15 août 2019
Aujourd’hui comme il y a cinquante ans, le temps des vacances est un peu celui de l’insouciance! Celui de la famille réunie, celui des amis retrouvés, celui aussi de la découverte de nouveaux horizons et de paysages de France. C’est parcourir « en vrai » les routes comme on le faisait jadis virtuellement en promenant son doigt sur les cartes scolaires Vidal Lablache qui parementaient les murs des salles de classes de notre école primaire…Pour ceux d’entre nous, dont les grand-mères avaient conservé dans un tiroir oublié d’une commode, le » Tour de la France par deux enfants » lu au début du siècle en cours moyen des écoles de la Troisième République, certains lieux parlaient peut-être plus que d’autres. La magie évocatrice de la toponymie comblait le déficit d’images des manuels d’avant 1914…
Ainsi dans le regard des deux petits héros – orphelins lorrains – de ce livre fondateur de la génération des poilus de 14-18, défilaient le ciel et la terre de France, des montagnes du Jura au lac de Genève, du Mont-blanc et des glaciers alpins aux vignes de Bourgogne, du Languedoc vu de la mer au canal du Midi avec ses ponts tournants, des Pyrénées, avec le cirque de Gavarnie et le gave de Pau jusqu’au Golfe de Gascogne.
Et tant d’autres endroits magiques de l’hexagone.
Parmi eux, la ville de Bordeaux, capitale de la Guyenne figurait en bonne place dans l’estuaire de la Gironde, puis, plus loin vers le nord, Nantes la ville de la duchesse Anne, en bateau, par vent de noroît jusqu’à l’estuaire de la Loire, et sur le fleuve jusqu’au quai de la Fosse:
» Un jour que le petit Julien s’était attardé tout un après-midi dans la cabine à faire ses devoirs, il fut bien étonné en revenant sur le pont de ne plus apercevoir la mer, mais un beau fleuve borde de verdoyantes prairies et semé d’îles nombreuses. Le navire remontait le fleuve, d’autres navires le descendaient, allaient et venaient en tous sens.
– Oh! André, dit Julien, on croirait revenir à Bordeaux. fleuve
– Nous approchons de Nantes, dit André; tu sais bien que Nantes est comme Bordeaux un port construit sur un fleuve, sur la Loire.
Le navire en effet, après plusieurs heures et plusieurs étapes, arriva devant les beaux quais de Nantes. Julien fut enchanté de se dégourdir les jambes en marchant sur la terre ferme. Il alla avec André faire des commissions dans cette grande ville, qui est la plus considérable de la Bretagne et une de nos principales places de commerce.
Mais le séjour fut de courte durée. On chargea rapidement sur le navire des pains de sucre venant des importantes raffineries de la ville, des boîtes de sardines et de légumes fabriquées aussi à Nantes, et des vins blancs d’Angers et de Saumur. Puis on redescendit le fleuve. On repassa devant l’île d’Indret où fument sans cesse les cheminées d’une grande usine analogue à celle du Creusot. On revit à l’embouchure de la Loire les ports commerçants de Saint-Nazaire et de Paimboeuf, où s’arrêtent les plus gros navires de l’Amérique et de l’Inde. Enfin on retrouva la pleine mer «
Ce monde de la « Belle Epoque » avait bien entendu quasiment disparu dans les années cinquante et soixante du siècle dernier, dans la période emblématique des « Trente Glorieuses ». Mais lorsque, enfants, nous partions en vacances en juillet ou août, notre émerveillement, notre excitation et notre candeur étaient comparables à ceux d’André et de Julien, plus d’un demi-siècle auparavant…
Toute la famille était tassée dans la 2 Chevaux Citroën paternelle. Sur la banquette arrière, les quatre enfants tentaient de cohabiter pacifiquement, les pieds entravés dans les provisions de route ou les seaux de plage embarqués à la dernière minute. Les pelles et les râteaux ainsi que quelques jouets, qui n’avaient pas trouvé place dans le coffre surencombré remplissaient ce qui restait d’espace vide entre les sièges… La vitre arrière était évidemment en grande partie masquée par ce chargement hétéroclite…
Plus tard, une Simca Aronde puis une P 60 vinrent remplacer la pauvre « Deux Pattes » à bout de souffle. Mais l’encombrement de l’habitacle demeurait invariable… Et, dans les côtes un peu raides, notre père, cramponné à son volant, persistait à vouloir aider sa voiture alourdie qui manifestement peinait. A cette fin, il pensait qu’en l’accompagnant d’un étrange mouvement cadencé du buste d’avant en arrière, il lui fournirait l’impulsion secourable qui la soulagerait! En vain bien sûr… Mais l’auto finissait toujours par franchir la colline!
Ma mère, en ces circonstances, constatait invariablement, avec une ingénuité qui demeure touchante plusieurs décennies plus tard, qu’aucun véhicule ne nous suivait. Et nous, par jeu, nous notions, en nous chamaillant les noms des villages traversés et les numéros des départements des véhicules qui nous doublaient, dont les passagers nous regardaient effrontément comme des êtres bizarres.
Jusqu’à la démocratisation massive des vols aériens intercontinentaux – en gros à partir des années quatre-vingt – il n’était en revanche guère question de partir hors de la métropole, dans les « colonies » du bout du monde, en Afrique ou dans les îles du Pacifique ou de l’Océan Indien. Les voyages au sein d’une Europe qui n’était pas encore communautaire, étaient rarissimes, sauf de brèves incursions à quelques kilomètres des frontières en territoire « étranger » (Allemagne, Italie et Espagne) lorsque nos lieux de vacances se trouvaient à proximité…
Le passage de la douane nous impressionnait, surtout lorsque nos parents cachaient une innocente bouteille d’Izarra, qu’ils avaient décidé de soustraire au regard faussement inquisiteur d’un douanier peu regardant! On aimait se faire un peu peur!
Les « Trente Glorieuses » furent une période heureuse, une ère de plein emploi et d’une certaine redistribution des richesses qui, après les épreuves et les privations de la guerre, profita aux français de toutes les classes sociales, y compris des plus modestes, celle des ouvriers à laquelle appartenaient nos parents.
Ce sont dans ces années-là que furent ébauchés les principes du tourisme social, qui permit à des milliers de familles sans grands moyens financiers, mais soucieuses de culture et de loisir, de bénéficier de congés, à coût modéré, dans la plupart des régions de France, y compris les plus touristiques…
Les congés payés, fixés à quinze jours en 1936, avaient certes ouvert la voie. Mais leur passage à trois semaines en 1956 puis à quatre semaines en 1965 permit d’entrevoir des séjours plus lointains et plus longs en France, en particulier dans des « maisons de famille », puis dans des villages de vacances à vocation sociale, qui offraient aux familles, le gîte et optionnellement le couvert ainsi que la possibilité d’une animation spécifique pour les enfants et des pauses culturelles et ludiques pour les ados et les adultes…
Pour les familles ouvrières, ces vacances étaient l’occasion de se soustraire aux soucis du quotidien sans hypothéquer durablement leur budget et d’offrir à leurs enfants des loisirs de qualité. En septembre, à la rentrée scolaire, comme ceux des milieux bourgeois, ils pouvaient raconter leurs aventures de vacances dans les cours d’école…Ces congés d’été, c’était enfin l’occasion de tisser d’autres liens avec un monde à notre portée, qui fleurait bon le grand large ou l’ait vivifiant de cimes, hors du cadre contraint et étriqué du quartier, du centre aéré ou du patronage paroissial…
Pour les jeunes, ce contexte favorisait les rencontres et c’est ainsi que s’initièrent et se nouèrent leurs premières amours avec la complicité de la nuit tombante sur la plage abandonnée ou au détour obscur d’une sente de montagne. Ces flirts pudiques et ces timides marivaudages d’une soirée, les yeux dans les étoiles, constituent toujours, des décennies plus tard, les jardins secrets jalousement gardés dans lesquels les mêmes – nous-mêmes – devenus vieux, aiment encore se réfugier, les jours de déprime, alors que tous les protagonistes d’alors se sont depuis longtemps évanouis vers des horizons centripètes et ont disparu à jamais…
Justement, que reste-il de ces vacances aujourd’hui?
Plus rien en apparence, sinon quelques photos de ces instants enchantés d’antan, retrouvées au hasard d’albums de famille pieusement légués par ceux qui nous ont quittés… Des photos qu’il n’est généralement pas besoin de commenter, mais qui confèrent au temps, par nature insaisissable, indéfinissable et qui d’ordinaire ne cesse de nous échapper, une dimension et un relief qu’on ne lui soupçonnait pas!
Comme si ces photos, muettes par essence, devenaient soudainement douées d’une dimension paradoxale intégrant dans un même mouvement tous les épisodes de nos existences. Comme si elles avaient ce pouvoir de nous faire entrevoir à la fois, le présent, le passé et l’avenir. Comme si, pour notre plaisir, le temps consentait à suspendre son vol » en harmonisant l’ensemble disparate de nos horloges intimes.
Ces photos de vacances – seulement quelques unes ici – ont ce pouvoir étrange de recadrer notre univers dans un ensemble plus vaste où le temps et l’espace s’amalgament et où il devient possible de revivre en boucle nos souvenirs d’enfance et d’adolescence, sans nostalgie excessive mais avec l’éblouissement de nos tendres années.
Et d’en éprouver le même bonheur qu’à l’époque où nous étions en culottes courtes…
Bien sûr, ce n’est qu’une sensation – presque une opinion en forme d’émotion – la mienne sur le clavier Azertyuiop de mon ordinateur !
Un instantané de mélancolie aussi: nous étions six joyeux drilles en famille sur les routes de France en ce temps-là, et nous ne sommes plus que trois à sauvegarder cette mémoire-là.
Bravo Jean-Luc d’avoir rappelé les joyeuses vacances de la famille de ma Marraine. Nous en avions régulièrement des cartes postales même si toutes n’ont pas été gardées au cours des divers déménagements. « Le Tour de France par deux enfants » m’a rappelé mon frère aîné, Joseph, Jo en famille depuis qu’il avait épousé Niquette, En effet, vers 1945-1946, c’est lui qui m’a offert ce livre, mon premier vrai livre.
Mes vacances furent appréciées par mes parents, puisque, en 1947, mon père tomba gravement malade et les parents de ma belle-soeur étant gérants d’une usine Amieux à Sauzon (Belle-Ile-en-Mer) me firent venir deux années de suite pour bénéficier du bon air de la mer. Mais je m’en souviens très bien, jouant d’abord avec les jolis jouets anciens de Niquette, surtout une belle poupée bretonne en porcelaine, grignotant dans des petits services précieux en porcelaine, lisant les Semaines de Suzette datant de son enfance. J’ai ainsi découvert comment habiller mes poupées à la mode de 1930 ! Ce goût de la couture ne m’a pas quitté.
L’année suivante je fis l’apprentissage d’être devenue une très jeune tante. Nièce et tante ont vieilli bien sûr, devenues grands-mères la vie a fait que nous sommes restées très proches et maintenant je suis devenue arrière-grand-tante.
Hier c’était le 15 août, il paraît que c’étaient les 250 ans de Napoléon. Mais dans la famille, nombreuses sont les personnes portant le nom de Marie; quel que soit le rang du prénom. Donc, Jean-Luc, à ta soeur Marie-Brigitte je souhaite une très bonne fête et je sais que tes parents étaient les premiers à lui téléphoner et à sortir un verre d’Anjou.
Très beau et émouvant commentaire avec, en prime, les souvenirs de vacances de ta prime jeunesse! Merci pour ce témoignage.
Oui hier c’était une fête à laquelle mes parents – surtout mon père – tenaient particulièrement… Aussi, en leur souvenir – mais pas seulement – je me suis substitué à eux et ai téléphoné à l’intéressée! Malheureusement, sans sortir une bouteille de Chaume de la Haie Longue!