Certains de mes visiteurs du soir s’attendaient certainement à ce que je rédige rapidement une suite à l’épopée vendéenne de « mes » quatre frères Perdriau, que j’ai laissés en plan au soir du 13 mars 1793 à Saint-Florent-Le-Vieil, alors qu’ils venaient de s’enrôler dans l’armée d’Anjou du général Bonchamps, mus sans doute par l’action combinée de leur enthousiasme à se dégourdir les bandes molletières hors des chemins creux du district, et de leur révolte contre la Convention Nationale bientôt Montagnarde!
Ce récit « héroïque » viendra à coup sûr. Mais mes gaillards sont des taiseux et en outre des « durs à cuire » et sûrement des champions de l’esquive. Ils ont profité de l’encombrement actuel de mon bureau, congruent de l’embarras de mes neurones, pour prendre provisoirement la poudre d’escampette. Et, ils ont progressivement disparu de mon écran radar, comme évanouis hors du paysage de mes préoccupations ! Pas tout-à fait cependant, car immanquablement viendra leur tour et ils devront alors assumer une seconde vie au travers de ma petite chronique du temps jadis.
Mais il y a des jours, où le rôle de démiurge que je me suis attribué, me pèse un peu. Parfois je comprends la lassitude de Dieu… Avec plus de bonheur pour ce qui est du harassement compréhensif d’un hypothétique créateur que de l’idée même de l’existence de cet inventeur de toutes choses !
Si seulement mon « pote » Pierre-Jean David (1788-1856), dit David d’Angers avait dressé le portrait d’un de mes « cousins » Perdriau, au hasard des quelques vingt-cinq planches de dessins d’insurgés vendéens qu’il a croqués lors de son passage à Saint-Florent en juillet 1825, je pourrais m’accrocher à du tangible pour gaillardement piétiner post mortem leur intimité.
Mais David d’Angers les a oubliés, et je n’ai finalement que mon miroir pour me renvoyer l’image d’un sexagénaire fatigué comme le furent probablement trois des Perdriau, rescapés de la guerre, au cours du premier tiers du 19ième siècle. Les cheveux longs devenus rares sur le haut de mon crâne peuvent facilement transformer la trogne d’un retraité du 21ième siècle en un demi-solde acceptable de la Vendée militaire ! A la condition de veiller au préalable à se détremper les cheveux pour qu’ils dégoulinent en forme de filasse sur les joues, le portrait d’un protégé moderne de la Caisse d’Assurance Vieillesse pourrait aisément ressembler à un celui d’un vétéran nécessiteux de la Vendée, sollicitant la charité de Charles X …
J’y travaille et bientôt je retremperai ma plume dans leur encrier !
En fait, plusieurs événements sont venus interférer dernièrement avec mes petits travaux d’artisan et apprenti conteur, qui ont bousculé mes priorités et introduit le doute, sinon la peur, dans mes phrases. Bizarrement, depuis quelques semaines, je n’osais plus écrire quoi que ce soit, de crainte de mal écrire ! Et ce, parce que, paradoxalement, une « follower » inconnue, bienveillante et critique littéraire d’une grande finesse, m’avait impudemment complimenté pour ma plume ! Ce qui, initialement, n’était pour moi qu’un amusement innocent avec les mots se retrouvait soudainement sacralisé ! Pire comme si mon passe-temps bénévole (bene volo) se retrouvait « certifié » ainsi qu’au bon vieux temps – pas si lointain – où l’on m’avait placardisé en m’intronisant « directeur de la qualité » d’un établissement scientifique ! La science disparaissait sous la norme ! Je n’ai pas fait long feu dans cette fonction, mais suffisamment pour faire mon deuil de la science !
Ma discrète interlocutrice dont j’aime infiniment lire les critiques littéraires et que je tiens pour une experte perspicace en belles-lettres aurait ainsi pu, « à l’insu de son plein gré » me rendre timide, au point de me conduire à analyser mes imperfections de style avant même d’écrire ou de conceptualiser quoi que ce soit! Sa bienveillance aurait pu m’être fatale. N’exagérons rien! Fatale à mes rédactions… Car pour le reste, je continuerai encore quelque temps d’enfourcher mon scooter! Mais, il s’en est fallu de peu que cet intérêt porté à mon travail ne le stérilise et que, par crainte de décevoir en produisant du médiocre, je ne sombre dans la recherche de l’éphémère et insipide plaisir passif des séries télévisées américaines. Au demeurant – et heureusement – je m’inquiète en les regardant car, généralement, la banalité sophistiquée des intrigues policières excède très largement mon niveau de compréhension immédiate!
Je remercie en tout cas ma lectrice, car elle m’a permis de mieux prendre conscience de la nature de mon projet, qui n’est rien d’autre que de batifoler à ma guise dans l’espace infini des historiettes et, par-là, de divertir quelques instants, ceux qui veulent bien me prêter un peu d’attention. Mais, ses félicitations « neutralisantes » ne furent pas la seule cause de mon retard dans l’instruction du cas « Perdriau ».
Il y en eut une encore plus insidieuse! Il se trouve qu’un de mes amis chers, croyant m’être agréable – et il le fut – m’a quasiment sommé de lire le dernier prix Goncourt – cuvée 2013 – prétextant, à juste titre, qu’il ne pouvait que me passionner. Au-delà du conseil, il m’a prêté « Au revoir là-haut » de Pierre Lemaitre.
Une somme de plus de cinq-cents pages pour décrire des escroqueries à la mémoire des morts de la guerre de 1914-1918, perpétrées au début des années 1920 dans un Paris où se retrouvaient à la fois les « gueules cassées » démobilisés et les gens de l’arrière ! Fascinant mais exclusif. Impossible de se détacher du récit avant la fin…
Et lorsque, comme moi, on lit en dégustant, c’est-à-dire lentement, et qu’on est affecté du défaut autrefois attribué – et méchamment – au Président Ford d’être incapable de « marcher en mâchant du chewing-gum » ou de « penser et pisser en même temps », tout autre activité se retrouve reportée aux calendes grecques ! Mais comment reprocher à cet ami de m’avoir mis entre les mains, un si beau et captivant, mais si long roman ?
Enfin, il n’aura échappé à personne que nous sommes entrés dans ce que les médias appellent une période électorale. Bien sûr, depuis longtemps, je ne colle plus nuitamment d’affiches vantant les mérites incertains de nos futurs élus, qui sont d’ailleurs souvent les actuels. De même, il y a belle lurette que je ne cherche plus à serrer la pogne des candidats sur les marchés de « centre-village », où ils viennent, une fois tous les six ans, promouvoir le commerce de proximité, tandis qu’ils affrètent hebdomadairement – sur argent public – des bus pour transporter « leurs » vieux vers les supermarchés des zones d’activité périphériques ! Il y a une éternité que je ne cautionne plus ces fausses confrontations publiques de café du commerce, où les mêmes s’insurgent contre le cumul des mandats des autres, tandis qu’ils s’accommodent sans état d’âme du leur, par esprit de sacrifice! Au nom d’un « intérêt général » dont ils s’autoproclament les seuls dépositaires.
Bref, ce ne sont plus les campagnes électorales en tant que telles qui mobilisent mon temps, entravant d’autres activités. Non, ce ne sont pas elles ! Mais le découragement d’observer que ces petits fonctionnaires d’appareil, qui s’écharpent pour des écharpes, ne règlent plus guère depuis longtemps que le déroulement de leurs propres carrières ! Et de surcroît avec le cynisme et la médiocrité des imbéciles heureux ! Etre démocrate aujourd’hui devient malaisé, face aux catéchismes indigestes qu’on persiste à nous seriner.. Et pourtant, il faut y croire, faute de mieux …Mais forcément, ça bouffe un peu le cerveau et ça casse le moral pour imaginer des petites fables à l’usage des enfants ou de ceux qui continuent de rêver. La production s’en ressent mais c’est passager!
Aujourd’hui c’est le printemps… temps fuyant… jour pair… ma voiture aurait pu circuler lundi dernier, étant de numéro impair. Et ton scooter aurait-il eu l’opportunité de véhiculer même s’il ne distribuait pas affiches ou documentations électorales ? . Un de mes petits-fils de trois ans a déjà commencé à aider son père dans cette tâche paraît-il ! A bientôt pour que les frères Perdriau, ces rebelles « taiseux », te proposent leur encre et peut-être la plume d’oie pour meubler nos rêves, même si le sieur David d’Angers n’a pu les « croquer ». Le Florent-René devait habiter Varades, les autres … ??? A suivre ! Ces Perdriau étaient bons à guerroyer pour les Bourbons mais pas assez hauts dans la hiérarchie pour avoir le droit d’être élus, encore moins leurs femmes s’ils en ont eu !
Eh oui… C’est le printemps. Le soleil intense, hors de saison, m’a incité à rechercher l’ombre, hier, à la Conciergerie à Paris. L’espace d’une heure, j’ai croisé les mânes de Marie-Antoinette, de Robespierre et de bien d’autres sacrifiés de la Terreur, juste avant leur levée d’écrou pour rejoindre la place de la Révolution … »Ça sent la mort ici » – m’a dit une vieille dame espagnole en mauvais français, dans le cachot de la reine. Elle avait raison. Vivement il fallait sortir pour rejoindre le marché aux fleurs…à quelques mètres de là.