Au cours d’un récent et bref passage à Sarlat en septembre, j’ai visité, un peu par hasard, une très intéressante exposition consacrée à « la vie à l’arrière » dans la capitale du Périgord Noir au cours de la guerre de 1914-1918. En soi, une telle manifestation – qui se tient simultanément au rez-de-chaussée de la Maison de la Boétie et dans la galerie André Malraux – n’a rien d’exceptionnel, surtout en cette période, où, un peu partout en France, on célèbre le centenaire de la Grande Guerre. Beaucoup de cités françaises ont en effet organisé des événements similaires…
Mais, il se trouve que celle-ci m’a particulièrement intéressé. D’une part, parce que j’ai déjà abordé ici l’histoire de la première guerre mondiale en sarladais dans un billet du 9 août 2013 consacré à un certain » cousin Lulu » le dernier poilu que j’ai connu vivant, et d’autre part, parce que l’idée d’attirer l’attention du visiteur de l’exposition sur le premier « mort pour la France » de la ville de Sarlat en 1914 m’est apparue originale !
Ainsi, une vitrine est dédiée à Léon Elie Robert Toulemon (1889-1914), qui est présenté comme le premier soldat sarladais sacrifié au cours de la Grande Guerre.
Léon Toulemon est en effet mort, après quelques jours d’agonie et de coma, le 14 septembre 1914 dans l’ambulance n°6 du 17ième corps d’armée, basée à Somsois dans la Marne, où il a été transporté grièvement blessé à la suite des combats de la première bataille de la Marne. En fait, le caporal Toulemon a très probablement eu la tête fracassée par un éclat d’obus le 6 septembre 2014 alors que son régiment livrait une bataille acharnée à Saint-Ouen-Domprot dans la région de Vitry-le-François…
La vitrine de l’exposition décrit les circonstances singulières et « romanesques » – à tout le moins, rocambolesques – du rapatriement de sa dépouille en terre sarladaise, après qu’un de ses frères, Jean Ludovic Toulemon (1885-1961) eut identifié le lieu de son inhumation provisoire à Somsois. Profitant d’un voyage professionnel en 1919 dans la région pour le compte de son employeur « La Société Générale », Jean se serait rendu en train jusqu’à la gare qui desservait alors Brandonvillers et Gigny-Bussy au sud du département de la Marne et aurait rallié à pied et sous la pluie les quelques cinq kilomètres qui le séparaient du cimetière de Somsois où était enterré son cadet. Là, le curé lui aurait raconté les derniers instants du soldat sarladais et l’aurait aidé à retrouver la sépulture, identifiée par une bouteille contenant un écrit qui en précisait le lieu exact.
Cette bouteille fait partie des documents et des objets exposés dans la galerie Malraux, où l’on peut également lire la lettre que Jean Ludovic adressa à sa mère, Rosalie Denoix, épouse Toulemon – alors septuagénaire – dans laquelle il lui indique les démarches nécessaires pour exhumer le corps de son fils et le ramener à Sarlat… Il repose désormais au cimetière de Sarlat.
Agé de 25 ans au moment de la déclaration de guerre, Léon Elie Robert Toulemon était le troisième fils des cinq enfants de Pierre Toulemon, avoué au tribunal d’instance de Sarlat, et de son épouse. Mobilisé dès le dimanche 2 août 1914 avec les quelques cinq-cents jeunes hommes de la ville, il est affecté comme caporal au 9ième régiment d’infanterie d’Agen qui rejoint presque immédiatement le front. Parvenu à Valmy en Champagne dès le 5 août 1914, le régiment franchit la frontière belge dans la deuxième quinzaine du mois, où il est au contact de l’armée allemande dès le 22 août dans la région de Bertrix… Dès lors et jusqu’à la fin du mois d’août, il doit soutenir de durs affrontements, confronté à la puissance de l’artillerie adverse et à la pression exercée par les troupes allemandes en supériorité numérique.
Après ce mois d’août désastreux pour les armées françaises, eu égard aux milliers de soldats tués depuis la déclaration de guerre, le général Joffre, piètre stratège bien qu’ancien polytechnicien, est contraint d’engager un retrait des troupes de Belgique. C’est ainsi que le 9ième régiment d’infanterie d’Agen, comme d’ailleurs le reste de l’armée française, est amené à repasser piteusement la frontière, franchie la fleur au fusil deux semaines auparavant.Le 28 août, il se trouve à Artaize-le-Vivier dans les Ardennes et poursuit sa retraite vers la Marne, harcelé par l’ennemi.
Le combat du 6 septembre 1914 sera fatal à Léon Robert Toulemon.
Le décès de Léon fut notifié à Sarlat en novembre 1914 et on raconte qu’à l’annonce de cette nouvelle, son jeune frère Charles Paul Henri (1894-1974) – le quatrième fils Toulemon – lui rendit hommage en dessinant une fresque murale en son honneur dans la maison familiale. Laquelle serait, encore aujourd’hui, pieusement conservée par ses descendants…
Après la guerre, la vie reprit son cours… Le frère aîné de Léon, Jules André Toulemon (1883-1981) devint un grand avocat parisien, auteur de nombreux ouvrages juridiques ou d’économie politique, mais également de récits périgourdins, comme « Les Carpes de Beynac » en 1967.
Je me suis laissé dire qu’au milieu du siècle dernier, Jules André Toulemon – à moins que ce fut un autre frère également parisien d’adoption – revenait régulièrement en Périgord et qu’il y chassait dans les bois de Castelnaud ou de Beynac, avec un artisan cordonnier bottier des environs de Sarlat, dont il semblait être familier… Cet homme, qu’on appellera ici Henri B.G. se fit curieusement prénommer « Léon » dans tous les documents officiels après la première guerre mondiale, comme s’il voulait, par ce geste, manifester une sorte de proximité, y compris de sang, avec le premier poilu de Sarlat tué en 1914, frère attesté de son compagnon de chasse…
La naissance de cet « Henri B.G. » sans paternité affichée en 1883 à Castelnaud ouvre toutes les spéculations possibles sur sa parenté biologique paternelle, confortées par certaines ressemblances morphologiques, réelles ou supputées.
Le temps s’est écoulé, les mœurs ont évolué. Aussi, à l’époque du « mariage pour tous », la présomption de « fraternité » n’est plus une question tabou … L’illégitimité au sens de l’ancien code civil n’est plus – et heureusement – un motif de déshonneur, comme ce fut le cas autrefois. Et franchement, ce serait une belle histoire que d’imaginer deux demi-frères arpenter, complices, les chemins forestiers du Périgord Noir ! Un conte qui résonnerait comme la réparation posthume d’une idylle hypothétique mais interdite entre un certain « Pierre » et une « Maria ».
Mais, le mystère demeure, qui ne sera sûrement jamais élucidé, car tous les protagonistes ont disparu. Il n’est évidemment ni évoqué, ni esquissé, car ce n’était pas son objet, dans la très belle et actuelle exposition de la maison de la Boétie et de la galerie André Malraux, qu’il faut conseiller d’urgence, entre deux dégustations de pommes sarladaises, de foie gras truffé et de gâteaux de noix …pour se mettre dans l’ambiance.
Neveu de Robert (prénom usuel) Toulemon, premier Sarladais tué en 14, dont je porte le prénom et fils d’Henri (cinquième fils Toulemon), j’ai été très intéressé par votre notice qui m’a été signalée par mon fils Pierre-Henri qui habite à Sarlat dans la maison familiale où ont été élevés les cinq fils Toulemon et leurs deux sœurs. Accepteriez-vous de m’indiquer d’où vous tenez l’indication selon laquelle mon grand-père Pierre Toulemon aurait eu une liaison extraconjugale et un enfant. Ainsi que vous l’observez, l’évolution des mœurs et j’ajouterai le temps écoulé font que confirmer et préciser cette information n’aurait rien de désobligeant. C’est pourquoi j’espère que vous répondrez favorablement à ma demande et vous en remercie d’avance.
Bien cordialement.
Robert Toulemon
Merci Monsieur pour votre message. Je vous adresse la réponse souhaitée sur votre messagerie personnelle. L’histoire en soi est belle et touchante… Formons le vœu que mes intuitions et présomptions se confirment…