Dans une niche de la chapelle « de la Vierge » de l’église angevine de la Madeleine, un curieux monument aux allures de peinture byzantine, est dédié à la mémoire des soldats de la paroisse tombés au cours du premier conflit mondial entre 1914 et 1919. Accolé au mur d’enceinte du transept, il rappelle aux fidèles et aux visiteurs que la Grande Guerre endeuilla aussi ce quartier périphérique d’Angers, à l’instar de tous les villages et villes de France. Comme partout – et comme toujours – c’est la jeunesse qui paya le plus lourd tribut à la barbarie des grandes puissances européennes.
Ce monument, oeuvre du peintre décorateur angevin René Rabault (1884-1969) fut érigé en 1920 sur l’initiative du curé d’alors, Félix Fruchaud (1856-1954), prêtre emblématique, qui présida aux destinées de la paroisse de 1900 à 1945 ( voir une esquisse de son portrait dans un billet du 7 nov. 2011). La stèle se compose d’un panneau situé légèrement en retrait d’un calvaire et d’un autel, sur lequel sont inscrits cent-trente-huit noms. Sur les deux branches de la croix, est suspendu un linceul, disposé de manière asymétrique, tandis qu’au pied, une femme voilée portant sur son visage les stigmates de la souffrance regarde un supplicié descendu de la croix avant sa mise au tombeau.
La Vierge Marie – car il s’agit d’elle – tient la main de son fils, le Christ, dont la tête inerte repose sur un de ses genoux! Cette « mater dolorosa » est, en fait, un grand classique de la dévotion religieuse des siècles précédents, un standard incontournable de l’art sacré. Et, à cet égard, la stèle dédiée » à nos soldats morts pour la France » dans la basilique de la Madeleine ne déroge pas aux canons en vogue au 19ième et au début du 20ième siècle pour la décoration des églises néogothiques. Canons scrupuleusement respectés par les ornemanistes et statuaires d’inspiration sulpicienne. La basilique « Sainte Madeleine du Sacré Cœur », église paroissiale du quartier homonyme, appartient précisément à cette mouvance architecturale car elle fut bâtie entre 1873 et 1878 par un architecte, Charles-Paul Roques, qui s’était manifestement inspiré des principes de son illustre prédécesseur en la matière, Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879).
Le monument du souvenir évoque d’autres pietà célèbres, comme celles sculptées par Michel Ange dans la Basilique Saint-Pierre de Rome ou encore dans la cathédrale de Florence…L’œuvre ici est plus modeste, mais ne perd rien de la puissance évocatrice des originaux. Elle exprime en effet avec un certain réalisme, la détresse d’une mère devant la dépouille de son fils…Un cadavre qui a cependant suffisamment de présence d’esprit (saint) pour lever le bras droit vers sa génitrice afin qu’elle lui baise la main !
Ce n’est évidemment pas un hasard si le pieux ecclésiastique, concepteur de l’ouvrage, a placé ce monument mémoriel dans une chapelle dédiée à la « Vierge Marie » qui, selon les chrétiens, incarnerait à la fois le « mystère » de la maternité et la douleur d’une mère confrontée à la perte d’un enfant exécuté presque sous ses yeux ! Avant d’être une épouse – qu’elle ne fut peut-être pas – Marie était d’abord une mère, qui, selon la bienveillante tradition évangélique, aurait enfanté à la suite d’une conception par « procréation divinement initiée ». Et, prodige des prodiges, avec l’accord tacite d’un certain Joseph, son charpentier d’époux, qui croyait, sans doute, à la langue de bois ! En récompense, il fut sanctifié…
Le curé ne pouvait donc trouver d’emplacement plus approprié pour « son » hommage aux poilus, que la chapelle de Marie. Pour avoir si souvent accompagné, au cours de la guerre, les autorités civiles quand elles se rendaient au domicile d’un soldat pour annoncer sa disparition à ses parents, il sait d’expérience le désespoir des mères! Rarement, il sut trouver les mots qui apaisent, car il n’y a guère que dans les « livres saints » ou dans la tête des djihadistes, modernes abrutis de nos cités de banlieue, que l’on peut sérieusement affirmer que le choix de l’au-delà prévaut sur l’amour d’une mère pour son enfant. En ces moments tragiques, Félix Fruchaud devait se trouver bien démuni et malheureux. Qui sait si parfois, il ne lui est pas arrivé de douter de la bonté divine? Si ce fut le cas, ce n’est pas moi qui l’en blâmerais! Des millénaires de luttes fratricides ont en effet démontré que l’hypothétique créateur – omniscient et omnipotent – assiste passivement aux spectacles des tueries humaines, dont il est presque toujours le prétexte direct !
Mais, le curé Fruchaud, était animé de la « foi du charbonnier ». En outre, c’était un hyperactif qui balayait le doute dans l’action. Ainsi, l’érection dans son église d’un monument à la gloire de ses jeunes paroissiens victimes de la guerre, constituait, certainement à ses yeux, une manière concrète de rompre le deuil pour introduite le culte!
Son monument devait en fait satisfaire une triple exigence : rendre hommage à ceux de ses ouailles, qui étaient morts pour la France, glorifier leur sacrifice pour en faire des intercesseurs auprès de Dieu et enfin, apporter un peu de baume au cœur aux familles endeuillées. De fait, tant que les témoins de cette époque, les anciens poilus et la parentèle de ces « morts pour la France » vécurent, le monument fit sûrement l’objet d’une sorte de ferveur mystique, ainsi qu’en atteste encore la présence d’un ex-voto sur l’autel.
Avec le temps, seule la religieuse chargée de fleurir l’église, continua d’y déposer un bouquet et la stèle ne suscite probablement, plus guère de curiosité, sauf chez les rares touristes – étrangers – qui d’aventure pénètrent dans le vieux sanctuaire passé de mode. Parfois, des arrière-petits-enfants des poilus en recherche d’identité s’y attardent quelques minutes pour prendre quelques photos de la plaque où figure le nom de leur aïeul.
Lorsque j’étais enfant et que la fréquentation de ce lieu m’était encore familière, je suis passé des centaines de fois devant le monument sans trop le regarder. Ou plus exactement en n’y voyant qu’un élément de décor conventionnel de la chapelle. Et surtout, sans remarquer que dans la liste des soldats « morts pour la France », se trouvaient les noms de mon grand-oncle Alexis Turbelier (1894-1918) – voir mon billet du 10 octobre 2011 – mais aussi de Georges Duguet (1895-1915) son ami musicien et voisin d’en face de la rue Desmazières – voir mon billet du 9 novembre 2011- ainsi que de Léon Chauviré (1880-1914), beau-frère de ce dernier…Pouvais-je imaginer alors l’accumulation insoutenable de malheurs que représentait cette longue litanie aseptisée de patriotes défunts?
A y regarder de plus près, je me serais aperçu d’emblée que ce mémorial ne ressemblait guère aux « monuments aux morts » officiels installés sur la place des mairies de toutes les communes de France au cours des années 1920. Une première différence d’importance réside notamment dans le fait que les soldats mentionnés ne sont pas tous natifs de la paroisse ou même d’Angers, alors que d’ordinaire, les villes et les villages n’honorent que leurs propres enfants disparus.
Par ailleurs, la liste est présentée par ordre approximativement alphabétique, sans aucune référence à la date des décès. En outre, la stèle murale, ne comporte aucun insigne patriotique, hormis deux palmes « fleuries de deux croix de guerre » disposées de part et d’autre du fronton du calvaire. Aucune référence n’est faite à la République, aucune représentation symbolique de poilu avec son casque, sa capote et sa baïonnette ne vient illustrer le monument. Mais les bandeaux entourant le tableau sont ornés de fleurs de lys alternant avec des croix fleurdelisées ! Comme un grand écart vers la Vendée militaire, chère au curé Fruchaud!
Enfin, s’il est attesté que les personnes inscrites sont effectivement décédées pendant la période considérée, il n’est pas certain qu’elles aient, toutes, été « tuées à l’ennemi » ou qu’elles aient été officiellement déclarées « mortes pour la France ». Quelques unes furent tout simplement emportées par des maladies, parfois contractées en « service armé », parfois non. Certaines furent probablement victimes de la grippe espagnole qui fit des ravages en France et en Europe à partir de février 1916.
Au total, si l’on considère les nombreuses inexactitudes orthographiques sur des patronymes ainsi que les erreurs de prénoms, on est naturellement amené à penser que c’est le curé lui-même, éventuellement assisté de ses vicaires, qui a dressé la liste. Son principal critère semble avoir été l’appartenance des défunts à la communauté paroissiale, mais il n’est pas exclu de penser qu’il a aussi introduit « subrepticement » des amis proches ayant péri durant la guerre, du fait de la guerre. Ce fut peut-être le cas de l’abbé Armand Piveteau (1884-1914), « Mort pour la France », qui n’était pas vicaire et qui a priori ne résidait pas dans la paroisse de la Madeleine. A la déclaration de guerre, il aurait été enseignant à l’institution catholique de Combrée près de Segré.
Personne n’aurait désormais l’outrecuidance d’accuser le curé d’avoir élaboré « sa » liste de manière fantaisiste ou (résolument) partiale. Mais l’inscription n’était liée qu’à son appréciation. Et, là se trouve probablement l’origine des imprécisions d’identité et l’explication du fait qu’aucune date ne fut fournie, car le prêtre en délicatesse avec les autorités républicaines, depuis la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, n’avait certainement pas accès aux dossiers militaires et d’état-civil ! Cette même condition rendait impossible la citation de soldats d’autres confessions religieuses! Hypothèse d’école dans l’Anjou très catholique de l’époque.
Eu égard à la personnalité tranchée de l’ecclésiastique, on peut postuler sans le trahir, que par ce geste, il ait voulu, en plus – et « accessoirement » – braver l’administration officielle en la prenant de vitesse…La connaissance du prône inaugural lèverait à bien des égards, toute interrogation à ce sujet!
En dépit de ses défauts originels – ou grâce à eux – la stèle de la Madeleine est intéressante à de nombreux titres. En particulier, elle fournit une image de la diversité démographique et sociologique de ce quartier angevin et de ses vagues de peuplement successives, au cours du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle. Ainsi, on y retrouve de nombreux Bretons ou fils de Bretons de la seconde génération. De fait, pendant longtemps, le quartier de la Madeleine a été considéré comme le quartier des Bretons en Anjou. Au point que l’on prétendait ici ou là qu’ils étaient majoritaires…Cette rumeur ne correspondait pas à la réalité, mais il n’empêche qu’à partir de 1870, une importante colonie bretonne – provenant principalement du Finistère – vint s’installer ici pour travailler dans les carrières d’ardoise de Trélazé ou dans les usines de chanvre et les corderies Bessonneau. Faute de disposer d’une main d’oeuvre ouvrière locale en effectifs suffisants, cette émigration bretonne permit à l’industrie angevine naissante d’assurer son développement et, de surcroît, à moindre coût car les bretons n’étaient pas trop regardants sur les conditions de travail et les rémunérations.
Environ 20% des jeunes hommes morts à la guerre recensés par le curé proviennent de cette population nouvellement installée dans le quartier, plus précisément rue du Haut-Pressoir, rue Souche-de-Vigne, rue Saint-Léonard, rue de la Madeleine, chemin des Mortiers ou au bourg Lacroix …
Les cent-trente-huit soldats honorés représentent, toutes origines confondues, 4 à 5% de la population totale du quartier de la Madeleine au début de la guerre, ce qui est globalement conforme aux ratios nationaux des pertes humaines françaises durant le conflit. Sur cet effectif, il a été possible de retrouver la trace formelle de cent cinq d’entre eux, dans les archives consultables en ligne, du ministère de la Défense ou des départements. L’identité et le parcours des trente trois manquants pourraient – dans leur grande majorité – être élucidés par des recherches plus approfondies hors du département du Maine-et-Loire, en particulier pour les soldats d’origine bretonne, victimes d’homonymies, sources de nombreuses de confusions.
Une trentaine de ces soldats tués appartenait au 135ième régiment d’infanterie d’Angers, unité composée essentiellement d’angevins et de bretons, qui fut envoyée au front dès le mois d’août 1914 … Une quinzaine de soldats de ce régiment furent tués en Belgique et sur la Marne dès la fin du mois d’août et durant l’automne 1914, tandis que sur l’ensemble des hommes répertoriés, vingt-cinq disparurent dès les premiers mois… Rien qu’au mois d’août 1914, neuf soldats du quartier inaugurèrent la macabre liste des massacres. Ces héros sont les suivants:
- Paul Bichet (1893-1914), étudiant en droit, résidant chemin du Haut-Pressoir, caporal au 135ième RI, disparu à Bièvre en Belgique le 23 août 1914. Son corps ne fut jamais retrouvé.
- Joseph Boumier (1884-1914), cultivateur, soldat du 135ième RI, disparu le 23 août 1914 à Bièvre en Belgique. Son corps ne fut pas retrouvé.
- Coulmeau Louis (1884-1914), soldat au 331ième RI, tué le 24 août 1914 dans la Meuse,
- Fallais François (1870-1914), capitaine, officier de carrière, 2ième régiment de tirailleurs de marche, résidant route des Pont-de-Cé, tué dans la nuit du 29 au 30 août 1914 à Sainte Ménéhould dans la Marne,
- Lepage Jules (1889-1914), ferblantier, soldat du 135ième RI, tué le 30 août 1914 dans les Ardennes,
- Malinge Georges (1894-1914), boulanger, résidant chemin du Haut-Pressoir, soldat du 4ième régiment d’infanterie coloniale, tué dans la Meuse le 27 août 1914,
- Moullac Joachim (1889-1914), soldat breton du 2ième régiment d’infanterie coloniale, tué le 22 août 1914 à Rossignol en Belgique,
- Rocton Auguste (1888-1914), jardinier, résidant à Trélazé, soldat du 64ième RI, tué le 22 août 1914 en Belgique,
- Simon Georges (1890-1914), jardinier, résidant rue Saumuroise, soldat au 117ième RI, tué le 31 août 1914 dans la Meuse.
Juste un mois auparavant, ils vaquaient tranquillement à leurs occupations. Ils étaient partis de la gare Saint-Laud, la fleur au fusil, il y a, à peine, trois semaines (voir billet du 21 février 2015). Ils sont morts incrédules, hébétés, hachés menu par la mitraille ennemie.
Et la tuerie se poursuivit jusqu’à la fin de l’année 1918, qui vit renaître l’espoir chez les soldats, mais qui fut aussi la plus meurtrière de la guerre pour les jeunes paroissiens de la Madeleine. Tous mériteraient qu’on leur consacre quelques lignes… Leurs noms sont toujours familiers dans le quartier. Ils me furent familiers. Et j’y reviendrai.
En effet, j’ai autrefois usé mes fonds de culotte sur les mêmes bancs que leurs petits-enfants! Leurs patronymes résonnaient dans la cour de récré de Saint-Augustin. Mais ce n’était pas à eux que l’on s’adressait en criant leurs noms, mais à leur descendance, nos copains d’école. C’est avec les petits de leurs petits qu’on jouait à cache cache derrière les troncs de marronniers. En ce temps-là, les gamins ne parlaient pas entre eux des poilus de 14-18. Ils se contentaient à ce propos de supporter les souvenirs de leurs grand-mères!
Dans la classe en revanche, les combattants de 14 étaient présents! Et même parfois beaucoup, anecdotiquement, hors programme, car l’instit’ , le père Cragné était un ancien de Verdun.
Sous le préau, notre « trip », ce n’était pas les chants patriotiques, mais l’échange de photos des footballeurs du club de Reims. A la rigueur de ceux du SCO, sélectionnés en équipe de France. C’était avant la coupe du monde en Suède de 1958… Eux, les soldats morts de 14-18, muets à jamais sur le panneau de l’église, constituaient pour toujours l’armée des disparus, avec un général – Lafont – au milieu de l’effectif ! A bout de souffle en 1945, le curé de Fruchaud n’a pas complété sa liste avec les martyrs de la seconde guerre mondiale…C’était une autre histoire…
La même histoire en fait, déclinée autrement, celle de la bêtise et de la cruauté humaine qui sacrifie, sans vergogne, ses enfants!
Pour conclure, je souhaite évoquer un des soldats de la Madeleine, dont le destin tragique, entre tous, m’a particulièrement ému. Il s’agit du soldat de 2ième classe du 150ième régiment d’infanterie, Auguste Gesmalusse (1891-1916), « tué à l’ennemi » le 23 avril 1916 à Mort-Homme, en plein cœur de la bataille de Verdun.
Auguste était né le 14 mai 1891 à Angers de père inconnu. « Enfant illégitime » comme on disait à l’époque, il était aussi orphelin de mère lors de son service militaire en 1911. Jardinier, habitant au 15 du chemin des Mortiers dans le quartier des Justices – mal nommé pour ce qui le concerne – il fut classé « bon le service auxiliaire » en 1912 par la Commission de réforme de Tours en raison de « varices volumineuses ».
Mais en septembre 1914, cette décision fut rapportée et il fut déclaré « bon pour le service armé » ! Au diable les varices ! Au printemps 1916, il participe à la bataille de Verdun.
Qui mieux qu’un de ses compagnons d’infortune peut raconter le cauchemar de la bataille de Mort-Homme, au cours de laquelle Auguste Gesmalusse fut foudroyé à vingt-cinq ans, sans avoir vraiment vécu ?
C’est l’objet du témoignage poignant du soldat Louis Corti du 30ième RI, qui se trouvait à Mort-Homme, le 22 avril 1916, la veille du jour où Auguste disparut ( témoignage apporté par le site http://www.lesfrancaisaverdun-1916.fr/). Il ne connait pas notre compatriote mais les pauvres gars dont il décrit le calvaire, ressemblent comme des frères à Auguste. Ce jour-là, ils étaient tous « Auguste » :
« Il a plu et la boue a envahi tout le secteur. Cherchant un abri, un homme s’est jeté dans le boyau, et la boue est aussitôt montée jusqu’à sa ceinture. Il demande de l’aide ; deux hommes lui ont tendu leurs fusils, mais ils ont glissé et vite, ils ont repris place dans la colonne qui passe tout près, sourde aux supplications de l’enlisé qui s’enfonce, sans secours. Car on meurt de la boue comme des balles. Des blessés sont engloutis dans ce marais perfide. Ici, c’est la boue qui obsède, la boue glissante et liquide, l’affreuse boue meusienne soulevée, piétinée, tassée par des centaines de milliers d’hommes, de chevaux, de voitures. Une mer de boue jaune qui pénètre jusqu’à la peau, elle réussit à se glisser sous les planches et les couvertures. Nous vivons sous la boue, nous voyons de la boue partout, et des cadavres, des cadavres, et encore de la boue, et encore des cadavres. On a appris à vivre dans la terre avant de mourir. »
Quelqu’un a-t-il jamais porté le deuil d’Auguste ? Le curé Fruchaud sans nul doute, par sacerdoce – car c’est son métier – et aussi parce qu’il s’est sûrement souvenu du gamin déluré et ébouriffé, rencontré au patronage en 1900?
PS: Merci à « Rose l’Angevine » qui a effectué de nombreuses recherches documentaires en amont de ce billet.
[…] Dans une niche de la chapelle « de la Vierge » de l’église de la Madeleine, un curieux monument aux allures de peinture byzantine, est dédié à la mémoire des soldats de la paroisse tombés au cours … […]
Nous ne savons pas encore grand chose de l’Abbé Armand Piveteau. Mais son acte de naissance est situé à La Croix-en-Touraine, près de Bléré, le 23 octobre 1884 (né le 21), d’un père employé de chemin de fer prénommé Armand (mot rayé remplacé à la fin de l’acte par AMAND) et d’une maman nommée Marie Constance Cantileau. Le prénom du futur abbé fut d’abord écrit Armand, puis l’acte raye et confirme encore une fois que son prénom est bien AMAND lui aussi, plus Emmanuel Auguste. Les témoins sont Louis Delagrange, propriétaire, et Auguste Palluau aussi employé de chemin de fer. Je suppose qu’employé de chemin de fer, le père put être nommé ailleurs, pourquoi pas à Angers ?
D’après mémoire des hommes, le décès fut retranscrit à Combrée (49) (était-il professeur là-bas, on peut, pour l’instant le supposer, mais sans certitude néanmoins.
Renseignement pris, les habitants de la commune de La Croix-en-Touraine s’appellent les Crucifixiens… un comble pour un futur prêtre !
Sacré Piveteau! Il doit se retourner dans sa tombe de voir qu’on s’intéresse à lui après tant de silence!
Voici les derniers éléments relatifs à l’Abbé Armand Piveteau, grâce aux archives diocésaines d’Angers, dont le responsable Mr Geoffrey Label a bien voulu répondre à ma demande par retour de courriel cet après-midi. Un grand MERCI.
L’Abbé Piveteau Armand Emmanuel fut tonsuré le 7 mars 1907, minoré le 20/5/1907, sous diacre le 29 juin 1909, diacre le 18 décembre 1909 et nommé prêtre le 29/06/1910. Il était professeur à Combrée en 1910 et fut appelé comme les autres soldats en août 1914. (d’après sa fiche de prêtre).
Par ailleurs, la semaine religieuse de l’époque lui avait consacré un article dont je recopie les indications suivantes :
« M. l’Abbé Piveteau, professeur au collège de Combrée, a été tué à l’ennemi le 27 septembre 1914. Il était âgé de 30 ans. C’est par une lettre de M. le Comte du Plessis de Grénédan, professeur à la FACULTE CATHOLIQUE DE DROIT D’ANGERS, capitaine au 265ème d’infanterie, adressée à M. Jac, doyen de la même faculté que ce décès a été connu. .. « Venu comme caporal à la compagnie, nommé caporal fourrier par le capitaine Lucas, proposé par moi pour être sergent fourrier, il avait disparu le 27, après avoir été envoyé par moi reconnaître l’emplacement du 318ème d’infanterie qui était en avant de nous. Il y avait peu de danger, le canon ne donnait pas. Quelques balles perdues seulement, tirées par des troupes placées à notre gauche nous arrivaient de temps à autre. Il a été atteint par l’une d’elles dans un endroit où il était seul. Probablement le coup a été mortel ou, si blessé, l’abbé a pu appeler, il n’a pas été entendu et il a été frappé assez gravement pour ne pas pouvoir gagner une ambulance, ou une troupe, ou un sentier fréquenté. On l’a retrouvé, ces jours ci, dans le bois, sans doute à l’endroit où il est tombé. On a recueilli sa plaque d’identité qui ne laisse aucun doute sur sa mort, quelques papiers et 40 francs qu’il avait dans sa bourse. Il a été enterré non loin de là. Tout sera renvoyé à sa famille à qui l’on fera connaître plus tard le lieu de sa sépulture que je ne puis indiquer pour le moment…
C’était un bon prêtre et un très brave soldat, dévoué, actif, intelligent, énergique et d’autant plus méritant que sa belle tenue dans le danger était le résultat d’un effort de volonté constant ; Je m’étais confessé à lui la veille et j’avais renouvelé ma confession quelques heures avant qu’il disparût. Je l’aimais bien et sa perte me peine beaucoup. J’avais l’espoir que, blessé, il avait été recueilli par quelque poste de secours étranger à notre régiment, ce qui dût expliqué que nous soyions sans nouvelles de lui ; mais à présent il n’y a plus de doute. Nous prions beaucoup pour lui, son confrère, l’Abbé Chaillou et moi. »
La semaine religieuse ajoutait « toutes nos condoléances au père et à la mère éprouvés du bon abbé ».
L’Abbé Piveteau avait donc étudié à la Faculté catholique d’Angers qui doit se trouver, si je ne me trompe pas sur le territoire de la paroisse de la Madeleine.
Quoi de plus normal alors que son nom figure sur le monument aux morts de cette basilique ? Reste à trouver si sa famille était devenue angevine.
Merci pour ces compléments très intéressants à propos de l’abbé Piveteau. La présence de son nom sur le monument de la Madeleine est peut-être due à son passage à l’université catholique d’Angers assez proche. Mais force est de reconnaître que cette pratique serait étonnante. Sinon tous les étudiants morts à la guerre, se retrouveraient sur le monument aux morts des villes accueillant leurs facultés. Et ce n’est pas le cas…Même si, dans la cour d’honneur du lycée David-d’Angers une stèle comporte les noms de tous les lycéens tués en 14-18.
Ajouts concernant l’Abbé Armand Piveteau : caporal fourrier 205ème RI – bureau de recrutement : Angers – Lieu de sépulture Nécropole nationale Vic-sur-Aisne – carré F tombe individuelle 81.
Armand Piveteau : Voici mon dernier commentaire, grâce au fait que j’ai enfin trouvé sa fiche matricule militaire. C’était à rechercher non pas dans le Maine-et-Loire ni en Indre-et-Loire. Sa fiche indique bien son lieu de naissance (La Croix) mais, par erreur sans doute, le département était indiqué « Loire-Atlantique », canton de Bléré. Or, près de Châteaubriant se trouve la commune de Béré (foire très ancienne et importante). Le département a donc été barré et remplacé par Indre-et-Loire. Néanmoins sa fiche matricule est le N° 1316 en Loire-Atlantique..
Quant à ses différentes adresses, rien à voir avec la Loire-Atlantique, ni avec l’Indre-et-Loire, mais lors du recrutement sans doute 63, avenue Besnardière, Angers. Ensuite : 22/10/1906 Angers, Grand séminaire ; 31/01/1907 Rue Saumuroise à Angers Château de Chatillon ; « libération » (de son premier service militaire sans doute) : Angers 64 rue Rabelais Angers ; 02/10/1908 Angers 8 cours Saint-Land (Laud sans doute) ; 25/01/1911 Collège de Combrée.
Je reste persuadée, compte tenu de tout ce que j’ai trouvé (voir les adresses proches de la basilique) et recherché, que le grand-père Alexis, organiste de la Madeleine et son fils, mon tonton Alexis, l’ont connu, fréquenté, et qu’il méritait bien que son nom apparaisse sur le monument établi par René Rabault en 1920.
Seulement, il fallait avoir idée de se renseigner du côté de la Loire-Atlantique, pour parvenir à trouver sa fiche militaire avec ses adresses successives à Angers, non ?
Bien sûr qu’il MERITAIT de figurer sur un monument aux morts! Et même sur deux ou trois…Il le MERITAIT plutôt deux fois qu’une, comme tous les pauvres gars disparus pendant la Grande Guerre dans la fleur de l’âge… Le fait d’être « mort pour la France » est le principal titre! Le seul qui vaille. Et dans cet effrayant contexte, le fait d’être « né quelque part » ou d’avoir, éventuellement, été « pistonné » par le curé du coin est anecdotique et apparaît secondaire… « Etre né quelque part, c’est toujours un hasard », comme le chantait Maxime Le Forestier.
Il serait intéressant de savoir à partir de quand et comment la colonie bretonne est venue travailler et s’établir à Angers.
De quelle région.de Bretagne cette immigration est elle venue…,?
Peut être est ce du à la fameuse misére du début du siécle quand on ne pêchait plus de sardines…ou une population des »terres » type Gourin qui sont ensuite partie vers les 50 en Amérique!
L’émigration bretonne massive à Angers remonte au dernier quart du dix-neuvième siècle. On disait qu’elle provenait majoritairement du Finistère, mais j’ignore de quelles communes précisément. Encore à mon époque dans les années soixante, il y avait un îlot breton dans le quartier de la Madeleine, constitué de petites maisons basses en pierres d’ardoise, notamment rue Souche-de-Vigne. Ce quartier a disparu, laissant la place à des immeubles modernes. Les Bretons avaient leur recteur qui disaient la messe en breton dans une chapelle de la rue du Haut-Pressoir… Cette émigration était économique et répondait aux demandes de main-d’oeuvre de l’industrie et des carrières d’ardoise, que la ville d’Angers, ville bourgeoise et administrative ne pouvait pas fournir à partir de la seule population ouvrière autochtone. Du côté des émigrants, je ne connais pas les motivations précises, mais je suppose que la misère était le principal moteur.
[…] Dans une niche de la chapelle « de la Vierge » de l’église angevine de la Madeleine, un curieux monument aux allures de peinture byzantine, est dédié à la mémoire des soldats de la paroisse tombés … […]
Sur ce monument figure le nom du Général Lafont. Nous ne savons pas pourquoi exactement il y est inscrit.
Il s’agit de Pierre Henri Lafont, Colonel hors cadre, général à titre fictif en vue de la Mission en Russie (d’après fiche « mémoire des hommes »), il était né le 26 mars 1865 à Santiago de Cuba, devait résider à Pau en 1885.
Il est décédé de la grippe espagnole à Iassy en Roumanie et à ce titre est déclaré mort pour la France comme d’autres ayant contracté cette maladie en service. D’après un de ses descendants, j’ai appris qu’il était commandant en second dans un régiment d’infanterie à ANGERS lors de la déclaration de guerre (on peut supposer que c’était le 135 ?). D’après mes recherches, il fut un collaborateur proche du Général Berthelot. A suivre…
Merci … à suivre effectivement…
Encore une suite d’informations d’après un livre que Françoise F. m’a offert. et qui est à recommander. Il s’agit de « 1914-1918 » L »ANJOU DANS LA GRANDE GUERRE » Edité par Les Archives de Maine-et-Loire
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Extraits : après avoir fait le tour des différents régiments présents à Angers en 1914, on arrive au 6ème Génie : « En 1914, à l’effectif de 3216 hommes, il compte 4 bataillons à 3 compagnies, chacune affectée à un corps d’armée ainsi qu’une compagnie de sapeurs cyclistes.
… Le 6ème Régiment de génie fournit également un détachement de sapeurs cyclistes à la 9ème et un à la 10ème division de cavalerie chacun composé de 35 hommes, sept chevaux, trois voitures et fourgons.
… Enfin dernier arrivé en ville (Angers), le 33ème régiment d’artillerie de campagne (RAC) comprend 3 groupes hippomobiles : 1609 hommes, 1578 chevaux, 224 voitures dont 36 canons de 75 modèle 1897.
Le chef de corps est le Colonel LEBRETON. Il a pour second le LIEUTENANT-COLONEL LAFFOND »…
Ce dernier renseignement confirme (sinon l’orthographe du patronyme) du moins la position du Général Laffont alors lieutenant-colonel en 1914 dans le 33ème régiment d’artillerie de campagne à Angers.
Pour tous les Angevins et ceux que l’Anjou intéresse, je recommande le livre épais et bien entendu très documenté en textes et photos. Toute une partie est consacrée a des documents provenant de collections particulières : photos, textes écrits sur le terrain le plus souvent.
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Une pensée particulière pour ceux décédés à Verdun, puisqu’on vient de célébrer les 100 ans du début de cette affreuse tuerie.
Merci pour cette information concernant le général Laffont dont l’image se précise peu à peu.
Il n’était pas « de la Madeleine », il n’était même pas d’Anjou, mais son patronyme était ANGEVIN Eugène, Albert. Grâce à l’indexation collaborative du fichier des morts 14-18 (non exhaustive), j’ai trouvé sa trace. Deuxième classe du 60ème Régiment d’infanterie (matricule au recrutement N° 1812 à Nîmes) et né le 15 novembre 1895 dans le Gard à St-Laurent d’Aigouze, il est mort pour la France à Vaux Chapitre (Meuse) de ses blessures de guerre, LE 29 FEVRIER 1916; 100 ans aujourd’hui. L’acte de décès ne fut retranscrit que le 18 mai suivant dans sa commune d’origine.
« Mort pour la France »