Deux ans après avoir ouvert mon « grenier » fictif – dont quinze mille d’entre vous ont entrebâillé la porte poussiéreuse- je m’aperçois que je n’ai guère évoqué le » 6 bis rue de Messine » qui sert de bandeau titre à ce blog… Néanmoins, si vous m’avez lu, vous savez que c’est l’adresse de la maison que mes parents firent construire à Angers en 1955.
Vous n’ignorez pas que ce lieu – pour moi, mythique – était situé dans le quartier de la Madeleine à Angers, à proximité immédiate d’un stade, qu’on appelait à l’époque « le » stade « Bessonneau » et qui est devenu, depuis lors, « Jean Boin ». Un boulevard y a, entre outre, été percé vers 1967, reliant au travers de terres autrefois maraîchères, la rue Saint-Léonard et la rue Saumuroise, et ouvrant ainsi l’ensemble du quartier à la circulation.
Auparavant, la rue et son prolongement, la rue de Tunis étaient sans issue et non goudronnées. De sorte que dans cet univers clos, tout le monde se connaissait! Et à l’occasion, s’entraidait mais se critiquait aussi. Y vivaient des personnages d’un genre aujourd’hui disparu, comme la mère Merlet, la femme d’un des gendarmes d’en face, qui, chaque matin, en ouvrant ses volets dès l’aurore, hurlait à la cantonade, été comme hiver, la météo du jour! Faisait également partie du décor, la « mère Riveron » qui chaque soir récupérait son mari ivre-mort, écroulé sur son vélo devant sa porte. Et nos plus proches voisins, les « Badreau » dont l’unique et tardive fille Evelyne périt noyée un été dans un tourbillon de la Loire! Et la vieille mère Agoulon qui vivait dans la seule maison bourgeoise de la rue, mais qu’on ne voyait jamais. Et tous les autres, les Cheminard, les Ripoche, les Tinon du haut de la rue , les Legal, les Wolfer, les gérants alsaciens du « Comptoir Moderne » de l’angle de la rue Desmazières et de la rue Saint Léonard, où nous « faisions les courses » …
Dans sa propriété qui bordait le fond de nos jardins, « régnait » discrètement un vieil aristocrate, Monsieur de la Sayette, entouré de ses filles célibataires qui veillaient sur la santé des immenses acacias de leur parc. Certains soirs d’été, le marquis jouait du cor de chasse! Parfois aussi, on l’apercevait rue saint Léonard dans son antique « Deux Chevaux Citroën »!
Bref, c’était une sorte de microcosme, presque un isolat – un cluster comme on dit maintenant – qui s’apparentait à un « bouillon de culture », mais de « culture populaire », provinciale et bon enfant. Solidaire et fraternelle lorsqu’il fallait, tant qu’il fallait et juste ce qu’il fallait dans le respect de l’autonomie, la personnalité et de la responsabilité de chacun. En ce temps-là, notre premier réflexe ne consistait pas à imputer systématiquement toutes nos difficultés à la collectivité !
Une culture spontanée non décrétée dans les ors de la République par des énarques d’essence bourgeoise, convertis « sur le papier » au Front populaire! Une culture ouvrière qui n’avait d’ailleurs nul besoin du dévouement misérabiliste, complaisant et finalement stérile de « missionnaires » théoriciens de la « bonne cause » et du « grand soir ». Tout n’était pas forcément et constamment « rose » , dans ce petit monde qui n’était exempt ni de grandeurs, ni de faiblesses, ni même de bassesses! Mais, dans notre souvenir, il l’est devenu!
Pour nous, les enfants, la rue de Messine c’était un peu notre aire de jeux et d’aventure, avec ses terrains vagues, ses semi-friches, ses panneaux publicitaires derrière lesquels on pouvait se cacher, et l’entrée du stade près du champ de luzerne. Tous les gamins du quartier la fréquentaient: Claudine, Annick, Lydie et Jocelyne, les filles de Madame « Ripoche » devenue « Lhumeau » du fait de son remariage après son veuvage avec un « vieux garçon » de Seiches-sur-le Loir. Un brave homme peu disert mais qui jardinait à merveille! Sans omettre les copains du quartier, dont ceux de ma classe de l’école « Saint Augustin », comme Jean-Louis Jaulain, turbulent fils de gendarme et passionné d’électricité, qui « piquait » les ampoules des chandeliers de l’église de la Madeleine. Sans oublier les enfants « Le Guyader » ou encore Marie Christine Souriceau de la rue de Tunis, dont la mère, matin et soir, passait devant chez nous en Vélosolex, et d’autres encore dont les noms m’échappent …Il y a largement plus de cinquante ans!
Nous nous affrontions en pleine chaussée, en d’interminables parties de jokari, aux résultats d’autant plus imprévisibles que le terrain poussiéreux et caillouteux n’était pas régulier! Itou pour le foot sur le terrain vague à l’entrée du stade, du côté des tribunes « populaires ». Avec nos vélos, nous dévalions la rue à toute vitesse, jusqu’au jour où ma sœur Louisette chuta lourdement sur la caillasse: la cicatrice de sa fracture ouverte était encore visible sur son bras plusieurs décennies plus tard sur son lit d’agonie…
Et puis, il y avait ces jours de liesse et de franche rigolade lorsque nos cousins de Nantes venaient passer quelques jours chez nous aux « petites vacances » de Noël ou de Pâques …
Le « 6 bis » que nous avons connu, a aujourd’hui physiquement disparu – c’était le paysage de notre enfance. Malgré quelques rares réserves, ce petit coin de province demeurera pour nous l’image d’un paradis perdu, celui de l’insouciance et de l’impatience dans des lendemains nécessairement prometteurs… La suite s’est progressivement chargée de nous dessiller mais le souvenir des années « au 6 bis » reste un refuge intime…et même un ultime asile, les jours sans soleil!
Bien sûr, il y eut depuis, d’autres motifs de bonheurs presque aussi intenses que celui de ces lointaines années 50 et 60, mais aucun ne fut comparable à celui de notre enfance ici. Chaque période de la vie est en effet singulière! Le souvenir de notre prime jeunesse présente l’insigne avantage d’effacer, le temps passant, les désagréments du moment ou de les transformer en de profitables apprentissages ou phases d’initiation, dérisoires eu égard aux difficultés qui suivront!
Bien que chacun sache que ces instants privilégiés, durablement gravés, doivent être dépassés pour survivre, ils conservent leur saveur originelle et demeurent d’incomparables et roboratifs jardins secrets, surtout les jours de tristesse ou de mélancolie. L’enfance, c’est le temps « béni » où la testostérone n’exerçait encore aucun magistère obsédant sur nos âmes!
La mélancolie n’est pas un état permanent, mais parfois ça fait du bien d’y sombrer! C’est comme un plaisir masochiste pour timides.
Quelques années après la disparition de ma sœur Louisette, évoquer la maison d’Angers, c’est aussi une manière de lui rendre hommage et de lui redonner un peu de vie. Evoquer le décor de son enfance, qui fut aussi la mienne, c’est comme faire revivre la petite fille malicieuse et intelligente, qu’elle n’a pas cessé d’être à mes yeux! Décor qui fut aussi celui dans lequel évoluèrent nos deux autres compères de la fratrie, Bibiche et Françoise.
Il est bon, si on ne s’y attarde pas trop, de se remémorer cette époque où, tous les quatre, petits queniaux d’Anjou, nous érigeâmes, à coup de « peignées » – ou de « volées » mémorables, de chicaneries, de jeux et de vraies confidences, une complicité et une connivence que même la mort de l’une d’entre nous, le sept juillet 2010, n’a pas su interrompre!
Il y a si longtemps déjà!
Le 7 juillet dernier j’étais à la messe dans une petite ville de l’autre côté de l’Atlantique, du nom de « l’Ascension », j’y accompagnais des amis âgés. Adélard T. dit « le sage » pour ses amis d’ici et Hélène : très croyants, très accueillants. Il manquait d’un médicament pour son coeur mais n’avait voulu déranger personne la veille pour se le procurer. Pendant l’office un début de malaise se fit jour puis devint intense à la fin. J’ai vraiment eu peur qu’il parte d’une crise d' »angor » à mes côtés. Il a pu toutefois avoir le médicament (mais en générique) manquant chez « Jean Coutu » toujours ouvert et où paraît-il « on trouve tout même un ami » dit le slogan publicitaire.
Ce jour-là j’ai particulièrement pensé aussi à Louisette, comme je l’avais fait il y a trois ans au 15 août dans une ville du nom de « Bonaventure ».
« L’Ascension », « Bonaventure »… Louisette puisses-tu de ton séjour céleste protéger tous les tiens. Même ta vieille cousine ne t’a pas oubliée pas plus qu’elle n’a oublié de bons moments passés rue de Messine pour des fêtes de famille, des matchs de foot au Stade Bessonneau etc… J’ai aussi pensé à tous nos défunts, mon frère, Joseph parti en même temps que toi et François, ton cousin germain, disparu lui aussi bien trop vite.
Merci pour ce commentaire sympa et émouvant…
Et le ciel peint par Louisette est si beau !
Elle était belle aussi, Louisette. Comme son ciel! Je le regarde souvent…
J ai retrouve un cousin de 40 ans passés et c est avec plaisir de dire qu une famille existe
Didier
Merci d’avoir repris contact et pour ton message sympa, qui effectivement nous transporte dans un passé presque lointain à l’aune de nos petites existences et pourtant si proche. A bientôt.
Hier, je crois, cela faisait huit ans que Louisette a disparu. Le monde change, les amitiés évoluent, même la famille est parfois prise par d’autres priorités, comme me l’a dit un de mes petits-fils pourtant si jeune. Mais Louisette, je ne t’oublie pas, pas plus que ton frère ou ta sœur Bibiche ne m’oublient et que tes parents qui ne m’ont jamais lâchée… De ton séjour où tu as retrouvé sans doute tes parents, ton père surtout qui pensait souvent, très souvent à toi, même les jours d’anniversaire importants… je suis sûre que tu protèges tout ton monde et j’espère que ta générosité a servi d’exemple à beaucoup de ceux qui t’ont côtoyée.
Merci Marie-Thérèse pour ces émouvantes et si justes pensées.
Hier cela a fait effectivement huit ans (2010) que ma sœur L. nous a quittés au beau milieu d’une nuit étoilée à l’issue d’une longue agonie dans un hôpital parisien! Terrassée après un rude combat par un mal implacable.
On n’oublie rien de la femme rayonnante qu’elle fut, qu’on aimait et qui nous aimait avec nos qualités, nos défauts et nos paradoxes…
Oui, depuis son départ, le monde a changé, beaucoup changé. Parfois trop et n’importe comment! Parfois en bien aussi.
Ce qui est certain, c’est que conformément au deuxième principe de la thermodynamique, sa disparition puis celle de nos parents ont fait monter en flèche l’entropie familiale. Alors qu’elle aimait rassembler la famille, celle-ci s’est progressivement dispersée dans une sorte de non-dit honteux, puis, sans se l’avouer, silencieusement, elle a fini par s’ignorer et devenir indifférente à ses communes racines. Des gens considérés comme des frères, pendant près d’un demi siècle, sont devenus des étrangers presque hostiles…
Sans même oser dire que la vie continue, l’évitement réciproque est devenue la règle. Ainsi en sera t’il probablement jusqu’au jour où chacun faisant à son tour l’objet de » regrets éternels » à obsolescence programmée, la mémoire retrouvera ses droits.
Telle est peut-être la seule vérité de la condition humaine à travers les siècles. Celle d’individus à peine plus évolués que les autres mammifères indifférents comme eux, à leur parentèle!
Pour sa part L. refusait cet état de fait…Utopique du bonheur, elle aimait la clarté, alors qu’il semble que ce soit désormais l’oubli et l’opacité qui priment. Ainsi, gommons-nous notre propre histoire! Tant pis…ou dommage.