Avant d’être une veillée d’armes pleine d’appréhension et d’incertitudes, le 10 mai fut d’abord, quoiqu’on en dise, une journée de pure allégresse.
En effet, l’élection, le 10 mai 1981, d’un président de la République issu des rangs de la gauche, concrétisait les espoirs de toute une génération, celle d’un peuple qui croyait que le « camp du progrès et de l’intelligence collective » accédait enfin au pouvoir après plus de vingt ans d’exercice sans partage des responsabilités du parti gaulliste puis de la droite libérale à partir de 1974.
En dépit de quelques réformes audacieuses de société, portées à son crédit, comme le droit à l’avortement ou la majorité à dix-huit ans, le giscardisme était perçu, à tort ou à raison, par les militants de mai 1968 que nous étions tous, comme l’expression politique d’un conservatisme économique éculé, entièrement aux ordres et aux mains des grandes fortunes. Scandales aidant et crise pétrolière à l’appui, l’élection de François Mitterrand au soir du 10 mai fut donc accueillie comme un moment jubilatoire de « libération ».
Bien sûr, la suite le fut moins! Confronté à la dure réalité des affaires publiques et de la conjoncture internationale, le peuple de gauche éprouva quelques désenchantements dans les deux années qui suivirent. Mais surtout, trop ingénu ou naïf, il vécut – non sans motif – les changements de cap opérés à partir de 1983 comme une trahison des engagements du président, lors de sa campagne électorale. Ce dernier, oubliant en outre qu’il avait été l’auteur en 1964 du » Coup d’Etat Permanent » un pamphlet dénonçant le pouvoir personnel conféré par les institutions au Général de Gaulle, s’accommoda avec délice et un certain cynisme, de l’héritage gaullien en en accentuant même les dérives autocratiques et en y ajoutant ses penchants florentins.
Mieux ou pire (selon les goûts), au nom du pragmatisme et des contraintes dont il avait négligé et tu l’importance, il délégua la réalité du pouvoir dans ses composantes économiques et sociales à une technocratie officielle souvent arrogante et parfois de l’ombre, qui s’est progressivement accaparée tous les leviers de l’Etat au prétexte de compétence. Une technocratie opportuniste qui a finalement dénaturé le sens du vote de 1981. Le résultat lointain de cet espoir déçu, c’est la situation actuelle, où les discours bien construits sur les valeurs abondent, mais où plus guère de monde ne sait distinguer la droite de la gauche et où la population désespère de la politique, en n’accordant plus la moindre confiance à la parole d’Etat!
N’empêche que le 10 mai 1981 demeure un grand souvenir de liesse populaire et de rassemblement du peuple français! Sans doute un des plus marquants de ma vie d’adulte! Ils sont si rares dans l’histoire d’un homme que ce souvenir restera précieux! Le jour du sacre du nouveau président au Panthéon, le 21 mai fut aussi un moment inoubliable … Bruyant, mais déjà surréaliste dans une démocratie républicaine!
Dans notre histoire le mois de mai n’est pas avare de dates à retenir ou d’événements à commémorer… Il y a quelques jours, on évoquait à bon droit la reddition à Reims puis la capitulation à Berlin de l’armée allemande et la fin du régime nazi, les 7 et 8 mai 1945!
Sans oublier ces hauts faits de notre histoire contemporaine, je souhaite également rappeler une date associée à un événement que d’aucuns ont certainement oublié, si tant est qu’ils l’aient jamais su. Un événement qui devrait pourtant faire référence et, qui, à ce titre, mérite d’être exhumé du purgatoire des viatiques oubliés, à l’identique d’une philosophie du bonheur par temps de malheur et de pluie ! La période s’y prête d’ailleurs, où l’art de sourire et d’ironiser relève de la thérapeutique.
Il s’agit du 13 mai 1938, jour de la parution du numéro 1 de l’Os à Moelle, un hebdomadaire loufoque et insolent, fondé par le très regretté Pierre Dac (1893-1975) humoriste et résistant de la première heure à l’occupation nazie et aux oppressions de toutes natures.
Le journal sera dès lors publié chaque semaine, sans interruption jusqu’à la débâcle de juin 1940.
Par sa liberté de ton, il devint évidemment un trublion intolérable pour le gouvernement du cacochyme et crachoteux maréchal Pétain et de ses sbires. Banni, il reparaîtra quelques années après guerre…
Bien sûr, évoquant ce journal et son auteur, on ne saurait se dispenser de rappeler quelques unes de ses foucades savoureuses.
Dans son premier numéro, Pierre Dac annonce qu’il vient de constituer un « premier ministère loufoque » dont il se désigne président du Conseil. Lequel comprend de nombreux ministères dont un « des Bas et des Chaussettes », un autre des « Portes et des fenêtres » et même un ministère du Bœuf en Daube à côté d’un ministère des Pléonasmes, des Sciures et Pavés Gras et de la Matière Grise….
Dans l’interview de rigueur après la constitution d’un nouveau gouvernement, que le journal reproduit naturellement et fidèlement in extenso, « le nouveau Président, très entouré expliquait :
Le moment est venu aux économies. C’est pourquoi par réaction contre les ministères trop copieux, j’ai choisi seulement trois collaborateurs…
– Mais nous en voyons dix sur la liste, Monsieur le Président!
– Bien sûr, mais il y en a deux qui ne comptent pas.
– Pourquoi?
–Parce qu’ils ne savent pas compter, Parbleu »
Parmi les nouvelles commentées dans la « rubrique « Redis le Moelleux » , il y avait déjà un entrefilet dégraissé sur la Chine (sans le Pakistan):
« En Chine, la situation s’éclaircit. On mande de Fou-Tchéou à l’agence Tchaou-Fou que l’armée You-Péou est entrée dans Fou-Ting obligeant les forces du maréchal Tchang-Aïchou à se replier dans le Chou-Tchéou. Mais il est fort possible que Tchi-Tchao tombe au pouvoir de Tchao-Tchi. Enfin le monde entier, qui a les yeux fixés sur l’Extrême-Orient commence à y voir un peu plus clair! » ….
Les commentaires de Pierre Dac n’avaient manifestement rien à envier à ceux des politologues actuels de BFM-TV experts en infectiologie, qui dissertent à plus soif de leur domicile confiné de province, sur les dernières péripéties du nouveau coronavirus dans la ville chinoise de Wuhan!
Je ne saurais, pour finir ma chronique, remiser ma plume dans mon encrier, c’est-à-dire, fermer mon clapet et quitter mon clavier en le désinfectant de mes propres miasmes au liquide hydro-alcoolique reconstitué au savon de Marseille, sans une dernière citation. Une trouvaille à l’humour décalé si caractéristique de l’Os à Moelle et de son directeur. Elle est datée du 10 mai 1940, alors que nos soldats confinés sur le front, vivaient une « Drôle de Guerre »en tapant la belote:
» Note superfétatoire du ministère de la défense nationale:
Les hommes de la deuxième réserve qui désirent passer dans la première doivent adresser une demande sur papier format réglementaire 12 x 88 à Monsieur le Ministre des Travaux Publics, qui fera diligence pour répondre que ça ne le regarde pas »
Imparable!
Ils ont du se marrer sur la ligne Maginot mais ils n’étaient pas concernés! Et la rigolade n’a pas duré!
Bon déconfinement à tous et avancez masqués en vous dévisageant de loin !
Pas aussi savante que toi mais depuis longtemps, j’ai retenu cette citation de Pierre Dac : « Quand on ne travaillera plus le lendemain des jours de repos, on aura fait un grand pas en avant dans la marche arrière du progrès social. »
Dans ces temps, on est toujours confiné dans les maison de retraite, BFMTV et autres télés semblent l’ignorer ou bien n’ayant pas voulu comprendre ce que le Premier Ministre ou M. Véran ont annoncé TOUT DOUCEMENT l’après-midi du 7 mai…. A titre indicatif, j’ai dû annuler hier soir un rendez-vous médical pour ce matin, demandé par mon fils début mars, repoussé depuis le 31 mars à ce jour de « déconfinement » car « j’étais alors (si je m’y rendais) punie d’une quatorzaine supplémentaire… et je voulais enfin aller marcher dans le parc/parking. J’ai très strictement obéi aux ordres du gouvernement et je suis bien la seule ici ! Pendant ce temps la salle à manger est toujours la même c’est-à-dire sans distanciation… J’ai beau le dire… cela doit faire partie du progrès social auquel je ne participe pas !
Merci pour ce témoignage sur les conditions de vie dans une maison de retraite de la région nantaise.
Comme tous les jeunes, j’ai eu ma période d’illusions dans le socialisme mais elles ont été vite balayées dès que l’hypothèse Mitterrand a commencé à prendre corps. Le mélange d’archaïsme, de rouerie et d’incompétence était trop !
S’agissant de Pierre Dac, c’était incontestablement un homme d’exception. Rien à voir avec nos minables humoristes actuels (il n’y a plus rien depuis Coluche et Desproges). Quant aux piliers d’information continue, il ne s’agit hélas pas de caricatures mais de personnes se prenant au sérieux !
Ah oui! Pierre Dac, incomparable qui écrivait prémonitoire à l’automne 1939 : » L’univers au travers de ses vicissitudes a connu bien des âges: l’âge de pierre, l’âge de fer, celui du bronze et de l’acier sans compter ceux du pétrole et du corned beef … Ces âges sont révolus… Maintenant c’est l’âge du brassard! »
On connait la suite… Heureusement bien plus tard, il y eut aussi Coluche et Desproges… Mais, effectivement, depuis : plus rien de ce niveau, juste des rigolos de cours d’écoles primaires avec des blaguounettes!
Je n’ai pas participé à l’euphorie de 1981 car j’avais une confiance limitée en Mitterrand et l’union de la gauche dont Georges Marchais se méfiait et je considérais que Giscard n’avait pas été si mauvais notamment avec le choc pétrolier, malheureusement il s’était fait avoir par les diamants de Bokassa et il a cru qu’on pouvait faire populaire en jouant (mal) de l’accordéon ! D’une manière générale j’ai toujours été tolérant avec nos gouvernants car ce n’est pas de la tarte !!
Pour les humoristes je suis d’accord avec vous, il y a surtout des vacheries et des règlements de compte plutôt que des choses drôles, j’ajouterais bien Raymond Devos