Clémence F. troisième enfant de Cyril et de Carine et leur seconde fille est née le dimanche 31 juillet 2011 à la clinique du Mousseau à Evry. Matinale, comme tous ceux qui veulent affronter l’avenir avec détermination, elle a montré sa petite frimousse brune, bien avant l’heure du laitier et quelques vingt minutes avant que « Paris (ne) s’éveille »…
« Clémence ! Mais c’est le prénom de mon arrière-grand-mère maternelle » s’est aussitôt exclamée Marie Brigitte … la grand-mère paternelle de Clémence ! « Un beau prénom qui sonne bien, un prénom d’origine latine » surenchérit Jean-Claude, son compagnon. Un prénom qui évoque douceur, bonté et intelligence de la situation. Voilà qui présage du meilleur. Toute la famille en convient…
Mais qui était donc cette Clémence, arrière-grand-mère de la grand-mère de la petite Clémence, qui a vu le jour à 4h40 ce 31 juillet 2011 à Evry ? Clémence Fradin – car tel était son nom – était, quant à elle, née le 18 juillet 1861 à Viennay, petite commune des Deux-Sèvres. Elle était donc poitevine et le revendiquait comme en atteste une des rares photos d’elle, prise en costume traditionnel au début du 20ième siècle. Elle mourut chez sa fille Adrienne au 20 rue Desmazières à Angers le 28 juin 1931 d’une complication gangréneuse d’une phlébite. Mais, au-delà de ces deux dates, on en sait un peu plus sur elle, grâce aux anecdotes rapportées précisément par une de ses filles et par sa petite fille ! Pa r sa petite-fille: ma mère et celle de Marie-Brigitte!
En 1881, elle épouse Louis Venault, son aîné de quelques mois, originaire du village voisin d’Amailloux. Ce qui était rare à l’époque – et peu apprécié- elle était enceinte au moment des épousailles. Ensemble, ils eurent cinq enfants dont Adrienne Clémence Venault – « notre grand-mère Turbelier » – et un garçon Albert mort en 1918 sur le front de la Somme. Mais il a fallu attendre sept ans après la naissance de la petite Marie, la première fille pour voir apparaitre le second enfant, car Louis, incorporé dans le 3ième régiment d’Infanterie de Marine, basé à Rochefort, dut partir plusieurs années faire son service militaire en Nouvelle Calédonie. A son retour les deux époux s’engagèrent dans la compagnie de chemins de fer, Paris Orléans, lui comme « poseur de voies » et elle, comme garde-barrière.
Ainsi à partir de ce moment-là qui doit se situer vers 1887 jusqu’à la fin tragique de Louis écrasé par un train à Saint-Varent en 1912, leurs destins privés et professionnels furent intimement liés et leur vie commune se déroula au rythme des maisonnettes des passages à niveaux, où Clémence était affectée.
Une première anecdote contée par Adrienne Turbelier, sa fille en 1971 donne un peu le ton de cette vie de couples de cheminots à la fin du 19ème siècle. Elle se déroule au passage à niveaux de Tillais près de Saint-Loup-sur-Thouet sur la ligne Paris Bordeaux à la naissance d’Adrienne : « Quand je suis née le 10 février 1894, ma mère était malade, une femme était venue pour la remplacer etla soigner. Maman n’était pas riche : elle n’avait plus d’argent, juste quarante sous sur elle, c’est-à-dire, rien du tout. La femme qui faisait la cuisine, avait donc acheté de la graisse de cochon, moins chère, mais qui avait rendue malade ma pauvre mère. En plus, mes frères Alphonse et Albert avaientla rougeole. Ils étaient dans l’une des deux chambres du premier étage. Me voilà née. Et il parait que j’étais une belle petite fille et que j’étais forte. » « Maman dit – écoutez, allez donc en haut voir si mes petits gars ne sont point morts. Ils sont capables d’être morts ! Et puis celle-là, faites-la baptiser et que le Bon Dieu l’emporte ! ». « Maman me l’a servi bien des fois, même sur son lit de mort : Et dire que j’ai souhaité ta mort, ma petite fille et que c’est chez toi que je termine mes jours ! »
La personnalité bien trempée de Clémence se manifeste de manière plus nette dans le récit d’une altercation qui s’est produite, là encore, au passage à niveau de Tillais et qui l’oppose en 1899 à un chef de district de la compagnie Paris-Orléans, en tournée d’inspection. Adrienne, sa fille, alors âgée de cinq ans, est témoin de l’incident qui l’a suffisamment troublé pour que soixante-douze ans plus tard, elle en parle encore : « Le chef de district ne voulait pas, à tout prix, que dans les passages à niveaux, les gens possèdent des chèvres, mais comme on était beaucoup, il fallait une chèvre pour avoir du lait ; car on était trop loin pour se procurer du lait par ailleurs. Donc, maman (Clémence) a eu une chèvre, destinée à allaiter mon petit frère Gaston qui était né en 1898. Mais le petit Gaston est mort. Un jour, alors que maman tirait sa chèvre dans la cour, le chef de district s’amène et lui dit : « Comment votre gosse, il est mort et vous avez encore votre bique ? » Alors, maman, qui avait une pleine soupière de lait, lui répond : « Oui, il est mort mon petit bonhomme » et elle lui a jeté tout le lait par la figure. Furieux, le chef de district s’en est immédiatement allé vers l’équipe des poseurs de voies et a interpelé mon père : « Venault, regardez donc dans quel état m’a mis votre femme ? » Il était venu à bicyclette. Personne ne l’aimait. Il n’était point aimable du tout. Aussi pendant qu’il s’adressait à mon père, les autres poseurs lui ont crevé ses pneus. Il a fallu qu’il s’en aille à pied et il était d’une rage impossible». Vive la lutte des classes!
Clémence dans les années 1920 à Angers
A la mort de son mari en 1912, percuté par un train qui présentait de nuit une défaillance démontrée de signalisation, Clémence reçut une maigre indemnité mais fut, tout de même, licenciée de son poste de garde barrière, car la condition mise par la Compagnie pour ce type d’emploi était d’être en couple ! Adrienne concluait en 1971 : « Après la mort de mon père, maman dut vivre chichement de ce que je lui donnais. » A la fin de sa vie, toutefois, Clémence vécut dans une relative aisance, car à la suite du décès de son fils Albert, mort pour la France en 1918, on lui avait octroyé une petite rente. Ma mère Adrienne Pasquier, née Turbelier, se souvient que sa grand-mère était généreuse avec elle et qu’elle lui avait offert, pour ses sept ans, une petite armoire et un buffet de poupée qu’elle possède toujours !
En attendant, longue vie et plein de bonheur, à notre petite Clémence, crû 2011
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