devait apparaître aussi plaisante (ou rasante) que les fêtes votives obligatoires en l’honneur des saints de la paroisse, auxquels on rendait régulièrement hommage en psalmodiant d’obscures litanies en grégorien… En plus, la présence des jeunes femmes n’étant pas souhaitée, il n’était même pas possible d’en profiter pour draguer la gueuse, ou marivauder en contant fleurette! En effet, seuls les hommes âgés de vingt cinq ans au moins, nés français ou naturalisés et figurant sur les rôles des impositions des habitants Montreuil-sur-Maine étaient conviés à l’exercice.

Un exercice plus rarissime que les passages de la comète de Halley, car le roi de France ne consultait ses sujets, guère plus qu’une fois tous les deux ou trois siècles! C’est dire…

Parmi les hommes présents ce jour-là, « pour obéir aux ordres de sa Majesté », il y avait mon aïeul Charles Pasquier (1758-1811), le frère aîné de Pierre Jérôme, dit Charette dont il fut question plus haut.

Procès verbal de l’assemblée du 1 mars 1789 à Montreuil/Maine

C’est d’ailleurs dans cette présence de Charles Pasquier, que le lecteur compréhensif – voire indulgent à mon endroit – mais interrogatif sur ma motivation à poser mon bâton de pèlerin à Montreuil-sur-Mayenne, trouvera l’explication de mon intérêt spécifique pour le cahier de doléances de ce petit village d’Anjou isolé des chemins de la grande histoire.

J’ai porté mon dévolu sur ce petit bled coincé au confluent de la Mayenne et de l’Oudon, à l’exclusion d’autres villages de l’Anjou qui me sont chers, parce qu’à cette époque, une des branches de mes aïeux paternels y résidait. Mais j’aurais pu tout aussi bien m’intéresser au Lion d’Angers tout proche, berceau d’une grande partie de ma famille! Il se trouve que, dans la liste des « séminaristes » lionnais rédacteurs du cahier de doléances, je n’ai pas identifié formellement un des miens!

Appartenant à la lignée « descendante » de ce Charles, je me sens en outre – et sûrement à tort – en situation de saisir ce qu’il a compris ou d’établir avec lui une certaine connivence! Je n’écris pas « complicité d’idées » car j’ignore, au fond, si ce fut le cas!

En d’autres termes, je me crois autorisé à m’approprier un peu de lui-même et évoquer comme si j’y étais, cet épisode de notre histoire commune – surtout la sienne – désormais évanoui dans la nuit des temps! Mais, il se peut aussi qu’ici mon récit fasse écho à une actualité plus prégnante!

J’ai cru entendre que nous étions appelés de nouveau à débattre aux fins de sortir le pays des ornières, ocre-jaune, dans lequel il semble s’être embourbé … Le parallèle est audacieux, mais il se trouve qu’à plus de deux siècles de distance, l’initiative en revient encore au souverain ou à celui qui se croit tel! Rien de nouveau sous le soleil, même s’il est vrai aussi qu’on ne se baigne jamais dans le même fleuve! Les plaintes sont néanmoins et curieusement de même nature: elles disent le mal de vivre…

Au moment où se tenait l’assemblée paroissiale de 1789, mon ancêtre Charles Pasquier était âgé de trente et un ans.

C’était un jeune marié, qui venait de « convoler en justes noces » quinze jours auparavant dans la même église Saint-Pierre. Le 10 février 1789, précisément, avec une cousine éloignée, Françoise Lemesle, d’une quinzaine d’années sa cadette.

Charles résidait à la ferme de Charray sur la rive droite de la Mayenne, où son père était métayer jusqu’à son décès en 1787. Il n’était en fait que le troisième d’une fratrie de dix-sept enfants nés entre 1756 et 1776, de Jean Pasquier (1727-1787) et de son épouse Renée Prézelin…En 1789, plusieurs étaient décédés en bas âge!

Il n’était donc pas le « chef de famille ». Et à l’assemblée paroissiale, il se contentait de représenter son frère aîné Jean Mathurin Pasquier (1757-1821) le métayer exploitant en titre (droit d’aînesse oblige) de la ferme de Charray. Charles n’avait d’ailleurs pas l’intention de demeurer auprès de son frère comme garçon de ferme.

Il fera très prochainement souche ailleurs… Et c’est au Lion d’Angers, qu’on le retrouvera vers 1795 comme closier à la métairie de la Bellauderie sur l’autre rive de l’Oudon.

En attendant, il seconde son aîné d’un an! Et représente la famille Pasquier à l’assemblée paroissiale…

Le cahier de doléances à l’adoption duquel il participait, comportait seize petits chapitres, portant majoritairement sur la fiscalité et la proportionnalité de l’impôt « à raison » des facultés respectives des personnes imposées…et sur l’abolition des privilèges indus!

Charles Pasquier ne fut certainement pas insensible à ces questions qui le concernaient forcément directement…

Certaines problématiques abordées sortaient cependant de ce cadre contributif, notamment celles portant des revendications liées à la sécurité publique. Ainsi les pétitionnaires demandaient un accroissement du nombre de cavaliers de la « maréchaussée de la ville du Lion » pour assurer la police dans les campagnes, et que des moyens nécessaires leur soient alloués pour empêcher « les vagabonds » d’importuner la population…

Qui étaient ces vagabonds et miséreux errants venus d’ailleurs que « la paroisse » s’offrait, malgré tout, de « soulager »?

On se croirait presque au 21ème siècle!

Enfin, une dernière interpellation en forme de quérulence exprimait la modernité et la quintessence de la démarche révolutionnaire d’ouverture au monde:  » Qu’il y ait qu’un seul poids et qu’une seule mesure »

Qu’on en finisse, semblaient dire les hommes de Montreuil-sur-Mayenne, avec l’usage simultané et à discrétion de la livre de Paris et des provinces, du quarteron, de l’once locale, du quintal, mais aussi, pour évaluer les grains, du septier ou des boisseaux d’Angers, de Saumur, de Craon, de Baugé etc… toujours défavorables au commerce des plus faibles…

Ici se profilait, au fin fond de l’Anjou, la belle histoire du système métrique et des unités enfin normalisées sur tout le territoire…qu’adopta ultérieurement une grande partie du monde!

J’ignore si « mon Charles », ce héros de circonstance, a compris la portée et l’incidence de cette évolution sur l’avenir du commerce, sur le développement des sciences et des technologies… Peu importe, il était là!

Le « grand débat » en cours portera -t’il autant de fruits? S’en souviendrons-nous encore au 23ème siècle?

 

PS: à l’issue de l’assemblée du 1er mars 1789 à Montreuil-sur-Maine, deux députés furent désignés pour l’assemblée de la sénéchaussée à Angers le 16 mars 1789: Lezin Boreau de Roincé et Pierre Jérôme Mathurin Moreau

 

 

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(Suite du billet du 16 août 2018)

Le 26 février 1815 dans la soirée, Napoléon 1er, trompant la vigilance anglaise, quittait l’Île d’Elbe à bord de « L’Insconstant », un brick armé de canons. Il séjournait depuis le 3 mai 1814 dans cette île méditerranéenne, qui lui avait été concédée par le traité de Fontainebleau après la défaite de Leipzig.

L’empereur déchu et exilé rejoignait la France.

Départ de l’île d’Elbe – tableau (1836) de Joseph Beaume

Le 1er mars 1815, il débarquait à Golfe Juan près d’Antibes avec plusieurs centaines de grenadiers, et, entama dès lors, une remontée fulgurante et triomphale vers Paris, recueillant dans chacune des villes traversées des avalanches de ralliements ! Ainsi débuta l’aventure des Cent Jours.

Cette nouvelle ne fut connue de Louis XVIII que cinq jours plus tard et elle ne parviendra en Vendée que le 10 mars 1815… Au début, le roi ne la prit guère au sérieux, estimant qu’il ne s’agissait que d’une escapade sans lendemain de l’ancien empereur, et qu’elle prendrait fin par l’arrestation de l’intéressé au cours d’une opération de simple police. Ou presque!

Néanmoins, par précaution, il mandata le vieux duc de Bourbon, prince de sang, et père de l’infortuné duc d’Enghien, fusillé sur ordre de Napoléon en 1804 dans les fossés du château de Vincennes, pour ranimer la flamme royaliste des chefs survivants des guerres de Vendée et de la Chouannerie et pour les inciter à remobiliser leurs troupes paysannes qui s’étaient spontanément insurgées en 1793…

Parmi ces chefs revenus en Anjou lors de la première Restauration de 1814, figurait le comte Louis-Marie-Antoine-Auguste-Fortuné d’Andigné de La Blanchaye, (1765-1857), ci-devant chevalier de Sainte-Gemmes, plus connu sous le titre de « général d’Andigné ». L’homme était issu d’une vieille famille du Haut-Anjou des environs du Lion d’Angers.

En 1815, âgé de cinquante ans, il portait beau et jouissait d’une réputation justifiée de royaliste intransigeant et de héros de la Chouannerie, au même titre que Georges Cadoudal (1771-1804), Pierre-Mathurin Mercier-la-Vendée (1774-1801) ou Louis de Frotté (1766-1800). Mais ceux-là étaient morts alors qu’il était vivant.

Ses nombreux séjours en prison sous le Directoire et sous l’Empire, ainsi que ses états de service et faits d’armes en faveur du roi en faisaient un personnage incontournable de la Chouannerie en Anjou. Avant la Révolution, officier de la Royale, il avait pris part à la guerre d’indépendance américaine. Puis, il avait émigré au début de la Révolution et s’était engagé dans l’armée des Princes puis dans celle de Condé pour combattre la Convention. Et enfin en 1795, venant d’Angleterre, il avait débarqué en Bretagne pour rejoindre l’armée des Chouans dont il devint rapidement un des principaux chefs.

En 1799, il avait été nommé commandant en second de l’Armée catholique et royale du Bas-Anjou et de Haute Bretagne…

                  Louis d’Andigné – photo internet

Cependant l’homme n’était pas qu’un guerrier idéaliste, c’était aussi un diplomate et un négociateur habile. En 1799, lors d’une courte trêve des combats, il avait même rencontré Bonaparte, alors premier consul qui avait souhaité s’entretenir avec une délégation de chouans à Paris pour tenter de rétablir la paix, notamment religieuse en Vendée et en Bretagne… Mais les deux parties s’étaient montrées inflexibles sur la question de la restauration de la royauté. Le futur Napoléon 1er pouvait la concevoir, mais un peu comme aujourd’hui Emmanuel Macron (avec le panache en plus), à son seul profit.

Les pourparlers échouèrent à instaurer la paix civile du fait des options en présence, irréconciliables et d’Andigné reprit les armes, malgré les propositions alléchantes du Premier consul pour l’avoir à sa botte. Le verbatim de cette entrevue a été retranscrite par d’Andigné lui-même dans ses Mémoires et ça ne manque pas de sel!

Après la disparition de Mercier-la-Vendée en 1801 et surtout de celle de Cadoudal en 1804, Louis d’Andigné était donc l’un des rares chefs, rescapé sain et sauf de la Chouannerie. C’était, en tout cas, le seul encore fringuant sous l’autorité duquel Pierre Jérôme Pasquier (1773-1829) avait servi et combattu jusqu’au moins en 1799 (voir mon billet du 16 août 2018)… 

Mais en 1815, le général d’Andigné n’était guère plus qu’un chef symbolique d’une armée disparue faute d’effectifs. De longue date en effet, les anciens soldats de la Chouannerie de 1799, tous issus du terroir angevin ou breton étaient retournés dans leurs foyers et à leurs activités dans les champs, dans leurs échoppes ou dans leurs boutiques.

Comme beaucoup d’habitants du Haut-Anjou et de la Haute Bretagne, Pierre Jérôme Pasquier s’était « rangé » et avait remisé ses armes. Sans nécessairement renier ses convictions, il s’était finalement assez bien accommodé de l’Empire, qui lui garantissait la liberté du commerce et la paix religieuse…

Dans ces circonstances, le rétablissement ou la défense des Bourbons lui apparaissait sûrement de second ordre parmi ses préoccupations. Depuis la grande guerre, il s’était en outre marié en 1803 et était devenu père de famille. Il est même possible qu’il ait profité de cette accalmie pour restaurer l’unité familiale et se réconcilier avec certains de ses frères aînés plus sensibles que lui aux idées révolutionnaires.

Surtout, comme tous ceux qui avaient risqué leur vie pour le roi depuis 1793, il jugeait probablement sévèrement l’attitude pitoyable et la lâcheté du comte d’Artois – futur Charles X – lors du débarquement de Quiberon et de l’île d’Yeu en 1795… Pendant que lui, Pierre Jérôme et ses compagnons couraient les plus grands dangers, qu’ils étaient en permanence sur le « qui vive », de jour comme de nuit, dormant dans des étables, dans des greniers, le Prince dormait dans des draps brodés, mangeait dans des couverts d’argent et par couardise, avait craint de prendre leur commandement!

On peut donc supposer que c’est avec cet état d’esprit, mêlé de scepticisme sur l’issue probable de cette nouvelle aventure mais aussi avec un soupçon de fierté, que Pierre Jérôme Pasquier, marchand de fil de chanvre et de filasse au Lion d’Angers, reçut le lundi 25 mars 1815, le brevet de « Capitaine d’infanterie » de l’armée royale, signé, la veille, à Pouancé par le général d’Andigné.

Brevet de capitaine d’infanterie – 24 mars 1815 -cliché famille Garnier 

Prit-il pour autant la décision de quitter immédiatement sa femme et ses enfants, pour rejoindre l’état major du général d’Andigné à Pouancé?

Rien n’est moins sûr, car l’ancien capitaine de paroisse n’est plus dans la même situation qu’en 1793. Il a désormais quarante deux ans, il a affronté la mort à de nombreuses reprises et il sait le prix de la vie. .

Au-delà de ces considérations intimes, on peut présumer qu’il doutait, comme la plupart des paysans et habitants des bourgs, de la réussite de cette nouvelle insurrection, et peut-être même de sa nécessité… Car, dans le même temps, les voyageurs, les marchands ambulants et les colporteurs renseignaient la population sur la remontée foudroyante de l’empereur depuis Golfe Juan. Le 20 mars 1815, il était au palais des Tuileries que le roi avait déserté le 19 mars…

Et ce roi Louis XVIII, pour lequel on lui demandait désormais de se battre et de se sacrifier, s’était piteusement réfugié à Gand en Belgique… Quand Pierre Jérôme reçut son « ordre » de mobilisation, il y était même depuis trois ou quatre jours!

Quant au duc de Bourbon, le mandataire royal, après avoir constaté le peu d’enthousiasme des populations de l’Ouest à la cause royale, il préféra quitter la France vers l’Espagne en embarquant aux Sables d’Olonne.

Il restait néanmoins le général d’Andigné, quelques anciens chefs comme le général Charles-Marie d’Autichamp (1770-1859), les frères de Monsieur « Henri » de la Roquejaquelein ainsi qu’une poignée de chouans et de fidèles dans un château des environs de Pouancé…

La situation aurait pu en rester là et l’insurrection royaliste dans l’Ouest aurait fait certainement long feu, si Napoléon, de nouveau investi du pouvoir, ne s’était pas trouvé confronté à ses ennemis autrichiens et anglais qui, de nouveau, menaçaient de franchir les frontières dans le but affiché de le renverser!

Pour faire face aux puissances étrangères qui se liguaient contre lui, il fut contraint de relancer la conscription militaire qui avait enflammé les provinces en 1793, dont, au premier chef, la Vendée, l’Anjou et la Bretagne! Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les paysans excités par les chefs royalistes se révoltèrent, mais dans un mouvement de bien moins grande ampleur que lors de la « guerre des géants »…

Nous sommes désormais fin avril ou début mai 1815, et c’est probablement dans ces moments que Pierre Jérôme Pasquier reprit du service!

S’ensuivirent des escarmouches entre les troupes bonapartistes et royalistes, plus ou moins sanglantes, et des négociations régulièrement avortées, auxquelles la défaite de Waterloo du 18 juin 1815 mit un terme définitif.

Pierre Jérôme participa probablement à la plupart de ces batailles ou échauffourées notamment à celle de Cossé-le-Vivien le 29 mai 1815 dans la Mayenne sous le commandement du général d’Andigné. Ce jour-là, les troupes de la chouannerie, sans munitions suffisantes se dirigeaient vers Château-Gontier, quand elles furent opposées à une unité de l’armée bonapartiste, nombreuse, fortement armée et déterminée. Battant en retraite, les chouans déplorèrent une vingtaine de morts et de nombreux blessés, dont peut-être notre héros …

Rendu à la vie civile après les « Cent Jours », Pierre Jérôme reprit son métier de marchand de fils, de filasse et même, selon certains témoignages, de chevaux…

A son décès en 1829, il était aussi débitant de tabac au Lion d’Angers dans la Grande Rue. Cette fonction assez rémunératrice, qui relevait d’un monopole d’État, était souvent confiée, à l’époque, à d’anciens militaires ou à des personnes ayant  » accompli dans un intérêt public des actes de courage ou de dévouement ».

C’était justement le cas de Pierre Jérôme Pasquier…

Ce critère de bravoure et de fidélité lui avait été confirmé par un acte du roi rédigé aux Tuileries le 17 février 1821.

Reconnaissance du roi pour Pierre Jérôme Pasquier – doc. famille Garnier

Texte du roi

 » Louis par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre,

Sur le compte qui nous a été rendu du dévouement et de la fidélité dont le sieur Pasquier (Pierre) marchand de la commune du Lion d’Angers, département de Maine-et-Loire, nous a donné des preuves en combattant avec valeur dans nos armées royales de l’Ouest;

Voulant témoigner au-dit Sieur Pasquier la satisfaction que nous éprouvons de ses services et lui en donner une marque qui en conserve le souvenir dans sa famille, Nous avons résolu de lui adresser la présente, signée de notre main, comme un gage de notre bienveillance royale…

Donné au château des Tuileries le 11 juillet de l’an de grâce … et de notre Règne

Louis 

Par le Roi,  Le ministre Secrétaire d’Etat de la Guerre, Monsieur de Latour-Maubourg, le 17 février 1821″  

 

Comme le suggérait le vœu royal, ce document exceptionnel ainsi que le brevet de capitaine de 1815, furent effectivement transmis à la descendance de Pierre Jérôme Pasquier. Et ce, par l’intermédiaire d’une de ses filles Narcisse Perrine Pasquier (1816-1872) qui épousa René Garnier au Lion d’Angers… Il sont pieusement conservés actuellement par les arrière arrière petits enfants de Narcisse…

 

Remerciements:

Ce bref rappel historique de la vie et des aventures de Pierre Jérôme Pasquier – mon grand oncle au sixième degré – à la charnière des 18ième et 19ième siècle n’aurait pas pu être réalisé, sans le travail acharné de recherche de Rose L’Angevine – ma correspondante habituelle sur ce blog – qui par le biais, notamment, de Généanet est parvenue à se mettre en rapport avec Yvonne Guinel-Garnier, épouse d’un descendant Garnier, qui a bien voulu nous communiquer une copie des précieux documents, témoignages factuels des faits d’armes de Pierre Jérôme Pasquier pendant les guerres de Vendée et de la Chouannerie.

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D’ordinaire, je n’ouvre un nouveau chapitre de la laborieuse déclinaison de mon histoire familiale, que lorsque mes recherches personnelles, des témoignages jusqu’alors ignorés ou des travaux récents de mes compères traditionnels, m’en fournissent l’occasion…Preuves documentaires à l’appui de préférence !

Dans ces conditions, je pense pouvoir, sans trop trahir, retracer tel ou tel épisode marquant de l’existence d’un personnage avec lequel on me dit apparenté – fût-ce à un degré si élevé que sa présence en serait quasiment indétectable par un œil non averti dans le foisonnement feuillu d’un arbre généalogique au cœur de l’été!

Le plus souvent, les faits relatés sont contemporains d’événements tragiques de la Grande Histoire, dans laquelle mes aïeux ou leurs alliés n’occupent généralement qu’une toute petite place. Au mieux, ils y jouent d’improbables seconds rôles, voire pour leur malheur, celui de victimes innocentes de barbaries collatérales perpétrées au nom d’enjeux qui leur étaient étrangers… Triste fatalité, lot de toutes les révolutions ou insurrections. Cette occurrence fréquente jalonne malheureusement toutes les histoires du monde, l’actuelle ne faisant pas exception!

A cet égard, de la même manière que la première guerre mondiale a « impacté » la quasi-totalité des familles françaises, les guerres de Vendée et de la Chouannerie, qui ont enflammé tout l’Ouest de la France et des pays de Loire à partir du printemps 1793, ont marqué d’une empreinte encore sensible, la plupart des familles paysannes et des habitants des bourgs des régions concernées… En ce qui concerne les « miens », c’est presque un cas d’école que de le constater, bien que je doute de la persistance de cette mémoire, « indélébile » cicatrice, dans les années qui viennent! Elle disparaîtra comme bien d’autres « valeurs » que l’on croyait universelles.

Pour l’heure, me contenterai-je donc de rappeler – fût-ce dans un désert culturel « en marche » – que très nombreux furent les membres de ma famille qui, à un titre ou à un autre, du côté des insurgés « vendéens militaires » ou dans le camp de la Convention républicaine, furent enrôlés de gré ou de force, et toujours à leur détriment, dans les armées en présence. Ils furent parfois entraînés loin de leurs foyers dans ces douloureuses aventures, qui ensanglantèrent les provinces de l’Anjou, du Poitou, le Pays Maraîchin et les marches de Bretagne durant presque deux décennies…

Dans ce contexte, malgré toutes les réserves méthodologiques que je m’impose sur l’authenticité des faits rapportés, je m’autorise de temps en temps, à reconstituer quelques éléments biographiques de personnages de ma parentèle, quitte à imaginer certains chaînons manquants. Bien sûr, je m’efforce d’être convaincant et plausible, en particulier lorsque j’évoque les « exploits » que la tradition familiale essentiellement orale – mais en voie d’extinction – leur prête …

Le cas de Pierre Jérôme Pasquier (1773-1829) est singulier : il échappe pour partie au schéma de principe que je viens d’évoquer, et aux exigences dont je m’encombre avant de passer quelques heures en compagnie d’un de mes héros à pianoter à coups de clics et de « claques » sur mon écritoire électronique…

Beaucoup de questions demeurent à son propos quant à son implication effective et ses responsabilités dans les combats de la Chouannerie sur la rive droite de la Loire et ceux de la Vendée militaire sur la rive gauche. Malgré mes nombreuses tentatives, je ne suis pas parvenu à tout élucider et à lever l’ensemble des incertitudes.

Aussi, ma modeste contribution, ce jour, à la saga familiale à travers les siècles, vise autant à informer mes lecteurs putatifs, qu’à solliciter leur aide éventuelle pour exhumer d’éventuels trouvailles encore enfouies dans des malles oubliées, qui permettraient de préciser des zones d’ombre, persistantes.

Ce qui est certain, à propos de Pierre Jérôme Pasquier, c’est qu’il s’agit bien d’un membre de ma famille, plus précisément d’un mes très anciens grands oncles. Et pas à la mode de Bretagne, un authentique oncle! Je l’avais d’ailleurs identifié comme tel, il y a plus d’une quarantaine d’années, en consultant avec fébrilité les registres paroissiaux de Montreuil-sur-Maine et du Lion d’Angers au 18ième siècle, dans la salle des Archives Départementales du Maine-et-Loire, qui se trouvaient alors à l’angle de la rue Saint-Aubin et du Boulevard Foch à Angers…

AD 49 – 1773 – Montreuil-sur-Maine

A l’époque, ces documents n’étaient pas encore numérisés et il fallait se rendre sur place pour les feuilleter. Mais, en contrepartie, on avait accès aux registres que nos ancêtres avaient signés, on fleurait presque charnellement les péripéties familiales de nos aïeux, on pouvait caresser leur paraphe et sentir les effluves du passé au travers des vieux parchemins. C’était il y a très longtemps. Aujourd’hui, nous ne pouvons guère que dépoussiérer nos écrans !

J’avais noté le nom de Pierre Jérôme Pasquier mais je n’y avais pas prêté attention. Pour moi, il n’était qu’un des nombreux frères cadets de Charles Pasquier (1857-1811), mon aïeul direct au cinquième degré, qui, sous la Révolution, était closier à la Bellauderie, un hameau dépendant de la « paroisse » du Lion d’Angers.

A l’époque, je m’intéressais surtout à mon ascendance directe et cherchait à gravir au plus vite, l’escalier remontant du temps sans trop m’attarder en route… Je ne concevais son écoulement qu’exempt de turbulence et calé en priorité sur mon ascendance. Je me souviens cependant m’être ému du décès de la première femme dudit « papy » Charles, Françoise Lemesle (1770-1796) moins d’un an après la naissance de son premier fils, un autre Charles Pasquier (1795-1832) – lui-même disparu fort jeune – qui incidemment se trouve être l’arrière-grand-père de mon grand-père Marcel Pasquier (1892-1956).

                     Le Lion d’Angers au début du 20ième siècle

A priori, je n’avais donc pas affaire avec Pierre Jérôme ! Il avait par conséquent toutes les chances de passer inaperçu, d’autant que j’avais noté dans les archives paroissiales de Montreuil-sur-Maine, qu’il n’était qu’un des dix-sept enfants, nés entre 1756 et 1776 à la métairie de Charré, d’un couple particulièrement fécond formé par Jean Pasquier (1727-1787) et Renée Prézelin (1731- décédée après 1805). J’avais également observé qu’à peine trois ou quatre de ses frères et sœurs avaient, avec lui-même, concouru ultérieurement à assurer la descendance de la lignée !

J’avais enfin été frappé par le fait que Jean Pasquier, son père, ait très largement précédé son épouse Renée Prézelin dans la tombe: si l’on exclut une action malveillante de celle accablée de grossesses répétitives depuis vingt ans, tentant de calmer les ardeurs conjugales de son éjaculateur prodige par une décoction ciblée de « cerise du diable », on est conduit à suggérer que le mari, disparu trop tôt, est peut-être mort des suites d’une queue d’épidémie de dysenterie qui frappait encore le nord de l’Anjou et le Bas Maine à ce moment-là. A moins qu’il ait été victime d’un accident dans les prairies qu’il exploitait à Montreuil-sur-Maine sur les rives de l’Oudon.

Trente-cinq ans après ces premières « découvertes », fort de l’aubaine de la numérisation de certains dossiers d’archives départementales, j’ai pu jouir du plaisir nostalgique que ne manque pas de susciter la lecture en direct des œuvres du passé, en particulier des « cahiers de doléances »de 1789. Dans mon cas, ceux de Montreuil-sur-Maine et du Lion d’Angers, berceaux de ma famille paternelle. Pour faire bonne mesure, j’ai même cru bon d’adjoindre à ma studieuse lecture, les comptes-rendus scrupuleusement établis par les notaires royaux locaux, des assemblées provinciales précédant les Etats Généraux au printemps 1789. Je n’y ai bien entendu rien détecté de scabreux, mais, à mon grand dam, je n’y ai pas trouvé, non plus, trace de Pierre Jérôme Pasquier ou de son frère Charles, mon aïeul, parmi les signataires des procès-verbaux…

L’affaire était donc, selon moi, conclue : dans cette branche-là de ma famille, sur ce rameau-là de ma parentèle paternelle, il ne fallait pas rêver. Sous réserve de démenti ultérieur, mes aïeux sous la Révolution ne semblaient avoir été des acteurs de premier plan des insurrections vendéennes ou chouannes ! Ce n’était d’ailleurs pas une surprise ni illogique, car, à la différence des Mauges ou des bourgades de la rive gauche de la Loire, le Segréen, le pays lionnais et le Bas Maine, moins soumis aux prêches d’un clergé assez « rétro », campé sur ses privilèges  (genre imans salafistes hallucinés actuels) étaient plutôt favorables à la révolution jacobine et à la République…Et quand ce n’était pas le cas dans les hameaux reculés ravitaillés par les corbeaux, c’est la sorcellerie plutôt que le curé qui prenait le relais du sens.

Sans état d’âme particulier, j’en serais resté là, si, mu par une inexplicable intuition, je n’avais feuilleté, sans but précis ou fil conducteur, le fameux et pharaonique Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, désormais mis en ligne sur Internet, et dont la première édition fut publiée entre 1876 et 1878 par Célestin Port (1828-1901), archiviste départemental. Cet ouvrage monumental couronnait plus de quarante de ses recherches historiques sur l’Anjou au dix neuvième siècle.

Dans cette première édition Pierre Jérôme Pasquier ne figurait pas…

En revanche dans les éditions suivantes, réalisées à partir des données rassemblées, mais non exploitées, faute de temps, par Célestin Port, un article est consacré à Pierre Jérôme Pasquier et c’est une surprise. Il y est écrit qu’il était connu sous le pseudonyme de « Charrette » dans la Chouannerie et qu’il avait été capitaine (de paroisse) au Lion d’Angers entre 1793 et 1800 et pendant les Cent Jours.

Enfin, au nombre des autres informations d’importance, les auteurs signalaient qu’il avait participé à la bataille mythique « du Pont Barré » le 20 septembre 1793 sur le Layon près de Saint-Lambert-du-Lattay ! En ce lieu, une importante unité de l’armée vendéenne, commandée par le chevalier Duhoux avait mis en déroute les divisions républicaines dirigées par le général Duhoux, son parent !

Au-delà de l’anecdote, cette bataille sanglante, à l’issue de laquelle les républicains durent battre en retraite vers les Ponts-de-Cé et Angers, permit de desserrer momentanément l’étau des armées républicaines sur les rebelles vendéens. Elle fit de très nombreux morts de part et d’autre, et de nombreux blessés dont, semble-t-il, Pierre Jérôme Pasquier. Il y aurait contracté sept blessures. Sans doute légères puisqu’il leur survécut et devint père d’une nombreuse famille qu’il éleva grâce à son travail.

Le grand-oncle anonyme devint en quelques lignes un héros de la Vendée Militaire et de la Chouannerie!

Cette histoire – que ne conforte malheureusement aucun autre document aisément consultable – atteste en tout cas que Pierre Jérôme Pasquier était présent dans les troupes vendéennes dès les débuts de l’insurrection. Mais on ignore ses motivations et les circonstances de ce ralliement alors qu’il n’avait qu’il n’était âgé que de vingt ans.

Aucun des ouvrages classiques de référence sur la Vendée Militaire ou la Chouannerie ne mentionne son nom dans les index.

S’il n’est pas permis de douter de la pertinence des données avancées par Célestin Port et ses successeurs, on aimerait cependant disposer des bases documentaires, qui leur ont servi à étayer leur récit.

On aimerait notamment percer l’énigme de son enrôlement dans le corps d’armée du général vendéen Charles Melchior Artus de Bonchamps (1760-1793), probablement aux côtés de son compatriote du Lion d’Angers,  Pierre Mathurin Mercier (1774-1801), plus connu sous le nom de Mercier-La-Vendée. 

Pierre Mathurin Mercier La Vendée

D’un an son cadet, Pierre-Mathurin Mercier-La-Vendée entra en effet en résistance dès le printemps 1793 en s’opposant à la levée des trois cent mille hommes, décrétée par la Convention !

En outre, on aimerait savoir si Pierre Jérôme lui emboîta le pas après le désastre vendéen de Savenay en décembre 1793 lorsque Mercier poursuivit son combat en participant à la Virée de Galerne et, si avec lui, il rejoignit les troupes de Georges Cadoudal (1771-1804).

Était-il en compagnie de Mercier lorsque celui-ci entra en contact avec le duc d’Artois qui le nomma maréchal de camp et chevalier de Saint Louis en 1797 ?

Enfin, est-ce après la mort dans une embuscade de Pierre-Mathurin Mercier devenu La Vendée, le 21 janvier 1801 à la Fontaine-aux-Anges près du village de La Motte dans les actuelles Côtes d’Armor, qu’il rejoignit le Lion d’Angers ?

Ces questions sont à ce jour sans réponse.

En revanche, il est certain qu’il n’y eut qu’un seul Pierre Jérôme Pasquier au Lion d’Angers et que, par conséquent, celui mentionné dans le dictionnaire historique de l’Anjou est le même que notre grand-oncle au sixième degré, exhumé des archives d’état civil paroissial, il y quarante ans!

A ce stade, il est d’ailleurs nécessaire de compléter son état-civil, faute de pouvoir en faire autant avec ses faits d’armes présumés :

Pierre Jérôme est né à Montreuil-sur- Maine le 1er juin 1773. Il se maria au Lion d’Angers le 4ième jour complémentaire de l’an 11 (21 septembre 1803) avec Perrine Jeanne Belloin, avec laquelle il eut neuf enfants.

Pierre Jérôme meurt le 13 mars 1829 au Lion d’Angers, où il tenait un bureau de tabac…

 Que conclure ?

Tout d’abord, on peut penser que Pierre-Mathurin Mercier et « notre » Pierre Jérôme Pasquier se connaissaient avant 1793 et on peut présumer qu’ils sont partis ensemble au combat… Mais, naturellement, ce lien d’amitié, à tout le moins, de connaissance réciproque, préalable à l’insurrection vendéenne n’est qu’une présomption!

Un indice milite cependant en ce sens: un des témoins au mariage de Pierre Jérôme Pasquier s’appelait Pierre Mercier : il était tourneur sur bois, et savait signer ce qui, à l’époque attestait d’un certain niveau d’instruction, dispensé dans la famille de Mercier-La-Vendée. Cousin par alliance de l’épouse de Pierre Jérôme, Perrine Belloin, ce Pierre Mercier était certainement apparenté au père de Pierre-Mathurin Mercier-La-Vendée, aubergiste au Lion d’Angers. Il faudrait, bien sûr,le vérifier, mais si tel était le cas, le lien entre nos deux héros serait en grande partie élucidé.

A son mariage, Pierre Jérôme affiche une profession de marchand de fil et de filasse, qui justifie, a posteriori, les nombreux déplacements dans la province qu’il a du effectuer les années précédentes, et dont il n’a peut-être pas envie de décliner le détail sous le règne de Napoléon 1er.

Mais à son décès, le 13 mars 1829, il est présenté comme débitant de tabac. Ce qui donne à penser qu’il a bénéficié à la Restauration d’une reconnaissance de l’Etat monarchique, pour ses actes de bravoure et pour les services rendus. Mais là encore, aucun dossier relatif à une demande ne semble pourtant avoir été déposé auprès de autorités préfectorales à partir de 1814 pour solliciter une pension ou un privilège…

Alors une part de mystère persiste!

Procréateur sans doute moins prodige que ses parents – et moins précoce – il sera quand même le père de neuf enfants. Tous avec Perrine. Un de ses descendants actuels a-t-il la clé de cette histoire ?

Dernier clin d’œil du destin ; son acte de décès en 1829 comporte la signature de Félix Elie Mercier-La-Vendée (1781-1846), notaire, maire du Lion d’Angers et frère de général chouan !

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Vive la France !

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Comme le temps passe! C’était le 26 décembre 1828 à Montjean-sur-Loire en Anjou…

Ce jour-là, sous le règne du très conservateur roi de France Charles X, Angélique Pasquier, épouse de Louis Fillion, un filassier de chanvre du cru, met au monde Marie Fillion (1828-1911).

La petite Marie, cadette de la famille, sera elle-même, mère d’une très nombreuse descendance, dont mon arrière-grand-père Alexis Turbelier (1864-1942) qui naîtra également à Montjean-sur-Loire, quelques trente six ans plus tard.

D’elle, on ne sait rien ou presque, hormis quelques souvenirs glanés ici ou là, et rapportés par une de ses petites filles angevines, Germaine, qui, à la charnière du vingtième siècle, passait parfois quelques jours de vacances à Montjean chez sa grand-mère dans sa maison de la place du Vallon, proche de l’entrée de l’ancienne mine de charbon!

Rien en tout cas qui justifierait aux yeux d’un historien académique, qu’elle franchisse allègrement les décennies en imprimant une indélébile marque sur la postérité…

On possède malgré tout une photographie d’elle – une seule – perdue au milieu du remariage d’un de ses fils en 1897, alors qu’elle était déjà âgée, et veuve depuis un an de son perreyeur ou carrier d’époux, Mathurin Turbelier (1825-1896) ! Elle porte la coiffe des paysannes riveraines de la Loire…
Autant dire qu’en 2017, son anniversaire avait toutes les chances de passer inaperçu, s’il ne m’était venu à l’idée en ce lendemain de Noël gris, brumeux et pluvieux, de vagabonder au travers des imprévisibles labyrinthes de mon arbre généalogique à la recherche de quelque rameau oublié qui puisse retenir mon attention et m’offre la chance de nouer une improbable aventure sans lendemain et sans risque avec une gente dame d’autrefois …

Point d’Emilie de Breteuil dans ma gibecière, ni de Louise de Prusse! En fait, je ne suis tombé que sur cette adorable grand-mère au regard de « Tigre » vendéen et méfiant, dont j’ai déjà eu l’occasion de parler ici, mais dont je n’avais encore jamais fêté la naissance ! « Pour cause, me dira t’-on, on ne peut célébrer la naissance de tous les aïeux figurant sur notre série géométrique généalogique ».

Malgré tout, on peut faire des exceptions! Et, en l’occurrence, cent quatre-vingt-neuf berges, ça compte pour cette riveraine de mon fleuve de cœur, la Loire, ma « terre » fluide, en perpétuel mouvement au rythme des saisons … Comme se plait souvent à le rappeler – et bien plus joliment que moi – l’académicienne et écrivaine Danielle Sallenave, originaire de Savennières !


Et en plus ça « tombe » bien, car Marie Fillion est l’incarnation même de ma famille maternelle, métissée des deux rives mais entièrement ligérienne …

Par sa mère, Angélique Pasquier (1790-1866) – « fille de confiance » de son état – Marie serait plutôt influencée par la rive droite du fleuve en aval d’Angers et en amont d’Ancenis. Cependant, tant par le lieu de sa naissance, que par son ascendance paternelle, elle ne pouvait être qu’héritière des us et des coutumes de la rive gauche du côté de Saint-Florent-le Vieil, Bouzillé et des Mauges… Des mœurs et convictions ancestrales que je revendique encore aujourd’hui sans toutefois y adhérer.

Certes, son père était né bien en amont, à Saumur en 1795, mais par la force des événements tragiques qui avaient contraint ses parents à s’y réfugier à la suite des combats fratricides des guerres de Vendée à Saint-Florent-le-Vieil et des actes génocidaires à jamais impunis, perpétrés par les troupes de la Convention pour mâter la rébellion…

Marie est née avec ce fardeau et ces fantômes … et nous aussi, forcément!

Parmi les autres perdreaux de l’année 1828, il faut évidemment citer son presque compatriote Jules Vernes, né à Nantes le 8 février 1828… Mais aussi du côté de l’Oural, ces contrées dont Marie n’imaginaient peut-être même pas qu’elles puissent exister, un certain Léon Tolstoï, le 28 août 1828…

Il est possible enfin qu’elle ait entendu parler par un colporteur de passage à Montjean, de René Caillié, un gâs des Deux-Sèvres et explorateur réputé, qui, en 1828, réussit à rallier Tombouctou au Mali à partir du Sénégal, et qui, surtout, parvint pour la première fois dans l’histoire occidentale, à en revenir vivant !

Finalement, on ne saura jamais ce qu’elle sut vraiment du monde qui l’entourait, alors qu’elle traversa deux monarchies – Bourbon et Orléans – deux Républiques dont une « Lamartinienne » et un empire napoléonien…Non plus qu’on élucidera cette curieuse concordance des dates, qui fit que, née au lendemain de la Nativité chrétienne, elle mourut la veille de la Fête nationale, le 13 juillet 1911 à l’hospice civil de Montjean-sur-Loire.

Bon anniversaire, petite Marie !

PS du 8 mars 2019:

Extrait de l’arbre généalogique de Marie Fillion et de sa mère Angélique Pasquier, eu égard aux commentaires intervenus depuis la première publication:

 

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Depuis juillet 2011, date laquelle j’ai fait valoir mes droits « légitimes » à la retraite, je me suis largement émancipé du système coercitif mis en place dans mon entreprise pour « manager » par la qualité ! Je me suis affranchi sans regret de l’enchevêtrement inextricable des processus et procédures « de qualité », censés pallier tous les risques d’erreur, mais qui, en dépit du culte qu’on leur voue, masquent difficilement, l’absence de créativité. Ce délestage de cette contrainte imbécile fut même une des rares satisfactions dont on puisse se délecter sans modération au moment où l’on est mis au rancart ! Mais en contrepartie, on devient téméraire et parfois péremptoire, notamment lorsqu’on présente des observations de circonstance comme des vérités démontrées – voire premières.

Ainsi, dans un billet du 28 mars 2014 rappelant le sacrifice des soldats républicains en juillet 1793 à la Roche de Mûrs-Erigné, avais-je imprudemment écrit qu’en Anjou, les monuments à la gloire de la République rappelant des épisodes des guerres de Vendée sont, non seulement « rarissimes », mais, qu’à ma connaissance, il n’en existait qu’un seul, celui de la Roche de Mûrs-Erigné ! ». Si ces hommage aux « patriotes » révolutionnaires de 1793-1794 ne courent effectivement pas les rues et les chemins creux de la « Vendée militaire », l’exemple de la colonne de la Roche de Mûrs-Erigné n’est pas unique. Et j’aurais dû m’en assurer en procédant aux vérifications qui s’imposaient, comme au bon vieux temps, où j’avais mission de promouvoir auprès de mes collègues, les normes et les pratiques panurgiennes de la qualité!

Monument des douze braves à Nueil-sur-Layon

Monument des douze braves à Nueil-sur-Layon

Au cœur du vignoble angevin des coteaux du Layon, une colonne de granit – un obélisque pour certains – a, en effet, été érigée en 1895 sur la place d’Armes du petit village de Nueil-sur-Layon pour rappeler le combat « héroïque » que livrèrent, le 27 avril 1794 (8 floréal an 2) « douze braves » acquis aux idéaux de la République – dont leur maire Nicolas Pilet (1752-1794). Assiégés dans le clocher de l’église Saint-Hilaire par « dix mille assaillants » vendéens des troupes du général Jean-Nicolas Stofflet (1753-1796), ancien soldat des armées de Louis XVI et ancien garde-chasse du comte de Colbert-Maulévrier, les douze patriotes résistèrent avec succès. Mais cette victoire coûta la vie à l’un d’entre eux, qui les commandait, Nicolas Pilet, leur premier édile depuis 1791.

En ce sinistre printemps 1794, les insurgés vendéens encore en armes avaient d’ailleurs de bonnes raisons de chercher à en découdre avec les républicains, dont les « colonnes infernales » semaient la terreur et la mort dans toute la « Vendée militaire », à la périphérie duquel se trouvait Nueil-sur-Layon, qui constituait de longue date un « centre de résistance » contre les insurgés royalistes à la limite du Saumurois favorable aux principes de la Révolution.

A la tête des troupes républicaines, le général Louis Marie Turreau (1756-1816), était un authentique criminel de guerre, au sens moderne du terme. En ce mois d’avril 1794, il n’avait pas encore été relevé de ses fonctions , et conduisait une répression sauvage et impitoyable contre les insurgés vendéens et angevins, allant jusqu’à préconiser l’extermination massive et systématique des villageois de l’Anjou, de la Vendée et du Haut-Poitou. Et même du bétail!

Cette tragédie que d’aucuns assimilent, non sans motif, à une action génocidaire, faisait suite à la déroute de l’armée vendéenne de décembre 1793 à Savenay en « Loire inférieure ». Elle endeuilla la rive gauche de la Loire en aval de Saumur, depuis les Mauges et une partie du pays nantais jusqu’à l’actuel département de la Vendée et le nord du Poitou. Ponctuée de nombreuses escarmouches aux frontières de la « Vendée militaire » entre les troupes survivantes de l’armée vendéenne d’Anjou et les colonnes ou garnisons républicaines, elle donna lieu alors à des déchaînements de haine et de violence dans les deux camps et installa durablement le chaos sur tout le territoire insurgé de 1793. Et des ressentiments qui persistent dans l’esprit des nostalgiques du passé!

Des atrocités furent commises de part et d’autre, de sorte qu’aujourd’hui, confronté à la fragilité des témoignages et, parfois à leur caractère excessif et partisan,  il est malaisé de se faire une opinion définitive sur les responsabilités respectives des exécutants de terrain… A deux siècles de distance, le mieux est de prôner la « paix des braves » en cultivant le souvenir de toutes les victimes, quel que soit le clan auquel elles appartenaient, d’autant qu’en y regardant de plus près, on s’aperçoit souvent qu’elles relèvent, toutes, de notre parentèle.

S’agissant de l’affaire de Nueil-sur-Layon, plusieurs récits en ont été faits. Ils reposent généralement sur les mêmes témoignages et s’inspirent probablement les uns des autres. Ils présentent néanmoins certaines contradictions, notamment sur les effectifs réellement engagés. Dans son dictionnaire historique de Maine-et-Loire, rédigé plus de trois-quart de siècle plus tard, l’historien républicain et archiviste angevin, Célestin Port (1828-1901) estime que l’effectif des vendéens qui assaillirent le village de Nueil-sur-Layon, le jour de la Quasimodo 1794 (8 floréal an 2) était d’environ huit-mille hommes, alors que la stèle qui se trouve sur la place d’Armes mentionne dix-mille, et que le site Internet officiel de la ville affiche plus modestement une troupe certes « importante » mais qui ne comprenait guère plus que six-cent « brigands » commandés par Stofflet.

Les visées de ces « débris » de la grande armée catholique et royale d’Anjou, réfugiés dans les forêts de Maulévrier et de Vézins, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Nueil-sur-Layon, n’étaient pas seulement de venger les malheureuses victimes des exactions commises par les « patriotes », elles étaient aussi de piller les lieux de garnison ou les postes républicains pour s’approvisionner en vivres.

Selon Célestin Port, qui décrit l’événement, la ville était « à peu près » désertée, lorsque les vendéens pénétrèrent dans le bourg par la route de Passavant, « poussant devant eux les bestiaux et les grains des pays circumvoisins ». Seuls « douze braves », dont le maire, les attendaient de pied ferme, enfermés armés dans le clocher pour les cueillir « à froid » par une fusillade nourrie, retarder ainsi leur progression, et si possible leur faire barrage dans l’attente de renforts.

Demeuraient cependant en ville à la merci des assaillants, quelques vieillards impotents, quelques femmes enceintes et des enfants, qui n’avaient pas su fuir avec les autres habitants dans les bois taillis du château de la Grise, lorsque l’alarme fut donnée.  Sur ce point encore, les différentes versions divergent sensiblement!

Nous retiendrons, ici, celle très documentée, mais apocryphe, rapportée dans un journal, « Le Progrès Illustré » à la fin du dix-neuvième siècle, probablement au moment de l’érection de la stèle commémorative sur la place d’Armes.

« Le dimanche de la Quasimodo, un Nueillais qui travaillait derrière un mur dans un champ nommé « La Colinette » sur la route de Passavant  aperçoit quatre éclaireurs vendéens qui s’avancent dans la direction du bourg. Les Vendéens étaient redoutés de la population républicaine de Nueil … Stofflet allait sûrement mettre à sac leur village et faire payer cher aux habitants leur dévouement à la nouvelle cause… Comment les avertir de l’approche de l’ennemi?

Notre homme a alors une idée géniale. Il laisse s’avancer les cavaliers et lorsqu’ils sont prêts de lui, avec un beau sang-froid, il commande à pleine voix: Garde à vous! Armez! Joue! 

Surpris et craignant une embuscade, les éclaireurs tournent bride et s’enfuient à fond de train. L’homme courut alors alors dans le bourg et donna l’alarme. Affolés les habitants mirent en lieu sûr leur argent, cachèrent leurs provisions et en toute hâte traversèrent le Layon (…) Seuls douze hommes résolus se décidèrent à défendre le bourg »

Ces « douze braves » étaient Nicolas Pilet, menuisier, maire du village, son frère Pierre Pilet, régisseur du château de la Grise, André Gauthier, les frères Gallard, les frères Charruau, Pierre Hervé, Pierre Gannereau, Louis Desnoues, Nicolas Godineau, Jean Hétreau.  Quelques enfants soutiennent leurs pères, dont ceux des frères Pilet.

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Sous l’autorité de leur maire, les résistants du clocher n’espéraient pas venir à bout de l’unité vendéenne lourdement armée, qui investissait le village, mais la freiner suffisamment jusqu’à l’arrivée des renforts.  Eux-mêmes bien équipés, ils possédaient des réserves de cartouches et de l’approvisionnement nécessaire pour soutenir un siège. Conscient du lourd défi qu’ils s’imposaient, ils se répartirent la besogne en s’organisant en trois groupes de quatre, pour respectivement déchirer les cartouches, charger les fusils et tirer.

Lorsque les « blancs » débouchèrent sur la place, ils firent feu!

Surpris, les vendéens s’arrêtèrent et cet instant d’indécision faillit leur être fatale. Elle leur fut préjudiciable, car les balles meurtrières « éclaircissaient » leurs rangs, au point qu’ils songèrent à battre en retraite! C’est alors que le général Stofflet furieux les poussa courageusement à resserrer les rangs, tandis que son propre cheval s’écroulait sous lui, mortellement atteint.

A sa manière rustre et autoritaire, il les motiva: « Marchez-donc, tas de jean-foutres » ! Dans le clocher, Nicolas Pilet cria à son tour « Feu de douze » et les tirs redoublèrent de plus belle, tuant plusieurs vendéens. D’autres répliquèrent par des salves fournies, atteignant l’infortuné maire au coude.  Stofflet donna alors l’ordre d’incendier le village et son église. Puis prenant en otage les quelques habitants qui n’avaient pas pu abandonner les lieux, et les plaçant face à la mitraille, il entendit faire taire la résistance des « douze braves » en s’en servant comme boucliers!

Las!  » Du courage et du sang-froid mes amis, visez lentement » clama alors Nicolas Pilet, sérieusement amoché … Et les tirs du clocher se poursuivirent jusqu’à la nuit, au grand dam de Stofflet qui constata que sa troupe avait été en partie décimée…

A la faveur de cette trêve, les troupes républicaines des environs, commandés par les généraux Jean-Pierre Boucret (1764-1820) et Louis Grignon (1748-1825 ) purent enfin déserrer le siège et délivrer Pilet et ses compagnons. A temps, en tout cas, pour leur éviter d’être carbonisés dans l’incendie qui continuait de ravager l’église…

Le maire, mortellement blessé, décéda quelques jours plus tard! S’il fut certainement le seul à être tué au cours de l’assaut de l’église par les soldats royalistes, les registres d’état civil de la ville de Nueil-sur-Layon – dont la tenue a été interrompue pendant une vingtaine de jours après le huit floréal de l’an II – font mention de décès par assassinat  » à cause de la fureur des brigands ». Je n’ai pas retrouvé en revanche l’acte de décès de Nicolas Pilet…

Registre des décès de Nueil-sur-Layon - 29 floréal an 2

registre décès Nueil 29 floréal an 2

Ainsi, doivent au moins figurer au titre des victimes nueillaises de cette attaque vendéenne, André Davy, cultivateur d’une soixantaine d’années et Jean Foudrin, tisserand, tués tous les deux, le 8 floréal an 2. Peut-être d’autres devraient être consignés dans cette macabre comptabilité, paysans des campagnes environnantes, que les troupes vendéennes affamées cherchaient à spolier et voler.

En 1830, lors de la révolution de juillet, la Garde nationale reprenant les armes, vint rendre hommage aux douze braves de Nueil-sur-Layon et incliner symboliquement le drapeau tricolore devant cinq des survivants de cet épisode dramatique des guerres de Vendée, à la gloire de la République.

L’obélisque de Nueil et la colonne de la Roche de Mûrs-Erigné sont-ils les seuls témoignages des faits d’armes à l’honneur des républicains durant les guerres de Vendée de 1793 à 1800? Sans doute pas... Il faudrait d’ores et déjà, ajouter à la liste, la stèle des « Fosses-Cady » à l’orée de la forêt de Beaulieu-sur-Layon, où reposent plus de mille républicains, tombés lors de la bataille du Pont-Barré le 19 septembre 1793… Mais c’est une autre histoire, moins valorisante, car la défaite, ici, fut cinglante…

Signature de Nicolas Pilet     (1752-1794) - Ventôse an 2

Signature de Nicolas Pilet (1752-1794) – Ventôse an 2

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