Par les souvenirs qu’elle nous révèle à l’instant où l’on s’y attend le moins, la mémoire est à la fois précieuse et mystérieuse. Elle l’est par nature ! En outre, par les improbables chemins qu’elle emprunte au sein de notre inconscient, elle en dit certainement autant sur nous-mêmes que sur les faits qu’on avait plus ou moins consciemment enfouis. Contrairement à l’histoire, notre mémoire est avant tout le reflet de nous-même et d’une réalité qui n’est en fait perçue que par le biais de nos sentiments et de nos émotions. Elle ne peut donc être que subjective et sujette à caution, mais elle n’a de devoir à l’égard de personne.
Appliqué à l’échelle d’une collectivité, le « devoir de mémoire » est d’ailleurs très discutable en ce qu’il cherche à « normaliser » l’histoire en s’appuyant sur la somme de sentiments ou de ressentiments, individuels ou même sur la souffrance de certains groupes. C’est donc très souvent un facteur de division et une source de conflits. Réveillant de vieilles frustrations, voire des douleurs anciennes dont il faudrait faire le deuil, il prend en otage le passé qu’il utilise comme une arme idéologique et culpabilisante au profit d’enjeux actuels et partisans. Par-là, dès lors qu’il entend dépasser les limites d’un innocent folklore en s’instituant juge de nos comportements et censeur de nos pensées, le « devoir de mémoire » fragilise notre cohésion sociale (« sociétale » comme on dit désormais) en ravivant perpétuellement de vieilles plaies dont aucun contemporain n’est responsable ou coupable. Un peu comme dans les familles où des querelles sont artificiellement entretenues de générations en générations sans que l’on sache vraiment pourquoi. Malheureusement, on use et on abuse aujourd’hui de ce « prétendu devoir de mémoire », au point qu’un jour, on ne pourra plus enseigner Napoléon 1er, le « despote esclavagiste » de l’Europe et du Monde, et qu’on ne pourra plus admirer l’art roman en faisant référence au contexte historico-religieux dans lequel il a été élaboré. En outre, la mode de la commémoration incessante risquera d’occulter tout projet d’avenir commun. Le droit à l’oubli doit aussi être revendiqué.
Par opportunisme et au gré des rapports de force que leur imposent certains groupes de pression qui recherchent un statut dans une éternelle victimisation, les politiques s’efforcent trop souvent de suivre le mouvement pour satisfaire leur clientèle électorale, et transforment toute présumée atteinte à la mémoire collective en un délit pénal ! Cette démarche, parfois engagée de bonne foi – car les horreurs du passé ne doivent pas être complaisamment oubliées – est finalement dangereuse : aussi, avant qu’il ne soit trop tard, il faut s’empresser de rappeler que la pensée unique, sur quelque sujet que ce soit, n’est pas dans la tradition française, au moins depuis le siècle des Lumières ! On peut à la fois se revendiquer farouchement de la République et de ses principes, et dire qu’elle a failli en 1793 en Vendée! On peut à la fois dire sa haine de l’esclavage et du racisme, et reconnaître en Napoléon un grand homme à l’origine du code civil moderne.
La seule, la vraie mémoire, celle qui a table ouverte dans ce blog et qui s’invite sans se préoccuper des convenances ou du politiquement correct, et qu’on ne saurait en rien récupérer à des fins partisanes, ne prétend pas à l’objectivité. Mais, en contrepartie, elle n’engage ni ne contraint personne et n’a nulle vocation à s’imposer aux autres. A l’inverse de l’Histoire avec un grand « H », elle n’est pas une construction logique ou une reconstruction intellectuelle de la réalité d’autrefois selon une méthodologie scientifique, validée par l’académie des experts bien-pensants. C’est en cela qu’elle diffère de cette grande Histoire, celle de Michelet – ou de Célestin Port en Anjou – tout en s’y référant souvent et en s’en inspirant parfois. Grande histoire dont il faut reconnaître l’importance dans l’émergence de notre identité collective et qui possède ses lettres de noblesse. J’aime bien l’idée d’avoir des ancêtre gaulois, même si la réalité est plus complexe et sûrement bariolée. Mon propos, en conclusion, ne relève que de l’anecdote: il s’efforce simplement de récupérer ces bribes de mémoire individuelle dont l’apparition dans le champ conscient semble procéder d’une forme de nécessité onirique, tout en constituant aussi un support à vivre ! Prouver qu’on existe en se souvenant ! C’est tout et c’est déjà largement suffisant.
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