S’il est un symbole d’excellence, qui caractérise la Renaissance flamboyante, raffinée, sûre de sa maîtrise et de sa virtuosité artistique , c’est bien le monument funéraire du « Père du Peuple ». Il ne manque pas en effet d’impressionner! Tant par ses proportions que par sa composition en baldaquin de marbre blanc abritant des transis et surmonté de statues grandeur nature censés représenter les illustres défunts qui l’occupent. C’est, en tout cas, l’impression qui domine et que ressent probablement tout visiteur découvrant cette oeuvre d’art, ornée de magnifiques sculptures. Ce fut le cas pour moi, ce 4 octobre 2012, accompagné de mon épouse et de la plus fidèle représentante de mon lectorat, Marie Thérèse T.G. ma cousine angevine du pays nantais.
On aura noté que je n’ai pas écrit : « Petit père des peuples » mais seulement « Père du peuple ». Car, l’hôte mâle pour l’éternité de cette œuvre d’art n’est pas Iossif Vissarionovitch Djougachvili, plus connu sous le nom de Joseph Staline, mais Louis d’Orléans (1462-1515) devenu roi de France sous le nom de Louis XII entre 1498 et 1515. Je n’étais donc pas à Moscou au pied du mur du Kremlin mais dans la nécropole royale de la basilique-cathédrale de Saint-Denis en région parisienne, face au magnifique tombeau que Louis XII partage avec son épouse Anne de Bretagne, dans une chapelle latérale, symétrique de celle accueillant l’édifice funéraire de son successeur François 1er.
Louis XII était le fils du vieux prince-poète Charles d’Orléans (1394-1465), qui a inspiré récemment la chanson de Laurent Voulsy, « En regardant vers le pays de France »…Orphelin très jeune, il fut un roi cultivé, manifestant une certaine modernité de comportement, bien qu’un peu batailleur. Il tenta en vain de faire émerger une monarchie constitutionnelle à l’anglaise en matière de justice ou de fiscalité féodale! Cependant, s’il a sa place au sein de mes chroniques provinciales, ce n’est pas en raison des guerres qu’il a menées et qu’il a perdues, notamment en Italie. Ce n’est pas non plus, parce qu’il incarne à l’aube de la Renaissance une monarchie « éclairée » cultivant une certaine proximité avec ses sujets qui lui attribuèrent en 1506 le « titre » de « Père du peuple ».
Non! Le motif principal de mon intérêt pour ce souverain, c’est que son règne correspondit en Anjou à une période de relative accalmie, de quiétude, d’absence de disette ou d’épidémies meurtrières , juste après les désordres de la guerre de Cent Ans et, quelques décennies avant les guerres de religion à la fin du 16ième siècle.
Succédant indirectement à Louis XI, qui fut son tuteur après le décès de son père, il en fut, à son corps défendant, le gendre. Son règne contrasta en Anjou et en Touraine avec la peur et la tyrannie qu’inspirait Louis XI. Ce dernier, dont on sait le caractère retors avait d’ailleurs le projet d’éteindre la descendance de son filleul – c’est-à-dire de la branche d’Orléans – en le mariant » à l’insu de son plein gré » à sa fille Jeanne présumée stérile. Laquelle, fort laide était en outre prétendument débile ! Tout en s’efforçant de se montrer magnanime, Louis XII, auquel on prête cette réplique, « Le roi de France ne venge pas les injures faites au duc d’Orléans », fit annuler par le pape, ce mariage supposé « blanc » après son accession au trône.
La dite Jeanne pas si bête, se défendit en affirmant au contraire que cette union avait été consommée. Et peut-être, par dépit, entra en religion, une fois répudiée dans les formes. Elle y fonda un ordre de nonnes: cela lui réussit mieux que le mariage terrestre, puisqu’elle fut canonisée en 1950 par Pie XII, ce pape controversé qui garda le silence sur la Shoah ! Tant mieux pour notre Sainte Jeanne, Sainte Nitouche (peut-être), qu’un homme regarda enfin en détournant les yeux sur la tragédie !
En vérité, si je m’intéresse à Louis XII – somme toute assez discret dans l’histoire – c’est parce qu’il s’agit d’un souverain français qui aurait pu être contemporain de certains de nos plus anciens ancêtres identifiables. A condition de parier sur la bonne fortune d’un généalogiste retrouvant ces « illustres » ascendants – paysans ou artisans sans fortune attachés à un fief – dans un registre paroissial ou notarial, encore facultatif à l’époque de Louis XII ou au début du règne de François 1er. Antérieurement, la probabilité d’une telle occurrence deviendrait trop faible, sauf en cas d’ascendance seigneuriale. Rappelons que l’ordonnance de Villers-Cotterêts de François 1er qui rend obligatoire l’enregistrement des naissances dans les paroisses ne date que de 1539 (voir mon billet du 30 mai dernier).
Pour être plus explicite, on peut prendre l’exemple du Lion d’Angers ( Leonium Andegavense, ou encore burgus leonii): observant que ses plus anciens registres datent de 1527, on peut aisément concevoir que s’y trouvent mentionnées des personnes nées dans la dernière partie du 15ème siècle, au moment où Louis XII accédait au trône!
Dans ces conditions, il semble intéressant de brosser un tableau d’ambiance de l’époque de Louis XII en focalisant le projecteur sur la vie quotidienne en Anjou. Avec dans l’idée que nos grands-pères et grands-mères, vingt générations avant nous, auraient pu le croiser ! L’hypothèse n’est d’ailleurs pas si invraisemblable, d’une part, parce que Louis d’Orléans futur Louis XII fut enfermé quelques mois dans une prison angevine en 1488 à la suite d’une « guerre folle » contre la régence de France, et d’autre part parce qu’étant roi et célibataire « puceau », il s’est remarié à Anne de Bretagne, un personnage qui compte dans nos provinces de l’Ouest. Il l’a même peut-être aimée comme le suggère sa présence à ses côtés dans la basilique Saint-Denis !
Au début du 16ème siècle donc, l’Anjou cicatrise ses plaies. Après avoir subi les sévices des soldats pendant la guerre de Cent Ans, les ravages et les épidémies et les rigueurs climatiques des années 1450, l’Anjou respire enfin !
Le redressement économique amorcé sous le règne du « bon » roi René, dernier duc d’Anjou, se poursuivra au demeurant durant toute la Renaissance. En 1480, à la mort du roi René – dont on peut admirer la statue du 19 ème siècle, avec sa posture intéressante et ses mollets de coq, en haut du boulevard du Château à Angers – l’Anjou qui jouissait jusqu’alors d’une relative autonomie par rapport à la couronne de France, n’est plus considérée par Louis XI que comme une simple province rattachée sans apanage au domaine royal. Un gouverneur représentant le roi s’installe à Angers.
Si la France en général et l’Anjou en particulier vivent dans une paix relative depuis la fin du conflit franco-anglais, les conséquences de la guerre se font encore durement sentir chez les plus déshérités. Le développement et l’affermissement de la fiscalité royale, non seulement ne se relâchent pas mais s’accroissent en raison des charges d’une monarchie qui étend ses pouvoirs et de ce fait alourdit ses devoirs. La taille est la pièce essentielle de cette fiscalité royale ; elle repose avant tout, par le jeu des exemptions, des forfaits et des rachats, sur les épaules des paysans.
En 1498, Louis XII succède à l’infortuné Charles VIII mort accidentellement. Loin d’être prospère, la situation économique n’est cependant pas catastrophique et cette période apparaîtra comme un havre de félicité au milieu de calamités. C’est le début de la Renaissance. Bien qu’à l’écart de l’essor intellectuel de cette époque, les paysans auront malgré tout de nombreuses raisons d’être satisfaits.
Dans un ouvrage publié en 1529, intitulé : « Hystoire agrégative des Annales et Cronicques d’Anjou « Jean de Bourdigné, chapelain de la cathédrale d’Angers fait la description suivante du pays d’Anjou :
« Et pour parler de la fertilité du pays d’Anjou, et singularitez d’icelluy, je croy que aucun n’est qui ignore ou vueille nier que bledzs, vins et autres fruicts, bestial et pasturaiges pour iceux nourrir ; poissons, rivières et fontaines, boys et forestz ; mines et perrières pour bastir, ne consiste la fertilité d’un pays. Je dy cela pour ce que à la réalité si nous voulons bien regarder à toutes ces choses, nous trouverons notre pays d’Anjou très fertile et très abundant à tout ce qui est nécessaire pour la vie humaine. Et premièrement : quant est de bledz, fourmens, seigles, poys fèves et autres grains, la terre en est très fructueuse et productive ; tant que en plusieurs endroitz du pays, les terres y sont tous les ans labourées et semées sans leur donner repos ou intermission… »
Certes son tableau comporte nombre d’inexactitudes et son optimisme parfois excessif est plus significatif de l’état d’esprit affiché par la noblesse et la bourgeoisie angevine sous la Renaissance que de l’opulence réelle de l’Anjou. En fait la situation n’est en effet pas aussi idyllique car les effets du renouveau économique ne se traduisent pas de la même manière dans les différentes régions de l’Anjou.
S’il est vrai que la vallée de la Loire, naturellement riche et fertile a profité pleinement de l’essor agricole et a pu, à l’abri des digues nouvellement construites pratiquer une agriculture intensive fondée pour une part sur des produits récemment acclimatés comme les haricots ou le tabac, les régions aux terres plus ingrates, loin des circuits commerciaux, mal desservies par des réseaux de chemins quasi-inexistants n’ont pas bénéficié autant des bienfaits de la croissance. C’est le cas du Segréen et du pays du Lion d’Angers, du Craonnais et du Baugeois, où l’on pratique encore au début du 16 ème siècle l’assolement hérité du Moyen Age, la jachère.
Pays de bocage et de landes, partiellement défriché, le Segréen de la Renaissance, et le pays du Lion d’Angers, ne sont guère différents de ceux des époques antérieures. Les terres labourables disponibles ne représentent que le cinquième de la superficie totale de la région. Les paysans y cultivent un peu de seigle et de blé noir, ainsi que de l’avoine destiné à l’élevage de petits chevaux ou bidets, utilisés notamment devant les bœufs pour les labours. Dans les friches temporaires ou les prés des bas fonds paissent quelques moutons, porcs ou bêtes à cornes. Mais ces dernières sont d’une petite espèce, d’une très médiocre qualité et sont généralement vendues à des éleveurs normands.
Les paysans isolés dans leurs métairies soumis conjointement aux charges de leurs seigneurs, aux dîmes du clergé et aux lourdes impositions royales, vivent difficilement, perpétuellement menacés par les loups qui infestent encore les forêts situées à proximité du Lion d’Angers, comme les bois de Longuenée, de Vernay, de Sinet, de Sainte Catherine et de Monkerbut, sur les communes de Champteussé-sur-Baconne, Sceaux d’Anjou, Querré et Champigné.
Outre les céréales, les paysans se nourrissent de châtaignes et de pommes à cidre ramassées en bordure de leurs champs. La production suffit juste à alimenter la population en année normale, c’est-à-dire quand il ne pleut pas trop et que les gelées hivernales ne se prolongent pas tardivement. Quant au vignoble dont le produit donnait lieu à quelques exportations hors des frontières de la province, sa tendance est de disparaître totalement vers les années 1500 devant la concurrence et la notoriété de crus plus méridionaux et incontestablement meilleurs comme les coteaux du Layon.
Le tableau serait incomplet si l’on omettait de signaler l’angoisse constante qui tenaille les paysans devant l’apparition certaines années d’épidémies endémiques de pestes, de dysenteries ou de diphtéries. C’est notamment le cas en 1487, 1515,1518, 1530 et 1552. Ces maladies redoutables par nature l’étaient d’autant plus que les conditions d’hygiène des populations étaient très rudimentaires. Les morts se dénombraient par centaines et certaines paroisses en sortaient exsangues et décimées.
Pourtant en dépit de toutes ces difficultés, les règnes de Louis XII et François 1er furent des périodes de prospérité pour les habitants du Segréen et de la région du Lion d’Angers, surtout si on les compare aux décennies précédentes, d’une part parce que les épidémies sont malgré tout, moins fréquentes et moins meurtrières qu’au Moyen Age, d’autre part parce ce que les guerres que livre le roi se situent hors du territoire et enfin parce que le poids de l’imposition royale qui s’était considérablement accru sous Louis XI apparaît plus supportable en raison d’une dévaluation non compensée de la livre tournois.
Enfin, sur le plan agricole, la perte du vignoble segréen est compensée dès le début du 16ème siècle par la culture du lin avec pour débouché économique l’industrie linière de Laval et de Château-Gontier. Comme partout ailleurs en France, le Segréen de cette époque voit sa population augmenter en forte proportion.
Tel était le pays d’une partie de nos grands-pères et grands-mères à la charnière du Moyen Age et de la Renaissance en Anjou. Malheureusement, à notre connaissance, peu fréquentait Joachim du Bellay: c’est une autre histoire!
Pour le Lion d’Angers, effectivement les premiers baptêmes (en latin – aïe le latin conjugué à la paléographie !) débutent en 1527, mais les mariages et les sépultures seulement en 1614.Parmi nos ancêtres chatelleraudais, on peut noter qu’Annet Touchois a pu vivre au moins sous Henri II, François II, Charles IX, Henri III et peut-être François Ier, de même que sa femme Mathurine Varan ; Michel Vallée et Claude Allard aussi sans doute, même si nous n’avons pas trouvé d’actes précis, on le suppose. A noter aussi Jehan Thenault et Michelle Faulcon mariés vers 1560. A Villemoisan, en Maine-et-Loire, les baptêmes commencent en 1536, les mariages en 1577 et les sépultures en 1576. Ainsi, Jehan Mangeard décédé avant 1609 marié en 1577 avec Guillemine Bessonneau, les pères sont cités : Macé Mangeard et Pierre Bessonneau, celui-ci avait une femme prénommée Françoise. On peut citer aussi : René Benoist décédé le 24-01-1631 à Villemoisan, sa femme Jeanne Bain le 13/09/1638 au même endroit ; Jean Godouet décédé avant 1609 dont une fille Renée se maria le 20/01/1609 ; Julienne Pelion (mariée le 05/02/1619 avec le fils du précité René Benoist) a eu pour parents Julien né le 16/03/1553, les parents de ce dernier étant René Pelion et une certaine Gillette !
Tout ceci confirme qu’un certain nombre de nos aïeux ont pu (?) entendre parler du « Père du Peuple », mais les nouvelles arrivaient-elles jusqu’au fin fond de nos campagnes angevines ou chatelleraudaises ?
Je suis vraiment impressionné par une telle érudition généalogique que je ne parviendrais sans doute jamais à égaler, même en y consacrant une vie entière de bénédictin, les bésicles calés sur les vieux grimoires. Bravo et merci!