En ce dimanche matin de printemps, en dépit de l’optimisme convenu des commentateurs de la météo, le temps s’obstine à demeurer gris sur l’Ile de France; et on sent bien que les journalistes qu’on écoute à la radio en prenant le petit dèj’, « tirent à la ligne » – s’échinent comme ils peuvent – pour nous égayer un peu. L’actualité « sérieuse » est en « mode pause », comme on jargonne maintenant, notamment celle des « pactes en tous genres » imaginés par notre président louis-philippard pour restaurer une légitimité qui s’effrite à vue d’œil à force de maladresses et de promesses en l’air. Même le petit nerveux qu’il a désigné pour le seconder dans cette tâche herculéenne, se la coule douce. Il écoute le violon et est aujourd’hui muet. Pas d’annonces fracassantes car c’est dimanche… Même pour la CGT, le dimanche, c’est sacré !
Samedi, certains ont bien tenté d’animer le WE en battant le pavé parisien de la République à la Nation. Quoi de plus jouissif, en effet, pour tromper l’ennui, que de défiler contre l’austérité, écharpes en bandoulière et drapeaux rouges au vent, en s’imprégnant des fondamentaux de l’anticapitalisme militant de jadis? Un vrai plaisir d’hédoniste de la révolution ou de nostalgique de 1848 ! Une authentique aubaine aussi pour les cœurs solitaires, en mal de dragage, rendus téméraires car libérés, le temps d’un après-midi, par le romantisme envoûtant et braillard des néo-montagnards robespierristes qui se pavanent en tête de manif ! Juste un regret : ils vieillissent eux-aussi.
Mais c’était samedi, et ça peine à déborder sur les infos du dimanche, même si chacun s’accorde – surtout les organisateurs – à dire que la manif fut un immense succès populaire …
Aujourd’hui dimanche, à moins qu’un automobiliste sénile ne remonte l’autoroute à contre-sens provoquant de mortels accidents, aucun haut responsable de l’Etat ne devrait gloser, au pied levé, à la télé . Dommage, car ça aurait pû être une bonne occasion de se mettre en valeur sur un « sujet de société » sans risque. Taper sur les vieux est un sport honorable, surtout s’agissant d’un événement qui interpelle les français. Et à propos duquel on peut suggérer, à peu de frais, le dépôt d’un projet de loi – avant par exemple, 2039 – instaurant un contrôle médical strict des conducteurs nonagénaires. Bingo ! Je serais juste tombé dans le panneau des assujettis… mais je me tirerai peut-être avant!
Finalement, cette journée de dimanche ne devra donc pas présenter grand intérêt pour la postérité. Elle restera terne jusqu’à ce qu’un improbable soleil tant annoncé ne finisse timidement par se montrer, ou pas du tout, et nous incite, protégés par nos bérets « anti-kératose », à synthétiser un peu de cette si nécessaire vitamine D aux mille vertus et qui fait tant défaut aux seniors!
Même l’Ukraine finit par lasser à force de ressasser le même scénario sur l’impérialisme pro-russe et l’attentisme munichois du reste du monde…Pour l’instant, le guerrier gominé qui nous gouverne, ne s’est pas encore trop manifesté sur le sujet. C’est regrettable, car il pourrait nous distraire une fois de plus! Sans s’en douter – disons sans l’avoir précisément recherché – le gars peut amuser, à condition de l’apprécier au second degré, voire au troisième ou au-delà. Plutôt au-delà d’ailleurs! Tel Rantaplan, il semble si gentil quand il se trompe! Et systématiquement, il se plante confondant « maintenant » et « calendes grecques », « inversion » et « augmentation », « rapide » et « interminable », etc. Mais, comment lui en vouloir? A lui qui veut bien faire mais qui déclenche la pluie dès qu’il met le nez dehors.
De toute façon, c’est dimanche. Et dimanche, c’est du domaine privé, auquel le premier magistrat casqué de France tient par-dessus tout ! Cet axiome l’a d’ailleurs parfois amené à être en dessous de tout. Qu’il m’excuse, mais par solidarité avec ma payse et par instinct grégaire, je ne peux qu’être solidaire de son ex-angevine de poitrine !
Un dimanche triste donc, au cours duquel il nous reste tout de même la tragédie programmée de l’Enfer du Nord, la cent-douzième édition de Paris-Roubaix avec ses impitoyables pavés de la « trouée d’Arenberg ». Une course cycliste mythique où la gloire doit passer par l’extrême souffrance des coureurs. Symbolique aussi de cet ancien pays minier si durement frappé par la crise, qui oscille entre l’extrémisme politique et l’extrémisme religieux. Où dans certaines villes, les kamis salafistes et les djellabas iklas ont remplacé de longue date les lampes de mineurs et les bleus de chauffe. Où les discours d’exclusion adoptent la sémantique républicaine pour tromper le chaland …
Pour l’heure dans les troquets de l’écluse au bord du canal, dans les permanences frontistes comme dans les bars à narguilé ou les salons à chicha à proximité des salles de prière, ça devrait être la réconciliation nationale face aux exploits des gars couverts de boue, qui pédalent, un masque de souffrance sur le visage, cherchant leur souffle comme jadis les silicosés. Tous espèrent qu’il pleuvra un peu pour assurer le spectacle télévisuel sur les dalles devenues glissantes, et enrichir la légende douloureuse du cyclisme ! …
Comment leur reprocher cette désinvolture et ce cynisme? Alors qu’ils s’emmerdent le dimanche en dealant dans les corons désertés ou sur l’esplanade des cités de chômeurs, pourquoi n’auraient-ils pas le droit d’espérer que le sang des cyclistes leur permette d’accéder à l’émotion des larmes! Comme à la corrida…
Mes plus anciens souvenirs de Paris-Roubaix, et les plus marquants ne sont-ils pas incarnés par ces photographies jaunies du Miroir Sprint, feuilleté à la fin des années cinquante chez ma grand-mère paternelle, sur lesquelles des coureurs ensanglantés pleuraient à côté d’une roue de leur vélo tordue en huit, sur les secteurs pavés du Nord? Des images de héros émergent de ces souvenirs, Louison Bobet, Stablinski, Rik Van Looy, et plus tard Eddy Merckx. Des exploits auxquels vibraient mes grandes tantes Turbelier du fond de leur appartement cave de la rue Saumuroise à Angers en écoutant à la RTF les commentaires des radio-reporters sportifs comme Georges Briquet…
Pas de bol, cette année, il n’a pas plu sur Paris-Roubaix !
Au rayon de la mémoire, il n’y a pas que le vélo qui s’est invité ce dimanche des Rameaux. « On fête cette année le centenaire de la poudre Banania », nous a rappelé, dès potron-minet l’animateur du week-end de la station RTL. Une belle histoire, celle de cette poudre de banane, de cacao, de céréales et de sucre, servie au petit déjeuner des enfants français depuis un siècle. Histoire maintes fois racontée depuis la découverte de la subtile préparation dans un village au cœur de la forêt en 1912 lors d’un voyage au Nicaragua du fondateur de la marque et concepteur du produit commercialisé, Pierre Lardet.
Ainsi, dès la fin août 1914, la farine Banania, additionnée de lait, était censée donner du tonus aux poilus, particulièrement aux soldats de l’armée d’Afrique, consommateurs de cacao. D’où l’affichette publicitaire qui a fait sa réputation, montrant un tirailleur sénégalais rigolard et joufflu, disant « Ya bon Banania ».
Aujourd’hui, cent ans après sa création, ce slogan publicitaire est formellement banni. La justice française l’a interdit à la suite d’une plainte associative considérant que son libellé était un stéréotype de racisme rampant. Le politiquement correct sélectif a donc encore frappé et a contraint la PME française qui continue de fabriquer et de vendre Banania en France à modifier sa publicité. Pour survivre, elle a adopté une formulation plus terne mais plus conforme à la bien-pensance en vigueur, et qui, surtout, permet d’éviter les astreintes financières, mortifères quand les temps sont durs. Mais c’est pas le problème des permanents professionnels qui cultivent et professent l’antiracisme salonnard!
Ainsi cette poudre qui a agrémenté le petit déjeuner de générations entières de gamins de l’entre-deux guerres et de l’après-guerre – dont moi-même – après avoir donné du courage aux combattants de la Grande Guerre, s’est banalisée : on a juste le droit de dire qu’on l’aime mais sans trop marquer l’accent tonique, sans lacets dans la bouche, sans bafouiller comme un débutant en français et de préférence sans déformer ou soustraire des mots, comme si l’on en ignorait l’usage. Sans éluder des articles. L’accusation d’humour xénophobe n’est jamais tout-à-fait loin!
Le plus triste dans cette affaire n’est pas tant que des mouvements prétendument antiracistes portent plainte, c’est dans leur logique existentielle et c’est parfois leur gagne-pain. Le plus préoccupant pour la raison – au sens des Lumières – c’est qu’un tribunal se prête à ce type de mascarade complaisante, qui ne sert en rien la nécessaire et constante lutte contre le racisme, mais au contraire la ridiculise.
Pour finir, deux bonnes nouvelles récentes: l’élection d’Alain Finkelkraut, un esprit libre et roboratif à l’académie française. L’élection en tant que premier adjoint d’une ville de banlieue qui m’est chère, d’un de mes vieux amis, républicain et citoyen, sénégalais d’origine. Une bonne surprise enfin : la découverte des chansons décapantes de Giedré, une jeune lithuanienne à l’humour décalé, qui nous apprend tant sur nous-mêmes. .
Samedi – Trop à faire pour me tenir au courant de manifs par ici. Celle contre N.D. des Landes, voici quelques semaines, était sans doute plus grandiose et surtout hélas, après défilé, plus destructrice.
Dimanche – Soleil, belle température – domaine privé pour la bénédiction des rameaux. Message particulier pour la correspondante « Françoise » qui comprendra : ici ils ont été correctement bénis ! Quant au vent au moment de la grand-messe (jadis !) je n’ai pas prêté attention… mais il faisait beau, bon présage pour l’ensemble de l’année, comme disaient les anciens.
Paris-Roubaix : créé en 1896, année de naissance de mes parents, mais aussi celle du Belem. Je garde un grand souvenir de Rik Van Steenberg arrivant crotté, boueux, à peine reconnaissable mais vainqueur en 1948 et 1952 !
Banania en 1914, j’ignorais, j’ai plutôt entendu parler de la « gnaule » quand elle parvenait jusqu’au front ou du quart de vin. Celui de mon père, je l’ai connu dans mon enfance, tout cabossé, souvenir des batailles auxquelles il avait participé ! Le dernier chant que j’ai entendu fredonner par mon père, (lors de son dernier repas d' »anciens combattants » auquel j’avais pu l’emmener avec une certaine 4 CV achetée d’occasion à A.T. ton oncle), c’était « Le pinard, c’est de la vinasse, ça fait du bien où c’que ça passe, Vas-y bidasse, remplis mon quart, vive le pinard (bis) ». Rien à voir avec l’humour décalé de Giedré, Lithuanienne de son état.
Récente nouvelle : V.T. vient d’être élu adjoint (affaires sociales, petite enfance…) dans une petite ville corrézienne qui m’est chère. Comme il n’est jamais trop tôt pour apprendre le civisme, son petit garçon, de trois ans, a « participé » à ce grand moment !
Merci pour ce commentaire… Banania, c’était surtout les soldats africains de l’Armée d’Afrique qui l’appréciaient… Félicitations chaleureuses à VT pour son élection..