Les 20 et 27 juin 2021, les citoyens français devront élire des conseillers régionaux et des conseillers départementaux (anciennement conseillers généraux) chargés d’administrer les régions et les départements dans les six ans à venir. Noble tâche si l’on considère « qu’administrer » (ad ministrare en latin) c’est étymologiquement servir, et, en l’occurrence servir l’intérêt général!

L’enjeu n’est pas négligeable puisqu’il porte sur la gestion, l’entretien et le développement d’un patrimoine commun d’équipements publics, d’établissements scolaires et de voiries en adéquation avec les besoins de la population. Il concerne également la définition et la mise en œuvre de stratégies destinées à promouvoir des « mobilités propres » urbaines ou interurbaines ( transports collectifs, covoiturage, vélos). Il est enfin de déployer des politiques sociales et culturelles locales, de qualité et, en principe, réductrices des inégalités de « fortune » infondées par le mérite.
Dans ce contexte, chacun doit forcément se poser la question du choix le plus opportun – ou le moins mauvais – parmi la palette de propositions et de candidats en lice, étant entendu qu’indépendamment de toute option partisane, les suffrages apportés pour une assemblée ne sont pas nécessairement transposables à l’autre. Il est même du devoir de l’électeur de choisir ce qui parait le plus pertinent, le plus crédible et le moins pénalisant pour l’avenir de notre cadre de vie, en tenant compte de l’environnement géopolitique global qui ne peut être passé sous silence.
En effet, ce qui peut sembler préférable dans un périmètre comme le canton peut se révéler inapproprié à plus grande échelle, surtout si les cartes des alliances électorales sont rebattues d’un scrutin à un autre…Eu égard en outre, aux domaines de compétences respectives des conseils régionaux et départementaux, et bien sûr, au talent des candidats eux-mêmes!
Enfin, il faut constater qu’abstraction faite des professions de foi des candidats, toutes empreintes des meilleures intentions du monde mais généralement peu disertes sur les sources de financement, il est souvent difficile de discerner ce qui relève effectivement de l’intérêt général réalisable, de la pétition de principe, des gesticulations classiques de campagne électorale, voire des postures idéologiques étroitement inspirées par des partis politiques nationaux. Même les candidats « hors partis » ont leur tropisme partisan, bien qu’ils se revendiquent du contraire tout en consentant à bas bruit à mentionner sans commentaire, la liste de leurs « soutiens » – dont certains discutables.
Etranges élections, à la fois très politisées sur le fond mais animées par des acteurs sans posture idéologique assumée!
Face à ce jeu de poker menteur, je m’abstiendrai logiquement d’apporter un soutien explicite à telle ou telle liste ou à tel candidat, faute de savoir l’influence réelle de ses soutiens discrets. Mais je voterai! Et pour l’heure, je me contenterai d’exposer ma méthode de « tri sélectif », qui ne consiste pas à accorder spontanément ma confiance à ceux qui appartenaient au clan de ceux en faveur desquels je me prononçais, les yeux fermés, il y a quarante ou cinquante ans.
Il ne s’agit pas non plus de les écarter au motif que les familles politiques qui les ont faits, qu’ils ont quittées mais qui continueraient de les inspirer, ont trop fréquemment failli sur leurs engagements et leurs vaines promesses. Il serait en effet déloyal d’assimiler à ces partis en voie d’extinction et discrédités aux yeux de l’opinion publique, tous ces braves gens – honnêtes et motivés pour la plupart – qui se mettent à nu devant l’électeur en espérant laisser une trace dans l’histoire millénaire de leur clocher. Il serait malséant de crier d’emblée haro sur ceux de nos concitoyens qui ne se sont pas encore détournés de l’action publique et du service de la cité.
Il ne s’agit pas enfin d’engager un procès subalterne à l’égard de ces élus endurants du suffrage universel, en les accusant hâtivement d’avoir fait de la politique un métier en additionnant durablement les mandats. On ne les accusera pas sans argument d’être addicts au pouvoir et à la notoriété du bistrot du commerce, comme d’autres, qui, dans le même troquet, sont prisonniers des dealers.
Ces critiques malveillantes ou ces interrogations justifiées apparaitraient d’ailleurs immédiatement dérisoires et improductives si tout allait effectivement bien dans notre beau pays de France. Chacun sachant en outre que les élections locales n’annoncent généralement pas de bouleversements susceptibles de remettre en cause les fondements mêmes de notre pacte républicain, ni les bases de notre identité nationale. Même si d’aucuns croient y voir un tremplin!
Dans le passé, avant l’explosion médiatique et les réseaux sociaux, les attaques ad hominem relevaient certes du quotidien d’une campagne électorale. Mais, à l’époque, une carrière nationale se forgeait toujours sur la base d’une implantation locale. Désormais, ce n’est plus le cas, l’Ecole Nationale d’Administration et les grands corps de l’Etat ont remplacé les arrière salles de café. Et le plus souvent, l’implantation locale pour ces messieurs-dames de Paris n’est qu’un parachutage ou une prébende, qui couronnent la docilité d’un « grand serviteur » de l’Etat, par exemple, dans un cabinet ministériel.
Ainsi dans le monde d’avant, les controverses de campagne électorale se limitaient à des confrontations plus ou moins besogneuses de catalogues de promesses et d’engagements solennels de la part de ceux qui aspiraient aux responsabilités – voire aux délices empoisonnés du pouvoir – et à la défense par la majorité sortante d’un bilan que la concurrence impatiente prenait un malin plaisir à éreinter. Médiocre et surtout, critiques suprêmes, dispendieux et injuste!
L’étrangeté de la période actuelle dans un pays traumatisé par une crise sanitaire sans fin, fortement déstabilisante et annonciatrice de lendemains douloureux, réside dans le fait que les pratiques des campagnes électorales du passé, rôdées sur les places publiques lors des meetings électoraux semblent être reprises via les nouveaux médias du numérique et quelques adaptations sémantiques. Il faut, par exemple, placer dans tout discours programmatique des mots comme « transition écologique », « réchauffement ou urgence climatique », « développement durable » ou encore « économie circulaire ». A l’inverse, il y a d’autres vocables qu’il vaut mieux éviter, pour ne stigmatiser quiconque, comme » identité nationale », « islamisme » « communautarisme » etc…
En fait, tout se passe comme si le schéma d’antan se reproduisait et qu’en matière d’élections locales, il n’y aurait rien de nouveau sous le soleil, quoiqu’en disent les candidats qui insistent sur la supériorité et l’originalité de leurs propositions en faveur du bien commun et manifestent un attendrissant attachement à leurs racines villageoises. Y compris dans les villages qui n’en sont plus vraiment!
Certains n’y voient que la répétition « à blanc » d’un scrutin plus déterminant, celui d’un monarque républicain à brève échéance. Raison de plus pour faire le bon choix!

En attendant, on se retrouve sur les pages Facebook des candidats ou sur les médias locaux, regardant ces joutes oratoires qui faisaient déjà le charme des réunions électorales sous la troisième République dans les préaux d’école.
Cela rappelle notre lointaine jeunesse où les résultats des élections, à quelques virgules de pourcent près, étaient prévisibles, prédéterminés en fonction des rapports de force quasiment constants des appartenances partisanes sur un territoire donné. On aimait cette théâtralisation de la vie politique locale qui faisait la part belle aux notables locaux, seigneurs » républicains » des lieux.
Le temps nous use tous, mais il nous permet aussi de prendre du recul. Force est aujourd’hui de constater que sur des durées d’évaluation suffisantes, les majorités qui se succédaient, conduisaient des politiques locales, toujours financièrement contraintes, mais qui aboutissaient, à quelques détails près, à des résultats comparables. Et ce, quels que soient les partis politiques, à condition que ceux qui gouvernent, s’y emploient avec modération en ne perdant pas de vue l’intérêt général.
La Constitution de la cinquième République a entériné et « sanctuarisé » le rôle éminent des partis politiques en stipulant en son article 4 qu’ils « concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. »
Malheureusement, l’actuelle crise morale et civilisationnelle a modifié la donne. A la relative stabilité d’un paysage institutionnel où l’alternance au pouvoir de majorités différentes partageant des valeurs communes, était entrée dans les mœurs, s’est substitué un doute dévastateur qui n’a rien de méthodique sur les bienfaits de la démocratie.
Un doute qui va de pair avec la déroute des organisations politiques traditionnelles qui ne parviennent même plus à nourrir leurs apparatchiks. Une désaffection de la « chose publique » qui a permis progressivement la prise en main de l’appareil d’Etat par une technocratie arrogante qui s’assoit sans état d’âme sur les rites de la démocratie et qui affiche sans complexe son mépris assumé pour le peuple. Lequel le lui rend d’ailleurs bien en se désintéressant – pour ne pas dire plus – des différentes institutions censées incarner « l’ordre public » républicain. ,
Le résultat de ce chambardement des esprits qui sanctionne une action publique déficiente voire coupable depuis une quarantaine d’années, toutes options partisanes confondues, c’est le refus de vote aux élections et le discrédit généralisé de l’ensemble de la classe politique. Mais dans le même temps, c’est le recours à la violence, c’est la montée de l’insécurité et au bout du compte c’est la remise en cause des principes de liberté, d’égalité et de fraternité, Ou plus exactement c’est la prise en otage de ces principe vidés de leur sens, par différents groupes factieux d’extrême droite ou d’extrême gauche.
Dans ces conditions, de rendez-vous électoraux en rendez-vous électoraux, l’abstention/pêche à la ligne devient de plus en plus importante. Et il est à craindre que ce phénomène s’amplifie encore cette année. L’occurrence qui apparait la plus probable dans le désarroi ambiant, est que les citoyens se détournent massivement des urnes, entrainant de facto une suspicion sur la représentativité des élus et que les irréductibles du devoir électoral ne soient contraints, comme d’habitude, de se résigner à voter par défaut en tentant d’éviter le pire dans un ultime réflexe de défense de la démocratie.
Le pire peut-être, c’est que, mécaniquement, l’offre politique la plus identifiable soit celle des « extrêmes » qui s’accaparent le vraies questions des français pour leur apporter des solutions exécrables, et que la classe politique réputée « raisonnable » soit tenue pour survivre et attirer le chaland, de se livrer à de la surenchère en tombant dans le piège de la caricature ou de la complaisance à l’égard des ennemis de la République.
Dans ce contexte, le fait de s’interroger sur la destination de nos suffrages dans des élections locales, n’est ni anodin, ni déplacé, ni sacrilège! Il y a des moments où le courage citoyen exige d’abandonner les réflexes pavloviens ou les comportements de Panurge.
En effet entre les candidats du déni de réalité qui persistent à se référer à une sorte de déterminisme historique théorisé au dix-neuvième siècle et devenu meurtrier au vingtième, ceux du même acabit, qui s’inscrivent dans l’héritage assumé ou non, des idéologies racistes et perverses à l’origine des tragédies du siècle dernier, et enfin ceux qui ressassent l’apocalypse climatique écologique, religieuse, migratoire en rêvant d’abolir nos libertés fondamentales, la marge est étroite et la prudence est de mise.
Dans ces conditions et dans la mesure où les fossoyeurs de la démocratie grossissent au rythme des reniements des partis de gouvernement, » l’espace politique » des démocrates modérés, seuls garants d’une République apaisée, fière de ses principes universels, s’est réduit comme peau de chagrin.
Ils n’osent plus défiler sous leurs propres drapeaux comme en témoigne la surprenante inflation de candidats « divers » – divers gauche, divers droite ou sans étiquette – qu’on a connus jadis encartés.
Leur nouveau viatique, c’est la proximité des charrues et des labours et celle des moutons qui bêlent sous des cellules photovoltaïques chinoises! Leur attachement à leurs racines et à la terre de leurs pères a quelque chose d’infantile et mais aussi de profondément touchant … Par pragmatisme, je m’y laisserai sûrement prendre pour les élections départementales où la personnalité du candidat est primordiale. Et aussi, parce que le niveau local devient un refuge pour ceux qui ne comprennent plus la marche du monde.
Ne pas être corrompu et donner le sentiment de croire à ce qu’on propose, c’est déjà bien, et si en plus je n’ai rien à reprocher au candidat du cru, il aura ma préférence ce jour-là, à défaut d’adhésion sans réserve aux propositions (à nombre variable) de son programme cantonal ! Les menaces réelles qui pèsent sur notre démocratie exigent de ne pas finasser sur des divergences de détail!
Aux élections régionales, mon raisonnement sera forcément plus discriminant car c’est l’avenir d’un ensemble composite de plus de douze millions d’habitants qui est en cause en Ile-de-France..
L’aventure des « extrêmes » doit être – quoiqu’il en coûte – refusée absolument. Cette option n’est pas recevable.
Ecrivant cela, je pense en premier lieu au projet mortifère pour la cohésion nationale des héritiers présomptifs et prétendument assagis du pétainisme. Je pense également au parti du leader maximo qui n’a jamais caché son admiration pour Léon Trotski théoricien de la Terreur révolutionnaire ou pour Hugo Chavez / Nicolas Madhuro, les dictateurs vénézuéliens.
Enfin il ne peut être question pour moi de soutenir les inquiétants et ombrageux écologistes radicaux dans l’ombre desquels plane la menace des lieux de rééducation au jardinage bio des récalcitrants dans mon genre, épicuriens non repentant et par conséquent coupables à leurs yeux de jouir impunément de la vie et de croire au progrès scientifique et technologique.
Je ne voterai pas non plus pour une liste conduite par une candidate opportuniste sans maturité politique, dont on sait d’avance qu’elle ne saura jamais réaliser ce qu’elle promet, comme la gratuité « immorale » des transports publics. Et surtout dont on ne peut s’empêcher de soupçonner certaines tendances au « racialisme » mortifère et communautariste importé des Amériques .
In fine, probablement, je me prononcerai en mon âme et conscience, sans prédétermination, et en l’occurrence, ce sera certainement pour celle ou ceux dont je crains le moins.
Ecrivant cela, je suis triste.
Il y a trente ou quarante ans, je votais par conviction. Quand on était de gauche, on votait pour ceux qui se réclamaient de la gauche, et inversement lorsqu’on était de droite…C’est tout juste si on s’intéressait au détail des projets.
On adhérait, en bon petit soldat et on se satisfaisait d’un amical clin d’œil des « chefs » dans les meetings. On se sentait gratifié quand ils nous tutoyaient et qu’ils nous appelaient « camarades ». On était presque aussi heureux qu’eux quand ils remportaient la victoire. Depuis, nos illusions se sont évanouies!
O tempores, o mores!

PS: Le titre de ce billet est inspiré d’une chanson de Barbara.
Toujours aussi lucide .
Bien amicalement .
Merci l’ami
Dans une élection vraiment locale (une petite ville où tout le monde se connait), il faut évidemment voter pour l’homme sans trop se soucier des partis. Dès que l’on passe cette échelle, il faut une approche un peu plus stratégique. Pour ma part je pense qu’il faut voir plusieurs coups à l’avance, se demander ce que l’on souhaite pour notre descendance à un horizon d’une ou deux générations et tenter ensuite de trouver le candidat qui a le meilleur projet pour cela. Ce chemin ne débute pas forcément par le plus agréable (le coup de collier initial) ou ce qui flatte le plus les egos de ceux qui se prétendent humanistes. Il peut y avoir une barrière de potentiel à franchir (les physiciens comprendront). Ce que je trouve détestable dans nos politiciens actuels c’est qu’aucun ne présente le problème dans ces termes : quelle France voulons nous dans 30 ans et que faire pour y arriver. Je ne suis pas sur qu’ils aient la carrure pour cela et je crains aussi qu’ils ne s’engagent pas dans cette voie par mépris d’un électeur tout juste bon (selon eux) à subir une com/propagande même pas digne d’un marchand de lessive.
Globalement je partage ton analyse. Y compris dans l’analogie de la barrière de potentiel qu’on ne franchit cependant qu’avec l’aide du hasard…
Un point m’a frappé dans les propositions que j’ai lues: aucune ne fait allusion à la question démographique qui sous-tend beaucoup de problèmes locaux, comme la capacité d’accueil des crèches, des écoles, des collèges etc. mais aussi l’autonomie des femmes et l’égalité des sexes. Personne ne parle de développer le planning familial et de concevoir des programmes d’éducation dans ce domaine!
C’est bien le sens de ma réponse. La démographie, c’est le long terme. Sans intérêt pour celui qui ne vise que sa prochaine élection.
[…] Dis! Pour qui voteras-tu? Dis! Au moins le sais-tu? — 6bisruedemessine […]