Le 16 mai 1892, naissait au Lion d’Angers, Auguste Cailletreau, dit « Tonton Henri » (1892-1975). A de nombreuses reprises ici, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer sa mémoire. Celle d’un petit bonhomme qui ne payait pas de mine et n’aurait pas « fait de mal à une mouche » mais qui nourrissait une passion inconditionnelle pour ses chiens, les chevaux des haras de l’Isle Briand sur les rives de l’Oudon, et les chevaux-vapeurs des automobiles.
Souvent, j’ai également parlé de ses malheurs, notamment de la disparition de son fils unique, mécanicien doué, décédé à 17 ans, emporté par une méningite cérébro-spinale brutale et cruelle.
Apprenti galochier au Lion d’Angers à douze ans, il est finalement devenu, par amour de la mécanique, chauffeur-mécanicien après « sa » Grande Guerre sur le front des Dardanelles, puis camionneur parcourant les routes de France en compagnie de son chien Denis! Et ce, bien au-delà de l’âge légal de la retraite! Lequel à son époque était fixé à soixante-cinq ans.
En ce jour anniversaire de sa venue au monde, cet ancien « Poilu d’Orient » fidèle à tous ceux qu’il aimait, attentif et hypersensible, discret, trop timide aussi, mais toujours disponible, aurait eu 130 ans! Inconcevable quand on se souvient qu’on l’a connu!
Sans réécrire ce que j’ai déjà écrit à son propos, je souhaite simplement profiter de l’occasion pour rappeler que cet homme – mon grand-oncle paternel – assura auprès de moi, une fonction essentielle, qui s’apparentait à celle de mes grands-pères disparus, l’un et l’autre, prématurément. Il m’a appris ‘la bricole » mais je fus un piètre disciple! Pour lui, homme d’avant l’explosion consumériste des Trente Glorieuses, un clou, même tordu, demeurait un clou et il le conservait.
Mentionner son âge désormais virtuel, car les morts ne vieillissent plus, c’est évidemment se souvenir de lui et signifier qu’il fut des nôtres sur cette planète. C’est en outre lui rendre une sorte d’hommage filial que la fatalité lui a cruellement confisqué. Enfin, c’est évoquer implicitement le mien – mon âge – en prenant soudainement et concrètement conscience de la marche du temps et des décennies qui, s’accumulant, ont progressivement mais sûrement, transformé le jeune homme qu’Auguste a connu et que j’étais encore quand il vivait, en un presque vieil homme!
Un monsieur en cours de vieillissement qui mesure quotidiennement les stigmates de l’entropie croissante sur sa propre chair. Qui regarde, impuissant les désordres s’installer et qui sait les renoncements auxquels, de gré ou de force, il doit consentir et qui vont de pair avec l’appréciation clairvoyante des années restantes beaucoup moins nombreuses que celles déjà écoulées.
Un ensemble de perspectives qui quoiqu’on en dise, n’est ni réjouissant ni affligeant, mais qui s’inscrit dans le cycle normal et ininterrompu de la vie et sa permanence. Lequel mise sur l’avenir en relativisant et même en soldant progressivement toute ambition qui s’écarterait de la seule obligation qui compte : celle de transmettre notre savoir ou notre ignorance, nos certitudes et nos doutes, aux générations suivantes, censées poursuivre la tache. Un schéma, de prime abord un peu absurde, digne du regretté Sisyphe, mais qui, au bout du bout, gomme toutes les inégalités, bien plus efficacement que les gesticulations puériles des prophètes narcissiques de l’insoumission braillarde ou les promesses fallacieuses des prédicateurs d’un au-delà radieux.
« Salut donc Tonton Henri ! J’ai appris de toi qu’il fallait prendre soin des moteurs à explosion et de ses animaux domestiques. Toi tu les bichonnais. Moi, j’aime surtout qu’ils me transportent sans trop broncher. Mais j’ajoute que l’énergie devenue rare, ne peut plus reposer, comme de ton temps, sur le recours quasi-exclusif au pétrole, au charbon et au gaz. D’autant qu’on les prétend dangereux pour l’avenir biologique de la planète.
Il faut donc aussi faire appel à l’énergie électrique pour une grande part, produite à partir de la fission nucléaire et peut-être un jour de la fusion. Je sais que le petit galochier du Lion que tu fus, confiant dans le progrès humain, n’aurait certainement pas désapprouvé ces évolutions dictées par la nécessité. Les pieds sur terre mais en harmonie avec les éléments, tu n’appréciais que modérément les bourrasques imprévisibles du vent, qui arrachaient ta légendaire casquette.
PS: Quelques articles de ce blog dédiés à Auguste Henri Cailletreau( 1892-1975) :
- Un gâs du Lion -Auguste Cailletreau – 20/9/2011
- Nini la Belloprataine -6/2/2012
- Camionneur en ceinture de flanelle – 28/10/2012
- Trois jeunes du Lion dans la tourmente de la guerre – 3/10/2011
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