Ce billet aurait pu et dû être titré: « la Honte en Anjou « … Car les rafles des juifs qui se déroulèrent, il y a tout juste quatre-vingt ans, à Angers – ma ville natale – constituent bien un des épisodes les plus déshonorants de l’histoire du Val de Loire angevin. Sinon le plus abject et ignominieux de toute la période contemporaine. Et pourtant, il fut longtemps banalisé au rang des drames classiques de la guerre.
Ce n’est heureusement plus le cas. Car les crimes génocidaires ne relèvent plus du droit commun des crimes « ordinaires ». Et de fait, la participation active sous les ordres de l’occupant nazi, du Préfet pétainiste de Maine-et-Loire, du commissaire central de la police locale, du commandant de la gendarmerie départementale et enfin de la plupart des gardiens de la paix de la police municipale à l’arrestation massive des juifs de l’Anjou et des Pays de Loire au cours de l’année 1942 relève indiscutablement d’une entreprise criminelle hors norme.
Une « opération » génocidaire assumée conçue par la folie antisémite d’Hitler et qui visait à éradiquer totalement les juifs d’Europe.
Il est possible – au moins s’agissant de la première rafle importante du 15 juillet 1942, que les différents protagonistes français, hauts gradés et exécutants subalternes, se soient laissés berner par l’illusion arrangeante que les personnes arrêtées – juridiquement coupables d’exister – seraient ensuite transférées dans des camps de travail à l’Est pour soutenir l’économie allemande. Un fantasme évidemment, en forme d’excuse inexcusable, car d’aucuns ne pouvaient ignorer ni la cruauté, le racisme et l’antisémitisme viscéral des nazis, ni la duplicité du régime de Pétain qui avait promulgué dès octobre 1940 des lois racistes excluant de facto les juifs de la communauté nationale.
Sans trop d’états d’âme, une grande majorité de ces consciencieux rond-de-cuir censés incarner l’autorité d’un état français fantoche, avait d’ailleurs fait appliquer les lois ignobles de Vichy et fait sanctionner les contrevenants juifs, c’est-à-dire de braves gens qui, pour tout crime, avaient omis de se déclarer « israélites » ou qui avaient pénétré indûment dans des lieux qui leur étaient désormais interdits.
En octobre 1942, lors de la seconde vague d’arrestations en Anjou, les fonctionnaires locaux du régime de collaboration en Anjou, préfet régional en tête, ne pouvaient plus miser sur leur innocence ou sur leur candeur quant aux intentions criminelles de leurs donneurs d’ordre. Ils savaient ou pressentaient l’horreur qui attendait ces malheureux à la sortie des trains et des wagons réquisitionnés et insalubres dans lesquels ils les avaient poussés à la hâte. Le lieu d’embarquement, le quai dit « du Maroc » proche de la gare Saint-Laud d’Angers, grouillait de monde, incrédule et apeuré. Mais les responsables savaient, grâce notamment aux informations que diffusaient clandestinement les mouvements de Résistance en particulier communistes que l’avenir de ces pauvres gens était très sombre. Pour ne pas dire plus!
Les autorités françaises ne pouvaient donc ignorer la tragédie qui se jouait ici et le sort réservé à ces innocents qu’on dépouillait sous leurs yeux. Elles n’eurent aucune excuse sauf celle de leur lâcheté. Elles ne furent – quoiqu’elles déclarèrent ultérieurement pour atténuer leur responsabilité – que de pitoyables complices d’un crime contre l’humanité, en d’autres termes, des supplétifs du nazisme et de l’ennemi.
C’est d’autant plus évident qu’il est désormais établi que la collaboration effective et même volontariste avec les SS et la Feldkommandantur, de la haute administration française fut indispensable à la réalisation de ces infâmies. Chez ces fidèles « serviteurs de l’Etat » elle atteste monstrueusement d’une perte totale d’humanité et même de sens civique, alors que deux ans auparavant ils vivaient encore en République et jouissaient, hors des heures de bureau, d’une réputation de bons maris – ou presque – de bons pères de famille et de bons chrétiens.
Comme les rafles du Vel d’Hiv à Paris – mais dans des proportions bien moindres – les arrestations angevines concernèrent tous les juifs résidant en Anjou, qu’ils soient réfugiés ayant fui les persécutions antisémites du Troisième Reich en Allemagne, qu’ils aient quitté les pays de l’Est envahis en 1939 et 1940, ou qu’ils soient habitants de longue date la capitale des ducs d’Anjou.
Comme partout ailleurs, ces rafles constituèrent en Anjou, province pourtant réputée pour sa douceur de vivre, la première phase de la « solution finale de la question juive », promulguée par Hitler et Himmler. La seconde – finalité ultime de cette barbarie – étant l’assassinat programmé des juifs d’Europe dans des camps d’extermination comme celui d’Auschwitz-Birkenau en Pologne.
L’ouvrage de l’historien Alain Jacobzone, « L’éradication tranquille » édité dans la collection Faits et Gestes aux éditions Ivan Davy en avril 2002 est à cet égard sans ambiguïté et parfaitement démonstratif. A lire et relire à l’occasion de ce triste anniversaire, car il dresse un tableau glaçant et documenté de cette collaboration servile de l’administration française locale avec les bourreaux.
Sans la contribution de la police municipale angevine et de la gendarmerie nationale locale, les nazis n’auraient pas pu, en effet, mener à bien ces sinistres opérations. Le chef des SS angevins admettait sans ambages que » les SS ont actuellement trop d’occupations pour procéder eux-mêmes aux arrestations »!
On ne dira donc jamais assez la répulsion rétrospective qu’inspire globalement l’action de la police municipale d’Angers et de la gendarmerie française d’alors. A quelques exceptions près de gardiens de la paix ayant manifesté une bienveillance protectrice à l’égard de victimes, les deux institutions policières locales jouèrent un rôle déterminant dans la concrétisation de ce crime de masse.
Ce constat et ce sentiment ne remettent pas en cause l’audace de certains fonctionnaires, proches des milieux résistants ou catholiques, qui, bravant leur hiérarchie, tentèrent de prévenir quelques juifs et parvinrent à leur faciliter la fuite après les avoir convaincus de quitter leur domicile.
Chacun a entendu parler, parfois au sein de sa propre famille, de personnes courageuses et discrètes qui, du fait de leur fonction, purent fournir des faux papiers à des fuyards. Certains autres enfin éprouvèrent une réelle compassion à l’égard de ceux qu’on expulsait de leurs foyers sans autre motif que leur judéité.
Dans son ouvrage, Alain Jacobzone fait en outre état, archives à l’appui, de l’hésitation de quelques responsables politiques à collaborer avec l’occupant. Quoiqu’il en soit le crime fut commis!
La principale rafle de grande envergure eut lieu le 15 juillet 1942, vingt-quatre heures avant le déclenchement de la tristement célèbre rafle du Vel d’Hiv à Paris, et la seconde le 20 octobre 1942.
Globalement, elles furent exécutées avec zèle par les policiers et les gendarmes.
Au-delà des souhaits et des demandes explicites, exprimés par les occupants nazis qui ne visaient dans un premier temps que les étrangers, la police et la gendarmerie, accompagnées de soldats allemands, arrêtèrent sans distinction les juifs de nationalité française et tous ceux qui s’étaient réfugiés en France en provenance des pays d’Europe centrale. De surcroit, elles ne tinrent pas compte du critère d’âge, raflant indifféremment, enfants et vieillards, et même ceux qui étaient handicapés.

Une fois arrêtées, toutes les personnes furent internées dans des conditions inhumaines au Grand Séminaire de la Rue Barra à Angers, où elles furent délestées de leurs bijoux ainsi que des maigres biens qu’elles avaient apportés en toute hâte dans les minutes précédant l’expulsion de leur domicile et sa mise sous scellés.
Deux jours plus tard, traversant la ville dans des bus affrétés par la police angevine, elles furent entassées sans ménagement, sans nourriture et sans installation d’hygiène dans des wagons qui les conduisirent directement vers les camps d’extermination, en particulier celui d’Auschwitz-Birkenau.
Ainsi, le convoi n°8 quitta Angers le 20 juillet 1942...Au total, sur les cinq-cents « israélites » recensés par les services de police angevins à la demande des allemands, moins d’une trentaine aurait échappé au massacre à Auschwitz, tantôt gazés dès leur arrivée, tantôt exécutés, tantôt affamés.
Horrible statistique!
Tout juste, quatre vingt ans après la réunion du 30 juin 1942 à Paris, à laquelle furent conviés les commandants SS de province afin d’organiser les grandes rafles de juillet et inciter Vichy à mettre à disposition ses quelques 100000 policiers, que reste t-il dans notre mémoire collective de cet épisode lamentable de notre histoire? Et quelles leçons en a t-on tiré pour prévenir à l’avenir les crimes contre l’humanité et châtier les coupables de génocides.
Aujourd’hui le droit pénal international s’est enrichi. Il permet en principe de réprimer ce type de dérives mortifères. Mais quel que soit l’arsenal de mesures juridiques adoptées depuis la dernière guerre mondiale, et l’existence d’un tribunal pénal international châtier les coupables, les exactions racistes ou les crimes de guerre n’ont jamais cessé comme en témoigne la montée actuelle en France de l’antisémitisme sous la pression d’un islamisme salafiste de plus en plus envahissant. Comme en témoigne également la guerre d’agression en Ukraine décidée avec cynisme par le dictateur russe Poutine. Et tant d’autres crimes ou génocides à travers le monde au cours du dernier demi-siècle!
Les rafles de juillet 1942 sombrent dans l’oubli, la totalité des acteurs a aujourd’hui disparu, seuls demeurent quelques rares témoins qui se souviennent de ces événements qu’ils ont entrevus pendant leur tendre enfance. Hormis ceux qui connurent directement des victimes de ces épouvantables tueries et qui peuvent encore évoquer quelques souvenirs, seuls certains proches de témoins, alors tétanisés par la peur et impuissants face à l’impensable, l’inconcevable et l’indicible peuvent en parler en leur donnant chair.
Et justement, c’est là que se situe notre « devoir de mémoire » ! Rappeler que l’impensable peut être pensé. Que l’improbable peut arriver. Que l’horreur est une menace permanente. L’actualité nous le prouve quotidiennement. Le devoir de mémoire, c’est donc, avant tout, un devoir de vigilance!
Pour mes deux fils, trois petits-enfants Syllia, Johlan et Ethan, pour les descendants Turbelier et aussi toutes les personnes qui n’ont pu entendre parler pendant des années de ces rafles, afin que nul n’oublie.
Oui j’avais à peine 4 ans lors de la rafle d’Angers. Je n’en ai entendu parler que plus tard. Pourtant, nous avions quelqu’un dans la police à cette époque. Je sais que Jean-Luc a fait des recherches archivistiques. Bien entendu, mon oncle avait reçu des ordres de ses supérieurs pour aller garder au Séminaire d’Angers les juifs arrêtés. Mais toute sa vie il n’en parla. Pas davantage, il ne parla qu’il avait participé en cachette à établir de faux papiers à des familles juives. Mais, quand j’eus 12 ans, au lendemain de son enterrement (ce jour-là nous n’y fûmes pas présents car mon frère Michel se mariait – double mariage car la sœur de ma belle-sœur se mariait également). Nous avions envoyé des fleurs grâce au taxi ami des mes parents. Malheureusement, la carte l’accompagnant avait dû se perdre. Donc ce lendemain j’ai beaucoup pleuré avec ma maman car la douleur égarait la famille Turbelier endeuillée. Mais c’est ce jour-là précisément que ma tante Adrienne avait dans ses mains toutes les cartes de condoléances de familles juives ou de leurs descendants, remerciant mon oncle de leur avoir permis d’échapper à ces rafles en leur donnant des faux papiers. Je suis sans doute la seule de la famille maintenant à pouvoir témoigner.
Peut-être mon oncle Louis avait-il eu l’occasion de rencontrer Monsieur Léo Bergoffen, né à Berlin et revenu d’Auschwitz. Ses parents y furent déportés par le « fameux » convoi N° 8. Il est décédé en 2020. A son retour du camp, il fit des conférences et c’est à une de ces occasions qu’il rencontra et se maria avec Odette Blanchet le 26 février 1946. Elle fut résistante à 17 ans. Elle devint chevalier de la Légion d’honneur et surtout « Juste parmi les nations » pour avoir sauvé trois membres de la famille Moscovici. En ce qui me concerne, sans savoir tout cela, je fus une de leur cliente, leur magasin rue du Haras était fort connu et vendait d’excellents articles de ménages en tissus surtout en toile de Cholet.
François Miterrand n’avait pas souhaité prendre parti en son temps, sans doute à cause de son passé (décoration de la francisque) et de son amitié avec Bousquet. Jacques Chirac a pu lever le voile à son tour comme il le fallait. Ce jour, à Pithiviers, notre président actuel rendra hommage à toutes ces personnes qui ont vécu ô combien ces moments difficiles. Pour moi, je voulais seulement apporter mon très modeste témoignage. Vu mon âge « canonique » je suis la dernière de la famille à pouvoir l’écrire.
Très juste et très émouvant témoignage de Rose l’Angevine – alias Marie Thérèse T née Gallard. Elle est effectivement la seule à pouvoir le faire. Il confirme divers témoignages familiaux mais également également issus des archives archives départementales du Maine-et-Loire, notamment à propos de Louis Turbelier (1899-1951) policier municipal à l’époque qui a fait le maximum pour fournir de faux papiers à des familles juives. Mais qui probablement n’a pas réussi à surmonter l’horreur de ce qu’il avait vu durant les quelques années qui lui restèrent à vivre. >