Le 7 novembre 2017, mon père Maurice Pasquier (1926-2017) s’éteignait, emporté par un cancer du pancréas, dans une unité de soins palliatifs de l’hôpital de Bligny en région parisienne.
Cinq ans se sont écoulés depuis ce jour! La sidération que provoque toujours la mort des siens, même lorsqu’on la sait inéluctable, s’est progressivement estompée. Le travail de deuil a fait son œuvre et la douleur de cette disparition est désormais assimilée et intégrée au cycle normal de la vie!
« Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie le visage et l’on oublie la voix »
Nous percevons aujourd’hui avec acuité, la quasi-justesse de cette chanson de Léo Ferré (1916-1993). Tout ou presque effectivement s’érode et en principe disparait dans la durée, A commencer par les sensations ressenties auprès de l’agonisant ou du disparu, les saveurs de l’existence et peut-être aussi les émotions qui vont avec.
A quatre-vingt-onze ans, mon père est ainsi parti, précédant ma mère Adrienne Turbelier (1923-2018) d’un trimestre. Depuis 1945 il ne s’étaient pas quittés. La mort qui les avait momentanément séparés, a mis moins de cent jours pour remettre leurs pendules synchrones et les réunir. A quatre-vingt-onze et quatre-vingt-quatorze ans respectivement, chacun en général parvient à se convaincre que ces âges sont honorables pour mourir!
On finirait même par admettre que la mort des siens, qui se présente comme une des frontières énigmatiques de notre propre vie, procède d’un enchainement salutaire des générations, presque libérateur pour ceux qui survivent. La réalité est radicalement autre. En effet, ceux qui s’en vont emportent avec eux des pans entiers de notre histoire intime. Ils sont notre mémoire, celle de notre Anjou, celle de l’enfance, celle d’une fratrie composée d’un frère et de trois sœurs. Celle des balades dans les forêts angevines à l’automne pour ramasser les marrons, celle des repas de Noël rue de Messine à Angers, celle enfin de la Deux Chevaux Citroën dans laquelle quatre enfants se serraient « comme des sardines » sur la banquette arrière. Celle des copains du syndicat de Maurice, celle de la Chèvre Blanche, la boutique où ma mère était vendeuse, celle des ménages qu’elle faisait pour « mettre du beurre dans les épinards », celle de la couturière qui confectionnait nos vêtements et tant d’autres souvenirs vieux de trop de décennies accumulées et que je partage avec mes sœurs.
Rien ne saurait s’effacer de ces épisodes fondateurs de notre jeunesse, dans laquelle notre père et notre mère étaient les principaux acteurs!
Malgré tout, comme le prétend Léo Ferré, le temps qui passe après la disparition d’un être cher, engendre un oubli nécessaire et réparateur. Mais il n’efface rien de notre affection pour ceux qui nous ont accompagnés dès nos premiers balbutiements et qui nous ont tout appris et constamment pardonné. Qui étaient présents lorsque nos premiers regards se sont posés avec ingénuité sur le monde et qui étaient toujours à nos côtés des décennies plus tard au seuil de notre propre « troisième âge » où nos rôles respectifs se sont parfois inversés.
Ainsi, il ne se passe guère de journée depuis cette date singulière de leur décès, celle où le temps s’est arrêté pour eux en abord d’une insondable infinitude, sans que nos pensées ne se télescopent avec celles que nous aimons leur prêter en narguant la grande faucheuse.
Certes, nous n’entendons plus le son de leurs voix, nous ne voyons plus les rides de leurs visages et même nous avons oublié les stigmates de leur souffrance dans les derniers instants, mais nous continuons à nous référer sans forcément en prendre conscience, aux valeurs ainsi qu’aux manières d’être et de penser qu’ils nous ont légués.
Notre privilège d’être encore vivants alors qu’il ne sont plus, se manifeste dans cet héritage que nous avons mission de fructifier. Ils sont à la fois notre patrimoine et nos racines; ils sont les principaux artisans et metteurs en scène de ce que nous sommes devenus. Et, à ce titre, nous leur devons la reconnaissance sans pour autant biffer ce qui parfois nous opposait. Mais surtout sans renier le message de liberté et de responsabilité qu’ils se sont évertués à nous transmettre, et sans s’excuser de l’amour que pudiquement nous nous portions réciproquement.
Nos controverses d’antan n’apparaissent plus désormais que comme des anecdotes plus ou moins dérisoires et, en tout cas, toujours datées. Nous devons donc, sans les ignorer, les regarder comme des voix d’un passé toujours présent, riche d’approches dialectiques et complémentaires de l’existence, forcément différentes du fait de leur temporalité mais riches de réflexions fécondes que nous avons vocation à prolonger.
De la sorte, sans qu’il soit besoin de recourir à une quelconque immanence ou transcendance, Papa et Maman demeurent parmi nous, en nous, devrais-je écrire! Ils demeurent notre boussole mais nous laissent, comme jadis, la liberté d’opter pour d’autres chemins que ceux qu’ils auraient peut-être empruntés.
Honorer leur mémoire ne relève donc plus d’un devoir ou d’une obligation de piété filiale, mais de la préservation d’un référentiel qu’il nous appartient d’enrichir de nos propres expériences pour nous hisser vers l’avenir.
Jardin du Mail à Angers
Très beau jean Luc un vrai poète comment ne pas lire bravo
Merci beaucoup Annick pour ce message. Tu appartiens à cette histoire.
Très émouvant, et comme toujours écrit de façon élégante, témoignage de votre amour filial. Ces quelques lignes m’ont ramené vers ces tristes années de fin 80, qui ont vu partir d’abord ma Maman, puis 6 ans plus tard mon Papa, qui ne s’était jamais remis de ce départ. Je n’ai pas alors mesuré, ce que tous les deux m’avaient appris et apporté, je l’ai compris lors de la naissance de nos jumeaux voici 23 ans et depuis leur absence s’est muée de nouveau en présence.
Hervé Cariou, ex de David d’Angers de 62 à 70.
Merci cher condisciple de David d’Angers pour votre message. Condisciple un tantinet plus jeune que moi qui ai usé mes fonds de culotte dans les classes de ce bon vieux lycée napoléonien entre 1959 et 1967!
Amour filial.
A 80 ans et bien plus… ils accompagnent souvent mes rêves ,il n’est de jours ou ma pensée va vers eux…
Merci pour ce beau jardin du mail, traversé chaque jour dans les années soixante !