Un de mes anciens collègues, « ami Facebook » et néanmoins ami, a récemment mis en ligne – « partagé » comme on dit désormais – l’étonnante photographie qui suit, d’un panneau d’affichage officiel de la municipalité de Péribonka au Québec, informant le « chaland » que le cimetière allait être aménagé…Probablement « réaménagé » car depuis la fondation du village en 1888, certainement que de nombreux défunts y reposent déjà et y coulent des « jours heureux » !
Cette alléchante annonce est, en fait, un exercice classique de communication institutionnelle, à laquelle se livrent avec délice tous les édiles municipaux du monde dès lors qu’ils investissent trois francs six sous dans un projet quelconque à usage public; et ce, dans le dessein de montrer à leurs administrés qu’ils travaillent pour leur bien-être -versus – leur sécurité et que leurs impôts sont employés avec discernement.
En soi donc, cette pratique qui s’apparente à de la pub, n’est ni étonnante, ni exceptionnelle. On peut même affirmer que cette ficelle est tellement grosse et usée, qu’elle peine généralement à détourner l’attention ou ralentir la marche du badaud qui préfère vaquer à ses occupations plutôt que de s’attarder dans la lecture d’une indigeste langue de bois sur planche en aggloméré!
A Péribonka, l’opération d’aménagement du cimetière ne semble pas financée par d’autres partenaires que la municipalité elle-même, via son délégataire, son propre service des sports et des loisirs. En France, l’occurrence d’un opérateur unique pour de tels travaux de confort mortuaire serait rarissime, en raison du mille-feuilles territorial qu’aucun pouvoir central n’est jamais parvenu à diagonaliser (au sens matriciel du terme) ni même à simplifier depuis des décennies. Dans l’hexagone, un citoyen, un peu fouille-merde, qui d’aventure s’aviserait d’identifier les commanditaires d’un projet « aussi ambitieux » – ne serait-ce que pour les féliciter de la pertinence de leurs priorités – devrait sans doute s’attacher les services d’un secrétariat particulier pour décliner la longue litanie des bienfaiteurs administratifs qui œuvrent avec un remarquable dévouement au bien public! Et il s’apercevrait in fine, qu’il est le seul financeur !
Dans notre petit village, où vivent moins de six-cent âmes, près du lac Saint-Jean à deux-cent kilomètres au nord de Québec, on se préoccupe de la vie des morts et des vivants à la bonne franquette! Entre soi, sans faire appel à l’extérieur. Et sûrement que les trépassés ne manquent pas d’alerter les vivants sur leurs besoins post-mortem… Et vice versa, conformément à la tradition des oraisons privées.
En fait, ce qui enchante et surprend un tantinet de la part de nos amis québécois de ce sympathique hameau de notre Belle Province, qui a servi de cadre au roman « Maria Chapdelaine », ce n’est pas tant le principe de l’affichage que la motivation du projet.
Selon cette municipalité du bout du monde, l’aménagement programmé du cimetière est justifié par la volonté d’améliorer la « qualité de vie »! Cette formulation, dont on ne sait au juste si elle s’adresse aux occupants du lieu ou à leurs visiteurs, flirte avec l’oxymore. « Au-delà », elle consomme même et peut prêter à sourire. On peut d’ailleurs supposer que c’est dans le but de dérider les zygomatiques de ses amis que mon jeune collègue de jadis a diffusé la photographie de ce curieux panneau… Ce fut effectivement mon premier réflexe. Et celui de beaucoup d’autres internautes qui ne manquèrent pas d’assortir leurs commentaires d’un smiley rigolard!
Et pourtant, est-ce si ridicule de rendre un cimetière agréable à vivre? Evidemment non, si l’on songe aux veuves éplorées qui viennent fleurir les tombes de leurs défunts époux, chasseurs de fourrure et parés de toutes les vertus des coureurs de bois. Au nom de quoi devraient-elles, en plus de leur deuil et de leurs voilettes désormais virtuelles, piétiner dans la gadoue d’allées mal entretenues d’un cimetière? Evidemment non si l’on pense à ces petits-enfants qu’on traîne dans les nécropoles pour honorer la mémoire d’aïeux dont ils se gaussent comme d’une guigne en pianotant sur leurs tablettes, et qui trouveraient la balade encore plus insupportable si les lieux suintaient la déchéance de la vie, face à des stèles enfoncées, des sépulcres craquelés et des caveaux à « ciel ouvert »! Quoique.
Evidemment non, si l’on veut bien se rappeler avec un brin de nostalgie des petits cimetières de campagne, lieux de convivialité, implicitement évoqués par Georges Brassens dans les « Funérailles d’antan » … Lieux de vie, finalement, dont le chanteur déplore qu’ils disparaissent, engloutis comme et avec les défunts. Faute de temps et d’envie pour les soustraire par le souvenir au néant éternel qui nous aspire aussi, les modernes macchabées ne sont plus guère exfiltrés « dans les formes » du monde des vivants. C’est-à-dire, rituellement sans précipiter le retour en poussières, avec un brun de causette et une petite sauterie après l’inhumation… Mais, cela nécessite aussi que les cimetières ne nous cassent pas le moral.
Loin d’être un slogan aguicheur et « facile », l’apostrophe de la municipalité de Péribonka est donc une invitation à mieux vivre entre nous tous, à philosopher sur la mort avec ceux qui sont partis. C’est en réalité un hymne à la civilisation auquel ne peut être insensible le gamin que je fus, qui prenait plaisir autrefois à commenter les tombes du cimetière de l’Est à Angers en compagnie de sa grand-mère maternelle. Autant alors que le décor s’y prête et favorise cette errance dans le temps!
Dans le cimetière de Péribonka, qu’il m’étonnerait que j’arpente un jour, se trouvent peut-être encore les sépultures d’Edouard Niquet (1845 -1936) et de son épouse Mélanie Boisvert qui, les premiers, firent souche ici à la fin du dix-neuvième siècle!
Edouard en fut le premier maire! Ayant moi-même pour aïeux au début du dix-neuvième siècle, une lignée de « Niquet », j’ai nourris, un instant, le futile espoir d’un lointain cousinage. Las! Les miens étaient tous originaires d’Anjou depuis (au moins) le milieu du dix-septième siècle, alors que le premier émigrant – ancêtre d’Edouard – René-Pierre Niquet (1642-1722) était né à Brizambourg en Charente-Maritime. De sa Saintonge natale, il partit pour le Canada vers 1663 et débarqua à Trois-Rivières. Nos aïeux sont certes homonymes, mais juste reliés par l’homme de Cro Magnon! C’est déjà ça. Dommage quand même …
Regrets éternels!
J’aime beaucoup ton humour gris mais tous les cimetières ne sont pas des cloaques crois moi ,Montmartre , Père Lachaise , cimetière marin et bien d’autres.
Merci. Bien sûr que non, tous les cimetières ne sont pas des cloaques. J’aime beaucoup les parisiens. Des livres d’histoire, vivants.
[…] Un de mes anciens collègues, « ami Facebook » et néanmoins ami, a récemment mis en ligne – "partagé" comme on dit désormais – l'étonnante photographie qui suit, d’un panneau d’affichage officiel de la municipalité de Péribonka au Québec, informant le « chaland » que le cimetière allait être aménagé…Probablement "réaménagé" car depuis la fondation du village en 1888,… […]
Décidément le Québec a de l’humour ! Il y a quelques années j’ai reçu semblable information, je crois concernant Longueuil. Je n’ai jamais visité le cimetière de Péribonka, par contre j’imagine volontiers qu’il est semblable à ceux pour lesquels je suis allée me recueillir. : pas de stèles comme chez nous, tombes très près du sol, style américain..
Par contre, je connais bien Péribonka et spécialement son musée plein de souvenirs de Louis Hémon, auteur de Maria Chapdelaine (mais il écrivit d’autres ouvrages comme un sur la boxe). Louis Hémon avait une fille mais sa compagne londonienne dut être internée pour cause de bipôlarité pense-t-on maintenant. Il envoyait des subsides pour l’entretien de cette enfant, souvent en faisant appel à ses parents, Parti « en train » il mourut accidentellement à Chapleau (et mystérieusement encore à ce jour). D’après les personnes qui ont produit des thèses sur cet écrivain, il y a lieu de penser que, à court d’argent, il s’était accroché à l’arrière d’un wagon pour ne pas régler la place. Quant à sa fille, confiée d’abord à la soeur de sa mère, elle décéda célibataire et sans descendance à Quimper; Il m’est arrivé plusieurs fois d’être hébergée dans sa chambre puisque sa légataire universelle est une de mes amies…
Je pense et fredonne toujours la chanson célèbre de ma jeunesse, issue du film consacré à Maria Chapdelaine…
Merci pour ces souvenirs et précisions indispensables, notamment sur l’écrivain Louis Hémon.