Finalement, il n’est pas forcément désagréable de répéter inlassablement les mêmes truismes sur le dilemme du temps qui passe et qui modifie sans cesse les paysages! Car le temps est effectivement un bon candidat pour disserter sur la fatalité et ses facéties, et exprimer notre mélancolie d’un passé définitivement éteint mais idéalisé. Tant pis, même, si on se complaît avec délectation et sans complexe dans cet exercice convenu , lorsque les circonstances nous amènent à arpenter les lieux à jamais perdus de notre jeunesse ou que nous (re)découvrons ceux de nos premières émotions enfantines! Ces lieux dans lesquels avec l’impatience de jeunes fous, nous fûmes parfois conduits à expérimenter l’ivresse de l’existence et la violence des sentiments intimes!
Je persiste à considérer ces lieux et ces souvenirs enjolivés comme fondateurs de ma personnalité. Pour autant, je peine à retrouver les sensations d’antan, dans le dédale des autoroutes et des nouveaux ensembles urbains qui ont restructuré et mité l’espace dans lequel j’évoluais du temps où j’allais à l’école.
Alors, comme pour juguler cette amnésie partielle et nostalgique des sens et de la mémoire, l’invocation de vieux poncifs sur l’érosion des choses et des êtres s’impose. Ça rassure comme s’il était besoin de rechercher dans la formulation de fausses évidences, une explication rationnelle à l’irréversibilité du temps!
Comme si l’on espérait endiguer à coups de banalités, l’entropie croissante d’un monde qui nous échappe. Mais qui n’est rien d’autre que le désordre consubstantiel à l’expansion de l’univers, dont nous mesurons chaque jour les conséquences et les dégâts, à commencer sur nous-mêmes…
A chaque fois, le miroir nous renvoie une image qui ne correspond plus tout-à-fait – voire plus du tout – à celle qu’autrefois, nous cultivions, insouciants, dans cette ville ou ce village où nous ne nous reconnaissons plus! Nos rides et nos cheveux devenus blancs et rares n’en sont pas la seule cause.
La vie a creusé d’indélébiles cicatrices que des souvenirs trop sélectifs entretiennent sadiquement et contre lesquelles le plus performant des onguents ne saurait confirmer que notre impuissance à enrayer notre propre déclin. Par force, on prend du recul! On brandit alors notre âge comme l’étalon de la sagesse, tel un privilège – le privilège de l’âge – mais personne n’est vraiment dupe!
Comme le chantait Brassens, l’âge ne fait rien à l’affaire: « quand on est con, on est con »!
En tous cas, l’expérience du retour -fût-il éphémère, ponctuel et « discret »- au bercail natal est cruelle quand on se nourrit de l’illusion que tout pourrait demeurer inchangé, au moins rester presque pareil, et toujours dans le bon sens … Les lieux ne se ressemblent plus… mais aussi les hommes! Au-delà du miroir, après plus d’un demi-siècle, il ne subsiste plus guère que les ombres des générations disparues, qu’à force d’imagination, on aimerait entrevoir au détour d’une ruelle, d’un trottoir ou encore d’un lotissement ou d’une cité, érigés à l’endroit même où nos aïeux cultivaient leur jardin!
Le voile s’est déchiré et le charme rompu, lorsqu’au détour de mon chemin, j’ai croisé dernièrement, celui de spectres – autrement plus inquiétants que les mânes ancestrales – de jeunes femmes au regard confisqué derrière un grillage, entièrement voilées et gantées de noir, qui déambulaient dans ces faubourgs d’Angers, où j’évoluais gamin!
Même ici!
Je me souvins alors avec tristesse que c’était précisément là où je crapahutais en culotte courte, à proximité des buttes de stériles miniers, couvertes de genêts des anciennes carrières d’ardoise! A la place de ces effrayantes apparitions de linceuls en procession, j’aurais tant aimé retrouver les fantômes familiers des trognes burinées des mineurs d’à haut et d’à bas ou des ouvriers de l’usine d’allumettes de la route de la Pyramide !
Le temps, ici comme ailleurs, a fait son oeuvre, en modifiant tout, y compris les êtres, mais à rebours de l’idée qu’on se faisait autrefois du progrès et de la civilisation!
Impossible d’imaginer « in abstracto » pareille scène du retour au moyen-âge lointain, dans ces parages fréquentés dans le passé par de solides carriers de Trélazé ou de Saint Barthélémy, qui y menèrent tant de durs combats pour leur dignité! Au pays de la douceur angevine, de Joachim du Bellay et du roi René d’Anjou, amoureux des arts et des lettres, comment ne pas s’indigner face au constat de l’accoutrement dégradant de ces jeunes femmes anonymisées, contraintes à la servitude et soumises aux caprices de mâles barbus fanatisés, ainsi qu’aux prétendues prescriptions vestimentaires d’un Prophète machiste, polygame, qui vivait, il y a une quinzaine de siècles en Arabie? De nos jours, l’attrait du Prophète pour le charme des jeunes filles pré-pubères, ferait de lui, un délinquant sexuel.
Comment pouvait-on imaginer du temps de ma jeunesse, qu’on s’enfermerait quelques décennies plus tard dans d’anachroniques et liberticides croyances, gommant ainsi d’un trait le combat des femmes pour l’égalité des droits et des sexes? Il faudra donc que ces fidèles abusés s’habituent à ce qu’on se moque un peu de ce très discutable héros d’une sinistre opérette. Peu importe qu’aux yeux des croyants désorientés, il s’agisse alors d’un blasphème, si l’intéressé est l’authentique commanditaire de ces sujétions ridicules! Dénoncer l’insoutenable en ricanant, c’est permis en République, et c’est même salutaire en la circonstance …
Loin de l’agitation de la périphérie parisienne, on aurait pu penser que la gangrène islamiste radicale aurait épargné ces banlieues populaires angevines qui furent le creuset de tant de luttes sociales au siècle dernier et de combats pour l’émancipation de l’humanité. Ce n’est probablement pas le cas, même si la situation n’est certainement pas plus préoccupante qu’ailleurs. Mais, ici comme partout, il faut répéter que ces dérives liberticides et mortifères sont antinomiques des valeurs universelles, qui servent de cadre de référence à notre vision de l’ordre public et de la vie dans un monde civilisé…
Heureusement, hors les murs du chef-lieu et de sa périphérie, l’oeuvre du temps est plus paisible, et demeure fidèle aux racines culturelles et morales des « bleus » et des « blancs » réunis sous la même bannière d’une République laïque, fidèle aussi à la tradition d’accueil d’une population qui n’est pas raciste mais qui croit en la force de son modèle de civilisation, et qui se déclare farouchement garante d’une identité que personne de sensé n’entend abandonner, et qu’elle n’entend voir contestée par personne…
Merci pour ce pesant témoignage, qui n’est à chaque instant, que le reflet de ce que je ressens à chaque instant dans le Loir et Cher, y compris dans sa campagne la plus profonde, notamment au nord du département, où je me rends fréquemment, presque en limite du Perche Vendômois. Rien ne semble avoir changé, et pourtant. Le temps passe et tout disparaît. Bientôt, ce ne sera plus qu’un désert. Il faut se dire,que de tout ce que l’homme a bâti sur terre devra partir en poussière, y compris ses plus belles oeuvres de chaque époque. Pourtant, en confrontant les deux clichés, pris à des époques si lointaines, sur la place du Lion d’Angers; nous avons l’impression que presque rien n’a changé. Mais après une observation plus approfondie, on s’aperçoit bien que ce changement irréversible est largement amorcé ( Les enseignes publicitaires qui semblaient innovantes dans les années 50 représentent les vestiges de notre enfance) . La couverture d’un pavillon rectangulaire adossé au chevet de l’église, apparaît sur le deuxième cliché, en cours de réfection. Cela semble, au moins rassurant, notamment en regard des traditions angevines. Pourtant, les deux épis de faîtage ont déjà disparu. C’est donc, tout de même, à petites doses, que ce bouleversement se pratique dans ce bel Anjou, berceau de nos traditions Françaises. Et j’en suis fier, puisque même si je n’y ai jamais vécu, j’y suis tout de même né. Encore merci, pour notre civilisation, de réagir pareillement et toutes mes meilleures salutations.
Doumé49
Merci Monsieur pour ce très beau texte qui prouve qu’on n’est pas seul…
Non, tu n’es pas seul J.Luc. Moi j’ai remarqué sur la deuxième vue du Lion d’Angers, qu’un arbre était disparu au profit d’un mât, mais dans l’ensemble on reconnaît la mairie du mariage 2015, l’église… Là où j’habite il y avait des fermes, si le gros-oeuvre grosso-modo n’a pas trop changé sauf pour la mise aux normes modernes… beaucoup de prés, de champs, de petits bouts de jardin, sont partis depuis 30 ans bientôt, au profit d’habitations style HLM en béton construites si vite qu’on n’a pas le temps de les voir pousser. J’ai défendu jalousement il y a quelques années mon mur au fond du jardin qui s’est révélé mitoyen, mais datant d’après le géomètre du 18ème siècle. J’ai aussi défendu un superbe vieil arbre presque centenaire qui a été étêté, coupé, dessouché, évacué. Le mur mitoyen a été à moitié démoli pour qu’un pavillon de l’autre côté puisse y faire face tandis qu’on en construisait un autre lui tournant le dos. Quant à l’arbre il n’a pas été remplacé évidemment. Son histoire et celle de « ses collègues » dans le quartier m’a été racontée par de vieilles personnes ayant connu le docteur P. qui avait été propriétaire jadis et avait arboré la propriété. Cette personne, très aimée et malade alors, s’est suicidée quant à mon bel arbre, on l’a assassiné. A la mairie, il m’a été précisé qu’aucun mur ni aucun arbre n’était classé patrimoine… alors je ne cesse d’alerter pour qu’on tente de protéger les traces d’un passé où je n’ai pas joué étant gamine pourtant… Celui où j’ai joué à Angers est disparu depuis longtemps pour faire un passage au périphérique, le Frotte Pénil a été busé, mais un petit arbre qui ressemble à un pin pousse à la place de la maison où nous n’étions… que locataires.