Juin 2013 : le salon international de l’Aéronautique et de l’Espace a ouvert ses portes à l’aéroport du Bourget. C’est la cinquantième édition de cette manifestation depuis 1909 et la plus importante foire aux avions du monde. Dans la grisaille ambiante, tous les commentateurs font chorus pour dire qu’elle sera une réussite commerciale pour l’industrie française qui vient de tester avec succès, un avion de ligne, long courrier, l’A 350, nouveau fer de lance d’Airbus face au Dreamliner de Boeing. Tous parient que le public sera toujours plus nombreux à arpenter les allées et les stands des constructeurs et à assister aux exhibitions aériennes. Il est d’ailleurs probable que cette prédiction sera vérifiée et que l’affluence attendue sera au rendez-vous.
En effet, un peu comme pour les transports ferroviaires mais selon d’autres modes et probablement pour des motifs sensiblement différents, la plupart d’entre nous entretient un rapport singulier avec l’aviation, commerciale, sportive ou même militaire, une sorte de lien icarien presque inné, en tout cas, précocement acquis, constitué d’un mélange d’admiration, d’affection, voire de passion, et de crainte refoulée.
De surcroît, si les performances économiques des avionneurs français viennent conforter cet engouement, la fête sera réussie. C’est plutôt une bonne nouvelle en ces temps de morosité et de crise, sans pour autant tomber dans l’emphase de certains journalistes, peut-être téléguidés d’en haut, qui voient dans cet événement, l’hirondelle annonçant le renouveau prometteur d’une industrie française moribonde. N’empêche qu’avec l’industrie nucléaire, la construction d’aéronefs est un des deux ou trois fleurons du génie industriel hexagonal, accessoirement européen, qui résiste encore à la casse programmée par la haute ingénierie technocratique nationale, accessoirement européenne. Cette aristocratie technicienne issue de meilleures écoles, manifeste en effet un acharnement remarquable, voire suspect, à détruire l’outil industriel qu’elle a elle-même construit après la Libération. Sans abuser de la litote!
Convertis à la religion imbécile du risque « zéro » à la recherche du graal de la sécurité absolue et « durable », le nez collé sur les indices boursiers, les ingénieurs audacieux d’autrefois se sont transformés en satrapes du ferraillage, du démantèlement et de la déconstruction, arc-boutés sur des règlements qu’ils ont eux-mêmes dictés pour asseoir leur nouveau magistère. « Durable » ! Le mot est lâché. Et, paradoxalement, cela consiste surtout, selon ses thuriféraires, à rendre éphémère tout ce qui ne serait pas inspiré par une conception étriquée et anthropocentriste de la « Nature » ! La leur évidemment! Comme si eux connaissaient le projet ultime de la Nature … qui serait avant tout d’assurer leur propre durabilité !
Récemment, dans un de ces multiples aréopages officiels et « pluralistes » dédiés au culte de l’aggiornamento durable et de la repentance de nos erreurs passées en matière de « gouvernance des risques », un de mes imprudents amis observait plaisamment mais avec une certaine justesse contrariante que, sous peu – c’est peut-être déjà le cas – les effectifs des ingénieurs des grands corps de l’Etat affectés à l’inspection d’usines en voie de disparition, excéderont très largement ceux mobilisés dans la production effective de richesses industrielles…Heureusement, le secteur de l’aviation semble avoir échappé à cette sorte de suicide collectif. Mais pour combien de temps?
Passons !
Faisant fi de nos regrets et de nos remords sur « nos paradis perdus », et indépendamment des gains attendus par le salon de l’aéronautique, notre intérêt pour l’aviation se nourrit aussi – surtout – d’une certaine fascination, qui trouve son origine dans notre passé lointain. Et, plus précisément, si j’exclus la mésaventure funeste d’Icare, dans les exploits à la fin du 18ème siècle des premiers aérostiers, en particulier des frères Montgolfier.
Il s’alimente de l’emballement de nos arrière-arrières grands-parents à l’égard de ces hommes imaginatifs et courageux, comme Pilâtre de Rosier (1754-1785), qui le premier eut l’audace en novembre 1783 de s’élever au-dessus du château de la Muette dans un ballon à air chaud, en espérant en revenir vivant! Quelques années plus tard, il fut d’ailleurs la première victime d’un accident aérien à trente-neuf ans.
La période des premières « montgolfières » incarne toutes les mutations intellectuelles et culturelles d’une époque, car elle ouvre la voie à une liberté nouvelle, celle de l’accession de l’homme jusqu’alors cantonné au ras du sol, à une autre dimension d’espace ! Et ce, au moment même, où les philosophes des Lumières montraient le chemin d’autres conquêtes qui débouchèrent finalement sur la Révolution française et sur des conceptions du monde ignorées de l’Ancien Régime.
L’aviation – au sens large – participe de cette aventure humaine et se trouve ainsi, dès ses prémices, intimement accolée à l’idée de progrès, tant malmenée de nos jours. Ce progrès scientifique et technique, qui, quoiqu’on en dise, constitue encore, un des fondements, pour ne pas dire le moteur et le ferment, de notre pacte républicain ! Sans vision d’un progrès élargissant le champ des possibles et donc créateur de prospérité, l’égalité constitutionnelle confine à l’uniformité égalitariste, la liberté devient contrainte et la solidarité se transforme en mutuelle vouée à distribuer des miettes au nom d’un assistanat généralisé et devenu vertu …
Je m’égare sans doute un peu ! Mais pas tant que cela car l’aviation a éminemment concouru à nous sortir de notre condition rampante dans toutes les acceptions du terme! Et à habiliter – ou à réhabiliter- la notion de risque, condition sine qua non de toute évolution. D’où notre attachement et notre fierté à l’égard des disciplines aéronautiques, de la voltige à la patrouille de France en passant par le fret aérien et même le parachutisme et la pratique de l’ULM. Sans oublier la conquête spatiale.
Aujourd’hui comme autrefois, l’aviation constitue toujours une source d’émerveillements et de rêve à jamais renouvelée ; et ce, quelles que soient les générations depuis que la République triomphante s’est définitivement installée dans le paysage français ! Depuis les premiers vols d’engins « plus lourds que l’air » à la charnière du 19ème et 20ème siècle sous l’impulsion de Clément Ader (1841-1925) et des américains Wright.
L’Anjou n’est pas absente de cette aventure avec René Gasnier (1874-1913) qui à bord d’un appareil qu’il avait conçu et qui est aujourd’hui au musée de l’aérodrome d’Angers-Marcé, réussit en 1908 un vol d’environ un kilomètre à six mètres du sol en s’élançant des hauteurs de la corniche angevine qui domine la Loire du côté de la Haie Longue.
Ayant passé ma petite enfance à Angers à quelques kilomètres d’un « champ d’aviation » – désormais déclassé et partiellement loti – dont René Gasnier fut un des créateurs, j’entretiens avec cet audacieux pionnier des « plus lourds que l’air » une sorte de proximité intemporelle. Peut-être parce que depuis toujours, je le citais lorsqu’on m’interrogeait sur mon lieu de naissance, au 49 d’une avenue éponyme.
Il fut non seulement un des artisans géniaux de l’aviation mais un précurseur reconnu du grand public. C’est lui notamment qui organisa en 1910 la première course d’aéroplanes, des biplans, entre Angers et Saumur. Les premiers circuits de vol à travers l’Anjou !
Aussi, il ne se passe guère d’années sans que j’aille lui rendre hommage à la Haie Longue, théâtre de ses exploits, et où il repose désormais.
Concourent également à cette légende de l’aviation, les « as français de 14-18», René Fonck (1894-1953), Georges Guynemer (1894-1917) et autres Charles Nungesser (1892-1927), qui s’assurèrent la maîtrise du ciel par leurs combats aériens durant la première guerre mondiale… Ces héros disparurent presque tous prématurément et marquèrent longtemps les esprits des générations de l’entre-deux-guerres, qui applaudissaient aux performances d’Hélène Boucher (1908-1934), de Maryse Bastié (1898-1952) ou d’Adrienne Bolland (1895-1975).
Une légende en effet, cette Hélène Boucher disparue tragiquement à vingt-six ans lors d’un vol d’entrainement aux commandes d’un Caudron C 469 Rafale sur l’aérodrome de Guyancourt en région parisienne, depuis transformé en lotissement et en zone industrielle.
Une légende aussi pour les Angevins qui se rappellent des « douze heures d’Angers » du dimanche 2 juillet 1933, sur le champ d’aviation d’Avrillé où la « belle Hélène » – Léno pour les intimes – vola avec une régularité d’horloge de six heures du matin à six heures du soir, arrivant seconde du concours après avoir parcouru plus de 1645 km. Portée en triomphe par les spectateurs, elle fit la Une du Petit Courrier le lendemain matin. Un mois plus tard, elle battra le record d’altitude dans sa catégorie !
Devenus nonagénaires, les jeunes de cette période, souvent fils ou fille de poilus, retrouvent l’enthousiasme de leur enfance à l’évocation des multiples performances et des records d’aviation conquis durant ces « années folles » par les héritiers intrépides des premiers pilotes de guerre ! Records de vitesse, traversées périlleuses de montagne, accidents tragiques comme celui de Nungesser et Coli sombrant au large de Saint-Pierre et Miquelon en mai 1927 après avoir vainement tenté de franchir l’Atlantique-Nord… Autant de tragédies qui entretiennent la saga mythique d’un temps où l’aviation était affaire de pionniers ou d’aventuriers, dont on aimait rapporter les faits d’armes. Ceux dont, en fin de veillée, on aime évoquer la larme à l’œil la fin dramatique au cours de missions périlleuses!
Cette fièvre de nos parents et grands-parents pour l’aviation et pour les héros de l’aviation ne s’est jamais démentie ! Qu’on en juge ! C’est avec des lumières dans les yeux que ma mère Adrienne Pasquier-Turbelier – née en 1923 – évoque le survol en novembre 1930 en rase-motte au-dessus de la rue Desmazières à Angers, du Breguet 19 T.F « Le Point d’Interrogation », piloté par Dieudonné Costes et Maurice Bellonte, au cours de leur tournée triomphale d' »amitié » à travers la France après leur traversée de l’Atlantique d’est en ouest.
Partis du Bourget le 1er septembre 1930, ils atterrirent à Curtiss Field près de New York deux jours plus tard après plus de trente-sept heures de vol, devenant ainsi les premiers à franchir l’océan dans ce sens et les seconds dans l’absolu après Charles Lindbergh. Ce dernier avait réalisé sa traversée entre New York à Paris sans escale et en solitaire à bord de son avion Spirit of Saint Louis en mai 1927.
Adrienne qui n’était alors âgée de sept ans se remémore le salut de la main des deux héros adressé de leur cabine à la foule compacte des badauds qui regardaient leur passage, massés dans la rue quelques dizaines de mètres plus bas. De même qu’elle se souvient qu’en guise d’hommage aux auteurs de cet exploit historique, ses tantes couturières – Augustine Turbelier dite tante « Titine » (1892-1968) et Marie Turbelier (1901-1987) avaient brodé sur son chapeau et sur le béret de ses frères, un « Point d’Interrogation ». Et même sur le couvre-chef de tous ceux qui voulaient profiter de l’aubaine…
Elles étaient enthousiastes, ces petites mains exploitées de la couture à façon! Elles, qui n’avaient que très rarement franchi les limites de leur quartier de la Madeleine et qui, pour toute aventure sportive ou sentimentale, semblaient se résigner aux seules intrigues d’opérette du théâtre d’Angers, elles vibraient par compensation et applaudissaient sans procuration ni retenue aux performances des héros des temps modernes qu’étaient les aviateurs ou les coureurs du tour de France…
Moi-même, étant gamin, je me revois admirant les planeurs d’Avrillé faisant des boucles au-dessus du petit potager de l’avenue René Gasnier. Je me souviens de mon étonnement admiratif, les jours de meetings aériens au champ d’aviation, à la vue des loopings et de ces intrépides parachutistes qui sautaient des avions …
Et certains soirs encore, chez moi en région parisienne à mi-distance « à vol d’oiseau », d’Orly et de Toussus-Le-Noble, lorsqu’il m’arrive d’entendre le bruit régulier et caractéristique d’un avion à hélice aux alentours de minuit, je ne peux guère imaginer d’autre motif qu’un passage imaginaire de la « postale ». Mon esprit s’égare alors à la rencontre des fantômes de l’aéropostale de Jean Mermoz à Antoine de Saint-Exupéry…
C’est cela aussi la mémoire et notre héritage. « Vol de Nuit »
Je n’ai pas vu le Point d’Interrogation… Mes premiers souvenirs d’aviation correspondent au 1er bombardement d’Angers, soir de Pentecôte 1944 !… et les effets dévastateurs sur la Rue Eblé. Deux ou trois mois plus tard c’est la vue de ceux qui bombardaient le pont de l’Alleud, nous étions réfugiés à Saint-Jean-de-la-Croix… A 21 ans je découvris le fameux avion de René Gasnier qui à l’époque se trouvait suspendu aux Greniers Saint-Jean où les bals de la Délivrance des Gad’z’arts se tenaient ! J’ai rencontré parfois le frère de cet aviateur, puisqu’il fut membre de la Chambre de Commerce d’Angers où j’ai travaillé neuf ans. Il était connu sous le patronyme Gasnier du Fresne (du nom de la propriété de Bouchemaine) … !
Mon baptême de l’air eut, cependant, lieu avec mes enfants pour me rendre en Norvège en 1972 dans un avion sans confort parti à 3 h. du matin d’Orly et qui.. .en dehors d’une autre dame et ses deux filles, emmenaient seulement des pionniers cette fois du pétrole en Mer du Nord. On nous avait proposé avant l’atterrissage des pommes ou des poires. Nous les avions refusées, nos oreilles ont compris pendant deux jours le pourquoi de cette offrande. Ma mère née Germaine Turbelier fit son baptême de l’air, accompagnée de mes deux fils, pour se rendre de… Nantes à Bordeaux…
Mais, voilà que je suis sur le point d’utiliser un aéronef pour aller visiter nos cousins d’Outre-Atlantique pour… la huitième fois !
Cependant, la Haie Longue me fait penser à mon frère aîné né en 1920 qui aimait tant ce lieu : quand il était jeune il aimait enfourcher son vélo et appréciait ce coin charmant d’Anjou.
Très beau commentaire très circonstancié et très utile complément à mon modeste papier. Merci Rose l’angevine!