Nos bibliothèques sont un peu comme des greniers où sédimentent nos souvenirs. Elles en sont même souvent le reflet incorruptible. Et les souvenirs, c’est un peu comme les pelotes de laine! Quand on tire sur le fil, tout se débobine, comme par enchantement ou parfois par désenchantement !
La magie opère avec une intensité redoublée, lorsqu’on a la chance de pouvoir encore musarder à sa guise dans les livres dévotement classés de ses propres parents. Rien que la lecture des titres sur la tranche des ouvrages alignés fait surgir des images effacées et révèle à l’initié – au fils ou à la fille de la maison – non au commun des mortels, des bribes de vies, dont la cohérence ne s’entrevoit toujours qu’au travers de sa propre histoire et de celle de sa famille ! Les livres de nos parents demeurent à jamais le berceau de notre univers intellectuel et culturel de référence et sont les repères de nos joies et de nos peines de jadis… et de nos penchants d’aujourd’hui.
Nos propres rayonnages, composés pour une part de bouquins collectionnés ou offerts par nos anciens et pour l’essentiel de ceux résultant de nos inclinations personnelles, conservent ainsi dans un désordre apparent les ouvrages rescapés du grand lessivage du temps. Ils témoignent, tous, de jalons importants de notre existence, aboutis ou non, mémorables ou non ! Là, sous notre regard toujours curieux, reposent indifféremment les œuvres qu’on a lues, celles aussi qu’on a fini par oublier ou encore celles qui nous ont séduites un jour et qui persistent à susciter notre émoi ou à nous inspirer ! Et même les livres qu’on aurait dû lire et qu’on n’a jamais su apprivoiser! Enfin ceux qu’on nous a offerts et qu’on n’a pas encore ouverts…
Avec les décennies, des bibelots, des objets incertains et des photographies, autres spectateurs ou accompagnateurs de nos bonnes ou mauvaises fortunes, sont venus côtoyer les écrits et coloniser nos étagères, jusqu’au jour, où tous finiront dans une brocante dominicale ! Dans un vide-grenier…Ils seront déclassés à jamais par des héritiers qui, soumis à la dictature de l’urgence, de l’instantané et de l’exiguïté de l’espace concédé, n’auront plus guère le loisir que de conserver des codes d’accès à des fichiers numérisés! Nos successeurs n’auront cure d’encombrer leurs étagères, leurs mémoires et leurs cerveaux, de vieilleries d’un autre âge. Ils préféreront consulter virtuellement des milliers d’ouvrages sur les tablettes numériques lisibles, même dans le RER… Une pseudo-révolution numérique se profile sous nos yeux, que d’aucuns, qui nous gouvernent, assimilent abusivement à une prétentieuse révolution conceptuelle et culturelle, alors qu’il ne s’agit en fait que d’une évolution technologique pour des pensées prêtes à porter et convenues et pour des réflexions encadrées!
En attendant ces bouleversements attentatoires à l’héritage physique de Gutenberg, toutes ces antiquités intimes continuent d’évoquer mieux que de longs discours, les subtils arcanes de nos folles convictions ou de nos petits reniements, de nos obsessions aussi ainsi que de nos hobbys d’autrefois, sans omettre nos amours évanouies !
Aussi sûrement que notre ADN, nos bibliothèques nous parlent de nous, de nos sens et de notre esprit!
Elles nous parlent du plaisir ou de l’émotion, ressenties lors de l’acquisition d’un ouvrage ou à sa lecture! Catalyseur de nostalgie, elles étalent ainsi devant nos yeux, un passé sensible, dont on peine toujours à se défaire. Notre tendance n’est-elle pas trop souvent de regretter hier pour ce qu’il ne fut pas réellement? Un risque exquis à courir lorsqu’on aime la poussière des bibliothèques plus que les écrans numériques ! « Y-a finalement quelque mal à se faire du bien » avant que ne soit perpétré l’autodafé numérique de notre culture.
A nous de veiller à ce que le tendre regard que nous aimons porter sur ce passé bientôt antérieur ne devienne pas un encombrant refuge pour qui n’a plus les moyens ni le goût d’embrasser l’avenir avec sérénité et confiance ! Ni la force de l’affronter à bras-le-corps, en résistant aux coups de boutoir répétés de l’obscurantisme sur écran!
Effectivement, l’actualité ne porte pas à l’optimisme, mais faut-il pour autant désespérer Billancourt ?
Certes non, même si Billancourt n’existe plus guère que dans les mémoires et les opuscules militants du siècle dernier…
Poisson d’avril!
Poisson d’avril
Je n’ai pas la plume facile et pourtant … Ce que tu as écrit me donne l’envie de réagir.j’ai la nostalgie- j’ai vécue 30 ans avec mon amie Jeannette -militante du métro – engagée .
Mon amie est partie au mois d’aout 2015 à 89 ans . Chez elle c’était la musique , classique et multiple une richesse, elle adorait Julio Igglésia. Puis, elle est partie , pas de famille,. Un camion….est venue vidée son logement tout a été entassé pelle-melle sans ménagement .!! Mais malgré tout Jeannette m’a transmis l’essentiel, la culture et le combat dans la vie .
J’adore les livres; les livres que j’ai appréciés, je veux les faire partager , les mainmettre, expliquer qu’ils valent la lecture et qu’ils apportent un plus … J’essaie de transmettre cela à mes petits enfants. Pour moi le livre, la musique, la culture restent essentiels pour la vie pour chaque être.
Merci pour ce très beau témoignage…
Je n’ai jamais eu beaucoup de temps pour lire, mais fouiner sur internet (généalogie ou autres) j’aime… Par ailleurs, en faisant du patchwork (courtepointe au Québec) lors de journées d’amitié, nous nous disons que derrière nous il y aura probablement des sacs poubelles pour recueillir livres, revues, ouvrages… sauf si nous laissons des instructions écrites et orales à nos successeurs. Néanmoins, à Noël pour mes enfants et petits-enfants, il y a toujours un livre ou (et) des copies de morceaux d’histoire familiale. A Pâques, ma petite-fille a voulu avoir des livres d’auteurs du 19ème siècle. Chez elle, à part Germinal, que des bandes dessinées… Alors nous avons regardé tous les livres de son oncle que j’avais conservés et elle est repartie avec un sac (plastique !) plein, car elle en voulait un peu plus pour ses prochaines vacances. Une génération de plus qui les aura sauvés avant de finir dans une brocante dont sa famille maternelle est friande !
Moi aussi, j’aime bien offrir des livres… Sont-ils lus?