Sans remonter aux calendes grecques, l’Europe – péninsule occidentale de l’Asie – a payé un lourd tribut humain au cours des deux derniers siècles, du fait de ses divisions, c’est-à-dire de l’exacerbation des nationalismes et de l’éclosion en son sein d’idéologies mortifères particulièrement perverses. Le comble de l’horreur étant atteint au cours de la dernière guerre mondiale de 1939-1945 avec le fascisme et le nazisme.
Le bilan quantitatif de ces conflits est effrayant : rien qu’en 1870, sur les six mois que dura la guerre franco-prussienne, près de 40000 morts et 90000 blessés furent déplorés chez les vainqueurs, alors que du côté français, le conflit coûta la vie à 139 000 combattants. Plus de 450000 personnes furent blessées ou contractèrent des maladies opportunistes dues à la guerre…
Mais ce n’était qu’un hors d’œuvre, presque un amuse-gueule, car moins d’un demi-siècle plus tard, près de 19 millions de personnes périrent dans la tourmente de la Première guerre Mondiale. Guerre déclenchée sottement par le jeu d’alliances imbéciles. L’Europe, tailladée de toute part en fut durablement affaiblie. Mais ce lourd tribut en annonçait une autre, encore plus horrible.
Vingt ans plus tard, celle qu’on pensait être la « der des der » est surpassée dans le registre de la barbarie par un autre conflit mondial. Celui-là, épouvantable, dépassa largement le précédent en atrocités de toutes natures. Il fut le plus meurtrier que l’humanité eut à connaitre jusqu’à ce jour. Excusez du peu! Plus de 60 millions de morts soit 3 % de la population mondiale disparurent dans la tourmente, dont près de 6 millions de juifs victimes de la Shoah…
Depuis 1945, l’Europe a connu d’autres conflits épouvantables, fratricides qui l’ont saignée, comme la guerre dans l’ex-Yougoslavie au cours de la décennie 1990, mais jamais dans l’espace communautaire créé en 1957 par le traité de Rome… Quoiqu’on en dise, cette fragile accalmie meurtrière dont ma génération, celle du baby-boom, a bénéficié depuis soixante-dix ans et que l’Europe communautaire a confortée n’est pas à rejeter d’un revers de meeting!
L’Union européenne a donc partiellement réussi à faire en sorte que se réalise l’utopie de ses pères fondateurs, ces visionnaires traumatisés par les dégâts de la guerre, que furent respectivement l’allemand Konrad Adenauer (1876-1967), les français Jean Monnet (1888-1979) et Robert Schuman (1886-1963) et même Charles de Gaulle (1890-1970), mais également tous ceux qu’on a aujourd’hui oubliés en France comme le belge Paul-Henri Spaak (1899-1972), l’italien Alcide de Gasperi (1881-1954), le luxembourgeois Joseph Bech (1887-1975), le néerlandais Johan Willem Beyen (1897-1976), Winston Churchill (1874-1965), l’allemand Walter Hallstein (1901-1982) qui fut le premier président de la Commission européenne de 1958 à 1967 et enfin le créateur de la Politique Agricole Commune, le hollandais Sicco Mansholt (1908 -1885).
Mais quelle était donc cette utopie qui habitait ces hommes pragmatiques, pétris d’humanisme classique, presque tous rescapés des guerres, tous ou presque issus du 19ième siècle ?
Tout simplement de construire un espace économique communautaire, incarné par un grand marché et par la libre circulation des hommes. Ils pariaient que la multiplication des échanges rapprocherait les anciens ennemis et amarrerait durablement la paix sur le continent européen, induisant mécaniquement la prospérité. Cependant, en période de guerre froide, ils n’abordèrent pas la question de la sécurité collective européenne, assurée de facto par le parapluie américain. Elle continue donc de se poser!
En outre, échaudés par les dérives mortifères des nationalismes européens, les fondateurs de l’Europe communautaire n’évoquèrent jamais autrement que de manière allusive ou indirecte, les questions d’identité et de spécificité de la civilisation européenne…Aujourd’hui, elles s’imposent comme incontournables, bien que le « Politiquement correct en vogue » exige de les évacuer.
C’est ainsi qu’on se refusa, il y a quelques années, de mentionner dans les traités ou d’inscrire dans le projet avorté de constitution, les racines et l’héritage judéo-chrétiens de la civilisation européenne, pour éviter de heurter la sensibilité de populations migrantes venues d’ailleurs et récemment implantées en Europe…Reconnaître la réalité n’est pourtant pas exclure. Sur ce point l’Europe s’est montrée timorée et impuissante, craignant de réveiller de vieux démons, comme le racisme, qu’elle croyait avoir définitivement éradiqués après la prise du bunker berlinois d’Hitler en 1945!
Reconnaître l’apport de la civilisation gréco-latine, puis judéo-chrétienne sur la pensée européenne ne devrait d’ailleurs pas avoir pour effet de nier l’influence ottomane en Europe centrale ou arabo-andalouse en Espagne!
» Les droits de l’homme » ne sont pas tombés du ciel! Justement si, un peu, même si le ciel est vide!
Contournant cette difficulté existentielle – métaphysique parfois – les concepteurs de l’Europe communautaire misaient sur le marché pour assurer la paix, et en leur temps, ils n’avaient pas tort. L’urgence était alors de reconstruire un continent dévasté et affamé, en se coltinant au quotidien les problèmes d’industrialisation, d’approvisionnement énergétique et alimentaire, sans s’écharper une nouvelle fois, dans un monde dangereux, interdépendant et, donc, de plus en plus complexe… On n’en était pas vraiment encore à imaginer un « ordre public européen » auquel il faudrait cependant songer dorénavant…
L’époque des pionniers est en effet révolue. Et l’Europe a besoin aujourd’hui de s’affirmer sans complexe comme un espace de civilisation! C’est peut-être même une des conditions de sa survie, préalable à toute forme d’élargissement futur…S’affirmer pour ce que l’on est et en être fier! Ne serait-ce que pour mieux accueillir un monde qui la convoite et qui, poussé par la misère, continuera de frapper à sa porte, qu’on s’en réjouisse ou non. Est-il vraiment déraisonnable, tout en le recevant dignement, de lui demander d’abandonner sa burqa, contraire à notre conception de la liberté de la femme ?
Faute d’avoir ce courage d’être soi-même, il est à craindre que l’Europe ne se dilue jusqu’à disparaître irréversiblement en tant qu’entité politiquement, moralement, culturellement et intellectuellement autonome! Au-delà de l’emprise de la finance sur l’économie européenne, du chômage massif qui touche presque tous les Etats de l’Union, au delà même de la médiocrité des dirigeants actuels des Etats qui, à de rares exceptions près, se montrent incapables d’être à la hauteur de leurs illustres prédécesseurs, le citoyen européen s’inquiète de ce refus identitaire qu’on lui oppose en le culpabilisant, alors qu’on lui fait sans cesse miroiter des fuites en avant vers des horizons indéfinis et sans repères… L’avenir toujours incertain, devient franchement improbable…et est perçu comme une menace.
Faut-il pour autant se désintéresser d’un projet européen chancelant, victime de l’inconsistance politique? Assurément non! Le scepticisme démobilisateur n’a jamais aidé à surmonter le moindre problème! L’enjeu, c’est donc de ne pas perdre le Nord sans oublier le pôle sud. Et de ne pas être trop à l’ouest, lorsque les nuages s’accumulent à l’est !
J’irai voter dimanche pour l’Europe! En me souvenant de Gaby, la petite juive autrichienne rencontrée du côté de Klagenfurt en Carinthie dans les années soixante, dont la famille avait, en grande partie, péri à Auschwitz… L’Union européenne, même très imparfaite, énervante, bureaucratique à l’excès, et abusivement intrusive jusque dans la normalisation de nos camemberts ou des agrès et jeux d’enfants de nos squares, a au moins évité depuis plus d’un demi-siècle, ces tragédies de notre passé récent! Là est malgré tout l’espoir d’un futur meilleur!
Surtout ne jamais jeter le bébé avec l’eau du bain, même quand c’est une blonde pulpeuse, quadragénaire et braillarde qui nous y invite…Il faut faire front face à la facilité de solutions « clés en main » qui annoncent toujours des lendemains qui déchantent!
Dans le grand ouest on a un choix de 25 possibilités si on veut voter, il existe même un parti ou une liste pour les objecteurs de conscience, un ou une autre pour le vote blanc… Je me permets de rappeler aux femmes qui liraient ton article, et qui pour raisons diverses ne sont pas intéressées par ce vote, que des générations se sont battues pour qu’elles aient le droit de vote.
Même avant la Révolution, pour la plupart d’entre nous, nos ancêtres n’avaient pas droit à la parole, n’étaient pas éduqués, ne savaient ni lire ni écrire, tout au plus certains savaient dessiner leur signature !… Je me souviens d’une arrière grand-mère de mes enfants (Madeleine E.-B.) qui, elle, tenait à se rendre au bureau de sa petite commune bordelaise, afin que sa signature apparaisse sur les listes électorales et qu’on ne puisse médire sur elle !
Complément très juste à mon modeste billet… En Île-de-France aussi, y a le choix: trente et une listes en lice! La prochaine fois, je présenterai la mienne… Et je l’appellerai « Europe » en souvenir et en hommage à cette princesse phénicienne que Zeus, le roi des dieux de l’Olympe enleva et viola … Curieux que cet épisode qui n’est pas à la gloire de la phallocratie ne soit jamais rappelé…