En apparence, le printemps 2022 n’aurait pas du déroger à la règle du cycle des saisons, celle du renouveau de la Nature. Comme d’ordinaire, dès la mi-mars, les forsythias ont entamé leur abondante floraison jaune d’or! Avec le soleil, nos jardins ont retrouvé les couleurs chatoyantes des primevères, des myosotis et des pissenlits. Et, dans le même temps, les oiseaux gazouillant dès potron-minet s’activaient à la confection ou à la réfection de leurs nids dans les hautes ramures des arbres ou dans les haies qui bordent les chemins vicinaux. Les couples de pies retrouvaient en jacassant bruyamment, leurs nids à la cime des peupliers d’Italie. Et si besoin les restauraient en apportant de nouvelles brindilles, avant qu’ils n’accueillent bientôt leur progéniture.
Des tapis de pâquerettes envahissaient les prairies riveraines de la petite rivière qui serpente dans la vallée. Enfin, les jours où le soleil rayonnait dès l’aube, les mésanges bleues ou les charbonnières bientôt rejointes par le rouge-gorge voletaient de branches en branches sur le pommier du jardin, qui, déjà, laissait entrevoir les bourgeons des fleurs qui exploseront en avril. Rituellement en ces petits matins encore frisquets, les passereaux, toutes familles confondues, attendaient les graines ou les noix broyées, qu’une main charitable et familière leur disposera sûrement bientôt sur le rebord de la fenêtre.
Les tourterelles roucoulaient sur les cheminées et les chats du quartier en quête d’aventures amoureuses s’attardaient malgré tout, pour observer le manège si tentant de leurs putatives proies emplumées. Peut-être espéraient-ils une occasion d’exercer leurs talents de prédateurs domestiques. Mais juste pour le fun, comme ils font d’ailleurs aussi près du bassin où les poissons sortent progressivement de leur hibernation, mus par cet antique instinct vital de regénérer l’espèce. Car ce n’est plus la faim qui pousse les félins à agir mais l’instinct de la chasse, cette sorte de jeu un peu sadique que la Nature a inventé pour assurer la survie des carnivores et faire évoluer les espèces. Nos modernes matous, dépositaires de cet héritage de haute lignée ancestrale, s’accommoderaient d’ailleurs d’une seule prise qu’ils sacrifieraient à leur jeu, à petit feu. Désormais « stérilisés », parfois connectés et réglementairement « pucés », ils n’ont plus le souci de se battre pour survivre car on leur procure, et depuis longtemps, de mémoire de greffier, gite et couvert sans qu’ils aient à consentir le moindre effort! On leur fournit en abondance des croquettes ou pâtés « équilibrés » vendus dans les jardineries ou les supermarchés, et recommandées par les vétérinaires.
En contrepartie, on leur demande juste de ronronner devant la télé pour manifester l’affection qu’ils sont censés nous dispenser ou au moins la simuler!


Ainsi, vu de ma fenêtre francilienne, le printemps aurait pu se résumer à cette image d’Epinal et les motifs de se réjouir n’auraient pas manqué. Peut-être même qu’on parierait en ce moment et en se chamaillant comme au bon vieux temps, sur un avenir plein de promesses et qu’on miserait avec optimisme sur des lendemains qui chantent, en préparant nos barbecues.
En fait, aux » lendemains qui chantent » comme au « Grand Soir » on n’y croit plus guère après les multiples déconvenues engrangées au cours des dernières décennies! D’expérience, on sait aussi et depuis longtemps, que la vie, indissociable de la mort, est rarement un long fleuve tranquille. Néanmoins, faute de penser au bonheur d’un virtuel paradis perdu, remis au goût du jour de modernes illusions, c’est-à-dire « mélenchonisé ou jadotisé », on pouvait, à tout le moins en rêver, d’autant que la pandémie virale qui nous harcelait depuis deux ans, semblait « spontanément » mettre en berne, sa férocité mortifère.
Presque miraculeusement, après nous l’avoir confisquée, le coronavirus – l’arrière petit-fils de celui qui nous envoyait en grand nombre ad patres, il y a deux ans – nous rendait la liberté de montrer notre visage et de circuler n’importe où, sans procédure inquisitoriale. Nombre d’auspices favorables comme les marronniers électoraux et saisonniers rendait donc légitime, cet espoir un peu fou d’un futur proche sympa!
Malheureusement, c’était compter sans les agissements pervers et toxiques, du côté du Levant à quelques heures d’avion de Paris, d’un astre noir incarné par un tyran, mal dégrossi et nostalgique du stalinisme. Il nous a pris de court car il avait obscurément et monstrueusement prospéré dans la Russie post-soviétique depuis plus de vingt ans. Et ce, sans qu’on y prenne garde. Sans même qu’on s’y intéresse.
Plus grave encore, on s’aperçoit tétanisé et hébété, qu’on lui a fait la courte échelle en lui conférant une légitimité et une respectabilité internationales. Il est même parvenu, fort de notre naïve complicité ou complaisance ainsi que de notre coopération commerciale non regardante, à museler son propre peuple, le peuple russe en embastillant toute opposition déclarée à sa personne et en faisant exécuter les plus récalcitrants. Son dessein est simpliste: il consiste à détruire méthodiquement, avec un cynisme et sadisme assumés, toute espèce d’expression démocratique, en usant sans vergogne de la violence assassine, d’accusations mensongères et en semant le chaos dans les pays voisins de la Russie qu’il entend annexer au nom d’une histoire revisitée, puis à mettre au pas l’Europe et plus largement le monde civilisé.
Ce dictateur sanguinaire et dévastateur, bourreau des peuples s’appelle Vladimir Poutine. Un tartuffe minable et médiocre fonctionnaire hypochondriaque des services secrets soviétiques, qui est ainsi parvenu à tromper la terre entière sur ses intentions et a précisément choisi ce printemps 2022 pour conduire son sinistre projet dans sa phase exécutive finale.
Dans ce contexte, sa première cible d’importance fut l’Ukraine, au prétexte ridicule de la « dénazifier ». Et ce, sans sourciller, sans hésiter à payer le prix du sang des autres, celui de millions d’innocents qu’il sacrifie à ses obsessions paranoïaques ! Aujourd’hui agressée par les armées de ce sinistre individu, l’Ukraine résiste avec courage mais jusqu’à quand?
Ses villes sont bombardées sans relâche depuis des semaines, jusque dans leurs quartiers résidentiels afin de terroriser les populations. La tactique de la cruauté est la seule que connaisse Poutine et elle consiste, entre autres crimes, à viser des écoles, des hôpitaux et des maternités, mais aussi à affamer les citadins y compris les enfants jusqu’à ce que le gouvernement ukrainien capitule sans condition.
Pour les Ukrainiens, le printemps est en enfer!
Personne n’est en effet épargné dans cette guerre génocidaire menée par Poutine, qui révèle ainsi aux yeux du monde sa véritable nature, celle d’un criminel de masse, dépourvu du moindre sentiment d’humanité. Bien sûr, il perdra cette guerre, comme Hitler l’a perdue en 1945. Il sera maudit comme Staline, son modèle de bourreau, mais en attendant que de souffrances infligées à des millions de personnes, tuées, blessées ou contraintes pour sauver leur vie de quitter leur pays. Souffrances infligées également à ses propres soldats sans doute tiraillés entre leur antique affection pour leurs « frères ukrainiens » et l’obéissance aux ordres, et qui meurent en grand nombre sur la ligne de front, victimes de la folie dévastatrice du despote…

Les démocraties occidentales apeurées par le chantage aux missiles nucléaires ou aux armes chimiques de Poutine désormais au ban de l’humanité et qui menace de l’apocalypse, affichent, bien sûr, leur soutien à l’Ukraine et ont prononcé des sanctions essentiellement économiques censées freiner son ardeur cauchemardesque. Peut-être même qu’au-delà des actions dites humanitaires destinées à panser en urgence les détresses les plus criantes, ces Etats occidentaux, traumatisés par leur impuissance face aux massacres mais respectueux, en principe, des Droits de l’Homme, livrent certains moyens de défense, notamment aérienne aux autorités ukrainiennes. Moyens qui, dans ce conflit d’usure, risquent de faire défaut au courageux peuple ukrainien massivement mobilisé et en armes pour sa patrie.
Mais leur credo est de cultiver l’ambiguïté sur la nature des parades envisagées contre l’inacceptable. Donc, de ne pas intervenir en dehors du cadre limité d’une assistance quasi-clandestine excluant tout soutien militaire direct. Il ne serait pourtant pas illogique de considérer l’Ukraine comme un pays souverain agressé ignominieusement et pouvant bénéficier, à ce titre, de l’aide logistique de ses alliés pour, par exemple, interdire son espace aérien à des bombardiers russes.
Qui sait si ces démocraties qui malheureusement, n’ont pas toujours fait preuve d’une grande lucidité au cours de l’histoire contemporaine, ni de beaucoup de fermeté lors des drames apocalyptiques qu’elle a charriés, ne seront pas obligées de montrer plus de volontarisme dans un futur proche. Trop souvent elles ont préféré privilégier la honte et la couardise sur le courage. Mais l’appétit meurtrier et expansionniste de Poutine semble tellement sans limite, ainsi que son culot, son impudence et sa brutalité, qu’il est malheureusement probable qu’il faille lui imposer un rapport de force effectif, pour l’arrêter de terroriser le monde et de martyriser l’Ukraine. Il n’est en effet pas certain que la confiscation de sa carte « Visa » soit de nature à lui tordre le bras, en tout cas suffisante pour infléchir sa détermination destructrice et criminelle!
L’idéal évidemment serait qu’au sein de la Russie éternelle, celle de Dostoïevski, de Pouchkine, de Tolstoï, de Soljenitsyne ou de Sakharov, il se trouve des héros de la trempe de Claus von Stauffenberg pour neutraliser Poutine… mais, cette fois, avec succès!
Foutu printemps 2022, Printemps tragique?
Ce qui est certain, c’est qu’à l’ombre de notre clocher, on n’aurait pas imaginé un printemps si tragique! Une démonstration de plus de cette loi qui postule que ce qui est vrai localement n’est pas toujours transposable en termes universels.
Plus fondamentalement, la question qui se pose est de savoir si au nom de la survie existentielle à court terme, il faut courber l’échine devant un tyran et ses surenchères criminelles, ou au contraire relever le défi de la civilisation au risque de plonger le monde dans un épouvantable malheur.
La réponse est peut-être dans cet aphorisme visionnaire de Winston Churchill en 1938 après les accords de Munich qui livraient les Sudètes à Hitler : » Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. »
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