Quand nous en serons au temps des cerises
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur
Les fleurs sont bien présentes au rendez-vous en cette fin morose de mars 2020, mais qu’en sera-t’il en mai du « temps des cerises »?
Qu’en sera-t’il en juin de cette chanson qui, durant plus d’un siècle, porta les espoirs de nos pères et de nos mères et qui incarna leurs utopies? Que deviendra cette ritournelle, qui accoucha de la République telle qu’on la chérit, tolérante, folle et ludique, généreuse et mutine? Celle des gamins des villes et des villages, qui venaient chaparder dans les jardins à la sortie de l’école, ces cerises convoitées, érubescentes, carmin, grenat ou vermillon, sur lesquelles veillaient comme le lait sur le feu, des propriétaires plus ronchons que méchants, et finalement indulgents?
Qu’en sera-t’il demain de cette République si on n’a plus le cœur pour fredonner cette bergerette disruptive, dépouillée de son contexte révolutionnaire? Cette innocente comptine ou autre pépiement anodin n’est rien, si on oublie que ce fut l’hymne de ralliement, espiègle et radieux, de tous ceux qui, dans notre histoire récente, se réclamèrent du progrès social dans la liberté et la fraternité?
Qu’en sera-t’il de nous-mêmes si, ayant survécu à ce virus tueur et ravageur, grâce au courage et au dévouement de ceux qui nous soignent et nous assistent dans cette épreuve, nous avons perdu la bataille de l’esprit critique et de la plaisanterie frondeuse, si nous avons laissé nos cerveaux en jachère en confinant nos corps, mis nos drapeaux en berne et perdu, concurremment avec les repères d’un art de vivre séculaire, notre goût vital de la transgression?
Ne serait-ce pas nous renier, et surtout trahir le sacrifice de ceux qui nous permettront demain de revivre, que d’abandonner en rase campagne au nom d’une prétendue défaillance morale et de celui d’une discipline devenue vertu civique cardinale, ce goût de la désobéissance qui rend la vie supportable? C’est pourtant cette appétence à l’insurrection douce et salutaire, dorénavant délinquante qui réveille la nature au printemps et libère nos imaginations. C’est elle, ferment essentiel de nos créations qui garantit notre vivre ensemble, notre pacte social et surtout notre bonheur d’exister ainsi que notre confiance dans l’avenir.
Et, par un étrange et néanmoins logique paradoxe, c’est précisément cette indocilité qu’il nous faut temporairement mettre sous le boisseau pour éviter l’extension trop rapide de la contagion par ce satané virus. Dont acte! On a compris, bon gré, mal gré que pour s’en sortir, nous devions nous enfermer! Il nous faut, l’instant de cette bataille, oublier notre humaine condition d’êtres essentiellement profilés pour échanger et communiquer charnellement avec nos semblables!
Aussi, si cette amnésie identitaire consentie au nom d’une guerre qui nous a été déclarée et imposée par un ennemi invisible, était appelée à durer au-delà du nécessaire, et si elle persistait à nous affliger dans quelques mois, alors que les traces de la tragédie n’encombreraient plus que nos souvenirs, comment pourrions-nous entonner ingénument demain un chant de liberté, appris de nos parents dès l’enfance? Pourquoi continuerions-nous à célébrer un « temps des cerises » vidé de sens et orphelin de son potentiel de révolte?
A quoi bon alors, faudrait-il s’échiner à ressusciter artificiellement un « peuple de gauche » oublieux de ses origines – les nôtres en l’occurrence – résigné et converti à l’idéologie sécuritaire à mille lieux de l’épopée communarde de 1871 à laquelle ce chant est associé. A des années-lumière aussi des militants ouvriers qui occupaient leurs usines en 1936, des réformateurs de la Libération, des résistants gaullistes et communistes à l’oppression nazie, ou des grévistes et étudiants de mai 1968! A perte de vue enfin, de nos propres convictions!
« Militairement » vaincu, ce virus aurait, malgré tout, gagné la guerre de la régression sociale, si de son passage, nous ne retenions que l’aspect sécuritaire absolu et liberticide qu’il nous a contraint à institutionnaliser pour simplement survivre…et non pas pour vivre! Si la cause de notre réclusion était initialement juste, elle deviendrait un combat douteux si elle devenait le creuset de nos futures chaines et inaugurait de fâcheuses et inutiles habitudes ! Le virus « mort » deviendrait alors un prétexte pour amplifier et consolider une tendance « moderne » à la multiplication des règlements et des interdits déjà en germe dans notre société plus « accro » à la sécurité bureaucratique tous azimuts que d’égalité et de fraternité… Point n’était besoin d’un virus maudit et mortifère pour théoriser cette perversion mais force est de constater qu’il en apporte une justification éclatante! Espérons-la, éphémère…
En effet, ce qui est, en ce moment critique, nécessaire et tolérable eu égard à l’enjeu vital que nous oppose cette agression virale, devrait en principe demeurer exceptionnel et recevable uniquement dans le périmètre juridique d’une lutte sans merci que chacun, passif ou actif, doit mener sans faillir contre un ennemi commun.
Ultérieurement, il nous faudra évidemment et d’urgence réviser totalement ce point de vue. Il conviendra de veiller à ce que, sans délai après la fin du drame, toutes les sujétions imposées aux citoyens et toutes les mesures prises dont certaines franchement attentatoires aux libertés fondamentales comme par exemple l’interdiction de circuler librement sans en rendre compte aux autorités, soient abolies. De même pour toutes les dispositions dérogatoires instaurant un droit d’exception justifié par l’urgence du péril. C’est le cas par exemple de celles prises pour faciliter la logistique et l’intendance de cette guerre antivirale mondialisée, dont certaines comme la durée du travail – mais pas seulement – sont « outrageusement » hors des clous du droit commun du travail.
Au-delà, il faudra s’assurer que les forces obscures, parfois ouvertement nostalgiques du pétainisme, qui sournoisement profitent de la situation pour gloser sur la faiblesse des démocraties dans les situations de crise et qui n’hésitent pas sur les réseaux sociaux à vanter ouvertement les mérites sélectifs des régimes autoritaires ou dictatoriaux, soient systématiquement dénoncées et que les républicains sincères considèrent de leur devoir de contrer leurs arguments.
Faute de quoi, nous courrons le risque de subir la double peine, celle de la tragédie sanitaire et des plaies qu’il faudra panser, des deuils qu’il faudra accomplir, et celle d’une société cloisonnée, totalitaire, barricadée dans des certitudes et des pratiques révolues, remises au goût du jour et optimisées en vue d’un flicage généralisé par les technologies modernes de l’information…
D’aucuns en rêvent ouvertement, il convient de se méfier!
« Le temps des cerises » ne serait plus alors qu’une légende gentillette pour enfants de chœur d’un désuet patronage laïc!
Au nom du devoir de mémoire et du respect d’un avenir non hypothéqué par les démons du passé, faisons en sorte que le « temps des cerises » revienne…
Qu’il revienne vraiment, sans faux semblant, après l’éradication sans condition de cette affreuse épidémie.
Et alors le merle continuera de se moquer!
PS: « Le temps des cerises ». Paroles écrites en 1866 par Jean Baptiste Clément, musique composée en 1868 par Antoine Renard.
Très joli texte qui ne me surprend pas de la part d’une personne ayant une nostalgie manifeste pour l’épisode de la commune. Je crains aussi les tendances « big brother » de nos sociétés. Je m’interroge d’ailleurs sur le cas chinois. J’ai peine à croire qu’un régime aussi détestable se soit ému du risque de quelques milliers de morts. Lui et ses pareils ne reculent habituellement pas devant la perspective de millions de morts. Je crains donc que cela n’ait été qu’un prétexte pour contrôler encore plus une population qui commençait à donner des signes d’émancipation (comme il est normal quand on a dépassé le stade où la recherche de nourriture est l’obsession). En France aussi, je trouve extrêmement suspect d’avoir basculé aussi vite (et peut-être inutilement) vers les solutions liberticides. Notre pouvoir qui était déjà dans une mauvaise passe a sans doute pensé y trouver l’occasion de redorer son blason (j’espère bien que personne ne s’y laissera prendre). C’est dans cette crise que l’on voit apparaitre assez nettement ce qui distingue le monde libéral (USA, RU…) du monde issu de notre grande révolution (liberté égalité fraternité qui a inspiré pas mal de régimes peu sympathiques se réclamant du communisme). Ce dernier monde qui se qualifie aujourd’hui de progressiste et mondialiste n’a pas vraiment la liberté inscrite dans ses gènes et pourrait très facilement tomber dans une gouvernance technocratique et élitistes faisant fi d’un peuple irresponsable (sans dents, déplorables etc…).
En dépit parfois de certaines divergences d’appréciation, liées à nos propres histoires, nos analyses, par des chemins différents, souvent se rejoignent! Tous les deux en tout cas, nous doutons des discours trop dominants et unanimes: ça cache parfois certaines turpitudes.
Lyrique comme toujours , tu vas finir par faire de la concurrence à Victor Hugo !
Trop flatteur l’ami!
Accepterais-tu que je pense à notre Joachim cher à notre coeur nous les Angevins,, Maugeois de surcroît quand il écrivit Les Regrets…. Au temps des cerises pourra-t-on à nouveau penser à la Loire et sa douceur angevine, au petit Lyré….à Saint-Florent-le-Vieil, à Montjean etc…
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine.
L’Anjou a connu dans son histoire pas mal de guerres, souhaitons que celle-ci se gagne aussi et rapidement. Amitiés pas virtuelles à tous les lecteurs de ce blog !
Bien sûr que j’accepte que tu évoques la star des stars des poètes angevins: notre Joachim du Bellay. A la même époque l’an dernier, j’évoquais sa mémoire à Rome en contemplant des hauteurs du Capitole ou tout en bas du Forum républicain, le célèbre « mont Palatin »… Bien sûr, c’est ma jeunesse lycéenne dans les salles poussiéreuses du lycée David d’Angers dans les années soixante. Enfin ce sont les coteaux de la rive gauche de la Loire, le « petit » Lyré (Liré).
Merci au contraire de l’avoir rappelé à notre bon souvenir! Toutes les occasions sont bonnes.