C’était probablement le dernier dimanche d’août 1951 – le 26 – Adrienne et Maurice avaient décidé de s’offrir une excursion d’une journée en autocar dans les Côtes-du-Nord – devenues, depuis lors, Côtes d’Armor. Ils étaient partis d’Angers très tôt le matin, non sans avoir confié, la veille, leurs deux enfants de deux ans et six mois aux grands-parents maternels et paternels dans le quartier de la Madeleine…
Adolphe Bioteau. un cousin de Maurice qui possédait une voiture, s’était proposé pour les conduire dès l’aube, de leur domicile, avenue René-Gasnier sur la route d’Avrillé, au point de rendez-vous des bus près de la gare Saint-Laud…
Las! Cette journée, la première de réelles vacances depuis deux ans, et promise au plaisir de la découverte de la Bretagne septentrionale, fut quelque peu mouvementée. Les deux cents cinquante kilomètres à parcourir à travers le Haut-Anjou et la Bretagne, par des routes peu entretenues, parsemées de nids de poule et encore endommagées par les outrages de la dernière guerre, furent particulièrement pénibles pour Adrienne, victime de nausées. On dut même l’installer à l’avant du véhicule, juste derrière le chauffeur, prête à descendre si besoin était!
Enfin, au Cap Fréhel, peu avant midi, la récompense était au bout du chemin: les embruns salés et l’air iodé de la Manche tinrent leur promesse, incitant Adrienne requinquée à s’aventurer, après le pique-nique, sur les rochers tapissés d’algues brunes et vertes…Le temps au moins, qu’un photographe, Maurice ou un autre – nul ne s’en souvient aujourd’hui – prenne le cliché de rigueur! Comme dans un studio, les cheveux et les plis de la robe savamment ondulés, indiquaient la direction du vent…
Le retour de nuit se déroula sans encombre…Cette journée en demi-teinte fut finalement occultée, car elle fut, ultérieurement brouillée par d’autres événements presque synchrones, qui en relativisèrent le souvenir.
Jusqu’à peu, la photo fut même oubliée dans un tiroir, au milieu d’autres plus récentes, et jamais elle ne figura dans les albums de famille… Pourtant, en dépit d’une qualité technique moyenne, elle est singulière à divers titres. A y regarder de près, la jeune femme de vingt-huit ans, qui apparaît songeuse, le regard presque soucieux en direction du large, présente un léger embonpoint au niveau de la ceinture!
Elle est en effet enceinte de deux mois et demi ! Et, le 21 mars 1952, elle accouchera de son troisième enfant, ma sœur Louisette (1952-2010)… L’intérêt de cet instantané est donc double: il atteste du premier voyage au bord de la mer – en l’occurrence intra-utero – de ma sœur, et c’est en outre le seul, à ma connaissance, qui représente ma mère enceinte… En ce temps-là, pour des motifs qu’il conviendrait d’élucider, il n’était pas d’usage de photographier les jeunes femmes « en état de grossesse », alors que je possède des dizaines de clichés numériques de mes filles aux différents stades de leurs grossesses respectives…Et deux seulement de mon épouse!
Dans la quinzaine qui suivit ce très court intermède estival sur ces côtes sauvages, au relief tourmenté et envoûtant, le père d’Adrienne, Louis Turbelier (1899-1951), décéda, foudroyé par un infarctus à cinquante-deux ans! L’ombre portée sur le visage d’Adrienne, debout face à l’océan, au milieu des nappes de varech, était-elle prémonitoire de ce qu’il adviendra quelques jours plus tard?
Heureusement, six mois après, Louisette fera revivre Louis. C’est de cette naissance, dont Adrienne, aujourd’hui nonagénaire, se remémore en priorité!
Belle photo en effet de ma marraine. Bravo de l’avoir redécouverte. En effet le 09 septembre 1951 décédait ton grand-père Louis. Je crois en avoir déjà parlé. Mais son enterrement, deux jours après coïncidait au mariage de mon frère Michel G. (Louis Turbelier était son parrain) décédé il y a un an avec Thérèse M. qui vient de nous quitter elle aussi subitement. Sa soeur Monique se mariait en même temps – double mariage – Le père du second marié était absent pour maladie aussi. Mes parents recevaient presque plus de condoléances que de félicitations. Moi j’avais du chagrin mais j’avais seulement 13 ans (l’âge de ma chère petite-fille actuellement). Et j’avais un gentil cavalier de mon âge, neveu de l’autre marié et mes parents compréhensifs m’ont dit de m’amuser et de danser. Je ne me souviens pas si on a chanté, Vu les habitudes des familles, je suppose que les jeunes gens ont quand même mis de l’ambiance. C’était un beau mariage double, presque toutes les demoiselles d’honneur étaient vêtues de moire blanche avec un caraco – moi un boléro – de velours bleu.
De nos jours, et même dans ma génération, on n’hésite plus à se faire photographier enceinte, Mais on avait davantage d’appareils photos. Récemment, un arrière petit-neveu et sa compagne plus leurs deux premiers enfants sont allés vers un photographe professionnel avant et après la naissance de leurs derniers… deux, vrais jumeaux. On aime les photos artistiques de nos jours et on essaie de garder les photos souvenirs autrement que sur l’ordinateur où on ne les consulte plus ! Pour Noël, j’ai essayé de laisser quelques souvenirs dans des albums à mes descendants, espérant qu’ils passeront les générations…
Merci pour ce beau témoignage familial…
Quelle belle photo très émouvante de ta maman enceinte de ta petite soeur!
Je n’ai pas moi non plus de photo de ma maman enceinte de moi ou de mon frère.
A l’époque dans les années 1940 1950 cela ne se faisait pas car il n’y avait pas encore le numérique ou les horribles selfies mais la grossesse était un peu taboue car peut être était-elle un symbole du pêché originel même chez les peu ou non croyants.
Très émouvant aussi le témoignage de Rose l’angevine avec cette tradition des cavliers et cavalières pour les mariages qui paraît désuète aujourd’hui mais qui me rappellent de merveilleux souvenirs.
Très sympa ton message. Merci l’ami! Vieux frère…