Pour reprendre pied avec le réel et redevenir, à l’exemple de Montaigne, « membre de sa vie », rien de tel que de s’attabler, un soir de fin d’été à Sarlat, à la terrasse d’une auberge périgourdine non loin de la maison natale d’Etienne de la Boétie (1530-1563) et de se régaler d’une omelette aux cèpes et aux pommes de terre sarladaises, arrosée d’un verre de Pécharmant.
Alors, mieux qu’en se référant à de laborieuses démonstrations, la magie des lieux et des saveurs aidant, on mesure par le goût, ce que recouvre la notion de civilisation et l’importance en France de sa transmission. Sauf à se résigner à la perte d’une grande part de notre identité, cet héritage autrement appelé « art de vivre » a donc vocation à être précieusement préservé comme tout patrimoine culturel et témoin intemporel de notre histoire.
Malheureusement, ce bien commun immatériel est actuellement en grand danger de disparition – du moins en l’état – du fait notamment des contraintes et de la standardisation imposée par les exigences de rentabilité financière du commerce mondial. Mais pas seulement, car sa fragilisation provient aussi – et peut-être surtout – de son dénigrement systématique par des « intellectuels » autoproclamés de la diversité, militants forcenés du « politiquement correct » qui ne cessent de le présenter comme un archaïsme, dont il faudrait se libérer d’urgence pour que puisse émerger une « nouvelle » société multiculturelle… C’est d’ailleurs le sort réservé à l’ensemble des traditions françaises caricaturées et présentées comme des freins à l’évolution de la société, vers un modèle de cohabitation « négociée » de communautés jalouses de leurs spécificités identitaires. Certains vont même jusqu’à considérer que ces transmissions mémorielles issues du terroir – dont incidemment la dégustation de l’omelette aux cèpes ou du grillon pur porc – portent injurieusement préjudice aux rites culturels, confessionnels ou sociétaux récemment importés et imposés sur l’espace public par des communautés étrangères accueillies en France…
En effet, à la différence des migrations d’antan qui s’efforçaient, non sans difficulté d’ailleurs, de se fondre dans les valeurs et les principes de la République, mais qui, malgré tout, y parvenaient généralement en moins d’une génération, sans renier leurs aïeux mais en développant un folklore spécifique, l’objectif prioritaire d’une partie des nouveaux venus ne semble plus être l’adoption des us et coutumes, encore moins les règles de droit de l’Etat d’accueil, mais de bénéficier des protections sociales ou régaliennes qu’à bon droit la République garantit à toute personne. Dans cette perspective, les seules lois républicaines qui trouvent grâce à leurs yeux, sont celles détournées de leur sens originel pour convenance communautaire (confer. les lois de 1905 sur la laïcité) qui peuvent être considérées comme « acceptables » par leur droit coutumier ou religieux, souvent liberticide, discriminatoire et ségrégationniste des pays d’origine.
Dans ce contexte, la finalité d’intégration citoyenne de tout nouvel arrivant désirant vivre en France, qui devrait être « la règle d’or » non négociable, préalable à l’assimilation, semble paradoxalement perçue par les bien-pensant d’organisations faussement caritatives ou humanitaires, parfois influencées par des intérêts étrangers, comme une abstraction génératrice d’exclusions… L’avenir, selon eux, résiderait dans la juxtaposition des cultures et des communautés humaines, en lieu et place d’une fraternelle citoyenneté! Autrement dit dans la négation de la Nation.
Quant aux naïfs « autochnones » – dont je suis – et dont on n’attend plus grand chose, sinon une perpétuelle repentance affligée et l’expiation des « méfaits coloniaux » de leurs ancêtres, ils se trouvent progressivement repoussés vers les oubliettes de l’histoire. Boucs-émissaires de l’air du temps, ils sont de facto ringardisés avec leurs omelettes aux truffes, leurs patates sarladaises, leur pinard, leur jambon aux herbes, leurs fromages de tête de porc fermier et leurs pieds de cochon…
Pourquoi s’étonner dans ces conditions, que ces « nouveaux indigènes franchouillards » désignés d’office comme l’incarnation vivante d’un passé exécré par les tenants de la prétendue modernité, nourrissent le sentiment de ne plus être en capacité d’exercer leur pleine souveraineté, ni de maîtriser leur destin sur leur propre sol? Pourquoi faudrait-il en être surpris, alors que d’autres, pieusement assujettis à des rites exogènes en contradiction flagrante avec les principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité, prospèrent « gentiment », et que, protégés par le principe de tolérance et de libre opinion, indissociable du génie français, ils se livrent sans vergogne à toutes sortes de provocations, d’atteintes à l’ordre public et de trafics illicites, comme celui à grande échelle de stupéfiants?
Voilà pourquoi la défense de la tradition culinaire française relève pleinement de la défense nationale!
La fonction sociale, civilisatrice et assimilatrice de la cuisine n’est d’ailleurs pas une découverte récente. Depuis la nuit des temps, toutes les générations en ont testé la validité, sinon l’évidence. Et ce, bien avant que les hommes de Cro-Magnon ne s’installent en Périgord, colonisent la vallée de la Vézère, il y a quelque vingt mille ans, et ne réalisent les admirables peintures rupestres de Lascaux…
En fait, cette union sacrée et consubstantielle de la bonne chère et de la civilisation date de l’époque très lointaine, où d’audacieux « homos » domestiquèrent le feu, un danger initialement redoutable, mais qui, pour peu qu’on s’en donne les moyens, peut à la fois éloigner les prédateurs et rendre la vie plus douce et les aliments cuits, plus digestes et surtout plus goûteux …
Et c’est probablement parce qu’il adhérait sans réserve et sans état d’âme, à cette conception d’une culture humaniste privilégiant en toutes circonstances le plaisir de se restaurer autour d’une bonne table, et parce qu’il s’en revendiquait sans s’en excuser, y compris dans ce qu’elle implique de risques éventuels, de menaces ou de dangers à affronter, que Jacques Chirac qui vient de disparaître, imprimera durablement sa marque dans l’histoire de France… Tant que la France qu’il a connue, survivra encore dans les provinces, devenues des régions de calibre européen et mondial, cet aspect de sa personnalité comptera dans son bilan. Et sans doute, autant que les quelques sages décisions qu’il a prises durant sa présidence, comme le refus d’engager la France dans une guerre imbécile en Irak en 2002 ou la reconnaissance officielle en 1995 de la complicité active de l’Etat français dans l’extermination des juifs entre 1940 et 1944.
La célébration de ses funérailles avec autant d’émotion populaire, de fastes officiels et de pompes interminables – comme si l’on avait voulu retarder le plus possible l’ultime séparation – manifeste certainement une crainte collective de voir partir avec lui, un des derniers représentants et défenseur de cet art de vivre à la française. Le fait qu’une grande partie de la communauté nationale, notamment dans ses strates les plus modestes, s’y soit impliquée affectivement, conforte cette impression!
De son temps, « la bonne bouffe à la française » avait droit de cité!
Le conservera t’elle dans le contexte actuel de dilution civilisationnelle? Survivra t’elle à la multiplication des interdits obscurantistes, religieux, antispécistes, véganistes sur l’alimentation, qui empoisonnent déjà le quotidien des écoles et de certains lieux de restauration publique… A cette aune, les divergences politiques et les clivages traditionnels sont forcément secondaires et n’apparaissent plus guère que comme d’inconsistantes et subalternes guerres picrocholines…
Ce 18 septembre 2019 au soir, dans l’ombre portée de la vieille cathédrale Saint Sacerdos et de la maison de la Boétie, nous étions seuls parmi la foule majoritairement anglo-saxonne qui ripaillait à nos côtés. Seuls mais accompagnés de tous les fantômes de nos proches disparus, qui nous initièrent ici à la table périgourdine.
La délicieuse excitation des papilles était d’ailleurs la même que celle éprouvée, il y a plus de quarante ans, quand on me fit découvrir cette allégorique omelette … Et pour moi, « le rapporté », elle était en tous points comparable, à celle, jadis ressentie aux côtés des miens dans mon Anjou natale, face à un mythique pâté aux prunes, un brochet au beurre blanc, un gigot d’agneau pascal sur un lit de haricots blancs ou de simples rillettes de porc…
Avec le temps, tout finit, en effet, par se confondre.
Ainsi, à force de cheminer depuis des décennies, au travers du Périgord Noir et d’admirer les méandres de la Dordogne du haut de la barre de Domme, je m’imagine être un peu chez moi ici!
Beaucoup plus tard dans la nuit, lorsque la météo est favorable, que sur la place du Peyrou, les hirondelles ont regagné leur nid dans les soupentes des vieilles charpentes et que les lampadaires ont été éteints, des myriades d’étoiles scintillent sur fond de clocher roman de la vieille cathédrale.
Elles aussi défient notre perception du temps et de l’espace. Elles nous révèlent à la fois un autre passé, infiniment lointain, et un avenir cosmique qui n’a que faire de nos actuels petits états d’âme politico-écolo-climatiques.
C’est une autre histoire …
PS: Ce billet d’humeur – contribution libre au débat engagé par le gouvernement sur les migrations – est le dernier ébauché en compagnie de la petite chatte Junia penchée sur mon épaule.
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Sarladais d’origine, j’ai énormément apprécié ce texte !! J’ose préciser : davantage encore que ceux parus précédemment. Mille mercis.
Et à mon tour, j’apprécie énormément votre commentaire. Merci.
De souche angevine comme toi, j’ai eu l’occasion de découvrir Sarlat, mais c’est ailleurs que j’ai découvert les pommes de terre sarladaises et l’omelette aux cêpes fut mangée pour la première fois dans le pays bordelais où ma belle-famille était spécialiste de la cueillette de ces merveilleux champignons.
Qui, dans les jeunes générations a connu le plaisir de débusquer dans la forêt les places « dédiées » aux cêpes, aux trompettes de la mort, aux morilles etc… ou plus modestement, comme en Suisse, il y a plus de 50 ans, des « cuisines » de pissenlits appelés « coeurs-de-lion » là-bas ? Monsieur Debré a raconté ces jours-ci que, se trouvant en Arabie avec Jacques Chirac, celui-ci tard dans la soirée l’appela incessamment dans sa chambre… et, ouvrant une mallette, lui fit découvrir l’urgence « diplomatique » de déguster une bonne bière ! Avec modération bien sûr !
Merci d’avoir rappelé notre pâté aux prunes dont la recette n’est pas arrivée jusqu’en Loire-Atlantique ! Pourtant, jadis tu lui as consacré un article et, pour les ignares, il est utile de préciser qu’il faut le déguster avec un bon coteau du Layon.
Si, si, le pâté aux prunes angevin est allé jusqu’en Loire-Atlantique: au moins jusqu’à Bouguenais où je me souviens en avoir dégusté un délicieux, il y a quelques années, et de surcroît c’était une production maison! Merci encore.
Que de bons souvenirs j’ai vécu jusqu’à 17 ans à 60 km de Sarlat et j’ai de merveilleux souvenirs avec en particulier la cueillette des champignons, les cèpes essentiellement dès l’âge de 6 ans je partais au petit matin avec mon père sur son vélo sur lequel il avait aménagé une scelle sur la barre et entre ses bras je me sentais le roi du monde. Nous ne trouvions pas des quantités énormes de cèpes mais ça suffisait à faire d’excellentes omelettes!
Nostalgie. Merci l’ami!