Quelques minutes avant l’annonce des résultats aux élections présidentielles 2012, j’achevais la lecture d’un ouvrage de Jean-Pierre Luminet, « La Perruque de Newton », une magnifique et puissante biographie d’Isaac Newton (1642-1727). Mais en refermant ce roman fortement charpenté et documenté, j’étais pensif, presque ébranlé, car celui qui fut un de mes modèles de pensée au cours de mes études de physique sur les bancs des facultés des Sciences de Nantes ou d’Orsay à la charnière des années 60 et 70, était, semble t-il, un type humainement discutable voire carrément détestable. Ce savant dont les travaux de recherche, la capacité d’abstraction et l’aptitude à expliquer ont probablement surpassé les intuitions géniales d’un Galilée, d’un Kepler voire d’un Descartes, n’aurait été qu’un petit bonhomme atrabilaire et mesquin.
Ce visionnaire qui a révolutionné notre conception du monde et du cosmos, deux siècles avant Einstein, et qui, avec sa théorie de la gravitation universelle, a fourni une explication viable du mouvement des étoiles et des planètes n’aurait été, en plusieurs circonstances, qu’un petit escroc de la science, s’appropriant des résultats d’autrui et s’en attribuant la paternité ! Passé cet instant de stupeur – et même de dépit amoureux à l’égard d’une idole déchue – j’en suis revenu à des sentiments plus modérés : les défauts de Newton ne sont finalement que la marque de la condition humaine- de son humanité. Le chercheur qu’il fut, demeure le génie que nous imaginions, précisément parce qu’il est traversé des mêmes pulsions que nous et qu’il succombe aux mêmes faiblesses. Simplement, il est descendu de l’Olympe. Et c’est bien ainsi, car, en dépit de ses défauts, de ses vices, de sa misanthropie et de son égoïsme, Newton demeure un maitre dans la recherche de l’universel. Son héritage, c’est son œuvre scientifique. C’est sur elle et sur rien d’autre, que doit porter le jugement de la postérité.
J’en étais là de mes réflexions lorsque Nicolas Sarkozy est apparu à la télévision commentant sa défaite devant ses partisans réunis au palais de la Mutualité à Paris. Je n’ai aucune complaisance à son égard. Il ne fut pas mon candidat et je n’ai pas aimé son style de gouvernance de la France pendant cinq ans. Mais je dois reconnaitre, qu’hier soir, son intervention qualifiée de « digne » même par les Excellences et dignitaires socialistes patentés présents sur le plateau d’Antenne 2, m’a ému. Il s’agissait seulement d’un homme qui disait ce qu’il ressentait, sans les artifices de la réthorique politicienne.
Et je me suis dit qu’à l’inverse de Newton, méchant bonhomme, dont le génie a franchi les siècles, Nicolas Sarkozy qui s’est efforcé comme un forcené de marquer son époque, en s’accaparant la paternité d’un nombre incalculable de décisions d’importances inégales, passera peut-être à la postérité pour un chic type, inefficace certes, mais sensible bien qu’un peu trop extraverti. Et qui sait, on ira peut-être jusqu’à rendre hommage à sa clairvoyance! L’avenir, en tout cas, n’est pas écrit et la postérité réserve parfois des surprises dans ses choix. Qui aurait pu penser en voyant la posture carnassière d’un Chirac des années 70, qu’il serait perçu aujourd’hui dans l’imaginaire collectif comme un brave homme aimant la convivialité paysanne et adorant flatter le « cul des vaches » au salon de l’agriculture ? Et pas seulement celui des vaches, si l’on en croit certaines vidéos diffusées avec obligeance sur le web.
O tempora ! O mores !
Il en est d’ailleurs de même, pour les autres présidents de la République. D’ailleurs, « avec le temps » ce ne sont pas tant les options économiques qui émergent, que les comportements – louables ou critiquables – les décisions à caractère symbolique, les prises de position courageuses ou les regrettables errements : ainsi Giscard d’Estaing restera un grand bourgeois condescendant pour le petit peuple mais on persistera à approuver son action en faveur de l’émancipation féminine notamment l’autorisation de l’avortement. Pourtant, il continuera d’être vilipendé pour ces relations risquées avec des dictateurs africains.
Mitterrand, crédité à bon droit de l’abolition de la peine de mort, demeurera celui qui a renforcé durablement l’amitié franco-allemande et qui aura ardemment contribué à la paix par la construction européenne. Mais il traînera éternellement comme un boulet son caractère florentin, ses amitiés suspectes d’avant ou d’après-guerre ainsi que ses mensonges ; et ce en dépit, de nombreuses réformes progressistes. De Gaulle, l’homme du 18 juin, étrangement, échappe au lessivage et résiste aux épreuves du temps : la statue du commandeur est intouchable, probablement parce qu’en tant que fondateur de la 5ième République, le jugement de l’histoire se confond toujours avec des enjeux toujours actuels. Ça changera peut-être, le jour où l’on reviendra à une République plus équilibrée en faveur du Parlement. Mais ce n’est pas au programme de François Hollande, qui, lui, ambitionne, d’être un président « normal ». A lui de nous proposer sa conception de la normalité en la matière ! Modestement, je lui conseillerais volontiers d’être prudent, car on brûle volontiers ce qu’on a adoré à la Bastille. Et ce n’est pas nouveau, si l’on en croit la mésaventure de Marcus Manlius Capitolinus, au 4ième siècle avant J.C qui, héros d’un jour pour avoir sauvé Rome grâce aux oies du Capitole, fut néanmoins jeté de la Roche Tarpéienne car il soutenait les doléances des pauvres.
« Il n’y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne ».
Pour conclure, en ce jour d’après scrutin, je souhaite simplement signifier que l’enthousiasme bien compréhensif de ceux qui estiment avoir gagné, ne dure jamais qu’un temps. Ensuite, la réalité imprévisible et souvent facétieuse se charge malheureusement de rétablir les proportions à la hauteur de la déception de ceux qui estiment avoir perdu. Seule l’histoire fera ultérieurement son tri de ce qu’il faut garder! L’enjeu c’est de faire en sorte que les déçus rejoignent les enthousiastes sans se renier.
Il en est de même pour tous les personnages privés – ceux de la famille et les amis de la famille – dont je brosse ici le portrait, en vantant leurs qualités, leur grandeur d’âme ou en stigmatisant leur petitesse. Mon propos n’est pas de reproduire leur vérité que j’ignore le plus souvent et que je n’ appréhende qu’au travers de leurs métiers et de ce qu’ils nous ont légué volontairement ou non. Je les regarde dans leur époque et je prends le risque de dire ce que je pense d’eux. Mais nécessairement j’observe de ma fenêtre au vu des seuls éléments dont je dispose, alors qu’ils ont disparu depuis des décennies. Abstraction faite, si je peux, des hagiographies familiales trop complaisantes!
Mais la mémoire est nécessairement subjective. C’est comme le bulletin de vote et, comme lui c’est engageant.
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